II. PRÉSENTATION DU RAPPORT D'INFORMATION

Mercredi 26 janvier 2014
Présidence de Mme Catherine Génisson, vice-présidente

Mme Catherine Génisson , présidente. - Mes chers collègues, nous allons entendre la présentation par M. Yves Daudigny et Mme Catherine Deroche de leur rapport d'information, établi au nom de la Mecss, sur la fiscalité comportementale.

M. Jacky Le Menn, président . - Mes chers collègues, nous allons entendre la présentation par Catherine Deroche et Yves Daudigny de leur rapport d'information sur la fiscalité comportementale.

M. Yves Daudigny . Rapporteur . - Nous sommes heureux de vous présenter aujourd'hui le résultat des travaux que nous avons menés au cours de ces derniers mois sur la question de la fiscalité comportementale.

Vous savez qu'il s'agit d'un sujet qui me tient à coeur et sur lequel, avant le début de cette mission, j'ai eu l'occasion de m'exprimer à double titre : en tant que simple citoyen, dans la mesure où, concerné par des problèmes cardio-vasculaires, j'ai été très sensibilisé aux conséquences néfastes de certaines habitudes alimentaires sur la santé ; en tant que rapporteur général de la commission, puisque j'ai été à l'initiative d'un amendement visant à augmenter le niveau de taxation des huiles de palme, de coprah et de palmiste dans le cadre de la discussion du PLFSS pour 2013. Les discussions qui ont entouré cet amendement ont influencé mon choix de proposer à la Mecss de traiter un sujet situé aux confins du champ social et du champ financier.

L'impact médiatique de l'amendement « Nutella «, le débat de société qu'il a suscité autour de la consommation des produits palmés mais aussi et surtout les incertitudes entourant l'efficacité d'une taxe destinée à influencer les habitudes de consommation et de production, justifiaient un travail approfondi sur le sujet.

Au-delà de ces motivations personnelles, le travail que nous vous présentons aujourd'hui fait écho à la multiplication des initiatives gouvernementales et parlementaires visant à instaurer de nouvelles taxes de santé publique ou à augmenter le taux des taxes existantes. La taxe sur les boissons sucrées, celle sur les boissons édulcorées, la hausse des droits applicables aux produits du tabac, aux spiritueux, aux bières, le prélèvement sur les boissons énergisantes, la taxe sur l'aspartame, la contribution additionnelle sur l'huile de palme ont ainsi été examinés dans l'hémicycle au cours des trois dernières années.

La situation dégradée de nos finances publiques, qui appelle la multiplication des bases taxables, le niveau élevé des prélèvements pesant sur les facteurs de production traditionnels, qui conduit à explorer des assiettes alternatives, et le lien fréquemment établi entre consommation et dépenses de santé, qui appelle la participation des consommateurs au financement des régimes sociaux, sont sans doute à l'origine d'un tel foisonnement.

Ce travail vise enfin à remédier au nombre limité et au caractère parcellaire des travaux administratifs publiés sur ce sujet. A cette date, aucun document ne traite en effet de la fiscalité comportementale en tant que telle. Si nous avons pu nous appuyer sur quelques rapports consacrés spécifiquement au tabac, à l'alcool ou aux taxes nutritionnelles, aucun d'entre eux n'a cherché à établir de diagnostic global au moment où l'emploi du terme « fiscalité comportementale « suggère qu'il pourrait exister des points communs entre les différentes taxes qu'il désigne.

En ce sens, il s'agit d'un travail précurseur pour lequel nous nous sommes heurtés à d'importantes difficultés.

Ces difficultés tiennent en premier lieu au faible nombre d'études réalisées sur la situation française. Ce qui est vrai pour les rapports administratifs l'est aussi pour les études économiques, ce qui est beaucoup plus inquiétant. Contrairement à leurs homologues anglo-saxons, nos chercheurs produisent ainsi très peu d'études consacrées aux élasticités du tabac, de l'alcool, des produits gras, sucrés et salés... qui mesurent l'évolution du prix de ces produits en fonction d'une hausse des taxes ou l'évolution de leur consommation en fonction de l'évolution de leur prix. Ces études sont pourtant indispensables à l'évaluation des politiques publiques faisant appel, à titre essentiel ou accessoire, à des outils fiscaux. Chacun comprendra qu'il est en effet problématique de transposer à la France des résultats obtenus pour des pays dont les réactions des consommateurs et des producteurs dépendent par définition de facteurs économiques, sociaux ou culturels tout à fait spécifiques.

Dans le même esprit, la recherche française produit très peu d'études destinées à quantifier le coût global, pour la société, des pratiques addictives. Au cours des dix dernières années, une seule équipe de chercheurs s'est lancée dans ce type de travail. Il est pourtant utile de disposer de plusieurs évaluations des dépenses liées aux différents risques sanitaires afin de définir les politiques les plus adéquates pour les prendre en charge.

Enfin, nous avons été déçus par le contenu des auditions réalisées. Certes, nous n'avons pas été surpris par l'opposition de principe des représentants des différents lobbies à l'utilisation de la fiscalité pour diminuer la consommation des produits dont ils sont chargés de promouvoir l'image. Mais aucun d'entre eux n'a cherché à aller au-delà de cette posture pour alimenter une réflexion qui nous paraît légitime.

Mme Catherine Deroche, rapporteure . - Le caractère précurseur du travail entrepris dans le cadre de cette mission est illustré par les incertitudes entourant le sens de l'expression « fiscalité comportementale «.

Régulièrement employée dans le discours politique ces dernières années, abondamment utilisée par les médias, cette notion n'a, pour l'heure, aucune existence juridique ou théorique.

La fiscalité comportementale désigne en effet des taxes disparates dont on a simplement souhaité souligner l'effet sur les habitudes de production ou de consommation. Elle se compose ainsi majoritairement de prélèvements indirects, notamment des accises sur les produits du tabac et sur les différentes boissons alcoolisées, dont on a changé l'objectif et l'affectation.

Symbolisant autrefois les taxes de rendement destinées à abonder les caisses du Royaume puis à alimenter le budget de l'Etat, ces accises sont désormais mobilisées pour réduire la consommation des produits concernés et financer les dépenses de sécurité sociale.

Entre parenthèses, l'idée que la fiscalité puisse agir sur la consommation par le biais des prix, tout comme l'hypothèse qu'une taxe puisse poursuivre des objectifs en matière d'hygiène et de santé publique ne sont pas nouvelles. Un manuel publié en 1866 considérait ainsi que le tabac « est un objet de luxe et d'agrément dont les taxes enrichissent le trésor sans aggraver d'une manière sérieuse la charge de l'existence. On peut même regarder l'impôt sur le tabac comme d'une certaine utilité hygiénique. L'augmentation de l'impôt sur le tabac qui a été réalisée en 1860 en France n'a pas été seulement légale, elle a dû être considérée avec ferveur, le tabac étant regardé par quelques-uns comme presque aussi nuisible que l'alcool à la santé publique «.

Si les accises composent aujourd'hui l'essentiel de cette fiscalité comportementale, elles n'en sont toutefois qu'une composante. Littéralement, tous les outils fiscaux utilisés par les pouvoirs publics pour inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d'intérêt général devraient entrer dans le champ d'une telle fiscalité. L'expression désignerait alors non seulement les accises mais aussi les taxes mobilisées pour lutter contre les dommages causés à l'environnement ou celles destinées à lutter contre le bruit engendré par le trafic aérien. Ce terme pourrait même s'appliquer à la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles visant à inciter les entreprises à améliorer leur comportement de prévention des risques professionnels.

Au regard des attributions de la Mecss, du champ de compétences de la commission des affaires sociales et de l'objet des amendements se revendiquant de la fiscalité comportementale déposés lors des derniers PLFSS, nous avons cependant décidé de concentrer notre propos sur les taxes et impositions poursuivant des objectifs de santé publique.

Cette définition restreinte qui correspond à un périmètre proche de nos préoccupations couvrirait aujourd'hui onze prélèvements générant un produit fiscal estimé à 15,3 milliards d'euros en 2014, intégralement affecté aux comptes sociaux.

Le poids de la fiscalité comportementale dans la fiscalité française et a fortiori dans le financement des comptes sociaux doit donc être relativisé. Il représente à peine plus de 3 % des recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale - estimées à 464,7 milliards d'euros par la loi de financement pour 2014.

Nous avons par ailleurs décidé d'inclure dans ce périmètre deux taxes assises sur des dépenses de promotion qui s'inscrivent dans une démarche de santé publique : la contribution due par les laboratoires pharmaceutiques et la contribution perçue au profit de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes).

Comme Yves Daudigny l'a souligné à titre liminaire, la plupart des lobbies que nous avons eu l'occasion d'auditionner dans le cadre de nos travaux - alcool, tabac, industrie agro-alimentaire - ont non seulement contesté l'efficacité de ce type de taxes mais aussi souligné leur absence de légitimité. Certains ont mis en avant la rationalité du consommateur pour dénoncer l'intervention de l'Etat sur les habitudes de consommation. Selon une telle idée, chacun d'entre nous serait en mesure de savoir, à tout instant, ce qui est bon et ce qui ne l'est pas pour sa santé. D'autres, comme les fabricants de tabac, ont insisté sur le fait que les cigarettes étaient destinées à des adultes libres de consommer des produits dont le caractère nocif pour la santé n'est plus à démontrer. Les pouvoirs publics devraient selon ceux-ci s'en tenir à assurer le respect de la réglementation afin de limiter l'accès des mineurs aux produits du tabac et à lutter contre la contrebande. Enfin, certains ont affirmé qu'il n'y avait aucun lien entre leur produit et le risque considéré et qu'une taxation de santé publique n'avait par conséquent aucun fondement.

Ces arguments peuvent, dans certains cas, être entendus. Mais les faits justifient néanmoins une intervention résolue des pouvoirs publics en matière de tabagisme, d'alcoolisme ou d'obésité.

Il convient de rappeler que ces trois risques ont aujourd'hui un coût humain bien connu auquel, au sein de notre commission, nous pouvons difficilement rester insensibles.

Le tabagisme représente la première cause de mortalité évitable dans notre pays avec 73 000 décès annuels soit 22 % de la mortalité masculine et 11 % de la mortalité féminine.

L'alcool serait quant à lui responsable de 49 000 décès par an, dont un tiers par cancer et un quart par maladie cardiovasculaire.

Enfin, l'évolution des habitudes alimentaires, combinée à la diminution des dépenses d'énergie liée à la sédentarité de nos modes de vie, pourrait constituer le principal facteur de risque des décennies à venir. La dernière enquête ObEpi révèle que près d'un Français sur deux souffre désormais de surpoids ou d'obésité et met en évidence un très net effet générationnel dans ce domaine. Plus les générations sont récentes et plus le taux d'obésité de 10 % est atteint précocement : la génération née entre 1980 et 1986 atteint 10 % d'obésité vers 28 ans alors que la génération née 20 ans plus tôt atteignait 10 % d'obésité vers 41 ans seulement.

Le coût humain de ces trois risques se double d'un coût financier considérable pour la société.

Avec toutes les précautions méthodologiques qui s'imposent, les études réalisées par Pierre Kopp et Philippe Fénoglio offrent une vision globale des conséquences financières de certaines addictions. Selon ces travaux, le coût social du tabagisme en France s'élèverait à 47,7 milliards d'euros par an, soit 3,05 % du PIB. Cette estimation est à rapprocher de l'évaluation réalisée par la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), selon laquelle la prise en charge des différentes pathologies dues au tabac atteindrait 12 milliards d'euros en 2012, dus pour moitié aux pathologies respiratoires, pour un peu moins d'un tiers aux cancers, et pour un cinquième aux pathologies cardiovasculaires. La caisse tient cependant à préciser que « le résultat fourni constitue une borne basse : d'une part certains coûts n'ont pu être intégrés faute de disponibilité des informations à un niveau de finesse suffisant ; d'autre part, n'ont été retenues que les pathologies pour lesquelles la fraction attribuable au tabac fait l'objet d'une évidence scientifique solidement établie ». Enfin cette estimation laisse volontairement de côté les dépenses relevant des organismes complémentaires et les restes à charge supportés par les patients notamment pendant la phase précédant le diagnostic et l'entrée en affection de longue durée.

Si les coûts liés à l'alcoolisme n'ont fait l'objet d'aucune évaluation par la Cnam, ils s'élèveraient, selon Pierre Kopp et Philippe Fenoglio, à 37 milliards d'euros par an.

L'évaluation du coût des pathologies liées à l'alimentation se heurte quant à elle à des difficultés méthodologiques importantes. Il est en effet particulièrement délicat d'établir avec certitude :

- la part attribuable aux déséquilibres de la nutrition dans l'apparition des pathologies par rapport aux autres facteurs de risque ;

- les parts respectivement attribuables à l'exercice physique et à l'alimentation dans les déséquilibres nutritionnels ;

- la part imputable à la consommation excessive de sel, de sucre et de lipides dans l'apparition de ces pathologies.

Le rapport consacré à la pertinence et à la faisabilité d'une taxe nutritionnelle établi conjointement par l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales en 2008 met en évidence ces difficultés en proposant des évaluations divergentes des dépenses d'assurance maladie liées aux déséquilibres de l'alimentation. L'Inspection générale des finances estime toutefois que le montant de ces dépenses s'établirait à 14,5 milliards d'euros pour 2006. Ce montant atteindrait 34,5 milliards d'euros si l'on tenait compte de la part des dépenses d'affection de longue durée directement imputable à des patients ayant une alimentation déséquilibrée.

Au regard des coûts humains et financiers liés au tabagisme, à l'alcoolisme et aux pathologies liées aux habitudes alimentaires, la légitimité de l'intervention des pouvoirs publics paraît difficilement contestable.

En revanche, les modalités de cette intervention et en particulier l'opportunité de recourir à l'outil fiscal pour atteindre les objectifs de santé publique poursuivis appellent plus de réserves.

L'évaluation de l'impact des politiques de taxation sur les décisions des individus a fait l'objet d'abondants travaux empiriques dont la méthodologie n'a cessé de s'affiner pour tenir compte d'un nombre croissant de facteurs et limiter les effets de contexte.

La plupart des travaux relatifs aux élasticités portant sur le tabac, l'alcool et les produits alimentaires identifient un lien significatif entre l'évolution du prix et l'évolution de la consommation de ces biens.

Les résultats sont toutefois plus nuancés lorsqu'il s'agit d'établir l'impact du prix sur le comportement de chacune des catégories de consommateurs et, a fortiori, lorsqu'il s'agit d'établir un lien entre l'évolution de ce prix et l'état de santé des populations.

Ainsi, les études montrent que l'effet d'une hausse des prix sur la décision d'arrêter de fumer est tout à fait significatif. En revanche, celles consacrées à l'effet du prix du tabac sur l'initiation tabagique sont contradictoires.

Les études publiées en matière d'alcool concluent au fait que les adolescents et jeunes adultes sont très sensibles au prix des boissons alcoolisées tandis que la taxation semble peu efficace pour lutter contre l'alcoolisme.

En matière alimentaire, les simulations réalisées à partir d'une hausse des prix mettent en évidence une baisse des achats. Mais ce comportement est à nuancer selon la classe sociale du ménage et le groupe d'aliments.

Les réactions stratégiques des différents acteurs de marché - producteurs et consommateurs - face à l'évolution des prix limitent en effet considérablement l'efficacité d'une intervention publique exclusivement fondée sur les prix.

L'efficacité de la mise en place d'une fiscalité comportementale dépend d'abord de la réaction des entreprises face à l'altération du prix de marché décidée par les pouvoirs publics par le biais d'une hausse de taxe. L'expérience montre que la transmission des taxes au prix de vente est loin d'être assurée, les entreprises préférant parfois réduire leurs marges pour minimiser la hausse des prix imposée aux consommateurs et éviter, le cas échéant, de perdre des parts de marchés face à leurs concurrents.

Mais l'efficacité de la mise en place d'une fiscalité comportementale dépend aussi et surtout de la réaction des consommateurs face à la hausse des prix résultant d'une taxation des produits qu'ils ont l'habitude de consommer. Une hausse des prix peut ainsi inciter ceux-ci, dans la limite de leurs goûts et de leur budget, à substituer un produit par un autre. La hausse du prix du paquet de cigarettes incite ainsi certains fumeurs à se tourner vers le tabac à rouler tandis que la hausse du prix des sodas peut les conduire à réorienter une partie de leurs dépenses vers les jus de fruits ou les eaux minérales. Cette hausse de prix peut également les conduire à substituer certaines variétés de produits entre elles, en allant par exemple reporter son choix d'une marque premium vers une marque distributeur. L'augmentation des prix peut enfin conduire les consommateurs à chercher à contourner l'effet de la taxe en se procurant les produits au-delà des frontières ou en recourant au marché parallèle. On estime que 20 % des achats de tabac dans notre pays sont réalisés en dehors du réseau des buralistes, ce qui constitue une perte sèche non négligeable pour les recettes de la sécurité sociale. A l'inverse, les Britanniques achètent une grande part de leur alcool en France pour bénéficier des écarts de prix, augmentant le produit des droits sur les alcools que nous percevons.

J'attire toutefois votre attention sur le fait que, dans un pays comme la France qui affiche une préférence pour l'égalité et la redistribution bien supérieure à celle affichée dans certains pays anglo-saxons, l'efficacité économique - à savoir celle liée au prix - ne peut constituer le seul critère d'évaluation ex ante d'une politique publique.

A ce titre, il nous a semblé particulièrement important de tenir compte des critères d'équité, voire d'égalité dans notre évaluation, afin de mesurer l'effet de ces politiques sur nos concitoyens les plus démunis. Or, les différentes études menées sur les droits indirects suggèrent que les politiques basées sur une augmentation des droits d'accises sont fondamentalement régressives - le taux moyen de ces impositions diminuant à mesure de la hausse des revenus. Les accises sur le tabac et les alcools représenteraient ainsi 4,3 % des revenus des ménages pour le premier décile de population et seulement 1,3 % de ceux du dernier. En matière alimentaire, certaines études indiquent qu'une taxe nutritionnelle se traduisant par une hausse de 10 % du prix de produits comme le fromage, le beurre ou les plats préparés aurait un effet monétaire bien plus important pour les ménages à revenu modeste que pour les ménages aisés.

A l'aune de ces données issues de la littérature scientifique et économique, doit-on conclure au caractère inopportun ou inopérant d'une action par les prix sur les habitudes de consommation ?

La réponse n'est pas simple.

D'une part, les limites de ces taxes sont sans doute nombreuses et leur caractère potentiellement pénalisant pour les ménages aux revenus les plus modestes doit faire réfléchir, tout particulièrement en période de crise économique.

D'autre part, leur efficacité parait difficilement contestable sur certains des publics particulièrement visés par les politiques sanitaires, en particulier les jeunes et les consommateurs occasionnels.

Surtout, au-delà d'un « effet prix « conditionné par de nombreux facteurs exogènes, « l'effet signal « lié à certaines taxes peut jouer un rôle essentiel sur les comportements. En mettant en lumière les caractéristiques des produits visés, cet « effet signal « participe à l'information du consommateur et facilite la redéfinition ou l'évolution des process de production mis en oeuvre par les industriels.

On peut d'ailleurs s'interroger sur la part attribuable à chacun de ces effets lorsque la hausse du prix des sodas ou des bières, limitée à quelques centimes d'euros suite à une hausse de taxe, se traduit par une baisse de leur consommation de plusieurs points de pourcentages. A fortiori lorsque la baisse de consommation fait suite au rejet de la taxe présentée devant le Parlement ...

M. Yves Daudigny, rapporteur . - En tenant compte de l'ensemble des aspects théoriques présentés par Catherine Deroche, nous avons cherché, de manière empirique, à évaluer l'aspect « comportemental « de la fiscalité française applicable au tabac, à l'alcool et à certains produits alimentaires. Nous avons souhaité ainsi mesurer la prise en compte - ou pas - des préoccupations sanitaires dans la politique fiscale menée au cours des dernières années.

D'un point de vue sanitaire, la politique menée en matière de fiscalité du tabac a suscité un grand nombre d'interrogations et d'incompréhensions.

En effet, en dépit du rôle « fortement directeur « de la fiscalité sur les prix du tabac, nous avons constaté que le barème fiscal applicable aux cigarettes n'avait été modifié qu'à quatre reprises au cours des quatorze dernières années, celui du tabac à rouler et des cigares qu'à deux reprises. Durant cette période, les pouvoirs publics ont préféré laisser les fabricants décider « spontanément « du rythme d'augmentation du prix de leurs produits, se contentant d'augmenter régulièrement les minima de perception afin de contraindre les produits les moins chers à suivre l'évolution du reste du marché. L'Etat et le réseau des buralistes ont ainsi opportunément bénéficié des hausses modérées - entre 5 % et 6 % - proposées par les fabricants pour optimiser leurs recettes fiscales et leur rémunération.

Cette optimisation des recettes fiscales - aux dépens des préoccupations de santé publique - est illustrée par l'évolution du marché des cigarettes au cours des dix dernières années. D'une part, les hausses de prix décidées par les fabricants n'ont entraîné aucune diminution du nombre de cigarettes vendues dans le réseau entre 2004 et la fin 2011.

D'autre part, ces hausses spontanées ont favorisé une croissance régulière du marché de la cigarette en valeur. Entre 2004 et 2012, celui-ci est en effet passé de 13 milliards d'euros à 15,5 milliards d'euros, soit une progression de plus de 18 % favorable au chiffre d'affaires des fabricants et aux recettes budgétaires de l'Etat.

Ces remarques se vérifient a fortiori pour le tabac à rouler, dont le barème des droits de consommation n'a été augmenté que deux fois au cours des quatorze dernières années. Les ventes de ce produit ont en effet progressé de 13 % sur la période en dépit d'une augmentation du prix de vente du paquet de tabac à rouler de près de 190 %. Cette progression confirme d'abord l'existence d'un effet de substitution entre ce produit et les cigarettes lorsque le prix de ces dernières s'élève. Elle illustre d'autre part le « laisser faire « des pouvoirs publics en matière sanitaire, ces produits étant aussi nocifs pour la santé que la cigarette.

Ce constat est-il encore pertinent aujourd'hui ? Nous nous garderons de tirer des conclusions hâtives sur une politique publique qui s'appréhende nécessairement dans la durée. Nous nous contenterons de réaliser trois constats positifs quant aux décisions prises et aux résultats obtenus en matière de fiscalité du tabac au cours des deux dernières années.

D'une part, et pour la première fois depuis 2004, la hausse de barème des produits du tabac opérée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 est explicitement motivée par des préoccupations de santé publique.

D'autre part, cette hausse de barème concerne, pour la première fois depuis le début des années 2000, l'ensemble des produits du tabac. Elle permet donc de limiter les éventuels effets de substitution liés à l'accroissement du différentiel de prix existant entre les cigarettes et le tabac à rouler.

Enfin, si la succession de hausses « spontanées « d'ampleur limitée intervenue depuis l'automne 2012 se situe dans le droit fil de la politique menée par le précédent gouvernement, elle semble porter ses fruits en matière de réduction de la consommation. Après une première diminution en 2012, le nombre de cigarettes vendues sur le marché français devrait à nouveau baisser en 2013. Surtout, cette diminution en volume devrait s'accompagner par une diminution en valeur du marché des cigarettes.

Je tiens à préciser, pour être tout à fait exact, que l'évolution des prix n'est sans doute pas le seul facteur responsable de la diminution des ventes de tabac sur le territoire. Celle-ci est sans doute pour une part liée à un déport de l'achat d'une partie du tabac du circuit officiel vers le marché noir et, surtout, dans les départements frontaliers, vers des achats à l'étranger. L'ampleur exacte du phénomène devra être mesurée dans les mois à venir. Mais cette diminution tient aussi au succès croissant de la cigarette électronique parmi les fumeurs français. Commercialisée en 2012 sur l'ensemble du territoire, le succès de ce produit semble fulgurant, au point de devenir un véritable phénomène de société.

S'agissant de l'alcool, nous avons constaté que la structure des prélèvements en vigueur ne privilégiait ni des objectifs de rendement, ni des considérations de santé publique. Elle reflète une juxtaposition de taxes parfois ancestrales sans véritable cohérence et dont les niveaux sont restés très longtemps invariables.

Des objectifs de rendements devraient en effet conduire à taxer en priorité la boisson alcoolisée la plus consommée à l'échelle nationale. On constate pourtant que notre système fiscal reste largement étranger à la part respective de chaque type de boisson dans la consommation d'alcool des ménages. Le vin, qui représente pourtant plus de la moitié de la consommation d'alcool pur des ménages français, ne compte que pour moins de 4 % du produit des taxes sur les boissons alcoolisées. A contrario, les spiritueux, qui ne représentent qu'un cinquième de la consommation d'alcool pur des ménages, assurent plus de 80 % de ces recettes.

Des objectifs de santé publique devraient quant à eux conduire à privilégier une taxation des différents produits par unité d'alcool, à l'image des barèmes fiscaux mis en oeuvre en Suède ou en Irlande. Or, la charge fiscale applicable à chaque boisson selon ce critère est là encore extrêmement disparate. Pour 10 grammes d'alcool, correspondant à des volumes différents selon qu'il s'agisse de bière, de vin, d'apéritif ou d'alcool fort, cette charge varie entre 0,37 centimes d'euros pour le vin tranquille et 22,9 centimes d'euros pour les spiritueux, soit un rapport de 1 à 62.

Cette fiscalité, comme celle applicable aux produits du tabac, se désintéresse-t-elle pour autant les préoccupations sanitaires ? Ce n'est plus complétement le cas.

D'une part, il existe aujourd'hui des taxes à visées explicitement comportementales pour les boissons prémix et les alcools de plus de 18°.

D'autre part, les lois de financement de la sécurité sociale pour 2012 et 2013 ont considérablement alourdi les prélèvements assis sur les spiritueux et les bières, aux motifs de renchérir leur coût pour en diminuer la consommation et d'aligner leur prix sur la moyenne communautaire. Cette modification des barèmes a entrainé, selon l'Insee une hausse des prix de vente de ces deux produits à compter de janvier 2012 pour l'un et de janvier 2013 pour l'autre.

L'effet de ces mesures en termes de volume de ventes est plus délicat à établir, l'évolution de ce critère étant par définition sujette à d'autres déterminants que le prix tels que les effets de stocks, la météo ou le contexte économique. Nous avons toutefois noté qu'en 2012, les ventes de spiritueux en volume se sont contractées dans la grande distribution (- 4 % des ventes) brisant le mouvement haussier constaté les années précédentes. Le marché de la bière devrait quant à lui reculer de 3 % en 2013 en grande distribution, la chute dans les cafés, hôtels, restaurants atteignant 8 % selon l'Association des brasseurs de France.

Reste l'épineuse question de la fiscalité applicable au vin qui, au regard du traitement fiscal appliqué aux autres boissons, fait figure d'exception et nous a valu une levée de boucliers aussi soudaine qu'injustifiée. Il semble que la fiscalité du vin constitue un sujet tabou sur lequel les marges de manoeuvre soient limitées.

Cette situation reflète sans doute la place de ce produit dans notre économie, son caractère structurant pour nos territoires et son importance dans notre imaginaire collectif. Elle traduit aussi le fait que 80 départements métropolitains soient des départements viticoles. Elle tient compte, enfin, d'une division par trois de sa consommation au cours des cinquante dernières années et de la diminution importante du nombre de consommateurs réguliers.

Au regard de ces éléments, nous avons décidé de nous prononcer contre une taxation au degré dont l'effet sanitaire serait incertain et donc l'impact économique et social serait en revanche considérable.

Pour conclure ce panorama national, j'en viens aux taxes nutritionnelles ou plutôt à la taxe nutritionnelle. En effet, en dépit de l'intérêt porté ces dernières années à ce type de taxe, notre fiscalité ne comporte qu'un seul prélèvement pouvant faire partie de cette catégorie, à savoir celui sur les boissons sucrées adopté fin 2011.

Après deux années de mise en oeuvre, nous avons constaté que cette taxe avait eu d'importants effets sur le marché des boissons rafraichissantes sans alcool et des jus de fruits.

Comme attendu, elle a d'abord été largement répercutée sur les prix de vente au détail des boissons concernées. Les analyses de marché suggèrent en effet que le prix des produits « premiers prix « aurait augmenté de 25 %, celui des « marques distributeurs « de 10 % et celui des « marques nationales « de 5 %.

L'introduction de la taxe s'est par ailleurs accompagnée d'une diminution des ventes de l'ensemble des boissons concernées (sodas, nectars, tonics, limonades... ) rompant la dynamique de croissance régulière observée les années précédentes. L'impact de cette taxe sur l'obésité, si tant est qu'il soit mesurable, n'a quant à lui fait l'objet d'aucune évaluation scientifique.

Si la taxe sur les boissons sucrées constitue à ce jour le seul exemple de taxe nutritionnelle créée à des fins comportementales, la fiscalité française comporte néanmoins d'autres prélèvements susceptibles de faire l'objet d'une attention particulière en matière de santé publique.

Parmi ces prélèvements, la mission s'est d'abord arrêtée sur le cas de la taxe spéciale sur les huiles prévue à l'article 1609 vicies du code général des impôts qui fixe des taux très hétérogènes pour chacune des catégories d'huiles végétales.

Un kilo d'huile d'olives est aujourd'hui taxé 53 % de plus qu'un kilo d'huile de colza, 42 % de plus que qu'un kilo d'huile de palme et 40 % de plus qu'un kilo d'huile de coprah ou de palmiste. De même, l'huile de tournesol est taxée 40 % de plus que l'huile de pépins de raisins, près de 25 % de plus que l'huile de palme et 23 % de plus que les huiles de coprah ou de palmistes.

Au regard de la composition nutritionnelle de certaines des huiles les moins taxées, en particulier celle des huiles de palme, de coprah et de palmistes, la cohérence de ce barème nous interpelle. Nous nous interrogeons sur l'opportunité d'assurer à certaines huiles un avantage compétitif désormais injustifié en terme économique, commercial et sanitaire.

Pour finir, nous nous sommes intéressés à la mise en oeuvre de la taxe sur les dépenses de promotion prévue l'article L.2133-1 du code de la santé publique.

Adoptée à l'initiative de notre commission dans le cadre de l'examen de la loi de santé publique du 11 août 2004, cette taxe s'inscrivait dans un dispositif ambitieux visant à contraindre l'industrie agro-alimentaire à communiquer sur les repères nutritionnels issus du programme national nutrition santé et à participer à la prévention des maladies liées à une alimentation déséquilibrée et à une mauvaise hygiène de vie.

Sept ans après sa mise en place effective, nous avons constaté que ce dispositif avait quelque peu été « oublié « par les pouvoirs publics. Evalué une seule fois - sept mois après son entrée en application, il n'a malheureusement jamais été actualisé en dépit des doutes récurrents sur son influence sur les comportements alimentaires des consommateurs.

Le premier test réalisé sur les messages sanitaire en octobre 2007 révélait en effet des résultats mitigés. Si l'enquête mettait en évidence de bons résultats en matière de connaissance et de mémorisation des messages sanitaires par les téléspectateurs, elle proposait des résultats beaucoup moins convaincants concernant leur efficacité sur les habitudes des consommateurs.

Cette étude pointait surtout des problèmes de confusion entre le message sanitaire et le produit promu. Interrogés sur des publicités précises comme par exemple un yaourt aux fruits avec le message « pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour «, 44 % des personnes interrogées pensaient à tort que ce yaourt fournissait une portion de fruits pour la journée. Au total, une majorité des sondés de 15 ans et plus pensaient que les messages affichés étaient adaptés au produit.

Une autre étude menée depuis lors montre, quant à elle, que l'exposition des téléspectateurs aux messages sanitaires pourrait même avoir un effet contraire à celui recherché. Elle suggère que la présence d'un message sanitaire sur les écrans publicitaires pour ces « aliments plaisir « limiterait le sentiment de culpabilité des téléspectateurs. Plus précisément, ces messages activeraient chez le consommateur un mécanisme de compensation du type « la consommation de cinq fruits et légumes par jour ouvre droit à un aliment plaisir ».

Dans ces conditions, il nous semble urgent de faire évoluer un dispositif qui semble plus que jamais entretenir la confusion entre messages et produits, voire justifier la consommation des aliments les plus gras, sucrés et salés.

Nous souhaiterions conclure notre propos par quelques préconisations générales.

Il nous semblerait d'abord opportun de substituer à l'expression de fiscalité comportementale une notion à la fois plus précise, moins stigmatisante et faisant référence à l'affectation des prélèvements qui la composent. Nous sommes certes ici dans le registre lexical mais celui-ci nous paraît, dans le cas précis, relativement important. En effet, le terme comportemental peut s'appliquer à des prélèvements qui dépassent largement le champ de la santé publique et il jette sur les produits concernés, en particulier les produits alimentaires, et, indirectement, sur leurs consommateurs, un discrédit parfois injustifié au regard de leurs caractéristiques.

Nous suggérons l'utilisation de l'expression contribution de santé publique pour définir de tels prélèvements. Cette expression permettrait d'établir un lien entre la taxation et le coût sanitaire et financier lié à l'acte d'achat. Elle permettrait par ailleurs de rompre avec l'aspect moral et culpabilisant souvent associé au terme comportemental pour mettre en avant l'aspect objectif et responsabilisant d'une telle contribution.

Cette redéfinition du concept doit, selon nous, s'accompagner d'une clarification des objectifs assignés à ce type de contribution. Comme l'a démontré l'exemple de la politique fiscale menée en matière de tabac, la poursuite de plusieurs objectifs se réalise généralement aux dépens des préoccupations de santé publique. Cette situation nourrit par ailleurs la défiance, voire le rejet, de ces taxes par nos concitoyens. Constatant en effet une ambiguïté dans le message, ils reprochent aux pouvoirs publics, à juste titre, de déguiser des taxes de poches en taxes de santé publique.

A cet égard, le discours tenu par Bernard Cazeneuve à l'occasion des discussions sur le projet de loi de financement et sur le projet de loi de finances nous paraît aller dans le bon sens. En se félicitant de la diminution du produit des taxes sur le tabac, il donne du crédit à une politique sanitaire qui n'est plus exclusivement l'apanage du ministère des affaires sociales et de la santé.

Cette redéfinition du concept doit également s'accompagner d'une évolution des modalités de mise en oeuvre de ce type de contribution. En lieu et place des créations de taxes ou des augmentations de taux réalisées à l'occasion de la discussion d'un texte législatif, voire au détour de l'actualisation d'un texte règlementaire, il serait préférable d'insérer un volet fiscal, lorsque c'est opportun, dans chacune des stratégies pluriannuelles de santé publique définies par le Gouvernement. En prévoyant des hausses de taux assumées, régulières et prévisibles, les pouvoirs publics laisseraient ainsi aux consommateurs le temps de modifier leurs habitudes et aux industriels l'opportunité de changer leurs méthodes de production avant toute hausse de prix.

S'agissant plus particulièrement du tabac, nous suggérons que le Programme national de réduction du tabagisme, qui doit être finalisé avant l'été dans le cadre du Plan cancer, prévoie une hausse de 10 % par an du prix des différents produits du tabac sur les cinq prochaines années. Il s'agit, selon nous, du niveau minimum permettant d'agir efficacement sur l'entrée dans le tabagisme et sur l'arrêt de la consommation, en accompagnement des mesures relatives à l'aide au sevrage.

Au-delà de ces questions de méthode, il nous semblerait nécessaire de remédier aux incohérences de notre système fiscal. Nous avons déjà mentionné le barème de la taxe applicable aux huiles végétales. Il convient également de citer l'homogénéisation du barème fiscal applicable aux différents produits du tabac, en particulier concernant les cigarettes et le tabac à rouler compte tenu des reports de consommation constatés entre ces deux produits.

Parmi ces incohérences, les taux de TVA tiennent une place particulière. Il ne nous paraît pas logique de faire bénéficier d'un taux réduit de TVA les produits faisant par ailleurs l'objet d'une contribution de santé publique. Tel est pourtant le cas des sodas qui bénéficient du même taux que les eaux minérales ou les jus de fruits frais.

Plus largement, l'application du taux réduit de TVA à tous les produits alimentaires à l'exception des produits de confiserie, des produits composés contenant du chocolat ou du cacao (à l'exception du chocolat de table), des margarines et graisses végétales et du caviar, devrait être revue pour tenir compte des caractéristiques nutritionnelles des différents produits.

Nous nous interrogeons enfin sur l'intérêt de taxer les produits susceptibles de se substituer à ceux dont l'excès est déconseillé pour la santé. Cette réflexion est aujourd'hui valable pour les boissons édulcorées dont l'innocuité vient d'être à nouveau confirmée par l'Agence européenne de sécurité alimentaire. Elle le sera demain pour la cigarette électronique qui semble constituer un substitut moins dangereux aux produits du tabac traditionnels.

Si la mise en cohérence des taxes au niveau national semble envisageable, une action similaire au niveau européen, pourtant indispensable, semble en revanche totalement illusoire. A titre d'exemple, la directive définissant la structure et les taux applicables au tabac, pourtant renégociée en 2011, ne devrait pas pouvoir contribuer à réduire les disparités de taxes et de prix constatées à l'échelle de l'Union, favorisant de ce fait les transferts de ressources fiscales entre pays limitrophes et limitant l'efficacité des politiques de santé basées essentiellement sur les prix.

C'est pourquoi nous privilégions, pour chacun des risques considérés, une approche globale et cohérente, articulant prévention, sensibilisation, prise en charge et, le cas échéant, taxation. Seule une telle approche permettra de limiter ces risques et d'inciter nos concitoyens à modifier leurs habitudes.

M. René-Paul Savary . - Je tiens à remercier les rapporteurs pour cette présentation intéressante, complète et réaliste.

Il convient d'abord de souligner que l'assujettissement d'un produit comme le vin à une taxe comportementale, compte tenu du caractère péjoratif associé à cette expression, rend difficile sa promotion au-delà de nos frontières. Je suis donc satisfait que les rapporteurs soient enclins à relativiser la pertinence et l'efficacité de telles taxes.

Faut-il pour autant les rebaptiser « contributions de santé publique ». Je plaide en ce domaine pour une simplification et une vision purement fiscale de ce type de prélèvements.

Je suis en revanche très attaché à la multiplication des actions de sensibilisation et d'information sur les dangers de l'alcoolisme.

Je considère par ailleurs nécessaire de dissocier le traitement réservé au tabac de celui réservé aux différents produits alimentaires. D'une part, la consommation modérée de ces derniers ne comporte aucun risque en matière sanitaire. D'autre part, les effets de cette consommation ne peuvent être évalués qu'au regard de l'activité physique pratiquée par les individus.

Il faut enfin garantir une stabilité fiscale à nos concitoyens en renonçant à créer des taxes à l'occasion de l'examen de chaque nouveau texte financier. La stratégie pluriannuelle évoquée par les rapporteurs me paraît à cet égard aller dans le bon sens.

Mme Catherine Procaccia . - Je voudrais à mon tour féliciter les rapporteurs pour leur présentation. Il s'agit d'un rapport très attendu dont le caractère précis et nuancé réussit à distinguer la « fiscalité comportementale » des taxes destinées à parer aux difficultés de financement de notre protection sociale.

La multiplication des débats relatifs à la création de taxes comportementales au cours des dernières années a largement contribué au développement d'une certaine méfiance des consommateurs à l'égard des produits alimentaires mis sur le marché.

Il me paraît regrettable que l'administration ne puisse pas justifier le niveau actuel de certaines taxes, ce niveau correspondant sans doute à des préoccupations spécifiques.

Ce travail débouchera-t-il sur une proposition de loi ou sur le dépôt d'amendement dans le cadre de l'examen d'un prochain texte législatif ?

Connaissez-vous la part prise respectivement par le vin et les autres boissons alcoolisées dans la cadre des pratiques de binge drinking ?

Mme Catherine Génisson, présidente . - Ce rapport a le mérite de mettre en évidence la contradiction existant entre la nécessité pour les pouvoirs publics de trouver de nouvelles recettes fiscales destinées à alimenter les budgets de l'Etat ou de la sécurité sociale et les préoccupations de santé publique.

Il fait oeuvre utile en proposant une analyse pertinente dans un domaine encore peu étudié. Je rappelle à ce sujet que les problèmes psychologiques et psychiatriques liés à l'alcool ont une incidence importante en matière de politique de santé publique et de politique de l'emploi.

Je suis en revanche surprise que l'on abdique aussi facilement en matière de fiscalité du vin. Il me semble que les principes appliqués à la bière lors du PLFSS pour 2013 devraient également s'appliquer à ce produit.

S'agissant des boisons « prémix », je pense que nous aurions dû prendre la décision d'interdire leur consommation. Il me paraît en effet scandaleux de vendre de l'alcool de manière déguisée.

Je suis très triste qu'une démarche d'harmonisation des taxes au niveau européen vous paraisse vouée à l'échec. Je pense en effet qu'il s'agit de la seule initiative efficace pour limiter le développement du commerce transfrontalier.

La proposition visant à insérer un volet fiscal dans les différentes stratégies de santé publique me paraît intéressante.

J'estime enfin que nous sommes sur des enjeux qui méritent la définition de politiques de santé publique plus incisives s'appuyant sur le sens des responsabilités de nos concitoyens, en particulier les plus jeunes.

M. Georges Labazée . - L'expérience montre que les fonctionnaires du ministère des finances ont une imagination féconde pour trouver de nouvelles ressources. A la lecture de votre rapport, je me demande toutefois si la solution permettant de prendre en compte les préoccupations de santé publique en matière fiscale ne passe pas par une remise à plat des taxes existantes.

Mme Chantal Jouanno . - C'est un sujet passionnant qui aurait pu être étendu aux taxes environnementales.

La mise en place de politiques de santé publique est d'autant plus nécessaire que les pathologies évoquées dans le rapport touchent tout particulièrement les catégories de population les moins favorisées.

Par ailleurs, estimez-vous judicieux de cibler les contributions de santé publique sur des produits identifiés comme nocifs et de privilégier une action par le biais d'un taux de TVA réduit sur les produits bénéfiques ?

En matière d'alcool, il me semble important de durcir la règlementation en vigueur. J'avais d'ailleurs défendu un amendement proposant la mise en place d'une taxation au premier degré d'alcool.

S'agissant de la cigarette électronique, je pense que le Parlement devrait s'informer sur les caractéristiques des produits mis sur le marché et leurs conditions de fabrication.

M. Jean-Pierre Godefroy . - Les hausses répétées de taxes sur le tabac dans les zones frontalières posent d'importants problèmes. Elles encouragent le développement d'une consommation transfrontalière qui transite de plus en plus fréquemment par des réseaux mafieux.

Mme Catherine Deroche , rapporteur . - Le terme de contribution de santé publique permet de faire référence à l'affectation aux comptes sociaux des différentes taxes étudiées dans le rapport. Il nous paraît à cet égard logique que les consommateurs des produits entraînant des charges spécifiques pour la société contribuent au financement de ces dépenses additionnelles.

Concernant le tabac, nous sommes favorables à une action résolue des pouvoirs publics en matière fiscale. Les décisions prises en 2002 et 2003 ont permis de constater l'efficacité d'une politique axée sur la hausse des prix de vente. Le Plan cancer présenté par le Président de la République représente à cet égard une excellente opportunité de remobiliser l'outil fiscal pour peser sur la consommation de tabac de nos concitoyens.

Il faut bien entendu être particulièrement vigilant sur la composition du liquide alimentant les cigarettes électroniques. Ce produit doit être considéré comme un produit de sevrage efficace éminemment moins toxique que le tabac traditionnel.

Le niveau de taxe applicable aux boissons prémix est tel qu'il a un effet semblable à celui obtenu par le biais d'une mesure d'interdiction.

M. Yves Daudigny , rapporteur . - La loi de santé publique en cours de préparation nous semble être le véhicule législatif approprié pour discuter des conclusions d'un rapport qui a pour principal intérêt d'ouvrir le débat sur des sujets sensibles.

La fiscalité sur le vin constitue un véritable tabou dans notre pays. Le simple fait de travailler sur le sujet a suscité une large mobilisation de la filière contre une éventuelle hausse des droits existants. Après une analyse approfondie de la question, nous avons estimé qu'il n'était pas souhaitable de taxer le vin pour des raisons de santé publique. Il appartiendra cependant au Gouvernement de prendre ses responsabilités sur le sujet.

La TVA ne répond aujourd'hui à aucune logique sanitaire particulière. Bien qu'il paraisse difficile d'en modifier les taux au regard de ce dernier critère, il nous semble indispensable d'en dénoncer les incohérences et d'essayer de les corriger.

La commission, à l'unanimité, autorise la publication du rapport d'information.

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