LE PROJET DE LIBÉRALISATION DE L'ACCÈS AUX SERVICES PORTUAIRES
Un projet de règlement déjà vu...

Si 1 200 ports maritimes commerciaux sont exploités sur les 70 000 kilomètres de côtes de l'Union européenne, 319 d'entre eux concentrent 96 % du trafic des marchandises et 93 % de celui des passagers. Trois ports - Anvers, Hambourg et Rotterdam - accueillent à eux seuls 20 % du trafic de marchandise. Ce déséquilibre a conduit la Commission européenne à présenter le 23 mai 2013 une proposition de règlement établissant un cadre pour l'accès au marché des services portuaires et la transparence financière des ports (COM (296) final).

Alors que 3,7 milliards de tonnes de marchandises ont transité par les ports européens en 2011, la Commission table sur une progression du volume de marchandises transitant dans les ports de 50 % d'ici à l'horizon 2030, ce qui induit, selon elle, un risque de congestion faute d'investissements. Elle pointe en effet un déficit structurel de performances d'une partie des ports européens, ce qui pose de nombreux problèmes : détours de trafic, trajets plus longs générateurs de plus d'émissions toxiques, interconnexion moins aisée avec des ports plus performants. Les ports vont être amenés à s'adapter à l'évolution de la flotte, marquée par l'apparition de porte-conteneurs géants mais aussi de nouveaux types de transbordeurs rouliers et de méthaniers. La Commission estime qu'une modernisation des infrastructures portuaires européennes devrait permettre une baisse des coûts portuaires d'environ 7 %.

Cette mise à niveau devrait concerner les 319 ports maritimes européens faisant partie de la proposition de la Commission relative au réseau transeuropéen de transport (RTE-T), présentée en 2011 mais non encore adoptée. L'initiative de la Commission ne constitue pas en soi une nouveauté puisque deux propositions ont déjà été rejetées au cours des années 2000 par le Parlement européen.

Le premier paquet, présenté en février 2001, concernait l'accès aux services portuaires. Il couvrait à la fois les services nautiques (pilotage, remorquage, amarrage et dragage), la manutention du fret et les services passagers. Ce projet a suscité une opposition des syndicats et des opérations de protestation dans la plupart des ports européens. Le Parlement européen a finalement rejeté le compromis élaboré en trilogue en novembre 2003. Un deuxième projet, présenté en octobre 2004, a ensuite suscité l'opposition des États membres, au nombre desquels la France, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Contesté par les organisations syndicales, il a été rejeté par le Parlement européen en première lecture en janvier 2006.

La nouvelle proposition insiste sur la nécessité de faire respecter la libre prestation de services dans le secteur portuaire. Le gestionnaire du port est toutefois en droit d'imposer des exigences minimales en ce qui concerne les qualifications professionnelles, l'équipement, la sécurité maritime et la sûreté générale. La libre prestation de services ne s'appliquera pas non plus aux services de manutention de marchandises ni aux services terminaux aux passagers. L'application de la libre prestation de services à ces secteurs avait constitué la principale pierre d'achoppement avec le Parlement européen. Des manifestions de milliers dockers avaient par ailleurs dégénéré à Strasbourg en 2006.

La libre prestation de services peut, en outre, être limitée par une obligation de service public ou un plan formel de développement portuaire qui réserverait au préalable un certain nombre d'espaces. Les obligations de service public laissent la possibilité aux autorités compétentes d'un État membre d'organiser ou d'exploiter commercialement des services portuaires spécifiques.

Le texte vise en outre les droits des travailleurs que la Commission souhaite voir renforcés, le cas échéant, par les États membres. 1,5 million de personnes sont employées dans le secteur portuaire, dont 110 000 dockers. Il insiste par ailleurs sur une plus grande transparence en matière comptable et dans la passation des marchés.

Les redevances d'infrastructure portuaire seraient, quant à elles, laissées à la discrétion des gestionnaires des ports. Elles ne pourraient néanmoins varier que selon les pratiques commerciales relatives à l'utilisation fréquente du port ou dans le but de promouvoir une utilisation plus efficiente de l'infrastructure portuaire, le transport maritime à courte distance ou de hautes performances en matière de respect de l'environnement. Un comité consultatif des utilisateurs du port serait néanmoins mis en place au sein de chacun d'eux. Il rassemblerait exploitants de bateaux, propriétaires de cargaison et utilisateurs devant s'acquitter de cette redevance.

Les États membres devraient mettre en place une autorité de contrôle indépendante, chargée de surveiller et superviser l'application du règlement. Cette autorité peut être un organe existant.

... qui devrait subir le même sort que les propositions précédentes

Consulté sur ce projet, le Comité économique et social européen a estimé, le 11 juillet 2013, qu'une attention particulière devait être portée aux services nautiques, en insistant sur leur caractère d'intérêt général. Aucune pression commerciale ne devrait, en conséquence leur être imposée. Cette remarque semble effectivement s'imposer.

La plupart des missions des services nautiques s'apparentent à des missions de service public. Il ne s'agit pas de services comme les autres. Cette spécificité est reconnue à l'échelle de la planète. A la lumière d'incidents intervenus en Floride, les États-Unis estiment également que le pilotage est une mission de service public, qu'il ne s'agit pas de mettre en concurrence. Il convient de relever que le mode de gestion français, à savoir une mission de service public déléguée à une entité privée, elle-même contrôlée par l'administration, est le modèle suivi par 60 % des États disposant d'un port. 30 % des États ont choisi la solution d'une intégration des pilotes à leur fonction publique. Les 10 % restants ont mis en place un système de concession accordé à une seule entreprise. La libéralisation totale de ce service n'a été entreprise qu'en Roumanie. Le nombre croissant d'accidents et l'utilisation d'un personnel non qualifié ont néanmoins conduit les autorités locales à revenir sur ce dispositif en 2012. La mise en concurrence au Danemark d'une structure composée de fonctionnaires et d'une société composée de pilote à la retraite s'est, quant à elle, traduite par une augmentation des tarifs de 20 %. La concurrence mise en place en Argentine s'est également traduite par une augmentation des coûts.

La volonté affichée de la Commission européenne de diminuer les coûts des services portuaires ne saurait d'ailleurs avoir pour conséquence de libéraliser les services nautiques, puisque ceux-ci ne représentent qu'à peine 30 % des coûts d'une escale , le reste étant imputable aux services de manutention et de services aux passagers.

L'autonomie des gestionnaires des ports est également mise en avant par le Comité économique et social européen, qui l'estime remise en cause par les nouvelles dispositions encadrant la fixation des redevances portuaires.

Les préoccupations du Comité rejoignent celles du gouvernement français. Les autorités françaises insistent également sur le fait que la politique tarifaire des ports est aussi conditionnée par leur rôle d'aménageur du territoire, alors que la Commission européenne ne l'envisage avant tout que comme un frein à la compétitivité. Il convient de relever que le texte n'a pas non plus suscité l'adhésion de la commission Transport et tourisme du Parlement européen. Le rapport présenté par le député Knut Fleckenstein (Allemagne - S&D) propose de retirer dragage et pilotage du champ d'application du règlement. Les obligations entourant l'élaboration des tarifs ont dans le même temps été remises en cause par un certain nombre de ses collègues. Dans ce contexte, la commission parlementaire a décidé, le 18 mars 2014, de reporter l'examen de ce texte lors de la prochaine législature.

Votre rapporteur partage ces réserves, à la lumière notamment de la situation rencontrée aujourd'hui au sein de certains ports européens, grecs ou portugais. La China Ocean Shipping Company (COSCO) a racheté la concession de l'embarcadère n°2 au sein du port du Pirée et privilégie aujourd'hui le recours aux sociétés d'intérim pour la manutention. Même si le statut des dockers n'est pas aujourd'hui concerné par le projet de règlement, il n'est pas interdit de penser que celui-ci annonce ultérieurement un texte destiné à le compléter et visant expressément la manutention et les services aux personnes. Le souhait de privatiser les services nautiques en dépit du bon sens et au risque de fragiliser la sécurité des ports est assez révélatrice de cette vision. Il existe ailleurs un paradoxe à vouloir renforcer les normes sociales sur les ports et au sein des navires d'un côté et envisager de l'autre une dérégulation de la plupart des services portuaires et une baisse concomitante des coûts sans autres garde-fous que des obligations de service public dont les contours demeurent pour l'heure relativement imprécis.

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