B. L'ARCTIQUE, PREMIÈRE CIBLE DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE MONDIAL

1. Un réchauffement d'une plus grande ampleur qu'ailleurs sur la planète

C'est dans les régions polaires que l'impact du changement climatique est le plus grand. Le réchauffement de l'Arctique est à la fois plus important et plus rapide que le réchauffement qui affecte le reste de la planète. Dans un même ordre d'idée, on rappellera que le trou de la couche d'ozone stratosphérique s'est formé depuis 1985 au-dessus de l'Antarctique.

Le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) estime que dans l'hémisphère nord, la période 1983-2012 a probablement représenté les 30 ans les plus chauds des 1 400 dernières années. Ses travaux montrent également que le réchauffement climatique est au moins deux fois plus rapide en Arctique qu'ailleurs dans le monde. Au cours des quarante dernières années, la température globale a augmenté de 0,5°C ; mais elle a augmenté de plus de 1°C en Arctique. Plus inquiétant, on constate que la tendance s'accentue depuis 2002.

Or, les travaux menés jusque-là sur le climat montrent que cette tendance va continuer. C'est à dire que lorsqu'on évoque une hausse des températures de 2°C sous nos latitudes tempérées, au pôle, le réchauffement serait de 4 à 5 degrés à l'horizon 2050. Les scénarios les plus noirs évoquent même 7°C pour 2100.

À ce titre, on peut regretter que le cinquième rapport du GIEC soit relativement discret sur le réchauffement de l'Arctique. Néanmoins, la tendance forte sur laquelle chacun semble s'accorder est que le réchauffement au pôle nord est plus rapide qu'envisagé jusqu'à présent.

En outre, on constate que le réchauffement de l'Arctique n'est pas homogène, comme le notent les auteurs de l'étude de la Fondation pour la recherche stratégique, L'Arctique : perspectives stratégiques et militaires 1 ( * ) :

« Plusieurs points chauds ressortent de la collecte des données (notamment une large zone allant du détroit de Béring à la mer des Laptev, en incluant la mer de Sibérie orientale, ou encore une grande partie de l'archipel arctique canadien), tandis que certaines zones (dont l'Europe du Nord et le Svalbard) se refroidissent légèrement ou se stabilisent.

Les anomalies de température de l'océan Arctique semblent se reproduire au fil de ces dernières années (depuis 2007), ce qui pourrait être un signe d'une stabilisation du réchauffement marin de surface. Mais des points chauds en été, dont l'emplacement dépend des limites du retrait de la banquise arctique, subsistent (avec des pics pouvant dépasser de 5 degrés, comme en 2007, la moyenne des températures de la surface de l'eau entre 1982 et 2006) ».

Il n'en demeure pas moins que sur la base de ces études, les projections effectuées assurent que le réchauffement en Arctique sera deux à trois fois plus important que dans le reste du monde.

2. La fonte inéluctable de la banquise arctique

La banquise de l'océan arctique diminue de plus en plus durant les périodes estivales. Cette assertion est malheureusement vraie dans ses trois dimensions : la surface de la banquise diminue, son épaisseur se réduit et son âge s'abaisse.

La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) américaine tient jour par jour un état de la surface de la banquise, fondé sur des relevés satellitaires. Cet outil facile d'accès permet de comparer l'évolution de l'étendue de la banquise arctique depuis 1979.

La surface de la banquise arctique connaît une diminution continue depuis plus de trente ans, comme le montre le graphique ci-dessous, qui présente la diminution de la banquise entre mai 1979 et mai 2014 :

Source : Libération

La surface de la banquise mesurée au mois de mai 2014 présente le troisième plus bas niveau depuis 1981. Jusque-là, le rétrécissement le plus important avait été constaté en 2012, devant 2007 qui avait marqué un premier record. Si l'on considère que 2011 est la quatrième année de ce classement, on peut justement s'inquiéter : 4 des plus bas niveaux annuels de la surface de la banquise ont été mesurés lors des sept dernières années. Alors que l'étendue de la banquise est, le 1 er juin 2014, à un niveau inférieur à celui du 1 er juin 2012 (12,209 millions de km 2 , contre 12,360), on peut légitimement se demander si cette année ne va pas marquer un nouveau triste record.

La surface de la banquise de l'océan Arctique n'est cependant pas la seule à diminuer. L'épaisseur de la banquise s'est elle aussi réduite : entre 2003 et 2011, le volume de glace mesuré à la même période de l'année (octobre et novembre) a diminué de moitié, passant de 14 000 km 3 à 7 000 km 3 .

En outre, l'âge de la banquise baisse aussi. Cela concerne la partie de la glace de l'océan arctique qui est pérenne d'une année sur l'autre. Il ne s'agit pas d'un ensemble fixe et immobile, mais d'une glace de mer vieille de plusieurs années. Or, en plus de la surface de cette glace qui diminue de 8 à 10 % par décennie environ, c'est bien l'ancienneté de la glace qui baisse. Elle serait désormais de moins de quatre ans. C'est un marqueur important du réchauffement climatique en Arctique, car les glaces jeunes sont à la fois moins épaisses et moins résilientes.

Enfin, à la fonte des glaces de mer, il faut ajouter la fonte de la glace au Groenland.

3. La fonte de la glace du Groenland

Ce territoire mesure 1,7 million de km 2 et rassemble près de 10 % des réserves mondiales de glace et donc d'eau douce. Ces glaces sont d'une épaisseur moyenne de 2 000 mètres.

La géométrie et le volume de la glace des calottes y sont régis par l'équilibre entre les quantités de neige tombées et les quantités évacuées. Les observations conduisent à estimer que la calotte groenlandaise est aujourd'hui en déséquilibre. Elle perdrait de sa masse, en raison de la fonte et d'une accélération de l'écoulement des glaciers. Son profil général serait d'ailleurs en train de changer pour devenir plus pentu.

Des études récentes sur le Groenland auraient montré un amoindrissement significatif de la calotte, entre 1992 et 2002, diminution qui paraît encore s'accélérer. Les résultats fournis par l'altimétrie révèlent que le Groenland aurait perdu environ 50 milliards de tonnes par an. La mesure des flux, flux entrant (accumulation de la neige) et flux sortant (ablation et rejets vers l'océan), fournit une estimation plus importante de cette perte de masse, qui atteindrait environ 100 milliards de tonnes par an. La température moyenne d'été à la surface de la calotte de glace a augmenté de 2,4 degrés C° entre 1979 et 2005. La surface maximale du Groenland fondant au moins un jour par an a augmenté de 42 % durant la même période, ce qui représente une surface supplémentaire de fonte en 2005 équivalente à un tiers de la surface de la France. On estime que, au-delà de 20 % de perte, ce mouvement serait irréversible. Le point de non-retour serait atteint avec un réchauffement global de 3°C. Ce qui est plus que probable au cours ou à la fin du XXI e siècle !

Or, c'est bien la fonte de la glace d'eau douce qui fait monter le niveau des océans, et non la fonte de la banquise d'eau de mer. Si près de 70 % des réserves d'eau douce sont dans l'Antarctique, la fonte des 10 % que recèle l'inlandsis groenlandais aura un impact certain sur le niveau des mers.

Cela n'est pas sans danger pour la France. Une étude réalisée sur la France métropolitaine montre que les effets de la montée des eaux semblent devoir être limités sur l'ensemble du littoral d'ici à la fin du siècle : 2 000 hectares seraient concernés par l'érosion et 36 000 hectares par la submersion, soit, au total, 0,07 % de la superficie de la France. Cela concerne principalement les estuaires et les deltas et notamment la Camargue.

En revanche, les territoires d'outre-mer seront plus exposés. Le relief et l'altitude moyenne de Saint Pierre et Miquelon, de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion de Mayotte et de la Nouvelle Calédonie devrait leur permettre de ne pas être inquiétées. La mangrove et la dispersion des eaux amazoniennes devraient permettre à la Guyane d'être relativement préservée. Tel n'est pas le cas de la Polynésie française et de ses Atolls, appelés à disparaître sous la montée des eaux.

Cet exemple sensible amène à préciser un point. L'Arctique est bien la première victime du réchauffement climatique en raison de l'augmentation plus importante des températures qui l'affecte. Mais il n'est pas menacé de disparition par la montée des eaux comme peuvent l'être des îles du Pacifique ou certains littoraux. Pourtant, c'est bien la fonte des glaces d'eau douce qui entraînera l'augmentation du niveau des eaux, ce qui prouve que le réchauffement de l'Arctique est bien un problème mondial.

4. De la participation de l'Arctique au réchauffement climatique

Comme pour les autres océans, le réchauffement de l'océan Arctique développe de la vapeur d'eau, qui est un gaz à effet de serre. Des nuages se forment et eux-mêmes vont participer au réchauffement global. Mais alors que l'Arctique est la région la plus sensible au réchauffement qui modifie le climat mondial, le paradoxe veut que sa propre transformation va avoir un effet amplificateur sur le réchauffement climatique. En faisant disparaître la couverture glaciaire du pôle nord, le réchauffement climatique modifie l'essence même du rôle que la banquise joue pour notre planète.

L'albédo est le rapport entre l'énergie solaire réfléchie et l'énergie solaire incidente, c'est à dire absorbée. L'albédo de la glace est de quatre à douze fois supérieures à l'albédo de la mer. En résumé, la glace réfléchit plus de lumière et d'énergie que la mer. Quand la banquise fond, l'océan Arctique reçoit plus d'énergie et s'en réchauffe davantage. Ce faisant, il accélère le processus de fonte.

L'énergie réfléchie par la Terre (albédo)

neige fraîche froide

jusqu'à 90 à 98 %

neige fondante

50 à 60 %

neige fondue, sale

40 %

glacier

50 %

océan

5 à 15 %

glaces de mer

50 à 85 %

Ce phénomène est décrit avec beaucoup de clarté et de pédagogie par le grand explorateur des pôles Jean-Louis Étienne de la façon suivante : « L'arctique change de couleur. Il était blanc, il devient vert. Et en changeant de couleur, il change de rôle : de réflecteur de la lumière, il devient capteur. »

L'atténuation de l'albédo n'est pas le seul effet amplificateur issu du réchauffement climatique en Arctique. La libération du méthane emprisonné sous la glace en est un autre.

Le méthane est le deuxième gaz à effet de serre le plus important après le dioxyde de carbone et un agent de forçage radiatif beaucoup plus puissant : chaque demi-kilo de méthane dans l'atmosphère est équivalent à 9 kg de dioxyde de carbone. Il s'agit par ailleurs d'un gaz explosif qui, s'il est respiré, peut entrainer la mort par suffocation.

Des chercheurs ont étudié le plateau arctique sibérien. Il contiendrait des réserves de 50 gigatonnes de méthane emprisonné dans le pergélisol. Or, on ne sait pas de quelle manière la diminution de ce dernier libérera le méthane. La seule chose dont on est certain, c'est que cette libération du méthane dans l'atmosphère accentuera le réchauffement climatique. Les modèles démontrent en effet que la libération du méthane accélérera le réchauffement en devançant de 15 à 35 ans les prédictions précédentes des températures futures.

Les transformations de l'Arctique induites par l'effet de serre et amplifiées par les spécificités de cette région montrent à quel point elle est essentielle pour le fonctionnement de notre planète.


* 1 Alexandre Taithe, avec Isabelle Facon, Patrick Hebrard et Bruno Tertrais, Arctiq : perspectives stratégiques et militaires, Fondation pour la recherche stratégique, Novembre 2013.

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