N° 100

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 octobre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la politique méditerranéenne de l' Union européenne après le printemps arabe : les cas du Maroc et de la Tunisie ,

Par M. Simon SUTOUR, Mme Bernadette BOURZAI, M. Jean-François HUMBERT et Mme Catherine MORIN-DESAILLY,

Sénateurs.

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(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

Quinze ans après son lancement, la politique méditerranéenne de l'Union européenne a été profondément bouleversée par le printemps arabe. Concentrée jusque-là sur les aspects commerciaux ou le lancement de grands projets, l'Union européenne n'a pas anticipé les profondes mutations socio-politiques qui ont conduit à l'explosion de janvier 2011. Sa réaction a cependant été efficace avec le développement de nouveaux instruments financiers et la mise en oeuvre de programmes destinés à consolider les réformes démocratiques.

Il reste désormais à affiner cette nouvelle politique méditerranéenne, à l'adapter à chacun des pays qui peuplent la rive sud, tant il serait inopportun d'appréhender la zone comme un bloc. Les processus de transition démocratique sont distincts d'un pays à un autre et appellent des réponses ciblées. Le degré d'avancement économique de chaque pays doit aussi être bien évalué par l'Union européenne à l'heure où elle souhaite instaurer définitivement une zone de libre-échange couvrant tout le bassin méditerranéen.

Cette appréciation au cas par cas n'interdit pas pour autant une ambition régionale pour les pays de la rive Sud. La logique de projets au coeur de l'Union pour la Méditerranée reste une démarche à poursuivre. Elle peut également s'accompagner d'une réflexion sur l'unification économique du Maghreb.

C'est dans ce cadre qu'une délégation de la commission des affaires européennes, présidée par M. Simon Sutour (Gard - SOC) et composée de Mmes Bernadette Bourzai (Corrèze - SOC), Catherine Morin-Desailly (Seine-Maritime - UDI-UC) et M. Jean-François Humbert (Doubs - UMP) s'est rendue au Maroc et en Tunisie du 1 er au 6 septembre derniers. Le présent rapport tire les enseignements des entretiens réalisés sur place et définit les pistes de travail pour améliorer la coopération entre l'Union européenne et ces pays, mais aussi contribuer à définir une nouvelle politique méditerranéenne de l'Union européenne.

LA RÉVISION DE LA POLITIQUE MÉDITERRANÉENNE DE L'UNION EUROPÉENNE

L'Union européenne a très rapidement entretenu des relations étroites avec les pays du bassin méditerranéen. Cette coopération débute au début des années soixante et se matérialise par des accords de coopération économique et commerciale avec les pays du Maghreb et du Machrek. Des accords d'association sont également signés avec les pays du Sud-Est du bassin : Turquie en 1963, Malte puis Chypre en 1972 et 1973.

La mise en place de la « politique méditerranéenne rénovée » en 1992 confère un cadre plus ambitieux à une stratégie jusque-là essentiellement bilatérale : effort financier, développement d'une coopération régionale, appui à l'ajustement structurel pour les pays méditerranéens menant une politique d'ouverture et de réforme économique.

La Conférence euro-méditerranéenne des ministres des affaires étrangères, tenue à Barcelone les 27 et 28 novembre 1995 constitue, trois ans plus tard, l'acte fondateur de ce partenariat. Celui-ci s'est, jusqu'au printemps arabe, concentré sur les questions économiques et, dans une moindre mesure, sur celles ayant trait à la sécurité. Les pays de la rive Sud ont été intégrés en 2004 dans la politique de voisinage de l'Union européenne, au côté des pays de l'Est du continent européen (Biélorussie, Moldavie, Ukraine) et du Caucase (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie).

La priorité accordée ces dernières semaines au volet oriental de la politique européenne de voisinage dans la perspective du sommet de Vilnius du 28 novembre 2013 ne peut l'être au détriment des actions déjà menées dans les pays de la rive Sud de la Méditerranée. L'Union européenne doit poursuivre son action en faveur du développement politique, économique et social de la région au travers de formules innovantes , à l'instar du Statut avancé mis en oeuvre avec le Maroc.

Le printemps arabe et ses conséquences justifient pleinement le maintien du financement actuel de la politique européenne de voisinage : 1/3 des crédits pour les pays du partenariat oriental et les 2/3 restants pour la rive Sud de la Méditerranée. Il convient de rappeler que sans compter le soutien aux territoires palestiniens, dont la logique relève dans une large mesure de l'aide humanitaire, les pays du bassin méditerranéen restent moins bien accompagnés que ceux du volet oriental : 3,2 € par habitant par an contre 4,4 € à l'Est. Il s'agit désormais d'accompagner la consolidation démocratique en cours dans ces pays, qu'ils soient plus ou moins bien avancés sur cette voie. L'Union européenne doit promouvoir expressément démocratie, droits de l'Homme, État de droit et bonne gouvernance au sein de ces États marqués par une montée en puissance de l'islam politique.

DU PROCESSUS DE BARCELONE À L'UNION POUR LA MÉDITERRANÉE : UNE UNION ÉCONOMIQUE AVEC LA RIVE SUD

LE PROCESSUS DE BARCELONE

Lancé en 1995, le partenariat euro-méditerranéen - dit processus de Barcelone - incluait les quinze pays à l'époque membres de l'Union européenne et douze pays de la région Méditerranée : Algérie, Autorité palestinienne, Chypre, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie. Deux des partenaires méditerranéens, Chypre et Malte, ont intégré l'Union européenne le 1 er mai 2004. Soumise depuis 1992 à des sanctions de l'ONU pour ses implications dans des actes terroristes (suspendues en 1999 et levées en 2003) et à un embargo européen (levé le 11 octobre 2004), la Libye assiste aux conférences ministérielles des affaires étrangères à titre d'observateur.

La déclaration de Barcelone, adoptée à l'issue du sommet constitutif, énonçait les principaux objectifs de ce partenariat : construire ensemble un espace de paix, de sécurité et de prospérité partagée. Les États membres s'engageaient à développer l'État de droit et la démocratie et à lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. Le partenariat politique et de sécurité prévoyait ainsi la mise en place d'un dialogue politique global et régulier, des mesures de partenariat et l'adoption d'une Charte pour la paix et la stabilité. Une coopération politique multilatérale devait également se mettre en place sur les questions liées aux droits de l'Homme et à la lutte contre le terrorisme. Le 11 septembre 2001, la dégradation continue des relations entre Israéliens et Palestiniens et les crispations liées à la lutte contre l'immigration clandestine vont cependant contribuer à gripper le processus.

Le fonctionnement du partenariat reposait sur un cadre institutionnel complexe dans lequel cohabitaient deux dispositifs : bilatéral - matérialisé par la conclusion d'accords d'association - et multilatéral.

Une Conférence euro-méditerranéenne, composée des ministres des affaires étrangères, se réunissait tous les ans ou tous les deux ans afin d'assurer le suivi décisionnel de la Déclaration de Barcelone. Un Comité euro-méditerranéen (Comité Euromed), composé des représentants de la Commission européenne, des États membres et des pays méditerranéens, au niveau des hauts fonctionnaires, était, quant à lui, responsable de la gestion globale et du suivi des affaires multilatérales. Des conférences sectorielles étaient, en outre, régulièrement organisées.

Le partenariat s'est doté en 2004 d'une branche parlementaire, l'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne. Composée de 240 membres, à parts égales de représentants des deux rives, elle succède à un Forum parlementaire informel lancé en 1998. Elle dispose d'un rôle consultatif et peut émettre des recommandations. La Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures, inaugurée à Alexandrie en avril 2005, vient également prêter son concours financier au processus de Barcelone.

Le partenariat prévoyait également des outils de coopération financière pour appuyer la mutation économique dans les pays de la rive Sud. Ils s'articulaient autour du programme MEDA (« mesures d'ajustement ») et de la FEMIP (Facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat).

Créé à l'occasion du Conseil européen de Cannes en juin 1995, le programme MEDA constituait le principal instrument financier de la mise en oeuvre du partenariat euro-méditerranéen. Il visait à permettre aux partenaires méditerranéens de réaliser les objectifs politique, économique et social de la Déclaration de Barcelone. Le programme s'est ainsi substitué aux protocoles financiers bilatéraux. Les crédits sont accordés par projet en fonction d'un certain nombre de critères : suivi des accords et réformes internes essentiellement. Le montant des sommes allouées s'est élevé 3 435 millions d'euros pour la période 1995-1999 (MEDA I) et à 5 350 millions d'euros pour 2000-2006 (MEDA II). La mise en oeuvre de cet instrument a longtemps été freinée par des problèmes de procédure.

La Facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat a, quant à elle, été lancée en 2002. La FEMIP vise en particulier à développer l'activité économique du secteur privé et à faciliter l'accès des PME aux financements, avec pour objectif l'instauration d'une Union douanière entre l'Union européenne et les pays partenaires en 2010. Avec ce nouvel instrument, l'Union européenne a pu fournir chaque année près de 3 milliards d'euros au total sous forme de prêts et de subventions aux partenaires méditerranéens.

L'intégration des pays partenaires au sein de la nouvelle politique de voisinage en 2004 va faire évoluer cette coopération financière. Le programme MEDA est ainsi remplacé par un nouvel instrument doté de fonds nettement plus importants : l'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEPV).

L'UNION POUR LA MÉDITERRANÉE

Créée sous la présidence française de l'Union européenne le 13 juillet 2008, l'Union pour la Méditerranée (UpM), vise à relancer les relations entre les États membres de l'Union européenne et leurs partenaires méditerranéens. Il s'agit de les rendre plus visibles et concrètes grâce à la mise en place de nouveaux projets régionaux et sous-régionaux qui présentent un véritable intérêt pour la population du bassin méditerranéen. Ces projets portent sur des domaines tels que l'économie, l'environnement, l'énergie, la santé, la migration et la culture.

Six priorités ont été définies :

- Dépolluer la Méditerranée ;

- Mettre en place des autoroutes maritimes et terrestres qui relient les ports et améliorent les liaisons ferroviaires en vue de faciliter la circulation des personnes et des biens ;

- Assurer la sécurité civile des populations ;

- Développer un plan solaire méditerranéen qui explore les possibilités de développer des sources d'énergie alternatives dans la région. C'est ainsi que l'UpM a apporté son soutien au projet Desertec , qui prévoit l'exploitation du potentiel énergétique des déserts. Il vise à la fois à répondre en grande partie aux besoins des pays producteurs d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et à couvrir jusqu'à presque 20 % de la demande d'électricité en Europe ;

- Créer une université euro-méditerranéenne (EMUNI) dont le siège est situé en Slovénie. L'ouverture en septembre 2015 de l'Université euro-méditerranéenne de Fès (UEMF) viendra compléter ce dispositif. Elle se concentrera sur les questions euro-méditerranéennes et accueillera 6 000 étudiants ;

- Favoriser le développement des petites et moyennes entreprises en évaluant dans un premier temps leurs besoins, puis en leur offrant une assistance technique et un accès au financement.

L'Union pour la Méditerranée réunit les 28 États membres de l'UE et 15 partenaires de la région du sud de la Méditerranée, d'Afrique et du Moyen-Orient : l'Albanie, l'Algérie, la Bosnie-Herzégovine, l'Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, la Mauritanie, Monaco, le Monténégro, le Maroc, l'Autorité palestinienne, la Syrie, la Tunisie et la Turquie.

Si elle reprend les acquis du processus de Barcelone, l'Union pour la Méditerranée promeut un mode de gouvernance associant directement les partenaires de la rive Sud. La présidence est ainsi assumée par un État membre et un partenaire. Elle est dotée d'un secrétariat général, établi à Barcelone. L'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne devient Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée en 2010.

Cette logique de projet devrait commencer à porter ces fruits en 2015 avec la livraison de l'autoroute transmaghrébine, dont le coût est estimé à 670 millions d'euros. Elle traversera la Mauritanie, le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et la Libye. Elle est composée d'un axe atlantique de Nouakchott à Rabat et d'un axe méditerranéen de Rabat à Tripoli passant par Alger et Tunis. 55 villes sont concernées par le tracé, soit 50 millions de personnes. Combiné à l'axe autoroutier Rabat-Tanger, la Transmaghrebine devrait faciliter les échanges avec le continent européen. La construction d'un réseau ferroviaire jordanien aboutira de son côté en 2017. Il permettra de connecter le Royaume hachémite au réseau turc et donc à l'Europe. L'usine de dessalement de Gaza (310 millions d'euros) devrait, quant à elle, être opérationnelle en 2017. 55 millions de mètres cube d'eau seront ainsi traités fin de pallier à la pénurie qui affecte la région.

UNE VISION DÉPASSÉE ?

Le printemps arabe a cependant révélé une vision européenne des enjeux méditerranéens décalée par rapport à la réalité politique et sociale des États de la rive Sud de la Méditerranée. Le processus de Barcelone puis l'Union pour la Méditerranée étaient plus motivés par la volonté de certains États membres de l'Union européenne d'intensifier leurs échanges commerciaux avec les pays de la rive Sud et de développer une coopération en matière de lutte contre le terrorisme et de gestion des flux migratoires que d'oeuvrer véritablement à la promotion des valeurs reconnues par l'Union européenne. Il n'est d'ailleurs pas anodin que la coprésidence de l'Union pour la Méditerranée ait été assumée par le président égyptien lors de son lancement.

L'UpM reste, en outre, le résultat d'un compromis. S'appuyant sur les acquis du processus du Barcelone, il s'agissait pour ses promoteurs de mettre en oeuvre une logique de projets pour tenter d'associer la plupart des acteurs de la région, de déconnecter la relation entre l'Union européenne et Israël du processus de paix et d'offrir dans le même temps un espace de compensation à la Turquie, dont les négociations d'adhésion à l'Union européenne étaient alors au point mort. Le volet « société civile » du processus de Barcelone ne pouvait, dans ce cadre, plus faire figure de priorité.

Par ailleurs, même si son ambition politique était dès l'origine modeste, l'UpM a été très rapidement victime du contexte international. Six mois après son lancement, l'opération israélienne « Plomb durci » dans la bande de Gaza est venue fragiliser cette organisation, incapable d'incarner l'espace de dialogue qu'elle était censée être implicitement. Le boycott de ses réunions par certains de ses membres a contribué à conférer à l'UpM l'image d'une coquille vide, symbole d'une politique euro-méditerranéenne inadaptée.

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