N° 583

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juin 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale à la prospective (1) : Quels emplois pour demain ? ,

Par M. Alain FOUCHÉ,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Joël Bourdin, président ; Mme Natacha Bouchart, MM. Vincent Capo-Canellas, Yvon Collin, Mme Évelyne Didier, M. Alain Fouché, Mme Fabienne Keller, MM. Ronan Kerdraon et Yannick Vaugrenard, vice - présidents ; MM. Gérard Bailly et Jean Desessard, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Pierre André, Claude Bérit-Débat, Pierre Bernard-Reymond, François Calvet, Alain Chatillon, Jean-Pierre Chevènement, Mme Cécile Cukierman, M. Marc Daunis, Mme Marie-Hélène des Esgaulx, M. Philippe Esnol, Mmes Samia Ghali, Françoise Laurent-Perrigot, MM. Philippe Leroy, Michel Magras, Jean-François Mayet, Jean-Jacques Mirassou, Aymeri de Montesquiou, Robert Navarro, Louis Nègre, Mme Renée Nicoux, MM. Philippe Paul, Jean-Pierre Plancade et Jean-Pierre Sueur .

INTRODUCTION

Commençons par un constat malheureux et sans surprise : la situation de l'emploi est très défavorable en France. Notre pays affiche un taux de sous-activité particulièrement élevé qui souffre des comparaisons internationales.

Selon les données de l'OCDE de mars 2014, le taux de chômage s'y élève à 10,4 %, soit deux fois plus qu'en Allemagne (5,1 %) et à peine mieux que dans l'ensemble de la zone euro (11,8 %) ou de l'Union européenne (10,5 %). Un classement analogue peut être opéré pour ce qui concerne le taux, encore plus préoccupant, du chômage de longue durée : en France, l'ancienneté moyenne au chômage est désormais de quatorze mois.

Évidence encore, les contre-performances françaises sont particulièrement notables aux deux extrémités des parcours professionnels, qu'elles pénalisent l'entrée sur le marché du travail des jeunes (15-24 ans) ou le maintien en activité des seniors (55 ans et plus). Fin 2012, en dépit d'une légère progression au cours des quinze dernières années, grâce à l'augmentation de l'activité féminine, le taux d'emploi ne s'établissait qu'à 63,9 % de la population en âge de travailler, soit en-dessous de la moyenne de l'Union européenne (64,1 %) et encore bien loin de l'objectif de 75 % fixé par la Commission dans sa stratégie Europe 2020, seuil qu'atteignaient déjà les Pays-Bas et qu'approchaient plusieurs autres États membres, parmi lesquels le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Autriche ou les pays nordiques.

Évidence toujours, la conjoncture économique a bien évidemment sa part de responsabilité dans ce tableau peu encourageant mais la situation difficile de l'emploi n'est pas un problème récent en France et elle n'avait pas trouvé d'améliorations spectaculaires au cours des années plus euphoriques d'avant 2008.

Par ailleurs, et comme le souligne le Commissariat général à la stratégie et à la prospective 1 ( * ) , une autre particularité française tient à la coexistence de deux cas de figure contrastés : d'une part, on y trouve une fraction plus élevée qu'ailleurs (45,6 % contre 36,5 % dans l'OCDE et 42,2 % dans l'Union européenne) de travailleurs en situation d'emploi stable 2 ( * ) ; d'autre part, on y constate une explosion des emplois temporaires, passés, en trente ans, de 6 % à 15 %, soit un taux très supérieur à celui des pays comparables. Il en conclut sèchement que « le marché du travail est dual et la probabilité de transition d'un emploi instable à un emploi permanent est faible ».

Avec l'espoir d'éclairer ce sombre panorama par des perspectives d'avenir moins pessimistes, la délégation à la prospective a choisi d'entreprendre une réflexion sur les emplois de demain, c'est-à-dire ceux qui proposeront aux générations futures des débouchés professionnels tangibles.

Elle n'avait bien sûr pas la prétention d'en extraire des solutions susceptibles de remédier à court terme au problème du chômage, ce qui dépasse évidemment très largement ses compétences. Mais elle souhaitait s'interroger sur la manière dont on pouvait anticiper et, partant, préparer l'avenir.

Sommes-nous en mesure d'identifier les filières qui embaucheront d'ici dix à quinze ans ? Peut-on, à l'inverse, lister celles qui ne devraient pas offrir, aux jeunes qui sont aujourd'hui au commencement de leur parcours scolaire, de perspectives d'emploi ? Et, si la réponse est positive à ces deux questions, planifie-t-on déjà les filières des formations à créer, à renforcer - ou bien à supprimer ou contenir - pour qu'arrivés à l'âge d'opter pour une orientation, ces jeunes disposent des moyens de se préparer à la carrière qu'ils ont choisie ? Prévoit-on que cela signifie notamment d'engager, peut-être dès maintenant, la formation des futurs formateurs qui les prendront plus tard en charge ?

En se posant cette série d'interrogations, a priori simples et de bon sens, la délégation à la prospective avait pour objectif de satisfaire à sa mission qui est de réfléchir aux transformations de la société et de l'économie pour en informer le Sénat et participer, dans la mesure de ses moyens, à la préparation de l'avenir.

Elle n'imaginait pas qu'elle se trouverait confrontée à un fourmillement d'organismes, d'institutions, de structures, d'acteurs privés ou publics, nationaux, européens ou internationaux, d'associations 3 ( * ) qui, plutôt que de faciliter les choix individuels, donnent le sentiment contraire d'un labyrinthe énigmatique et complexe qui n'aide guère les jeunes et leurs familles à se projeter dans l'avenir. Et qui conduit assez légitimement à s'interroger sur la potentielle déperdition d'énergie - et de financements - qui en résulte et que l'on pourrait plus utilement mettre directement au service de l'emploi ou de la formation.

Elle s'est aussi heurtée aux incertitudes qui s'attachent à ce que seront les métiers de demain : selon des sources qui varient sans qu'on sache très bien comment se font les calculs, on estime aujourd'hui qu'entre un tiers et 70 % des métiers qu'exerceront plus tard les futurs actifs n'existent pas encore.

Elle a également été conduite, plus qu'elle ne le pensait à l'origine, à se pencher sur l'organisation du système éducatif et de la formation professionnelle qui, en dépit de multiples réformes successives et d'une volonté politique qu'elle ne met pas en doute, reste encore largement perfectible pour pouvoir être pleinement opérationnelle.

Elle a d'ailleurs dû se résoudre à constater que de nombreuses difficultés ne sont pas nouvelles et n'ont toujours pas été aplanies. Que l'on parle de la valorisation de la filière de l'apprentissage, de la place des femmes dans les cursus scientifiques, de l'expatriation des élites, du développement du télétravail, tous ces sujets et bien d'autres, agités depuis de nombreuses années, sont encore sur la table.

Elle a pris conscience du fait qu'il lui faudra limiter ses ambitions car cette question du travail n'est qu'une manière d'entrer dans l'organisation globale de la société et constitue l'un des chaînons de sa construction, chacun étant étroitement lié aux autres : parler du travail, c'est aussi parler de formation bien sûr, mais aussi de réindustrialisation, d'aménagement des territoires, de l'organisation des villes, du développement des campagnes, de la structure des familles, de la place des jeunes, de l'intégration des populations issues de l'immigration, du vieillissement de la pyramide des âges, des politiques migratoires, du développement durable, des réseaux de transports, de la place de la France dans l'Europe et dans le monde...

Elle a néanmoins pu observer que la question de savoir ce que sera le travail demain interroge un grand nombre d'esprits visionnaires, qu'il s'agisse d'imaginer les emplois du futur, les conditions dans lesquelles on les exercera, les progrès attendus des nouvelles technologies ou les modifications sociales et sociétales qui en résulteront. Elle retient, de cette créativité foisonnante, le sentiment que des mutations profondes sont à l'oeuvre, dont elle espère pouvoir rendre compte en profitant de la liberté de ton que lui confère son rôle particulier au sein du Sénat, et même du Parlement dans son entier.

Consciente de la modestie de sa contribution à ce dossier qui intéresse directement les jeunes générations mais désireuse d'ouvrir la réflexion à de nouveaux enjeux, la délégation remercie sincèrement tous ceux qui, en France comme à l'étranger, lui ont accordé de leur temps pour l'aider à élaborer ce rapport nourri largement de leurs observations et de leur expérience.


* 1 Rapport « Quelle France dans dix ans ? », septembre 2013, note « quel modèle productif ? ».

* 2 Définis comme ceux en ancienneté d'emploi de dix ans ou plus.

* 3 Sans d'ailleurs prétendre avoir rencontré l'ensemble des parties prenantes, qu'elles agissent dans les secteurs de l'emploi ou de la formation.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page