2. Des risques d'instabilité accrus

De la capacité à organiser cette respiration naturelle du continent que sont les migrations régionales dépendra une bonne partie de la stabilité du continent.

Le passé récent de la Côte d'Ivoire nous fournit cependant une illustration dramatique des bouleversements liés à cette évolution démographique.

Il y avait 11 habitants au km² en Côte d'Ivoire en 1960; il y en a 63 aujourd'hui, et il y en aura 110 en 2050 (soit l'équivalent de la densité en France). Si la France avait connu la même croissance que la Côte d'Ivoire entre 1960 et 2007, elle compterait aujourd'hui 240 millions d'habitants, dont 60 millions d'étrangers.

Les responsabilités des acteurs politiques de la tragédie qu'a vécue la Côte d'Ivoire au tournant du XXI e siècle peuvent être appréciées diversement. En tout état de cause, celle-ci s'est déroulée sur fond d'une équation à quatre facteurs : le délabrement économique dû à l'effondrement du prix du cacao ; une jeunesse nombreuse ; une population urbaine multipliée par vingt-cinq en l'espace de cinquante ans ; une forte immigration en provenance des pays voisins.

Or trois des quatre termes de cette équation s'amplifieront dans les décennies à venir. La Côte d'Ivoire devra gérer un nouveau quasi-doublement de sa population dans les 50 prochaines années. La ville d'Abidjan est passée de 100 000 à 4 millions d'habitants pendant la même période, et sa population devrait encore progresser vers 5-6 millions dans les décennies qui viennent.

Et ces changements concerneront tout autant la Côte d'Ivoire que le Ghana, le Tchad, la République démocratique du Congo (RDC) ou le Kenya. Comment ne pas faire le rapprochement entre les pogroms de jeunes patriotes ivoiriens contre les migrants burkinabés, les exactions des jeunes Kikuyus, Kalenjins ou Luos des bidonvilles nairobiens lors de l'explosion de violence de janvier 2008 et les violences urbaines anti migrants à Johannesburg en mai de la même année ?

Plusieurs frontières sont à la limite de la cassure ; un mouvement de sécessions en cascade, une transformation profonde du paysage géopolitique du continent et une remise en cause des frontières héritées de la colonisation ne sont pas à exclure. Frontières coloniales souvent mais pas toujours artificielles, qui ont garanti, bon an, mal an, une certaine stabilité de la carte de l'Afrique et une paix toute relative pendant plus d'un demi-siècle.

On relève depuis 1964 environ quarante-deux cas de tensions latentes et conflits ouverts autour de questions frontalières stricto sensu, à l'exclusion des problèmes internes.

Cette stabilité des configurations territoriales a semblé remise en cause en Afrique de l'Est avec le précédent érythréen, la quasi-indépendance du Somaliland et la sécession du Soudan méridional décidée par ses électeurs lors du référendum de janvier 2011, sans que des questions cruciales n'aient été résolues : citoyenneté, droit de circulation entre les deux pays, partage des revenus du pétrole dont le Sud possède 70 % des gisements, tracé exact de la frontière et sort de la zone litigieuse d'Abyeï qui doit être tranché par un référendum séparé.

Mais les parties en présence ont accepté les nouvelles réalités. S'agit-il d'un tournant dans la politique des États et des puissances extérieures encore influentes ? Il est trop tôt pour l'affirmer. La vigilance reste requise à l'égard d'autres situations de tensions, notamment en Afrique centrale, pour éviter que les deux cas cités ne fassent précédent.

Là encore l'intégration régionale, le recours aux négociations bilatérales ou à des procédures juridiques seront incontournables pour gérer les crises à venir.

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