V. L'AFRIQUE À LA CROISÉE DES CHEMINS

Les défis sont immenses, à la taille de ce continent.

Mais l'Afrique a pris le virage de la croissance. La question est de savoir comment elle va sortir de ce virage. Sans doute la trajectoire ne sera pas rectiligne, mais, comme nous l'a dit un de nos interlocuteurs, il faut à tout prix éviter la sortie de route.

A. L'AFRIQUE, UNE NOUVELLE FRONTIÈRE ENTRE RISQUE ET OPPORTUNITÉS

Dans les trente prochaines années, l'Afrique va construire les fondations d'un continent de deux milliards d'habitants.

Cette période comportera d'énormes opportunités. D'abord pour les Africains dont l'optimisme a aujourd'hui peu d'équivalent dans le monde. Ensuite, s'ils savent les saisir, pour les Européens et les Français. La croissance africaine peut être notre salut.

L'Afrique, c'est la Chine de demain et d'énormes opportunités.

L'Afrique est aujourd'hui dans une situation comparable à l'Asie dans les années soixante. A l'époque, des pays comme la Corée et le Ghana avaient à peu près le même niveau de développement économique et un PIB par habitant similaire. A l'époque, de nombreux ouvrages commentaient l'incompatibilité de la culture asiatique avec le capitalisme occidental.

Depuis, la Corée a connu le succès que l'on sait. Les Coréens ont une espérance de vie à la naissance de 80 ans, sont scolarisés à 98.5 %. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant dépasse 29 000 dollars. En 2011, la Corée se classait au 15 e rang mondial, selon l'Indice du développement humain (IDH) des Nations unies, qui repose sur des mesures de la santé, du niveau de vie et de l'éducation, et dont sont tirées ces données.

L'exemple de la Corée montre que le développement économique peut être très rapide. Et il est assez émouvant de voir la Corée à son tour adhérer au Comité d'aide au développement de l'OCDE. En quelques décennies, un pays dévasté et appauvri par la guerre est passé du statut de bénéficiaire de l'aide à celui de donneur, après avoir reçu 13 milliards de dollars d'aide. Elle est aujourd'hui un des plus fervents soutiens à la coopération Sud-Sud mais aussi à des coopérations triangulaires.

Ce passage du statut de bénéficiaire à celui de donneur, Oh Joon, vice-ministre coréen des Affaires étrangères en a lui-même témoigné lors de l'adhésion de son pays à l'OCDE : « Lorsque j'étais enfant, j'allais à l'école élémentaire où nous buvions du lait et mangions du pain de maïs provenant de conteneurs qui portaient la marque « United Nations » ou « US Government ». Il y a quelques mois, je me suis rendu dans une école maternelle en Mongolie où les enfants étudient avec des livres sur lesquels il est indiqué qu'ils ont été offerts par la République de Corée. ».

Au Ghana, l'espérance de vie dépasse à peine 64 ans, le taux de scolarisation est d'environ 56 % et le PIB par habitant atteint seulement 1 533 dollars, environ 19 fois moins qu'en Corée. Pourtant, depuis une quinzaine d'années, il a connu une croissance annuelle d'environ 5 %, les investissements et les exportations ont doublé, et ce n'est plus la moitié de la population environ qui vit sous le seuil de pauvreté absolue, mais un peu moins d'un tiers.

Ce retournement de l'Histoire, l'Afrique est en train de le vivre.

L'Afrique a devant elle la perspective de tirer des centaines de millions d'Africains de la pauvreté et de constituer des pôles de développement économique qui pourraient rivaliser avec l'Asie.

C'est pourquoi, nous considérons qu'une partie de notre avenir est en Afrique. Que ce continent poursuive sa trajectoire et la nôtre pourrait s'en trouver bouleverser.

« C 'est un changement de monde, un acteur majeur de la scène internationale, un moteur de la croissance mondiale qui est en train de naître à nos portes » nous a dit M. Jean Michel Severino, comme beaucoup de nos interlocuteurs.

Dans un monde dont le centre de gravité est en train de passer du Nord au Sud, un continent africain dynamique à 12 kilomètres au sud de l'Europe pourrait constituer, à l'instar des Etats-Unis avec l'Amérique du Sud, pour notre continent, non seulement une zone de prospérité partagée, mais aussi un gisement durable de croissance.

Pendant quelques décennies, la modernité en France, c'était de s'éloigner de l'ancien empire pour rejoindre l'Asie émergente. Demain, l'Afrique pourrait avoir un PIB équivalent à la Chine.

« C'est la Chine de demain » nous a affirmé Mathieu Pigasse de la Banque Lazard.

A l'instar du « pivot » des Etats-Unis vers la région Asie-Pacifique, nous estimons que la politique étrangère française devrait procéder à un pivot vers l'Afrique.

Non seulement, nous avons un intérêt majeur au développement de ce continent, mais, à l'inverse, nous serons en première ligne pour subir les conséquences d'une sortie de route de l'Afrique.

Dans un monde globalisé, les épidémies nées dans les maillons faibles des systèmes de santé africains, le terrorisme né dans les zones désertées par le développement concernent aussi bien l'Afrique noire que l'Europe. On l'a vu au Sahel, le terrorisme qui prospère dans des pays que le développement a déserté, où les structures étatiques sont exsangues et la jeunesse désespérée, livrée au fanatisme, menace nos sociétés.

Un pays comme la France, à quelques dizaines de kilomètres du continent africain, avec déjà plus de 800 000 ressortissants africains sur son territoire, est évidemment bien placé pour mesurer à quel point le sort de ce continent aura des conséquences majeures sur l'Europe.

L'Afrique au 21 e siècle est l'un des principaux réservoirs de croissance économique, la plus importante réserve de ressources naturelles, le plus grand marché en devenir. Le développement de ce continent de 1,8 milliard d'habitants est avant tout l'affaire des Africains, mais il risque, si la croissance n'est pas au rendez-vous, d'être aussi la nôtre du fait de l'ampleur des phénomènes migratoires.

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