II. DES PHÉNOMÈNES MIGRATOIRES À MAÎTRISER : RÉCIPROCITÉ ET MOBILITÉ

Depuis la fin des années 1980, l'Europe tend à fermer ses frontières aux immigrants clandestins : renforcement des contrôles aux frontières de l'espace Schengen, fermeture militarisée des enclaves espagnoles, patrouilles maritimes, création de l'agence Frontex en 2004, politique d'externalisation de l'asile (les pays méditerranéens devant jouer le rôle de pays de rétention pour les migrants), systèmes de radars d'alerte rapide à Gibraltar et aux Canaries, etc.

Les questions d'immigration revêtent un caractère sensible pour l'opinion publique européenne. Frappée par la crise économique et avec l'augmentation du chômage 327 ( * ) , l'Europe devient moins attractive mais la situation de pauvreté qui règne dans certains pays d'Afrique subsaharienne ou dans les zones touchées par des conflits continuent de susciter des candidats à l'immigration, au péril de leur vie, comme la récente tragédie de Lampedusa le 3 octobre 2013 le rappelle.

Si les pays du Maghreb restent des pays d'émigration illégale de certains de leurs ressortissants, ils sont, en outre, devenus des pays de transit. Des politiques de lutte contre les migrations illégales ont été mises en place avec l'Union européenne. Ces pays sont devenus les gardes-frontières de l'Europe et il faut leur reconnaître cette contribution.

L'approche globale en matière de migrations adoptée par l'Union européenne, fondée sur un véritable partenariat avec les pays d'origine et de transit, couvre l'ensemble des questions dont la lutte contre l'immigration illégale. Elle s'inspire des récents accords proposés par la France sur la gestion concertée des migrations et le développement solidaire et devrait déboucher à terme sur de véritables partenariats pour les migrations et la mobilité.

A. LA MISE EN oeUVRE DU CONTRÔLE PAR LES PAYS DU MAGHREB

Dans les accords conclus dans ce cadre et en bilatéral, les États tiers s'engagent à faciliter la réadmission des immigrés clandestins. Les statistiques françaises relatives aux mesures d'éloignements prononcées et exécutées, et à la délivrance dans les temps de laissez-passer consulaires constituent des indicateurs intéressants pour mesurer la capacité d'entraide entre les États.

Tableau n° 88 : Mesures d'éloignement et demandes de laissez-passer consulaires

Algérie

Maroc

Tunisie

Libye

Mesures d'éloignements prononcées

7429

6647

9901

480

Mesures d'éloignement exécutées

1989

2320

4506

53

Demandes de laissez-passer consulaires

774

765

2 137

67

Taux de délivrance dans le délai des laissez-passer consulaires

37,9%

29,7%

29,3%

1,5%

Source : Données 2012 (sources : SGII-DSED, DCPAF)

L'Algérie exerce un contrôle très strict de ses frontières et ne délivre que des visas de court séjour (tout en développant par tradition une politique d'asile politique assez généreuse). Depuis 2008, on observe une baisse tendancielle de mesures d'éloignements prononcées (11 007 en 2008 - 7 429 en 2012) et exécutées (3 078 en 2008, 1 989 en 2012) et une dégradation du taux de délivrance dans le délai des laissez-passer consulaires (48,4% en 2008 - 37,9% en 2012) alors que des demandes ont beaucoup baissé (2 151 en 2008, 774 en 2012). Toutefois la situation sociale dans le pays rend un nombre important de jeunes Algériens candidats à l'immigration.

Le Maroc a le souhait d'être exemplaire dans le contrôle des migrations clandestines. Il joue un rôle important dans le processus de Rabat en cohérence avec sa stratégie de coopération avec les pays d'Afrique de l'Ouest. Le Maroc accueille un grand nombre d'étudiants en provenance de ces pays. Son économie informelle emploie un nombre important de migrants d'Afrique subsaharienne. Il se sent cependant très responsable de l'étanchéité du passage vers l'Espagne, pays avec lequel il est lié par des accords permettant l'embauche de travailleurs saisonniers marocains dans les exploitations agricoles. En revanche, il semble moins vigilant, dans des sorties par voie aérienne vers la Turquie, qui constitue une étape dans les parcours de migration vers l'Europe. On observe une baisse tendancielle des mesures d'éloignement prononcées (9 511 en 2008 - 6 647 en 2012) et exécutées (2 743 en 2008 - 2 320 en 2012) comme des demandes de laissez-passer consulaires (1 801 en 2008 - 765 en 2012) et du taux de délivrance dans le délai (42% en 2008 - 29,7% en 2012).

Pour la Tunisie, les mesures d'éloignement s'étaient stabilisées autour de 6 000 (prononcées) et 1 600 (exécutées). La révolution et la guerre en Libye ont conduit à une recrudescence très significative de l'immigration clandestine vers le sud de l'Italie, qu'il s'agisse de Tunisiens qui se sont ensuite efforcés de rejoindre la France pour la plupart ou de salariés originaires d'Afrique subsaharienne employés en Libye 328 ( * ) , suscitant une crise entre la France et l'Italie. Ceci a eu pour conséquence un pic des mesures d'éloignements prononcées (15 034) et exécutées (5 246). Un retour progressif vers une situation normale est observé en 2012. Le nouveau gouvernement tunisien a développé un discours original malgré la crise sur la nécessité pour les jeunes Tunisiens de participer au développement de leur pays, et sur le retour nécessaire d'une partie des forces vives de la diaspora. La Tunisie applique l'accord de 2008 et serait favorable à une meilleure circulation de ses migrants, venant acquérir en France diplômes, qualifications et expériences professionnelles, pour les mettre au service du développement du pays.

Avec la Libye , la qualité des relations diplomatiques ne permettaient pas la délivrance de laissez-passer consulaires, cette situation évolue favorablement même si le taux de délivrance est très faible. Compte tenu de sa situation politique et sécuritaire, la Libye ne constitue plus le garde-fou qu'elle a été grâce aux accords de fermeture passés avec l'Italie qu'elle n'est plus en mesure d'exécuter . En début d'année 2012 , les flux s'étaient inversés avec la réouverture des sites d'exploitation des hydrocarbures. Le risque demeure avec la dégradation de la situation sécuritaire.


* 327 Selon le dernier rapport de l'OCDE « Perspectives des migrations internationales 2012 » : les faits semblent indiquer que, globalement, l'impact de la crise économique sur le chômage a été plus prononcé pour les immigrés que pour les personnes nées dans le pays. Dans l'ensemble de la zone OCDE, le taux de chômage des personnes nées à l'étranger a augmenté de quatre points de pourcentage entre 2008 et 2011, contre 2.5 points pour les autochtones. L'aggravation du chômage de longue durée des immigrés est un facteur encore plus préoccupant. Dans la majorité des pays, les immigrés contribuent pour une part allant de 14% à 30% à la hausse du chômage de longue durée, un chiffre qui, le plus souvent, est bien supérieur à la part qu'ils représentent dans l'emploi total ». http://www.oecdepublishing.org/multilingual-summaries/migr_outlook-2012-sum/html/migr_outlook-2012-sum-fr.html

* 328 On estime entre 200.000 et 400.000 le nombre de réfugiés en provenance de Libye que la Tunisie a du accueillir sur son territoire pendant la guerre.

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