QUATRIÈME TABLE RONDE - Quelles règles de droit pour les nouvelles technologies ?

M. Gaëtan Gorce, sénateur,
membre de la commission des lois du Sénat, membre de la CNIL

M. François Pillet, sénateur, membre de la commission des lois du Sénat

Mme Meryem Marzouki, chercheure au CNRS

Me Alain Bensoussan, avocat spécialiste des nouvelles technologies de l'information et de la communication

Mme Nathalie Metallinos, responsable de l'atelier
« protection des données personnelles » de l'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ)

(de gauche à droite : M. Gaëtan Gorce, M. François Pillet, Mme Esther Benbassa , Me Alain Bensoussan, Mme Meryem Marzouki, Mme Nathalie Metallinos, Jean-Pierre Sueur)

Mme Esther Benbassa , présidente . - Nous nous réjouissons de faire face à une aussi vaste assemblée, et d'être entourés de personnes aussi savantes.

Les nouvelles technologies effacent les frontières entre vie publique et privée. Comment gérer cet espace de liberté ? Nous pouvons éduquer les plus jeunes à son utilisation, sans passer pour des censeurs. Ne devrait-on pas enseigner l'usage des nouvelles technologies dès le plus jeune âge, à l'école ? La démarche est ambitieuse. Avec Mme Goulet, nous nous y étions engagées. L'on nous a alors accusées de vouloir créer des limites là où il n'y en a pas.

Pour clore cette journée, nous recevons M. Gaëtan Gorce, auteur d'un rapport sénatorial remarqué sur la protection des données personnelles et l' open data , ainsi que d'une proposition de loi tendant à limiter l'usage des données biométriques, président de la mission commune d'information « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'UE dans la gouvernance de l'internet » ; M. François Pillet, co-auteur avec M. Gorce du rapport précité et rapporteur de la proposition de loi sur la biométrie ; Mme Meryem Marzouki, chercheure au CNRS, spécialiste des relations entre TIC, politiques publiques et espace public ; Me Alain Bensoussan, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies de l'information et de la communication et Mme Nathalie Metallinos, responsable de l'atelier « protection des données personnelles » de l'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ). Ouvrons le débat !

M. Gaëtan Gorce , sénateur, membre de la commission des lois du Sénat, membre de la CNIL. - Je ne sais si l'on pourra ajouter des choses nouvelles, tant les précédentes tables rondes ont été riches. On n'aime guère que le législateur se mêle de ces questions : Internet, c'est en effet la liberté. Légiférer, c'est risquer d'être à contretemps et de bloquer les évolutions que l'on veut encourager. Le législateur a néanmoins une responsabilité, au-delà du fonctionnement des marchés et des technologies : dire la norme, c'est fixer l'acceptable et l'inacceptable, en fonction de valeurs collectivement définies. Le numérique bouscule ces valeurs.

La vie privée est une notion relativement récente. Âgée de deux siècles tout au plus, elle n'est protégée que depuis peu. Or ce qui compte aujourd'hui, c'est moins ce que l'on est que la position occupée, au carrefour de tels ou tels réseaux, la circulation des informations que l'on détient. Il s'agit de questions civilisationnelles. Il faut commencer, pour certains interlocuteurs, par redéfinir les valeurs que l'on entend protéger.

Que deviennent la vie privée, l'intimité, quand la téléréalité, par exemple, survalorise des éléments du quotidien, en transformant la sphère privée en spectacle ?

La technologie ne demeurera-t-elle qu'un outil ?

Selon le point de vue dominant aujourd'hui, la technologie facilite la vie quotidienne, améliore la santé et la sécurité des individus. Selon un autre point de vue,  la technologie instrumentalise l'individu - voyez l'utilisation de la biométrie, du contour de la main, pour l'accès à des cantines scolaires ou à des équipements sportifs et culturels.

Le législateur doit rester le garant d'une certaine conception de la personne humaine, donc limiter l'usage de la technologie au strict nécessaire : assurer la sécurité indispensable de locaux, lutter contre les usurpations d'identité...Ce point de vue n'est plus une évidence. Tel est l'objet de la proposition de loi que j'ai déposée, qui limite l'usage de la biométrie aux situations dans lesquelles la sécurité est en jeu.

J'ai osé critiquer l' open data - ce qui m'a valu de voir mon blog piraté, curieuse conception du débat ! L' open data ne concernerait pas les données personnelles, dit-on, or, par recoupement, on reconstitue aisément le profil d'un individu. Le respect de l'intimité, du corps humain, n'est pas un principe désuet, mais un élément du respect de l'autonomie de la personne, qui ne se réduit pas à un rouage de la machine technologique et économique.

En provoquant le débat sur ces questions, nous encourageons le Parlement à jouer son rôle. N'ayons pas une confiance aveugle dans la technologie qui, loin d'être neutre, bouleverse la société et ses valeurs. Il est normal qu'elle les rappelle, quitte à les reformuler. C'est l'homme qui contrôle la technologie, non le contraire. (Applaudissements)

M. François Pillet , sénateur, membre de la commission des lois . - Je me bornerai à deux exemples empruntés aux possibilités biométriques, qui illustrent les questions posées au législateur. Le droit, pour être fort, doit être stable ; comment peut-il dès lors encadrer des technologies qui vont plus vite que lui ? D'aucuns répondent : par des procédures de labellisation, de certification. N'abdiquerait-il pas ainsi sa compétence normative, au profit de spécialistes de la technologie ?

Le législateur joue, selon moi, un rôle primordial : celui de garant du pacte social, que la technologie peut modifier en profondeur. Ne péchons pas par pusillanimité en refusant de prendre la mesure des nouveaux enjeux. Certaines innovations, comme les nanotechnologies ou l'utilisation massive des données personnelles, sont peut-être irréversibles. Ne tombons pas non plus dans un prohibitionnisme obscurantiste, ne serait-ce que parce que la technologie n'a pas de frontières.

Premier exemple : la proposition de loi destinée à lutter contre l'usurpation d'identité. La sécurisation proposée passait par l'enregistrement dans un fichier central de données biométriques de chaque français, afin de les associer définitivement à son identité, et via un titre d'identité biométrique également. Il s'agissait de ficher 60 millions de Français. Un tel fichier aurait méconnu le principe de proportionnalité entre l'objectif (lutter contre l'usurpation d'identité) et les atteintes aux libertés publiques constituées par les moyens déployés, aboutissant à l'identification quasi parfaite de la totalité de la population française. Les garanties juridiques posées par ce texte étaient insuffisantes. Refuser purement et simplement l'usage de la biométrie pour les titres d'identité revenait à refuser un progrès incontestable dans la fiabilité de ces titres. Sur ma proposition, le Sénat a doublé les garanties juridiques par des garanties dans la constitution même de la base de données, rendant impossible l'identification d'une personne à partir d'une seule donnée biométrique, sans porter atteinte à l'objectif prioritaire du texte. La CMP a finalement échoué ; le point de vue de l'Assemblée nationale a prévalu et le Conseil constitutionnel a censuré le fichier central, comme l'avait annoncé le Sénat.

Deuxième exemple : la proposition de loi de Gaëtan Gorce, relative à la biométrie. Impossible d'ignorer les avancées de cette technologie, désormais largement répandue, qui pénètre dans tous les domaines de la vie quotidienne, de l'accès aux locaux à la santé. La proposition compléte l'article 25 de la loi Informatique et libertés et renforçe les conditions d'autorisation par la CNIL de la constitution de tels systèmes biométriques. Le législateur est là indiscutablement dans son rôle.

Il fait écho à des préoccupations internationales, notamment dans le cadre du Conseil de l'Europe, dont le comité de réflexion sur la « convention 108 » a proposé d'intégrer les données biométriques parmi les données sensibles au sens de cette convention. Des évolutions de la réglementation en vigueur au sein de l'UE sont également en cours. La proposition de loi sera étudiée dès la semaine prochaine par le Sénat. J'ai voulu préciser la notion de « stricte nécessité de sécurité », qui conditionne la mise en place de la biométrie, afin qu'elle ne soit entendue de façon ni trop large, ni trop étroite. M'inspirant d'une communication de la CNIL de 2007, j'ai proposé de tracer la frontière le long des « intérêts excédant l'intérêt propre de l'entreprise », ce qui inclurait l'authentification pour les transactions financières, qui protège les intérêts du citoyen consommateur, au-delà de ceux des banques et des commerçants.

Le législateur n'intervient en ces matières que d'une main tremblante, en espérant contribuer à limiter les dérives portant atteinte à l'intérêt général. (Applaudissements)

Mme Meryem Marzouki , chercheure au CNRS . - La proposition de loi de M. Gorce est bienvenue. Je regrette toutefois sa timidité : elle se limite à la modification de l'article 25 de la loi de 1978. Or l'usage sécuritaire de la biométrie qui en est fait aujourd'hui exigeait d'aller plus loin ; de plus, je doute que les garde-fous soient suffisants. Nous y reviendrons sans doute. Alors, quel droit pour les nouvelles technologies ? Je suis tentée de répondre : un droit respectueux des droits fondamentaux.

Au-delà de la formule, saisissons l'occasion de la loi sur le numérique pour faire évoluer les choses. Les droits fondamentaux qu'il incombe au législateur de faire respecter sont le droit à la vie privée, le droit à la présomption d'innocence, le droit à un procès équitable, le droit à la dignité humaine, qui est sérieusement mis en cause par l'usage de la biométrie. Le principe de non-discrimination, quant à lui, est souvent enfreint par les dispositifs de vidéo-protection dans les rues et les quartiers - chacun en a des exemples en tête.

La protection de la vie privée et des données personnelles conditionne la liberté d'expression, car la surveillance nourrit l'autocensure. C'est une question démocratique, une question de contrat social.

Ces défis ne sont pas nouveaux. Depuis l'affaire Snowden, nous savons, grâce à une résolution des Nations unies que nous devons faire respecter nos droits, y compris sur le réseau. Les révélations d'Edward Snowden ont suscité une prise de conscience massive des citoyens. Leur énormité ne doit toutefois pas masquer les autres problèmes qui demeurent, dont la convergence des méthodes et outils des opérateurs privés, fournisseurs de services en ligne, des communautés de renseignement, des services de police judiciaire et des administrations soumises à une logique gestionnaire, à des objectifs chiffrés, depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, notamment dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Tous les arrêtés que nous avons contribué à contester, avec les associations de défense des droits de l'homme, devant le conseil d'État, se réfèrent à l'objectif de tenir des statistiques. Tous ces services procèdent en effet à des collectes massives et systématiques des données qui sont à leur portée. Tous se livrent à des opérations de profilage. Plus besoin de connaître l'identité des gens, il s'agit de cerner des profils, au moyen d'application informatiques : à des fins de publicité comportementale pour les entreprises ; à des fins de renseignement pour la lutte antiterroriste ; à des fins de lutte contre la criminalité, voire la simple délinquance, comme l'ont montré Delphine Batho et Jacques-Alain Benisti dans leur rapport parlementaire.

Certaines tâches relevant de l'administration sont également transférées à des tiers. La CJUE, le 13 mai, a estimé que les moteurs de recherche, Google en l'espèce, géraient bien des données personnelles au sens de la directive européenne sur la protection des données, et devraient garantir une forme de droit à l'oubli.

La surveillance qui guette peut faire craindre un recul de la liberté d'expression. (Applaudissements)

Me Alain Bensoussan , avocat spécialiste des nouvelles technologies de l'information et de la communication. - Cela fait vingt ans qu'on se bat pour le droit à l'oubli : on ne peut que se féliciter d'une victoire jurisprudentielle, qui sera sans doute suivie d'une réglementation.

Il me semble que la vie privée est devenue un concept sans pertinence. La loi de 1978 a été pertinente technologiquement... jusqu'à l'arrivée des nouvelles technologies, le 2.0, les réseaux sociaux ; du 3.0, l'internet des objets, du 4.0, celui des objets autonomes et du 5.0, qui fusionne l'informatique et les robots.

Je ne fais pas de procès à la vie privée, mais je m'interroge sur la vie publique virtuelle. La Cour de cassation a reconnu que son existence dépendait des circonstances.

Auparavant la vie privée avait un lieu : le domicile, étendu parfois à la voiture, voire à la chambre d'hôtel. Or la notion de vie privée virtuelle a été reconnue, nous l'avons obtenu en plaidoirie, dans l'ordinateur, où il y a bien plus de vie privée que dans ma voiture. Autre progrès jurisprudentiel !

Réintroduisons les valeurs intemporelles cachées derrière ces zones. La vie privée ne se résume pas à l'intimité. Nous sommes passés du droit à la protection de l'intitulé au droit à la vie privée. Depuis la loi de 1978, les lois ont développé les protections. Plus d'une cinquantaine jusqu'au droit à l'oubli ! Ce sont tous des droits à la personnalité. Nous avons besoin aujourd'hui d'un droit à la propriété. Facebook est une révolution pour un milliard de personnes dans le monde - il représente pourtant le Jurassique du numérique. L'article premier des conditions générales d'utilisation (CGU) de ce réseau, soit du contrat qui le lie à ses utilisateurs, valant loi entre les parties, indique que chacun d'entre nous donne une licence, non exclusive et gratuite à Facebook. C'est qu'il est locataire et que nous sommes propriétaires. Ce droit de propriété s'étend à la sphère des données. Quid du droit pénal, dans le contexte actuel de marchandisation des données ? On titre « vol de données chez Sony, chez Orange » etc. Pour qualifier un vol il faut une effraction pour s'approprier la chose d'autrui. Je me bats, avec d'autres, pour faire reconnaître le vol par réseau, virtuel. On n'en est pas tout à fait là. Le droit des biens est sûrement la solution au droit de la vie privée dans le monde virtuel.

Bien sûr, il faut faire respecter les valeurs. Les technologies sont neutres, ce sont les usages que les hommes en font qu'il faut réguler. Libérons la biométrie et les technologies ! Partons de l'idée que la création de valeur est saine et que c'est l'utilisation anormale qui est malsaine. La loi de 1978 est fondée sur la collecte des données et la notion de finalité. Mais celles-ci ne sont plus collectées, elles sont créées par des algorithmes prédictifs. Le concept finalité est absent du big data . Peu importe le nom des individus, seul compte leur comportement. Peut-on laisser les États-Unis créer seuls des entreprises de biens incorporels ? L'article 5C du règlement européen n'a aucun sens. N'imposons pas le principe de minima en Europe quand prévaut le principe de maxima aux États-Unis ! Et Google prospère... Libérez la technologie en Europe ! Nous ne cessons de plaider tous les jours devant les tribunaux les droits de l'homme numérique...

Oui, Snowden est un vrai défi, mais en trente-quatre ans, deux décisions importantes ont été rendues : l'arrêt Reno c/ACLU qui a placé Internet sous la protection du premier amendement de la Constitution américaine, et la décision de la Cour de justice de l'Union européenne de mai 2014 qui consacre le droit à l'oubli : nous sommes les archivistes de notre passé, notre passé ne mine pas notre futur. Voilà un droit de la personnalité !

Reste à reconnaître le droit à l'intimité, le droit à la souveraineté personnelle, à l'autodétermination dans l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Le bonheur est, dans le monde binaire, le droit de s'arrêter quand il ne protège pas les valeurs essentielles... (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa , présidente . - Cher Maître, merci pour cette performance ! Je retiens la différence, importante aujourd'hui, entre vie privée et vie intime, ainsi que votre comparaison entre les États-Unis et la France...

Mme Nathalie Metallinos , responsable de l'atelier « protection des données personnelles » de l'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ). - L'ADIJ, réunit depuis quarante ans des juristes passionnés de nouvelles technologies de l'information et de la communication. Son président, Pascal Petitcollot, rédacteur en chef de Légifrance, est dans la salle. Je dirige l'atelier de protection des données personnelles.

Quelles perspectives ? Le tableau a été dressé : la mort annoncée de la vie privée, l'impasse de nos libertés publiques, face aux mesures sur la sécurité...

La réforme du règlement européen sur la protection des données personnelles est très attendue.

Les législations existantes trouvent leurs limites. Les principes de la loi de 1978, repris dans la directive de 1995, sont néanmoins pérennes. Même si la logique de la collecte s'estompe, le principe de proportionnalité demeure. En France, on estimait longtemps que la protection reposait sur la déclaration préalable à la CNIL. Il pose manifestement un problème d'effectivité. Il n'a pas suffi à prévenir les abus.

La réforme en cours du règlement européen change le paradigme en rétablissant la responsabilité des acteurs, publics et privés. Le contrôle a priori est transféré aux opérateurs, à charge pour eux de démontrer leur observation des règles, alors qu'aujourd'hui de nombreux manquements passent inaperçus : « pas vu, pas pris » !

Le rapport sur l' open data montre que seule la méthode d'élaboration des données et la traçabilité documentée de cette méthode, que les banques connaissent, est un garde-fou efficace.

Ensuite les données à caractère personnel constituent une notion plus vaste que la vie privée. Il s'agit désormais de tenir compte non seulement de la possession de données nominatives, mais aussi des conséquences du traitement des données, du profilage. La législation s'appuiera sur cette notion.

Enfin, pour pallier le manque d'effectivité de la réglementation, il faut renforcer le pouvoir de sanctions de la CNIL. La FTC américaine a condamné Google à une amende de 10 millions de dollars, pour avoir contourné la technologie censée empêcher le placement de cookies sur les postes Apple ; la CNIL ne peut prononcer des amendes supérieures de 150 000 euros. Le projet de règlement permet, en relevant ces sanctions, de remonter aux comités exécutifs des entreprises, au lieu d'en rester à celles traitées par leurs services juridiques. Je ne connais à ce jour aucune entreprise qui ait inscrit le respect des données personnelles de ses clients ou de ses salariés dans ses valeurs.

L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, selon moi, se fonde sur le droit existant et ne crée pas un nouveau droit à l'oubli numérique. Elle a ordonné la suppression des données qui ne répondaient plus à l'exigence de qualité posée par la législation actuelle car elles n'étaient plus à jour. Pour résoudre la question posée par la dissémination des données, il faut agir en amont. Une fois que les données sont parties sur internet, il est trop tard. La préservation des données privées doit devenir une option par défaut dans les dispositifs numériques. Tel est l'élément majeur de cette proposition de règlement. Il reste beaucoup de travail, mais nous espérons que cette réforme aboutira. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa , présidente . - Je note que vous évoquez aussi le droit à l'autodétermination. Il est vrai que les sanctions prononcées par la CNIL ne sont pas dissuasives. Je donne la parole à la salle.

(Échanges avec la salle)

Question de la salle. - Je représente la société Morpho. L'usage de la biométrie se développe, non en France car le droit y est strict, mais dans le monde. Une alliance, FIDO s'est créée, essentiellement autour d'entreprises américaines. Morpho et Oberthur l'ont rejointe. L'industrie française est novatrice. Nous travaillons avec la CNIL.

Votre proposition de loi nous inquiète. Ne risque-t-on pas de laisser la France à l'écart, d'autant que vous ne prévoyez pas d'exception pour la recherche scientifique ?

Mme Monique Pontier .-  Je suis professeure émérite à l'Institut de mathématiques de Toulouse.

Personne n'a parlé du centre d'accès sécurisé aux données, sous l'égide de l'Insee, dans le cadre de l'établissement public « Genes » (groupe des écoles nationales d'économie et statistique), qui tient des bases de données, provenant de la sécurité sociale, de ministères. Ces données sont consultables par tous à des fins de recherche et anonymes. La recherche scientifique n'a pas besoin de données nominales pour avancer. Nous pratiquons le data mining depuis longtemps. Je m'interroge donc sur la pertinence de la question précédente.

M. César Armand .- Je suis journaliste au magazine Europe parlementaire . Madame Marzouki, pensez-vous être objective ? Êtes-vous chercheure au CNRS ou militante ? N'auriez-vous pas dû intervenir lors de la table ronde de ce matin, où était présent un représentant de Google France, puisque vous critiquez Google qui n'est pas là pour vous répondre ?

Mme Esther Benbassa , présidente. - Les organisateurs sont libres. Il ne vous appartient pas de porter un jugement sur leurs choix de composition des tables rondes. J'ajoute que les intervenants sont libres d'exprimer leurs points de vue, sans qu'on ait à leur demander leur carte professionnelle...

Mme Meryem Marzouki , chercheure au CNRS . - Je ne vous demande pas si vous êtes journaliste ou partisan. Je n'ai pas attaqué Google, mais simplement rappelé une décision de la Cour de justice de l'Union européenne.

Question de la salle. - je représente une société active dans le domaine de l'information légale, financière et économique. Nous publions des données personnelles figurant dans le cadre de la publicité légale. Certains dirigeants d'entreprises cités nous interrogent à ce sujet.  Des éclaircissements seraient bienvenus sur le statut de ces données.

Question de la salle. - Notre société travaille dans le secteur de la biométrie. Le problème de la biométrie ne réside pas dans la technologie même, mais dans la constitution de bases de données nominales biométriques. Il est possible de rendre anonymes ces bases de données. La loi limiterait les possibilités d'authentification. Actuellement, elle verrouille les applications. Certains États américains, comme la Floride, interdisent la biométrie pour l'accès aux cantines scolaires. Mais si la technologie biométrique est utilisée sur un device individuel, il n'y a pas de danger pour l'utilisateur, qui peut ainsi accéder à des services numériques intéressants.

M. Gaëtan Gorce , sénateur, membre de la commission des lois du Sénat, membre de la CNIL. - La proposition de loi ouvre un débat, qui se prolongera au-delà de son examen en séance publique au Sénat. Le corps humain bénéficie dans notre droit d'une protection particulière. Il faut l'étendre à ses prolongements, comme les données biométriques, dont l'utilisation est à mon sens choquante, non seulement pour les enfants, mais aussi pour les adultes. C'est un débat de société. Je considère que certains usages changent notre vision du corps humain et même l'idée qui est au fondement de notre civilisation. De plus, j'y vois un moyen de discipliner les individus. Cela me choque. C'est un débat politique, qui porte sur les valeurs. Nous aurons ce débat mardi. Je suis conscient des enjeux économiques, industriels, mais le respect de la personne humaine est premier. M. Bensoussan appelait à libérer la technologie. Certes ! Mais n'oublions pas nos valeurs de base, faute de quoi nous nous réveillerions dans une société très différente de celle où s'est construite l'autonomie de l'individu.

M. François Pillet, sénateur, membre de la commission des lois du Sénat. - Cette proposition de loi ne nuit pas à la recherche, ce qui devra être précisé lors des débats, ni au développement de l'industrie française. Nous ne réglementons que les usages. Ce n'est pas parce qu'une société française découvrirait un procédé révolutionnaire, exportable, mais contraire à notre conception de la société, qu'il faudrait l'accepter ipso facto ! Nous ne voulons pas couper les ailes de l' open data mais émettre des recommandations, afin d'éviter la divulgation incontrôlée des données contre la volonté de leurs propriétaires. En effet, on ne dispose pas de techniques d'anonymisation totalement fiables. L'administration ne peut garantir qu'il n'y aura pas de dérapage. Même si les failles sont aujourd'hui peu nombreuses, il faut anticiper sur le développement de l' open data .

Mme Esther Benbassa , présidente . - Merci à vous tous. La notion de vie privée et de valeur fondamentale sont des concepts qui varient selon les civilisations, les pays et les époques. Il conviendra de les définir avec précision. Les lois s'adaptent et sont conjoncturelles.

M. Alain Bensoussan, avocat spécialiste des nouvelles technologies de l'information et de la communication. - Les civilisations et leur géographie évoluent. Bien malin celui qui peut affirmer que nos valeurs sont universelles, même s'il faut les défendre. Il y a plusieurs sortes de biométries : celle de l'organe, qui est une horreur ; celle du cyborg, qui peut être discutée, l'alliance du corps et de la technologie ; et la biométrie de l'image du corps humain, qu'il ne faut pas confondre avec le corps humain lui-même. L'empreinte digitale, la voix, l'iris, le système veineux ne sont que les images des doigts, de la parole, de l'oeil, des veines ! À ce compte-là, faudra-t-il interdire la photographie ? Lorsque mon ordinateur me regardera, il saura m'identifier, sans que j'aie à retenir un code...Libérons la biométrie de la forme et de l'image, élément essentiel à la démocratie !

M. Gaëtan Gorce , sénateur, membre de la commission des lois du Sénat, membre de la CNIL . - Avec M. Bensoussan, il est clair que nous avons des conceptions différentes de l'amour !

Mme Esther Benbassa , présidente . - Merci pour vos interventions. Nous terminons en beauté ! (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Merci à tous les participants.

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