Rapport d'information n° 211 (2013-2014) de M. Simon SUTOUR , Mlle Sophie JOISSAINS et M. Michel BILLOUT , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 6 décembre 2013

Disponible au format PDF (356 Koctets)


N° 211

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la perspective européenne de la Serbie ,

Par M. Simon SUTOUR, Mlle Sophie JOISSAINS et M. Michel BILLOUT,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

Le Conseil européen des 27 et 28 juin 2013 a décidé d'ouvrir les négociations d'adhésion à l'Union européenne avec la Serbie, qui dispose du statut de candidat depuis mars 2012. Les conclusions du Conseil ne précisent pas pour autant la date à laquelle seront ouvertes ces négociations. À l'initiative de la commission des affaires européennes, le Sénat a adopté le 16 octobre 2013 une résolution européenne adressée au gouvernement français lui demandant d'agir auprès de ses homologues afin que la conférence intergouvernementale destinée à ouvrir ces négociations d'adhésion se tienne le plus rapidement possible.

La commission des affaires européennes estime en effet que tout nouveau retard pourrait gripper une dynamique européenne tangible au sein du pays, marquée notamment par l'accord historique signé par le gouvernement serbe avec son homologue kosovar le 19 avril 2013 à Bruxelles, sous l'égide de l'Union européenne et l'entrée en vigueur, le 1 er septembre 2013, de l'Accord de stabilisation et d'association (ASA) avec l'Union européenne. Il existe un consensus en Serbie en faveur de l'adhésion à l'Union européenne et des réformes qu'elle implique. Il appartient aux États membres de l'encourager, tant elle permet de tourner définitivement la page des conflits sanglants qui ont déchiré la région.

C'est dans ce contexte qu'une délégation de la commission des affaires européennes, présidée par M. Simon Sutour (Gard - SOC) et composée de Mlle Sophie Joissains (Bouches-du-Rhône - UMP) et Michel Billout (Seine-et-Marne - CRC), s'est rendue à Belgrade du 4 au 6 novembre derniers. Le présent rapport tire les enseignements des entretiens réalisés sur place et détaille les priorités des négociations à venir entre l'Union européenne et la Serbie.


La Serbie en quelques chiffres

Superficie : 77 474 km²

Population : 7,121 millions d'habitants

PIB (2012) : 33,17 milliards d'euros

PIB par habitant (2012) : 4 280 €

Taux de croissance (2012) : - 1,3 %

Taux de croissance (estimation 2013) : + 1,8 %

Solde budgétaire (2012) : - 6,7 % du PIB

Taux d'endettement (2013) : 65,1 % du PIB

Taux de chômage : 25 %

Principaux clients : Allemagne, Italie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro

Principaux fournisseurs : Russie, Allemagne, Italie, Chine

I. LE LONG CHEMIN VERS L'ADHÉSION

A. DES SANCTIONS À L'ACCORD DE STABILISATION ET D'ASSOCIATION

Le rapprochement entre l'Union européenne et la Serbie a longtemps été tributaire du contexte régional. Les relations entre Bruxelles et Belgrade se sont limitées, jusqu'au départ de Slobodan Milosevic en octobre 2000, à la mise en oeuvre par l'Union européenne de mécanismes d'embargo contre la Yougoslavie, impliquée dans la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995) puis dans les répressions violentes au Kosovo (1998-1999). Le pays, auquel est alors relié le Monténégro, est néanmoins intégré à l'Approche régionale lancée en 1997 par l'Union, destinée à stabiliser les pays des Balkans en vue d'une adhésion à terme. Un régime d'aide financière conditionné à la mise en oeuvre de réformes politiques est ainsi mis en place.

La Serbie peut, à partir d'octobre 2000, s'inscrire pleinement dans la dynamique lancée par l'Union à destination de la région suite au Conseil européen de Feira des 19 et 20 juin 2000, les pays des Balkans obtenant le statut officieux de « candidats potentiels ». Le Conseil européen de Thessalonique rappellera, le 21 juin 2003, le soutien de l'Union européenne « à la perspective européenne qui s'offre aux pays des Balkans occidentaux ».

Reste que cette intégration est rapidement ralentie par les questions ayant trait à la coopération de la Serbie au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et au règlement du conflit gelé au Kosovo. De fait, si Belgrade participe dès l'origine au processus de stabilisation et d'association (PSA) qui succède à l'Approche régionale en 2000, l'ouverture effective des négociations en vue de la conclusion d'un accord de stabilisation et d'association (ASA), aboutissement logique du PSA, n'interviendra qu'en octobre 2005, soit cinq ans après la Croatie et la Macédoine, trois ans après l'Albanie, et deux ans après le Monténégro. L'Union européenne a privilégié pour ce dernier pays un traitement différencié au sein de l'Union de Serbie-et-Monténégro, créée en 2003 sous son égide, anticipant ainsi l'accession du Monténégro à l'indépendance en juin 2006.

L'absence de collaboration effective avec le TPIY a longtemps constitué la raison majeure du ralentissement observé dans le rapprochement avec l'Union européenne. L'ouverture des négociations en vue de la conclusion d'un ASA en 2005 n'intervient qu'à la suite du transfert de plusieurs personnalités poursuivies, dont l'ancien chef d'état-major de l'armée yougoslave, Momèilo Periiæ. L'Union européenne a entre-temps fait de cette coopération avec la justice internationale un des éléments clés pour évaluer l'opportunité d'ouvrir des négociations en exigeant l'adoption d'un cadre légal approprié en vue de l'arrestation des fugitifs, visant nommément Ratko Mladiæ et Radovan Karadúiæ, poursuivis en raison de leur participation au conflit en Bosnie-Herzégovine.

L'article 4 de l'Accord de stabilisation et d'association signé en 2008 avec Belgrade prévoit ainsi expressément une pleine coopération avec le TPIY. L'ASA instaure également une zone de libre-échange avec l'Union européenne dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur. Il définit également des objectifs politiques et économiques communs et encourage la coopération régionale. Dans le cadre de l'adhésion, il doit servir de fondement à la mise en oeuvre du processus d'adhésion et prépare ainsi à la convergence de la législation avec l'acquis communautaire en vue de garantir la libre circulation des travailleurs, la liberté d'établissement, et la libre-prestation de services sur le territoire serbe.

L'absence de résultats tangibles avec le TPIY va cependant conduire à différer la ratification de l'ASA et l'examen de la candidature à l'adhésion déposée par Belgrade le 22 décembre 2009. Il faudra attendre l'arrestation de Radovan Karadzic en juin 2010 pour voir le processus de ratification lancé par le Conseil. Les réserves exprimées par un certain nombre d'États, à l'instar de la Belgique et des Pays-Bas, n'ont été officiellement levées qu'après le transfert à La Haye de Ratko Mladiæ et de Goran Hadúiæ en 2011. De fait, l'Accord de stabilisation et d'association n'est entré en vigueur que le 1 er septembre 2013. La Serbie avait, entre temps, obtenu le statut de candidat en mars 2012, 15 ans après son intégration à l'Approche régionale. La Croatie n'aura, quant à elle, attendu que 7 ans, la Macédoine 8 ans.

Les crédits accordés à la Serbie par l'Union européenne

Les crédits accordés par l'Union européenne à la Serbie s'élèvent en 2013 à 197 millions d'euros, compte tenu des programmes régionaux auxquels elle participe. 179 millions d'euros visent directement le renforcement des capacités institutionnelles du pays (172 millions d'euros en 2012) et plus particulièrement le soutien à la transposition dans le droit national de la législation européenne.

146 millions d'euros sont directement gérés par Belgrade et répondent à une approche sectorielle :

- 21 % des crédits visent la reprise de l'acquis communautaire en matière d'environnement et d'énergie ;

- 18 % des crédits financent des actions de soutien au développement du secteur privé, via notamment des subventions à la création d'infrastructures au sein de 34 municipalités du Sud et du Sud-Ouest de la Serbie ;

- 16 % des crédits sont affectés au soutien à l'intégration européenne et à la mise en oeuvre du dialogue Pristina-Belgrade ;

- 13 % des crédits sont attribués à des actions de jumelage en faveur de la formation des magistrats, de la lutte contre la corruption et la criminalité organisée et en faveur de l'alignement des politiques d'asile ;

- 13 % des crédits concernent le développement social et plus particulièrement la formation professionnelle, le financement d'infrastructures sociales et l'accès aux soins (notamment pour les Roms) ;

- 9 % des crédits ciblent le secteur des transports, qu'il s'agisse de la reprise de l'acquis ou le développement de la navigation fluviale sur le Danube ;

- 6 % des crédits servent à la réforme de l'administration publique, avec pour priorité le contrôle des finances publiques, la modernisation des structures fiscales et la mise en place d'une nouvelle règlementation en matière de marchés publics ;

- 2 % des crédits participent à la mise en place d'un système de contrôle des maladies animales.

B. UNE OUVERTURE DES NÉGOCIATIONS D'ADHÉSION LOGIQUE

La Serbie a obtenu le statut de pays candidat à l'Union européenne en mars 2012. Le Conseil européen de décembre 2011 lui avait préalablement adressé une feuille de route précise. Au-delà des réformes techniques visant ses structures juridiques et économiques, la Serbie devait s'engager de façon plus déterminée dans le dialogue avec les autorités du Kosovo et poursuivre sa collaboration avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

1. Un engagement clair à solder le passé

La position serbe en faveur d'une adhésion à l'Union européenne s'est définitivement - et paradoxalement - concrétisée depuis l'arrivée au pouvoir des partis nationalistes en mai 2012. Le processus de normalisation des relations avec le Kosovo n'a d'ailleurs été rendu possible que par la conversion à l'idée européenne d'une partie des formations radicales présentes sur la scène politique serbe, qu'il s'agisse du parti socialiste - le SPS - ancien parti de Slobodan Miloeviæ (et dont est issu l'actuel Premier ministre Ivica Daèiæ) ou du parti progressiste serbe - le SNS - plus à droite (dirigé par le Président de la République Tomislav Nikoliæ et le Vice Premier ministre Aleksandar Vuèiæ). Une nouvelle génération politique, plus jeune et plus féminisée, a révisé des positions jusque-là considérées comme intangibles pour accélérer le rapprochement avec l'Union européenne. Le cas du Kosovo, considéré par ces formations comme le berceau de la civilisation serbe, est assez révélateur. Compte tenu de leurs histoires respectives, ces formations étaient peut-être les seules à pouvoir faire accepter un désengagement progressif de la Serbie au Kosovo. Le SNS, issu en 2008 du parti radical (SRS) de l'ultranationaliste Vojislav eelj, quand il était dans l'opposition, ou le SPS, déjà membre de la coalition gouvernementale entre 2009 et 2012, considéraient jusqu'alors le statut du Kosovo comme une ligne rouge à ne pas franchir.

Cette position a eu une incidence certaine sur celle du parti démocrate (DS) au pouvoir jusqu'en 2012. Si l'ancrage européen de la formation de l'ancien président de la République Boris Tadiæ et du Premier ministre Zoran Ðinðiæ, assassiné en 2003 par des ultra nationalistes, n'est pas à remettre en cause, la politique étrangère du gouvernement précédent est à analyser à l'aune de cette opposition supposée irréductible. La théorie dite des « quatre piliers » avancée par l'ancien ministre des affaires étrangères, Vuk Jeremiæ, a pu faire douter de la volonté des autorités d'accomplir les réformes indispensables en vue de se rapprocher de l'Union européenne. Belgrade avançait ainsi quatre options pour son avenir : l'intégration au sein de l'Union, une association sur le modèle des liens qui unissent aujourd'hui l'Union européenne à la Suisse ou à la Norvège, un rapprochement avec la Russie (comme en atteste la signature d'un partenariat stratégique entre les deux États en 2011) ou un partenariat privilégié avec des pays non-alignés. Cette volonté affichée sans être réellement étayée de ne pas se focaliser sur l'Union européenne était principalement motivée par une incapacité objective à avancer sur la question du Kosovo, faute de consensus politique sur les suites à donner. Le précèdent gouvernement a tout juste pu mettre en oeuvre un dialogue technique avec les autorités kosovares.

Celui-ci a pris une nouvelle dimension, près d'un an après l'arrivée au pouvoir de la coalition SPS-SNS avec la signature, sous l'égide de l'Union européenne, d'un accord à Bruxelles le 19 avril 2013 qui ouvre un processus de normalisation des relations entre les deux pays. La coopération avec le TPIY relancée par le précédent gouvernement, s'est également maintenue, alors que là encore, une telle inclination n'était pas forcément attendue d'un gouvernement réunissant des courants nationalistes. La population serbe considère par ailleurs que ce Tribunal « ne condamne que des Serbes ».

Outre la normalisation des relations avec le Kosovo, qui faisait figure de priorité pour un certain nombre d'États membres de l'Union européenne au premier rang desquels l'Allemagne, le gouvernement serbe a souhaité insister sur le rapprochement avec les pays voisins, qu'il s'agisse des États issus de l'ex-Yougoslavie - prise de distance avec la Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine, rencontres à haut niveau avec les autorités croates - mais aussi avec certains membres de l'Union européenne comme la Hongrie, au travers de la reconnaissance mutuelle des massacres commis pendant la guerre. L'actuel gouvernement poursuit une politique initiée par son prédécesseur, marquée par le déplacement de l'ancien président de la République dans la ville martyre croate de Vukovar le 4 novembre 2010, précédée en mars 2010 d'une déclaration du Parlement serbe condamnant le massacre des Bosniaques par les Bosno-Serbes à Srebrenica en 1995.

2. La volonté affichée d'adopter rapidement l'acquis communautaire

Un plan national de reprise de l'acquis communautaire étalé de 2013 à 2016 a été adopté par le gouvernement le 28 février 2013. Il vient compléter un plan d'action mis en oeuvre en décembre 2012 pour répondre aux demandes contenues dans le rapport de progrès 2012 de la Commission européenne.

La Commission européenne s'est, par ailleurs, montrée satisfaite à la mi-mai 2013 des réformes entreprises par les autorités serbes en matière de justice et d'État de droit. La stratégie de réforme 2014-2018 devrait ainsi permettre de rationnaliser la carte judiciaire, d'introduire la profession de notaire et d'établir définitivement celle d'huissier afin de mieux traiter l'arriéré judiciaire et de renforcer les hauts conseils des magistrats du siège et du parquet.

Le gouvernement a également adopté fin juin un plan d'action de lutte contre la corruption 2013-2018. Il prévoit notamment le traitement de 24 affaires emblématiques, le renforcement de la coordination interservices, l'extension de l'abus de pouvoir aux opérateurs privés ou la prévention des conflits d'intérêt. Des groupes de travail ont, en outre, été mis en oeuvre afin de lutter contre les discriminations, face aux menaces pesant notamment sur les Roms et les lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et intersexués (LGBTI).

Au regard de ces éléments positifs, la décision d'ouvrir des négociations d'adhésion, prise par le Conseil européen les 27 et 28 juin derniers, est apparue logique. La Commission européenne s'y était d'ailleurs déclarée favorable le 22 avril 2013.

C. LA DÉFINITION DU CADRE DE NÉGOCIATION

1. Les priorités de la Commission européenne

Le gouvernement serbe espère un processus d'adhésion relativement court, entre quatre à cinq ans, pouvant aboutir à une adhésion à l'horizon 2020. Elle compte, à cet effet, quelques relais au sein du Conseil. Les « amis de la Serbie » réunissent ainsi la Slovaquie, la République tchèque, la Pologne et la Hongrie. Ces quatre pays s'étaient opposés fin juin à ce que l'ouverture des négociations soit de nouveau soumise à un rapport de progrès.

La date d'ouverture effective des négociations n'a pour autant pas été fixée précisément par le Conseil européen des 27 et 28 juin derniers. Ses conclusions font état d'une première conférence intergouvernementale prévue au plus tard le 1 er janvier 2014 .

Le préalable à l'ouverture des négociations consiste en l'adoption par le Conseil d'un cadre pour celles-ci. La proposition de cadre de négociations présentée par la Commission du 22 juillet dernier insiste sur deux points : les chapitres 23 (pouvoir judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (justice, liberté, sécurité) d'un côté et le Kosovo de l'autre.

La priorité accordée aux questions ayant trait à l'État de droit rejoint la nouvelle approche des négociations d'adhésion validée en décembre 2011 par le Conseil et déjà mise en oeuvre pour le Monténégro. Des critères devraient également être définis en vue de surveiller l'adoption d'un dispositif institutionnel destiné à encadrer les négociations techniques sur ces chapitres. Le texte prévoit en outre la possibilité de stopper le travail technique sur d'autres chapitres de négociation si des retards venaient à être enregistrés dans ce domaine. Le Conseil statuerait alors à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission ou d'un tiers des États membres. Cette option peut s'accompagner d'une suspension de certains fonds de préadhésion.

La question du Kosovo est, quant à elle, plus épineuse, faute d'unanimité au sein de l'Union européenne sur son statut. Intégrée au sein du chapitre 35 (questions diverses), elle fait cependant figure de priorité. La Commission européenne répond ainsi à certains États, à l'image de l'Allemagne, qui souhaitent maintenir une forme de pression sur la Serbie pour qu'elle mène à bien le processus de normalisation des relations avec le Kosovo. Le traitement réservé à cette question sera identique à celui des chapitres 23 et 24 : tout retard enregistré dans ce dossier entraînant la suspension des négociations dans d'autres domaines. La Commission entend fixer des objectifs d'amélioration visible et durable des relations avec le Kosovo, l'ambition affichée consistant en une normalisation complète des rapports entre les deux États.

L'analogie entre les chapitres 23 et 24 d'un côté et 35 de l'autre demeure cependant limitée dans les faits. Les négociations par chapitres s'ouvrent habituellement par la définition par l'Union européenne de sa position et par le pays candidat de la sienne . Il semble délicat de demander à la Serbie d'avancer une position précise et consignée par écrit sur l'évolution de ses relations avec le Kosovo, compte tenu de la sensibilité politique, historique et culturelle du dossier dans le pays et de son refus réitéré de reconnaître officiellement l'indépendance de son ancienne province. Le pragmatisme qui a présidé à la conclusion de l'accord de Bruxelles du 19 avril devra, à cet égard, être respecté dans l'intérêt de toutes les parties. La Commission européenne semble avoir fait sienne cette option en envisageant une position de négociation assez générale pour la Serbie, dans le cadre de laquelle elle s'engagerait à mettre en oeuvre intégralement les accords obtenus à l'occasion de la procédure de dialogue entre l'Union européenne, Belgrade et Pritina, initiée en mars 2011.

L'indépendance du Kosovo et l'Union européenne

Le Kosovo a déclaré de façon unilatérale son indépendance le 17 février 2008, neuf ans après la fin du conflit entre les combattants de l'armée de libération du Kosovo (UCK) et l'armée serbe. L'accession à l'indépendance vient sanctionner l'échec des négociations menées avec les autorités serbes. Celles-ci militaient, en effet, pour une autonomie renforcée, en s'appuyant sur les termes de la résolution 1244 adoptée par les Nations unies le 10 juin 1999, selon laquelle la province administrée par une mission internationale - la MINUK - demeurait de jure serbe.

Les négociations sur le statut du Kosovo entamées en 2006 à Vienne sous l'égide de l'envoyé spécial des Nations unies, Marti Ahtisaari, et du groupe de contact réunissant les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l'Italie et la Russie, excluaient d'emblée trois options : la partition du pays, la division puis le rattachement aux pays voisins - Serbie et Albanie -, et le maintien du statu quo.

La Cour internationale de justice, saisie par l'Assemblée générale des Nations unies à la demande de la Serbie a néanmoins émis, le 22 juillet 2010, un avis consultatif estimant la déclaration d'indépendance du Kosovo conforme au droit international. L'avis de la Cour est cependant extrêmement prudent puisqu'il ne concerne pas le droit du Kosovo à accéder à l'indépendance mais uniquement la déclaration elle-même.

La France et 22 autres États membres de l'Union européenne ont reconnu l'indépendance du Kosovo. La République de Chypre, l'Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie y sont toujours hostiles, craignant qu'une telle reconnaissance puisse apparaître comme une incitation à la sécession. La Grèce comme la Slovaquie montrent cependant des signes d'assouplissement avec l'ouverture de bureaux commerciaux bilatéraux. 99 États sur les 193 membres des Nations unies ont, par ailleurs, reconnu l'indépendance du Kosovo.

Le cadre de négociation doit être désormais confirmé par le Conseil des ministres, avant transmission au Conseil européen prévu les 19 et 20 décembre 2013. Celui-ci déterminera alors la date effective d'ouverture des négociations.

Cette relative imprécision sur la date d'ouverture effective des négociations est souvent analysée par les observateurs locaux comme la volonté de faire in fine accepter à la Serbie l'adhésion du Kosovo aux Nations unies.

2. L'accord de Bruxelles du 19 avril 2013 et ses incidences sur l'ouverture des négociations

L'accord de Bruxelles du 19 avril 2013 vient couronner un rapprochement entre le Kosovo et la Serbie entamé en mars 2011 sous l'égide de l'Union européenne. Il convient, à cet égard, de saluer l'action de la Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Des accords « techniques » ont pu ainsi être conclus le 2 juillet 2011 sur la liberté de circulation, la reconnaissance mutuelle des diplômes et l'état civil), le 2 septembre 2011 sur le cadastre et les tampons douaniers, le 2 décembre 2011 sur la gestion intégrée des frontières et le 24 février 2012 sur la participation du Kosovo aux forums régionaux. Les deux pays ont par ailleurs rétabli leurs échanges commerciaux. Les discussions ont pris un tour plus politique le 19 octobre 2012, suite à une rencontre entre les Premiers ministres serbe et kosovar, MM. Ivica Daèiæ et Hashim Thaçi, lançant véritablement un processus de normalisation des relations entre les deux États. Une vingtaine de réunions entre chefs de gouvernement ont, depuis, été organisées.

L'accord de Bruxelles traduit cette évolution positive. Il prévoit la dissolution de structures municipales parallèles serbes (municipalités, écoles, hôpitaux) financées par Belgrade et leur remplacement par des municipalités élues selon la loi électorale kosovare, un scrutin devant être organisé les 3 novembre et 1 er décembre 2013. Le texte insiste également sur l'intégration de la police du Nord Kosovo majoritairement serbe au sein de la police du Kosovo. Il en va de même pour les autorités judiciaires du Nord Kosovo désormais appelées à fonctionner dans le cadre juridique du Kosovo. Le point 14 stipule en outre qu'aucune des deux parties ne bloquera, ou n'encouragera les autres à bloquer, le progrès de l'autre partie sur son chemin vers l'Union européenne.

Belgrade refuse pour autant de voir dans cet accord une remise en question du rattachement du Kosovo, qui reste à ses yeux une province de jure serbe. Pas en avant indéniable en vue de la normalisation des relations entre Belgrade et Pristina, l'accord de Bruxelles maintient donc une forme d'ambiguïté sur le statut du Kosovo, une ambiguïté constructive selon la formule retenue par un certain nombre d'observateurs.

Certains États - l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Finlande et les Pays-Bas - souhaitent que cet accord, et plus particulièrement le point 14, devienne désormais juridiquement contraignant. Cette position s'appuie sur le fait que le statut juridique de l'accord peut apparaître flou : le texte a été examiné par le Parlement serbe comme une annexe d'un rapport du gouvernement, document néanmoins approuvé à une majorité de plus des deux tiers.

L'ambition affichée notamment par le Royaume-Uni est de parvenir à la signature d'un accord semblable à celui du traité fondamental entre les deux Allemagnes, signé le 21 décembre 1972. Le texte prévoyait alors le développement de relations normales de bon voisinage fondées sur l'égalité des droits, l'inviolabilité des frontières communes et le respect de l'intégrité territoriale, et la renonciation réciproque à représenter l'autre État sur le plan international. Les deux pays s'engageaient, par ailleurs, à respecter l'indépendance et l'autonomie de chacun des deux États dans ses affaires intérieures et extérieures. C'est cette normalisation des relations entre les deux Allemagnes qui a d'ailleurs permis aux deux États d'être admis conjointement au sein de l'Organisation des Nations unies (ONU) le 18 septembre 1973. Ce faisant, la Grande-Bretagne souhaite éviter une situation de type chypriote, où un État membre bloque l'adhésion d'un autre.

Aux yeux de Londres et de ses partenaires, la pleine normalisation des relations et le caractère contraignant de l'accord doivent donc figurer parmi les critères de clôture du chapitre 35. Ces États insistent également pour que la question de la normalisation des relations avec le Kosovo soit intégrée à la totalité des chapitres de négociations. Ils estiment enfin que le non-respect des engagements pris par la Serbie aux termes de l'accord de Bruxelles doit conduire à la suspension totale des négociations.

Il est regrettable que ces pays considèrent avec défiance la Serbie au travers d'un prisme hérité de la guerre. Rappelons que celle-ci a éclaté au début des années quatre-vingt-dix, soit il y a plus de vingt ans. Le personnel politique serbe a depuis changé et la rhétorique nationaliste semble désormais confinée à des formations politiques minoritaires sur la scène politique locale. Seul le DSS, le parti de l'ancien Premier ministre Vojislav Kotunica, tombeur de Slobodan Miloeviæ lors des élections présidentielles yougoslaves d'octobre 2000, rejette le processus de normalisation. Elle représente aujourd'hui moins de 8 % des intentions de vote. Un consensus s'est véritablement dégagé pour tourner la page. Même l'Église orthodoxe serbe qui avait, dans un premier temps, regretté publiquement l'abandon du territoire serbe « le plus important en termes spirituels et historiques », a réaffirmé sa loyauté à l'égard de l'État le 31 mai 2013.

Il convient, par ailleurs, de rappeler que l'adhésion du Kosovo paraît une option beaucoup plus lointaine que celle de la Serbie, le pays venant seulement d'ouvrir, le 28 octobre 2013, des négociations en vue de la signature d'un accord de stabilisation et d'association. Subordonner le lancement des négociations d'adhésion avec la Serbie à un engagement contraignant de celle-ci à réitérer son refus de bloquer l'adhésion du Kosovo apparaît donc largement prématuré. A l'inverse, cette conditionnalité peut donner le sentiment à Belgrade de voir son adhésion à l'Union européenne dépendre du bon vouloir de Pristina.

Les cinq États membres qui n'ont pas reconnu le Kosovo refusent, quant à eux, que l'accord de Bruxelles devienne contraignant, ce qui serait assimilé à une reconnaissance de l'indépendance de l'ancienne province serbe. La Suède soutient également cette position.

Le cadre de négociation présenté par la Commission, qui prend à la fois en compte les nouvelles orientations de la politique d'élargissement concernant l'État de droit et la spécificité de la question kosovare, paraît relativement bien équilibré. Faire de la normalisation des relations avec le Kosovo l'élément déterminant des négociations d'adhésion paraît de fait exagéré. Cette vision mésestime les efforts déjà accomplis par les formations politiques au pouvoir à Belgrade et introduit une forme de surenchère permanente, difficilement acceptable par l'opinion publique serbe et susceptible de fragiliser la position du gouvernement. Il existe dans le pays une réelle envie d'Europe qu'il convient avant tout d'encourager. Le pragmatisme observé au sein du gouvernement serbe doit être respecté. La position de l'Allemagne et de ces alliés ignore de surcroît la position réservée de certains États membres sur le statut du Kosovo. Il convient en outre de rappeler, comme le fait le gouvernement français, que le cadre de négociation ne peut fixer les critères de clôture d'un chapitre, celle-ci étant décidée par le Conseil à l'unanimité.

L'Allemagne attend, en tout état de cause, un nouveau rapport de la Commission sur l'application de l'accord du 19 avril avant de se prononcer sur l'ouverture des négociations. Le Royaume-Uni milite également pour qu'un point soit effectué à l'occasion de l'adoption du cadre de négociation par le Conseil des ministres. De son côté, la Commission européenne semblait initialement encline à présenter un rapport de « criblage » sur cette question en mars-avril prochain, à l'instar de celui qu'elle prépare pour les chapitres 23 et 24. Ce document devrait permettre de vérifier si l'accord est bien mis en oeuvre et conclure à l'ouverture des négociations sur le chapitre 35. À l'inverse, les retards et les difficultés constatés pourraient devenir des obstacles à l'ouverture du chapitre.

Dans ce contexte délicat, tout conduit à penser que l'ouverture des négociations ne sera pas effective avant le mois de janvier 2014.

II. LES PRIORITÉS DES NÉGOCIATIONS D'ADHÉSION

La priorité pour le gouvernement serbe semble désormais de s'atteler aux réformes structurelles, juridiques et économiques, même si la question du Kosovo n'est, pour l'heure, pas totalement réglée. Le remaniement du gouvernement intervenu début septembre 2013 s'inscrit dans cette logique.

Ce changement d'équipe a été présenté par le Premier ministre et le Vice Premier ministre comme le signe d'une nouvelle façon de faire de la politique. Les ministres (Économie et finances, Culture, Développement régional, Agriculture, Affaires européennes, Éducation et Transports notamment) qui ont quitté le gouvernement ont été remerciés au terme d'une évaluation de leur travail. L'ambition affichée était également de mettre en avant des experts dans leur domaine, plus jeunes, avec pour objectif de s'atteler désormais à l'ajustement structurel induit par des négociations d'adhésion.

Cet engagement européen ainsi réaffirmé s'est paradoxalement traduit par le départ de la coalition gouvernementale du parti pro-européen Régions unies de Serbie (URS), qui détenait le poste de l'Économie et des finances - Mlaðan Dinkiæ, également vice Premier ministre, occupait déjà ces fonctions avant l'alternance de 2012 - et des affaires européennes (Suzana Grubjeiæ). Au plan politique, le nouveau cabinet reflète en tout état de cause la montée en puissance du SNS au sein de la coalition. En cas d'élections anticipées, celui-ci resterait le premier parti du pays avec plus de 40 % des intentions de vote, loin devant le Parti démocratique - DS (12 %) - et le SPS (10,6 %).

Répartition des forces politiques au Parlement de Serbie (250 sièges)

Parti ou Coalition

Score le 6 mai 2012

Nombre de sièges au Parlement

Parti progressiste serbe - SNS

24,40 %

73

Parti démocratique - DS

22,70 %

67

SPS (socialistes) - PUPS (retraités) - JS

14,50 %

44

Parti démocratique de Serbie - DSS

7,00 %

21

Parti libéral démocrate -LDP

6,53 %

19

Parti des régions - URS

5,50 %

16

Alliance des Hongrois
de Voïvodine

NS

5

Partis des minorités

NS

4

Indépendants

NS

1

Ce rapport de force politique semble appeler à perdurer en 2014, année au cours de laquelle pourraient avoir lieu des élections générales anticipées. Le Parti démocratique (DS) de l'ancien président de la République Boris Tadic semble notamment fragilisé par les enquêtes le visant. La destitution, pour mauvaise gestion, de son poste de maire de Belgrade du président du DS, Dragan Ðilas, le 24 septembre 2013 a accentué la crise profonde que traverse la principale force de l'opposition. Les élections municipales de Vrbas le 13 octobre dernier confirment cette impression avec la défaite de l'équipe sortante issue du DS. La coalition gouvernementale ne semble pas, pour l'heure, fragilisée par les positions historiques qu'elle a adoptées sur la question du Kosovo ou par les sacrifices qu'impliquent les réformes structurelles annoncées . Les prochains mois devraient permettre de vérifier si, comme le prévoient certains observateurs, l'instauration du clivage droite-gauche jusque-là occulté par la question du Kosovo devient une réalité et affecte pour partie la dynamique qui semble porter le SNS.

Il semble, en tout état de cause, exister un véritable appui de l'opinion publique sur la politique menée. Si selon les enquêtes d'opinion, 52 % de la population soutient la perspective d'adhésion à l'Union européenne, 68 % souhaite avant tout l'adoption de réformes structurelles.

C'est dans ce contexte que le gouvernement serbe a installé un organisme ministériel de coordination, des groupes d'experts et 35 sous-groupes sectoriels avec des représentants des ministères. Ces structures travailleront au côté d'une équipe de négociation resserrée.

Dans le même temps, la Serbie devra présenter une position générale de négociation, destinée à présenter les principaux domaines dans lesquels des adaptations ou des périodes transitoires seront requises. L'environnement - le coût de l'alignement sur les normes communautaires est estimé à 13 milliards d'euros - et l'agriculture seraient notamment concernés. Les autorités ont déjà anticipé ce travail en adoptant, en février 2013, le programme national de reprise de l'acquis. Il apparaît cependant que certains des axes définis à cette occasion l'ont été avec une certaine précipitation, dans un contexte marqué par la faiblesse d'un appareil administratif soumis à de nombreuses restrictions budgétaires. Le rapport de progrès de la Commission européenne, présenté le 16 octobre, insiste, en outre, sur la nécessité de décloisonner le travail ministériel pour la préparation puis la mise en oeuvre des réformes structurelles. Bruxelles regrette que celles-ci, une fois adoptées, ne soient pas toujours effectives.

Au-delà de son administration, le gouvernement entend s'appuyer sur le Parlement serbe. Il convient à ce titre de saluer le travail de veille déjà effectué par sa commission pour l'intégration européenne. Le rapport de progrès 2013 de la Commission européenne souligne ainsi la qualité de son examen des rapports présentés par le gouvernement serbe visant la reprise de l'acquis communautaire. Une commission parlementaire dédiée à la mise en oeuvre de l'Accord de stabilisation et d'association vient également d'être constituée.

La Commission regrette cependant que la préparation des projets de lois par le gouvernement ne soit pas encore totalement transparente et que la consultation des acteurs concernés par ces textes ne soit pas efficiente. Les avis des autorités administratives indépendantes ne semblent pas suffisamment pris en compte, à la fois par le gouvernement mais aussi par le Parlement. Il convient, à cet égard, de saluer l'initiative de l'ambassade de France à Belgrade de favoriser la réunion des organisations non gouvernementales locales dédiées à la promotion des droits de l'Homme au sein de l'association PrEUgovor , appelée à devenir un interlocuteur clé pour les autorités serbes. Les ONG pourraient de la sorte être mieux associées aux négociations avec l'Union européenne, à l'image de ce qui avait pu être fait en Slovaquie dans le cadre de la préparation de l'adhésion de ce pays.

Côté Commission européenne, l'examen analytique de l'acquis (« criblage ») qui vient d'être entamé sur les questions relevant des chapitres 23 et 24 devrait se poursuivre sur les autres chapitres jusqu'en 2015.

A. LES CHAPITRES 23 ET 24

En attendant l'ouverture effective des négociations, mandat a été donné à la Commission pour qu'elle commence le « criblage » en ce qui concerne les chapitres 23 « Pouvoirs judiciaires et droits fondamentaux » et 24 « Justice, liberté et sécurité ». Si l'adoption de stratégies et de plans d'action en matière de réforme judiciaire et de lutte contre la corruption en juin 2013 est incontestablement un bon signal envoyé à l'Union, il convient désormais que les autorités serbes aillent plus avant en la matière.

1. La réforme judiciaire

Comme l'a souligné le rapport de progrès de la Commission européenne, la stratégie de réforme judiciaire 2014-2018 adoptée par le gouvernement doit désormais être effectivement mise en oeuvre. La réforme doit permettre de garantir la sécurité juridique des citoyens serbes, par l'intermédiaire notamment d'une réduction des délais judiciaires, mais aussi des investisseurs étrangers.

La première des priorités en la matière a constitué pour l'actuel gouvernement en la réintégration des magistrats limogés par son prédécesseur en 2009. L'adoption d'une nouvelle Constitution en 2006 s'est traduite au plan judiciaire par le retour au principe de l'élection des juges par le Parlement, supprimé en 1990 au profit de celui de l'inamovibilité. Ce bouleversement statutaire s'est accompagné d'une procédure de vérification des juges en place, aucun remplacement n'étant intervenu après la chute de Slobodan Miloeviæ en 2000. Menée par le Haut Conseil de la Justice pour les magistrats du siège et le Conseil des procureurs de l'État, cette véritable procédure de lustration a débouché sur la révocation (non-élection) en décembre 2009 de 837 juges et 220 magistrats du parquet, soit un tiers de l'appareil judiciaire serbe. L'absence de transparence de cette procédure
- aucune audition des magistrats mis en cause, aucune notification des faits susceptibles d'être incriminés, pas de motivation des décisions - a été dénoncée par l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, alors même que la réforme été présentée par le gouvernement comme un élément de rapprochement avec l'acquis communautaire. Les autorités serbes ont alors mis en oeuvre une procédure de révision qui a abouti en mai 2012 à la réintégration de 141 juges et 55 procureurs. Le dispositif n'a pas néanmoins présenté toutes les garanties demandées. Saisie par les juges révoqués, la Cour constitutionnelle serbe a finalement annulé en juillet et octobre 2012 les décisions de 2009 et permis la réintégration des juges « non-élus ».

Les autorités souhaitent désormais garantir l'indépendance de la justice en suivant deux axes :

- Renforcer le rôle du Haut Conseil de la Justice et le Conseil des procureurs de l'État dans la nomination des magistrats ;

- Consolider celui de l'Académie judiciaire dans le recrutement et la formation des juges.

Depuis 2009, seuls les diplômés de l'Académie judiciaire peuvent accéder à la magistrature. Toutefois, la procédure de nomination reste encore dépendante du pouvoir politique puisque la Constitution prévoit que chaque magistrat et chaque président de tribunal est élu à la majorité simple des membres du Parlement serbe sur proposition des Hauts Conseils. Ceux-ci sont composés de membres élus par le Parlement, du président de la commission des lois du Parlement, d'un professeur de faculté et du ministre de la justice. Les retards pris, faute de vote au Parlement, dans la nomination des présidents de la Cour de cassation, des cours d'appel, administratives, commerciales et pénales ainsi que des cours d'appel des villes de Belgrade, Ni et Kragujevac viennent souligner les conséquences négatives de ce mode de nomination.

L'Académie judiciaire reste une avancée incontestable en vue de dépolitiser la justice serbe. Il convient désormais d'enrichir les formations qu'elle dispense. Des échanges avec d'autres pays européens ou des stages au sein des juridictions européennes, à l'instar de la Cour européenne des droits de l'Homme et, bien évidemment, de la Cour européenne de justice permettraient aux futurs juges de mieux appréhender le système conventionnel et le droit communautaire dans lequel la justice serbe est appelée à s'intégrer progressivement. La réforme judiciaire en cours d'adoption doit d'ailleurs aboutir à une harmonisation du Code pénal et du Code civil avec l'acquis communautaire.

Certains observateurs relèvent néanmoins que l'Académie ne propose pas encore toutes les garanties d'indépendance, un tiers des membres de son conseil d'administration étant nommés par le ministère de la justice. Ce conseil a eu un rôle déterminant dans la composition de la première promotion des élèves (18 élèves), prêtant notamment le flanc aux accusations de népotisme.

Il convient également de s'interroger sur le statut des juges dit « de petite correctionnelle ». Visant les délits mineurs, ils peuvent prononcer des peines d'emprisonnement allant jusqu'à 90 jours. Reste que ces juges
- 606 au total, un million de décisions par an - ne sont pas intégrés au sein de l'ordre juridictionnel général.

La Commission européenne souligne enfin la nécessité de renforcer le Code de déontologie des juges et procureurs, adopté en octobre 2013. La procédure permettant de lever l'immunité des juges et des procureurs reste pour l'heure largement inutilisée - deux cas en 2013 - alors même que de nombreuses suspicions de corruption pèsent sur certains d'entre eux.

La justice pâtit plus largement de l'inefficacité relative de la lutte contre la criminalité organisée. Si la coopération interservices, régionale ou internationale tend à porter ses fruits, les peines tardent à être prononcées. L'absence de système intégré d'échanges de données entre la police, les procureurs et les tribunaux pèse également sur la tenue des enquêtes. Il convient par ailleurs de regretter l'absence de moyens humains et techniques en matière de protection des témoins. Le cas est particulièrement patent en matière de lutte contre le trafic des êtres humains, le centre pour la protection des victimes n'étant pas encore fonctionnel. La Serbie est dans ce domaine à la fois un pays d'origine, de transit et de destination.

Ce trafic vise à la fois les femmes et les hommes, vendus notamment sur certains chantiers internationaux, à l'image de ceux lancés pour les Jeux olympiques de Sotchi (Russie) prévus pour l'hiver 2014. Si des campagnes de sensibilisation et des cycles de formation ont été menés, la Commission regrette l'absence de stratégie d'ensemble. La question des délais judiciaires prend ici tout son sens, la durée de la procédure - 22 mois en moyenne - conduisant les trafiquants à ne purger que de petites peines après leur procès, la durée maximale d'emprisonnement pour de telles peines ne pouvant dépasser 3 ans et demi, prison préventive comprise. Le découragement peut alors gagner les victimes. La responsabilité de celles-ci impliquée de force dans certains actes délictueux reste également engagée aux yeux de la justice serbe et peut les conduire à une peine de réclusion, ce qui dissuade là encore le dépôt de plainte.

2. Dépolitiser la lutte contre la corruption

Aux yeux de la Commission européenne, la lutte contre la corruption doit également être intensifiée, sans interférence politique. Sans mésestimer l'apport du plan d'action 2013-2018 par le gouvernement en la matière, elle souhaite que la lutte contre la corruption dépasse le stade de l'effet d'annonce et débouche sur des condamnations effectives.

La stratégie quinquennale du gouvernement adoptée en juillet dernier répond à trois objectifs :

- Renforcer l'indépendance des institutions ;

- Mettre en place des procédures d'audit et de contrôle interne et externe ;

- Protéger les témoins ;

- Mettre en oeuvre des plans adaptés dans les secteurs sensibles : marchés publics, aménagement urbain et territorial, justice, police, éducation et santé.

L'augmentation du nombre d'enquêtes - 140 ouvertes à haut niveau en 2012 contre 115 l'année précédente, 2 690 à un niveau moindre contre 2 270 en 2011 - traduit cependant le volontarisme du gouvernement qui affiche un objectif de « tolérance zéro » en la matière. Le Vice Premier ministre, Aleksandar Vuèiæ, semble, à cet égard, s'être personnellement investi dans ce combat. Reste que cette démarche ne peut occulter la crainte d'une justice sélective et partiale - 57 membres de l'opposition sont ainsi poursuivis dans des affaires de corruption depuis le changement du gouvernement - qui s'appuie sur des campagnes de presse bien orchestrées. L'absence de respect du secret de l'instruction est particulièrement patente 1 ( * ) . Les poursuites visant des personnalités proches de l'actuelle majorité semblent, quant à elles, plus rares. Certains observateurs relèvent ainsi la faible indépendance des organes de lutte anti-corruption. Si une Agence contre la corruption a été mise en place et un procureur dédié nommé, l'essentiel du combat paraît mené par un bureau de renseignement dépendant du ministère de la Défense et dirigé personnellement par le Vice Premier ministre.

Deux angles mériteraient d'être approfondis aux yeux de la Commission européenne : les enquêtes sur le financement des campagnes politiques et la mise en oeuvre du nouveau délit d'« abus de fonction ». Il apparaît indispensable que les services de police comme l'Académie judiciaire soient mieux formés à la lutte contre la délinquance financière. Le manque de moyens et d'expertise est, en outre, souligné.

Par ailleurs, si les mécanismes préventifs ont été instaurés, à l'image des déclarations des biens et revenus des personnalités publiques -283 déclarations en 2012 dont 182 hors délais, 7 plaintes pour fausse déclaration - la Commission relève la faiblesse des dispositifs visant la détection des conflits d'intérêts ou de malversations au sein des entreprises publiques, mais aussi des banques, des compagnies d'assurances ou des sociétés immobilières. Des observations semblables sont portées sur la situation au sein des administrations locales.

3. L'indispensable réforme du secteur public

La Commission pointe également l'absence de réforme de l'administration publique, soulignant qu'aucune stratégie globale n'avait réellement été mise en oeuvre. Le système de recrutement et l'absence de grille des salaires transparente sont notamment mis en exergue. La fonction publique serbe semble notamment caractérisée par le manque de prise en considération du principe méritocratique dans les nominations aux postes de cadres, les procédures manquant de transparence. Ces remarques s'appliquent également pour les recrutements opérés au sein des autorités administratives indépendantes.

Bruxelles relève en outre de profondes divergences entre la fonction publique d'État et les agents des administrations locales. Ceux-ci relèvent du droit privé et leurs capacités et qualifications apparaissent disparates voire insuffisantes.

Le gouvernement semble pour l'heure privilégier deux axes de travail tenant plus au poids du secteur public dans l'économie locale :

- La réduction de ses effectifs, plus de 700 000 agents étant pour l'heure rémunérés par l'État ;

- Une dépolitisation de l'ensemble du secteur.

La loi sur les entreprises publiques s'inscrit dans ce contexte. Elle prévoit ainsi le remplacement des conseils d'administration, trop étoffés et nommés par le pouvoir politique, par des conseils de pilotage, composés d'au maximum sept membres, choisis selon des critères de qualification précis. Le gouvernement a, en outre, annoncé le 9 octobre 2013 la privatisation prochaine de 179 entreprises publiques sur les 572 actuellement détenues par l'État (86 489 emplois). Le maintien à l'équilibre financier de celles-ci représente chaque année 10 % du budget, soit 750 millions d'euros. Le niveau des aides publiques est, d'ailleurs, pour l'heure deux fois supérieur à la moyenne européenne (2 milliards d'euros sur les cinq dernières années). Une agence de privatisation et des amendements à la loi sur les privatisations devraient améliorer la transparence des opérations. La Commission a d'ailleurs obtenu un mandat pour commencer le « criblage » concernant le chapitre 32 des négociations « Contrôle financier ».

Une stratégie nationale de réforme devrait, dans le même temps, être adoptée d'ici à la fin de l'année 2013.

4. Mieux garantir les droits de l'Homme et la protection des minorités

La lutte contre les discriminations, notamment celles qui concernent les Roms et les LGBTI, fait également partie des priorités de travail aux yeux de la Commission européenne. La gay pride a ainsi dû être annulée en 2013, pour la troisième année d'affilée, face aux menaces pesant sur son déroulement. Sur les 144 recommandations adressées à la Serbie par le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, la moitié vise les droits des LGBTI.

En ce qui concerne les Roms, le plan d'action 2012-2014 prévoit l'application des recommandations du séminaire Union européenne - Serbie organisé sur cette question en juin 2011. Les premiers résultats concernant la scolarisation (170 enseignants en langue romani ont été nommés), la santé (75 postes de « médiateurs »), l'employabilité (particulièrement dans la région de Voïvodine) ou leur enregistrement à l'état civil (moins de 1 000 Roms sans papier sur une population estimée à 140 000 personnes) sont ainsi jugés encourageants par la Commission européenne. Restent néanmoins des efforts à faire de la part de Belgrade en vue de lutter effectivement contre les discriminations et garantir aux Roms un égal accès à la protection sociale, à la santé, à l'emploi et à un logement décent. La Commission estime qu'un investissement financier du gouvernement en la matière est indispensable.

Les difficultés de la communauté Rom ne doivent pas occulter les progrès accomplis depuis des années en vue d'intégrer les autres minorités ethniques - 15 % de la population serbe -, même si la situation varie d'une région à l'autre de la Serbie. Les autorités ont ainsi mis en place des Conseils nationaux, représentant chacun des minorités reconnues sur le territoire serbe. 19 minorités et la communauté juive de Belgrade disposent ainsi d'organes représentatifs. Financés sur le budget de l'État, ils disposent de compétences en matière d'éducation et de culture.

La province de Voïvodine, au Nord du pays, qui regroupe 26 minorités - principalement des Hongrois, des Croates et des Slovaques - apparaît comme le territoire le plus avancé, aidé en cela par son statut de province autonome et sa bonne santé économique. Seules 65 plaintes pour discrimination ont été déposées auprès de l' Ombudsman provincial en 2012. Un accord signé en mars 2013 a débouché sur la mise en place d'un dispositif destiné à prévenir tout débordement, la région étant, depuis l'accession en 2010 à l'autonomie, le théâtre de manifestations de mouvements radicaux contestant la légitimité de la coalition à la tête de la province.

La Voïvodine

Le nom de Voïvodine provient de Voïvode qui est le grade le plus important dans l'armée serbe. Avec l'occupation de la Serbie par les turcs ottomans le Voïvode devient aussi gouverneur puis duc au sein de l'Empire d'Autriche-Hongrie. La Voïvodine occupe une partie de la vaste plaine de Pannonie, qui se prolonge en Croatie, en Hongrie et en Roumanie. En Serbie, elle occupe le Nord du pays.

Constituée de vastes étendues plates occupées par de petites cités issues de l'ancien empire austro-hongrois, la Voïvodine rassemble 2 millions d'habitants (65 % de serbes), 26 groupes ethniques différents y cohabitent, l'administration provinciale utilisant six langues (serbe, hongrois, croate, ruthène, roumain et slovaque).

Possession de l'Empire Romain, envahie au V ème siècle par les Lombards puis les Avars, la Voïvodine est colonisée par les Hongrois au IX ème siècle. Des serbes s'y installent à partir de 1690, fuyant les Ottomans. Annexée par l'Autriche, elle est ouverte aux populations d'Europe centrale. Elle n'est rattachée à la Serbie qu'en 1918. Tito lui accorde un statut d'autonomie en 1946, réévalué en 1974 avant d'être aboli en mars 1989. L'autonomie est finalement restaurée en 1996 avec la création d'un Parlement local, composé de 120 membres. 60 sont élus au suffrage universel direct par liste et 60 sont élus individuellement au sein des municipalités de Voïvodine. La capitale administrative de la province est Novi Sad. La loi dite Omnibus, adoptée en février 2002, a permis de déléguer des compétences définies à la province autonome. En décembre 2009, la Serbie accorde in fine une large autonomie à la Voïvodine, effective en 2010. La Voïvodine est de facto la seule province autonome de Serbie, depuis l'accession à l'indépendance du Kosovo en février 2008

Chaque communauté qui se voit attribuer un domaine réservé qui est celui de la culture, de l'éducation et de la langue. Ainsi, un Conseil national de chacune des composantes ethniques de la province peut être créé. Ces comités devront être associés au processus de prise de décision du gouvernement de la province au sein de ce domaine protégé. Le Conseil des communautés nationales représente pour moitié la nationalité majoritaire et pour autre moitié toutes les minorités restantes. Cette assemblée a vocation à se prononcer sur toutes les questions relevant du domaine réservé.

Les données démographiques étaient les suivantes en 2002 :

Serbes 1 321 807 (65,05 %)

Hongrois 290 207 (14,28 %)

Slovaques 56 637 (2,79 %)

Croates 56 546 (2,78 %)

Yougoslaves 49 881 (2,45 %)

Monténégrins 35 513 (1,75 %)

Roumains 30 419 (1,50 %)

Roms 29 057 (1,43 %)

Bunjevcis 19 766 (0,97 %)

Ruthènes 15 626 (0,77 %)

Macédoniens 11 785 (0,58 %)

Ukrainiens 4 635 (0,23 %)

Affiliations régionales 10 154 (0,50 %)

Non déclarés 55 016 (2,71 %)

Les municipalités situées dans la vallée du Preevo, au Sud du pays, à forte dominante albanaise sont, quant à elles, depuis juin 2013, le cadre de négociations entre représentants de la communauté albanaise et gouvernement. Celles-ci ont permis la mise en place d'un programme prévoyant l'intégration des Albanais au sein de l'administration publique, l'amélioration de la scolarisation de leurs enfants et une meilleure intégration économique, ce qui reste cependant difficile sur un territoire considéré comme le plus pauvre du pays, le taux de chômage avoisinant les 60 % de la population active. Cette dynamique positive succède à une crispation entre la communauté albanaise et Belgrade en janvier 2013 au sujet d'une stèle rappelant les combats menés par l'armée de libération de la région (UCPMB) en 19992000.

Le Sandjak, à dominante bosniaque, au Sud du pays, connaît également une situation difficile. La région manque par ailleurs d'infrastructures et souffre de l'absence d'investissements. Certaines parties de cette région, marquée par un niveau de chômage élevé (autour de 50 % de la population active), restent sous-développées aux yeux de la Commission européenne qui appelle l'État serbe à intervenir. La communauté bosniaque est sur place sous-représentée au sein des administrations locales, police et justice comprises. Pour l'heure, les seuls progrès enregistrés tiennent à l'enseignement de la langue introduit depuis le début de l'année scolaire 2013/2014.

5. Vers une révision de la politique de libéralisation des visas ?

Si des progrès notables ont été enregistrés sur la voie de l'adhésion à l'Union européenne, les autorités serbes s'inquiètent d'un retour en arrière en ce qui concerne le régime de libéralisation des visas.

Les visas de tourisme ne sont plus nécessaires depuis décembre 2009. Cependant, les ministres de l'Intérieur de six États membres de l'Union européenne - Allemagne, Autriche, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas - ont récemment exprimé leur inquiétude à la Commission européenne, face au nombre croissant de demandes d'asile de personnes en provenance des Balkans occidentaux. Une telle augmentation participerait de l'engorgement des dispositifs d'accueil, déjà sous tension. Ces pays ont profité du Conseil « Justice et Affaires intérieures » des 25 et 26 octobre 2012 pour demander la mise en place d'une clause de sauvegarde. Celle-ci permettrait de réintroduire les visas, dès lors que des problèmes ou des manquements graves auraient pu être observés. Un projet de règlement est en cours d'élaboration.

Le nombre de demandeurs d'asile en provenance de Serbie au sein des États de l'Union européenne a connu une forte augmentation entre 2011 et 2012, passant de 13 980 à 19 065. L'Allemagne est l'État membre le plus concerné avec un doublement du nombre de demandes, de 6 990 à 12 810. L'augmentation des allocations décidée par la Cour constitutionnelle allemande en 2012 n'est pas étrangère à ce phénomène. La France a, de son côté, enregistré une augmentation significative de ces demandes en 2010, un an après la libéralisation, passant de de 450 à 1 819. Ce chiffre a été ramené à 831 en 2012. Au final, 6 282 personnes ont été reconduites à la frontière serbe en 2012 en provenance d'un État membre, contre 5 150 au cours de l'année précédente. Seules 310 demandes d'asile ont trouvé une issue positive en 2012.

95 % des demandes adressées aux États membres sont issues de la communauté Rom. Les flux sont souvent organisés à l'échelle familiale, une partie de la famille se rendant au sein de l'Union européenne pour déposer une demande d'asile et bénéficier ainsi des allocations versées et qu'elle redistribue au pays, pendant que l'autre partie de la famille reste en Serbie. Un relais est effectué quand la première demande est déboutée. Le reste de la cellule familiale se déplace alors dans un État membre.

Les autorités serbes ont tenté de répondre à cette dérive en adoptant, dès 2011, une loi reprenant les dispositions prévues à l'article 14 de la Convention de Schengen : obligation des voyageurs d'être munis d'un passeport biométrique, d'un billet aller-retour, d'une assurance rapatriement et de justificatifs de ressources financières. Les points de passages vers l'Union européenne étant essentiellement routiers, un renforcement de la coopération avec la Hongrie (Subotica au Nord du pays) et la Croatie (Batrovici à l'Ouest) a été mis en oeuvre. Il se traduit notamment par la création de postes frontaliers communs. Une attention particulière a été portée sur les bus par lesquels transitent 80 % des voyageurs vers l'Union européenne. La loi serbe autorise également la poursuite des agences de voyage et compagnies impliquées, volontairement ou par insuffisance de contrôle, dans le transport d'immigrés illégaux. Pays d'origine, la Serbie est aussi un pays de transit, 13 900 migrants illégaux étant détectés aux frontières du pays (+ 34 % par rapport à 2012).

B. LA POURSUITE DE LA NORMALISATION DES RELATIONS AVEC LE KOSOVO

1. L'indispensable coexistence

L'accord du 19 avril a représenté une avancée indéniable en ce qui concerne les relations entre gouvernements kosovar et serbe. Un comité de mise en oeuvre de l'accord est mis en place avec l'aide de l'Union européenne. Un fonds de développement économique régional pour le Nord a également été créé par le Parlement kosovar le 12 juillet dernier. Il reste à définir les modalités pour que les municipalités à dominante serbe, situées au sud de l'Ibar, comme Graèanica, trpce ou Ranilug, puissent bénéficier de ce fonds. L'Union européenne a également mis en place un fonds destiné aux municipalités du Nord, abondé à hauteur de 15 millions d'euros d'ici à la fin 2013. Cette somme a été portée à 38,5 millions d'euros en 2014, compte tenu de la réallocation de fonds non-utilisés pour la Turquie et la Bosnie-Herzégovine. Ce fonds s'inscrit dans le cadre de l'Instrument de pré-adhésion (IPA). Ses priorités de financement en 2014 seront au nombre de 3 :

- 31 millions d'euros seront affectés au développement économique local : infrastructures municipales, investissements dans les secteurs de l'eau et des déchets ; aide au développement des structures éducatives et subventions aux petites et moyennes entreprises et aux agriculteurs ;

- 5 millions d'euros seront consacrés à la mise en oeuvre des dispositions de l'accord de Bruxelles concernant la justice et la police ;

- 2,5 millions serviront au renforcement des capacités d l'Association des municipalités serbes.

Reste désormais à convaincre sur le terrain la minorité serbe au Kosovo, soit 110 000 personnes, du bien-fondé de cette normalisation.

Il convient, à cet égard, de distinguer les communautés du Sud de l'Ibar (70 000 personnes) et le Nord du pays (40 000 personnes).

Les élections législatives de l'automne 2010 ont montré que les Serbes résidant dans le Sud acceptaient de faire partie du nouveau pays. La décentralisation prévue par le plan de supervision internationale du Kosovo (2007), dit plan Ahtisaari , annexé à la Constitution, paraît y fonctionner convenablement, en dépit de la permanence de problèmes : retours empêchés, mauvaise perception de l'action des autorités kosovares jugée partiale, relations difficiles avec les autres communautés.

Le plan Ahtissari

Les autorités kosovares ont, à l'occasion de l'accession à l'indépendance, indiqué qu'elles entendaient appliquer le plan de l'envoyé spécial des Nations unies pour le Kosovo, M. Marti Ahtisaari. Ce plan, présenté le 26 mars 2007 au Conseil de sécurité, préconisait l'accession à l'indépendance sous supervision internationale, accompagné d'un statut protecteur pour les minorités.

Aux termes de celui-ci, leur représentation est renforcée au sein des institutions. Les minorités disposent ainsi d'un quota de 20 % de représentants au Parlement. Le plan insiste également sur l'ouverture du système judiciaire à toutes les communautés. La composition de la magistrature (debout et assise) doit, par ailleurs, incarner le caractère multiethnique du Kosovo.

Le plan des Nations unies prévoit en outre la création de municipalités à majorité non-albanaise dans le cadre de nouvelles lois de décentralisation. Six municipalités serbes ont ainsi été créées ou élargies. Le texte prévoit en outre le renforcement de l'autonomie des municipalités en matière financière, qui pourront notamment recevoir, en toute transparence, des financements provenant de Serbie.

Le plan Ahtisaari prévoit que l'albanais et le serbe seront les deux langues officielles du Kosovo, tandis que les langues des autres communautés - à l'instar du turc, du bosnien et du romani - auront le statut de langue d'usage officiel.

Le texte détermine enfin des mesures de protection du patrimoine religieux de l'Église orthodoxe de Serbie dont le Kosovo devra reconnaître l'existence et les propriétés. Le texte prévoit ainsi la délimitation de zones protégées autour de plus de 40 sites religieux et culturels importants. Sans préjudice du droit de propriété des biens immeubles situés à l'intérieur de ces zones, les activités qui s'y déroulent doivent être soumises à des restrictions particulières destinées à garantir l'existence et le fonctionnement dans la tranquillité des grands sites religieux et culturels.

La supervision internationale de l'indépendance a pris fin le 10 septembre 2012, quatre ans et demi après la proclamation de l'indépendance. Le bureau civil international nommé à cet effet était chargé de veiller à la mise en place du plan Ahtisaari par le gouvernement kosovar.

A l'inverse, le Nord symbolise les difficultés passées de Belgrade à tenter de solder le conflit. Jusqu'à l'accord de Bruxelles, l'administration et les services y étaient encore intégralement financés par la Serbie. La population a vécu dans cette forme de « bulle » pendant près de quinze ans, l'appartenance à la Serbie n'était pas, jusqu'alors, réellement remise en cause. Cet entre-deux pouvait préfigurer une sécession avec Pristina. Cette option n'est pourtant pas envisageable puisqu'elle menacerait directement la présence des communautés serbes du Sud de l'Ibar. Il existe également un risque de remise en cause des équilibres régionaux en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine, voire en Serbie elle-même (Sandjak, vallée du Preevo).

Si la présence de groupes paramilitaires ou de milices permet de réguler certains trafics, la criminalité organisée demeure dans cette région très forte et n'a aucun avantage à tirer d'une normalisation des relations entre Belgrade et Pristina. La connexion de fait entre mafieux et éléments radicaux s'inscrit dans ce contexte. Le désengagement policier de Belgrade depuis quelques mois contribue à mettre en lumière ces individus, sans doute responsables de la mort d'un chauffeur lituanien d'EULEX, la mission civile de l'Union européenne sur place, le 19 septembre 2013. Si Belgrade a pu contrôler et intimider certains gros trafiquants de la région, à l'image de Zvonko Veselinoviæ, elle a moins de prise sur des éléments plus modestes, certains désespérés.

2. Les élections municipales et leurs conséquences

La poursuite des pourparlers entre les deux pays a débouché, le 24 juillet 2013, sur un accord concernant l'organisation des élections municipales au Nord et dans les enclaves, prévues les 3 novembre et 1 er décembre. Les Kosovars d'origine serbe étaient autorisés à voter sur la base des documents personnels dont ils disposent. Des mesures en faveur du vote des personnes déplacées à l'intérieur ou des personnes nées au Kosovo mais résidant en Serbie ou au Monténégro ont également été adoptées. La Commission électorale centrale kosovare, qui bénéficiait pour l'occasion de l'aide de l'OSCE, a ainsi accepté l'inscription de 11 400 électeurs résidant hors du pays (sur 45 000 électeurs potentiels vivant actuellement en Serbie et au Monténégro). 3 042 Kosovars d'origine albanaise ont pu, quant à eux, voter à Mitrovica-nord. Aux termes d'un accord signé entre les deux gouvernements le 7 octobre, le matériel de vote ne comportait pas, par ailleurs, le logo de la République du Kosovo, à la seule exception des contrats des membres des commissions électorales municipales et des formulaires pour le décompte des votes, ce qui n'a pas été sans susciter une certaine tension côté serbe. En contrepartie, les drapeaux serbes devaient être retirés des édifices servant de bureaux de vote, principalement des écoles.

Une mission d'observation de l'Union européenne a, par ailleurs, été envoyée sur place, ce qui constituait une première.

L'ambition affichée par Belgrade était d'obtenir, au Nord, un taux de participation des Kosovars d'origine serbe satisfaisant, soit entre 15 et 20 %, compte tenu des appels au boycott du scrutin d'un certain nombre de dirigeants locaux. Un certain nombre de représentants des Serbes du Nord du Kosovo ont en effet refusé de reconnaître la validité de l'accord du 19 avril et se sont constitués en « Assemblée provisoire de la province autonome du Nord du Kosovo ». Les maires de Zubin Potok et Zveèan (DSS) ainsi que ceux de Mitrovica et Leposaviæ (membres du SNS et du SPS) sont les principaux leaders de cette Assemblée. Le gouvernement serbe a rapidement condamné cette opposition, en menaçant de révocation les fonctionnaires de l'État serbe résidant au Kosovo et les maires contestataires. Des équipes provisoires ont ainsi été mises en place à Mitrovica et Leposaviæ à la veille des élections, les édiles nommés par Belgrade il y a quelques années étant limogés. Des évictions semblables ont eu lieu au Sud du pays, à Graèanica et à trpce.

Face à cette fronde, le gouvernement serbe s'est énormément investi dans la campagne locale, doublant ses appels à participer d'une incitation à choisir la liste Initiative civique serbe - Srpska (CIZ). Le Premier ministre et le vice Premier ministre ont ainsi participé à un meeting à Graèanica, au Sud de l'Ibar, le 1 er novembre 2013. Des ministres de moindre envergure (Sport, Culture) se sont, quant à eux, rendus dans le Nord. Au terme de cette élection, les autorités serbes souhaitent que puisse être mise en place une Association des municipalités serbes, communauté de communes prévue par l'accord de Bruxelles. Sa création implique la réunion d'au moins six municipalités et une proximité politique entre elles, d'où la promotion des listes CIZ. Celles-ci étaient en concurrence avec les listes menées par des formations proches du gouvernement kosovar (SLS et SKS). La participation était également indispensable, une abstention favorisant mécaniquement le risque d'élection de maires issus de la minorité albanaise résidant dans ces enclaves, en particulier dans la région de Mitrovica.

En dépit de ces efforts, c'est dans un climat tendu que s'est déroulé le premier tour des élections. Les violences constatées à Mitrovica-nord n'ont pas constitué, à cet égard, de réelle surprise. Attaqués par des commandos armés dans l'après-midi, trois centres de vote ont ainsi dû fermer conduisant à l'annulation de l'élection dans cette municipalité et son report au 17 novembre. Krstimir Pantiæ, candidat à la mairie de Mitrovica-nord sur la liste CIZ, avait été quant à lui agressé le 1 er novembre.

Ces incidents ne sauraient pourtant masquer une participation relativement forte des électeurs d'origine serbe au Sud de l'Ibar et satisfaisante au Nord. Au Sud, le taux de participation a ainsi atteint 57,87 %, soit 18 points de plus qu'en 2009 (39,17 %). Il est supérieur à la moyenne nationale, établie à 48,9 % des suffrages. Au Nord, les communes de Leposaviæ et Zubin Potok ont ainsi enregistré des taux de participation encourageants : plus de 25 % dans la première et 22 % dans la seconde. Le scrutin organisé à Mitrovica-nord le 17 novembre a confirmé cette tendance avec une participation des électeurs estimée à plus de 22 %.

Le second tour, organisé le 1 er décembre, a confirmé le succès des listes CIZ dans l'ensemble des enclaves, emportant ainsi la victoire dans 9 des 10 municipalités à dominante serbe (Leposaviæ, Mitrovica-nord, Zubin Potok et Zveæan au Nord de l'Ibar et Graèanica, Klokot, Novo Brdo, Parte, Pasjane et Ranilug au Sud de l'Ibar). À l'exception de trpce, les équipes en place dans les mairies du Sud depuis 2009 et proches du gouvernement kosovar devraient ainsi être remplacées par des formations liées à Belgrade. L'assurance de continuer à bénéficier d'une aide financière serbe pour les services publics municipaux a pu contribuer à mobiliser les électeurs en faveur des listes CIZ.

L'attention médiatique portée sur les incidents de Mitrovica ne doit donc pas faire oublier le bon déroulement du scrutin en général. OEuvre d'une minorité politique tant en Serbie qu'au Kosovo, ils ne peuvent servir de justification à un report des négociations d'adhésion avec l'Union européenne. L'investissement du gouvernement serbe en faveur de la participation aux élections a témoigné, au contraire, d'une réelle volonté de concrétiser l'accord de Bruxelles.

3. La mise en oeuvre de l'accord de Bruxelles

La question de la sécurité et de l'État de droit font partie des priorités des négociations en cours entre Belgrade et Pristina.

L'accord de Bruxelles prévoit ainsi l'intégration de membres de la communauté serbe au sein des effectifs la police du Kosovo (KP). Ceux-ci ne seront plus tenus de prendre des documents d'identification kosovars. Ils sont également dispensés de prolonger le serment d'allégeance. Leurs contrats sont à durée indéterminée. La Serbie souhaite désormais que ces contrats de travail ne fassent pas référence à la République du Kosovo. Une loi d'amnistie visant les policiers d'origine serbe a, par ailleurs, été adoptée le 11 juillet dernier par le Parlement kosovar, condition préalable à leur intégration au sein de la KP. Un commandement régional serbe a également été institué. Aucune coopération policière entre la Serbie et le Kosovo n'est cependant envisagée, Belgrade estimant que les forces serbes collaborent déjà avec la mission civile de l'Union européenne au Kosovo, EULEX.

Des divergences entre les deux parties restent également notables en ce qui concerne les tribunaux de première instance et les bureaux du Procureur. La compétence territoriale de la Cour de Mitrovica demeure ainsi au coeur des débats. Pristina souhaite une seule cour compétente pour toute la région, qui comprendrait à la fois pour les quatre communes nord de l'Ibar et les trois situées au sud. La présence des kosovars d'origine serbe serait ainsi diluée. A l'inverse, Belgrade souhaite deux cours séparées. Le gouvernement serbe entend mettre ainsi en place trois tribunaux de première instance à dominante serbe dans tout le pays : Mitrovica-nord, Graèanica et trpce. Les deux gouvernements souhaitent néanmoins parvenir à un accord sur ce sujet au plus tard le 10 décembre 2013. La réforme de la justice débattue début novembre au Parlement serbe, qui prévoit la réorganisation du maillage judiciaire local, devrait faciliter les négociations.

Un accord plus technique est intervenu le 8 septembre 2013 au sujet des télécommunications et de l'énergie. Au niveau des télécommunications, les appels du Kosovo vers la Serbie resteront des appels locaux et non internationaux. Le Kosovo devrait, quant à lui, disposer d'un code international en 2015 (383). Les opérateurs serbes pourront, par ailleurs travailler au Kosovo. Dans le domaine de l'énergie, les questions de propriété ont été mises de côté. Les principales difficultés tiennent à la gestion de la centrale hydraulique du lac de Gazivode, dont les eaux sont partagées entre la Serbie et le Kosovo ainsi qu'à la station électrique de Valac. L'accord permet néanmoins de sécuriser la fourniture. Enfin, en ce qui concerne les douanes, un accord trouvé le 5 novembre 2013 prévoit l'entrée en vigueur d'un mécanisme de collecte des taxes à la mi-décembre .

C. UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE DIFFICILE

1. Un changement de modèle économique lent à se mettre en place

L'ouverture des négociations d'adhésion devrait intervenir dans un contexte économique délicat. La croissance du PIB ne repose in fine que sur un tiers de la population active, les deux autres tiers étant employés dans le secteur public (plus de 700 000 personnes) ou au chômage (23 % de la population, 50 % chez les 18-25 ans). Le nombre des retraités dépasse, par ailleurs, celui des actifs. Le revenu moyen par famille s'élève, quant à lui, à 450 euros par mois. Le revenu par habitant équivaut à 37 % de celui observé en moyenne au sein de l'Union européenne. La comparaison régionale est, par ailleurs, assez cruelle. Pays le plus peuplé issu de l'ancienne Yougoslavie, les revenus y sont quatre fois moins élevés qu'en Slovénie qui dispose de quatre fois moins d'habitants et deux fois moins élevés qu'en Croatie dont la population représente la moitié de celle de la Serbie .

L'endettement élevé du pays - 61 % du PIB en 2012, 65 % attendus fin 2013 - souligne en creux les difficultés qu'a connues le pays pour faire face à la crise économique. Le choix du précédent gouvernement de transformer le modèle économique du pays, désormais fondé sur les exportations (25 % du PIB jusqu'alors et un taux de couverture des importations inférieur à 60 %) et non plus sur la consommation intérieure, devrait néanmoins permettre au pays de voir son activité croître de 1,5 % en 2013 (récession de 1,7 % en 2012). Ce taux est cependant en deçà des prévisions initiales fixées à 2,5 %.

L'économie serbe demeure marquée par un secteur primaire important : 10 % du PIB et 20 % de la population active. 5 millions d'hectares de terres arables resteraient cependant largement inexploitées, en l'absence d'investissements.

L'outil productif dont dispose la Serbie est, de son côté, vieillissant, le pays payant encore le prix des guerres de sécession qui ont déchiré la région : l'activité industrielle en 2013 atteint à peine 65 % du niveau qu'elle avait en 1989. Une remise à niveau partielle a, malgré tout, pu être opérée par le biais des investissements directs étrangers (IDE) dont le montant cumulé s'élève à 15 milliards d'euros depuis 2000. La production automobile (nouvelle usine FIAT) et énergétique (extension de la raffinerie de Panèevo) témoignent ainsi d'une certaine attractivité industrielle. Il reste que ces investissements demeurent encore à un niveau insuffisant - 3 % du PIB -, le rapprochement avec l'Union européenne constituant, cependant, un signe positif pour l'avenir. Pour l'heure, la Serbie semble manquer de relais de croissance, un seul chantier d'envergure étant en route, celui d'une usine Michelin.

Alors que la Serbie dispose d'atouts indéniables, de par sa position géographique ou la qualité de sa main d'oeuvre, elle souffre en outre de carences en termes d'infrastructures. La mise à niveau en la matière est estimée à 13 milliards d'euros par les autorités, certains observateurs évaluant néanmoins au triple le coût de ce rattrapage.

La nouvelle orientation économique serbe repose de fait sur la capacité du pays à attirer des investisseurs. La Serbie se tourne, à cet égard, vers les pays émergents à l'instar de la Russie (énergie), de la Chine (transports) mais aussi des Émirats (défense, agriculture). La compagnie aérienne nationale JAT airways s'est ainsi transformée le 1 er novembre 2013 en Air Serbia , la compagnie des Émirats arabes unis Etihad acquérant 51 % du capital de la société.

Les autorités ont également annoncé l'adoption de mesures destinées à consolider le taux de croissance et renforcer la sécurité juridique des investisseurs. Il en va ainsi de l'étude d'un allègement fiscal pour les entreprises, d'une refonte du Code du travail et d'une simplification des procédures de délivrance des permis de conduire. La Commission européenne a, de son côté salué les incidences économiques du plan national pour l'adoption de l'acquis. Le rapport de progrès cite ainsi la nouvelle loi sur les marchés publics et celle sur la comptabilité et les commissaires aux comptes.

Le pays peut s'appuyer sur un système bancaire liquide et bien capitalisé, dominé par les banques étrangères. L'établissement serbe, la Komercijalna Banka , demeure cependant la deuxième banque du pays.

2. Une situation financière difficile

L'ajustement budgétaire fait également figure de priorité pour les autorités alors que le déficit public s'établissait à 6,7 % fin 2012. L'objectif ambitieux de la loi de finances pour 2013 était de le circonscrire à 3,7 %. Le gouvernement tablait sur une augmentation des recettes (hausse de la TVA, des droits d'accises, de l'impôt sur les sociétés) et une réduction des dépenses portant exclusivement sur les salaires et les pensions publics (revalorisation inférieure à l'inflation).

Les mesures adoptées fin 2012 n'ont pas permis de parvenir à une réduction du déficit public, celui-ci étant même désormais estimé à 8 % du PIB. La baisse des revenus de l'État en 2013 s'est élevée à 1,2 milliard d'euros, soit 10 % du montant total des recettes de l'État. C'est dans ce contexte que le gouvernement a présenté, le 9 octobre 2013, un nouveau dispositif destiné à réduire à moyen terme le déficit public et plafonner le niveau de la dette publique. Le gouvernement table ainsi sur un ajustement budgétaire de 1,5 milliard d'euros d'ici à 2017, dont 690 millions d'euros dès 2014 en actionnant plusieurs leviers :

- La baisse des salaires au sein de la fonction publique : - 20 % entre 60 000 dinars (527 €) et 100 000 dinars (877 € mensuels), puis - 25 % au-delà. L'économie attendue est estimée à 150 millions d'euros par an, soit 0,3 % du PIB. Les salaires dans la fonction publique sont, à l'heure actuelle, en moyenne 30 % plus élevés que dans le privé ;

- La hausse du taux le plus bas de la TVA de 8 à 10 %, sauf en ce qui concerne les produits de première nécessité, ce qui représente une augmentation des recettes de l'État de 200 millions d'euros par an ;

- La diminution des aides aux entreprises publiques et la cession d'une partie d'entre elles, l'État espérant ainsi récupérer 300 millions d'euros. Une agence de privatisation a ainsi été créée, les 572 entreprises publiques devant lui fournir rapidement des données chiffrées sur leur patrimoine immobilier et foncier, leur situation comptable ou le niveau d'endettement. Différentes opérations sont envisagées : vente intégrale ou transformation en société d'économie mixte. L'État pourrait également alléger les cotisations sociales des employés de ses sociétés en cas de réinvestissement de ces sommes dans la modernisation de l'entreprise. Le recours aux partenariats public-privé devrait, par ailleurs, être encouragé ;

- La réduction de 10 % des prix d'achat sur les marchés publics, le gouvernement estimant pouvoir ainsi économiser 40 millions d'euros par an.

Ce dispositif est censé permettre de stabiliser la dette publique à environ 75 % du PIB en 2017. En l'absence de mise en oeuvre de ces mesures, le gouvernement estime que le déficit public devrait atteindre 9 % du PIB en 2016 et la dette publique 85 % du PIB à la même date.

À côté de ce programme d'austérité, le gouvernement entend lutter contre l'économie grise (travail non déclaré et contrebande de cigarettes). Il souhaite également mettre en oeuvre une refonte du régime des retraites. Les âges de départ des hommes (65 ans) et des femmes (60 ans) seraient ainsi rapprochés via une augmentation graduelle de celui des femmes qui devrait atteindre 63 ans en 2020. Le gouvernement n'entend pas pour autant remettre en cause le principe de l'indexation des pensions : un bonus de 0,5 % deux fois par an en 2015 et 2016 est ainsi envisagé si le taux de croissance dépasse 2 % au cours de ces exercices. Le PUPS, la formation qui représente les retraités, faisant partie de la coalition gouvernementale, une réforme en profondeur apparait délicate à mener.

CONCLUSION

L'arrivée au pouvoir en Serbie d'une coalition nationaliste en mai 2012 aurait pu signifier la fin d'un processus de rapprochement avec l'Union européenne, déjà chaotique par le passé. Elle s'est à l'inverse traduite par un engagement européen clair, incarné notamment par l'accord de Bruxelles avec les autorités du Kosovo. Ce volontarisme se décline également dans d'autres domaines, qu'il s'agisse des réformes lancées en matière judiciaire, de la stratégie mise en oeuvre en faveur de la lutte contre la corruption ou des minorités nationales, ou du changement de modèle économique. Il rencontre l'adhésion d'une opinion publique qui semble encline à accepter les sacrifices induits par la modernisation accélérée du pays. Un consensus politique s'est fait jour pour espérer une adhésion à l'horizon 2020.

Cette perspective ne peut être crédible qu'à condition que le gouvernement mette désormais réellement en oeuvre les plans d'action présentés et dépasse les effets d'annonce. La tâche est immense dans un contexte économique difficile, marqué par une activité morose et une dégradation de la situation financière de l'État. Belgrade doit suivre les recommandations contenues dans le rapport de progrès présenté le 16 octobre 2013, dont la tonalité demeure relativement positive.

À ces efforts doivent répondre de réels encouragements de la part des États membres de l'Union européenne. Il s'agit d'engager une véritable dialectique de la confiance avec la Serbie. Sans mésestimer ce qui reste à accomplir, il convient de ne pas relativiser les avancées assumées par le gouvernement serbe, parfois à rebours de sa tradition politique. Il n'est pas pertinent par exemple de rechercher au travers de la définition du cadre des négociations d'adhésion à régler la question du Kosovo. Il est à ce titre indispensable de dépasser le prisme déformant hérité des guerres des années quatre-vingt-dix. La Serbie ne peut être assimilée au régime de Milosevic. Des changements considérables se sont produits. Il est indispensable de les saluer et surtout de les appuyer. Toute action inverse conduirait à retarder une nouvelle fois le rapprochement légitime entre ce pays et l'Union européenne et contribuer à l'étiolement du sentiment européen en Serbie. L'Europe en général et les Balkans occidentaux, en particulier, n'auraient rien à gagner à un tel recul.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le 3 décembre 2013 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé :

M. Michel Billout :

J'ai été frappé qu'aucune force politique ne soit opposée à l'adhésion. On ne voit pas de différence entre majorité et opposition. La position prise par le Sénat a été appréciée. La Serbie reste un grand pays des Balkans, zone qui reste encore à stabiliser comme le montre l'ampleur de la mission de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine. Je m'étonne de voir que l'Allemagne semble plus favorable à l'adhésion du Monténégro qu'à celle de la Serbie.

M. Roland Ries :

La Serbie est un pays foncièrement européen : c'est l'Histoire qui explique qu'elle ne soit pas aujourd'hui membre de l'Union. Il faut prendre la juste mesure des obstacles à l'adhésion. Sur le Kosovo, des progrès ont été faits, et la volonté de trouver un compromis est indéniable même si la situation n'est pas mûre pour une reconnaissance. Le problème n'est pas insoluble, car la volonté d'adhérer à l'Union sera la plus forte. Sur la situation économique, il faut admettre qu'il y a beaucoup à faire pour obtenir un redémarrage. C'est une raison pour ouvrir les négociations le plus tôt possible, de façon à encourager les investissements en donnant une perspective. Les négociations aideront aussi à progresser en matière de justice et d'affaires intérieures.

Le poids de l'Histoire reste fort. La première Guerre mondiale est née dans les Balkans, et à la fin de l'ère Tito, on a vu ressurgir des antagonismes nationaux qui avaient été en quelque sorte gelés. L'adhésion à l'Union est la chance de sortir de ces antagonismes. Notre rôle doit être de la faciliter.

M. Simon Sutour :

Les élections municipales se sont bien passées au Kosovo dans la partie située au sud de l'Ibar, mais plutôt mal dans la zone serbe située dans la partie nord du Kosovo, bien que la Serbie ait tout fait pour faciliter les opérations. La situation reste fragile. Ce serait une erreur de freiner l'engagement des négociations, alors qu'il faut au contraire créer un climat de confiance.

M. Roland Ries :

La Serbie a incité à participer aux élections municipales, alors qu'auparavant elle prônait le boycott. Cela montre que des évolutions et des compromis pragmatiques sont possibles.

M. Bernard Piras :

Je souscris à cette idée et je crois que la France peut jouer un rôle très positif. Les Serbes conservent un attachement pour notre pays.

M. Éric Bocquet :

L'évolution a-t-elle un effet d'entraînement sur l'ensemble de la zone ?

M. Simon Sutour :

Il y a une dynamique européenne. Quand nous avions rencontré le président croate, il avait soutenu la perspective d'adhésion de la Serbie. Cependant, il faut distinguer entre d'un côté la Slovénie, la Croatie, la Serbie, qui sont des États solidement constitués, et les autres États de la région, plus fragiles.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- M. Neboja STEFANOVIÆ, président du Parlement ;

- M. Ivan MRKIÆ, ministre des Affaires étrangères ;

- M. Branko RUéIÆ, ministre chargé de l'Intégration européenne et Mme Tanja MIÈEVIÆ, négociatrice en chef avec l'Union européenne ;

- Mme Gordana STAMENIÆ, secrétaire d'État à la Justice ;

- M. Zoran BABIC, président du groupe parlementaire SNS ;

- Mme Nataa VUÈKOVIÆ, présidente de la commission parlementaire des Affaires européennes ;

- Mme Dijana VUKOMANOVIÆ, vice-présidente de la commission parlementaire des Affaires européennes et présidente du groupe SPS ;

- Mme Vera PAUNOVIÆ, députée (URPS) ;

- Mme Jelena TRIVAN, députée (DS) ;

- Mme Jadranka JOKSIMOVIÆ, députée (SNS) ;

- Mme Milanka KARIÆ, députée (SNS) ;

- M. Karolj ÈIZIK, député (LSV - Ligue des socio-démocrates de Voïvodine) ;

- M. Mladen GRUJIÆ, député (NS - Nouvelle Serbie) ;

- M. Boúidar ÐELIC, ancien Vice-premier ministre, député (DS), président du groupe d'amitié Serbie-France ;

- M. Vladimir TODORIC, membre du cabinet du président du DS, secrétaire du DS chargé des questions de justice et européennes ;

- M. Michael DAVENPORT, délégué de l'Union européenne en Serbie ;

- Mme Dragana BOLJEVIÆ, présidente de l'Association des juges ;

- M. Nemanja NENADIÆ, directeur des programmes, T ransparency Serbia ;

- M. Branko ÈEÈEN, directeur du Centre pour le journalisme d'investigation ;

- Mme Marija ANÐELKOVIÆ, directrice d' Astra - Association pour la lutte contre le trafic des êtres humains ;

- M. Predrag PETROVIC, Directeur adjoint du Centre pour les politiques de sécurité.


* 1 C'est notamment dans ce cadre qu'il convient d'analyser les réserves de la Commission européennes concernant la liberté des médias en Serbie. Celle-ci fait actuellement l'objet de trois lois en cours de discussion. La Commission européenne souhaite que les financements publics soient plus transparents et que la propriété des médias soit clarifiée. Elle pointe à ce titre les campagnes de diffamation visant des membres de l'opposition menées par certains tabloïds.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page