C. LA GOUVERNANCE DES ÉCO-ORGANISMES

1. Rationaliser la gouvernance au sein de chaque filière

Le nombre d'éco-organismes varie en fonction des filières. Dans certaines filières récentes, comme celle des déchets d'équipements électriques et électroniques, le choix a été fait de prévoir plusieurs éco-organismes, en l'espèce quatre au total, afin d'encourager une certaine concurrence. Nous ne sommes cependant pas ici sur un marché à proprement parler.

Vos rapporteures estiment que cette structuration n'est pas optimale. La concurrence entre éco-organismes n'est pas souhaitable, dans la mesure où la multiplicité des éco-organismes dans une même filière peut encourager le dumping afin d'attirer des adhérents, ce qui nuit à la performance de la filière en matière de collecte du gisement et de traitement des déchets, et aux modulations des éco-contributions et à l'écoconception. Lorsqu'il n'y a qu'un seul éco-organisme, en revanche, le coût de fin de vie n'est plus un enjeu concurrentiel entre les industriels.

En outre, il a été indiqué à plusieurs reprises à vos rapporteures au cours de leurs auditions que la multiplicité des éco-organismes ne changeait rien en pratique à la situation de monopole de cette structure, pour les industriels du déchet et pour les collectivités territoriales.

Vos rapporteures préconisent donc de rationaliser progressivement la gouvernance au sein de chaque filière, afin qu'il n'y ait plus qu'un éco-organisme par flux de déchets. Le flux de déchets est en effet la bonne échelle : il peut y avoir deux éco-organismes dans une même filière, du moment qu'ils ne gèrent pas le même gisement. Ainsi, dans la filière DEEE, Récylum s'occupe des lampes et des DEEE professionnels. Il faudrait en revanche réduire le nombre d'éco-organismes gérant les DEEE ménagers.

Recommandation n° 16 : rationaliser les filières existantes en ne prévoyant qu'un éco-organisme par flux de déchets. Ne plus créer de filières comprenant plusieurs éco-organismes par flux de déchets.

2. Replacer l'État au coeur de la gouvernance globale des différentes filières REP

La gouvernance des filières REP est constituée aujourd'hui d'une architecture complexe d'observatoires et de commissions diverses.

L'observatoire des filières a été confié à l'ADEME. Ses missions sont de gérer les données fournies par les producteurs, les distributeurs et les opérateurs, de publier des rapports annuels de l'Observatoire des filières, et de conduire des évaluations du fonctionnement des filières.

Chaque filière dispose en outre d'une commission consultative de suivi ou d'agrément . Cette commission réunit les ministères de l'écologie, de l'intérieur et de l'économie, l'ADEME, les metteurs sur le marché, les distributeurs, les collectivités territoriales, les associations de consommateurs, les associations de protection de l'environnement, et les entreprises de collecte et de traitement des déchets. La commission d'agrément a pour mission de définir le projet pour la filière, de prononcer un avis motivé sur l'agrément, ou le ré-agrément, des éco-organismes, de piloter l'activité et de valider les orientations de la REP.

Une commission d'harmonisation et de médiation des filières de collecte sélective et de traitement des déchets , rattachée au Conseil national des déchets, a été créée par l'article 46 de la loi Grenelle I. Cette commission rend des avis au ministère de l'écologie sur les projets réglementaires relatifs aux filières, sur les programmes annuels des éco-organismes, et plus largement sur toute question relative aux filières. Son travail porte notamment sur l'harmonisation et la coordination entre filières REP des actions de communication et d'information à destination des utilisateurs de produits soumis à REP.

Le Conseil national des déchets a été créé par le décret n° 2001-594 du 5 juillet 2001. Il a pour mission de suivre la mise en oeuvre des orientations de la politique de gestion des déchets, et de rendre, sur saisine du ministre chargé de l'écologie, des avis sur des questions relatives aux déchets.

Enfin, les filières disposent de comités d'orientation opérationnels qui organisent le dialogue entre les éco-organismes et les opérateurs. Ils traitent des exigences techniques minimales et des méthodes de mesure, des indices de référence et de leur périodicité, de l'information des parties prenantes et de l'optimisation opérationnelle de chaque filière.

GOUVERNANCE DES FILIÈRES REP

Cette gouvernance est peu lisible, et se trouve en pratique largement dominée par les metteurs sur le marché des produits soumis à REP. Cet état de fait n'est pas contraire à la logique qui a présidé à la mise en place des filières REP en France. L'objectif était en effet de faire porter la responsabilité aux producteurs, et leur faire prendre conscience de l'impact de la fin de vie de leurs produits. Cette responsabilisation est nécessaire pour assurer le traitement de certains flux de déchets, mais aussi pour encourager les industriels à éco-concevoir.

Le pouvoir de contrôle de la puissance publique devrait cependant être réaffirmé . Le système ne contribue pas forcément aujourd'hui à mettre en place une modulation des éco-contributions incitative en termes d'écoconception ou de prévention.

Sur ce point, vos rapporteures partagent la recommandation des députés Jean-Jacques Cottel et Guillaume Chevrollier 22 ( * ) sur la nécessité de limiter la place des industriels au moment de la définition du cahier des charges de l'éco-organisme par la commission consultative d'agrément. Ce moment est déterminant pour la fixation d'objectifs ambitieux en termes d'écoconception notamment. S'il est impératif d'entendre les éco-organismes et de travailler en concertation avec eux, le dernier mot doit toutefois revenir à l'Etat.

Recommandation n° 17 : maintenir la présence de représentants des éco-organismes au sein des commissions consultatives d'agrément dans chaque filière, mais ne leur donner qu'un rôle consultatif au moment de la définition des cahiers des charges.

3. Faire une pause dans la création de filières tant que les réserves émises dans le rapport ne seront pas levées
a) Les adaptations de périmètre auxquelles il pourrait être procédé

Plusieurs modifications pourraient être apportées au périmètre des filières existantes.


• La filière papier

Concernant la filière papier, le débat récurrent porte sur l'intégration de la presse , et notamment des magazines, dans le champ des contributeurs. Lors de l'audition de l'éco-organisme Ecofolio, il a été indiqué à vos rapporteures que le taux de recyclage du papier en France n'était que de 47 % , contre plus de 60 % en moyenne en Europe, taux atteignant 75 % en Allemagne et 69 % au Royaume-Uni 23 ( * ) .

La filière est freinée du fait de l'exonération d'éco-contribution accordée à près de 34 % des tonnages de papier produits, dont une part significative aux publications de presse, par l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement.

Le sujet est sensible dans la mesure où les éditeurs de presse sont aujourd'hui économiquement affaiblis, et du fait de la particularité de ce secteur, essentiel à la démocratie.

Le manque à gagner est financé par les collectivités territoriales, en charge de la gestion des déchets, et donc par le contribuable, par dérogation au principe du pollueur-payeur. Amorce évalue ce manque à gagner à 36 millions d'euros par an , sur la base d'une participation d'Ecofolio à hauteur de 20 % 24 ( * ) .

Une convention d'engagement volontaire a été signée en juillet dernier entre six organisations syndicales représentatives des éditeurs de presse et l'éco-organisme Ecofolio, en présence des ministres de la culture et de l'environnement. Cette convention de trois ans a pour objectif de sensibiliser les lecteurs au sujet du recyclage au moyen d'actions de communication réalisées par la presse à titre gracieux.

Si la nécessité de prendre en compte les difficultés financières de la presse se justifie, il reste que les quantités de papier non soumises à contribution remettent en cause l'efficacité environnementale et l'atteinte des objectifs de cette filière REP.

Vos rapporteures estiment ainsi qu'il est souhaitable d'élargir la filière à la presse, dans un premier temps à la presse gratuite, et aux magazines. Des amendements en ce sens ont été déposés à chaque projet de loi de finances depuis plusieurs années consécutives par Gérard Miquel, sénateur et président du Conseil national des déchets. Il convient d'adopter cette extension afin de viabiliser la filière et d'améliorer le recyclage du papier en France.

Recommandation n° 18 : inclure la presse, dans un premier temps la presse gratuite et les magazines, dans la REP papier.


• La filière emballages

Concernant la filière emballages, il convient de rappeler que jusqu'en 2010, les emballages liés à la consommation hors foyer n'étaient pas inclus dans la filière REP. Or, ce gisement représentait environ un million de tonnes, soit 21 % du gisement total des emballages ménagers 25 ( * ) .

La situation a été corrigée lors du dernier agrément accordé aux éco-organismes chargés de prendre en charge les emballages usagés : les emballages liés à la consommation hors-foyer sont désormais intégrés au cahier des charges. Cet ajustement constitue une application de l'article 46 de la loi Grenelle I, qui disposait que « dans le cas particulier des emballages, le financement par les contributeurs sera étendu aux emballages ménagers consommés hors foyer » .

Une extension de la filière devrait en revanche être envisagée en ce qui concerne les films plastique . Lors de l'audition de Gérard Miquel, il a été indiqué à vos rapporteures que les films plastique représentent un gisement de 200 000 tonnes en France . Il s'agit donc d'un gisement considérable, tant en termes de potentiel d'emploi dans les unités de recyclage que de performance environnementale. Gérard Miquel a développé dans le Lot un système de tri et de traitement permettant de valoriser ce gisement. Cette expérience devrait être étudiée afin d'être progressivement étendue à d'autres régions.

Recommandation n° 19 : développer le recyclage des films plastique en s'appuyant notamment sur les initiatives innovantes menées par certaines collectivités territoriales.


• La filière DASRI

Concernant la filière des déchets d'activités de soins à risque infectieux, il a été signalé en audition à vos rapporteures qu'une précision juridique devait être apportée au code de la santé publique concernant les entreprises soumises à l'obligation de contribution dans cette REP.

Lors de la mise en place de la filière, la définition des personnes entrant dans le champ de l'obligation s'est fondée sur les notions déjà présentes dans ce code. Or, les travaux menés lors du lancement de cette filière ont mis en lumière un vide juridique au niveau de la définition du champ des contributeurs, qui pourrait permettre à certaines entreprises de ne pas se soumettre à la réglementation. Pour éviter toute perte de contributions, la notion de metteur sur le marché doit s'entendre de manière plus large que la définition qui en est actuellement donnée dans le code de la santé publique, et comprendre les distributeurs et les importateurs, lorsqu'ils sont les premiers metteurs sur le marché national .

La filière étant en cours de lancement, il est nécessaire pour sa pérennité de procéder à cet ajustement afin de garantir un financement cohérent et complet du traitement du gisement de déchets d'activités de soins, traitement d'autant plus important qu'il représente un enjeu de santé publique majeur.

Recommandation n° 20 : inclure expressément les distributeurs et importateurs de médicaments et de dispositifs médicaux dans le champ des contributeurs à la filière DASRI.

La mise en place de la filière DASRI s'est heurtée à une forte réticence de l'ordre professionnel des pharmaciens . Le sujet de l'emplacement des points de collecte a en particulier été un point d'achoppement.

L'agrément de l'éco-organisme DASTRI, en date du 12 décembre 2012, lui a donné neuf mois pour lancer la filière opérationnelle et constituer un réseau de collecte, sur la base du volontariat. Au-delà des neuf mois, échus fin septembre dernier, les préfets pourront imposer un système de collecte sur le territoire restant non maillé.

La filière DASRI présentant un risque en termes de santé publique, l'éco-organisme est contraint de collecter les déchets sous trois mois. Cette obligation complexifie fortement l'organisation logistique de la filière, dans la mesure où le gisement ne représente, en outre, que 360 tonnes sur les centaines de millions de tonnes de déchets produites chaque année. Par comparaison, les boîtes mises à disposition dans les officines pour collecter les seringues représentent 1 200 tonnes...

Le cahier des charges de l'éco-organisme impose de s'appuyer sur les dispositifs de collecte déjà existants. 5 700 points de collecte existent aujourd'hui, couvrant 96 % du territoire. DASTRI a fait le choix de reprendre l'intégralité de l'existant.

La question de la distorsion de concurrence a été avancée, entre les officines disposant d'un point de collecte et celles n'en disposant pas. L'Autorité de la concurrence a tranché le débat et estimé qu'il n'y avait pas distorsion, dans la mesure où les clients vont chercher leurs médicaments plus souvent qu'ils ne rapportent leurs déchets d'activités de soins.

Une solution d'équilibre suggérée par DASTRI afin de satisfaire la profession, en permettant tout à la fois une bonne collecte du gisement, serait de permettre le dépôt des DASRI dans toutes les officines qui le souhaitent, à charge ensuite au pharmacien de se charger du transport intermédiaire vers le point de collecte DASTRI le plus proche. Cette proposition permettrait de garantir une bonne collecte du gisement, sans faire exploser les coûts de collecte en porte-à-porte pour l'éco-organisme .

Vos rapporteures souscrivent à cette solution de sagesse .

Recommandation n° 21 : permettre le dépôt des DASRI dans toutes les officines en faisant la demande, à charge pour le pharmacien de gérer le transport intermédiaire vers le point de collecte le plus proche de l'éco-organisme.

b) La nécessité d'études d'impact préalables à toute création de filière

Les REP doivent être adaptées au changement de modèle économique qui va s'imposer dans les années à venir du fait de la raréfaction des ressources.

Il existe toutefois un consensus aujourd'hui entre les différents acteurs sur le fait qu'il ne faut pas créer de nouvelles filières pour l'heure , mêmes si des pistes de création existent et pourraient être envisagées, et certainement pas sans étude d'impact comme cela a pu être le cas par le passé.

Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, il y a en France seize filières à responsabilité élargie du producteur, contre cinq en moyenne dans les autres pays de l'Union européenne.

Le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a produit en mars 2012 un rapport sur les modalités d'évolution et d'extension du principe de responsabilité élargie des producteurs dans la gestion des déchets. Ce rapport relève que « l'enjeu majeur en matière de responsabilité élargie des producteurs réside davantage dans l'optimisation des dispositifs existants ou en cours de mis en oeuvre qu'en la création de nouvelles filières REP » . Dès lors, une des orientations préconisées par le rapport est de mesurer par une étude d'impact préalable « la pertinence environnementale du recours à une filière REP pour tout nouveau gisement » .

Cette position a été réaffirmée dans la deuxième feuille de route pour la transition écologique issue de la conférence environnementale de septembre 2013. Elle précise « qu'aucune nouvelle filière REP ne sera créée à court terme, afin de permettre collectivement l'amélioration des pratiques et résultats des filières existantes » .

Vos rapporteures souscrivent pleinement à cette volonté de se concentrer pour l'heure sur l'évaluation et l'optimisation de l'existant.

Recommandation n° 22 : ne pas lancer de nouvelles filières REP avant d'avoir évalué le fonctionnement et de s'être assuré que les filières existantes ont atteint leurs objectifs. Faire précéder toute création future de filière d'une étude d'impact circonstanciée.


* 22 Rapport d'information des députés Jean-Jacques Cottel et Guillaume Chevrollier sur la gestion des déchets dans le cadre des filières à responsabilité élargie des producteurs, 10 septembre 2013

* 23 Audition Ecofolio, mercredi 29 mai 2013.

* 24 « Recyclage des imprimés : la Presse a-t-elle démissionné de ses obligations environnementales ? », Actu-environnement, 22 juillet 2013.

* 25 « Le gisement des emballages ménagers en France. Évolution 1994-2009 », ADEME.

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