EXAMEN EN DÉLÉGATION

Sous la présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente, la délégation a examiné, le mardi 22 octobre 2013, le rapport d'information de Mme Laurence Rossignol sur les dispositions du projet de loi n° 71 (2013-2014) garantissant l'avenir et la justice du système de retraite, dont la délégation a été saisie par la commission des Affaires sociales.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - L'ordre du jour de notre réunion appelle l'examen du rapport de Mme Laurence Rossignol sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraite.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - L'heure est donc venue de vous présenter le rapport sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraite.

Notre délégation a été saisie de ce texte par la commission des affaires sociales dans la mesure où il affiche un objectif de limitation des inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite, ce dont on ne peut que se féliciter.

Pour élaborer mes conclusions et mes propositions de recommandations, j'ai bien entendu participé aux auditions de la délégation, les 3 et 10 octobre 2013 et organisé des réunions plus techniques avec Mme Carole Bonnet, chercheure de l'Institut national d'études démographiques (INED), spécialiste des retraites des femmes et auteure de nombreuses publications sur le sujet, et avec des membres de l'équipe du Défenseur des droits.

J'ai également demandé des contributions écrites à un sociologue, M. Nicolas Castel, maître de conférences à l'Université de Lorraine, ainsi qu'à la Mutualité sociale agricole, à l'Union nationale des conjoints de professionnels libéraux et à la Fédération nationale des associations de conjoints de travailleurs indépendants de France. Par ailleurs, je me suis beaucoup appuyée sur les écrits de Mme Christiane Marty, chercheure à la Fondation Copernic. Enfin, participant à l'audition de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, par la commission des Affaires sociales, le 16 octobre 2013, j'ai pu évoquer avec elle les évolutions envisageables en matière de droits familiaux, les conséquences du récent partage de la majoration de durée d'assurance (MDA) entre les deux parents et la nécessaire prise en compte de la pénibilité au féminin.

Je commencerai par le diagnostic bien connu des inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite. Les montants des pensions des femmes étaient en moyenne de 932 € par mois en 2011 contre 1 603 € pour les hommes. Même après prise en compte des droits familiaux, les retraites des femmes représentent toujours 72 % seulement de celles des hommes, ce qui montre bien l'insuffisance des droits propres. De plus, les femmes liquident leur pension 1,3 an plus tard que les hommes et sont plus nombreuses parmi les titulaires du minimum contributif.

Ces inégalités résident dans le fait que le montant des pensions dépend à la fois de la durée de cotisation et du montant des salaires. Or les carrières des femmes se caractérisent encore par des salaires inférieurs et des durées de travail plus courtes.

Les désavantages subis par les femmes en matière de retraite ont été amplifiés par les réformes des retraites depuis 20 ans, qui ont consisté à allonger la durée de cotisation, plus particulièrement par le passage aux 25 meilleures années.

En outre, sous couvert d'égalité, l'extension aux hommes des droits familiaux a creusé encore les inégalités en matière de retraite, en particulier s'agissant de la bonification de 10 % pour troisième enfant.

Même la réversion accroît la supériorité des retraites masculines puisque la pension moyenne des veufs est de 1 749 euros contre 1 165 euros pour celle des femmes.

Selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), il ne faut pas attendre de résorption spontanée des inégalités car on observe, chez les jeunes femmes, une tendance au maintien d'interruptions de carrière, généralement liées à la maternité. En conséquence, un écart de 20 % devrait persister entre les retraites des femmes et celles des hommes, malgré la progression du taux d'activité féminine.

J'en viens maintenant aux inégalités au travail, qui sont la cause profonde des inégalités en matière de retraite. En effet, « tout se joue avant 60 ans », comme l'indique le titre que je vous propose de donner à ce rapport d'information.

Nous les connaissons bien : les salaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes du fait d'une durée de travail inférieure - conséquence de l'organisation familiale -, elles effectuent en général moins d'heures supplémentaires que les hommes, et de surcroît, elles bénéficient de moins de primes, en particulier chez les cadres.

Mais la durée du travail n'explique pas tout, car si l'on neutralise tout ce qui concerne le temps de travail, demeure tout de même un écart de 9 % que les spécialistes qualifient d'« inexpliqué ».

Une autre cause de cette infériorité des rémunérations des femmes réside dans le fait que les professions à dominante féminine sont généralement moins reconnues et moins valorisées. De plus, les salaires féminins sont évidemment victimes d'un véritable « soupçon de maternité ».

Je reviens sur l'importance de l'implication des femmes dans l'organisation familiale. Ce sont les femmes qui s'arrêtent de travailler ou qui réduisent leur temps de travail quand les enfants arrivent. De même qu'il existe le « plafond de verre », il existe un « plafond de mère » qui a d'énormes conséquences sur leur vie professionnelle.

La contribution des femmes à la vie de la famille ne s'arrête pas là. Ce sont bien elles qui, statistiques à l'appui, prennent en charge les personnes âgées dépendantes. Or les « aidants familiaux », à raison de plus d'un tiers, réduisent leur activité pour s'occuper d'un parent dépendant.

Et je vous fais grâce des statistiques sur le temps consacré chaque semaine par les hommes et les femmes aux tâches ménagères. La « double journée » est une réalité quotidienne.

Autre aspect fondamental des inégalités entre hommes et femmes au travail : la pénibilité spécifique des emplois féminins, systématiquement sous-évaluée.

Dans ce domaine, il importe tout d'abord de faire établir, comme le concluait le rapport « Femmes et travail » de notre présidente, des statistiques de pénibilité dans une logique de genre. Il faut aussi assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes lors des négociations collectives de branches pour que la pénibilité au féminin soit véritablement prise en compte.

Notons en outre que la législation laisse de côté cette pénibilité particulière qui résulte d'emplois relevant du « temps partiel subi », qui impliquent pour les salariés un temps de travail assorti d'horaires souvent fractionnés, avec des amplitudes horaires quotidiennes disproportionnées par rapport au temps travaillé. Je proposerai à la délégation une recommandation sur ce point.

Quant au projet de loi lui-même, mon rapport récapitule l'ensemble de ses dispositions ayant une incidence sur les retraites des femmes telles que :

- le suivi spécifique, prévu par l'article 3, de la situation comparée des femmes et des hommes, confirmant ainsi l'importance attachée par le gouvernement à la résorption de ces inégalités ;

- le renforcement, grâce à l'Assemblée nationale, des garanties d'une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein du COR ;

- autre disposition introduite par l'Assemblée nationale, la demande d'un rapport étudiant la faisabilité de la suppression de la décote et du retour à l'âge de 65 ans pour bénéficier du taux plein, et établissant un bilan, sur la situation des femmes, de l'instauration de la décote et du passage de la borne d'âge à 67 ans pour bénéficier du taux plein ;

- l'article 13 prévoyant un rapport sur l'évolution des droits familiaux « pour mieux compenser les effets sur la carrière et les pensions des femmes et de l'arrivée d'enfants au foyer » ;

- un article 13 bis , ajouté par l'Assemblée nationale, concernant le dépôt d'une étude sur la réversion, dans le sens d'une harmonisation entre les régimes et l'on ne peut que s'en féliciter.

En revanche, rien dans le projet de loi ne s'attache spécifiquement à la question de la pénibilité au féminin.

Le projet de loi contient aussi des dispositions plus techniques telles que :

- le passage des « 200 heures SMIC » aux « 150 heures SMIC », qui s'adresse aux temps très partiels, et notamment aux travailleurs saisonniers du secteur agricole ;

- la prise en compte de la totalité des trimestres de congé maternité pour bénéficier du dispositif de carrière longue qui permettra à des femmes de partir plus tôt à la retraite ;

- la possibilité pour les conjoints collaborateurs de s'affilier directement à l'assurance vieillesse du conjoint chef d'entreprise en cas de cessation d'activité due au décès ou à la retraite de celui-ci, ou en cas de divorce ;

- la majoration de durée d'assurance pour les aidants familiaux, dont le Laboratoire de l'égalité a toutefois souligné l'insuffisance au regard des années parfois passées par certaines personnes auprès d'un proche handicapé ou dépendant.

J'en arrive aux recommandations que la délégation pourrait formuler à propos du projet de loi qui nous est soumis. Elles concernent la pénibilité, le temps partiel, la prise en compte des carrières courtes et l'avenir des droits familiaux et conjugaux. Sur ce dernier point, je précise toutefois que si les droits familiaux et conjugaux peuvent être des correctifs pour compenser certaines inégalités liées au rôle des femmes dans la famille, l'idéal est de favoriser leurs droits propres.

En ce qui concerne tout d'abord la pénibilité, il s'agit de faire en sorte que le code du travail assimile à un facteur de pénibilité les emplois qui imposent aux salariés une amplitude horaire disproportionnée par rapport à leur temps de travail effectif. Tel est l'objet d'une des recommandations que je vous propose d'adopter.

L'article 5 bis prévoit le dépôt d'un rapport, à l'échéance de 2020, sur « l'évolution des conditions de pénibilité auxquelles les salariés sont exposés », et réaffirme le principe d'une « concertation préalable avec les organisations syndicales » aux fins d'une « éventuelle négociation » sur tout projet d'actualisation du décret définissant les critères de pénibilité. Il faudrait que ce rapport étende son objet aux facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes ; un amendement pourrait être déposé en ce sens en fonction des travaux de la commission des Affaires sociales.

Une proposition de recommandation consisterait à faire établir des statistiques de pénibilité sur la base d'une différenciation par genre, comme le proposait d'ailleurs notre présidente dans son rapport « Femmes et travail » .

Il faudrait, en outre - et c'est l'objet d'une autre proposition de recommandation - que l'actualisation des critères de pénibilité - si elle était entreprise - se fasse sur la base d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les équipes de négociation.

Or, il semble que la concertation avec les partenaires sociaux n'ait pas, à ce jour, conduit à une véritable prise en compte de la pénibilité que subissent les femmes au travail. C'est un domaine dans lequel la marge de manoeuvre du législateur est étroite car les critères de pénibilité sont définis par un règlement, se contentant lui-même de transcrire le résultat de la négociation entre des partenaires sociaux pas toujours très paritaires en termes de sexes...

S'agissant ensuite du temps partiel, il semble que les jeunes femmes qui demandent à en bénéficier n'ont pas toujours conscience des conséquences que cela pourra avoir sur le niveau de leur retraite ; or à salaire partiel, retraite partielle...

Je propose donc qu'une recommandation - c'est l'objet de ma quatrième proposition - prévoie l'information systématique des salariés qui demandent à bénéficier d'un temps partiel sur les conséquences de cette option sur leur future retraite. Cette information n'aurait pas à évaluer très précisément le manque à gagner attendu sur leur pension, mais à sensibiliser les intéressés au fait que leur choix pourra avoir sur leur retraite des conséquences réelles, un peu à l'instar des fumeurs prévenus des risques qu'ils encourent sur les paquets de cigarettes... Le relevé de situation individuelle pourrait être le support de cette information.

Une autre proposition de recommandation concerne également le temps partiel et, plus précisément, les horaires atypiques et fractionnés qui sont imposés dans certains secteurs, comme par exemple celui du nettoyage.

Dans de nombreuses entreprises et administrations, les personnels d'entretien sont contraints de travailler très tôt dans la matinée ou très tard le soir, quand les bureaux sont vides. Pourtant, dans bien des situations, le nettoyage pourrait probablement se faire à des heures de travail normales, sans conséquences excessives pour l'organisation du service. Certaines entreprises du secteur privé et certaines administrations et collectivité territoriales ont d'ailleurs déjà intégré cette dimension. Je pense que sur ce point, l'administration se doit d'être exemplaire.

Je ne suggère pas de modifier le code des marchés publics, mais que les diverses administrations qui ne l'auraient pas déjà fait sensibilisent systématiquement les donneurs d'ordre, dans le cadre des marchés publics, pour que les prestations - par exemple de nettoyage - ne contraignent les personnels des prestataires à des horaires atypiques que si c'est absolument indispensable. Tel est l'objet de ma cinquième proposition de recommandation.

Ma proposition de recommandation suivante concerne la prise en compte, dans le calcul des droits à pension, des carrières courtes.

La délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale préconise de fixer le nombre d'années prises en compte dans ce calcul non pas sur les 25 meilleures années, système qui désavantage les carrières courtes, mais « en fonction du nombre d'années de carrière concrètement réalisées en pratiquant une proratisation » par rapport à une carrière complète. Si pour une durée de cotisation de 40 ans sont retenues les 25 meilleures années, il conviendrait peut-être alors d'appliquer la même proportion par exemple à une carrière de 20 ans, et l'on se réfèrerait pour cette dernière aux 13 meilleures années.

Une autre formule est proposée par le Défenseur des droits pour les personnes ayant eu des carrières courtes : il s'agirait de se référer non plus aux 25 meilleures années pour le calcul des droits à la retraite, mais aux 100 meilleurs trimestres, soit une durée équivalente. Mais avec à un résultat différent sur les retraites.

Je vous propose donc de demander au gouvernement une étude permettant d'évaluer, pour les salariés ayant connu des interruptions de carrière, les conséquences d'un éventuel passage des 25 meilleures années soit aux 100 meilleurs trimestres, soit à un système fondé sur la proratisation de la période de travail.

J'en viens aux propositions de recommandation en matière de droits familiaux et conjugaux.

Je pense qu'il faut trouver un juste milieu entre, d'une part, la revalorisation indispensable des droits propres des femmes et, d'autre part, les compensation des contraintes familiales qui empêchent les femmes d'avoir des carrières complètes, à partir de droits familiaux et conjugaux remis à plat et réformés.

Ma septième proposition de recommandation recherche ainsi une juste compensation des contraintes familiales qui freinent la carrière des femmes, tout en rappelant qu'il faut absolument éviter d'encourager l'interruption ou le ralentissement de l'activité professionnelle des femmes.

Ma huitième proposition de recommandation serait de centrer les droits familiaux sur la maternité pour éviter qu'en bénéficiant aux pères, ils s'éloignent de l'objectif consistant à compenser les freins à la vie professionnelle des femmes liés à la maternité.

Dans cette logique, l'économie qui pourrait résulter de la suppression de la majoration de 10 % attribuée aux pères de trois enfants et plus pourrait permettre de revaloriser les droits versés aux femmes, voire de contribuer au financement de solutions d'accueil pour les jeunes enfants.

Si toutefois - autre option - cette majoration était maintenue, la piste de sa mutualisation pourrait être envisagée ; c'est-à-dire qu'elle serait en totalité versée au parent qui a interrompu sa carrière. Ayant évoqué cette proposition devant la ministre, je n'ai pas été convaincue par l'argument tiré de la discrimination ou de la menace européenne car, en théorie, le parent bénéficiaire pourrait être aussi bien un homme qu'une femme.

Mme Christiane Demontès . - Cela ne fonctionnerait qu'au sein du couple.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Oui, il est bien ici question des droits familiaux et conjugaux.

Enfin, ma dernière proposition de recommandation concerne la prise en compte, dans la redéfinition des droits familiaux, d'un équilibre nécessaire entre le versement de prestations et l'attribution de trimestres validés, permettant aux femmes de liquider leurs droits plus tôt. En effet, à l'approche de la retraite, nombre de femmes souhaitent partir plus tôt. C'est un des effets de la « double journée »... Il faut leur en donner la possibilité en lieu et place de l'octroi de la majoration. L'option doit leur être offerte de choisir du temps plutôt que de l'argent.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Il y a d'un côté le projet de loi et de l'autre, l'examen de ce rapport d'information. Nous n'avons pas abordé aujourd'hui l'article 2 qui définit par classe d'âge la durée de cotisation, et qui sera préjudiciable aux femmes. Mais bien entendu, nous ne voterons pas tous de la même façon sur ce texte.

La délégation de l'Assemblée nationale a permis d'introduire un article 2 bis proposant de mesurer l'impact pour les femmes d'un retour de 67 à 65 ans de l'âge pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Peut-être pourrions-nous soutenir le maintien de cette disposition en séance...

Il faudrait aussi que l'une de nos propositions de recommandation mette bien en exergue la priorité donnée aux droits propres des femmes.

Mme Christiane Demontès . - En tant que rapporteure au fond sur ce projet de loi, j'ai été très intéressée par tout ce que je viens d'entendre. Madame la Présidente, un projet de loi sur les retraites n'est évidemment pas suffisant pour compenser les inégalités subies par les femmes en la matière. Cette situation découle des inégalités rencontrées tout au long de la vie professionnelles et appelle donc un renforcement des droits propres. C'est un point sur lequel le rapport - et nos propositions de recommandation - pourraient insister davantage.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Le titre de mon rapport le dit bien : « Retraite des femmes : tout se joue avant 60 ans ». Il montre clairement que les inégalités en matière de retraite reflètent les inégalités au travail.

Mme Christiane Demontès . - Il faudrait aussi faire référence aux lois concernant l'égalité professionnelle et affirmer notre souci de vigilance quant à leur application.

Mme Françoise Laborde . - Tout ce qui se joue autour des droits familiaux concerne le couple et l'on ne met pas assez en évidence les inégalités subies par les femmes en tant qu'individus. Comme le faisait remarquer notre collègue Corinne Bouchoux lors de l'audition de l'Union nationale des associations familiales, il y a aujourd'hui d'autres types de familles : recomposées, homoparentales, monoparentales... Ce rapport doit traiter en priorité de la situation des femmes en tant que femmes.

Mme Danielle Michel . - La dernière recommandation me choque. La référence à la double journée des femmes les stigmatise en tant que toutes désignées pour s'occuper des enfants puis des ascendants.

Mme Laurence Cohen . - Merci pour ce travail. A l'occasion de plusieurs textes, nous avons pu constater une certaine réceptivité à nos propositions et il faut espérer que, là encore, elles pourront déboucher sur des amendements. Il faut centrer notre rapport sur les droits propres, ce qui n'est peut-être pas suffisamment le cas. Nos recommandations dans le cadre du projet de loi sur égalité femmes-hommes étaient allées assez loin ; il ne faudrait pas que cette fois-ci, nous soyons en retrait.

Mme Michelle Meunier . - Nous sommes tous d'accord sur le constat. Nous verrons ensuite comment renforcer la place des droits spécifiques dans les recommandations.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - J'entends bien les remarques de nos collègues dans le sens d'une place plus importante faite aux droits propres. Mais quel est le problème ? Nous cherchons à corriger au moment de la retraite une inégalité qui s'est construite tout au long de la carrière. Quant au système de retraite, il n'est pas inégalitaire ; il est même cruellement égalitaire puisqu'un homme qui aurait une carrière hachée, avec interruptions et temps partiel, se trouverait lui aussi avec une retraite... de femme.

Il se trouve que le correctif actuel réside dans les droits familiaux. Le rapport ne s'interroge sur le rôle de ces correctifs qu'après avoir bien mis en exergue les inégalités à la fois au travail et dans la famille.

L'une des choses les plus déprimantes que nous ayant entendu du COR et de l'INED c'est que, d'après les études, les jeunes femmes aspirent toujours une interruption de carrière autour de la maternité.

Mme Christiane Demontès . - Ce n'est pas une aspiration ; c'est une nécessité.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - En tous cas, elles l'anticipent, non seulement pour des raisons financières mais aussi du fait de leur environnement culturel et psychologique. Les considérations financières jouent bien sûr pour les bas salaires mais l'aspiration à « faire une pause » existe aussi chez les femmes diplômées. Notre rapport dit bien que l'on ne peut encourager cela.

Agir sur les droits propres, cela reviendrait aussi à reconsidérer les pensions de réversion. Mais sur ce point je serai très prudente en attendant le rapport prévu par l'article 13 bis .

Je rappelle en outre que ce texte ne s'applique qu'au régime général des salariés du secteur privé.

Quant à la question des aidants familiaux, je ne fais que décrire une réalité : les aidants se trouvent être des femmes.

Mme Danielle Michel . - C'est la réalité ; mais doit-on l'accepter ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Afin de rappeler toute l'importance des droits propres, la délégation pourrait dire qu'elle sera attentive à l'application de toutes les lois qui favorisent l'égalité professionnelle entre hommes et femmes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Entendu, nous ajouterons au tout début une recommandation sur l'importance des droits propres et les lois concernant l'égalité professionnelle.

Mme Michelle Meunier . - Dans la recommandation 1 - qui devient désormais la recommandation 2 - comme dans les suivantes, il faudrait remplacer le mot « salariés » par le mot « salarié-e-s ».

Mme Laurence Cohen . - La définition donnée ici du temps partiel est un peu réductrice. Le problème du fractionnement est plus large.

Mme Christiane Demontès . - Ce qui importe, ce sont les conditions d'emploi impliquant les amplitudes horaires disproportionnées. Le fractionnement peut aussi affecter des travailleurs à temps plein.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - L'objectif est de prendre en compte les contraintes spécifiques pesant sur la carrière des femmes, parmi lesquelles figure le temps partiel. Ce sont surtout les personnels à temps partiel qui subissent les amplitudes horaires les plus importantes.

Mme Christiane Demontès . - Dans la grande distribution, cela concerne aussi des personnels à temps plein.

La délégation adopte la recommandation 2 (ancienne recommandation 1) ainsi modifiée :

« La délégation souhaite que soit assimilées à un facteur de pénibilité, au regard du code du travail, les conditions de travail impliquant pour les salarié-e-s des horaires fractionnés avec des amplitudes horaires quotidiennes disproportionnées par rapport à leur temps de travail effectif. »

Mme Laurence Cohen . - A propos de la recommandation 3, ancienne recommandation 2, il faudrait préciser qui établira les statistiques sur la pénibilité.

Mme Christiane Demontès . - Sur la base des DADS (déclaration automatisée des données sociale) remplies par les entreprises, c'est aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) qu'il reviendra d'établir ces statistiques.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Dans la recommandation 16 de notre rapport « Femmes et travail » , nous incitions les partenaires sociaux à retravailler les grilles de classification. N'a-t-elle pas place ici ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Elle se rattache plutôt à notre nouvelle recommandation 1 qui pourrait être ainsi rédigée :

« La délégation réaffirme la priorité qui doit s'attacher aux droits propres des femmes. Dans cette perspective, elle sera vigilante à l'application des lois concernant l'égalité professionnelle entre hommes et femmes et appelle les partenaires sociaux à engager une refonte des grilles de classification professionnelle dans la perspective d'une nouvelle hiérarchisation des emplois non discriminante au regard de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. »

La délégation adopte ensuite la recommandation 3 (ancienne recommandation 2) ainsi modifiée :

« La délégation appelle à l'élaboration, en lien avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), de statistiques précises de pénibilité sur la base d'une différenciation par sexe et à l'établissement d'un bilan de l'évolution des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes. »

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - A propos de la recommandation suivante, je pense qu'un jour nous voterons que toute décision prise par une instance qui ne comporte pas 35 % de femmes est nulle et non advenue...

La délégation adopte la recommandation 4 (ancienne recommandation 3) ainsi rédigée :

« La délégation demande que, en cas de négociation sur une actualisation des facteurs de pénibilité définis par l'article D. 4121-5 du code du travail, les organisations syndicales assurent une représentation équilibrée des hommes et des femmes. »

Puis elle adopte sans modification la recommandation 5 (reprenant le texte de l'ancienne recommandation 4) ainsi rédigée :

« La délégation souhaite que les salarié-e-s demandant à travailler à temps partiel soient informé-e-s des conséquences de leur choix sur leur future retraite. Elle demande que cette information devienne obligatoire pour les responsables des ressources humaines, tant dans les fonctions publiques que dans le secteur privé. Elle appelle à une information systématique sur les conséquences du temps partiel en matière de retraite dans les relevés de situation individuelle et à l'aménagement de l'âge de l'envoi du premier relevé, si nécessaire, pour intégrer cette information. »

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - A propos de la recommandation sur les marchés publics, il me semble qu'il serait préférable d'inciter les donneurs d'ordre et non pas seulement de les sensibiliser.

Mme Laurence Cohen . - Je suis d'accord.

La délégation adopte la recommandation 6 (ancienne recommandation 5) ainsi modifiée à la demande de Mme Brigitte Gonthier-Maurin :

« La délégation souhaite que les donneurs d'ordre publics soient incités, dans leur cahier des charges lors de la passation de marchés publics, à inclure des critères sociaux permettant d'éviter les horaires atypiques ou fractionnés et les temps partiels à amplitude horaire quotidienne excessive. »

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Lors de la discussion de l'ANI (accord national interprofessionnel), notre collègue Catherine Génisson avait fait des propositions visant à dissuader le recours excessif au temps partiel en majorant les cotisations sociales des entreprises employant plus de 20 % de salariés à temps partiel. C'était la recommandation 10. Je propose de la reprendre.

Mme Françoise Laborde . - Pourtant certains employés, par exemple dans le commerce, peuvent préférer un travail à temps partiel pour éviter trop de fractionnement.

La délégation adopte la recommandation 7 nouvelle ainsi rédigée :

« La délégation estime nécessaire de décourager le recours excessif au temps partiel en prévoyant une majoration des cotisations sociales patronales dans les entreprises de plus de vingt salarié-e-s dont le nombre de salarié-e-s à temps partiel est au moins égal à 20 % du nombre total de salarié-e-s dans l'entreprise. »

La délégation adopte la recommandation 8 (ancienne recommandation 6) ainsi rédigée :

« La délégation rappelle la nécessité de mettre en oeuvre un système qui ne pénalise plus les carrières courtes dans le calcul du salaire moyen servant de référence pour la détermination du montant des retraites.

À cet effet, elle demande qu'il soit procédé à une étude permettant d'évaluer les conséquences, sur la détermination du salaire de référence, pour les salarié-e-s ayant connu des périodes d'interruption de carrière :

- du passage aux 100 meilleurs trimestres au lieu des 25 meilleures années ;

- de la proratisation de la période de travail prise en compte par rapport à la durée totale d'activité professionnelle. »

Mme Christiane Demontès . - Je m'interroge sur l'intérêt du premier paragraphe de la première des recommandations concernant les droits familiaux et conjugaux.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : nous commençons par rappeler la priorité donnée aux droits propres. Force est ensuite de constater que les inégalités ne viennent pas du système de retraites mais du déroulement de la vie professionnelle des femmes et que l'un des moyens d'augmenter leurs pension est aujourd'hui l'existence des droits familiaux et conjugaux. Mais bien entendu, plus nous reconnaissons ces droits, plus nous contribuons au maintien du partage traditionnel des tâches. Nous ne le faisons donc que jusqu'à un certain point tout en refusant que leur institutionnalisation n'aboutisse d'une façon ou d'une autre à un substitut de salaire maternel.

Mme Michelle Meunier . - C'est ce que l'on appelle les rapports sociaux de sexes.

Mme Laurence Cohen . - J'entends ce que vous dites mais je trouve le texte de la recommandation un peu défensif. Le premier paragraphe est-il indispensable ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Je vous propose de supprimer le premier paragraphe et de bien rappeler dans le deuxième paragraphe la priorité qui doit être donnée aux droits propres.

Mme Christiane Demontès . - La rédaction du troisième paragraphe relative à l'actuelle majoration pour troisième enfant pourrait aussi être modifiée pour préciser que la majoration pourrait devenir une allocation forfaitaire versée dès le premier enfant.

La délégation adopte la recommandation 9 (ancienne recommandation 7) ainsi modifiée :

« La délégation souhaite que les réflexions prévues par le projet de loi sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux prennent en considération la nécessité d'éviter absolument d'encourager l'interruption ou le ralentissement d'activité professionnelle des femmes et proscrivent tout ce qui pourrait évoquer une forme de salaire maternel, fût-il différé. Si les droits familiaux et conjugaux contribuent à atténuer et à compenser les écarts de pension entre les hommes et les femmes, la délégation estime en revanche que la priorité doit être donnée aux droits propres.

La délégation estime que la transformation de l'actuelle majoration pour troisième enfant en une allocation forfaitaire versée dès le premier enfant est une piste à envisager. »

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Personnellement, je ne voterai pas la recommandation suivante, relative à la mutualisation de la majoration de 10 % au sein du couple.

Mme Laurence Cohen . - Je ne partage pas non plus l'idée de faire porter aux membres du couple les contraintes nées de l'organisation des familles. Cela relève d'une responsabilité de la société toute entière.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Oui, la sécurité sociale instaure une solidarité à une échelle bien plus large que celle du couple.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Je considère pour ma part que c'est de l'enrichissement sans cause. Dans la mesure où il y a eu mutualisation des choix de carrières pour satisfaire aux contraintes familiales, la majoration doit revenir à la mère. Une fois à la retraite, lorsque l'homme perçoit une pension de 1 600 euros, sa majoration est de 160 euros contre seulement 70 euros pour la femme dont la pension n'est que de 700 euros. Et s'ils se séparent, l'homme garde sa majoration. Ce n'est pas acceptable !

Mme Laurence Cohen . - Je peux me révolter comme vous mais...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - ... la sécurité sociale ne repose pas sur une logique de couple mais sur une logique de répartition.

Mme Christiane Demontès . - Non, elle repose sur le modèle de la famille traditionnelle.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - La question posée est de savoir qui, au sein du couple, doit bénéficier des droits familiaux.

La délégation adopte ensuite, les sénateurs du groupe CRC votant contre, la recommandation 10 (ancienne recommandation 8) ainsi rédigée :

« La délégation est favorable au fait que les droits familiaux soient centrés sur la maternité afin d'éviter qu'en bénéficiant aux pères, ils s'éloignent de l'objectif consistant à compenser l'incidence de la maternité sur la vie professionnelle et la retraite des femmes.

Dans cette logique, elle estime que l'économie qui pourrait être réalisée du fait de la suppression de la majoration de 10 % attribuée aux pères devrait être consacrée à l'amélioration des compensations versées aux femmes, voire au financement de solutions d'accueil pour les jeunes enfants.

Si en revanche la majoration de 10 % était maintenue, y compris au bénéfice des pères, elle souhaite que son effet inégalitaire soit neutralisé par l'attribution de la totalité de cette prestation au parent qui n'atteindrait pas le taux plein en raison d'une carrière courte.

L'objectif est de mutualiser au niveau du couple les conséquences, en matière de retraite, des interruptions de travail subies par l'un des parents, en partant du principe que, dans un couple, celui qui atteint le taux plein est redevable à celui qui a interrompu son activité professionnelle pour consacrer du temps à l'organisation familiale. »

Mme Françoise Laborde . - La dernière proposition de recommandation se réfère à la tradition des femmes en charge des enfants comme des ascendants. Je ne suis pas d'accord avec ce cliché.

Mme Laurence Cohen . - Ne pourrions-nous pas ne conserver que le premier paragraphe ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Vous avez raison.

La délégation adopte la recommandation 11 (ancienne recommandation 9) ainsi rédigée :

« Dans la redéfinition des droits familiaux, la délégation juge souhaitable de trouver un équilibre entre le versement de prestations et l'attribution de trimestres validés permettant de partir à la retraite plus tôt. »

Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Parmi les recommandations que nous venons d'adopter, certaines peuvent donner lieu à amendements.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous les soumettrons aux membres de la délégation pour cosignature.

Au terme de cet échange de vues, la délégation adopte le rapport d'information et les onze recommandations qu'il comporte.

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