Rapport d'information n° 213 (2013-2014) de Mme Bernadette BOURZAI , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 10 décembre 2013

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N° 213

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 décembre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les biocarburants ,

Par Mme Bernadette BOURZAI,

Sénatrice.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca

SYNTHÈSE

Les espoirs soulevés par les biocarburants de première génération ne sont que partiellement concrétisés quant à l'utilisation d'énergies renouvelables dans les transports et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment du dioxyde de carbone.

En outre, les inquiétudes exprimées depuis des années quant aux effets directs ou indirects des biocarburants sur l'environnement et sur la disponibilité des ressources alimentaires paraissent aujourd'hui confirmés, bien que les modélisations quantitatives disponibles aboutissent encore à des conclusions divergentes.

Pour dépasser ces clivages et atteindre le consensus scientifique - et politique - qui permettra de bâtir une politique cohérente et durable, un impératif s'impose à l'Union européenne : elle doit améliorer la connaissance et l'évaluation des effets des biocarburants de première génération sur le changement d'affectation des sols indirects, sur la disponibilité des aliments et le changement climatique. Elle doit en parallèle travailler aux conditions du développement des biocarburants avancés. Les biocarburants avancés peuvent devenir une réalité à moyen terme, à condition que des moyens de recherche et développement suffisants y soient consacrés jusqu'à ce que cette filière prometteuse de développement durable soit parvenue à maturité sur les plans techniques et économiques.

L'intérêt général commande à la fois de réduire les émissions de gaz à effet de serre provoquées par les industries extractives et par la transformation de la matière première provenant du sous-sol, de mieux valoriser les ressources disponibles sur place, qu'il s'agisse de forêts ou de déchets, et surtout de nourrir sept milliards d'êtres humains, qui seront peut-être 10 milliards à la fin de ce siècle, selon le Fonds des Nations Unies pour la population.

LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

1)  Soutenir fortement la mise au point des processus industriels permettant de produire des biocarburants de deuxième, puis de troisième génération ;

2)  À cette fin, encourager avec détermination et réalisme la mise en oeuvre de sous objectifs et de coefficients multiplicateurs favorisant l'introduction des biocarburants avancés dans l'essence et le gazole ;

3)  Pour ne pas déstabiliser une filière productive appelée à évoluer, appliquer aux investissements déjà réalisés dans les biocarburants conventionnels la « clause grand-père » qui les protégera jusqu'à l'échéance de 2020 ;

4)  Favoriser la réorientation de la filière de production des biocarburants traditionnels, et poursuivre les recherches sur le changement d'affectation des sols indirect (CASI) afin d'en cerner au mieux l'ampleur et les effets sur l'alimentation humaine et sur la lutte contre le changement climatique.

AVANT-PROPOS

Le débat sur les biocarburants a été relancé il y a un peu plus d'un an lorsque la Commission européenne a proposé de modifier la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 relative à l'énergie produite à partir de sources durables, et la directive 98/70/CE du 13 octobre 1998 relative à la qualité des carburants, deux textes dont les ambitions combinées peuvent être résumées ainsi : d'ici 2020, réduire de 20 % la consommation d'énergie, diminuer également de 20 % les émissions de gaz à effet de serre et porter à 20 % la part des énergies renouvelables ; pour l'ensemble des transports, porter à 10 % la part des énergies renouvelables et réduire de 6 % les émissions de gaz à effet de serre.

Dès la discussion de ces textes, des doutes avaient été exprimés quant aux vertus des biocarburants. D'où l'introduction, dans la directive de 1998, d'une clause de revoyure destinée à faire la lumière sur le caractère durable des biocarburants, qui étaient à cette époque exclusivement d'origine agricole.

Le débat engagé en 2012 est loin d'être clos, car après la première lecture intervenue au Parlement européen au mois de septembre 2013, il faudra de l'avis général sans doute encore un an avant l'adoption de la nouvelle directive. Nous sommes donc dans la « fenêtre de tir » qui nous permet d'intervenir utilement.

Pour apporter au débat la clarté qui a pu lui faire défaut dans certaines circonstances, le présent rapport commencera par un rappel des concepts pertinents, qu'ils soient ou non spécifiques aux biocarburants (chapitre I er ), avant de présenter les enjeux du sujet et le droit applicable au niveau de l'Union et de l'OMC (chapitre II), pour en venir à la révision engagée à l'initiative de la Commission européenne (chapitre III).

CHAPITRE IER : NOTIONS PRINCIPALES RÉGISSANT LA PROBLÉMATIQUE DES BIOCARBURANTS

I. NOTIONS SPÉCIFIQUES AUX BIOCARBURANTS

Agrocarburant

Synonyme de « biocarburant de première génération », le terme agrocarburant souligne l'origine agricole du produit.

Analyse de cycle de vie (ACV) ou écobilan d'un biocarburant.

Procédé qui évalue les impacts environnementaux en identifiant et quantifiant les flux de matières et d'énergies au cours de chaque étape du cycle de vie, depuis l'extraction des matières premières jusqu'à l'élimination finale, en passant par la distribution et le transport.

Étapes du cycle de vie Énergie apportée et gaz rejetés

Source : controverses Sciences-Po, Université-Pierre-et-Marie-Curie, INSEAD.

Apparue dans les années 1990, l'analyse de cycle de vie a fait l'objet en 2006 d'une normalisation internationale, avec les normes ISO 14040, qui doivent garantir la fiabilité et la transparence de l'analyse.

L'ACV permet de passer de la présomption à l'affirmation du caractère écologique des produits. Cet outil reste cependant controversé, notamment parce qu'il traite la dimension environnementale - singulièrement l'effet sur l'affectation des sols - parfois la dimension économique, jamais l'axe social du développement durable.

Changement d'affectation des sols direct (CASD)

Affecter à la production de biocarburants une surface consacrée auparavant à des cultures vivrières soulève une problématique substantielle sur le plan de l'alimentation, mais aussi de l' analyse du cycle de vie , car la quantité de carbone retenue sur un terrain donné varie en fonction du type de culture et de la plante utilisée.

En 2010, l'ADEME a observé : « Devant l'absence de modélisation faisant référence sur ces sujets, il ne semble pas envisageable dans le cadre de cette étude de développer un modèle et proposer des valeurs qui fassent référence. Ainsi, le principe retenu est d'aborder cette question de manière plus modeste à travers une analyse de sensibilité servant à alerter des impacts potentiels que peuvent prendre les biocarburants via ces questions de changements des sols. Ainsi, les résultats présentés dans cette étude n'intègrent pas ces changements, sauf dans les tableaux de mise en perspective ».

Par nature, le sujet concerne exclusivement les carburants de première génération . L'extrême variabilité des émissions dues au changement d'affectation des sols directs selon les types de cultures pourrait conduire à privilégier certains types de biocarburant, mais aucun chiffre ne permet aujourd'hui de se prononcer sur ce point. Sur le plan alimentaire, selon Oxfam International, « de récentes études suggèrent que deux tiers des transactions foncières à grande échelle qui ont eu lieu au cours des dix dernières années ont pour objectif la production d'agrocarburants, grâce à des cultures comme le soja, la canne à sucre, l'huile de palme ou le jatropha. » (« Semences de la faim », 2012).

Changement d'affectation des sols indirect (CASI)

Lorsque la production d'une surface agricole passe de l'alimentation aux biocarburants, d'autres surfaces doivent être allouées à l'alimentation, ce qui impose de remplacer des prairies ou forêts par des cultures alimentaires, entraînant des émissions accrues de CO2 et une dégradation de la biodiversité. Avec des taux européens d'incorporation de biocarburant de plus en plus élevés, les cultures européennes consacrées aux biocarburants occupent de plus en plus de surface, ce qui oblige l'Europe à importer de la nourriture. Autrefois marginal, ce sujet devient sensible.

Le débat est relayé au niveau de l'Union européenne avec la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 et les rapports qui se sont succédé par la suite. On s'interroge encore sur la méthode à utiliser : le Parlement européen souhaite que la Commission européenne élabore une méthode à l'horizon 2016.

Les enjeux sont très importants, car la quantification du CASI peut compromettre l'utilisation des biocarburants. Selon Oxfam International, « les agrocarburants produits à partir de colza ont un bilan gaz à effet de serre (GES) deux fois plus mauvais que celui du diesel qu'ils remplacent et ceux produits à partir de betterave rejettent environ 40 % des émissions de l'essence » si l'on prend en compte les CASI .

Biocarburants liquides ou gazeux

Les biocarburants liquides sont le bioéthanol - mélangé à l'essence en l'État ou après transformation en ETBE - le biogazole ou biodiesel - mélangé au gazole dans la limite de 10 %, sauf pour des flottes captives dont la teneur en biodiesel peut aller jusqu'à 30 % - et le biojet ou biokérosène , destiné aux avions. Ce dernier biocarburant en est encore au stade expérimental.

Le principal biocarburant gazeux est le biométhane , considéré comme gazeux même après sa liquéfaction. Son utilisation à large échelle soulève principalement des difficultés d'infrastructures, à l'instar du gaz de pétrole liquéfié (GPL) et du gaz naturel pour véhicule (GNV). La problématique de l'utilisation du biométhane et de sa fabrication étant extrêmement différente de celle caractérisant le bioéthanol et le biodiesel, le biocarburant gazeux n'entre pas dans l'objet du présent rapport. Lui aussi liquéfié, le biohydrogène reste extrêmement peu utilisé aujourd'hui. Son avenir n'est pas assuré au vu des difficultés inhérentes aux piles à hydrogène, qui produisent de l'électricité.

Biocarburants conventionnels ou avancés

Dans les textes de l'Union européenne, il n'est question ni de première, ni de deuxième, ni de troisième génération de biocarburants (cf. ci-après) mais de « biocarburants conventionnels » et « biocarburants avancés ».

En pratique, l'expression « biocarburant conventionnel » est synonyme de « biocarburants de première génération », les mots « biocarburants avancés » regroupant la deuxième et troisième génération.

Le débat en cours porte sur le plafond admissible de biocarburants conventionnels ajoutés à l'essence et au gazole pris en compte dans le cadre de l'objectif de 10 % d'énergies renouvelables utilisées dans les transports à l'horizon 2020, mais aussi sur l'éventuelle introduction de sous-objectifs spécifiques à l'adjonction de biocarburants avancés en 2020, avec ou sans comptage multiple de ces biocarburants.

Biocarburants de première, deuxième ou troisième génération

Bien que le vocabulaire ne soit pas véritablement fixé, la plupart des auteurs classent les biocarburants en trois générations :

- la première génération concerne les biocarburants obtenus à partir de cultures agricoles - principalement la betterave, le maïs ou le blé pour le bioéthanol, ainsi que le colza, le soja et l'huile de palme pour le biodiesel (dénomination chimique exacte : ester méthylique d'acide gras, parfois dénommé ester méthylique d'huile végétale, en raison de sa provenance) ;

- la deuxième génération regroupe les biocarburants que l'on peut déjà obtenir dans des usines expérimentales mais à des prix de revient encore excessifs. Les filières correspondantes utilisent de la lignocellulose - provenant pour l'essentiel du bois - ou certains déchets gras, provenant de poissonnerie ou même de déchets ménagers.

Il existe deux principales méthodes de production des biocarburants de seconde génération : la voie thermochimique et la voie biochimique.

La voie thermochimique transforme la biomasse en gaz -principalement de l'hydrogène et du monoxyde de carbone, obtenus à 1 000°C et une pression égale à 4 fois la pression atmosphérique - puis obtient du carburant grâce à une réaction chimique dont le résultat varie en fonction du catalyseur mis en oeuvre : à base de fer, il produit du bioéthanol ; à base de cobalt, il permet d'obtenir du biodiesel. Contrairement aux biocarburants de première génération, ceux obtenus par voie thermochimique sont des hydrocarbures synthétiques. La technique mise en oeuvre est connue depuis longtemps, puisqu'elle fut inventée en 1932 par MM. Fischer et Tropsch, mais son prix de revient prohibitif jusqu'à une époque récente a cantonné son usage aux situations où l'approvisionnement pétrolier était très inférieur aux besoins : Allemagne et pays occupés pendant la Seconde Guerre Mondiale ou Afrique du Sud soumise aux sanctions motivées par l 'apartheid .

La voie biochimique permet de transformer la biomasse en sucre par des enzymes. Ce sucre est ensuite transformé en bioéthanol par fermentation.

- la troisième génération , pour l'instant cantonnée en pratique dans les laboratoires de recherche, regroupe des biocarburants obtenus à partir de micro-organismes, notamment de microalgues pouvant accumuler des acides gras transformés en biodiesel. Certaines espèces de microalgues peuvent contenir des sucres, donc être fermentées en bioéthanol ; d'autres peuvent donner du biométhane ; il est également possible d'obtenir du biohydrogène.

Processus d'obtention des biocarburants de première génération

Source : IFP

Biocarburants de deuxième génération issus de lignocellulose et carbone

Biodiesel B2, B5, B7, B30

B2, B5, B7 : carburants destinés aux véhicules à moteur diesel, composés respectivement à 2 %, 5 % ou 7 % de biodiesel et à 98 %, 95 % ou 93 % de gazole dérivé du pétrole.

B 30 : carburant destinés aux véhicules à moteur diesel, composé à 30 % de biodiesel et à 70 % de gazole dérivé du pétrole. Exigeant une adaptation modérée du moteur d'origine, ce carburant est actuellement réservé aux flottes captives bénéficiant de moyens propres de distribution.

L'Union européenne se singularise par l'utilisation très largement dominante de biogazole, dont l'Allemagne est le premier producteur au monde (45 % environ), la France venant en seconde position avec 14 %. Globalement, le biodiesel représente 0,25 % de la consommation de pétrole pour les transports au plan mondial.

Bioéthanol E5, E10, E85 et ETBE

E5 et E10 : carburants destinés aux véhicules à essence, comportant 5 % ou 10 % de bioéthanol et, respectivement, 95 % ou 90 % d'essence dérivée du pétrole. Au niveau mondial, le bioéthanol assure la quasi-totalité de la consommation de biocarburants, principalement pour le continent américain. Globalement, le bioéthanol représente 2,25 % de la consommation de pétrole pour le transport. Ces carburants sont distribués sans signe distinctif, mais l'intégration de bioéthanol à concurrence de 10 % suppose qu'au moins une partie de celui-ci ait été au préalable transformé en ETBE.

ETBE (ethyltertiobutyléther) : biocarburant issu du bioéthanol. Mélangé avec du bioéthanol n'ayant pas subi cette dernière étape chimique, il permet une meilleure incorporation de celui-ci à l'essence, ce qui facilite le passage de 5 % à 10 % de bioéthanol.

Consommation de bioéthanol et de biodiesel au plan mondial

Consommation de biocarburants au sein de l'Union européenne

Source : Oxfam International

Coproduits alimentaires des biocarburants

La distillation qui permet d'obtenir de l'éthanol produit en même temps des drèches ; le bioéthanol issu de betteraves produit des pulpes , tandis que le biodiesel obtenu à partir d'huile végétale génère des tourteaux. Drèches, pulpes et tourteaux sont utilisés pour l'élevage, remplaçant des tourteaux de soja importés.

Ces coproduits imposent de répartir la part de gaz à effet de serre entre les biocarburants et leurs coproduits, ce qui vient compliquer encore la quantification environnementale associée aux biocarburants : la réduction des importations de soja doit logiquement se traduire par une modification du bilan carbone associé à cette culture. Tout dépend alors des choix opérés par les exploitants concernés...

II. QUELQUES DONNÉES STATISTIQUES

Les graphiques ci-après mettent en évidence quelques traits essentiels des émissions de gaz carbonique dans l'Union européenne :

- les émissions de CO 2 proviennent presque exclusivement du secteur de l'énergie ;

- la production d'énergie provoque le tiers des émissions totales ;

- les émissions dues au raffinage de pétrole se sont accrues de 15 % de 1990 à 2008, alors que la production d'électricité ou de chauffage urbain a réduit ses émissions globales de CO 2 ;

- la part des transports avoisine le quart du gaz carbonique rejeté dans l'atmosphère ;

- la quantité de CO 2 émise en raison des transports intérieurs s'est accrue de plus de 20 % de 1990 à 2008 ;

- à l'inverse, l'efficacité environnementale du secteur des transports s'est considérablement améliorée pendant cette période, avec des émissions unitaires en baisse de presque 20 %, qu'il s'agisse des transports de voyageurs ou des transports terrestres de marchandises.

Émissions de CO2 dues à la production et à la transformation d'énergie en UE

Émissions de CO 2 dues aux transports intérieurs en Union européenne
Constats

CHAPITRE II : LES ENJEUX ET LE DROIT APPLICABLE

I. ENJEUX ALIMENTAIRE, ENVIRONNEMENTAL ET MACROÉCONOMIQUE

Les biocarburants ont commencé par être parés d'à peu près toutes les vertus : contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mieux préserver les ressources naturelles en réduisant l'extraction de carburants fossiles, réduire la dépendance énergétique envers des zones souvent soumises à de fortes tensions, contribuer à l'équilibre de la balance des paiements et créer des emplois. Mais la balance « avantages/inconvénients » s'est avérée beaucoup moins favorable que prévu.

A. L'ENJEU ALIMENTAIRE : NOURRIR UNE POPULATION CROISSANTE

Utilisant une surface agricole susceptible d'être affectée à des productions vivrières, les biocarburants de première génération attirent ipso facto sur eux l'accusation de placer le genre humain devant le dilemme « manger ou conduire ».

Formulée en ces termes, l'alternative est insupportable, même si tout dépend de l'ampleur prise par les cultures destinées aux biocarburants.

À l'heure actuelle, la surface brute utilisée en vue de produire des biocarburants est estimée à 0,9 % de la surface agricole utile à l'échelle mondiale. Si l'on prend en compte la production destinée à l'alimentation animale, l'emprise sur la surface agricole utile tombait en 2011 à 0,6 % au plan mondial, pour s'établir à 2,44  % sur le territoire européen.

En comparaison, le gaspillage alimentaire correspond à un tiers de la surface agricole utile. Selon la FAO, la production, les récoltes et le stockage occasionnent presque 55 % des pertes enregistrées à l'échelle de la planète, soit la production assurée par 18 % de la surface agricole utile mondiale. Pour l'essentiel, ce type de perte est observé dans les pays en développement.

Ces menaces deviendraient bien plus grandes en cas d'essor massif des biocarburants de première génération, ce qui justifie de contingenter leur usage en attendant leur substitution par la deuxième génération, qui échappe au conflit entre alimentation des hommes et remplissage des réservoirs de véhicules.

B. ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX : PROTECTION DES RÉSERVES D'ÉNERGIE FOSSILE ; LUTTE CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

1. La réduction des émissions de GES semble aller de soi

Évitant un lourd processus industriel fortement consommateur d'énergie du puits de pétrole à la station-service, la mise en oeuvre de biocarburants issus de l'activité agricole ne peut avoir qu'un effet bénéfique sur les émissions de gaz à effet de serre.

Il ne faut sans doute pas aller chercher plus loin la raison ayant conduit la Commission européenne à placer la contribution à une économie décarbonée en première place des vertus attribuées aux biocarburants. Il reste que les estimations portant sur le cycle de vie des produits sont extrêmement variables selon la matière première et les procédés de mise en oeuvre, avec des extrêmes allant de quelques pour cent à 98 % grand maximum. La fourchette habituelle se situe entre 50 % et 60 % d'économie en termes d'émissions de gaz à effet de serre, hors effet indirect lié à l'affectation des sols, dont il sera question ultérieurement.

2. L'utilisation de ressources renouvelables

C'est à la fois l'origine des ingrédients et la technique de transformation utilisée qui expliquent la classification des biocarburants. Le vocabulaire n'est pas totalement fixé, sauf pour les biocarburants de première génération, les seuls actuellement utilisés à plus ou moins grande échelle. La première génération désigne les productions issues de cultures : principalement la betterave à sucre, la canne à sucre, le blé et le maïs pour le bioéthanol ; le colza et l'huile de palme pour le biodiesel.

De leur côté, les professionnels du secteur distinguent habituellement la « deuxième génération » et la « troisième génération» : la deuxième génération permet d'obtenir du bioéthanol ou du biodiesel à partir des parties actuellement non valorisées du bois, ainsi que du biodiesel en partant de graisses animales, des déchets de poissons, même de simples déchets alimentaires ; enfin, la troisième génération permettra d'utiliser des algues. Le classement en première ou deuxième génération ne correspond pas nécessairement à des procédés totalement distincts, puisqu'une usine produisant du bioéthanol de première génération peut également fabriquer du bioéthanol de deuxième génération, sous réserve de lui adjoindre une unité assurant la première transformation de la matière lignocellulosique. Rien de tel, hélas, pour le biodiesel, mais les installations utilisées pour fabriquer de la pâte à papier peuvent servir aux premières étapes des traitements.

À ce jour, les biocarburants de première génération existent à une échelle industrielle. Ce sont les seuls. Les biocarburants de deuxième génération ne sont produits que dans des usines expérimentales où l'on s'efforce de réduire leur prix de revient, mais dont l'activité se justifie par la mise en oeuvre de nouveaux procédés techniques, non par la rentabilité de gestion dans les conditions présentes. Les biocarburants de troisième génération en sont encore à un stade de recherche en laboratoire.

3. La contribution indirecte aux émissions de gaz à effet de serre

Il s'agit principalement de la déforestation, qui réduit mécaniquement les « puits de carbone » tels que la forêt amazonienne ou celles de Sumatra et Bornéo pour se limiter à ces exemples emblématiques.

En Indonésie, 90 % des forêts ont été déboisées à cause du commerce du bois, puis de la conversion en palmeraies. À Bornéo, la forêt qui couvrait complètement l'île en 1950 est sur le point de disparaître si le rythme de déforestation ne ralentit pas. Selon la Banque Mondiale, 1,8 million d'hectares de forêt vierge  d'Indonésie sont rasés chaque année.

Les palmiers à huile étant des plantes herbacées, ils capturent 3 fois moins de CO2 que les arbres. L'effet de la déforestation sur les émissions de gaz à effet de serre est incontestable. Or, 20 % de l'huile de palme produite sert à obtenir du biodiesel, ce qui apporte une raison supplémentaire de contingenter les produits de première génération.

La part des biocarburants proprement dits dans le phénomène de déforestation reste difficile à évaluer au Brésil. Il reste que la seule observation des terres mises en culture après déforestation peut conduire à une conclusion erronée, puisque la transformation de surfaces agricoles alimentaires en surface à finalité énergétique en Europe ou en Amérique du Nord peut induire un accroissement des importations alimentaires provenant de pays tropicaux, où la déforestation semble directement répondre un besoin alimentaire, alors qu'indirectement elle compense l'essor de cultures destinées aux biocarburants de première génération.

C. ENJEUX MACRO-ÉCONOMIQUES : EMPLOI, INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE ET BALANCE DES PAIEMENTS

1. Le développement attendu de l'emploi

D'après les projections effectuées par la Commission européenne, l'emploi lié aux énergies renouvelables devrait tripler à l'échéance 2020, passant ainsi de 1,5 à 4,5 millions de personnes pour l'ensemble de l'Union européenne. Le transport devant représenter environ 10 % de la consommation d'énergies renouvelables, l'enjeu des biocarburants pourrait porter sur quelque 450 000 postes de travail dans six à sept ans.

2. La contribution à l'indépendance énergétique

Elle reste inévitablement limitée tant que les biocarburants ne sont que des additifs aux produits du pétrole.

Dans l'immédiat, les moteurs conçus pour utiliser de l'essence ne peuvent pas fonctionner correctement avec plus de 5 % à 10 % de bioéthanol, mais les « véhicules à carburant modulable » ou « flex fuel» peuvent utiliser indifféremment tout mélange d'essence et de bioéthanol, voire exclusivement du bioéthanol.

En soi, la technique n'a rien de très récent, puisque le célèbre Ford modèle T, disponible de 1908 à 1927 « en n'importe quelle couleur pourvu qu'elle fût noire » selon la célèbre formule d'Henry Ford, faisait preuve d'une plus grande souplesse pour le carburant : son moteur pouvait fonctionner à l'essence, à l'éthanol ou à un mélange des deux. Néanmoins, le recours à cette motorisation est encore marginal sur le continent européen où la Suède fait figure de pionnier. Outre-Atlantique, les motorisations polycarburant représentent une part substantielle du marché au Canada, où l'on en dénombre plus de 600 000, une part importante aux États-Unis avec une dizaine de millions de véhicules et une part très substantielle au Brésil, où 16 millions de véhicules utilisent de l'éthanol issu de la canne à sucre, vendu à un prix très compétitif.

Malheureusement pour la France où le gazole représente 80 % des ventes de carburant, il n'existe pas de véhicule à carburant modulable susceptible d'utiliser du gazole comportant une proportion variable de biodiesel de première génération. En revanche, le biodiesel de deuxième génération devrait être miscible en toute quantité avec du gazole d'origine pétrolière, ou être utilisé seul. Le biojet de première génération n'existe pas, mais les avions pourront utiliser le biojet de 2 e ou de 3 e génération en tout mélange, voire pur : comme son cousin biodiesel, le biojet est de meilleure qualité que le produit d'origine fossile. Pour l'instant, il est aussi bien plus cher...

3. La contribution à l'équilibre de la balance des paiements

Sur le plan extérieur, les biocarburants ont surtout pour mérite de réduire le montant de la facture énergétique. Cette réduction est au demeurant substantielle, puisque la production de biocarburants d'origine agricole s'accompagne d'une production destinée à l'alimentation du bétail, qui réduit les importations de soja. En sens inverse, l'importation d'huile de palme ou de biodiesel pèse sur les échanges commerciaux, même si elle diversifie l'origine géographique des ressources énergétiques.

En définitive, l'apport des biocarburants à l'équilibre des échanges extérieurs n'est véritablement sensible que lorsqu'ils proviennent d'usines elles-mêmes implantées sur le territoire de l'Union pour transformer de la matière première obtenue sur place.

II. LE DROIT POSITIF DE L'UNION EUROPÉENNE ET DE L'OMC

A. LA DIRECTIVE QUALITÉ DES CARBURANTS

La directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1998, concernant la qualité de l'essence et des carburants diesels et modifiant la directive 93/12/CEE du Conseil (relative à la teneur en soufre de certains carburants liquides) tendait à concrétiser l'engagement pris en 1993 d'adopter des valeurs cibles comportant une réduction substantielle des émissions polluantes des véhicules à moteur via l'élimination du plomb dans l'essence et une moindre teneur en soufre tant de l'essence que du gazole. Ce premier texte portait donc exclusivement sur l'émission de substances dangereuses pour la santé ; il n'abordait pas les gaz à effet de serre.

L'évolution vers une prise en compte plus générale de la pollution est intervenue avec la directive modificative 2003/17/CE du 3 mars 2003, dont le 18 e considérant disposait : « Il convient de procéder à une étude complète des carburants de substitution, y compris les biocarburants ».

D'où la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009, consacrée notamment à l'introduction d'un mécanisme permettant de surveiller et de réduire les gaz à effet de serre.

Trois obligations ont été introduites à cette fin :

- chaque État membre a dû désigner certains fournisseurs pour contrôler et déclarer les émissions de gaz à effet de serre, appréciées sur l'ensemble du cycle de vie par unité d'énergie, un rapport annuel devant être présenté à compter du 1 er janvier 2011 ;

- les États membres devaient demander aux fournisseurs de réduire progressivement les émissions de gaz à effet de serre produites sur l'ensemble de vies du carburant, l'objectif étant une réduction à hauteur de 10 % le 31 décembre 2020 au plus tard. En réalité, les émissions de gaz à effet de serre directement imputables aux transports ne devaient être diminuées que de 6 %, à quoi s'ajoutaient 2 % provenant d'une moindre émission de gaz à effet de serre dans l'atmosphère grâce à l'utilisation de certaines technologies comme le piégeage ou le stockage de dioxyde de carbone, les derniers 2 % étant procurés « par l'achat de droits en vertu du mécanisme pour un développement propre du protocole de Kyoto » ;

- enfin, les biocarburants utilisés devaient satisfaire à des conditions de durabilité, dont la principale était d'émettre 35 % de gaz à effet de serre en moins que les carburants traditionnels, pourcentage porté à 50 % le 1 er janvier 2017 et à 60 % un an plus tard. La Commission devait présenter, au plus tard en 2010 un rapport sur le changement indirect d'affectation des sols et ses conséquences pour les émissions de gaz à effet de serre.

B. LA DIRECTIVE RELATIVE AUX SOURCES RENOUVELABLES D'ÉNERGIE

La directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, elle aussi du 23 avril 2009, relative à la promotion et à l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, a fixé la contribution de chaque État membre à l'objectif global « 20 - 20 - 20 » qui, à l'horizon 2020, doit réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, améliorer de 20 % l'efficacité énergétique au sein de l'Union européenne et produire à partir de sources renouvelables au moins 20 % de l'énergie consommée.

Alors que le Conseil européen de mars 2007 s'était prononcé en faveur « d'une part minimale de 10 % de biocarburants dans la consommation totale d'essence et de gazole destinées aux transports », la directive 2009/28/CE dispose seulement que la part de l'énergie produite à partir de sources renouvelables doit atteindre au moins 10 % de la consommation finale dans les transports au 31 décembre 2020, sans préciser la place des biocarburants parmi les sources renouvelables d'énergie . Cette réserve introduite par le Parlement européen a marqué une inflexion dans la façon d'envisager la place des biocarburants dans le mix énergétique de l'Union. Elle explique sans doute largement que la Commission ait présenté le 25 février 2010 un rapport concernant l'utilisation de la biomasse pour l'électricité, le chauffage et le refroidissement, c'est-à-dire pour ses utilisations énergétiques autres que les biocarburants.

Innovation importante introduite en 2009, la coopération entre États membres les autorise à échanger en termes statistiques l'énergie produite à partir de sources renouvelables : le financement partiel par un État d'une installation valorisant des sources durables d'énergie située sur le territoire d'un autre État membre permettant d'imputer au payeur une partie de l'énergie ainsi obtenue, même lorsqu'elle est consommée exclusivement sur le territoire accueillant l'installation. Un peu complexe à mettre en oeuvre, cette possibilité n'a pas bouleversé le marché, puisqu'elle n'a été utilisée que par deux États membres.

Ainsi, le droit de l'Union organise et encadre l'utilisation des biocarburants pour les transports, en imposant des critères de durabilité dont le respect commence dans l'exploitation agricole. Cette approche ne soulève pas de difficultés particulières tant que les biocarburants sont produits sur le territoire d'un État membre. Il en va autrement lorsqu'ils proviennent de cultures pratiquées dans des pays tiers, en raison des règles établies par l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

C. LE DROIT DU COMMERCE INTERNATIONAL (OMC)

Les dispositions adoptées dans le cadre de l'OMC ont pour finalité première de lever les obstacles aux échanges internationaux. Or, la nature même des mesures tendant à protéger l'environnement les conduit à restreindre les droits des pays exportateurs, ce qui peut les conduire à enfreindre des règles fondamentales comme l'obligation de non-discrimination et la prohibition des restrictions quantitatives.

Des exceptions existent, qui tendent à préserver l'équilibre entre le droit des membres à restreindre les échanges en vue d'objectifs légitimes et les règles fondamentales du commerce. Finalement, les membres de l'OMC peuvent limiter le commerce pour protéger l'environnement, mais sans rompre un certain équilibre avec le droit d'accès au marché, de façon à ce que l'atteinte d'un objectif ne soit pas compromise par la poursuite de l'autre. Tout est affaire de nuances et d'appréciation.

En l'espèce, la prise en compte des « procédés et méthodes de production » selon l'expression consacrée consisterait à imposer un traitement différent en fonction de processus productifs ne laissant aucune trace dans le produit final. Or, le fait que les procédés ou méthodes de production employés soient distincts ne suffit pas à obtenir des produits « non similaires » selon la terminologie de l'OMC. Lorsqu'il est saisi d'un contentieux fondé sur la prise en compte des procédés et méthodes de production, l'Organe d'appel de l'OMC analyse la similarité des produits au cas par cas. Il est donc possible, mais hasardeux pour l'Union européenne, d'invoquer le non-respect de tel ou tel critère de durabilité imposé par ses directives pour limiter d'une façon ou d'une autre l'importation de matières premières destinées à la fabrication de biocarburants ou l'importation de biocarburants.

Il serait encore plus difficile d'obtenir gain de cause en imposant des restrictions à des importations provenant d'un État tiers au motif que la production de celui-ci provoquerait un changement d'affectation des sols au détriment de la forêt dans un autre pays fabricant par exemple une quantité accrue d'huile végétale.

CHAPITRE III : LA RÉVISION EN COURS

I. LA RÉVISION ENGAGÉE PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE

A. LES COMMUNICATIONS DES 6 JUIN 2012 ET 24 JANVIER 2013

1. La communication du 6 juin 2012 sur les énergies renouvelables

Intitulée Énergies renouvelables : un acteur de premier plan sur le marché européen de l'énergie, la communication présentée le 6 juin 2012 par la Commission européenne présente l'intérêt de placer la stratégie à l'horizon 2020 dans la perspective des années ultérieures, notamment aux échéances 2030 et 2050. La Commission suggère d'éliminer toutes subventions aux combustibles fossiles, d'introduire des taxes énergétiques judicieuses et de soutenir l'intégration progressive des énergies renouvelables sur le marché. Il est notamment proposé d'améliorer les mécanismes de soutien, les mécanismes de protection en cours bénéficiant par exemple à moins d'un tiers des quelque 20 % de l'énergie électrique produits à partir de sources renouvelables.

La Commission européenne souligne aussi l'insuffisante mise en oeuvre des mécanismes de coopération, puisque seuls deux États membres ont indiqué leur intention de les utiliser pour atteindre leurs objectifs de 2020. L'après 2020 est abordé sous l'angle d'une triple ambition :

- l'élimination des émissions de carbone évitables ;

- le maintien d'objectifs contraignants en matière d'énergie renouvelable, de réduction d'émissions et d'efficacité énergétique ;

- une gestion renforcée du secteur énergétique, avec un objectif de sources renouvelables à l'échelle de l'Union.

2. La communication sur les carburants de substitution

Bien que postérieure à la présentation de sa proposition de directive consacrée aux biocarburants, la communication de la Commission intitulée « Énergie propre et transports : la stratégie européenne en matière de carburants de substitution » inscrit le thème des biocarburants dans son véritable contexte conceptuel : la substitution aux produits pétroliers actuels de sources d'énergies alternatives.

Les biocarburants liquides mentionnés peuvent être « conventionnels » ou « avancés ». L'ensemble qu'ils forment est la seule source d'énergie utilisable dans tous les modes de transport, tout en évitant les difficultés inhérentes à la création d'infrastructures spécifiques aux carburants gazeux, ainsi que les obstacles techniques encore non surmontés quant au stockage de l'électricité permettant son utilisation dans les liaisons de moyenne ou longue distance.

Extrait de cette communication, le tableau ci-dessous illustre la place des biocarburants parmi l'ensemble des sources d'énergies de substitution.

La Commission a observé que l'utilisation des biocarburants par les consommateurs européens avait été freinée par le manque de coordination entre États membres lorsque de nouveaux mélanges étaient introduits sur le marché. Elle a également fait le lien entre l'utilisation de biokérozène dans les avions et la réduction à l'horizon 2050 des émissions de CO 2 à concurrence de 75 % et des émissions d'oxyde d'azote à concurrence de 90 %, conformément au rapport du groupe de haut niveau sur la recherche aéronautique intitulé « plan de vol 2050, la stratégie européenne pour l'aviation ». Il est légitime d'espérer qu'à cette échéance la production agricole servira exclusivement l'alimentation humaine.

B. LES DEUX PROJETS DE DIRECTIVES

À trois mois d'intervalle, la Commission européenne a publié deux projets de directives :

- la proposition du 17 octobre 2012 modifiant la directive 1998 sur la qualité des carburants et la directive de 2009 relative à la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables ;

- la proposition du 24 janvier 2013 sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants de substitution, qui fait suite à la seconde communication mentionnée ci-dessus.

Il s'agit de textes formellement distincts, dont la discussion législative se poursuit en parallèle, mais dont l'objet partiellement commun oblige à considérer l'une dès lors que l'on examine l'autre. D'ailleurs, chacun des deux textes traite des biocarburants, l'un à titre principal, l'autre de manière plus incidente. L'interférence entre les deux démarches est étroite au point que l'avis rendu par la commission de l'agriculture et du développement rural sur le second texte pourrait tout aussi bien s'appliquer au premier, à un détail près : la commission de l'environnement (ENVI) est compétente au fond pour la proposition de directive du 17 octobre 2012, alors que celle du 24 janvier 2013 incombe principalement à la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE).

1. La directive CASI

Le texte du 17 octobre 2012 porte principalement sur le changement dans l'affectation des sols indirect (CASI), dans le prolongement de la communication faite en 2010, où la Commission européenne avait identifié incertitudes et limitations associées aux modèles quantitatifs disponibles.

Tirant les conclusions des travaux scientifiques sur les émissions de gaz à effet de serre générées par les changements dans l'affectation des sols en fonction des matières premières, la Commission propose de limiter la contribution des biocarburants conventionnels à la réalisation des objectifs de la directive sur les énergies renouvelables : tout en conservant les objectifs globaux en matière d'énergie renouvelable et de réduction des émissions de gaz carbonique, la Commission propose de limiter à 5 %, jusqu'en 2020, le volume des biocarburants conventionnels comptabilisés dans l'objectif d'énergies renouvelables à pour le secteur des transports, lui-même fixé à 10 % à horizon 2020.

En outre, les installations de biocarburants construites à compter du 1 er juillet 2014 devront réduire d'au moins 60 % les émissions de gaz à effet de serre.

Parallèlement, les États membres devront notifier les émissions estimées découlant des changements dans l'affectation des sols indirect, afin d'en préciser l'ampleur et les conséquences pour une prise en compte après 2020.

Un mécanisme d'incitation fondée sur des comptages doubles ou quadruples est proposé pour encourager une utilisation accrue des biocarburants avancés qui ne créent pas de demande supplémentaire de terre. Enfin, la Commission propose de simplifier le calcul de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les producteurs européens de biocarburants, afin d'éviter une distorsion de concurrence avec les producteurs des pays tiers.

Enfin, les investissements déjà réalisés seraient protégés jusqu'en 2020, toute subvention ultérieure devant disparaître sauf en cas de réduction importante des émissions des gaz à effet de serre, effet CASI inclus.

2. La directive sur les infrastructures

La proposition de directive du 24 janvier 2013 sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants de substitution a un objet complémentaire de la précédente, puisqu'elle concerne non la production, mais la distribution de carburants propres, avec un accent mis sur toutes les sources d'énergies autres que les biocarburants, dont il est tout de même noté qu'il importe d'assurer leur « caractère durable ». Les carburants de substitution mentionnés à titre principal dans ce texte peuvent être classés en deux catégories :

- ceux dépourvus de liens inévitables avec les hydrocarbures ;

- les hydrocarbures rarement utilisés.

L'hydrogène et l'électricité sont dépourvus de liens inévitables avec les hydrocarbures.

À propos de l'électricité, la Commission a proposé que les prises dites « de type 2 » servent de standard commun dans toute l'Europe.

L'hydrogène reste peu utilisé comme carburant dans les automobiles, l'Allemagne, le Danemark et l'Italie étant les principaux utilisateurs de cette ressource, utilisée à plus faible échelle dans 11 autres États membres. La Commission propose de relier les stations existantes pour former un réseau doté de normes communes.

Produit par électrolyse de l'eau, l'hydrogène permet d'utiliser l'énergie intermittente produite par la filière éolienne ou photovoltaïque afin d'obtenir un carburant automobile utilisable à la demande. D'autre part, lorsque la production d'hydrogène, de formule chimique H 2 , est située près d'une source importante de CO 2 , il est possible d'obtenir les conditions de la réaction chimique :

CO 2 + 2 H 2 --> CH 4 + O 2,

permettant d'obtenir du méthane et de l'oxygène en captant le gaz carbonique. L'oxygène peut être valorisé, par exemple à des fins médicales, alors que le méthane est une autre source d'énergie utilisable notamment par des centrales électriques à gaz. On produit ainsi de l'électricité à la demande en partant d'une ressource intermittente. Lorsque cette électricité recharge des batteries de véhicules électriques, éoliennes et cellules photovoltaïques combinent leurs effets avec la captation de CO 2 pour faire rouler des voitures ! Bien sûr, la combustion du méthane produit à son tour du gaz carbonique, mais pratiquement sans émission de gaz à effet de serre dans l'obtention du méthane. Le bilan carbone de l'électricité produite est nul, puisque le gaz carbonique rejeté par la centrale est identique à celui capté antérieurement.

Les autres carburants alternatifs dont la disponibilité est traitée par le projet de directive sont le gaz naturel liquéfié ou comprimé, ainsi que le gaz de pétrole liquéfié. Il s'agit exclusivement d'hydrocarbures.

Le gaz naturel liquéfié ou comprimé est employé dans les transports maritimes ou fluviaux, mais la Suède est le seul État membre disposant d'une installation destinée aux navires de mer. La Commission propose que les stations de ravitaillement soient installées dans les 139 ports du réseau central transeuropéen de transport, d'ici 2020 dans les ports maritimes et d'ici 2025 dans les ports fluviaux.

Ne disposant que de 38 stations de ravitaillement au sein de l'Union européenne, le gaz naturel liquéfié pour poids-lourds ne joue actuellement qu'un rôle marginal. La Commission propose d'installer des stations de ravitaillement tous les 400 kilomètres, le long des routes du réseau central transeuropéen de transport.

Pour décupler d'ici 2020 l'usage par les voitures du gaz naturel comprimé, soit un passage de 0,5 % à 5 % de la flotte, la Commission propose que des points de ravitaillement répondant à des normes communes soient disponibles dans toute l'Europe à des intervalles ne dépassant pas 150 kilomètres. Aucune disposition n'est prévue pour le gaz de pétrole liquéfié (GPL), son infrastructure de base paraissant suffisante à la Commission.

La proposition du 24 janvier 2013 tend ainsi à compléter celle du 17 octobre 2012 en précisant comment il peut être possible d'obtenir 10 % d'énergie renouvelable dans les transports tout en plafonnant à 5 % la part du seul biocarburant véritablement disponible à cette échéance.

II. LE DÉBAT AU PARLEMENT EUROPÉEN ET SON PROLONGEMENT

A. UN DÉROULEMENT HORS NORME

À bien des égards, le débat législatif est particulier, avec une commission compétente à titre principal et six commissions saisies pour avis, celle chargée de l'industrie, de la recherche et de l'énergie intervenant comme « commission associée » au sens de l'article 50 du Règlement du Parlement européen. Il en résulte une obligation particulière de coordination entre les commissions ENVI et ITRE, ce qui n'est jamais de nature à simplifier le processus ni à le rendre plus rapide. L'intervention du Conseil en deux formations distinctes, à savoir le Conseil Environnement et le Conseil Transports, télécommunications et énergie accroît presque mécaniquement la charge pesant sur le Comité des représentants permanents, qui doit coordonner les positions prises par deux fois plus de ministères. Enfin, l'échéance électorale du printemps 2014 est loin d'être sans incidence : au minimum, elle suspend de facto la procédure législative à l'issue de la première lecture si celle-ci ne permet pas de conclure définitivement ; si une deuxième lecture est nécessaire, le président du nouveau Parlement européen pourra rétablir au profit des députés les possibilités d'amendement dont ils ne disposent en principe qu'en première lecture... En définitive, la première lecture a suivi un rythme andante ma non troppo , avec un départ soutenu mais un élan insuffisant pour qu'il soit possible d'augurer une conclusion du débat au cours de l'actuelle législature.

B. UNE PREMIÈRE LECTURE « ANDANTE MA NON TROPPO »

Tout commence par la proposition de directive publiée le 17 octobre 2012, tendant à modifier la directive 98/70/CE concernant la qualité de l'essence et des carburants diesels ainsi que la directive 2009/28/CE relatives à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables.

Le nouveau texte est couramment dénommé « directive ILUC » ( Indirect land use change ), acronyme anglais du CASI. La crainte de voir les biocarburants de première génération, les seuls utilisables à relativement grande échelle d'ici 2020, provoquer finalement un accroissement des émissions de gaz à effet de serre et contribuer à la faim dans le monde explique le plafonnement à 5 % proposé par la Commission européenne à l'horizon 2020. Les biocarburants apportent aujourd'hui environ 4,5 % de l'énergie consommée dans les transports au sein de l'Union européenne. La proposition de la Commission tendait donc en pratique à maintenir le statu quo. Ainsi, les biocarburants conventionnels pourraient assurer au maximum la moitié de l'énergie renouvelable utilisée dans les transports, cette dernière devant toujours s'établir à 10 %.

Le dispositif proposé par la Commission européenne comporte une autre innovation, consistant à affecter certains biocarburants d'un coefficient deux, voire d'un coefficient quatre pour le décompte de leur contribution aux énergies d'origine renouvelable, afin d'encourager le recours à des biocarburants moins contestables sur le plan alimentaire ou environnemental. Imaginons qu'en 2020 un carburant incorpore 5 % de biocarburant conventionnel et 1,25 % de biocarburant avancé bénéficiant d'un coefficient quatre : ce carburant sera réputé contenir 10 % d'énergies durables, soit 5 % au titre du biocarburant conventionnel et 4 x 1,25 %, soit encore 5 % au titre du biocarburant avancé. Ainsi, l'objectif 2020 serait réputé atteint grâce au coefficient multiplicateur.

Les Conseils Transports, puis Environnement ont organisé des débats d'orientation sur ce thème, respectivement le 22 février et le 21 mars 2013, mais certaines commissions compétentes du Parlement européen s'étaient déjà saisies du dossier.

En définitive, pas moins de six avis ont été adoptés, émanant des commissions recherche et énergie (ITRE), agriculture et développement rural (AGRI), développement (DEVE), commerce international (INTA), industrie, développement régional (REGI), et transport (TRAN). Compétente au fond, la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire (ENVI) s'est prononcée le 26 juillet sur le rapport de Mme Lepage, ouvrant ainsi la voie au débat en séance publique.

Le Parlement européen s'est donc prononcé en première lecture le 11 septembre 2013.

Les députés ont adopté un plafonnement des biocarburants conventionnels à 6 %, une valeur médiane entre les 6,5 % proposés par la commission ITRE et les 5,5 % qui avaient la préférence de la commission ENVI.

Le Parlement européen a également introduit un sous-objectif de 2,5 % pour la consommation des biocarburants avancés à l'horizon 2020, avec un quadruple comptage pour les biocarburants issus d'algues, malgré l'absence de perspectives industrielles sérieuses pour cette filière d'ici la fin de la décennie. Le sous-objectif signifie que les carburants devront intégrer au minimum 2,5 % de biocarburants avancés à l'horizon 2020, contre un maximum de 6 % pour les biocarburants conventionnels.

Enfin, les députés européens ont demandé que la Commission européenne effectue en 2016 une expertise méthodologique permettant de mieux apprécier l'ampleur et les effets précis du facteur CASI, dans le double but d'éviter un dévoiement des surfaces dédiées à l'agriculture mais aussi l'écueil de décisions hâtives, prises sans véritable fondement scientifique. Il a donc été décidé à titre conservatoire d'organiser un système de rapports, à la charge des États membres, pour mieux connaître la réalité, afin d'introduire ce facteur dans la législation européenne en 2020. Sachant que le CASI semble se manifester principalement hors d'Europe, on peut légitimement s'interroger sur l'intérêt des informations que les États membres pourront fournir...

Quoi qu'il en soit, le rythme soutenu des travaux parlementaires observés jusqu'à la mi-septembre 2013 aurait pu laisser augurer une conclusion rapide du débat législatif. Il n'en sera pourtant rien, car le Parlement a refusé -par 347 voix contre 346 ! - le mandat demandé par Mme Lepage, qui avait rapporté les travaux de la commission ENVI et qui souhaitait une habilitation à négocier avec le Conseil de façon à conclure le débat avant l'échéance électorale du printemps 2014.


Les six avis formulés par des commissions du Parlement européen

Avis de la commission ITRE, commission associée

La commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie estime que « le principal moteur du développement des biocarburants est de lutter contre le changement climatique », car ils constituent « le principal outil permettant de passer d'un transport reposant sur des combustibles fossiles à un transport reposant sur des « énergies renouvelables ». Elle a souligné la contribution des biocarburants à la réduction de la dépendance énergétique.

Estimant imprécise la connaissance des changements indirects dans l'affectation des sols, alors que la prise en compte « mettrait fin à l'industrie du biodiesel de l'Union européenne » le rapporteur pour avis s'est prononcé contre toute mention du changement indirect dans l'affectation des sols, même sous forme d'obligation d'informer. Il s'est élevé contre le plafonnement à 5 % des biocarburants classiques pris en compte, ainsi qu'à l'introduction du comptage multiple en faveur des biocarburants de deuxième et de troisième génération. La seule disposition proposée par la Commission européenne et approuvée par le rapporteur pour avis est l'exigence envers les installations nouvelles consistant à imposer une réduction de 60 % des émissions des gaz à effet de serre. La commission s'est prononcée pour un plafond de 6,5 % applicables aux biocarburants traditionnels, sous réserve d'un plafond spécifique de 8 % en faveur des biocarburants intégrés dans l'essence de biocarburants « fabriqués à partir de plantes sucrières ou de plantes riches en amidon ». En outre, l'électricité utilisée dans les transports et provenant de sources renouvelables ainsi que l'hydrogène devraient être comptabilisée à concurrence de 1 % au total. Les députés ont souhaité que la Commission européenne réalise et actualise « régulièrement » les études permettant de mieux cerner les changements indirects sur l'affectation des sols, tout en insistant sur « les droits des communautés locales et autochtones », qui ne devraient jamais être déplacées à cause des biocarburants.

Avis de la commission AGRI

La commission de l'agriculture et du développement rural a insisté tout d'abord sur la nécessité d'accroître le rendement des cultures à finalité alimentaire ; dans le même esprit, elle a estimé que l'utilisation d'un certain espace pour


des productions destinées aux biocarburants nécessitait d'augmenter par ailleurs la production alimentaire, un objectif qui pouvait être atteint aussi par une meilleure productivité de l'agriculture.

À propos des biocarburants avancés, la commission a préféré s'en tenir à une rédaction de principe tant que ces produits ne sont pas « disponibles en grande quantité dans le commerce ».

S'agissant enfin de l'affectation des sols, les commissaires ont jugé que le processus indirect n'était pas suffisamment connu pour en tirer les conséquences dans un acte législatif, tout en souhaitant que la Commission européenne puisse élaborer une modélisation « confortée par de claires données scientifiques et économiques ». En attendant, les députés se sont prononcés contre le durcissement des exigences en matière de réduction des gaz à effet de serre applicable aux nouvelles installations à compter du 1 er juillet 2014.

Avis de la commission DEVE

La commission du développement a réaffirmé les objectifs 2020, avant d'affirmer que l'utilisation des biocarburants était « parfois contre-productive par rapport à l'objectif poursuivi » tendant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle a ensuite mentionné le « dilemme nourriture-carburants », non sans reconnaître que les avis divergent quant au rôle joué par la politique de l'Union en matière de biocarburants. Considérant avec beaucoup de méfiance l'utilisation de la biomasse pour obtenir des biocarburants, la commission du développement a proposé de conforter la sécurité alimentaire, ainsi que la défense des droits d'utilisation du sol. La principale modification de principe souhaitée par la Commission consiste à mettre l'accent sur la réduction de la consommation d'énergie dans le secteur des transports et l'utilisation de ressources énergétiques « n'entraînant aucun ou peu de changements indirects dans l'affectation des sols ».

Avis de la commission INTA

La commission du commerce international a insisté sur les risques inhérents au changement indirect d'affectation des sols, qui « peut annihiler les réductions d'émissions de gaz à effet de serre » des biocarburants par rapport aux combustibles fossiles.

Sur le fond, les commissaires ont souhaité que les biocarburants conventionnels soient pris en compte à concurrence de 6,5 % dans l'objectif de 10 % relatif à la consommation d'énergie renouvelable dans les transports, les 3,5 % restants étant affectés aux biocarburants avancés ainsi qu'à l'électricité d'origine renouvelable.

Avis de la commission TRAN

La commission des transports et du tourisme s'est prononcée en faveur du plafonnement que la Commission européenne souhaitait introduire, en l'assortissant de sous-objectifs : la part des biocarburants produits à partir de céréales ou d'autres plantes riches en amidon devraient représenter 6,5 % de la consommation finale


d'énergie dans les transports, la part des biocarburants avancés devant atteindre 3 %, avec des coefficients multiplicateurs égaux à 1,2 ou à 2 selon la matière première utilisée. En outre, l'électricité produite à partir de sources renouvelables d'énergie est utilisée dans les transports ferroviaires devrait bénéficier d'un coefficient multiplicateur égal à 2,5. Toute mesure de soutien aux biocarburants conventionnels devrait disparaître à partir de 2021.

En matière d'affectation des sols, la Commission européenne devrait présenter un rapport fondé « sur le modèle scientifique le plus fiable » pour limiter les émissions liées aux changements indirects dans l'affectation des sols, encourager le développement de nouvelles filières ainsi que la collecte de données fiables.

Avis de la commission REGI

La commission du développement régional estime que l'Union européenne devrait soutenir en priorité la production et la demande de biocarburants de deuxième génération, « de façon plus globale que ne le propose la Commission ». Après avoir souligné la contribution des biocarburants de nouvelle génération à la création d'emplois, des députés ont demandé que la législation de l'Union européenne établisse un environnement entrepreneurial stable afin que les entreprises renforcent leurs investissements en Europe.

Le Conseil prendra-t-il une position définitive dans les prochains jours ? Nous l'ignorons, mais la présidence lituanienne a proposé une rédaction conduisant à relever jusqu'à 7 % la part des biocarburants de première génération prise en compte dans l'objectif d'énergies renouvelables utilisées dans les transports. Simultanément, la présidence lituanienne propose d'alléger les contraintes inhérentes à la quantification des changements d'affectation de sols indirects, mais sans remettre en cause le principe même du suivi proposé par la Commission européenne.

C. LA POURSUITE DE LA DISCUSSION : SANS DOUTE ENCORE UN AN

Si l'on considère les hésitations du Conseil face à un changement de politique susceptible de compromettre les investissements existants et de rendre la réalisation des objectifs de l'UE plus coûteux et difficiles, et les propositions parfois radicalement contraires des commissions du Parlement européen, il est peu réaliste d'envisager un accord avant le prochain renouvellement du Parlement européen et de la Commission, ce qui repousse l'échéance définitive sans doute à la fin de l'année 2014.

CONCLUSION GÉNÉRALE

En gardant en mémoire que les carburants de première génération n'ont pas donné tous les résultats attendus, il est possible d'énumérer les attentes suscitées par les biocarburants avancés. La première est la fin du dilemme « manger ou conduire », puisque le développement des biocarburants avancés devrait en bonne logique se traduire à terme par l'affectation des produits agricoles à la seule alimentation humaine, dont les besoins ne devraient cesser de croître tout au long du XXI e siècle.

Vient ensuite l'allégement très substantiel de la facture pétrolière et gazière.

Parallèlement, la lutte contre le changement climatique devrait enregistrer une contribution très substantielle du continent européen avec l'utilisation de ressources au bilan carbone quasiment nul.

Bien sûr, tout cela suppose d'une part la poursuite de la recherche et sa concrétisation en processus industriel viable, d'autre part la création d'infrastructures de production extrêmement importantes, enfin la mise sur pied de véritables filières industrielles et de pôles économiques intégrés à même de valoriser au mieux les ressources disponibles, qu'il s'agisse de matières lignocellulosiques, de déchets industriels ou ménagers, ou de microalgues.

Le défi strictement économique est donc loin d'être négligeable. Son ampleur ne doit pas être sous-estimée. Il n'en demeure pas moins que, l'évolution engagée est également porteuse de croissance respectueuse de l'environnement et source de nouveaux emplois répartis sur tout le territoire .

Dans l'immédiat, il importe d'accompagner cette mutation scientifique et industrielle vers des biocarburants qui ne contribuent pas à l'augmentation de la faim dans le monde, fût-ce indirectement. Cette évolution favorisera aussi la lutte contre le changement climatique. Il n'y a donc pas lieu d'exclure à priori l'introduction d'objectifs planchers en faveur des biocarburants avancés, non plus que l'application temporaire de coefficients multiplicateurs pendant la phase de décollage des nouvelles technologies.

Les modalités concrètes du soutien public à l'évolution engagée doivent à l'évidence être élaborées au minimum à l'échelle européenne, et de préférence dans un cadre plus vaste, à l'image de la lutte contre le changement climatique.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le mardi 10 décembre 2013 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par Mme Bernadette Bourzai, le débat suivant s'est engagé :

M. Simon Sutour , président . - Je félicite notre rapporteure pour ce travail sur un sujet complexe et difficile.

M. Jean Bizet . - Je salue le travail de Mme Bourzai. Cependant, la résolution ne me convient pas tout à fait.

Vous soulignez que le CASI ne fait pas l'objet d'un consensus : c'est le moins que l'on puisse dire, puisque ses concepteurs eux-mêmes sont revenus sur leur analyse ! Vous dites que la filière des biocarburants produit des carburants et, accessoirement, des protéines végétales. N'est-ce pas exagéré ? Avant l'émergence de cette filière, l'Europe importait 78 % des protéines nécessaires à la couverture des besoins de ses animaux d'élevage ; ce chiffre est tombé à 48 %. Dans ces conditions, l'opposition entre l'assiette et l'automobile est réductrice.

Vous affirmez vouloir préserver les 30 000 emplois créés par les biocarburants de première génération, mais la résolution pourrait fragiliser la lisibilité de la politique industrielle française, notamment aux yeux de professionnels qui ont réalisé des investissements considérables.

Le Président de la République a annoncé le 3 décembre dernier qu'il soutiendrait au niveau européen un plafond de 7 % d'incorporation d'agrocarburants de première génération dans les carburants traditionnels. C'est le chiffre retenu dans le projet de loi de finances pour 2014. Je voterai la résolution si notre résolution reprend ce taux.

M. André Gattolin . - Vous nous proposez de faire une agriculture à la hollandaise !

M. Jean Bizet . - Les orientations de la politique industrielle ne peuvent être fragilisées au nom d'un CASI dont même les concepteurs mettent en doute la fiabilité. La résolution est trop prudente. La mention du taux de 7 % permettra de redonner confiance aux professionnels de la filière et d'assurer la pérennité des emplois créés.

Nous sommes unanimes à soutenir les biocarburants de deuxième et troisième générations. Nous ne pouvons toutefois agir au détriment des agriculteurs qui se sont engagés et qui ont investi. Allouer 2 à 3 % aux carburants avancés me semble opportun.

M. Jean-Paul Emorine . - Je partage nombre des vues de notre rapporteure. En 2006 et 2007, on s'est enflammé pour les biocarburants, puis les prix des céréales ont flambé et l'enthousiasme est retombé. Il faut réfléchir à l'utilisation de l'espace agricole, compte tenu de la croissance de la population mondiale. La Chine achète des terres en Afrique car ses 140 millions d'hectares cultivables ne suffiront pas pour nourrir 1,3 milliard d'hommes. Avant de déterminer la part des biocarburants, nous devons déterminer notre priorité. L'espace agricole dont nous disposons est réduit - pour donner un ordre d'idées, les surfaces agricoles représentent 300 millions d'hectares au Brésil, 140 millions d'hectares en Europe pour 500 millions d'habitants, dont 28 millions d'hectares en France. À mon sens, nous devons d'abord viser l'autosuffisance alimentaire européenne.

Pour autant, nous ne pouvons remettre en cause les politiques industrielles mises en oeuvre et les investissements réalisés. Par fidélité, je soutiendrai la position de Jean Bizet, mais la proposition de résolution me convient.

M. André Gattolin . - Elle me convient également. Elle a le mérite de la prudence. Préserver la planète et limiter les émissions de gaz à effet de serre ne doit pas nous faire tomber sous la « dictature du carbone », selon l'heureuse expression de Frédéric Denhez, car ce n'est pas la menace unique pour notre environnement. Je me méfie des coefficients de valeur. La mesure des rejets de carbone est insuffisante pour évaluer les conséquences d'un projet.

Un équilibre doit être trouvé entre les objectifs européens en matière d'émissions de carbone et la bonne occupation des sols. Nous devons conserver une filière productive alimentaire sans faire disparaître la filière des biocarburants. Mais si grâce aux nouveaux biocarburants nous produisons mieux et plus efficacement, tant mieux !

M. Yannick Botrel . - J'approuve les propos de Jean-Paul Emorine.

Les capitaux investis sont en voie d'être amortis. Je vous rappelle que le Grenelle s'est prononcé sur la préservation des espaces agricoles. Continuons à progresser vers les biocarburants de deuxième et troisième générations. D'autres options émergeront sans doute grâce aux progrès de la science dans les années à venir, qui seront peut-être peu consommatrices de terres agricoles.

Mme Bernadette Bourzai . - Je remercie chacun d'entre vous de ses observations, y compris M. Bizet... qui a largement validé la proposition de résolution !

La confrontation, parfois tendue, sur le CASI est ancienne. Elle date de la directive 98/70/CE. J'en ai fait l'expérience lorsque, étant membre du Parlement européen, j'ai rapporté l'avis adopté par la commission de l'agriculture sur les biocarburants : le débat fut animé, voire virulent ! La résolution va dans le sens d'un approfondissement, afin que les changements d'affectation des sols soient mieux connus et moins contestables. En Indonésie, on détruit la forêt pour produire de l'huile de palme, qui n'est pas la meilleure sur le plan alimentaire.

M. Simon Sutour , président . - Elle ne vaut certes pas l'huile d'olive !

Mme Bernadette Bourzai . - Dans certains territoires, il existe des conflits d'intérêts et d'usages entre les cultures vivrières et les cultures de plantation dont la destination est moins valorisante. Tel est le sens de mon propos.

On entend beaucoup l'argument des coproductions alimentaires. J'ai repris la présentation faite par les professionnels du secteur, Sofiproteol et la confédération générale de la coopération agricole (Copa-Cogeca) notamment. Je n'ai pas mentionné le volume en baisse des importations de tourteaux de soja parce que cet élément reste secondaire pour le sujet qui nous occupe.

Il est exact que les industriels ont consenti des investissements importants : ceux engagés après 2007 ne sont pas encore amortis. Mais, la défiscalisation a pour les finances publiques un coût non négligeable. En janvier 2012, la Cour des comptes indiquait qu'en cinq ans, la filière bioéthanol avait reçu 850 millions d'euros, l'État avait perçu 470 millions au titre de la taxe sur la surconsommation et la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) tandis que les consommateurs avaient payé 1,86 milliard d'euros en TGAP et surconsommation. La filière biodiésel a reçu 1,8 milliard d'euros et le consommateur a payé 910 millions. La Cour souligne que l'équilibre du système repose presque exclusivement sur le consommateur. Elle juge ce soutien positif pour l'agriculture, mais sans réelle pertinence pour l'indépendance énergétique et discutable sur le plan environnemental. La fin de la défiscalisation en décembre 2016 est donc justifiée.

Les entreprises industrielles peuvent s'orienter vers la deuxième génération de carburants ; il y faut des mesures lisibles. La Commission européenne a défini des objectifs pour 2020 : cela laisse aux entreprises un délai de sept ans. La visibilité me semble garantie.

Vous proposez d'adopter le taux plafond souhaité par le Président de la République. Je n'avais pas osé le faire, souhaitant d'abord entendre vos avis. Mais je souscris à cette proposition. Le taux de 7 % est raisonnable, même s'il est légèrement supérieur à ce que proposent le Parlement et la Commission. Il est cohérent avec les investissements consentis en France. J'ai lu dans Agence Europe que ce taux est critiqué par six organisations, dont Copa-Cogeca : cela me paraît bon signe !

M. Simon Sutour , président . - Notre collègue Jean Bizet n'est pas le porte-parole de cette association.

M. Jean Bizet . - Une fois n'est pas coutume, je suis celui du Président de la République.

Mme Bernadette Bourzai . - La commission des affaires européennes du Sénat adoptera ainsi une position plus raisonnable que celle des organisations professionnelles.

M. Jean Bizet . - Je me félicite de la qualité et de la courtoisie du débat, habituels dans cette commission. Nous sommes tous sensibles à la bonne utilisation des terres européennes et soucieux d'éviter les aberrations qui se produisent ailleurs.

L'avis de la Cour des comptes n'est pas aussi binaire et tranché. Quoi qu'il en soit, la France dispose avec les biocarburants d'une filière d'excellence grâce à la fabrication de tourteaux. L'Allemagne ne peut en dire autant avec la méthanisation. Le Président de la République a déclaré le 3 décembre : ...

M. Simon Sutour , président . - Ce plaisir réitéré de citer le Président de la République ne laisse pas de m'étonner !

M. Jean Bizet . - « Je veux rappeler mon choix qui est de maintenir au niveau actuel la production de biocarburant de première génération pour préserver l'outil industriel existant, les emplois qui y sont attachés et surtout la capacité d'innovation et de recherche. Et c'est la raison pour laquelle la France soutient un taux d'incorporation de biocarburant de première génération stabilisé à 7 % et encourage le développement des autres biocarburants au-delà même de ce seuil. Cette position est traduite dans la loi de finances pour l'année prochaine, et je la défendrai également au plan européen par ce que nous sommes aussi dans un débat européen ».

Je me retrouve dans ces propos ainsi que dans la « clause grand-père ». Je souhaite que la proposition de résolution soit complétée en faisant référence à la position du Président de la République.

La proposition de résolution modifiée est adoptée à l'unanimité.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

1 - Le Sénat,

2 - Vu l'article 88-4 de la Constitution,

3 - Vu la Directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 concernant la qualité de l'essence et des carburants diesel et modifiant la directive 93/12/CEE du Conseil ;

4 - Vu la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE ;

5 - Vu le livre blanc du 28 mars 2011 intitulé Feuille de route pour un espace européen unique des transports - Vers un système de transport compétitif et économe en ressources ;

6 - Vu la communication de la Commission au Parlement européen au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, en date du 24 janvier 2013, intitulé Énergies propres et transport : la stratégie européenne en matière de carburants de substitution ;

7 - Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 98/70/CE et la directive 2009/28/CE [COM (2012) 595 - texte E 7790] ;

8 - Rappelle que le recours aux biocarburants a été motivé par la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour combattre le changement climatique, mais aussi pour diminuer la dépendance envers la production de pétrole, contribuer à redresser la balance des paiements et créer des emplois dans le cadre d'une croissance durable ;

9 - Observe toutefois que la contribution au changement d'affectation des sols indirect (CASI) semble contredire au moins partiellement les espoirs mis dans les biocarburants quant aux émissions de gaz carbonique, tout en aggravant la difficulté à nourrir 7 milliards d'êtres humains ;

10- Distingue les biocarburants dits « conventionnels » ou « de première génération », issus de cultures agricoles, qui font l'objet des critiques actuelles, et les carburants dits « avancés » dépourvus de tout conflit d'usage avec la production alimentaire, qui devraient se développer à l'horizon 2020 ;

11- Constate cependant que l'ampleur et les effets du CASI sont loin de faire l'objet d'un consensus dans le monde scientifique, ce qui impose une certaine retenue dans les décisions à prendre ;

12 - Demande en conséquence :

13 - que soient recherchés les moyens les mieux adaptés pour apprécier l'ampleur du changement d'affectation des sols indirect (CASI) et connaître ses effets sur les cultures alimentaires et sur les émissions de gaz carbonique ;

14 - que les plafonds d'incorporation, ne compromettent pas les investissements déjà réalisés dans les biocarburants de première génération, afin de ne pas décourager les évolutions ultérieures de cette filière et de préserver l'emploi ;

15 - de porter avec réalisme et détermination le sous-objectif à l'horizon 2020 en faveur des biocarburants avancés, qui n'en sont aujourd'hui qu'à des phases expérimentales ;

16 - de soutenir dans le même esprit les mécanismes de comptage multiple au profit de ces mêmes carburants avancés, qui commenceront à parvenir sur le marché ;

17 - Relève que le Président de la République a préconisé, le 3 décembre 2013, de « maintenir au niveau actuel la production de biocarburants de première génération pour préserver l'outil industriel existant, les emplois qui y sont attachés et surtout la capacité d'innovation et de recherche » et s'est prononcé pour « un taux d'incorporation de biocarburants de première génération stabilisé à 7 % », complété par l'encouragement au « développement des autres biocarburants ou issus de résidus au-delà même de ce seuil » ; partage les objectifs ainsi définis ;

18 - Invite le Gouvernement à défendre et faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- Ministère de l'agriculture : M. Patrick FALCONE, Conseiller technique au cabinet du ministre, chargé du développement durable, de la forêt et du cheval ; M. Aurélien MILLION, chef du bureau de la biomasse et de l'énergie ;

- Ministère de l'écologie : M. Yves LEMAIRE, chef du bureau de l'industrie pétrolière et des nouveaux produits énergétiques ;

- COREPER : M. Alexis DUTERTRE, représentant permanent adjoint ;

- Commission de l'environnement du Parlement européen : Mme Corinne LEPAGE ;

- Oxfam International : M. Marc-Olivier HERMAN, conseiller ;

- Bureau environnemental européen : Mme Faustine DESFOSSEZ, conseiller ;

- Services de la Commission européenne : M. Humberto DELGADO-ROSA, directeur « Intégration horizontale du climat, adaptation et technologies à faibles émissions de carbone » à la direction générale Action pour le climat ;

- Commissariat à l'énergie atomique : M.M. Bernard BIGOT, administrateur général et Bernard VIGOUROUX, chef du service des affaires publiques à la Direction de la stratégie et des programmes ;

- Distillerie Cristanol à Bazancourt (51) : Benoît LALIZEL, directeur de l'établissement ;

- Site Futurol à Pomacle (51) : Benoît TREMEAU, secrétaire général du projet FUTUROL 2G ;

- SOFIPROTEOL : Mme Kristell GUIZOUARN, directeur du développement durable ;

- Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) : M. Nicolas RIALLAND, responsable bioéthanol et bioénergie ;

- Société LyondellBasell : M. Bruno HÉRY, directeur des affaires institutionnelles pour l'Europe et la France ;

- Société UPM France : M. Jean-Marc LOUVET, président.

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