B. UNE MISE EN oeUVRE DÉLICATE, AU CROISEMENT DE LA RECHERCHE ET DU DÉVELOPPEMENT

Pourtant, il n'est pas sûr que les efforts que consent la France au bénéfice de la recherche pour le développement produisent les fruits attendus. Tiraillée entre les exigences de la recherche et la démarche de développement, la recherche pour le développement souffre aussi d'une mise en oeuvre délicate, qui ne bénéficie pas toujours aux pays du Sud.

1. Une double contrainte fondatrice : faire de la recherche d'excellence, tout en aidant les pays les plus en difficulté à y accéder

Les auditions ont largement souligné ce trait : la recherche pour le développement doit répondre à une double contrainte qui est parfois contradictoire, de produire une recherche aux standards internationaux et de travailler d'égal à égal avec des chercheurs du Sud , quand bien même les niveaux et les habitudes de recherche sont très disparates.

Cette double contrainte s'est accentuée ces dernières années avec l'affirmation par l'IRD et le Cirad que leur recherche doit être aux standards internationaux. Au Cirad, par exemple, la priorité à « la science au centre » est passée pour un « recentrage » des activités, au détriment des actions visant d'abord à renforcer les capacités (malgré le slogan « le partenariat au coeur »). Ce débat est plus vif dans les pays quasiment dépourvus de capacités de recherche, d'autant que le « recentrage » se traduit nécessairement par un repli des moyens là où la recherche est la moins performante...

Cette double contrainte, cependant, est bien la condition de la RpD , c'est ce qui distingue le nouveau paradigme de la recherche pour le développement - qui ne saurait être produite en dehors des sociétés concernées, parce qu'elles sont seules légitimes à choisir leur voie de développement. Comme l'écrit un document interne du Cirad, ce nouveau paradigme dépasse le dualisme opposant recherche d'excellence et partenariat : « Il n'y a pas d'un côté la science et de l'autre le développement en partenariat, d'un côté la production de connaissances et de l'autre l'utilisation de ces connaissances, il y a (...) l'affirmation que la pratique de la recherche en partenariat participe du développement , qu'un tel développement de la science est acte de développement et (...) qu'il ne saurait y avoir de développement véritable et durable d'une société sans développement de la connaissance au sein de cette société et par elle ».

On parlera dès lors du « développement par la recherche en partenariat », qui est un pari et un mode d'action qui devra s'adapter aux contextes nationaux, en particulier au niveau de la recherche dans les pays partenaires.

2. Un constat inquiétant : la difficile articulation entre la RpD et le développement des pays du « Sud »

Mais, sur le terrain, la recherche en partenariat ne se déploie pas toujours sur des bases saines, si bien que sa connexion avec le développement effectif des pays du Sud est difficile à assurer.

a) Des thématiques qui ne sont pas systématiquement élaborées ensemble ni toujours fonction des besoins des pays du « Sud »

C'est un constat de votre mission qui peut surprendre : alors que le « tournant stratégique » opéré ces dernières années par les grands établissements français de recherche paraissait les mettre parfaitement à l'écoute des sociétés et des problématiques du « Sud », les témoins et acteurs auditionnés, côté Sud, ont fréquemment estimé que les programmes français étaient plutôt peu connectés aux besoins nationaux et insuffisamment partagés nationalement . Le nouveau discours de la méthode est-il trop récent pour avoir déjà produit des effets tangibles, ou bien les comportements d'hier perdurent-ils malgré ce qui est présenté comme un changement de paradigme ?

Il est particulièrement difficile à votre mission de répondre à cette question avec l'objectivité requise - mais le simple constat de ce décalage suffit à confirmer, s'il en était besoin, qu'il y a encore loin de la parole au fait .

Il faut souligner également que la réponse varie fortement selon les thématiques et la région concernée. L'utilité perçue ne saurait être la même selon que l'action conduite, grâce à un travail en laboratoire, a amélioré le rendement d'une culture vivrière, ou bien qu'elle a, grâce à une expertise collégiale, aidé les décideurs publics locaux à s'accorder sur des priorités d'action... qui paraissent encore lointaines.

En audition devant votre mission, le président directeur général du Cirad a parfaitement illustré la possibilité pour son organisation d'être en prise directe avec une demande et des résultats attendus nationalement :

« Les modes de coopération avec les pays du Sud ont grandement changé en quelques années, nous développons, par exemple au Sénégal, des groupements scientifiques où les chercheurs du sud sont associés dès la définition des objets de recherche, avec constitution d'un conseil d'administration et d'un conseil scientifique, exactement comme nous fonctionnons avec les universités françaises. De même, les résultats sont acquis conjointement, les publications font toute leur place aux chercheurs du sud et nous tâchons de mettre les produits de la recherche dans le domaine public, pour une diffusion maximale. Ce type de partenariat couvre l'ensemble du cycle de la production scientifique, sur une dizaine d'années, et implique tous les niveaux de chercheurs au Sud, du doctorant au professeur d'université. » 33 ( * )

Par contraste, la genèse de l'expertise collégiale sur l'avenir du Lac Tchad fait percevoir bien des incertitudes sur les motivations réelles des participants, et finalement sur la connexion avec les besoins des pays concernés. L'objectif de coopération interétatique pour la gestion de ce lac est d'abord politique : c'est donc déjà un résultat de voir la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) réunir ces Etats autour d'une table. Cependant, rien là de nouveau, puisque la CBLT est active depuis plusieurs décennies ; ensuite, d'après ce qui en a été dit à votre mission, l'expertise collégiale ne devrait pas apporter d'éléments de connaissance nouveaux - s'agit-il donc d'une recherche ? -, mais plutôt « rationnaliser les discours » sur la situation hydrologique du lac, ce qui apportera des résultats seulement... si les politiques s'en saisissent, sachant que le discours sur ce lac est éminemment politique...

Autre constat entendu à plusieurs reprises, touchant au déficit de connaissance des sociétés « des Suds » en mutation rapide . « On en sait moins sur le Tchad qu'il y a quarante ans » 34 ( * ) , « l'Afrique change, mais nous n'avons pas pris la mesure de ces changements » 35 ( * ) : nous manquerions globalement - et pas seulement la France - de connaissances sur les sociétés actuelles et conserverions trop de réflexes anciens, en particulier dans les pays anciennement colonies françaises.

Ici encore, votre mission est frappée par le contraste entre la qualité « doctrinale » des initiatives françaises, et leur faible traduction dans les propos entendus sur le terrain.

La recherche sur le contemporain est bien une préoccupation des autorités françaises ; ainsi, l'Agence nationale de la recherche a-t-elle lancé en 2007, avec l'AIRD, un appel à projets thématique sur « les Suds, aujourd'hui » - pour financer des recherches sur les dynamiques démographiques, la contagion de la crise du capitalisme financier, les conflits armés et non armés, les langages, langues et productions textuelles... Parmi les projets soutenus dans ce cadre, le programme « Perisud » porte sur les dynamiques territoriales à la périphérie des métropoles du sud et concerne des villes aussi diverses que Shanghai, Mexico, Lima, Le Cap ou Abidjan (un partenariat s'est noué à cette occasion avec l'université d'Abidjan), ou encore le projet, « Mobilités ouest-africaines », qui implique seize chercheurs ; cette année, s'ouvrira le programme « Agrobiosphère », qui touche aux modifications des pratiques agricoles et de leurs représentations en Afrique subsaharienne, en Afrique de l'Est, en Afrique centrale et à Madagascar 36 ( * ) .

De même, sur le terrain, votre mission a-t-elle pu constater au Tchad que le poste diplomatique était tout à fait conscient de ces lacunes et que la connaissance du Tchad contemporain devenait prioritaire (le poste accompagne désormais des projets de recherches sur la société tchadienne actuelle, voir infra chapitre 2).

Les critiques entendues, cependant, vont plus loin que la méconnaissance des sociétés du Sud, certains programmes sont perçus comme extérieurs et poursuivant un « développement » différent de celui que la société concernée choisirait de manière autonome . Lors de son audition par votre mission, M. Jean-Pierre Elong M'Bassi, secrétaire général de Cités et Gouvernements Locaux Unis d'Afrique (CGLUA), a notamment déploré que les thématiques de recherche retenues ne soient pas mieux adaptées au contexte national et évolutif des pays du Sud. Selon lui, l'attention n'a pas été suffisamment prêtée aux conséquences diverses de l'urbanisation accélérée en Afrique, ni aux mutations économiques du continent. Il a notamment regretté le manque de recherches pour inventer la nécessaire transition fiscale de ces pays dans un contexte généralisé de baisse des droits de douane, qui ont pu alimenter jusqu'à 60 % des budgets de certains États. Il a également invité les chercheurs à interroger les modèles de pensée ou les techniques qui ont cours au Nord mais peuvent être inadaptées au Sud : ainsi, en matière d'aménagement urbain, il a considéré qu'une mise à l'égout était inatteignable dans certaines villes du Sud, comme Kinshasa dont la superficie avoisine celle du Liban, et appelé à imaginer un traitement différent des excréments à la source qui permettrait d'éviter le déploiement d'un réseau de canalisations et de stations d'épuration et une excessive consommation d'eau.

On touche ici à l'inévitable ambivalence de toute « voie de développement » définie globalement, ambivalence à laquelle les Objectifs du Millénaire n'échappent que sur le papier. Les pays « développés », qui ont les outils de la connaissance globale, projettent que « les moins avancés », qui sont en pleine croissance démographique, ne pourront produire et consommer comme eux-mêmes sans menacer l'équilibre d'ensemble, qu'il faut en conséquence un modèle de développement durable, et que « le Nord » s'engage à aider « le Sud » dans cette voie...

La recherche occupe une place importante dans cette aide : le Nord met à contribution son appareil scientifique pour trouver les voies d'un développement durable, ce que traduisent nombre de projets de recherche pour le développement (durable) ; mais les pays les moins avancés recherchent d'abord l'efficacité à court terme, pour satisfaire les besoins de leur population, et peuvent critiquer, au mieux un « décalage de perspective », au pire la volonté de maintenir le Sud en position de dépendance 37 ( * ) .

Votre mission n'a certainement pas tranché ce débat, mais y a trouvé une explication du décalage entre la doctrine de la RpD et les propos entendus en audition. Elle y voit également confirmation du caractère essentiel du partenariat et de la valorisation de la recherche : la meilleure voie pour que les projets correspondent aux besoins du pays, c'est qu'ils aient été définis de concert au lieu d'être insufflés du Nord vers le Sud et qu'ils soient valorisés.

b) Des partenariats trop souvent inégaux et insuffisamment tournés vers le renforcement des capacités du Sud

Ici encore, votre mission constate un décalage entre la doctrine et les propos entendus en audition et lors de ses déplacements.

Les responsables des instituts dédiés affirment produire « de la science et du partenariat, de la science en partenariat » 38 ( * ) , une « recherche dans, pour et avec les Suds », fondée sur un partenariat d'égal à égal - avec un volet important de renforcement des capacités là où, comme au Tchad par exemple, le système national de recherche est peu performant (voir chapitre II).

Cependant, les quelques initiatives dans ce sens paraissent insuffisantes : à entendre des chercheurs du Sud ou habitués à y travailler, tout se passe comme si les quelques projets de recherche pour le développement, certes bien calibrés, étaient d'échelle si réduite qu'ils ne changeraient pas une tendance plus générale à continuer de faire « à la place » du Sud, voire à « s'habiller du Sud » pour lui faire concurrence.

Le chercheur camerounais Olivier Iyébi-Mandjek a raconté en audition comment, de son point de vue, les habitudes prises depuis fort longtemps par les instituts français de recherche lui paraissaient devoir perdurer bien au-delà du changement de doctrine. Pour lui, les projets de recherche conduits au Cameroun répondent à « une stratégie de found raising beaucoup plus qu'à de la coopération » : l'IRD comme le Cirad se serviraient de terrains africains pour développer leur activité (en partie commerciale pour le Cirad), bien plus que pour y satisfaire les besoins des populations du Sud. L'exemple est cité du soutien à la culture du coton dans les années 1970-1990 : une production moins utile localement que le sorgho, mais qui répondait à un besoin textile des Français - et qui s'est mal terminée puisque cette production n'a pas trouvé suffisamment de débouchés, étant trop chère sur les marchés internationaux. Autre exemple : l'IRD annonce qu'il va aider à former des chercheurs, mais, ce qui se passe d'abord lorsque les fonds ont été levés auprès de bailleurs, c'est que l'Institut devient une école de formation, à des coûts bien supérieurs à ce qu'il aurait été possible en engageant des formateurs à l'université ou dans des instituts camerounais. Dans ces conditions, « qui aide-t-on ? Le Cameroun, ou bien la France s'aide-t-elle elle-même à travers un mécanisme qu'elle met en place ? ».

Le chercheur Jean-Pierre Olivier de Sardan va dans le même sens en soulignant, parmi les principaux problèmes de la recherche socio-anthropologique en Afrique, « le peu d'intérêt concret (...) manifesté depuis des dizaines d'années par les centres de recherche, les universités et les coopérations bilatérales ou multilatérales des pays du Nord pour l'appui à la constitution et au développement de véritables pôles d'excellence autonomes en sciences sociales dans les pays africains » 39 ( * ) , de même que le caractère « trop fréquent [des] mécanismes de patronage, de tutorat, de complaisance et de condescendance ». Ce très bon connaisseur des conditions de la recherche en Afrique francophone 40 ( * ) poursuit : « Les équipes du Nord se satisfont le plus souvent d'avoir comme partenaires en Afrique des chercheurs isolés , qui apparaissent alors comme leur caution, leur protégé ou leur `client', ou, sinon, de passer des conventions avec des institutions formelles (universités, facultés ou départements, centres officiels de recherche), dont ils mettent en doute en privé le dynamisme scientifique, la capacité à travailler en équipe et la fiabilité, mais qui leur servent de paravents ou de couvertures ».

c) Les dangers de la confusion entre recherche et expertise

Votre mission a encore constaté un mécanisme particulièrement pernicieux envers les infrastructures de recherche dans les pays du « Sud » : faute d'y trouver des capacités de recherche suffisantes, les organisations internationales se tournent volontiers vers la consultance et l'expertise , en faisant comme si les démarches étaient équivalentes. Or, non seulement l'expertise et la recherche diffèrent par leur perspective, leur méthode et leur résultat, mais la confusion entre les deux est pernicieuse parce qu'elle entretient la position dominante des experts du Nord, au détriment du renforcement des capacités des chercheurs du Sud .

M. Raguin, Directeur du groupement d'intérêt public Esther 41 ( * ) , a indiqué à votre mission qu'en Afrique, les experts qui se succèdent et se multiplient sont parfois surnommés les « criquets pèlerins », surnom qui dénonce à mots couverts le caractère itératif voire grégaire de leurs interventions, rarement suivies d'effets faute d'être articulées avec les capacités locales.

Pour sa part, l'économiste Dambisa Moyo souligne comment l'aide extérieure détourne les plus diplômés des pays les moins avancés vers les organisations internationales où ils pratiquent une expertise insuffisamment ancrée dans leurs pays d'origine - une expertise qui, finalement, appelle souvent à plus d'aide et qui marche main dans la main avec des administrations corrompues, au détriment des investissements dans les sociétés dites « bénéficiaires » de l'aide et de leur autonomie 42 ( * ) .

L'anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan analyse un mécanisme similaire dans le champ de la recherche en sciences sociales en Afrique francophone : le recours systématique des « développeurs » venus du Nord à de juteux contrats de consultance en sciences sociales, outre qu'il entraîne un afflux massif et disproportionné d'étudiants africains dans les sciences sociales, détourne très concrètement les universitaires africains de la recherche ; l'entreprise de consultance, avec ses étudiants sous-traitants qui travaillent dans l'intérêt du chef d'entreprise, remplace la communauté de chercheurs et ses débats ; conséquemment, ce recours à l'expertise en lieu et place de la recherche fait perdre les repères sur les critères d'une bonne recherche.

« A force d'enchaîner les consultations, de nombreux enseignants en sciences sociales finissent par `oublier' les règles du jeu, les ressources et les contraintes propres au `mode recherche' (qui sont pourtant des standards internationaux) (...) ils ne peuvent plus ou ne savent plus faire de la recherche, selon les standards internationaux ». M. Olivier de Sardan poursuit par ce tableau présentant les oppositions entre les deux modes, présentés sous forme idéal-typique :

Mode consultance

Mode recherche

Termes de référence imposés (sujet, question de recherche, méthodologie, sites, etc.)

Problématique élaborée principalement par le chercheur, qui choisit à cet effet ses propres outils méthodologiques.

Temps imparti court ou très court.

Travaux à moyen ou à long terme.

Enquêtes rapides, peu de temps de terrain.

Priorité aux enquêtes de terrain intensives.

Pas ou peu de recherche documentaire académique, lecture préférentielle ou unique de rapports et littérature grise ou officielle.

Recherche documentaire tous azimuts systématique.

Positionnement dans des débats internes au monde du développement (pauvreté, participation, efficacité, empowerment , gestion, etc.)

Positionnement dans des débats scientifiques, théoriques et empiriques.

Usage de la rhétorique des bailleurs de fonds (cadre logique, objectifs généraux et spécifiques, recommandations, etc.)

Usage de la rhétorique de la recherche (états de la question, problématique, hypothèses, questions de recherche, références théoriques).

Recours routinier et immodéré aux travaux d'autrui sans souci de citation, voire parfois au quasi plagiat (copier-coller, non-respect des normes académiques en matière de citations et de référence).

Normes strictes quant aux citations et références, forte condamnation du plagiat.

Pression forte pour une aide à l'action et une recherche opérationnelle au service du commanditaire.

Priorité à la production de connaissances nouvelles et empiriquement fondées.

Autocensure pour ne pas déplaire au commanditaire.

Liberté de parole, priorité à la véridicité.

Produit : un rapport.

Produit : un article, un chapitre, un livre.

Évaluation des rapports par des bailleurs de fonds peu compétents en sciences sociales.

Évaluation des publications par des pairs.

Le brouillage de la frontière entre recherche et consultation, entre recherche et développement, est accentué par les nombreux effets pervers de « l'intrusion au sein de la recherche africaine de diverses `normes pratiques' propres au monde du développement (et aux diverses formes de `rente' qu'il distribue) » : « un processus de `vénalisation' ou de `mercenarisation' indépendamment de tout critère de qualité scientifique » ; la généralisation du paiement à l'acte, indépendamment du salaire, pour des activités qui relèvent normalement du cahier des charges ordinaire d'un universitaire, y compris l'intervention dans des colloques universitaires (organisés par des bailleurs de fonds) ou la participation aux projets d'institutions de développement - autant de pratiques qui sont « en rupture avec les standards internationaux [et dont] on peut penser qu'elles contribuent à isoler les chercheurs africains ».

Ces citations visent à faire comprendre les mécanismes insidieux qui, en isolant les chercheurs africains motivés et en s'accommodant d'universités africaines « au rabais », représentent trop souvent la réalité de la RpD, loin de son idéal-type. Si des initiatives parviennent à contrer ces mécanismes 43 ( * ) , elles paraissent l'exception qui confirme la règle et l'usage d'une relation encore bien trop dissymétrique entre le Nord et le Sud.

Si la qualité de la relation partenariale qui la fonde n'est pas toujours satisfaisante, la recherche pour le développement souffre aussi d'un défaut de reconnaissance au sein de l'action publique française.


* 33 Audition de M. Michel Eddi, 21 mai 2013.

* 34 Entretien M. Jacques Lemoalle, 25 juin 2013.

* 35 Entretien M. M'Bassy, 23 juillet 2013.

* 36 Audition de Mme Pascale Briand, 21 mai 2013.

* 37 Voir en particulier la critique de l'aide au développement dans son ensemble faite par l'économiste zambienne Dambisa Moyo, dans L'aide fatale - Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique , 2009.

* 38 Audition de M. Michel Eddi, 21 mai 2013.

* 39 « Promouvoir la recherche face à la consultance. Autour de l'expérience du Lasdel (Niger-Bénin) », Cahiers d'études africaines, LI (2-3), 202-203, 2011, pp. 511-528.

* 40 Anthropologue français et nigérien, professeur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et ancien directeur de recherches au CNRS, M. Olivier de Sardan réside au Niger où il conduit des recherches depuis les années 1960 et où il a cofondé avec M. Mahaman Tidjani Alou le Laboratoire d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL).

* 41 Le Groupe d'intérêt public Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau (GIP Esther) a été créé en 2002 par Bernard Kouchner pour promouvoir une prise en charge de qualité pour les personnes vivant avec le VIH/sida et combattre les inégalités d'accès aux soins dans les pays en développement. Esther est aujourd'hui présent dans 17 pays (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Cameroun, Centrafrique, Côte d'Ivoire, Gabon, Ghana, Laos, Mali, Maroc, Niger, Sénégal, Tchad, Togo, Vietnam).

* 42 Déconstruisant « le mythe de l'aide », D. Moyo estime que non seulement « l'aide ne marche pas » (malgré les milliards investis en Afrique depuis des décennies, l'économie y est en régression, la misère progresse), mais qu'elle est même « l'assassin silencieux de la croissance », qu'elle est le facteur principal de la stagnation économique en Afrique, par comparaison avec des pays d'Asie qui, avec bien moins d'aide, ont « décollé ».

* 43 Le LASDEL en est un exemple : créé à Niamey en 2001 sous statut nigérien, avec un conseil de direction formé par l'association de chercheurs africains à l'origine du projet, les Universités du Niger et du Bénin, le CNRS, l'EHESS, l'IRD et l'IUED (Genève) jusqu'en 2006 (et un conseil scientifique international depuis lors), ce laboratoire coopératif compte 24 chercheurs (dont 16 ont un doctorat) sur deux sites (Niamey et Cotonou) ; sa constitution fait suite à de longues relations de travail sur des terrains africains et, si son programme de recherche intéresse éminemment les responsables d'institutions (analyse de la délivrance des services et biens publics ou collectifs en Afrique), le laboratoire produit des recherches à partir d'analyses qualitatives de terrain et continue de se démarquer des méthodes de la consultance et des bureaux d'études avec lesquels il ne veut pas être confondu.

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