B. INTERMINISTÉRIALITÉ : POUR QUE LE MIEUX NE DEVIENNE PAS L'ENNEMI DU BIEN

La mise en application d'un grand nombre de lois mobilise conjointement plusieurs ministères, dont généralement le ministère des finances pour l'incidence budgétaire du texte et, assez souvent, le ministère en charge de l'Outre-mer pour les mesures d'application qui peuvent s'y révéler nécessaires. En pareille hypothèse, l'application de ces textes présente un caractère interministériel, les ministères appelés à contresigner les décrets devant tous être saisis lors de l'élaboration de ces textes.

Dans son rapport de l'an dernier, votre commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois a consacré d'amples développements à cette question, car le travail interministériel, bien qu'indispensable pour la production de normes de qualité, révèle souvent des difficultés de coordination -voire des frictions- entre le ministère porteur du projet et les autres ministères intéressés ; ces difficultés -qui ne portent parfois que sur des détails techniques- font oublier les enjeux prioritaires du texte et sont source de lenteurs dans la procédure d'élaboration des mesures d'application.

Ainsi, en 2007, un rapport de l'Inspection générale des Finances 13 ( * ) diagnostiquait une augmentation significative du nombre des réunions de coordination interministérielles, sans incidence sur l'amélioration des textes mais générant souvent une duplication du travail des services au niveau des cabinets, donc des retards. Ce rapport dénonçait dans cette tendance « un emballement pathologique propre à la France. Plusieurs symptômes en témoignent. Le nombre des réunions interministérielles est passé d'un millier par an au milieu des années quatre-vingt à plus de 1 600 aujourd'hui. (...) La coordination tous azimuts, à un stade où les décisions n'ont souvent pas été suffisamment préparées, conduit à faire remonter à l'arbitrage de nombreux sujets techniques qui noient littéralement les enjeux politiques majeurs ».

En réaction, le Secrétaire général du gouvernement, dans sa position privilégiée à la frontière du politique et de l'administration, a tenté d'encadrer depuis 2008 la coordination entre les ministères afin de fluidifier le circuit interministériel d'élaboration des textes, le cas échéant en réglant les différends pouvant surgir entre ces producteurs de normes.

1. Le Secrétaire général du gouvernement, coordinateur naturel des relations entre les ministères

Le Secrétariat général du gouvernement (SGG) a pour mission d'organiser le travail gouvernemental afin de conduire son action à un maximum d'efficacité. Dans l'exercice de cette mission, le SGG est tiraillé entre plusieurs obligations difficilement conciliables. En effet, il doit non seulement « veiller à ce que les décrets sortent le plus vite possible, mais aussi que les nouvelles réglementations respectent bien un principe de proportionnalité, que les ministères ne profitent pas d'une loi pour sur-réglementer, et que l'impact du texte a bien été pris en compte ». Il intervient également à toutes les étapes de l'élaboration des décisions normatives du Gouvernement, son action portant aussi bien sur la convocation des réunions interministérielles que sur la transmission au Conseil d'État des lois ou ordonnances.

Aux côtés du ministre chargé des relations avec le Parlement, le SGG co-préside le comité interministériel de l'application des lois (CIAL).

Ce comité est composé de représentants des cabinets ministériels et de tous les correspondants ministériels chargés de l'application des lois. Le comité assure le suivi de l'application des lois en permettant à l'ensemble des acteurs intervenant dans le processus de mise en application de faire un point de situation globale sur les mesures en attente de décrets d'application et d'échanger sur les éventuels blocages politiques ou retards techniques.

Le CIAL a enfin vocation à réduire les incertitudes risquant d'entourer l'application des lois. Il distingue à ce titre « les dispositions suffisamment précises pour être applicables par elles-mêmes, de celles qui nécessitent des mesures réglementaires ».

Afin de mettre en oeuvre ses missions, le CIAL se réunit en deux formations : un comité plénier qui se réunit trois ou quatre fois par an et fournit à l'ensemble des acteurs les moyens d'échanger sur les blocages éventuels, et un comité opérationnel chargé du suivi technique des décisions du comité plénier.

La mission du SGG en matière de coordination interministérielle est relayée par chaque ministère, qui doit désigner en son sein un responsable de la programmation et du pilotage des décrets d'application des lois. Ces responsables de programmation sont tenus au respect d'une liste de textes prioritaires, qui les lie.

Néanmoins, en dépit des réels progrès enregistrés sur le terrain de la coordination interministérielle, des marges de progrès subsistent, tandis qu'un certain nombre de difficultés persistent, ralentissant parfois de manière considérable le processus de mise en application des lois.

2. Les limites à l'action du Secrétaire général du gouvernement

En dépit des efforts du SGG, la rédaction des textes de mise en application des lois, bien qu'en nette amélioration, n'est toujours pas le secteur d'excellence de la plupart des ministères.

De fait, les responsables politiques attachent souvent plus d'importance au vote de la loi -la législation principale- qu'à la publication de ses mesures d'application -la législation subsidiaire, moins valorisante . À la tête de l'administration, les plus proches collaborateurs des ministres s'impliquent moins dans cette tâche, l'impulsion politique faisant alors défaut dans la phase d'élaboration des textes d'application.

De surcroît, l'écriture des décrets reste, d'un point de vue technique, relativement complexe et peu gratifiante pour les rédacteurs, surtout si le décret attendu implique plusieurs ministères : chacun d'entre eux restant focalisé sur son seul domaine de compétences, ils sont moins sensibles à l'objectif que l'ensemble des contreseings soit recueilli dans un délai global raisonnable.

Le risque est patent, en particulier, avec les lois portant « diverses dispositions sur...» (DDO), dont les différents articles peuvent former un ensemble assez hétéroclite et qui, en aval, requiert l'intervention de plusieurs ministères .


* 13 Cf. Rapport de la Mission d'audit de modernisation sur la coordination du travail interministériel de l'Inspection générale des finances et du Conseil d'État n° 2007-M-020-01 en date de juillet 2007.

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