QUATRIÈME PARTIE : S'ENGAGER POUR LE DÉVELOPPEMENT DU MAGHREB : UN DÉFI ET UNE OBLIGATION

Les relations politiques et diplomatiques entre l'Europe et le Maghreb sont pour l'essentiel des relations bilatérales entre Etats. Elles ont été accompagnées par une politique de l'Union européenne, cadre commun d'actions développées avec chacun des Etats.

De fait, la polarisation nord-sud, résultat de l'histoire, mais aussi du différentiel de richesse économique, a longtemps donné un caractère asymétrique à ces relations qu'il convient de corriger en instaurant un partenariat réel.

Ce partenariat nécessaire doit apporter les solutions aux problèmes que doivent résoudre en commun l'Europe et les pays du Maghreb (sécurité maritime, lutte contre le terrorisme, lutte contre les trafics illégaux, immigration non régulée).

Pour accompagner les transitions économiques et sociales des pays du Maghreb, il est nécessaire de tenir compte des demandes des populations qui se sont exprimées lors des révolutions arabes et des problèmes structurels qui se posent dans ces pays.

Les tentatives d'institutionnaliser ces relations dans un cadre multilatéral rassemblant tous les États de la Méditerranée (Euromed, UpM) ont trouvé leurs limites.

Un cadre multilatéral reste cependant nécessaire pour permettre aux États de la rive sud, et notamment de la partie occidentale de travailler ensemble à la réalisation de projets communs.

Dans une zone de proximité plus réduite, le Dialogue 5+5 est probablement le cadre pertinent de cette relation.

I. LE CADRE DES RELATIONS POLITIQUES ET DIPLOMATIQUES

A. RELATIONS BILATÉRALES : UNE PRIORITÉ

Les relations diplomatiques ne sont pas exemptes d'une certaine concurrence entre les pays européens, chacun souhaitant privilégier les relations bilatérales du fait notamment de l'absence d'organisation commune dans les pays du Maghreb.

1. La France est un partenaire important

Depuis longtemps, la France est en pointe dans l'établissement de relations fortes avec les pays du Maghreb . Sa présence est source d'influence considérée parfois comme ingérence, lorsqu'elle ne va pas dans le sens souhaité par les dirigeants.

Les pays du Maghreb sont parmi les plus importants de son réseau diplomatique : 2 e rang pour le Maroc (avec 332 agents dont 156 expatriés), 4 e rang pour l'Algérie (avec 286 agents dont 128 expatriés) et 14 e rang pour la Tunisie (avec 83 expatriés). Les budgets de fonctionnement (titre 3) sont importants : 1,4 million d'euros pour l'Algérie, 1,3 million pour le Maroc et 0,5 pour la Tunisie.

Le réseau y est dense.

Algérie

Maroc

Tunisie

Consulats

3

6

1

Réseau institut français

6

10

3

Réseau alliance française

0

3

0

Réseau scolaire

2

37

9

Les relations s'appuient sur des rencontres fréquentes au plus haut niveau (visites ministérielles et parlementaires), sur un réseau d'institutions (écoles, instituts culturels, consulats) et d'outils de coopération importants, ainsi que sur la mise en oeuvre d'accords bilatéraux dans les domaines les plus divers.

a) Des relations fortes et à renforcer

Le positionnement de la France lors des « printemps arabes » a été compliqué et ses hésitations ou erreurs d'appréciation lui sont reprochées, en Tunisie notamment. L'intervention en Libye pour empêcher la prise de Benghazi par les troupes de Kadhafi a été saluée comme un soutien effectif et un signal fort. Mais la gestion de la crise, les difficultés de reconstruction de la Libye et la dispersion des armes tempèrent aujourd'hui les enthousiasmes.

Le fait que le Président de la République ait choisi de visiter les trois pays du Maghreb dès la première année de son mandat 288 ( * ) témoigne de la force de ces relations dont l'approfondissement est attendu de part et d'autre 289 ( * ) . Il reste à les inscrire dans un cadre durable. La mise en place de réunions de haut niveau coprésidées par les Premiers ministres avec le Maroc (depuis 1997) 290 ( * ) et l'Algérie tous les deux ans permettra d'orienter ce partenariat et d'en fixer le calendrier et les modalités. Le Président de la République a en outre rencontré le Président mauritanien à Paris en novembre 2012 et le Premier ministre libyen le 3 février 2013.

Ces instances doivent être les garants du dynamisme de ces relations et s'appuyer sur des « documents cadres » ou des feuilles de routes qui fixent des objectifs à atteindre et les différentes étapes des projets à conduire.

Les relations doivent être équilibrées pour pouvoir maintenir un dialogue avec chacun des pays et progresser selon un rythme qu'il convient de définir avec chacun. Cet équilibre est sans doute la meilleure contribution que la France et l'Europe, si les pays du Maghreb en acceptent le principe, puissent apporter pour inciter les gouvernements de ces pays à s'engager sur un chemin de coopération apaisé et durable.

Les pays du Maghreb attendent de la France et de l'Europe d'être traités comme des partenaires de confiance.

Les visites successives du Président de la République dans les trois pays ont permis de mettre en oeuvre ces orientations.

Algérie : un nouvel élan a été donné à la relation franco-algérienne qu'il faut maintenant entretenir. Ce n'est pas une chose facile en raison du manque d'ouverture de nombreux secteurs, mais il est nécessaire de normaliser ces relations, voire d'en faire des relations privilégiées à l'image de ce qui a pu être réalisé, poursuivi et conforté avec la Tunisie et le Maroc.

La France a pu mesurer de façon concrète le bénéfice de la normalisation de ces relations avec l'Algérie lors de son intervention au Mali par l'autorisation donnée de survol du territoire.

Maroc : la relation est de longue date de très grande qualité, elle doit être maintenue et confortée, sans devenir exclusive.

Tunisie : la relation a été altérée par le soutien accordé sans grande réserve au président Ben Ali. Les dirigeants tunisiens sont parfaitement conscients de la profondeur des relations économiques et humaines entre nos deux pays. La visite du Président de la République a permis de fixer la position de la France.

L'accent mis, lors de ces déplacements, sur les rencontres avec la jeunesse, la société civile et naturellement les entreprises est aussi le signe de la volonté d'étendre les relations au-delà du cercle des seuls dirigeants . La décision de confier à Michel Vauzelle, président de la région PACA, une mission sur « la Méditerranée des projets » est aussi le signe d'une volonté de renouveler les approches 291 ( * ) . Il faut insister davantage sur des relations impliquant largement les différentes composantes des sociétés sur les deux rives (collectivités locales, petites et moyennes entreprises, femmes entrepreneurs, associations et jeunesse).

Les relations diplomatiques aujourd'hui n'excluent en rien un dialogue avec les sociétés civiles dans toutes leurs composantes, au-delà des relations économiques et culturelles traditionnelles. Il est important d'être à l'écoute de ces différents acteurs qui participent à la vie démocratique et de conforter leurs actions, notamment en favorisant les approches comme la coopération décentralisée et la coopération entre organisations non gouvernementales.

Dans cette période de transition, le soutien de la France continue à être recherché par les différents acteurs, à titre de caution. Elle doit agir avec discernement sans ingérence dans les équilibres intérieurs et rappeler son soutien au processus de transition démocratique. Rappeler aussi le principe fondamental de notre attachement aux règles de droit et aux valeurs universelles.

Un dialogue constant avec les autorités sur cette question fondamentale n'est en rien incompatible avec le principe de non-ingérence que la France respecte.

Compte tenu de l'intérêt stratégique de la zone, il serait peu opportun de réduire de façon inconséquente les postes des pays du Maghreb. Si le ministère des affaires étrangères doit supprimer 600 ETP pour le triennum 2013/2015, il serait dommage que, par facilité, il taille dans les postes les mieux pourvus, sans prendre en considération les priorités stratégiques et les besoins.

Il est également important de veiller au renforcement de la sécurité des enceintes diplomatiques et de leurs annexes compte tenu de la montée de l'insécurité dans cette région.

b) Coopération prioritaire par l'aide publique au développement

Les pays du bassin méditerranéen sont l'une des priorités affichées par la France dans sa stratégie de coopération. L'État prévoit de consacrer 85% de l'effort financier en faveur du développement en Afrique subsaharienne et dans les pays voisins du Sud et de l'Est de la Méditerranée 292 ( * ) .

Les pays du Maghreb sont parmi les principaux bénéficiaires de l'APD bilatérale française.

Tableau n° 84 : Principaux bénéficiaires de l'APD bilatérale

Principaux bénéficiaires de l'APD bilatérale

2000-2004

2005-2009

2010-2011

Millions de dollars 2010

Rang*

%

Millions de dollars 2010

Rang*

%

Millions de dollars 2010

Rang*

%

Maroc

367

3

5

379

5

4

491

2

5

Tunisie

206

9

3

243

9

3

287

8

3

Algérie

160

11

2

219

11

2

138

16

2

Total

733

9,95

841

9,56

916

10,05

Total des versements bilatéraux bruts

7368

100

8788

100

9116

100

*sur 147 bénéficiaires

Source : Données établies à parti de l'Examen par les pairs de l'OCDE sur la coopération au développement France 2013

Enfin, les pays du Maghreb doivent rester prioritaires dans l'affectation des moyens de notre diplomatie culturelle et d'influence. Il est heureux, à cet égard, que la consolidation des antennes de France Média Monde (ex AEF) dans les pays du Maghreb, zone d'influence prioritaire, soit effectivement inscrite dans le contrat d'objectifs et de moyens de cet opérateur de l'audiovisuel extérieur de la France.

(1) Tunisie

La France reste également le premier pourvoyeur d'aide publique au développement (50% de l'APD totale à destination de la Tunisie) et d'assistance technique , marquée par une très forte remobilisation des différents opérateurs français. L'ensemble des instruments de coopération sont mobilisés.

L'aide publique française nette vers la Tunisie :

- L'AFD joue un rôle central par le volume de ses engagements : 1,8 Md€ d'engagements cumulés sur 10 ans et par l'accompagnement de réformes majeures sur le plan économique et social. L'AFD mobilise 425 M€ sur 2011-2013 en soutien à la transition tunisienne dans le cadre du partenariat de Deauville dont 185 ont déjà été décaissés.

- Réserve Pays Emergents (RPE) : encours de 300 M€; mobilisable jusqu'à l'été 2013.

- FASEP : 3 M€ octroyés depuis 2005, dont plus de 2 M€ depuis la Révolution, ciblés sur les ENR ; ligne de crédit de 40 M€, pour l'achat de biens d'équipement français par les PME locales ; fonds du développement solidaire, orientés notamment vers les régions défavorisées...

- En outre, la plupart des administrations françaises de la sphère économique et développement durable 293 ( * ) sont actives de longue date. La France est impliquée dans une vingtaine de jumelages de coopération européens (soit 2/3 du total) et l'ADETEF a inscrit la Tunisie dans ses pays d'action prioritaires pour 2013 (avec un accent mis notamment sur les PPP, l'e-gouvernance et le tourisme).

Lors de son déplacement à Tunis les 4 et 5 juillet, le Président de la République a annoncé la mobilisation de 500 millions d'euros d'aide directe par l'AFD sur la période 2013-2014, et la conversion en investissements de 60 millions d'euros de dette du gouvernement tunisien.

(2) Maroc

En 2011, la France a consolidé sa première place comme bailleur de fonds bilatéral , avec 524 millions de dollars de versements nets, soit plus de 42% de l'aide publique nette reçue de la part des pays du CAD/OCDE. En moyenne sur les 5 dernières années, la France est le premier donneur net (269 M USD), loin devant l'Espagne (100 M USD). Le montant d'aide nette, en valeur nominale, versée par la France, a plus que doublé entre 2010 et 2011.

L'aide publique française nette vers le Maroc :

- Le stock des engagements nets cumulés de l'AFD dépasse 2,2 Mds €, (premier rang de ses emprunteurs). Sur la période 2010-2012, les financements concessionnels se sont élevés à 720 M€, et les engagements globaux ont atteint 1 Md€. L'AFD accompagne les politiques publiques, en particulier les plans sectoriels de développement (plans sectoriels « Maroc Vert », « Halieutis », « Emergence industrielle », Plan Solaire marocain), et les projets structurants d'infrastructures (ligne à grande vitesse « LGV », tramways de Rabat et Casablanca, ports régionaux, minéroduc et programme eau de l'OCP, etc.).

- La Réserve Pays Emergents (RPE) a joué un rôle stratégique depuis 2007 : Tramway de Rabat (150 M€), LGV (625 M€) et tramway de Casablanca (225 M€). L'encours des prêts du Trésor s'est élevé fin 2012 à 1,13 Md€.

- Le FASEP-études, avec depuis 2007 14 études réalisées ou en cours pour un montant total de 81 M€ dont 75 M€ de don exceptionnel pour l'assistance technique de la LGV.

- La modernisation du cadre administratif et financier marocain est, en outre, appuyée par les coopérations ADETEF, AFD et Affaires Etrangères (30 M € par an en moyenne).

- Enfin, le Maroc représentait enfin un encours Coface en assurance-crédit de moyen et long terme de 1 463,3 M€ à fin 2012.

(3) Algérie

Depuis 2005, les activités des organismes bilatéraux sont contraintes du fait de la politique de désendettement de l'État algérien.

Les engagements nets du groupe AFD ont ainsi opéré avant fin 2004, date à laquelle le gouvernement a décidé de ne plus avoir recours au financement extérieur. L'encours des prêts s'élève à 158,7 M d'euros (au 30 novembre 2012). L'AFD intervient en subvention de manière très limitée et uniquement pour des opérations ciblées d'assistance, d'expertise, de formation ayant un effet de levier sur le développement.

(4) Libye

Compte tenu du contexte politique et de ses ressources pétrolières, la Libye n'entrait pas dans le champ de l'aide française au développement. Elle y est entrée depuis mars 2012 pour appuyer sa reconstruction par des missions de coopération administrative et technique dans les domaines de l'eau et environnement, de la santé, de la santé animale et de la formation professionnelle, sur fonds propres de l'agence ; à terme, il est souhaité que la Libye prenne en charge ces prestations.

La situation sécuritaire ne rend pas facile le déroulement de ces missions.

(5) Mauritanie

La Mauritanie est l'un des pays d'Afrique les plus aidés par habitant par la communauté des bailleurs internationaux (environ 100 $ d'aide publique au développement par habitant soit le quart du PIB).

La France est le premier bailleur bilatéral de la Mauritanie. En 2012, 85 M € ont été décaissés en sa faveur.

Depuis 2007, le volume total des autorisations de l'Agence française de développement en Mauritanie s'est élevé à 148,5 M€ auquel il convient d'ajouter 13,7 M€ au titre de l'aide budgétaire globale et du contrat de désendettement et de développement.

Le document cadre de partenariat (2013-2015) signé par les deux pays prévoit des montants indicatifs de 180,2 M€ autour de quatre axes principaux :

- développement durable : accès à l'eau et aux services de bases, appui aux ONG, protection de la biodiversité ;

- gouvernance : Etat de droit, justice, gouvernance économique, financière et locale ;

- développement humain : appui au secteur éducatif et à l'enseignement supérieur ;

- coopération scientifique et culturelle.

c) Maintenir le montant des engagements de l'AFD

La nécessité d'accompagner le processus démocratique dans ces pays, de conforter la stabilité de la région et la gestion des flux migratoires a conduit à faire de son développement harmonieux une priorité et à renforcer notre effort financier.

La coopération française intervient dans cette zone sous forme de prêts bonifiés et, plus rarement, sous forme de dons. Le document-cadre prévoit que l'État y consacre 20% de son effort financier. D'après les informations disponibles, cette zone représenterait 15,8% de notre effort financier.

La coopération bilatérale y mobilise une palette diversifiée d'instruments financiers : prêts plus ou moins concessionnels, garanties, fonds d'investissements, partenariats public-privé et, plus ponctuellement, des subventions destinées à lever des facteurs bloquants, amorcer des dynamiques d'investissement ou financer de façon ciblée des actions non rentables mais présentant un fort impact environnemental ou social.

Une des difficultés actuelles pour honorer ces engagements est la situation de l'AFD au regard du respect du ratio « grand risque ».

Comme le souligne le plan d'orientation stratégique de l'Agence pour 2012-2014, le niveau actuel des fonds propres réglementaires de l'Agence ne permet pas de maintenir en 2012 un montant d'engagements annuels en Tunisie et au Maroc de même niveau que celui des années récentes. L'entrée en vigueur des règles de calcul de Bâle III devrait permettre de desserrer cette contrainte en 2013, mais pas au-delà.

Effectivement, s'agissant du Maroc, l'AFD a atteint la limite réglementaire de 25% des fonds propres pour l'engagement de prêts souverains, c'est-à-dire contractés ou garantis par les Etats. Elle calibre désormais ses nouveaux concours en fonction du remboursement des échéances en capital, soit un montant de 50 à 60 millions d'euros par an, en fin d'année, après les remboursements de fin octobre 2013. Pour les engagements non souverains, ceux qui s'adressent à des entreprises publiques, collectivités locales, établissements publics ou ONG, la limite est en passe d'être atteinte et une pause devra être observée en 2014 pour reconstituer la capacité d'intervention, grâce au remboursement en 2015. Au total, le montant des engagements de l'AFD au Maroc risque de passer de 380 millions d'euros en 2012 et 290 millions en 2013 à 60 millions en 2014.

Il en va de même en Tunisie puisqu'en janvier 2013, le montant des engagements financiers de l'AFD atteignait 1,161 milliard d'euros pour un plafond de 1,169 milliard, ce qui limite sa capacité d'intervention au cours des prochaines années.

Sachant que l'Algérie ne recourt pas à l'emprunt et que son mandat pour la Libye est limité à de l'appui aux maîtrise d'ouvrage pour la définition et la mise en oeuvre des politiques publiques, l'AFD risque de devenir dans les prochaines années, un bailleur mineur dans les pays du Maghreb au moment où son intervention est nécessaire, appréciée et souhaitée.

Le rapport pour avis de notre commission sur les crédits de l'aide publique au développement 294 ( * ) a largement évoqué la question du maintien des fonds propres de l'AFD à un niveau adapté à ses mandats et à sa stratégie.

Une solution doit être rapidement trouvée pour permettre à l'AFD de poursuivre et accroître ses activités notamment au Maroc et en Tunisie . Lors de l'audition préalable à sa nomination, Mme Anne Paugam, nouvelle directrice générale a indiqué que « différentes pistes sont envisageables ; elles sont à explorer avec Bercy. En tout cas, ce sujet, que nous voyons venir collectivement depuis longtemps, doit être traité. La somme de 1,3 milliard prélevée à l'AFD ces dix dernières années fait défaut aujourd'hui. L'État a recapitalisé d'autres banques récemment ; s'il a la volonté de maintenir cet outil bilatéral, nous trouverons, j'en suis persuadée, une solution. »

d) Donner plus de lisibilité et d'efficacité à notre outil de coopération

Les pays du Maghreb pourraient être un terrain d'expérimentation et de développement important pour la coopération avec la société civile . Les premières expériences menées, notamment en Tunisie, dont nous avons pu prendre connaissance, constituent des exemples intéressants. Il serait utile dans ces pays de nommer auprès du COCAC un collaborateur spécialisé dans la mise en oeuvre de projets avec les organisations de la société civile.

Dans ce cadre, les actions en direction des femmes paraissent prioritaires. L'examen par les pairs de l'OCDE a montré la distance entre les intentions et la réalisation dans la mise en oeuvre de la politique d'aide publique au développement.

En matière de lutte contre les discriminations hommes/femmes

Les pays du Maghreb pourraient constituer là encore un terrain d'expérimentation et de développement utile. En effet la discrimination culturelle et sociale à l'encontre des femmes reste un problème dans ces pays et il est important que le processus de transition et les réformes constitutionnelles ne fassent pas obstacle aux progrès en matière d'égalité des femmes devant la loi et dans la société ou ne fragilisent pas les acquis. Le fait que le Président de la République ait souhaité en marge de ces différentes visites dans les pays du Maghreb ménager du temps pour rencontrer des associations intervenant dans la défense des droits et des libertés est un symbole de cette approche renouvelé de notre action diplomatique. Il reste à la traduire plus concrètement.

La multiplicité des acteurs concernés, dans un monde globalisé, par la diplomatie d'influence oblige à repenser nos outils. La diversité des domaines d'intervention et la concurrence internationale, qui rend aujourd'hui systématique les comparaisons, se permettent plus la médiocrité de nos interventions et exigent à la fois un grand professionnalisme et un travail en réseau, aussi bien pour les opérateurs locaux qui ont une mission d'identification des besoins que pour les opérateurs nationaux qui doivent pouvoir identifier les compétences susceptibles d'intervenir en appui de l'offre de coopération.

Cela rend nécessaire au sein du ministère des affaires étrangères, la mise en oeuvre d'une capacité d'animation, de coordination et d'expertise pour établir des synergies en direction des entreprises, des pôles de recherche et d'innovation, des collectivités territoriales, des ONG (syndicats, associations...). Il n'est pas certain que le ministère dispose dans ses cadres de l'ensemble des capacités d'ingénierie requises ce qui suppose des efforts de formation initiale et continue de ses diplomates, le recours à la mobilité ou à des compétences extérieures.

La nomination auprès du Premier ministre d'un délégué interministériel à la Méditerranée, qui s'appuiera sur l'ancien dispositif mis en place pour appuyer la présidence de l'UpM peut être ce pôle d'animation. Cependant, notre dispositif manque encore de lisibilité et il est parfois difficile de percevoir sa cohérence d'ensemble entre le réseau diplomatique sous ses différentes composantes, une délégation interministérielle, la direction générale du Trésor, des opérateurs comme l'AFD, la nomination de personnalités en charge d'appuyer les relations économiques avec tels ou tels pays, la nomination d'un haut responsable à la coopération industrielle et technologique franco-algérienne, la nomination d'ambassadeurs auprès des régions... sans compter le traitement de ces questions au sein des institutions européennes ou de l'UpM.

Par ailleurs, l'émergence des révolutions arabes comme leurs suites ont montré tant la grande difficulté pour nos diplomates comme pour nos dirigeants d'anticiper ces phénomènes et parfois même de les envisager que l'incapacité qui fut la nôtre de détecter et d'analyser les signaux qui émanaient de ces sociétés dans leurs différentes composantes. La fragilité des régimes en place, la capacité des partis islamistes d'apparaître comme les principales forces politiques à l'issue des élections, la capacité de résilience des sociétés civiles, nous apparaissent dès lors comme des « surprises ». Ceci conduit notre action diplomatique à étendre son réseau relationnel ; cela suppose également de faire un effort pour se redonner la capacité d'analyse politique et sociale de ces sociétés. Force est de constater avec l'ensemble des universitaires auditionnés que la France a réduit sensiblement sa voilure en diminuant depuis de nombreuses années les crédits des instituts français de recherche à l'étranger et en centrant davantage son effort de connaissance sur le Proche-Orient et le Golfe que sur les pays du Maghreb.

e) Pour un partenariat d'égal à égal fait d'obligations réciproques

« Le temps du surplomb du nord sur le sud est terminé 295 ( * )

Une leçon des printemps arabes est l'émergence du peuple dans le processus de déclenchement et le déroulement des évènements et donc la plus grande attention que l'Union européenne et les pays membres doivent donner à la réception de ses initiatives.

L'avenir doit être envisagé avec de véritables partenaires, certes plus exigeants, mais autonomes avec des dirigeants plus légitimes et plus proches des préoccupations de leur société.

Établir un rapport apaisé fait de respect et d'égalité constitue la base pour réduire les crispations identitaires qui se développent au nord comme au sud de la Méditerranée.

2. Les autres puissances européennes ont une action diplomatique

La Grande-Bretagne s'est engagée avec la France dans la crise libyenne. La visite de David Cameron, très peu de temps après la prise d'otages d'In Amenas (site exploité en partie par BP), a été l'occasion d'esquisser avec l'Algérie un partenariat plus large.

L'Allemagne est loin d'être absente de la scène méditerranéenne. Après avoir nié toute ambition méditerranéenne, elle mène aujourd'hui une politique régionale conforme à ses intérêts économiques. Elle les défend avec âpreté, notamment en matière de développement de l'énergie solaire. La présence de ses puissantes fondations politiques (Konrad Adenauer/CDU, Friedrich Ebert/SPD, Friedrich Naumann/FDP, Hanns Seidel (CSU), Heinrich Böll : Bündnis 90 / Grünen) très actives auprès des acteurs civils (associations, syndicats, partis politiques...), sur des sujets comme la démocratie et les droits de l'homme, renforce l'influence de sa diplomatie traditionnelle. Elle est très présente aujourd'hui en Tunisie.

Touchée par la crise économique, l'Espagne, qui s'était illustrée par une politique méditerranéenne active est moins présente sur cette scène diplomatique. Sa capacité d'initiative est également réduite par la crise budgétaire et financière, mais les entreprises espagnoles restent très présentes dans la conquête des marchés. Comme la France, elle cultive une relation privilégiée avec le Maroc.

L'Italie est dans une situation identique compte tenu de la crise économique, mais elle maintient ses positions traditionnelles notamment en Tunisie et en Libye 296 ( * ) .


* 288 Visite en Algérie 19 et 20 décembre 2012, au Maroc les 3 et 4 avril 2013 et en Tunisie les 4 et 5 juillet.

* 289 Le roi Mohammed VI du Maroc avait choisi la France pour effectuer sa première visite d'État à l'étranger en mars 2000 et il fut le premier chef d'Etat reçu par l'actuel Président de la République après son élection

* 290 La XI e rencontre de haut niveau franco-marocaine s'est tenue en décembre 2012 dans le cadre d'un séminaire gouvernemental présidé par les Premiers ministres et rassemblant 18 ministres.

* 291 Michel Vauzelle « Avec la jeunesse méditerranéenne, maîtriser et construire notre communauté de destin » -Rapport au président de la République et au Premier ministre octobre 2013

http://www.elysee.fr/assets/pdf/Mediterranee.pdf

* 292 Décision n° 2 du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 31 juillet 2013

* 293 Douanes, INSEE, DGFIP, Banque de France, GIP emploi et formation professionnelle, Atout France, etc...

* 294 Avis n° 150 (2012-2013) de MM. Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées
http://www.senat.fr/rap/a12-150-4/a12-150-4.html

* 295 Abderrahmane Hadj Nacer et Carmen Romero « L'Europe et la Méditerranée - Propositions pour construire une grande région d'influence mondiale » Rapport au président du parlement européen. IPEMED avril 2013.

* 296 Ainsi lors de la visite du Premier ministre libyen à Rome le 4 juillet, un accord de principe a été donné pour la formation de 5 000 gardes-frontières, militaires et policiers pour le désarmement des milices et le recueil des rames en circulation.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page