D. L'ENVIRONNEMENT, FACTEUR DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

La crise des printemps arabes a révélé que malgré une croissance certaine de leurs économies, les pays du Maghreb souffraient de déséquilibres structurels.

La question du caractère peu « inclusif » du développement économique dans les différents pays a été soulignée comme une condition de leur stabilité politique et sociale (voir supra p. 84).

En outre, les préoccupations environnementales ne doivent pas être ignorées dans des pays considérés comme particulièrement vulnérables.

D'ici 2025, le mouvement de croissance démographique enregistré depuis trente ans sur le rivage méditerranéen est appelé à se poursuivre sur la rive Sud, quoique de façon plus modérée du fait de la baisse du taux de fécondité. Ses principales caractéristiques (littoralisation et urbanisation plus ou moins spontanée) se confirmeront. En outre, les conséquences d'une évolution climatique pourraient être importantes s'agissant d'un espace particulièrement sensible 280 ( * ) .

Suivant le rapport du « Plan Bleu » mentionné en première partie, la population des régions côtières de la Méditerranée évoluerait ainsi entre 2000 et 2025 :

- sur la rive Nord, la population du littoral resterait stable (autour de 68 millions d'habitants) ;

- sur la rive Sud, la population du littoral croîtrait de 76,7 millions à 108 millions d'habitants, soit une augmentation de 41%.

À côté de cet accroissement de la population côtière sur la rive Sud, on doit prendre garde à l'accroissement total de la population des Etats riverains du Sud qui passerait de 235 millions d'habitants en 2020 à 327 millions d'habitants (+ 39%).

En gardant à l'esprit que beaucoup des effluents des populations non côtières vont à la mer.

Sur la même période, l'urbanisation est aussi appelée à progresser :

- sur la rive Nord, la population des villes de plus de 10 000 habitants passerait de 51,1 millions à 53,3 millions d'habitants (+ 4,3%) ;

- sur la rive Sud, cette population croîtrait de 48,5 millions à 77,8 millions d'habitants (+ 60%).

Sachant, qu'au Sud, une partie de cet accroissement urbain se fait sous la forme d'une urbanisation informelle peu propice à la mise en place de réseaux d'assainissement et de stations d'épuration. Cet habitat spontané représenterait, suivant les pays, 30 à 60% de la population urbaine en 2025.

Par ailleurs, la pression démographique saisonnière, représentée par le tourisme, n'est pas appelée à se ralentir.

Cette poussée démographique va créer une tension sur la demande en eau. De surcroît, elle n'incite guère à une modification des ordres de priorité des gouvernements et des municipalités de la rive Sud, confrontées à la nécessité du développement.

Plusieurs facteurs d'évolution pourraient tempérer cette anticipation pessimiste :

- le coût économique croissant de la pollution pour ces pays ;

- le constat que des aides internationales ciblées couplées avec une réglementation locale adéquate peuvent faire progresser le traitement de la question.

- une prise de conscience progressive de la société civile de l'importance des questions environnementale.

1. La sécurisation des approvisionnements en eau

Carte n° 81 : Ressources en eau naturelle renouvelables par habitant dans les différents bassins élémentaires méditerranéens (entre 1995-2005)

Source : Plan Bleu d'après sources nationales

Le premier risque pour les pays du Maghreb est la rareté de la ressource en eau douce, déjà faible et menacée par les modifications climatiques, la croissance de la population, l'urbanisation et le développement économique, notamment celui de la production agricole.

L'Afrique du Nord est en passe de réduire de moitié la proportion de la population n'ayant pas accès à l'eau potable (87 à 92% de 1990 à 2011) et elle a déjà réduit de moitié la proportion de personnes ne disposant pas de moyens d'assainissement améliorés (72 à 90%). Cette situation présente cependant des aléas en matière de ressources en eau. L'Afrique du Nord atteint le seuil de 92 % des ressources en eau utilisées, ce qui signifie que ses ressources en eau n'ont plus un caractère durable 281 ( * ) .

Carte n° 82 : Indice d'exploitation des ressources renouvelables au niveau des pays et bassins versants, 2005

Source : Plan Bleu

a) La rareté de l'eau : une situation de « stress hydrique »...

Le premier risque pour les pays du Maghreb est la rareté de la ressource en eau douce, déjà peu abondante et menacée par les modifications climatiques, la croissance de la population, l'urbanisation et le développement économique (notamment celui de la production agricole).

Selon une étude présentée par l'Institut méditerranéen de l'eau 282 ( * ) , la consommation d'eau dans les pays du sud et de l'est de la Méditerranée (PSEM) est estimé à 170 km 3 dont 123 km3 viennent des eaux de surface alimentées par les précipitations (pluie, fonte des neiges...) et 25 km3 des eaux souterraines.

L'utilisation dominante est l'irrigation (72%), tandis que l'alimentation des collectivités (9%) et les utilisations énergétiques, les utilisations industrielles (4 % chacune) sont mineures. 11% est consommée par l'évaporation des réservoirs 283 ( * ) .

Rapportés aux populations 2010, les prélèvements pour l'alimentation en eau potable des collectivités sont en moyenne par habitant de 57m3/an 284 ( * ) .

Les prélèvements actuels, qui constituent les sources d'approvisionnement essentielles, représentent 78% de la ressource exploitable évaluée (en moyenne annuelle) à 190 km3. Ces pressions sont plus élevées dans certains pays : supérieures à 100% en Algérie et Libye.

Les approvisionnements par prélèvements sur des ressources non renouvelables ou secondaires, et par des productions non conventionnelles (réutilisation, dessalement) atteignent près de 15% des demandes totales (sans compter l'évaporation des réservoirs), et davantage en quelques pays : 64% en Libye, 26% en Algérie, 25% en Tunisie. Dès à présent, une part significative des demandes en eau est tributaire de sources d'approvisionnement non durables (surexploitation, eaux fossiles) : 86% en Libye, 37% en Tunisie, 29% en Algérie.

De plus la maitrise des eaux de surface irrégulières par barrages-réservoirs, est fragilisée -outre par leurs pertes par évaporation irrémédiable- par l'envasement qui réduit les capacités utiles des retenues : perte moyenne annuelle actuelle de 137hm3 de l'ensemble des réservoirs actuels au Maghreb, par exemple.

Enfin la variété des sources d'approvisionnement entraine de grandes différences de coûts -coûts d'aménagement, de production, de transport- supportés par les économies.

b) Des risques d'aggravation de cette situation

Les projections à l'horizon 2025 montrent que la consommation passerait à 228 km 3 dont 151 km 3 des eaux de surface et 38 km 3 des eaux souterraines.

Les progressions de la demande les plus amples seraient observées en Libye (+88%) et au Maroc (+66%).

Les demandes de tous les secteurs (sauf l'énergie) seraient en croissance : alimentation des collectivités (+67%), irrigation (+27%), industries non desservies (+185%). L'utilisation dominante resterait l'irrigation (68%), tandis que l'alimentation des collectivités (12%) et les utilisations industrielles (9%) progressent, les utilisations énergétiques (1%) deviennent mineures. 10 % est consommée par l'évaporation des réservoirs.

Toutes les sources d'approvisionnement utilisées seraient davantage sollicitées : ressources renouvelables, y compris externes et eaux souterraines surexploitées, ressources non renouvelables et secondaires, et ressources non conventionnelles : réutilisation (doublement) et dessalement (qui pourrait sextupler et atteindre 2 km3 /an) 285 ( * ) .

Toutefois, les incidences du changement climatique, notamment sur les demandes de l'agriculture irriguée, qui pourraient croître davantage, affectent, s'agissant du Maghreb, ces projections d'un facteur d'incertitude.

Enfin la croissance des pressions sur les ressources sera notable du fait de l'augmentation des prélèvements sur les ressources renouvelables potentielles dont les indices d'exploitation approcheront ou dépasseront 100% notamment en Libye -et davantage par rapport aux ressources exploitables.

c) La maîtrise des ressources en eau : assainissement et traitement des eaux usées

Les politiques qui sont ou seront mises en oeuvre portent à la fois sur l'achèvement des aménagements afin de parvenir à une gestion plus efficiente des ressources, au recours aux sources d'approvisionnement non conventionnelles (réutilisation des eaux usées et de drainage, dessalement 286 ( * ) ) mais aussi à une gestion des demandes en eau plus adaptée.

Un objectif complémentaire est celui de l'assainissement et du traitement des eaux usées qui est aussi un enjeu environnemental puisque cela contribue à limiter la pollution du littoral.

Les pays de la rive sud sont beaucoup moins équipés que ceux de la rive nord. La littoralisation des populations et l'urbanisation rendent urgent leur équipement. Les démarches d'adduction d'eau et d'assainissement doivent être menées parallèlement.

Carte n° 83 : Les stations d'épuration sur le littoral méditerranéen

Source : MEDPOL, Plan Bleu

2. La lutte contre les pollutions

Pays riverains de la Méditerranée, les États du Maghreb comme ceux des rives européennes ont une responsabilité particulière de préservation de leur environnement. Ils font face au double phénomène de littoralisation et d'urbanisation des façades maritimes, ce qui engendre des pollutions, mais aussi au développement du trafic maritime et au développement d'activités économiques agricoles, industrielles et de services qui produisent des rejets. Alors qu'au Nord les dispositifs correctifs visant à réduire les atteintes à l'environnement se déploient, l'enjeu pour la rive sud est de mener une politique de développement économe et durable et d'intégrer les préoccupations environnementales à la construction des nouvelles infrastructures.

La gestion des déchets : la collecte, le stockage et le traitement des ordures ménagères est une priorité environnementale qui conditionne un développement maîtrisé au plan social, économique et touristique. Dans ces pays où la réglementation est insuffisante, il est important de franchir les étapes intermédiaires conduisant le plus directement possible du stockage contrôlé à l'élimination des déchets.

Cela a un coût mais c'est une condition essentielle du développement durable.

Le tourisme qui constitue un axe fort de développement des pays du Maghreb doit être développé dans le respect de l'environnement. En respectant les sites naturels et historiques, en évitant de polluer les paysages par une architecture inadaptée, en aménageant des parcs naturels et en respectant la biodiversité, ces pays disposeront d'atouts supplémentaires pour attirer une clientèle plus diversifiée, plus aisée et plus fidèle.

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a publié en juin 2011, un rapport sur « La pollution de la Méditerranée : état et perspectives à l'horizon 2030 » 287 ( * ) . Il considère que « la Méditerranée est victime de l'héritage des pollutions passées, atteinte par les pollutions présentes et sera soumise à l'horizon d'une génération à une pression de pollution d'origine anthropique de plus en plus forte, dont les conséquences seront démultipliées par les effets attendus du changement climatique ». Le groupe de travail ne consacrera pas dans ce rapport de développement particulier à ces questions, mais reprendra dans ses conclusions et recommandations des éléments mis en avant par l'OPECST pour lutter contre la pollution dans le bassin méditerranéen et réduire l'écart de plus en plus marqué qui se dessine entre les rives de cet espace commun.


* 280 « La pollution de la Méditerranée : état et perspectives à l'horizon 2030 » Rapport de M. Roland Courteau, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques n° 652 (2010-2011) - 21 juin 2011 http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-652-notice.html

* 281 Le pourcentage des ressources en eau utilisées par un pays est un indicateur complexe qui reflète le développement, les politiques nationales de l'eau et la rareté tant physique qu'économique de cette denrée. Lorsque les niveaux de développement sont bas, il est généralement avantageux d'augmenter le prélèvement d'eau total. Mais au-delà d'un certain « point d'inflexion », les écosystèmes souffrent et des intérêts divergents empêchent tous les usagers de recevoir une part équitable. Les années de sécheresse risquent d'exacerber le problème.

* 282 Jean Margat (Institut méditerranéen de l'eau (IME) « Quels sont les demandes en eau et les sources d'approvisionnement en eau actuelles et futures dans les pays méditerranéens ? » Contribution au Premier Forum Méditerranéen de l'Eau de Marrakech 19-20 décembre 2011.

http://www.ime-eau.org/images/publicationsweb/Contribution%20au%20forum%20
de%20Marrakech%20%20version%20finale.pdf

* 283 Pour une large part des réservoirs d'Assouan.

* 284 Exactement la moitié de la consommation des pays de la rive nord (114m 3 /an).

* 285 Lors de son déplacement à Laayoune, la délégation de votre groupe de travail a pu visiter l'usine de dessalement de El Marsa utilisant la technologie de l'osmose inverse qui approvisionne cette agglomération. Le rapport du groupe interparlementaire France-Maroc publié en juin 2013 présente une synthèse sur la politique de gestion de la ressource en eau au Maroc : http://www.senat.fr/ga/ga107/ga1077.html#toc90

* 286 L'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE) du Maroc a lancé un vaste plan de constructions d'unités de traitement de l'eau de mer afin de porter sa production à 200 000 m3/jour d'ici à 2016.

* 287 « La pollution de la Méditerranée : état et perspectives à l'horizon 2030 » Rapport de M. Roland Courteau, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques n° 652 (2010-2011) - 21 juin 2011 http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-652-notice.html

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