PREMIÈRE PARTIE : EUROPE, MÉDITERRANÉE, AFRIQUE : LE MAGHREB TRAIT D'UNION

Comme l'exprimait récemment Eric Orsenna, « on ne peut pas faire comme si les réalités géographiques n'existaient pas (...) on ne pourra jamais faire comme s'il n'existait pas, entre l'Algérie, le Maroc et la Tunisie d'une part, le continent européen d'autre part, une proximité absolue. La vraie géographie est là, dans cette région à l'ouest de la Méditerranée, où le lac qui sépare le Maghreb de l'Espagne, l'Italie et la France n'est en fait guère plus large que le Rhin entre la France et l'Allemagne. À cet endroit, la Méditerranée est un espace commun, avec des solidarités de fait et une coopération nécessaire (...) 7 ( * ) . »

Géographiquement, on distingue le « Maghreb central » (Algérie, Maroc, Tunisie) du « Grand Maghreb » qui englobe une partie de la Libye (Tripolitaine) à l'est et la Mauritanie 8 ( * ) au sud-ouest. Les capitales politiques ou économiques du Maghreb sont situées à moins de 3 000 km des grandes capitales européennes, parfois à moins de 1 000 km (Rome- Tunis 600 km, Rome-Alger 993 km, Madrid-Alger 714 km, Madrid-Rabat 764 km). Hormis Tripoli qui n'est desservi par vol direct que depuis Rome et Francfort, toutes les capitales sont atteignables en 3 heures au plus par voie aérienne. Par la route, les distances sont naturellement plus longues et incluent un passage maritime depuis Algesiras, Alicante, Gênes ou le sud de l'Italie pour les itinéraires les plus rapides.

Les quatre pays travaillent sous le même fuseau horaire qui est celui de l'Europe (sauf période du passage à l'heure d'été, où l'on observe un décalage d'une heure).

Cette absolue proximité a engendré plus qu'une histoire commune, une population imbriquée, une interdépendance économique et des liens culturels forts.

I. DES LIENS HISTORIQUES ET CULTURELS PROFONDS

A. LE VÉHICULE DES LANGUES

1. La place privilégiée du Français au Maghreb

Hérité de l'histoire, l'apprentissage de la langue française reste très développé dans les pays du Maghreb. Le français est longtemps resté la langue administrative et une langue d'enseignement de certaines disciplines. Avec le développement de l'enseignement et de l'emploi de l'arabe, et la reconnaissance des langues amazigh en Algérie et au Maroc (40% de locuteurs), le français a perdu progressivement cet usage, mais il reste la première langue étrangère enseignée et parlée. À Rabat, Alger et Tunis, plusieurs titres de la presse nationale sont édités en français.

Selon l'OIF, les pays du Maghreb sont parmi les dix pays où l'on trouve le plus de francophones bien que le français ne soit langue officielle ni en Algérie, ni en Tunisie, ni au Maroc. Les textes constitutionnels indiquent que l'enseignement se fait en langue arabe.

Tableau n° 17 : Nombre de francophones par pays

Zone/pays

Population en 2010 (en milliers)

Francophones sachant lire et

écrire (en milliers)

En pourcentage de la population totale

Maroc

32 381

10 366

32%

Mauritanie

3 366

429

13%

Tunisie

10 374

6 639

64%

Algérie

34 400

11 200

33%

Le français jouit, de fait, du statut de véritable seconde langue . Il est un outil de promotion sociale, d'ouverture sur la modernité et imprègne l'environnement culturel et le système éducatif, largement arabisés par ailleurs.

Le français continue d'être enseigné de façon précoce . Si ces pays ont connu une arabisation des usages, notamment dans l'administration et dans l'enseignement et pour l'Algérie et le Maroc (dont 40% de la population est berbérophone) et une reconnaissance progressive de langues amazighes, le français continue d'être enseigné obligatoirement en règle générale dès le cycle primaire en Tunisie. Bien souvent dans les trois pays du Maghreb, les matières techniques et scientifiques, accompagnée de leur terminologie, sont enseignées en français.

Au sein des universités, au Maroc et en Algérie, il existe des filières francophones où les enseignements se déroulent totalement en français. Au Maroc, on compte plus de 600 filières francophones, concernant plus de 8 000 étudiants. En Tunisie, il existe des universités qui prodiguent un enseignement entièrement en français.

Par rapport au passé, le français a beaucoup régressé en termes de compétences linguistiques, mais s'est beaucoup répandu par le biais de la scolarisation dans les années 80. La jeunesse actuelle maîtrise moins bien le français que les générations précédentes, mais le nombre des locuteurs est en progression constante.

Dans ce contexte, l'usage du français semble régresser malgré le nombre accru de diplômés du système d'enseignement, ce qui conduit au fait qu'une bonne pratique du français demeure un marqueur social important. Elle reste largement pratiquée dans les milieux d'affaires, l'univers médical et le monde culturel et notamment les nouvelles technologies de l'information et de la communication 9 ( * ) .

De nombreux ouvrages publiés étaient francophones et la presse écrite francophone est très active.

L'ancrage francophone est conforté sûrement par l'émigration . Beaucoup de familles du Maghreb ont des parents en France, et souvent, même, des parents de nationalité française. Par ailleurs, la France est restée le principal partenaire économique des pays du Maghreb, à la fois client et fournisseur, ce qui explique que l'anglais n'est pas vraiment concurrentiel. Il y a aussi, au Maghreb, une vraie créativité culturelle en français, notamment pour ce qui est de la littérature. L'impact du tourisme, enfin, est très important.

La promotion de la langue française est un enjeu important. L'enseignement du et en français est donc au coeur de l'action culturelle de la France : aide à l'amélioration de la formation initiale et continue des enseignants de français tant dans le secondaire que dans le supérieur ; appui aux doctorants de français ; soutien à la mise en place de centres d'enseignement intensif des langues dans les universités.

En Algérie, notre coopération s'appuie sur un réseau culturel français redéployé depuis 2000 (cinq centres culturels à Alger, Annaba, Oran, Constantine et Tlemcen). La réouverture du centre culturel de Tizi Ouzou est à l'étude. 11 065 étudiants ou salariés sont inscrits aux cours de langue dans les instituts français. (45 571 en 2008). Le lycée-collège international Alexandre Dumas à Alger, rouvert en 2002, scolarise plus de 1 000 élèves, une autre école primaire à Alger en scolarisant 500. Des projets d'ouverture d'écoles françaises à Oran et Annaba sont à l'étude.

En Tunisie , elle est reconnue comme « langue étrangère à statut privilégié ». Elle est à ce titre enseignée durant tout le parcours scolaire. Le réseau des 9 établissements scolaires de l'AEFE accueille 3 200 enfants tunisiens sur un total de 7 200.

Au Maroc , le réseau culturel est particulièrement développé. L'Institut Français du Maroc compte, outre le siège à Rabat, 10 antennes (Agadir, Casablanca, El Jadida, Fès, Kenitra, Marrakech, Meknès, Oujda, Tanger et Tétouan), deux Alliances françaises (Essaouira et Safi) et un espace Campus France (rattaché à l'IF à Rabat).Le réseau scolaire compte plus de 30 000 élèves répartis en trois réseaux : AEFE (son plus grand réseau dans le monde) avec 23 établissements, 18 650 élèves dont 47% de Marocains, l'Office scolaire et universitaire (OSUI) : 9 établissements, 7 200 élèves (dont 90% de Marocains) et 7 établissements homologués (4 970 élèves dont 94% de Marocains).

Le Maroc et la Tunisie sont membres de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), à la différence de l'Algérie. M. Bouteflika était l'invité d'honneur au IXe sommet de la francophonie en 2002 à Beyrouth et bien que l'Algérie soit l'un des pays où le français est le plus répandu, des raisons de politique intérieure ne lui permettent pas d'y adhérer.

2. Pratique et apprentissage de la langue arabe en France

Estimé à trois ou quatre millions de locuteurs, l'arabe est la deuxième langue la plus parlée sur le territoire français compte tenu de la place de l'immigration maghrébine. Mais si cette langue a été reconnue « langue de France » en 1999, après la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (non ratifiée à ce jour), son enseignement n'est pas suffisamment promu.

Selon une étude de Bruno Levallois, inspecteur général de l'éducation nationale 10 ( * ) , depuis 2002, le nombre d'élèves apprenant l'arabe dans l'enseignement secondaire se serait stabilisé autour de 8 700 (second degré et post-bac, public et privé, y compris Cned et DOM-TOM), mais sa place est menacée en raison des difficultés de gestion qui jouent en défaveur des disciplines optionnelles, de la concurrence des langes de l'Union européenne et de la crainte infondée de rendre plus difficile l'intégration des jeunes migrants. Le nombre d'établissement proposant cet enseignement est en diminution (239 en 2009 contre 259 en 2005-2006) comme le nombre d'enseignants (203 contre 236). Les élèves qui choisissent l'arabe en LV3 sont les plus nombreux. 700 l'étudient dans les classes préparatoires aux grandes écoles.

S'agissant de l'enseignement supérieur, le nombre d'inscrits aux diplômes nationaux d'arabe (LMD) est d'environ 5 000, l'effectif se maintenant globalement dans un contexte général de tassement constaté dans l'ensemble des filières universitaires. Il faut y ajouter 1 500 à 2 000 étudiants inscrits à des diplômes universitaires d'arabe (notamment les diplômes d'initiation). Dans l'enseignement supérieur, la proportion d'étudiants inscrits en LLCE et en LEA arabe pouvait ainsi être évaluée en 2004 à 3,5%, ce qui plaçait l'arabe en 5 e position, juste après l'italien (6%).

Pour Luc Deheuwels (Inalco) « Ces chiffres et pourcentages restent modestes. Ils font cependant de la France le seul pays du monde occidental à enseigner l'arabe et sa civilisation, de l'école primaire à l'université , avec une offre large, poussée, très attractive au niveau européen et international » 11 ( * ) .


* 7 La Tribune n°56 juillet-août 2013.

* 8 Ce dernier Etat est, géographiquement, démographiquement et historiquement, un espace intermédiaire entre le Maghreb et l'Afrique noire. Il n'entre pas dans le champ d'étude de ce rapport, toutefois des informations seront incluses le concernant dans la mesure où il s'intègre d'ores et déjà avec ses voisins du nord dans les organes de coopérations euro-méditerranéens.

* 9 En mai 2011 les utilisateurs tunisiens de Facebook montraient une préférence sans appel pour l'interface en français avec 94,60%, suivit de l'anglais avec 2,72% et un très faible choix de l'arabe avec 1,56%. Les utilisateurs marocains de Facebook montraient une préférence pour l'interface en français avec 77%.

* 10 Bruno Levallois (Inspecteur général de l'Éducation nationale) - L'enseignement de l'arabe dans l'institution scolaire française -Langue et cité - bulletin de l'observatoire des pratiques linguistiques - octobre 2009.

* 11 Luc Deheuwels (Inalco) Les études arabes dans l'enseignement supérieur-Langue et cité - bulletin de l'observatoire des pratiques linguistiques - octobre 2009

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