C. POURSUIVRE L'AFFINEMENT DU PRINCIPE D'ACCESSIBILITÉ

1. Instituer le principe d'accès à la prestation

Selon les règles en vigueur, la totalité des locaux ouverts au public d'un ERP ou la totalité des arrêts d'une ligne de bus doit être accessible sous réserve de l'application des motifs très restrictifs de dérogation évoqués ci-dessus.

Certains ERP échappent cependant à ces contraintes. Ainsi est-il prévu, pour les ERP de 5 e catégorie, qu'une partie du bâtiment ou de l'installation doit assurer l'accès à l'ensemble des prestations que fournit l'établissement ou l'installation, que cette partie doit être la plus proche possible de l'entrée principale ou d'une des entrées principales et doit être desservie par le cheminement usuel, que, nonobstant, une partie des prestations peut être assurée par des mesures de substitution.

Selon le rapport de la concertation sur l'ajustement de l'environnement normatif, la possibilité a été évoquée de généraliser cette méthode de mise en accessibilité à l'ensemble des ERP existants. Cette solution n'a pas été retenue. Le rapport relève que les associations de personnes handicapées ont jugé que la discrimination liée à l'absence de mise en accessibilité de certaines parties d'un ERP, « si elle était acceptable au regard de la lourdeur des travaux à engager pour un ERP de 5 e catégorie, ne l'était plus si l'on considérait des établissements plus importants » . Le rapport estime en outre que « la diversité d'interprétations possibles de cet "accès à la prestation" conduit à trop d'incertitudes sur le niveau d'accessibilité in fine , tout en nécessitant une prise en compte permanente des besoins et attentes des personnes handicapées dans le quotidien des établissements qui semble actuellement irréalisable compte tenu du niveau de sensibilisation de la société. »

Ces arguments ne convainquent pas. En effet, la « lourdeur » des travaux augmente avec l'importance du bâtiment à mettre aux normes : l'argument de la « lourdeur », s'il est valable pour les ERP de 5 e catégorie, l'est nécessairement pour les autres. Par ailleurs, les incertitudes concernant le niveau d'accessibilité atteint disparaissent si le recours à la méthode de l'accès à la prestation est subordonné à l'accord de la CCDSA. Enfin, le niveau de sensibilisation de la société aux conditions de vie des personnes handicapées est sans doute plus élevé que le rapport ne le suppose : la fraternité n'est pas nécessairement une vue de l'esprit dans notre pays.

Ajoutons que le rapport de la concertation propose une avancée qui évoque de très près l'application du principe d'accès à la prestation. Il retient en effet, pour les ERP existants, la possibilité de proposer des solutions techniques alternatives permettant d'atteindre le même résultat que la mise en accessibilité, pour autant qu'elles soient validées par une commission comprenant des personnes handicapées. Ainsi, précise le rapport, « plutôt que de rendre accessible le sous-sol dans un établissement de crédit pour permettre de consulter le contenu des coffres pour les usagers handicapés, il est envisageable d'effectuer cette même consultation, en toute confidentialité, dans une salle du rez-de-chaussée, le coffre étant amovible et porté par un agent de l'ERP » .

Cette méthode de mise en accessibilité est aussi utilisée par les services fiscaux. Elle comporte cependant l'inconvénient, en fonction d'un principe de non-discrimination interprété dans une acception très large, d'impliquer la fermeture à l'ensemble du public des locaux non accessibles.

Ainsi l'application de la méthode de l'accès à la prestation est-elle inapplicable dans les établissements scolaires, où elle devrait au contraire être encouragée : il s'agirait, par exemple dans une école, de considérer l'accessibilité satisfaite quand les élèves handicapés, non distingués de l'ensemble de leur classe, ont accès à l'ensemble des prestations éducatives dans un lieu ou plusieurs lieux adéquats.

Le principe de l'accès à la prestation trouve par ailleurs une application évidente dans le cas des réseaux de transports collectifs, illustré par l'affaire des lignes du bus du pays voironnais. Le rapport de la concertation sur les Ad'AP propose à cet égard une solution partielle et temporaire : les Ad'AP transport, dénommés SDA/Ad'AP, comporteront une typologie des arrêts à rendre accessibles en priorité, ce qui laisse supposer que l'ensemble des arrêts devront à terme être rendus accessibles. Le 1° de l'article 2 du projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance prévoit la définition des « conditions de détermination des points d'arrêt des transports urbains et des transports routiers non urbains à rendre accessibles et les délais de leur mise en accessibilité ». Cela peut permettre une plus grande souplesse. Pourtant, ainsi présentée, la méthode semble reprendre le principe de l'analyse point d'arrêt par point d'arrêt en vigueur, alors qu'une mise en accessibilité raisonnable et cohérente des lignes de bus appelle manifestement une appréciation des besoins, des coûts et des solutions sur l'ensemble de la ligne.

Il n'est peut-être pas impossible de parvenir à un résultat équivalent au moyen du 1° de l'article 2 du projet de loi. Si ce n'est pas le cas, il est nécessaire de le rendre possible, il ne s'agit de rien d'autre, en fin de compte que de rendre légalement possible la mise en oeuvre de la solution raisonnable préconisée par la directive précitée du ministre des Transports du 13 avril 2006.

En fonction de l'ensemble de ces éléments, il est proposé d'insérer expressément dans la loi le principe de l'accès à la prestation mis en oeuvre selon des modalités raisonnées.

Attribuer au préfet le pouvoir d'appliquer au cas par cas, après accord de la CCDSA, aux ERP de 1 e à 4 e catégorie existants et aux services de transports collectifs existants qui en font la demande, la possibilité, actuellement réservée aux ERP de 5 e catégorie, d'apprécier l'accessibilité en fonction des moyens mis en oeuvre pour garantir aux personnes handicapées l'accès à l'ensemble des prestations et services de l'ERP ou du service.

2. Expérimenter la mutualisation des obligations et du recours au droit souple

Quel que soit leur mérite, qui est sensible, quels que soient les approfondissements que le débat parlementaire leur apportera, les propositions issues de la concertation sont inscrites dans une logique de réglementation pointilliste dont il s'agit de corriger les excès, et non de tarir la source, tout en créant au passage quelques contraintes supplémentaires dont l'idée avait échappé à l'administration lors de l'élaboration des textes d'application de la loi de 2005. La concertation a ainsi cherché à rationaliser plus qu'à simplifier.

La course à l'échalote réglementaire devrait alors se poursuivre au fur et à mesure que les incohérences insuffisamment relevées jusqu'alors se manifesteront et qu'il en apparaîtra de nouvelles à la suite des progrès de la connaissance et des techniques, que le pouvoir réglementaire ne peut suivre avec la célérité nécessaire.

Or la délégation comprend sa mission de défense des collectivités territoriales et de la décentralisation comme impliquant la recherche structurelle de la simplification, ce qui implique la mise en place de solutions juridiques novatrices, en l'occurrence celles qu'offre le droit souple. Selon la définition présentée dans l'étude annuelle 2013 du Conseil d'État qui lui a été consacré, le droit souple regroupe les instruments qui ont pour objet de modifier ou d'orienter les comportements de leurs destinataires, qui ne créent pas par eux-mêmes de droit ou d'obligation - ce qui les distingue du droit dur -, et dont le contenu et le mode d'élaboration témoignent d'un degré de formalisation qui les rapproche du droit dur, ce qui les distingue du non-droit. Le même rapport estime que l'un des mérites du droit souple est d'accompagner la mise en oeuvre du droit dur, comme c'est le cas pour les démarches de conformité des entreprises - on pense ici à la normalisation de type AFNOR -, il peut aussi fournir un choix alternatif à l'hyper réglementation contemporaine, ce qui constitue très précisément l'objectif à atteindre.

Dans ces conditions, des solutions de simplification reposant sur la normalisation apparaissent a priori raisonnables et praticables. Inédites, elles font appel à l'imagination et à l'expérimentation.

C'est, au demeurant, dans cette direction que le rapport présenté en mars 2013 par Mme Claire-Lise Campion au Premier ministre proposait de lancer une modeste incursion. Le rapport note tout d'abord que « le remplacement de règles par des référentiels ou des normes de type ISO aurait pu constituer un choix des pouvoirs publics au moment de l'élaboration des textes réglementaires. L'avantage des normes sur les règlements est que les premières sont élaborées sous l'égide d'un organisme indépendant s'appuyant sur un réseau d'experts et sur la base d'un accord entre les parties associées à la démarche. L'inconvénient de la norme réside dans son caractère non opposable. » 2 ( * ) . Renonçant alors à expérimenter le recours à la normalisation, le rapport n'en propose pas moins de tester l'utilisation de référentiels sous la forme suivante : dans quelques zones d'aménagement concerté situées dans le périmètre d'un ou deux établissements publics d'aménagement, conduire une expérimentation conférant aux prescriptions détaillées de la construction le statut de référentiels, tout en autorisant les constructeurs à respecter la loi par des moyens alternatifs.

Les propositions initiales de Mme Campion n'ont pas été reprises à l'issue de la concertation.

Pour autant, certaines pistes sont essayées ici et là, qui suggèrent l'intérêt de la méthode, mais elles sont suivies dans un cadre trop lâche pour offrir de véritables amorces de solutions. Par exemple, les ministères en charge des personnes handicapées et du tourisme ont conçu en 2013 un label « destination pour tous » destiné à valoriser les territoires disposant d'une offre touristique globale accessible aux handicapés. Ce label est attribué, pour une durée de trois ans, par une commission comprenant des représentants des services de l'État, des associations de handicapés, des élus locaux et des syndicats de professionnels. Il repose sur les notions d'offre significative et cohérente. Il promeut ainsi l'évaluation du niveau d'accessibilité de l'offre touristique considérée selon un double prisme territorial et qualitatif. Afin d'obtenir le label, il est nécessaire de développer des équipements et des services accessibles aux personnes handicapées dans au moins deux catégories de handicap sur quatre, en matière de prestations touristiques (hébergement, restauration et activités), services de la vie quotidienne (commerces et services), voirie et transport (cheminement, transports en commun, stationnement et espaces de repos). Ce dispositif a été expérimenté avec succès dans six collectivités (Angers, Balaruc-les-Bains, Bordeaux, le parc naturel régional du Morvan, le pays cathare, Saint-Gilles-Croix-de-Vie). Après une phase d'audit, de janvier à avril 2014, les premiers labels seront délivrés en mai 2014 aux territoires lauréats.

La mise en accessibilité, en application de la loi de 2005, appelle naturellement des solutions plus structurées : il s'agit de réunir l'ensemble des garanties d'efficacité pratique et juridique nécessaires pour la mise en oeuvre du chapitre III de la loi de 2005.

L'expérimentation proposée appliquerait le régime juridique prévu à l'article 37-1 de la Constitution, qui « permet au Parlement d'autoriser, dans la perspective de leur éventuelle généralisation, des expérimentations dérogeant, pour un objet et une durée limités, au principe d'égalité devant la loi ; (...) toutefois, le législateur doit en définir de façon suffisamment précise l'objet et les conditions et ne pas méconnaître les autres exigences de valeur constitutionnelle » (décision n° 2004-503 DC du 12 août 2004). L'une de ces exigences, que l'économie même du dispositif expérimental tendrait à satisfaire, serait la liberté d'aller et venir, ou encore les conditions de développement de l'individu ( cf . préambule de la constitution du 27 octobre 1946).

En fonction de ces éléments, l'expérimentation pourrait être conçue selon le schéma suivant.

Instituer une expérimentation au titre de l'article 37-1 de la Constitution afin de rendre possible pendant une période de quatre ans, par dérogation aux dispositions du chapitre III de la loi du 11 février 2005, la mutualisation sur un territoire pertinent (par exemple un bassin de vie) et selon une grille comportant plusieurs niveaux d'exigence, des obligations d'accessibilité entre l'ensemble des ERP ou équipements offrant une catégorie identique de prestations, en mettant en oeuvre sur ce territoire une offre significative et cohérente appréciée au regard d'un référentiel national identifiant la qualité globale d'accessibilité exigée et détaillant niveau par niveau les exigences correspondantes. La demande d'expérimentation serait présentée au préfet dans le délai prévu pour l'élaboration des diagnostics. Elle préciserait le périmètre géographique retenu et le secteur professionnel ou la catégorie de services impliqués. Elle serait autorisée par le préfet sur avis de la CCDSA. Les propriétaires ou exploitants des ERP, équipements et services engagés dans une expérimentation autorisée dans ces conditions seraient exonérés des sanctions prévues à l'article L. 152-4 du CCH. Après évaluation des résultats de l'expérimentation pour chaque type d'ERP ou d'équipement concerné et sur chaque territoire concerné, les ERP ou équipements seraient, par décision préfectorale prise après avis de la CCDSA, soit réputés satisfaire aux obligations d'accessibilité, soit auraient à se mettre en conformité avec les obligations de droit commun dans des conditions de délai identiques à celles dont auront bénéficié les établissements n'ayant pas participé à l'expérimentation.


* 2 Cet inconvénient peut être surmonté, on le constatera dans le schéma d'expérimentation proposé ci-dessous, par la mise en place d'une procédure appropriée d'autorisation.

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