C. LA QUESTION DE LA DETTE BANCAIRE ENFIN RÉGLÉE ?

1. Les promissory notes

La banque Irish Bank Resolution Corporation (IBRC) a été créée en juillet 2011 afin de fusionner l' Anglo Irish Bank (AIB) et l' Irish Nationwide Building Society (INBS), toutes deux proches de la faillite après l'éclatement de la bulle immobilière. Ces deux établissements avaient respectivement été nationalisés en 2009 et en 2010, à l'image de la plupart des banques locales.

Pour éviter un effondrement de ces deux établissements, le gouvernement leur a octroyé une aide d'urgence, d'un montant de 31 milliards d'euros, sous la forme de billets à ordre ( promissory notes ). Cette somme devait leur permettre de se refinancer auprès de la Banque centrale d'Irlande (CBI) et donc auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Ces billets à ordre constituaient en l'espèce une reconnaissance de dettes signée par l'État irlandais : d'ici à 2031, le gouvernement irlandais s'engageait à rembourser, chaque année au 31 mars, 3,1 milliards d'euros aux deux banques, puis une fois fusionnées à l'IRBC. Cette somme représente 2 % du PIB. Les billets à ordre étaient utilisés comme « collatéraux » par l'IRBC auprès de la CBI qui, en échange, lui fournissait des liquidités d'urgence (ELA). 16 milliards d'euros d'actifs de l'IRBC ont également été versés pour garantir les liquidités d'urgence qui s'élèvent in fine à 40 milliards d'euros.

6 milliards d'euros ont déjà été remboursés par les autorités irlandaises, dont 3,09 en mars 2012 sous la forme d'obligations à échéance 2025. La Banque centrale d'Irlande dispose donc à son bilan de 25 milliards d'euros de promissory notes , de 3,5 milliards d'euros d'obligations d'État et des actifs de l'IRBC.

Depuis son accession au pouvoir en mars 2011, la coalition gouvernementale souhaitait négocier le report du remboursement des promissory notes , afin d'alléger ses besoins de financements et mieux garantir son retour sur les marchés fin 2013. Dans un contexte social difficile, l'annonce par quatre parlementaires de la saisine du juge sur la légalité de ce remboursement décidée par le gouvernement précédent a contribué à rendre encore plus urgente une prise de décision gouvernementale. Un tel report affectait néanmoins le remboursement des prêts de la CBI à l'égard de l'IRBC. Pour l'obtenir, il convenait donc de parvenir à un accord avec la Banque centrale d'Irlande mais aussi, dans le cadre du système européen des banques centrales européennes, avec la Banque centrale européenne. Cet accord est intervenu le 7 février 2013. Il prévoit la transformation des 25 milliards d'euros de promissory notes en 25 milliards d'obligations d'État dont la maturité varie entre 2038 et 2053. Le taux d'intérêt de ces obligations est estimé à 3 % alors que celui des billets à ordre atteignait 8 %.

La Banque IRBC a, dans le même temps, été liquidée. Les actifs de cet établissement détenus par CBI ont été transférés à la National asset management agency (NAMA), structure de défaisance chargée de gérer les actifs toxiques des banques irlandaises. La NAMA a émis en change un montant équivalent d'obligations garanties par l'État, versées à la CBI. La NAMA devrait céder les actifs IRBC d'ici à la fin de l'année. Cette vente devrait cependant moins rapporter que si l'IRBC avait continué l'assainissement de son portefeuille d'ici 2015, comme prévu initialement. Cette solution a été qualifiée d'acceptable par la Banque centrale européenne.

La CBI peut vendre sur les marchés une partie des obligations d'État ou de la NAMA mais de façon limitée : 500 millions d'euros en 2014, au moins 500 millions d'euros chaque année entre 2015 et 2018, au moins un milliard d'euros chaque année entre 2019 et 2023 puis au moins deux milliards d'euros chaque année à partir de 2024.

Le report du remboursement des promissory notes n'est pas sans incidence sur la situation des finances publiques locales. La dette publique est, en premier lieu, majorée de 25 milliards d'euros. En ce qui concerne le déficit public, le non-paiement de l'échéance à IRBC a été en partie compensé pour l'année 2013 par le déclenchement du mécanisme de garantie (ELG) dans le cadre de la liquidation de la banque IRBC. Les besoins de financement pour 2013 devraient dès lors demeurer inchangés. L'effet sera par contre notable à partir de 2014 avec une réduction du déficit public estimée par le gouvernement à 0,6 % du PIB.

Effets de l'accord du 7 février : Estimation du déficit public en 2014 et 2015 (en % du PIB)

2014

2015

Avant l'accord

5,1

2,9

Après l'accord

4,5

2,4

Le remboursement du principal des nouvelles obligations n'est quant à lui prévu qu'à partir de 2038. L'État irlandais ne servira jusqu'à cette date que les intérêts. Ce qui devrait permettre un allègement annuel des besoins de financement de 1,5 milliard d'euros jusqu'à cette date. Les effets sur le déficit et les besoins de financement sont néanmoins conditionnés au fait que l'État n'ait pas à apporter un financement complémentaire à la NAMA si la vente des actifs venait à être inférieur au montant des obligations émises.

Au-delà de la portée financière, l'accord du 7 février 2013 constitue une victoire politique pour le gouvernement d'Enda Kenny. Reste que l'accord consacre également la transformation de la dette bancaire en dette souveraine et qu'il contribue à accroître le poids de celle-ci, suscitant des interrogations sur son rapport au produit intérieur brut.

2. Les réserves irlandaises sur l'aide internationale

Les autorités irlandaises comme l'opinion publique sont aujourd'hui enclines à émettre des critiques quant aux conditions retenues par l'Union européenne pour l'octroi du programme d'aide en décembre 2010. Elles estiment que les solutions mises en place depuis, et en premier lieu l'Union bancaire, auraient permis à l'Irlande de réduire une partie de son endettement public induite par la recapitalisation des établissements bancaires.

Le 29 juin 2012, le Conseil des ministres des finances de la zone euro estimait nécessaire d'examiner la situation du secteur financier irlandais en vue d'améliorer encore la viabilité du programme d'ajustement et de « casser le cercle vicieux entre les banques et les États ». C'est dans cette optique qu'un accord politique est intervenu au Conseil le 10 juin 2014 pour accorder au Mécanisme européen de stabilité financière (MES) la possibilité de recapitaliser directement les établissements bancaires. Celle-ci sera effective dès lors que l'Union bancaire sera mise en place, soit en novembre 2014. 60 milliards sur les 500 dont disposent le MES seront dédiés à ces financements. Ces opérations permettraient de ne pas alourdir la dette de l'État d'accueil de l'établissement concerné. Il n'en demeure pas moins que trois États - Allemagne, Finlande et Pays-Bas - tous trois classés triple A par les agences de notation - mais aussi la Banque centrale européenne se sont montrés réservés dans les débats préalables à l'accord sur les modalités de mise en oeuvre de cette faculté. Selon eux, la recapitalisation directe ne doit pas servir à résoudre les difficultés anciennes d'une banque mais uniquement celles apparues depuis le lancement du mécanisme de supervision bancaire européen. L'Irlande souhaitait pourtant que le MES recapitalise trois banques locales : l' Allied Irish Bank , la Bank of Ireland et le Permanent TSB , à hauteur de 28 milliards d'euros, soit la somme que le gouvernement a lui-même dépensée en 2010 à l'occasion du rachat des titres de ces établissements.

Une autre réserve sur le volet bancaire du plan d'ajustement international concerne le remboursement des détenteurs de dette senior. La Banque centrale européenne souhaitait que ceux-ci - qui doivent en principe être remboursés en priorité - essuient également des pertes dans le cadre de la restructuration des banques espagnoles les plus en difficulté. Une telle option fait écho au paquet législatif présenté par la Commission concernant la gestion d'une faillite bancaire et qui prévoit une participation des créanciers seniors à partir de 2018. Ce dispositif devrait être définitivement adopté par la Commission européenne à la mi-juillet 2014, après accord politique avec le Conseil. Cette participation a pourtant été exclue lors de la négociation du plan d'aide à l'Irlande.

3. Le retour progressif sur les marchés

De retour sur les marchés à moyen et long terme pour la première fois depuis septembre 2010, l'Irlande a pu lever 5,233 milliards d'euros de capitaux le 26 juillet 2012. Deux émissions obligataires ont été souscrites : la première à 5 ans s'élevait à 3,889 milliards d'euros avec un taux de rendement de 5,9 % et la seconde à 8 ans se montait à 1,344 milliard d'euros, assortie d'un taux de rendement de 6,1 %. Ces sommes intégraient la prorogation de deux emprunts, de 411 et 629 millions d'euros, arrivant à terme en avril 2013 et janvier 2014. Si les taux ont pu paraître élevés, ils restaient néanmoins inférieurs à ceux constatés à la même époque pour les obligations espagnoles ou italiennes.

L'Irlande avait déjà effectué un retour sur le marché de la dette à court terme le 5 juillet 2012, levant 500 millions d'euros de bons du Trésor à trois mois. Le taux moyen obtenu s'était élevé à 1,8 %, soit un rendement inférieur à celui concédé à l'Espagne lors d'une émission équivalente trois semaines plus tôt (2,36 %). La demande avait représenté 2,8 fois l'offre.

L'Irlande est parvenue le 9 janvier 2013 à émettre 2,5 milliards d'euros de nouveaux titres d'une maturité de 4 ans et demi au taux de 3,45 %. Le gouvernement avait initialement prévu de lever 2 milliards d'euros. 85 % de ces titres ont été acquis par des investisseurs étrangers. Une émission à 10 ans s'est faite quant à elle au taux de 4,15 % en mars 2013, soit un taux inférieur à celui constaté en 2010 (5,4 %). Au plus fort de la crise, en juillet 2011, la prime a atteint 14 %. Dublin a pu lever au final 10,5 milliards d'euros sur les marchés obligataires en 2013. Elle a, dans le même temps, accumulé des réserves de l'ordre de 20 milliards d'euros. Ce faisant, elle dispose désormais d'un filet de sécurité contre les risques externes et internes et pour tenir ses engagements financiers jusqu'en 2015. Elle a ainsi pu éviter de recourir à la ligne de crédit préventive du mécanisme européen de stabilité (MES). L'ouverture de celle-ci est en effet conditionnée à la mise en place de mesures définies par la Commission européenne et le MES. Ce faisant, l'Irlande ne pourra toutefois pas bénéficier du programme OMT de rachat de titres de dettes souveraines par la BCE (OMT), réservé aux pays placés sous programme d'assistance financière. Dublin a justifié sa décision en insistant sur le message positif qu'il voulait envoyer aux marchés.

Cette stratégie s'est avérée payante. Le pays est redevenu un émetteur comme les autres sur le marché de la dette le 8 janvier 2014, trois semaines après la sortie officielle du plan d'aide, cette échéance étant qualifiée de « mur de la dette » par un certain nombre d'économistes. L'Irlande a ainsi pu émettre 3,75 milliards d'euros de nouveaux titres à 10 ans au taux de 3,543 %. Ce coût de financement reste relativement avantageux. La demande a, quant à elle, représenté plus de quatre fois l'offre. Dans le même temps, sur le marché secondaire, le rendement des titres à 10 ans atteint son plus bas niveau depuis 2006. Dublin souhaiterait placer entre 6 et 10 milliards d'euros de titre sur les marchés obligataires au cours de l'année 2014. L'agence entend relancer le processus d'émission de titres par enchères régulières, sans s'appuyer sur un groupe d'établissements financiers qu'elle rémunère pour attirer des acquéreurs. Ce qui était encore le cas lors l'adjudication du 8 janvier 2014.

Ce retour réussi sur les marchés a été salué par les agences de notation. Standard & Poor's a ainsi relevé la note de la dette souveraine de l'Irlande de BBB + à A- le 6 juin 2014. Le papier irlandais passe de la catégorie « Qualité moyenne inférieure » à « Qualité moyenne supérieure » Cette nouvelle note A- est assortie d'une perspective positive, l'agence estimant à une sur trois la probabilité d'un nouveau relèvement d'ici deux ans. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le taux des obligations à 10 ans soit désormais à leur plus bas historique autour de 2,3 %, soit une prime inférieure à celle demandée aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Taux d'intérêt des obligations souveraines à 10 ans (30 juin 2014)

Allemagne

1,216 %

Espagne

2,544 %

France

1,611 %

Grèce

5,946 %

Irlande

2,345 %

Italie

2,720 %

Portugal

3,648 %

Royaume-Uni

2,752 %

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