N° 91

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 octobre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les investissements dans la police et la gendarmerie ,

Par M. Jean-Vincent PLACÉ,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung .

Mesdames, Messieurs,

L'action de la police et de la gendarmerie nationales se situe au coeur du pacte républicain . Confrontées à une délinquance en constante mutation et devant faire face à une attente légitime de nos concitoyens soucieux de leur droit à la sécurité, nos forces de sécurité intérieure remplissent une mission régalienne aussi difficile qu'indispensable. Dans ce contexte, pèse sur l'Etat l'obligation de garantir à la police et la gendarmerie les moyens d'accomplir leur tâche.

Les besoins s'expriment tant en effectifs qu'en termes de maintien en condition opérationnelle des équipements . L'accélération du rythme des progrès scientifiques et techniques représente aussi un puissant levier de changement : de nouvelle menaces (cybercriminalité, par exemple) apparaissent et appellent des réponses adaptées, tandis que la diffusion de nouvelles technologies peut ouvrir la voie à une sécurité revisitée pour être plus efficace et au meilleur coût.

Dans ces conditions, l'effort d'investissement tient une place centrale dans la préparation des forces de sécurité aux défis qu'elles doivent relever aujourd'hui et auxquels elles devront faire face demain. Cet effort traduit autant une volonté politique qu'une capacité à anticiper l'avenir. Son évolution constitue en outre un signal non négligeable en direction de personnels (policiers et gendarmes) soumis à de fortes pressions et exprimant au quotidien des besoins matériels sur le terrain.

Or, au cours des derniers exercices budgétaires, votre commission des finances a constaté des mouvements souvent erratiques, d'une année sur l'autre, des crédits consacrés à l'investissement de la police et de la gendarmerie nationales. Elle a ainsi pu évoquer une politique du « stop and go » pour décrire ces ruptures successives, ou encore regretter la tendance à arbitrer trop systématiquement en faveur des dépenses de fonctionnement.

Aussi, votre rapporteur spécial a-t-il jugé nécessaire de porter un regard à la fois rétrospectif et distancié par rapport à ces évolutions pour en tirer un bilan et baliser des pistes d'avenir . Comment la police et la gendarmerie nationales ont-elles abordé et conduit leur nécessaire modernisation ? En quoi ont-elles accompli un saut technologique ? L'investissement a-t-il bénéficié de manière égale à tous les secteurs de leur activité et de leur organisation, ou certains volets ont-ils été plus difficilement financés que d'autres ? Enfin, la stratégie d'achat mise en oeuvre pour ces investissements satisfait-elle à l'impératif de réalisation d'économies en période de fortes tensions budgétaires, ainsi qu'au souci de responsabilité environnementale de l'Etat ?

SYNTHÈSE DES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

I. L'ÉVOLUTION DE L'EFFORT D'INVESTISSEMENT

En matière d'investissement, le processus de prise de décision associe plusieurs entités et structures en fonction de leurs champs de compétences respectifs. Alors qu'on pourrait craindre un éparpillement des responsabilités, il ressort plutôt une répartition claire des rôles.

La stratégie d'investissement des deux forces peut s'appuyer sur un outil utile : la programmation budgétaire pluriannuelle. Contribuant au réalisme budgétaire, cette programmation facilite la visibilité des projets d'investissement dans le temps .

Depuis 2001, la trajectoire budgétaire de l'investissement de la police et de la gendarmerie présente quelques grandes caractéristiques : un effort important sous l'effet de la LOPSI 1 et de la LOPPSI 2, une évolution heurtée des crédits en faveur de la police et la chute de l'investissement de la gendarmerie depuis 2008. Globalement, la tendance est à la baisse pour les deux forces et les marges de manoeuvre sont très faibles en gestion au cours de l'exercice.

Les arbitrages réalisés au cours des dernières années l'ont souvent été au détriment de l'investissement . Les réductions d'effectifs ayant été plus que compensées notamment par les effets de mesures catégorielles (protocole « corps et carrières » pour la police et « PAGRE » pour la gendarmerie), la dynamique des dépenses de rémunération (titre 2) explique pour une bonne part les tensions pesant sur le titre 5 (dépenses d'investissement). La décision compréhensible des responsables de programmes de « sanctuariser » les crédits de fonctionnement courant (afin de préserver le maintien en condition opérationnelle des forces) a également fortement joué.

II. LA MODERNISATION DE LA POLICE ET DE LA GENDARMERIE

Au cours de la période passée, le mouvement de modernisation de la police et de la gendarmerie a été mené à un rythme soutenu . Les progrès ont concerné tant la protection des personnels (habillement) que les armements. Un véritable saut technologique s'est produit avec quelques réalisations emblématiques (lecture automatisée des plaques d'immatriculation, commissariat électronique, progrès dans l'interopérabilité des réseaux de radiocommunication...).

Dans ce contexte, la vidéosurveillance a absorbé un budget significatif (133,6 millions d'euros depuis 2007, hors Paris). Dans la mesure où aucune étude scientifique indépendante n'a pour l'instant apporté la démonstration de l'efficacité de cet outil, votre rapporteur spécial demande un moratoire sur ce type d'investissement.

La montée en puissance de la police technique et scientifique (PTS) aura été l'un des faits les plus marquants sur la période récente. Sans requérir d'investissements aussi importants qu'on aurait pu le penser, la PTS apporte un gain d'efficacité supplémentaire dans les techniques d'enquêtes. Insensiblement, la culture de la preuve se substitue à celle de l'aveu. La question se pose désormais du recours de la PTS dans le cadre des enquêtes « de masse ».

III. L'INVESTISSEMENT IMMATÉRIEL ET L'ADAPTATION AUX NOUVEAUX PHÉNOMÈNES DE DÉLINQUANCE

Une part significative de l'investissement de la police et de la gendarmerie réside dans des actifs immatériels. Il s'agit tout d'abord de valoriser le capital humain via la formation des personnels. Le format de cette politique a été redimensionné au cours des dernières années avec la fermeture de plusieurs écoles de police et de gendarmerie. Ces fermetures ont eu pour contrepartie un effort sur le parc immobilier et les moyens informatiques des écoles.

Parmi les autres investissements immatériels, la prévention occupe une place essentielle. La police et la gendarmerie ont multiplié les dispositifs dans ce domaine avec de réels succès. Il est toutefois impossible, à l'heure actuelle, de chiffrer le montant des crédits consacrés à l'ensemble de ces actions. Des outils de contrôle de gestion adaptés doivent désormais être mis en place afin de parvenir à un meilleur suivi de cette dépense.

L'émergence de nouvelles formes de criminalité, notamment sur Internet et à l'encontre de l'environnement , appelle des réponses adaptées. Dans ces domaines, l'investissement se mesure autant en termes financiers qu'à l'aune de la mobilisation de moyens humains.

IV. LES BESOINS URGENTS : L'IMMOBILIER, LES VÉHICULES, LA FLOTTE D'HÉLICOPTÈRES

Le principal point noir de l'investissement en faveur des forces de sécurité intérieure se situe au niveau du parc immobilier de la police et de la gendarmerie . D'importants retards ont été pris au cours des dernières années, l'immobilier ayant en quelque sorte servi de variable d'ajustement. Cette situation est aujourd'hui préjudiciable à plusieurs titres : l'image de la justice dans le pays en est dégradée, les conditions d'accueil du public ne sont pas toujours satisfaisantes, nombre de locaux de garde à vue ne permettent pas le respect des droits fondamentaux et de la dignité de la personne humaine, enfin, le « moral des troupes » s'en ressent (mauvaises conditions de travail, conditions de logement parfois difficilement acceptables notamment pour les gendarmes). Le besoin de financement pour les seules casernes de la gendarmerie est aujourd'hui estimé à 300 millions d'euros .

Un autre retard a été pris en matière de renouvellement des véhicules des deux forces. L'état actuel d'ancienneté du parc roulant de la police et de la gendarmerie nécessiterait en 2014, et selon les estimations théoriques produites par les responsables des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale », une enveloppe de 183,3 millions d'euros . Le besoin d'investissement pour les deux années suivantes serait encore supérieur à 100 millions d'euros.

Alors que la rationalisation des moyens aériens entre la gendarmerie, la sécurité civile et la police a atteint un stade satisfaisant, le renouvellement d'une part de la composante aérienne de la gendarmerie appelle aujourd'hui une décision urgente. Si l'affermissement des dernières tranches de renouvellement des Ecureuils n'intervient pas d'ici 2014, l'Etat devra s'acquitter d'un dédit à hauteur de 5,5 millions d'euros .

V. LES PROGRÈS DE LA STRATÉGIE D'ACHAT

Le rattachement à compter de 2007 de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur a produit les effets escomptés en termes d'accélération du processus de mutualisation des achats (notamment d'investissement) de la police et de la gendarmerie. Ce mouvement de mutualisation a également pu tirer bénéfice de l'offre et du soutien apporté par l'union des groupements d'achats publics (UGAP) depuis le début des années 2000. Au total, des économies substantielles ont pu être dégagées et des personnels (auparavant affectés au montage et au suivi des marchés publics) redéployés.

La dépense d'investissement dans la sécurité intérieure ne joue toutefois pas encore pleinement le rôle de levier de développement qu'elle pourrait avoir . Afin de la faire accéder à cette dimension, votre rapporteur spécial préconise une mise en oeuvre volontariste du critère environnemental et social . Celle-ci permettra en particulier une meilleure valorisation de la production nationale, confrontée à la concurrence de pays à bas coûts de revient et à faible niveau de protection sociale et environnementale.

Plus généralement, la police et la gendarmerie doivent s'attacher à adopter une attitude exemplaire au regard de l'achat éco-responsable. Le taux de diésélisation de leur parc de véhicules est encore trop élevé. La lutte contre l'obsolescence programmée demeure un chantier en jachère qu'il convient désormais d'engager sans plus attendre.

La veille technologique représente l'ultime maillon d'une politique d'investissement efficace et pertinente. A cet égard, la police et la gendarmerie devront pour l'avenir continuer de se maintenir à niveau des bouleversements techniques et scientifiques qui ne manqueront pas de se produire. L'intensification du recours aux nouvelles technologies devra toutefois être conciliée avec une vigilance accrue s'agissant de l'impérieuse protection des libertés publiques et de la vie privée.

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