LA TUNISIE : LE « CHAOS FÉCOND » ?

QUELLE APPROCHE EUROPÉENNE ?

Le premier accord de coopération entre la Tunisie et l'Union européenne remonte à 1976. La Tunisie devient, ensuite, en 1995, le premier pays de la région à signer un accord d'association avec l'Union européenne. Il s'agissait de parvenir, au 1 er janvier 2008, à la libre circulation des biens industriels entre l'Union européenne et la Tunisie, en démantelant progressivement les droits de douanes. L'accord d'association prévoyait des clauses de rendez-vous pour les produits agricoles en 2000 et en 2005, et l'ouverture de négociations pour les services en 2003.

Avec 9,5 milliards d'euros, la valeur des exportations de produits tunisiens vers l'Union européenne est supérieure en 2012 à celle de pays comme le Maroc ou l'Égypte. Les importations s`élevaient, quant à elles, à 10,2 milliards d'euros. Les flux d'investissements directs étrangers (IDE) atteignent fin 2012 quant à eux 750 millions d'euros, dont 400 millions hors énergie.

UNE AIDE FINANCIÈRE RÉVISÉE APRÈS LA RÉVOLUTION DE JASMIN

Les relations entre l'Union européenne et la Tunisie ont connu une nouvelle dynamique après la révolution de jasmin et le départ de l'ancien président Zine el-Abidine Ben Ali. Ce changement de perspective s'est traduit par une augmentation des crédits européens accordés à la Tunisie. L'aide de l'Union européenne est ainsi passée de 80 millions d'euros en 2010 à 200 millions d'euros un an plus tard, dont 40 millions d'euros au titre d'actions humanitaires. Au final, l'aide initialement accordée pour la période 2011-2013 a été quasiment doublée, passant de 240 millions d'euros à près de 400 millions d'euros.

L'enveloppe SPRING, mise en place par l'Union européenne après le printemps arabe, a été utilisée à hauteur de 130 millions d'euros. 20 millions ont été déboursés en 2011, 80 en 2012 et 30 devant être accordés début 2014. Trois autres programmes ont, en outre, été activés : l'Instrument pour la stabilité, l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'Homme (IEDDH) et le programme thématique « Acteurs non étatiques ». Les financements sont allés en priorité au financement du processus électoral de 2011, au soutien aux réformes économiques et sociales et à l'appui de la société civile et à la consolidation de l'État de droit. Un programme Justice, doté de 25 millions d'euros, a également été lancé en 2012. 55 millions d'euros ont, par ailleurs, été affectés aux zones défavorisées et aux quartiers populaires. Un programme d'appui a ainsi été mis en oeuvre afin de réhabiliter une centaine de quartiers défavorisés dans les zones urbaines, soutenir les institutions de micro-finance et favoriser l'emploi. 10 millions d'euros devraient en outre permettre en 2013 à plus de 500 étudiants de bénéficier d'une bourse dans le cadre du programme Erasmus mundus . Ces crédits s'intègrent dans le cadre d'un vaste programme d'appui à l'éducation, à la formation professionnelle, l'enseignement supérieur et l'employabilité des diplômés, doté de 65 millions d'euros sur la période 2011-2017 Une cinquantaine de jumelages sont, par ailleurs, en cours.

Un appui budgétaire de 158 millions d'euros a également été mis en oeuvre en 2011-2012, 90 la première année puis 68 l'année suivante (PAR 1 et 2). Un programme PAR 3 de 65 millions d'euros est également envisagé pour la fin 2013-début 2014. Il est cependant conditionné à la mise en oeuvre de réformes politiques (droits de l'Homme, des enfants et des femmes, justice, élections, médias) mais aussi économiques (partenariat public-privé, facilitation du commerce, marchés publics et micro finance). Un programme d'appui à la gestion budgétaire par objectifs (GBO), doté de 30 millions d'euros et lancé en 2008, vient compléter ce dispositif.

La Tunisie est, par ailleurs, bénéficiaire, depuis 2009, d'un programme d'appui à l'Accord d'association et au Plan d'action voisinage de 30 millions d'euros sur cinq ans (PA3II) et d'un programme d'appui à l'accord d'association et de transition (PA3T) de 10 millions d'euros sur cinq ans.

Signataire d'un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) le 7 juin dernière, la Tunisie est, par ailleurs, éligible au programme d'assistance macro-financière mis en oeuvre conjointement avec l'Union européenne. Un prêt de 200 à 300 millions d'euros pourra ainsi être accordé par l'Union européenne, au sein d'une enveloppe globale de 1,75 milliard de dollars. Une première tranche de 150,2 millions de dollars a déjà été décaissée. L'octroi de la totalité du prêt est néanmoins conditionné à la maîtrise des salaires publics, à la baisse des subventions aux produits de base (notamment aux carburants) et à la restructuration du secteur bancaire.

La Banque européenne d'investissement (BEI) a, de surcroît, mobilisé 400 millions d'euros de crédit en faveur de la Tunisie en 2011 en appuyant notamment la modernisation des infrastructures routières (125 millions d'euros) et en soutenant le groupe chimique Tunisie unité (132 millions d'euros). Présente depuis 1979, la BEI est le premier bailleur de fonds extérieur de la Tunisie avec près de 4,5 milliards d'euros d'engagements cumulés. Une soixantaine de prêts ont été accordés couvrant l'énergie, les télécommunications, les infrastructures mais aussi la santé, l'éducation et l'environnement. La banque a également effectué une vingtaine de prises de participation au sein de fonds investissements en vue, notamment, de mieux appuyer les petites et moyennes entreprises. La BERD complète également ce dispositif. 30 millions d'euros ont déjà été investis. 60 à 70 millions devraient l'être d'ici la fin 2013.

LE PARTENARIAT PRIVILÉGIÉ

Le Conseil d'association Union européenne - Tunisie du 19 novembre 2012 est venu concrétiser cette nouvelle approche avec la conclusion d'un « partenariat privilégié ». Ce statut avait été refusé à la Tunisie en 2008.

Un Plan d'action définit, pour la période 2013-2017, trois axes prioritaires devant permettre de renforcer les liens politiques, économiques, scientifiques, sociaux et culturels entre les deux signataires :

- Une coopération politique approfondie avec un soutien aux réformes entreprises en faveur de la consolidation de l'État de droit, de la démocratie, de l'indépendance de la justice et de la réforme de la sécurité ;

- L'intégration de la Tunisie au sein du marché intérieur de l'Union européenne ;

- Un partenariat plus étroit entre les peuples, au travers de coopérations directes entre individus et organisations dans des domaines comme l'éducation, la formation professionnelle, l'emploi, la recherche et l'innovation, la culture et la jeunesse.

Ce document sert de fait de cadre aux négociations sur les mises en place d'un Partenariat pour la mobilité, lancées en octobre 2011, et d'un Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), ouvertes en mars 2012. L'ALECA est censé, comme au Maroc, permettre, au-delà de la libéralisation des échanges et de la suppression des droits de douane, une réduction des obstacles non-tarifaires, une ouverture du commerce des services et une protection accrue des investissements. Il implique un rapprochement de la législation tunisienne avec l'acquis communautaire.

L'approche retenue répond au principe « More for more », le soutien européen dépendant essentiellement de la façon dont les autorités tunisiennes consolident la démocratie. Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme (REMDH), constitué dans le cadre du Processus de Barcelone et qui réunit des ONG de l'ensemble du Bassin méditerranéen regrette cependant que l'appui institutionnel et financier accordé par l'Union européenne n'intègre pas mieux la question des libertés fondamentales. Le partenariat privilégié n'est, ainsi, pas satisfaisant à leurs yeux car il ne comporte pas d'engagements clairs de la part de la Tunisie en la matière.

Le Plan d'action 2013-2017 comporte sept priorités en matière de droits de l'Homme :

- Mise en place d'un système électoral démocratique ;

- Assurer l'indépendance de la justice ;

- Réaliser la réforme du secteur de la sécurité ;

- Consolider la protection des droits de l'Homme y compris des droits des femmes et des enfants ;

- Réaliser la réforme des médias ;

- Renforcer le rôle et la capacité de la société civile ;

- Dialogue sur la migration, la mobilité et la sécurité et conclusion d'un Partenariat pour la mobilité.

Le REMDH estime que ces priorités doivent être étayées par un certain nombre d'indicateurs, plus précis. Il regrette que la participation de la société civile aux négociations concernant l'ALECA ou le Partenariat pour la mobilité ne soit pas non plus optimale. La mise en place d'un mécanisme institutionnalisé entre les autorités tunisiennes, européennes et la société civile pourrait permettre de répondre à ce manque. Dans un contexte marqué par des inquiétudes concernant le plein exercice de la liberté d'expression acquise après la révolution de jasmin, un calendrier précis et la mise en place de critères d'appréciation pourraient de surcroît être envisagés afin de rendre encore plus crédible l'approche « More for more ».

Le Partenariat pour la mobilité

Le projet de Partenariat pour la mobilité a été présenté en décembre 2012. Il prévoit côté tunisien un engagement sur la gestion des frontières, des flux migratoires et la réadmission des migrants en situation irrégulière. En contrepartie, l'Union européenne s'engage à assouplir les formalités d'octroi des visas de court séjour et permettre aux Tunisiens d'accéder à de nouveaux canaux de migration de travail, répondant à des besoins identifiés par les États membres de l'Union européenne.

Le processus de négociations fait face à plusieurs difficultés. La première d'entre elles tient bien évidemment à la crise politique qui affecte le pays. Des dissensions entre les ministères concernés sont également observées, les ministères techniques se montrant assez réticents sur le projet, jugé trop flou. Des réserves sont également exprimées sur le lien établi par l'Union européenne entre accord de réadmission et facilitation d'obtention de visas.

Ces critiques reflètent les positions exprimées par les associations de défense des droits de l'Homme tunisiennes. Celles-ci estiment notamment que le droit des migrants et des réfugiés serait insuffisamment respecté dans le cadre de l'accord actuel. Elles craignent ainsi que l'Union européenne renvoie des réfugiés en Tunisie, quand bien même cette possibilité n'est absolument pas prévue dans le projet de Partenariat pour la mobilité. Elles regrettent également que le texte n'aborde pas également la question de la pénalisation de l'émigration irrégulière prévue par la loi tunisienne. Des ressortissants tunisiens une fois réadmis pourraient ainsi être exposés à des sanctions. Aucune disposition concernant les droits des Tunisiens installés en Europe ne fait par ailleurs partie du dispositif. Les représentants de la société civile contestent également la priorité accordée aux migrations économiques de courte durée, occultant les questions des migrations permanentes et du regroupement familial.

La réflexion sur la mobilité et les frontières est également vue par les autorités sous l'angle de la sécurité. La Tunisie est enclavée entre la Lybie et l'Algérie. Le gouvernement n'a pas, dans un premier temps, pris complètement la mesure de la porosité de ses frontières qui font du pays un lieu de passage pour le trafic d'armes régional. La décision prise fin août 2013 de classer Ansar al Charia parmi les organisations terroristes souligne cependant la prise de conscience de la réalité du danger par les autorités. Il existe désormais une vraie attente à l'égard de l'Union européenne en vue d'aider la Tunisie à renforcer le contrôle effectif de ses frontières avec la Lybie.

L'accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA)

Le lancement des négociations de l'Accord de libre-échange complet et approfondi était, quant à lui, conditionné à la mise en place d'un comité interministériel dédié. Sa mise en place en mai 2013 devrait permettre la définition d'une position commune, même si la tenue de réunions semble tributaire du contexte politique. Une première réunion a été organisée en juin dernier. La suivante, annulée trois fois, a été reportée à l'automne.

Il n'en demeure pas moins que les autorités tunisiennes sont pour partie réservées sur ce projet, qui ne semble pas faire pas partie des priorités économiques du gouvernement. Quand bien même le parti Ennahda qui dirige actuellement le gouvernement est favorable au principe même de l'ALECA et de la convergence règlementaire qu'il implique. Le gouvernement semble en effet plutôt se consacrer à la maîtrise du déficit public et de l'inflation. Il existe en outre des désaccords avec l'Union européenne au sujet de certains secteurs couverts par le projet. Il en va ainsi des services et de l'agriculture. En ce qui concerne cette dernière, le début des négociations avec l'Union européenne remonte à 2008 sans qu'un accord n'ait pu être trouvé. L'absence de régime juridique encadrant les aides d'État en Tunisie fragilise également le dialogue avec Bruxelles.

Le manque de culture des négociations et la difficulté à mettre en oeuvre les réformes induites par l'ALECA sont également mis en avant par les autorités pour justifier la lenteur du processus. Il convient ainsi de relever que, concernant le secteur crucial des services, la Tunisie n'a participé à aucune négociation dans ce domaine depuis la signature des accords de l'Organisation mondiale du commerce en 1995.

L'opposition est, elle-même, divisée sur la question de l'ALECA. La formation Nida Tounes (centre-droit) est favorable à sa signature alors que les partis de gauche émettent plus de réserves. L'ALECA ne suscite pas non plus l'unanimité au sein de la société civile. Si le monde des affaires souhaite une convergence réglementaire avec l'Union européenne, la principale centrale syndicale tunisienne, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT - 750 000 adhérents) craint notamment que l'accord se traduise, à terme, par une augmentation du chômage et une baisse des dépenses sociales. La réduction des superficies consacrées à l'agriculture familiale que pourrait induire l'ALECA est également mise en avant. Le Front populaire , la coalition des partis de gauche tunisiens, relaie notamment ces arguments. L'exemple de l'Algérie, qui a ralenti le processus de négociations avec l'Union européenne, après avoir estimé que celles-ci étaient in fine trop coûteuses, n'est pas sans rencontrer d'écho au sein de la société civile.

Une lecture critique du Processus de Barcelone est également apparue. Le démantèlement des barrières tarifaires qu'a entrainé l'accord d'association de 1995 ne s'est pas traduit, aux yeux de la population, par une amélioration de leur situation économique. Certains observateurs plaident donc pour un partenariat avec l'Union européenne tourné en premier lieu vers le développement de la Tunisie plus que vers l'intégration dans une zone de libre-échange, envisagée comme une forme de néo-colonialisme.

UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE PEU PROPICE AU RAPPROCHEMENT AVEC L'UNION EUROPÉENNE ?

Les lenteurs observées dans les négociations avec l'ALECA tiennent également à l'impact des difficultés économiques. Au regard des liens commerciaux noués avec l'Union européenne, la Tunisie est tributaire de la conjoncture économique sur le Vieux continent. Cette sensibilité qui serait accentuée en cas de signature de l'ALECA n'est pas sans susciter d'inquiétude alors que l'économie du pays est marquée par une augmentation de l'inflation et une croissance en trompe l'oeil.

En effet, si le produit intérieur brut devrait augmenter de 4 % en 2013, ce rebond par rapport à 2011 (contraction de 2,2 %) traduit avant tout un rattrapage statistique. Il s'appuie néanmoins sur une réelle reprise des investissements directs étrangers (IDE) en 2012, même si le mouvement tend à se ralentir au cours du présent exercice. Cet accroissement des IDE (+ 85 % par rapport à 2011 et + 38 % par rapport à 2010) est dû, pour un tiers, aux opérations de dégel des actifs confisqués pendant la révolution : 650 millions d'euros ont ainsi été obtenus. Une baisse des IDE est cependant observable depuis le début de l'année 2013. Cette dégradation tient pour partie à l'incapacité du gouvernement à adopter les réformes structurelles attendues par les investisseurs et l'Union européenne : nouveau Code des investissements, loi sur les partenariats public-privé et refonte des marchés publics. L'instabilité politique et un climat des affaires encore marqué, selon les investisseurs, par l'insécurité et la corruption, contribuent à fragiliser ces injections. La diminution des IDE en 2011 de 25,7 % s'était traduite par la fermeture de 182 entreprises étrangères, dont 64 italiennes, 61 françaises et 10 allemandes, soit une suppression de 10 930 emplois. 500 millions d'euros d'IDE ont, par ailleurs, été réorientés vers le Maroc.

De façon générale, la Tunisie peine à retrouver le niveau économique qu'elle avait avant la révolution, marquée par une croissance annuelle moyenne de 5 % du PIB et un taux d'investissement oscillant entre 23 et 24 % du PIB.

Plus inquiétants sont les signes d'une contraction de l'activité observables au sein du secteur industriel. La forte baisse de la production des entreprises de phosphates - - 60 % par rapport à la moyenne des années précédentes - est, à cet égard, assez révélatrice. Les ressources en phosphates et en produits chimiques représentaient avant la révolution un chiffre d'affaire de 2,7 milliards de dollars annuels. Cette manne est désormais de 900 millions de dollars. L'écart constaté correspond pratiquement au prêt accordé par le FMI et l'Union européenne le 7 juin dernier.

L'industrie pâtit, par ailleurs, du ralentissement économique au sein de l'Union européenne, qui accueille trois quarts des exportations tunisiennes. Le déficit commercial a ainsi atteint 5,8 milliards d'euros en 2012, soit 1,5 milliard d'euros de plus que lors de l'exercice précédent. L'augmentation des importations a été deux fois supérieure à celle des importations au cours de l'année 2012. Le secteur du tourisme (6 % du PIB et 12 % de l'emploi) n'a, quant à lui, pas retrouvé le niveau de recettes qu'il avait avant la révolution. Ainsi, si le nombre de touristes français représente encore 1/6 e des touristes accueillis par la Tunisie, leur nombre a diminué de plus d'un quart : 1,3 million de personnes avant la révolution contre 1 million aujourd'hui. L'économie tunisienne est par ailleurs impactée par les difficultés politiques que traverse la Libye, un de ses partenaires commerciaux historiques.

Le poids du secteur informel (40 % du PIB) tempère pour l'heure les tensions sociales. La consommation, historiquement élevée en Tunisie, est également stimulée par une politique monétaire accommodante, la hausse des salaires, les subventions au produits de base (augmentation de 25 %, leur montant représentant 5 % du PIB) et les recrutements dans la fonction publique. La consommation publique représente d'ailleurs 19 % du PIB. Ce qui n'est d'ailleurs pas sans effet sur les comptes publics. D'après le Fonds monétaire international, le déficit budgétaire devrait s'élever à 7,2 % en 2013 contre 5,4 % l'année précédente et 3,2 % en 2011. La dette publique atteignait, quant à elle 43,8 % du PIB fin 2012, en léger retrait par rapport à 2011 où elle culminait à 44,1 %. Les perspectives pour 2013 sont moins optimistes, l'endettement public devant atteindre 46,8 % du PIB. Le FMI table sur une dette établie autour de 50 % du PIB en 2014. Le syndicat patronal, l' Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA) table sur une dérive la portant jusqu'à 60 % du PIB en 2018, faute de croissance. Tunis est cependant en mesure de faire face à ses remboursements, comme en témoigne une échéance de 330 millions d'euros assumée en février dernier.

Le taux d'inflation s'est élevé, quant à lui, à 5,6 % en 2012. Il est exacerbé par une dépréciation du dinar et affecte directement le pouvoir d'achat des ménages, les prix des produits alimentaires ayant connu une progression de 8 % sur un an. Le chômage, qui décroît depuis 2011 - 18,9 % à l'époque contre 15,9 % aujourd'hui - ne saurait occulter de profondes disparités régionales et de genre. Le taux de chômage atteint 30 % dans la région de Kasserine. Le taux de chômage des jeunes femmes diplômées, estimé à 43,5 %, est deux fois plus élevé que celui des hommes diplômés de la même catégorie d'âge (20,9 %). Cette amélioration relative de la situation de l'emploi est de surcroit facilitée par des réintégrations massives dans la fonction publique, ce qui, là encore, contribue à la dégradation des comptes publics. Seule une croissance tournant autour de 6-7 % par an semble susceptible de résorber efficacement le problème du chômage et donc de répondre à une des premières revendications de la population au moment de la révolution de jasmin : l'amélioration de sa situation économique et sociale.

L'examen du budget souligne d'ailleurs une hausse des dépenses de fonctionnement qui contraste avec une sous-exécution à 70 % des dépenses d'équipement. Le reliquat 2013 devrait d'ailleurs servir au financement des dépenses courantes et plus particulièrement au versement des salaires des enseignants.

La signature, le 27 février 2013, soit quatre ans après le lancement officiel du projet, du contrat permettant l'ouverture de la création d'un réseau ferré régional du Grand Tunis traduit cependant une prise de conscience du gouvernement d'orienter son action vers des investissements structurels. L'Union européenne y contribuera à hauteur de 28 millions d'euros. D'autres chantiers sont, à ce titre, urgents, qu'il s'agisse de la modernisation du port de Rades ou de la création d'une filière dédiée aux énergies renouvelables. Les projets prioritaires annoncés par le gouvernement en 2012 (58 milliards d'euros d'investissement) sont, à ce stade, loin d'être lancés, aucun appel d'offre n'ayant encore été mis en place. Reste qu'en l'état actuel des choses, le gouvernement, qui reste de transition et s'avère de surcroit largement contesté, ne semble pas disposer de la légitimité suffisante pour pouvoir mener à bien cette politique ambitieuse de réorientation de la dépense publique, attendue notamment par les bailleurs de fonds internationaux.

Le projet de code des investissements est, à ce titre, assez symptomatique. L'entrée en vigueur du nouveau code, censé remplacer celui de 1993, devait intervenir en décembre 2012. Elle est en fait toujours en cours, une troisième version du projet ayant été présentée en août 2013. Alors même qu'aucun progrès réel n'a encore été enregistré dans d'autres domaines connexes, à l'instar de la législation sur le partenariat public-privé ou de la libéralisation du secteur des télécommunications, du transport aérien, de la distribution ou de celui des franchises. Ces retards sont liés pour partie à l'actualité politique. Ils sont aussi l'expression d'un manque de culture de gestion, qui n'est pas illogique suite au renouvellement des élites consécutif la révolution de jasmin. Quand bien même l'administration publique a indubitablement garanti une certaine stabilité et permis au pays d'éviter une forme d'anarchie après la chute du régime précédent. C'est particulièrement vrai dans le cas des partenariats public-privé, perçus par certains députés comme une perte de souveraineté. Le projet de loi présenté en octobre 2012 est en conséquence toujours en débat à l'Assemblée nationale constituante.

Les difficultés économiques combinées à l'absence de réelle avancée réglementaire soulignent un peu plus la nécessité de trouver rapidement une solution à la crise politique que traverse le pays depuis février 2013. La situation économique est d'autant plus fragile que le pouvoir n'est pour l'heure pas véritablement exercé, l'essentiel de la vie politique se focalisant sur l'avenir de l'actuel gouvernement, essoufflé et en quête de légitimité, dans un contexte marqué par l'émergence de la violence politique.

Les retards enregistrés sont d'autant plus frustrants pour la population tunisienne que la Tunisie était considérée autrefois comme la première puissance économique de la région, disposant de meilleurs atouts que son voisin marocain. Or celui-ci semble désormais en avance, notamment en ce qui concerne son arrimage à l'Union européenne. Le partenariat privilégié reste de fait ralenti par la crise politique qui divise le pays depuis le début de l'année 2013, au risque d'aggraver un peu plus la situation économique du pays.

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant de constater que la principale centrale patronale, l'UTICA, soit aux côtés de l'UGTT, de la Ligue des droits de l'Homme et de l'Ordre des avocats pour tenter de rapprocher les principaux acteurs politiques, trouver une issue positive à la crise et relancer ainsi le travail législatif. La Banque centrale de Tunisie a également exprimé la même volonté dans un communiqué le 31 juillet 2013, en alertant sur la gravité des retombées de la crise politique mais aussi de l'émergence du radicalisme religieux sur l'activité économique et les équilibres financiers internes et externes.

Il convient de rappeler une nouvelle fois que la révolution de jasmin est la conséquence d'une exacerbation des difficultés économiques et sociales. Le nouveau régime devait à cet égard incarner une forme d'espoir d'amélioration de la situation, ce qu'il peine largement à être faute de consensus. L'Union européenne tente de fait de négocier avec un pays qui reste en transition politique et n'a pas encore véritablement abordé sa transition économique.

Une politique économique, peut-être moins ambitieuse que celle annoncée de grands travaux et appelée à financer des projets plus modestes améliorant sensiblement la vie des citoyens tunisiens, devrait constituer la priorité du gouvernement tunisien. L'Union européenne dispose, à cet égard, des programmes adaptés pour faciliter sa mise en oeuvre. Si des réformes structurelles doivent être rapidement menées et accompagnées par Bruxelles, elles ne sauraient constituer la seule réponse que l'Union apporte aux Tunisiens, plus que jamais en quête de stabilité politique et de sécurité économique.

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