B. UNE TUTELLE QUI DOIT RENFORCER SON RÔLE POUR ACCOMPAGNER LES MUSÉES, EN DONNANT DES DIRECTIVES PLUS PRÉCISES SUR LES OBJECTIFS DE POLITIQUE CULTURELLE QU'ELLE ENTEND LEUR ASSIGNER

1. Une tutelle plus réactive depuis 2012

La tutelle exercée sur les musées nationaux s'est indéniablement renforcée et précisée depuis 2012 . Le ministère de la culture et de la communication est par ailleurs en train de réorganiser sa structure interne : jusque-là, la tutelle était exercée à la fois par la direction compétente 36 ( * ) et par le secrétariat général. Dans le cadre de cette réforme, le ministère souhaite se recentrer sur sa mission de stratégie transversale et globale tandis que la tutelle des musées nationaux serait assurée en interne par la seule direction générale des patrimoines. Cette réforme répond à une volonté de ne pas multiplier les interlocuteurs des musées nationaux et de parler d'une seule voix .

Plusieurs exemples témoignent d'un volontarisme renouvelé de la tutelle depuis 2012. Par exemple, dès son arrivée à la tête du ministère de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti a indiqué aux directeurs de musées vouloir favoriser la valorisation des collections permanentes.

Ce recentrage doit permettre de se lancer dans un travail très important, encore balbutiant : celui de la diversification des parcours et de l'amélioration du confort des visites au sein des collections permanentes. La priorité est de travailler sur l'existant. Les nouveaux responsables des musées nationaux doivent donc veiller à améliorer l'accessibilité et la visibilité de leurs collections permanentes.

Les établissements commencent à adopter des politiques assez divergentes en matière d'expositions . Par exemple, le nouveau président du Louvre, conformément à son mandat, a décidé de réduire le nombre d'expositions temporaires et d'un certain nombre d'activités périphériques organisées dans l'auditorium (manifestations d'art contemporain...). Votre rapporteur spécial est favorable à ce type d'actions de rationalisation, qui devraient également permettre d'atténuer la concurrence de l'offre entre musées .

À l'inverse, il semble que le Centre Pompidou adopte une ligne tout à fait différente : il n'a pas réduit son volume d'expositions temporaires en hausse depuis 2008-2009, malgré la contrainte budgétaire et alors même qu'il est probable que certaines expositions sont en déséquilibre financier.

S'agissant de la coordination entre les musées , la direction générale des patrimoines s'est félicitée d'avoir obtenu, de la part des dirigeants des musées nationaux, la communication de leur programmation jusqu'en 2016 , afin d'éviter la concurrence entre musées nationaux.

Par ailleurs, de façon positive, le ministère de la culture et de la communication a initié, en lien avec le service des achats de l'État, une démarche portant sur l'achat public . Dans ce cadre, les musées et la RMN-GP ont participé à des groupes de travail dont certains portaient sur la production des expositions temporaires, et dont les conclusions partagées devraient pouvoir déboucher sur des économies substantielles.

En lien avec les travaux effectués par le service des achats de l'État (SAE), la direction générale des patrimoines a indiqué à votre rapporteur spécial qu'elle cherche, autant que possible, à promouvoir la mutualisation de ces coûts . Au musée du Quai Branly, le matériel de scénographie est par exemple réutilisé pour plusieurs expositions (deux en général).

2. Une tutelle qui doit malgré tout encore renforcer son rôle
a) Définir les grandes orientations stratégiques

Malgré les progrès constatés depuis 2012, l'exercice de la tutelle pourrait encore être amélioré, notamment s'agissant de la définition précise des grandes orientations stratégiques qu'elle entend assigner à la politique muséale. Pour cela, il conviendrait de répondre aux deux questions fondamentales suivantes : à quoi sert un musée ? À quel public doit-il prioritairement se destiner ?

À cet égard, la tutelle pourrait par exemple prendre position sur la poursuite de la décentralisation culturelle amorcée avec la création du Louvre-Lens, du Centre Pompidou Metz et du MuCEM.

On peut indéniablement parler de succès quant à la fréquentation de ces nouveaux établissements au cours de leur première année d'ouverture : au MuCEM, les 300 000 visiteurs en un mois ont été dépassés, ce qui montre un vrai besoin de grands établissements culturels décentralisés. Le musée a accueilli 1,8 million de visiteurs en une année, dont 600 000 visiteurs payants, chiffre très supérieur aux prévisions . L'objectif de fréquentation en rythme de croisière est de 300 000 à 400 000 visiteurs par an.

Il faut désormais se poser la question de l'installation de ce nouveau musée dans la durée : le premier contrat d'objectifs est en cours de négociation et sera calé sur le prochain triennal. Par ailleurs, le ministère a lancé une enquête sur la composition des publics.

La création du Centre Pompidou Metz ou celle, en décembre 2012, du Louvre-Lens, sont d'initiative ministérielle. Elles ont été rendues possibles par la mise à disposition des collections nationales dans le cadre de partenariats stratégiques avec les musées nationaux .

Comme pour le MuCEM, il s'agira pour les musées concernés, accompagnés par la tutelle, d'inscrire ce succès dans la durée , d'autant plus que leur coût de fonctionnement induira des dépenses supplémentaires qui pèseront sur le budget de la mission « Culture ».

Pour autant, faut-il poursuivre ce mouvement de décentralisation culturelle ou bien marquer une pause ? En effet, bien que l'existence de ces nouveaux musées en termes de fréquentation et de démocratisation culturelle soit indéniablement une réussite, votre rapporteur spécial relève que pour les grands musées de province territoriaux, le développement de ces antennes régionales de grands musées nationaux est la source d'une forte concurrence contre laquelle ils peuvent difficilement lutter à armes égales en termes de moyens et de richesse des collections . La décentralisation des grands musées nationaux, qui relève d'une volonté politique au plus haut niveau, a donc ses revers pour les territoires.

En ce qui concerne les expositions, votre rapporteur spécial estime que, si elles contribuent à la richesse et à la diversité de l'offre culturelle, la politique des musées nationaux en la matière doit être examinée au regard des coûts de production (scénographie, transport, assurance, communication, surveillance, accueil) et des conséquences pour la fréquentation et la notoriété du musée. Il conviendrait sans doute que la tutelle exprime une doctrine plus claire sur la place que doivent prendre les expositions dans la politique muséale, dans le respect du principe d'autonomie scientifique des établissements .

Les textes statutaires des établissements culturels laissent aujourd'hui une grande marge de manoeuvre aux établissements pour mener leur politique muséale . Dans un contexte budgétaire contraint, il serait sans doute utile que la tutelle se positionne plus clairement sur la réduction du nombre d'expositions temporaires et des activités périphériques et sur le recentrage sur le coeur de métier des musées , à moins que l'opérateur ne soit en mesure de démontrer que ce type d'activité est rentable et ne grève pas son budget. Or, en l'absence de comptabilité analytique, il apparaît difficile d'identifier précisément si les expositions ou les activités annexes relèvent d'activités déficitaires ou bénéficiaires.

Ce type d'orientations pourrait utilement figurer dans les contrats d'objectifs à venir .

b) Renforcer la coordination entre musées pour mieux réguler l'offre culturelle

Il n'existe pas, actuellement, d'instance de coordination institutionnalisée ou de politique de coordination formelle pour la programmation des expositions de l'ensemble des musées nationaux, ce qui peut donner des calendriers inopportuns (cas des étrusques au Musée Maillol et au Louvre Lens). De même, au printemps 2012, la réouverture du Palais de Tokyo, présidé par Jean de Loisy, a capté une partie de la couverture médiatique de l'exposition Les maîtres du désordre au musée du Quai Branly, dont le commissaire était également Jean de Loisy, la fréquentation de cette dernière exposition ayant été de ce fait inférieure aux prévisions.

Jean-Luc Martinez souhaite renforcer la coordination en matière de programmation, au niveau français et étranger, notamment dans le cadre du très sélectif « Bizot Group » 37 ( * ) .

La tutelle pourrait également prendre des initiatives pour renforcer les structures de coordination . Certes, en tant qu'organisatrice d'expositions pour le compte des services à compétence nationale dans le cadre de ses missions de service public visant à développer la fréquentation, la RMN-GP joue partiellement ce rôle à travers des réunions bilatérales régulières et des moments d'échange réunissant tous ces musées deux fois par an, sachant qu'elle intervient également ponctuellement comme (co)organisatrice d'expositions pour les établissements publics dans le cadre de conventions. Mais cela n'est pas suffisant.

Cette problématique concerne particulièrement les musés nationaux parisiens qui sont confrontés , également, à la concurrence des musées de la ville de Paris et à un certain nombre d'établissements privés très dynamiques, qui ne poursuivent pas les mêmes missions de service public que les musées nationaux, tels que le Musée Jacquemart-André ou la Pinacothèque.

À ce stade, la direction générale des patrimoines a indiqué à votre rapporteur spécial qu'elle « cherche à favoriser la coordination entre les musées nationaux pour la programmation de leurs expositions temporaires . Selon les musées, elle peut aussi inciter ses établissements à se concentrer sur quelques projets d'expositions emblématiques et à valoriser auprès des différents publics leurs collections permanentes » 38 ( * ) .

c) Renforcer les mutualisations et les partenariats entre musées

D'autre part, la tutelle doit s'efforcer d'encourager les mutualisations et les partenariats entre musées . Un tel effort pourrait notamment être utile au niveau de la communication, domaine qui paraît insuffisamment coordonné entre les différents établissements publics. Dans un contexte budgétaire difficile, les projets communs et la mutualisation accrue de certains moyens (mobilier muséographique...) pourraient ainsi être envisagés, notamment dans la perspective de stratégies d'achat public concertées.

L'exemple de l'Orangerie , rattachée au musée d'Orsay dans le cadre de l'Établissement public du musée d'Orsay et de l'Orangerie (EPMOO) en 2010, témoigne des effets favorables que peut avoir une politique d'expositions accompagnée d'une mutualisation des moyens en matière de muséographie et de communication . Avant la création de l'EPMOO, l'Orangerie était un service à compétence nationale dans lequel la Réunion des musées nationaux organisait une exposition tous les deux ans, et qui recevait environ 560 000 visiteurs par an. À partir de 2010, il a pu bénéficier des moyens de l'EPMOO et deux expositions temporaires par an ont pu y être organisées. Sa fréquentation a atteint 850 000 visiteurs en 2012.

Les partenariats existant entre musées nationaux concernent souvent un domaine précis comme les collections 39 ( * ) ou la politique tarifaire (Pass Orsay-Rodin, conventions entre les musées d'Orsay, Moreau et Henner afin de favoriser la fréquentation en prévoyant notamment l'obtention du tarif réduit sur présentation du billet d'entrée).

Par ailleurs, les partenariats sont nombreux aussi entre musées nationaux et musées en région , et peuvent concerner un projet d'exposition comme s'inscrire dans le long terme.

Par exemple, le musée Guimet a signé des conventions de partenariat avec le musée départemental des Arts asiatiques de Nice et le futur musée des Confluences à Lyon. Dans ce cadre, des versions réduites des expositions de Guimet sont parfois présentées à Nice ( Enfants de Chine, Petits tigres et jeunes dragons en 2011, Sur les traces des mystérieuses Cités d'or en 2013).

Le musée d'Orsay est un membre fondateur de l'Établissement public de coopération culturelle (EPCC) du musée des impressionnismes de Giverny et il a contribué de manière importante à l'exposition Maurice Denis en 2012. Il a signé une convention de partenariat en mai 2012 avec le musée Bonnard du Cannet et mené avec lui de nombreuses actions (dépôts, reprise de l'exposition Misia, reine de Paris en 2012).

Le musée Rodin a pour sa part coproduit en 2013 l'exposition Rodin, la lumière de l'Antique avec le musée départemental Arles antique, exposition qui fut ensuite présentée au musée Rodin de Paris.

Le président du Louvre semble également disposé à développer des coopérations avec les musées de province.

Votre rapporteur spécial estime qu'il conviendrait de développer encore davantage de telles actions, aussi bien dans un objectif de mutualisation et de rationalisation des dépenses, que dans un objectif de qualité scientifique et de démocratisation culturelle , ce type de partenariat permettant aux musées nationaux de mener des actions irriguant l'ensemble du territoire.

Cette évolution intéresse d'ailleurs, aussi, les grands musées régionaux de France, tels que le musée des beaux-arts de Rouen . Ainsi, cet établissement mène une politique active de partenariats avec de prestigieux musées étrangers. On peut citer à cet égard l'exposition Cathédrales , réalisée en collaboration avec le musée Wallraf de Cologne au printemps 2014, et un projet d'exposition sur Géricault avec la National Gallery .


* 36 En l'occurrence, la direction générale des patrimoines (DGPAT).

* 37 Groupe international des organisateurs des grandes expositions : regroupement fondé en 1992, qui réunit périodiquement les directeurs des plus prestigieux musées du monde. Ces rencontres ont pour but de faciliter les échanges entre grands musées, aussi bien au niveau des oeuvres et des expositions que des idées.

* 38 Source : réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial.

* 39 Par exemple, le musée du Quai Branly a mis en place une collaboration pérenne de ce type avec le MuCEM.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page