Rapport d'information n° 757 (2013-2014) de Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 18 juillet 2014

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N° 757

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juillet 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur « Les actes du colloque Femmes résistantes », organisé le 27 mai 2014 dans le cadre de la première commémoration au Sénat de la Journée nationale de la Résistance ,

Par Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN,

Sénatrice.

(1) : Cette délégation est composée de : Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente , M. Roland Courteau, Mmes Christiane Demontès, Joëlle Garriaud-Maylam, M. Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Chantal Jouanno, Françoise Laborde, Gisèle Printz, vice-présidents ; Mmes Caroline Cayeux, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, Corinne Bouchoux, M. Christian Bourquin, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, Laurence Cohen, Hélène Conway-Mouret, MM. Gérard Cornu, Daniel Dubois, Mmes Marie-Annick Duchêne, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Genisson, Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean-François Husson, Mmes Christiane Kammermann, Claudine Lepage, Valérie Létard, Michelle Meunier, Sophie Primas, Esther Sittler et Catherine Troendlé .

Crédits photographiques : Coll. Association Libération-Nord, Coll. Maurice Bleicher, Coll. Libre Résistance, Coll. Musée de la Résistance, Musée de l'Ordre de la Libération, Archives Sénat, Archives Assemblée nationale, Archives privées des témoins, Eric Schwab (photo de Charlotte Delbo).

CÉRÉMONIE EN HOMMAGE AUX SÉNATRICES RÉSISTANTES

Salle des Conférences

Discours de M. Kader Arif, Secrétaire d'État aux Anciens combattants et à la Mémoire auprès du ministre de la Défense

Monsieur le Président du Sénat, cher Jean-Pierre,

Madame la Ministre,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes,

Madame la directrice générale de l'Office national des Anciens Combattants et Victimes de Guerre,

Mesdames et Messieurs les présidents d'associations et de fondations,

Mesdames les anciennes résistantes qui nous faites l'honneur de votre présence,

Mesdames et Messieurs,

Je tiens à vous remercier, Monsieur le Président, ainsi que Madame la Présidente de la délégation aux droits des femmes, de faire de ce haut lieu de la République un lieu de reconnaissance de la France à l'égard de celles qui se sont battues pour notre liberté.

Je me réjouis que le Parlement dans son ensemble marque de son empreinte ce cycle mémoriel. Il y a toute sa place.

Aujourd'hui, c'est aux femmes résistantes qui ont siégé dans son hémicycle que le Sénat rend hommage. Nous le faisons ce jour, 27 mai, Journée nationale de la Résistance - je tiens à saluer l'initiative du sénateur Jean-Jacques Mirassou, auteur de ce texte -, Journée de célébration de l'esprit de Résistance, celui qui a animé il y a 71 ans les hommes du 48 rue du Four.

Dix-huit hommes se réunissaient autour de Jean Moulin ce jour-là... Seulement des hommes. Mais à leurs côtés, des femmes combattaient aussi dans l'ombre.

Elles étaient médecins, infirmières, aviatrices au sein des Forces de la France Libre... Elles étaient agents de liaison, comme vous l'avez été, Mesdames Colette Périès-Martinez et Colette Lacroix, secrétaires, employées dans les services sociaux... Elles ont caché des combattants des Forces Françaises de l'Intérieur ou des Juifs, comme ce fut le cas de Marcelle Devaud, qui fut vice-présidente du Sénat.

Au lendemain de la guerre, la reconnaissance ne fut pas à la hauteur de leur engagement et le sang versé ne donna aucun gage d'égalité. On ne compte que six femmes parmi les 1 038 Compagnons de la Libération et seulement 10 % des médaillés de la Résistance sont des femmes.

Or l'histoire de la Résistance n'aurait pas pu s'écrire sans elles . Il fallut ensuite compter sur leur engagement et leur détermination, dans la paix, après en avoir fait la démonstration sans réserve, dans la guerre, pour défendre leurs droits à la tribune parlementaire.

Je ne saurais citer toutes les sénatrices résistantes mais je tenais à revenir sur quelques-unes de ces figures, parce qu'elles m'ont marqué. Parce qu'elles m'ont fait saisir ce que fut la force de leur engagement dans la Résistance.

L'engagement d'abord de celles qui étaient au plus près des combattants, à l'image de Brigitte Gros, engagée au sein de l'armée de Lattre de Tassigny, puis sénatrice des Yvelines, ou d'Eugénie Eboué-Tell, engagée dans les Forces Françaises Libres comme 1 160 autres femmes et affectée comme infirmière à l'hôpital de Brazzaville. Eugénie Eboué, c'est la fidélité. Fidélité à des hommes : son époux, dont elle mènera tous les combats inachevés ; le général de Gaulle ensuite. Fidélité à des idéaux : la tolérance et la dignité humaine. C'est ainsi qu'une fois devenue la première femme sénatrice de Guadeloupe en 1946, Eugénie Eboué prône une politique d'apaisement lors des débats sur la loi d'amnistie pour les collaborateurs de Vichy, ceux-là même qui avaient condamné à mort son mari, Félix Eboué.

L'engagement ensuite de celles entrées dans des mouvements de la Résistance à l'image de Françoise Seligmann, sénatrice des Hauts-de-Seine en 1992 et que j'ai eu l'honneur de connaître, qui nous a quittés l'année dernière.

À l'image aussi de Nicole de Hauteclocque, résistante au sein du réseau du colonel Rémy et sénatrice de Paris en 1986. Françoise Seligmann, Nicole de Hauteclocque, c'est la justice : ce fut là leur plus grande bataille.

L'engagement enfin de celles qui en ont payé le prix fort : la déportation, à l'image de Juliette Dubois, première sénatrice - on dit alors Conseillère de la République - de Côte-d'Or en 1947. Juliette Dubois, c'est la solidarité. Dès 1940, elle participa activement à la Résistance. Arrêtée à Lyon en novembre 1941, elle est condamnée à la réclusion à perpétuité, emprisonnée en France avant d'être déportée à Ravensbrück.

Aux côtés de ces sénatrices, femmes d'action, femmes d'exception, rares sont les résistantes qui sont sorties de l'ombre. Il y eut Berty Albrecht, Danielle Casanova. Il y eut Germaine Tillion, Lucie Aubrac.

Trop nombreuses en revanche sont les femmes résistantes dont les actes héroïques historiques restent encore méconnus . Je pense à Valérie André, Noreen Riols, Odile de Vasselot, Jacqueline Fleury, avec qui j'ai partagé un moment d'échange l'année dernière à l'occasion de la Journée de la femme. Je pense à Renée Aubry, à qui je remettrai les insignes d'Officier de la Légion d'Honneur tout à l'heure. Je pense à celles qui se sont éteintes et que j'avais eu l'honneur de rencontrer : Marie-Thérèse Fainstein, Hélène Berthaud, Denise Vernay.

J'ai été frappé par l'humilité, la modestie, la pudeur avec lesquelles toutes témoignent d'une vie qu'elles jugent très ordinaire, et qui exigea pourtant un courage et une audace extraordinaires.

Leur engagement s'est poursuivi en temps de paix. Le combat pour les droits des femmes s'inscrit dans une longue histoire qu'elles ont marquée de leur empreinte par leur patriotisme, leur courage et leur abnégation.

C'est à la tribune parlementaire que la cause des femmes a été défendue, que des droits ont été acquis, que des combats ont été gagnés.

Comment à cet instant ne pas penser à ce 21 avril 1944, il y a 70 ans presque jour pour jour, je dirai même il y a seulement 70 ans, ce jour où naquirent des citoyennes ?

C'est ce qu'incarne la magnifique phrase inscrite aujourd'hui sur cette plaque et que l'on vous doit, chère Marie-José Chombart de Lauwe.

Le droit de vote ne fut pas seulement accordé ; il fut conquis par des batailles menées depuis des siècles, d'Olympe de Gouges aux résistantes évoquées tout à l'heure, en passant par Jeanne Valbot, arrêtée en 1932 pour avoir lancé des tracts demandant le droit de vote pour les femmes, ici dans le Palais du Luxembourg, avant de s'enchaîner l'année suivante au banc de l'une des tribunes.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous êtes aujourd'hui les légataires de ces femmes qui ont risqué leur vie pendant la Seconde Guerre mondiale et ont élevé leur voix à la tribune parlementaire pour défendre, comme elles l'avaient fait en temps de guerre, notre République et ses valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.

Il vous appartient donc, comme il nous appartient à tous de nous montrer dignes de leur engagement, car le combat pour la justice et l'égalité reste d'actualité : « le mot résister » , pour reprendre une expression de Lucie Aubrac, « doit toujours se conjuguer au présent » .

Je vous remercie.

Discours de M. Jean-Pierre Bel, Président du Sénat

Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues, et je veux saluer mes prédécesseurs, les présidents Christian Poncelet et Gérard Larcher, que j'associe cet après-midi à cet hommage que nous rendons,

Mesdames les résistantes,

Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement fier et honoré d'accueillir au Sénat cet après-midi cette première célébration de la Journée nationale de la Résistance.

Il faut le rappeler, c'est à une loi dont notre collègue Jean-Jacques Mirassou a pris l'heureuse l'initiative l'an dernier que nous devons de commémorer ce 27 mai 1943 où Jean Moulin, à quelques pas d'ici, dans un immeuble de la rue du Four, a pour la première fois rassemblé le Conseil national de la Résistance, donnant ainsi une impulsion historique à la lutte pour la libération de notre pays.

À l'initiative de la délégation aux droits des femmes, dont je salue la présidente, Brigitte Gonthier-Maurin, ce premier 27 mai au Sénat est dédié aux femmes, à ces résistantes dont le colonel Rol-Tanguy disait : « Sans elles, la moitié de notre travail eût été impossible » .

Tout à l'heure, un colloque sur les femmes résistantes rassemblera, salle Clemenceau, des spécialistes et des témoins que je remercie d'être présents parmi nous.

En organisant cette manifestation, l'intention de la délégation aux droits des femmes était double : il s'agissait de mettre à l'honneur toutes ces anonymes dont les actes ont parfois paru tout simples, ont parfois paru anodins, tellement quotidiens que leur contribution pour mettre fin à l'occupation nazie a parfois semblé méconnue. Il s'agissait aussi de montrer le lien entre la participation des femmes à la Résistance et la volonté de plusieurs d'entre elles, une fois la paix revenue, de continuer leur combat, notamment par un engagement politique. Parmi ces dernières, certaines ont siégé dans notre hémicycle, en qualité de membre du Conseil de la République, puis du Sénat ; c'est à ces femmes résistantes, puis sénatrices, que le Bureau du Sénat a décidé, le 12 février 2014, de rendre un hommage particulier.

Je ne pourrai pas avoir un mot pour chacune des anciennes sénatrices que le Sénat met à l'honneur aujourd'hui ; pour beaucoup, elles sont présentes parmi nous à travers leurs familles et leurs proches qui nous font l'honneur d'assister à cette cérémonie.

Ce qui frappe, quand on étudie la vie de nos collègues qui ont participé à la Résistance, c'est une extraordinaire diversité.

Diversité des origines, tout d'abord, puisqu'à toutes les régions de la métropole se joint l'Outre-mer qui, dans cette assemblée, nous est particulièrement cher : la Guadeloupe - Kader Arif l'a indiqué - avec Eugénie Eboué-Tell et l'Outre-mer le plus lointain avec Jane Vialle, née au Congo et sénatrice de l'Oubangui-Chari, en Afrique équatoriale française.

Diversité des sensibilités politiques ensuite puisque les sénatrices issues de la Résistance sont présentes dans tous les groupes.

Diversité des parcours politiques aussi puisque certaines, comme Yvonne Dumont, ont siégé dans notre Hémicycle dès décembre 1946, tandis que d'autres, riches d'une expérience d'élues locales, ont rejoint le Sénat beaucoup plus tard : en 1975 pour Brigitte Gros et en 1977 pour Hélène Edeline. Pour d'autres encore, comme Françoise Seligmann qui devint sénatrice en 1992, l'entrée au Sénat sera le prolongement d'un engagement associatif de toute une vie au service des droits de l'Homme...

Diversité aussi dans la longévité au Sénat puisque certaines ont été nos collègues pendant un temps très bref, comme Marie-Hélène Lefaucheux (un an seulement, de 1947 à 1948) ; d'autres ont fait une véritable carrière sénatoriale comme Marie-Hélène Cardot, qui siégea dans notre hémicycle pendant 25 ans, de décembre 1946 à septembre 1971...

Diversité, encore, dans la notoriété puisqu'à côté de noms illustres (ceux de Gilberte Brossolette ou de Nicole de Hauteclocque), la Résistance des femmes est représentée au Sénat par des héroïnes à la notoriété plus discrète aujourd'hui comme Claire Saunier, agent de liaison du mouvement Franc-tireur.

Certaines, comme Germaine Pican, Juliette Dubois, Marie Oyon et Isabelle Claeys, ont ajouté au titre de résistante celui de déportée : ce sacrifice nous rappelle, comme l'a magnifiquement exprimé André Malraux en 1975 devant les baraquements du camp de Ravensbrück, que les résistantes étaient les « volontaires d'une atroce agonie » . A tout le moins elles en avaient, en toute conscience, assumé le risque.

Cette menace, cette épreuve terrifiante de la torture, de la détention et de la déportation, plusieurs sénatrices en ont donc fait la tragique expérience.

Et pourtant, il faut constamment avoir cela présent à l'esprit, les résistantes, qui toutes, étaient prêtes au sacrifice ultime, n'avaient pas le droit de vote...

Ce contraste entre le droit de mourir pour son pays et l'absence de droits politiques fait ressortir de manière d'autant plus édifiante la phrase que le Bureau du Sénat a choisie pour introduire et symboliser l'hommage rendu par le Sénat aux sénatrices résistantes sur la plaque que nous allons dans un instant dévoiler.

Son auteure est Marie-José Chombart de Lauwe, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, dont la présence ici aujourd'hui nous touche et nous honore.

Cette phrase, je vous en fais lecture avec une particulière émotion : « Nous n'étions pas des citoyennes à part entière, nous n'avions pas le droit de vote, il faut toujours le rappeler, mais nous avions une conscience politique et nous avons lutté contre l'oppression nazie, pour la patrie et les valeurs républicaines de liberté, de justice, de fraternité » .

Je vous remercie.

Dévoilement de la plaque en hommage aux sénatrices résistantes, salle des Conférences


M. Kader Arif, secrétaire d'État aux Anciens combattants et à la Mémoire, Mme Marie-José Chombart de Lauwe, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, M. Jean-Pierre Bel, président du Sénat et Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes.

Galerie des Bustes

Plaque en hommage aux sénatrices résistantes

COLLOQUE
FEMMES RÉSISTANTES

Salle Clemenceau

Programme du colloque

Ouverture du colloque : M. Jean-Pierre Bel, Président du Sénat

Mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais vous dire à nouveau l'émotion qui est la nôtre - et notre fierté - d'accueillir au Sénat cette première célébration de la Journée nationale de la Résistance, après la cérémonie d'hommage aux sénatrices résistantes à laquelle nous venons de procéder, et qui, je le sais, a touché beaucoup d'entre nous.

Pour ceux qui n'ont pas assisté à cette cérémonie, il me faut peut-être souligner que nous devons ce colloque à deux initiatives sénatoriales particulièrement bienvenues.

Tout d'abord, il y a bien sûr à l'origine de ce colloque une loi, la « loi Mirassou », du nom de notre collègue Jean-Jacques Mirassou, ici présent au premier rang et que je salue, qui l'a proposée à notre assemblée en 2013. Une loi en vertu de laquelle on commémorera, chaque 27 mai à partir d'aujourd'hui, la réunion historique du 27 mai 1943. Ce jour-là, vous le savez, Jean Moulin a pour la première fois réuni, tout près d'ici rue du Four, le Conseil national de la Résistance. Cet acte fondateur a tant fait pour la libération de notre territoire !

Un petit mot personnel : ceux qui me connaissent savent combien j'attache d'importance à la Résistance, à son histoire, à son souvenir, à ses combattants et au modèle que ceux-ci représentent pour chacun d'entre nous.

Lorsque j'ai été élu Président du Sénat, il y a bientôt trois ans, le 1 er octobre 2011, mes premiers mots ont été pour la Résistance, pour mon père et ses frères et soeur, officiers des Forces françaises de l'Intérieur qui, dès le début de l'Occupation, se sont trouvés en première ligne des combats de la Résistance. Vous comprendrez donc que pour moi, les Résistants ont toujours été des références absolues. Ces femmes et ces hommes se sont engagés au péril de leur vie, et l'ont souvent chèrement payé. Ils se sont dressés contre le nazisme au nom de nos valeurs, à commencer bien sûr par une valeur essentielle : la défense des libertés. Ils ont combattu avec héroïsme l'ennemi qui occupait notre pays et lui imposait sa terrible conception d'une société fondée sur le racisme, l'antisémitisme, la haine, l'oppression et la répression de tous ceux qui ne répondaient pas au modèle insupportable que voulait nous imposer le III ème Reich.

Leur magnifique combat, porté par la conviction de vaincre la « peste brune », ne se limitait pas à un refus. Il s'inscrivait dans le projet de construire une société plus harmonieuse, où le progrès et la liberté iraient de pair avec plus d'égalité, avec davantage de solidarité. Cet engagement au service d'un idéal a débouché sur l'élaboration du programme du Conseil national de la Résistance, qui fut à l'origine d'importantes réformes économiques et sociales mises en oeuvre à parti de la Libération. C'est peu dire que de souligner combien ce programme a durablement marqué de son empreinte les orientations, les avancées de la France d'après-guerre.

Ce colloque, nous le devons aussi - et surtout - à une autre initiative, celle de la délégation aux droits des femmes, qui par la voix de sa présidente Brigitte Gonthier-Maurin a souhaité consacrer aux femmes résistantes ce premier 27 mai depuis l'adoption de la « loi Mirassou ». Je ne pouvais que soutenir avec enthousiasme ce projet. Comment en effet ne pas éprouver une admiration particulière pour les résistantes, pour ces femmes anonymes dont l'engagement a souvent commencé par de petits actes du quotidien : loger, nourrir un fugitif, parfois même tout simplement lui fournir des vêtements ?

Il ne faut pourtant pas s'y tromper, ces femmes ont été des « combattants, au sens plus entier du terme » , comme le soulignait à l'occasion d'un colloque à la Sorbonne, en novembre 1975 1 ( * ) , Léo Hamon, résistant éminent lui-même et grande figure du Sénat de la IV ème République.

Je voudrais évoquer le souvenir de Marthe Simard, qui fut la première parlementaire, et qui a largement contribué au droit de vote des femmes dans cette période.

Il n'est pas question, bien entendu, de minimiser le rôle des hommes dans la Résistance ! Il s'agit simplement de rendre justice à ces femmes, à ces « combattantes de l'ombre » , comme les a désignées Margaret Collins Weitz dans l'ouvrage qu'elle leur a consacré 2 ( * ) . Force est de constater que ces combattantes sont restées, pour une très large part, au seuil d'une histoire qui, il faut le reconnaître, s'écrit le plus souvent au masculin...

Des spécialistes reconnus - et parmi eux des membres de notre assemblée que je remercie de nous faire partager leur savoir - nous exposeront tout à l'heure la variété et l'ampleur des missions accomplies par les femmes dans la Résistance et nous présenteront des portraits dont nous tirerons tous, j'en suis sûr, un grand enseignement.

Des témoins, qui ont fait l'effort de nous rejoindre, et je veux leur dire à quel point nous leur en sommes reconnaissants, nous raconteront ce qu'a été leur combat, y compris dans l'expérience terrible de la détention et de la déportation.

Mais la démarche que nous propose la délégation aux droits des femmes va plus loin. Elle vise à montrer que, pour les femmes comme pour les hommes, quoique - je le répète - de manière moins connue, la Résistance ne s'est pas arrêtée avec la guerre. Car beaucoup de femmes - nous le verrons au cours de nos échanges - ont poursuivi sur d'autres fronts un engagement entamé contre l'occupant nazi, comme l'exprime si bien le titre de ce merveilleux livre de Marie-José Chombart de Lauwe, que je salue à nouveau : Toute une vie de Résistance 3 ( * ) .

Quel meilleur exemple donner aux citoyens, et en particulier aux jeunes d'aujourd'hui ?

Je vous remercie. Je donne sans plus tarder la parole à Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes.

Introduction : Mme Brigitte Gonthier-Maurin, Présidente de la délégation aux droits des femmes

Monsieur le Président,

Madame la Présidente de la Fondation pour la mémoire de la Déportation,

Monsieur le Président de la Fondation de la Résistance,

Mesdames et Messieurs les Professeurs,

Chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Je tiens tout d'abord à remercier une nouvelle fois notre président, Jean-Pierre Bel, qui a bien voulu apporter son soutien actif à ce colloque et, bien entendu, notre collègue Jean-Jacques Mirassou dont la loi a rendu possible l'organisation d'une telle journée.

Je suis très reconnaissante aussi aux témoins, dont certaines ont fait une longue route pour être parmi nous aujourd'hui.

Merci aux présidents des Fondations pour la Mémoire de la déportation et de la Résistance, Marie-José Chombart de Lauwe et Jacques Vistel, qui ont accepté malgré leurs nombreuses obligations de jouer un rôle actif dans ce colloque.

Que soient également remerciés tous les intervenants et intervenantes, et ceux qui ont accepté la lourde charge de présider chaque table ronde. Enfin, un grand merci, sincèrement, à toute l'équipe du secrétariat de la délégation aux droits des femmes.

Ce colloque n'est pas le premier sur les femmes résistantes, heureusement ! Pourtant, c'est une première au Sénat et je suis particulièrement fière d'y contribuer.

Les résistantes ont en effet joué un rôle important dans la féminisation - par ailleurs éphémère - de notre hémicycle après la guerre. Le Sénat se devait de rappeler cette filiation entre la Résistance des femmes et l'apparition d'une première génération de femmes élues.

« C'est la participation des femmes , disait Lucie Aubrac, qui a donné à la Résistance son extension et sa profondeur. » 4 ( * )

Cet apport décisif des femmes à la Résistance conforte l'intérêt de notre rencontre. La Résistance des femmes a cependant commencé par des « actes obscurs, en apparence anodins et sans gloire » 5 ( * ) , selon les termes d'une autre résistante éminente, Yvonne Dumont, qui siégea d'ailleurs dans notre hémicycle de 1946 à 1959. Actes obscurs et sans gloire certes, mais extrêmement dangereux, qui ont conduit de nombreuses résistantes au supplice.

C'est à ce double visage des femmes résistantes que nous avons voulu rendre hommage : leur anonymat invisible - « Vous n'êtes qu'un prénom » , disait Lucie Aubrac - et leur courage exemplaire.

Vous avez dans vos dossiers le programme du colloque : il est particulièrement dense, mais le sujet le méritait !

Nous avons souhaité faire se rencontrer des intervenants très divers : témoins, universitaires (venue d'Allemagne, pour l'une d'entre elles), responsables de structures du monde de la Résistance et de la Déportation et de musées de la Résistance, avec une mention pour les membres de notre délégation particulièrement investis dans ce sujet, et pour notre collègue Corinne Bouchoux, à la fois sénatrice et historienne.

Enfin, permettez-moi d'exprimer une nouvelle fois mes regrets à celles et ceux qui ont proposé de venir nous faire partager leurs connaissances, à un moment hélas où le programme était déjà trop avancé pour que leurs initiatives puissent être prises en compte.

Le programme de ce colloque vise à illustrer la diversité des résistances féminines, y compris sur le plan régional, avec l'évocation particulière de la Résistance des femmes du Nord. Diversité encore, s'agissant de la présentation des missions confiées aux résistantes, à travers notamment les fonctions d'agents de liaison et de renseignement, sans oublier le rôle original de Rose Valland.

En présentant des portraits de résistantes, nous avons fait le choix de mettre en valeur des personnalités qui ne font pas nécessairement partie des résistantes les plus célèbres et de nous essayer, à travers Sophie Scholl, à un portrait croisé de la Résistance féminine française et allemande.

L'exposition proposée dans le foyer voisin permet aussi à Charlotte Delbo d'être parmi nous aujourd'hui.

Vous trouverez dans vos dossiers 6 ( * ) des notices biographiques de résistantes et des passages de textes que certaines ont écrits sur la Résistance et la Déportation, pour permettre à leurs paroles de se faire entendre aujourd'hui, y compris à travers des poèmes dont je vous recommande la lecture.

Pour compenser la nécessaire brièveté des interventions des anciennes résistantes qui nous font l'honneur d'être présentes parmi nous cet après-midi, de courts enregistrements vidéo de leurs témoignages, filmés par la Direction de la communication du Sénat - que je remercie - seront projetés aujourd'hui. Vous pourrez aussi consulter en ligne les versions longues de ces témoignages particulièrement émouvants et toujours passionnants.

Toutes ces informations sont enrichies encore par des reportages vidéo effectués au musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne et au musée de la Résistance de la Haute-Garonne. Je remercie les conservateurs pour leur accueil et leur professionnalisme.

Malgré tous ces efforts, le sujet de la Résistance des femmes sera, bien sûr, loin d'être épuisé ce soir. Toutes ne pourront pas être évoquées : je pense notamment à mon amie Madeleine Vincent. Je pense aussi à la contribution des résistantes espagnoles et russes ou aux Rochambelles, sans oublier toutes les régions françaises dont les résistantes auraient mérité d'être mises à l'honneur aujourd'hui.

Il y a encore tant de sujets à explorer, et j'espère que nous ferons des émules... Car peut-être sommes-nous à la veille de créer un processus pour que chaque 27 mai nous permette de nous réunir au Sénat autour du thème de la Résistance, sans nous limiter nécessairement d'ailleurs, pour l'avenir, aux femmes.

Pour le bon déroulement de nos travaux, j'appelle chacune et chacun à respecter son temps de parole, de sorte que nous puissions envisager une courte pause vers 17 h 30 et que la fin de notre colloque puisse intervenir vers 19 h 30, après le discours de clôture de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports.

Place, donc, à la première table ronde, présidée par Jacques Vistel, président de la Fondation de la Résistance.

Très bel après-midi à tous et toutes.

Première table-ronde : Place et rôle des femmes dans la Résistance

Présidence : Jacques Vistel

Président de la Fondation de la Résistance

Intervenantes :

Claire Andrieu

Professeure des universités au Centre d'Histoire de Sciences Po

Danielle Tartakowsky Professeur d'histoire contemporaine,

Présidente de l'Université de Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis

Catherine Lacour-Astol

Docteure en histoire

1. Introduction : M. Jacques Vistel, président de la Fondation de la Résistance

Depuis plus de dix ans, la Fondation de la Résistance a pris l'initiative de célébrer le 27 mai par des cérémonies qui se tiennent successivement au monument Jean Moulin, au bas des Champs-Élysées, puis à l'Arc de Triomphe où nous ravivons la flamme. Ceci d'ailleurs m'obligera malheureusement à vous quitter vers 16 h 30.

La loi de 2013 proposée par le sénateur Mirassou donne désormais à cette célébration une dimension nationale, avec un axe fort que le Sénat a souhaité en direction de la jeunesse et des enseignants, pensant aujourd'hui que dans de très nombreux villages de France quelque chose est en train de se passer pour célébrer et commémorer le 27 mai. L'anniversaire de la première réunion du Conseil national de la Résistance est ainsi devenu grâce à vous la Journée de la Résistance, ce qui justifie évidemment pleinement notre colloque.

« Femmes Résistantes », tel est le titre de ce colloque. Jean-Pierre Lévy 7 ( * ) a écrit : « Sans elles, on n'aurait rien pu faire » . Et ce fut en effet une grande nouveauté : jusqu'alors, à l'exception de Jeanne d'Arc et de Jeanne Hachette, la guerre était une affaire d'hommes. Et le régime de Vichy ne s'y était pas trompé : il a même voulu opérer un grand retour en arrière. Songeons à la loi d'octobre 1940, qui écarte les femmes mariées de tous les emplois publics. De même, l'interruption de la grossesse, désormais punie de mort : il y eut sous Vichy des exécutions de femmes qui avaient interrompu leur grossesse.

On était loin alors des idéaux de la Résistance, au sein de laquelle des femmes se sont engagées ; et très certainement, la Résistance marqua une époque essentielle à leur émancipation, même si ce fut difficile. N'oublions pas en effet - vous le rappeliez tout à l'heure, Monsieur le Président - qu'au sein du Conseil national de la Résistance, il n'y avait que des hommes, qu'une discussion y eut lieu sur le droit de vote des femmes, que le CNR n'inscrivit pas à son programme... C'est donc le Général de Gaulle lui-même, avec l'Assemblée consultative, qui rendit effectif le droit de vote.

Je dirai pour commencer, s'agissant de l'action des femmes dans la Résistance, qu'elles furent d'abord des épouses, ce qui n'était pas indifférent puisqu'il fallait adhérer et trouver une communion de pensée entre un homme - qui aura peut-être une visibilité plus grande dans l'avenir - et son épouse, qui accomplit naturellement avec lui des missions de Résistance. Je pense notamment à ma mère, qui cachait de temps en temps des documents et qui transmettait des messages à mon père dans des paquets-cadeaux lorsqu'il était en prison. Songeons aussi à Gilberte Brossolette.

Beaucoup de femmes furent aussi agents de liaison, distribuèrent des tracts et des journaux clandestins, furent secrétaires... Je pense en particulier à un agent de liaison de mon père, Hélène Berthaud, dite « Moineau », qui nous a quittés il y a quelques jours. Mais en réalité elles exercèrent tous les « métiers de la Résistance ». Parmi ceux-ci, la propagande, notamment auprès des femmes - voyez l'action de Danielle Casanova quand elle a créé les Comités populaires de Résistance dans une grande partie de la France - agents secrets, radio, renseignement... À cet égard, je citerai Nicole de Hauteclocque ou Marie-Madeleine Fourcade.

Les femmes résistantes prirent également en charge, cela vient d'être dit, l'hébergement des évadés (aviateurs alliés, juifs...), la recherche de terrains d'atterrissage, l'organisation de parachutages - comme Geneviève Rivière, dont l'époux deviendra parlementaire 8 ( * ) - la fabrication et la rédaction de la presse clandestine - Germaine Lelièvre, en Bretagne, Geneviève de Gaulle pour le journal Défense de la France -, la fabrication de faux papiers, tellement importante ! Dans beaucoup de villages en effet, les institutrices, étant également secrétaires de mairie, travaillèrent beaucoup à la fabrication de faux-papiers.

Les femmes furent aussi infirmières. Songeons aux infirmières de la grotte de la Luire, dans le massif du Vercors, qui furent toutes déportées, lorsqu'elles ne furent pas exécutées par les Allemands.

Certaines prirent également part à l'action armée : Madeleine Riffaud, Paulette Jacquier, Claude Gérard, qu'on appela le Commandant Claude. Beaucoup de « petites mains » certes, comme dans l'ensemble de la Résistance, mais quelques-unes accédèrent aux plus hautes responsabilités : Berty Albrecht au sein du mouvement « Combat », ou Lucie Aubrac, de « Libération », qui participa à l'Assemblée consultative. Certaines des survivantes, on l'a dit, devinrent parlementaires, et ce fut une façon de poursuivre le combat pour des valeurs pour lesquelles elles avaient été prêtes à risquer leur vie.

Mais en général, beaucoup de femmes après la guerre revinrent à la vie civile et familiale ; elles intriguèrent peu pour les places et les décorations. D'ailleurs, dans le dossier qui vous a été distribué 9 ( * ) , on voit des femmes tout-à-fait extraordinaires qui n'ont eu aucune décoration : beaucoup d'entre elles furent oubliées. On les appela parfois - je cite Claire Andrieu - « les intendantes de la Résistance » .

Mais plutôt que de citer Claire Andrieu, je vais simplement lui céder la parole.

2. La Résistance a-t-elle un genre ? (Claire Andrieu)

Claire Andrieu, professeure des universités au Centre d'Histoire de Sciences-Po 10 ( * )

Les raisons d'un titre

Avec ce titre, « La Résistance a-t-elle un genre ? », je dois quelques explications. La langue française connaît le genre masculin et le genre féminin, mais depuis les années 1970 en France s'est développée l'histoire des femmes, puis celle des hommes, avec pour interrogation fondamentale les rapports entre la nature et la culture, c'est-à-dire les relations entre le sexe biologique et le rôle social qui l'accompagne, qu'on appelle le genre. La question est de savoir si le genre est uniquement le produit de processus éducatifs et sociaux ou s'il est prédéterminé par le sexe biologique.

On connaît la position radicale de Simone de Beauvoir (« On ne naît pas femme, on le devient ») et on pourrait peut-être appliquer aux hommes ce discours : « On ne naît pas homme, on le devient ».

Sans trancher cette question, qui rappelle le débat pluriséculaire sur l'inné et l'acquis, on peut s'attacher à l'histoire des rôles sociaux fondés sur les différences de sexes. Les historiens, les historiennes et les sociologues ont montré que la féminité, comme construction sociale, a une histoire, de même que la masculinité. Ces deux types de rôles sociaux se bâtissent, évidemment, dans une constante interaction. C'est ce qu'on appelle les rapports de genre. Aujourd'hui, ce sont les rapports de genre spécifiques à la Résistance qui retiennent notre attention.

Première évidence : la Résistance est bien de son temps, elle se créé et se développe dans le contexte d'un rapport de genres accentué, qui est celui des années 1930 jusqu'aux années 1960. C'est une période où la différenciation des rôles sociaux de sexes est peut-être maximale sur la durée du XX ème siècle, avec pour schéma idéal, d'un côté l'homme chef de famille, travailleur, pourvoyeur du foyer et seul détenteur du suffrage universel jusqu'en 1944, et de l'autre, la femme épouse, mère au foyer, et exclue de la démocratie élective.

La question n'est donc pas tant de savoir si la « masculinité hégémonique » , comme le dit le sociologue australien Robert Connell (en 1983), ou la « domination masculine » , comme disait Pierre Bourdieu (en 1998), a imprégné ou non la Résistance, puisqu'il s'agit d'une évidence. La question est plutôt de voir si la Résistance a été l'occasion d'une certaine dé-différenciation des rôles sociaux de sexe, et si ce mode d'activité inédit que fut la Résistance a desserré l'étau des constructions sociales genrées de son temps.

Pour apprécier la brèche opérée par la Résistance dans le mur du patriarcat, on peut prendre d'abord comme terrain d'analyse les embryons de Parlement qui ont réuni les résistants, c'est-à-dire le Conseil national de la Résistance (CNR) en France occupée, et à Alger l'Assemblée consultative provisoire (ACP). Le CNR est créé en mai 1943 et réunit seize membres, des représentants des mouvements de Résistance, des syndicats ouvriers et de l'ensemble des partis politiques d'avant-guerre, à l'exclusion de l'extrême-droite. La première ACP 11 ( * ) , installée à Alger le 3 novembre 1943, réunit des résistants dont la composition est homothétique de celle du CNR. Ils sont au nombre de 84, puis de 102 à partir de décembre 1943. Ils sont donc tous nommés et tous des hommes - sauf Marthe Simard, dont il sera question tout à l'heure.

Depuis ce double observatoire, CNR et ACP d'Alger, il est éclairant de revisiter le débat sur le vote des femmes, qui est déjà connu mais que l'on peut regarder sous ce jour particulier.

On sait que c'est par l'Ordonnance du Comité français de la Libération nationale du 21 avril 1944 que le droit de vote a été accordé aux femmes. Les tendances lourdes à l'échelle nationale et internationale y menaient de toute façon. En effet, la Chambre des Députés s'était déjà prononcée dans ce sens à plusieurs reprises dans l'entre-deux-guerres, et presque toutes les nations développées en avaient adopté la mesure au lendemain de la Première Guerre mondiale.

En 1943 et 1944, dans les enceintes résistantes masculines, le débat porte donc sur le calendrier à choisir pour la mise en oeuvre du principe plutôt que sur le principe lui-même. Il n'était pas acquis d'avance que dès les premiers jours de la Libération, les femmes seraient déclarées les égales de l'homme dans le domaine civique. Et si finalement cela a été le cas, le détail des discussions montre que la participation des femmes à la Résistance a joué le rôle d'un adjuvant à la prise de décision : un adjuvant décisif, mais amené en dernier recours dans le débat.

La Résistance féminine dans le regard des hommes :
une action extraordinaire mais circonstancielle

C'est pourquoi dans un premier temps, je voudrais montrer que la Résistance est bien un phénomène genré, au sens qu'elle est perçue par les hommes avec un regard d'homme. Nous verrons ensuite le regard des femmes. Ce regard des résistants est globalement le suivant : la Résistance des femmes est bien une activité extraordinaire mais circonstancielle, et sans incidence pratique ou presque sur les relations que les hommes auront avec les femmes après la guerre. Le droit de vote des femmes a été repoussé aussi bien par le CNR que par la Commission de législation et de réforme de l'État de l'ACP. Donc deux refus, dans un premier temps.

Au Conseil national de la Résistance, le témoignage de Jacques Debû-Bridel 12 ( * ) montre que c'est l'opposition ferme du parti radical qui a interdit d'inscrire la mesure dans le programme, alors même que le général de Gaulle s'était prononcé en juin 1942 pour cette mesure (dans la déclaration qu'il avait faite aux mouvements de résistance). De même à la commission concernée de l'Assemblée consultative provisoire présidée par Paul Giacobbi 13 ( * ) , un radical représentant la Corse, la mesure a d'abord été éliminée du projet d'organisation des pouvoirs publics à la Libération, alors même que le Comité français de Libération nationale l'avait introduite dans son propre projet.

Finalement, le projet de la Commission ne posait pas le principe du vote des femmes et prévoyait seulement qu'aux municipales, les femmes seraient éligibles, mais non électrices, si bien que les élections législatives s'annonçaient uniquement masculines et qu'il reviendrait à l'Assemblée constituante de bien vouloir se prononcer sur le vote des femmes 14 ( * ) . Comme l'a dit un député au cours des débats, c'était repousser aux calendes grecques la décision.

Il est intéressant de voir quel est le déclic qui a fait qu'en séance plénière, l'Assemblée consultative provisoire 15 ( * ) a finalement inclus le principe du vote des femmes dans l'article 1, et le droit pour les femmes d'être électrices aux municipales 16 ( * ) .

Fondamentalement, ce n'est pas la Résistance qui a joué un rôle ; ce sont deux cultures politiques qui portaient une image des femmes différente de celle du parlementarisme libéral incarné par la III ème République.

Ces deux cultures avaient en commun une vision spécifique de la famille dans la Cité ; une vision de la famille comme politique. Je veux parler de la culture politique communiste et de la culture politique catholique 17 ( * ) . Ce parallèle n'est pas très rare en histoire, mais en l'occurrence il paraît valable car les deux porte-parole les plus actifs en faveur du vote des femmes étaient, d'une part, le communiste Fernand Grenier, et d'autre part, à un moindre degré, Robert Prigent, futur député MRP après la Libération. L'un et l'autre étaient militants actifs de ces deux mouvances respectives depuis l'enfance et étaient issus de milieux ouvriers du département du Nord, ce que je livre à ma voisine Danielle Tartakowsky, spécialiste de la Résistance des femmes dans le Nord. C'est l'intervention de Robert Prigent qui a introduit le principe du vote des femmes dans l'article 1, et celle de Fernand Grenier qui a fait modifier les articles en faveur du droit de vote des femmes aux municipales 18 ( * ) .

Que retenir de ces débats successifs ? Il est intéressant de relever qu'en petit comité, que ce soit entre les seize membres du CNR ou entre les onze membres de la Commission de législation et de réforme de l'État de l'Assemblée consultative provisoire, la masculinité fait barrage. L'idée que des femmes puissent participer à ces discussions politiques enfumées, et donc pénétrer dans l'entre-soi masculin de la lutte politique, leur paraît presque un acte de barbarie, certainement d'incivilité et d'indécence. À ce niveau, c'est l'identité masculine qui est en question. Mais dans une assemblée plus large, ouverte aux regards extérieurs, et donc plus en phase avec les évolutions du monde, ce réflexe conditionné joue moins. C'est là que Fernand Grenier et Robert Prigent ont pu rappeler le rôle des femmes dans le combat de la Résistance, et prendre appui sur leur « courage » et leur « sacrifice » , selon leurs termes, pour exiger que le droit de vote soit accordé aux femmes séance tenante. Cet argument a finalement emporté l'avis de l'Assemblée, non sans quelques réticences. La résistance fut le dernier argument employé, mais finalement décisif.

Il faut dire que d'une certaine façon, le regard que les femmes portaient sur « leur » Résistance était aussi imprégné de cette culture patriarcale en vigueur.

La Résistance des femmes dans le regard des femmes :
un combat pour l'Homme

Je dois apporter ici quelques précisions factuelles et quelques chiffres sur la Résistance, bien que l'exercice soit très périlleux du fait que, pour des raisons que l'on comprend, la Résistance n'a pas été recensée du temps de son activité. Quand on évoque la Résistance aujourd'hui, on parle beaucoup de celle répertoriée après la guerre, de la Résistance recensée à travers des procédures sélectives, qui traduisent mal - voire déforment - le tableau de ce grand mouvement social à l'échelle nationale que fut la Résistance. Selon ces recensements sélectifs, le pourcentage de femmes dans la Résistance varie entre 10 et 15 %, dont environ 12 % parmi les combattants volontaires de la Résistance, titre délivré après la guerre. On trouve plus de femmes dans les réseaux de renseignement, qui correspondaient mieux, d'une certaine manière, à leurs aptitudes reconnues socialement, un peu moins dans les mouvements et évidemment encore moins dans les maquis, où il s'agissait de prendre les armes. On trouve aussi beaucoup de femmes (24 %) dans le mouvement religieux « Témoignage Chrétien », ce qui n'est sans doute pas un hasard, de même que dans le mouvement « Défense de la France » (17 %), qui est essentiellement étudiant : là aussi, on note une grande disponibilité des jeunes filles. La grande inconnue demeure la Résistance des femmes au foyer : toutes ces femmes, qui représentent à-peu-près la moitié des femmes de 15 à 64 ans, qui ont participé directement à la Résistance et qui ne sont en général enregistrées nulle part, alors qu'elles ont joué un rôle crucial, notamment d'hébergement.

Je voudrais risquer l'hypothèse d'une aptitude supérieure des femmes de l'époque à l'engagement résistant : c'est l'idée qu'il y a forcément, dans la mesure où les rôles masculins et féminins sont alors très différenciés, une culture politique spécifique des femmes, puisqu'elles ont une position sociale spécifique. Cette culture repose sur le fait qu'un pourcentage important d'entre elles est au foyer, qu'elles sont prédisposées par la société aux tâches matérielles, qui sont des tâches ouvrières dans le foyer, et préposées aux soins des enfants. Elles ont par ailleurs une culture religieuse plus active, une véritable pratique religieuse, et elles sont statistiquement moins instruites. L'ensemble de ces paramètres entraîne une culture politique - ou civico-politique - particulière.

Je vais en citer un exemple, tiré d'un témoignage d'Édith Thomas, alors conservateur aux Archives nationales et résistante au sein du Comité national des écrivains. Celle-ci, dans son journal - ce n'est pas une reconstitution après coup - raconte l'anecdote suivante, datée du 11 octobre 1941 :

« Rencontré ce matin une voisine qui se rendait à l'église : « Je vais prier pour les Russes », m'a-t-elle dit. Je ne peux pas croire que Dieu les abandonne. » Je n'ai pas pu m'empêcher de lui demander : Vous croyez que Dieu est avec les communistes ? » « Oui, m'a-t-elle répondu. Jésus ne peut être qu'avec les communistes, les vrais. »

Ce genre de dialogue nous met sur la voie d'une appréhension de la vie politique autre, qui facilite l'accès à la Résistance car elle fait de ces femmes des outsiders de la société établie : étant hors de la société, elles ont moins d'efforts que les hommes à faire pour se retrouver hors-la-loi. C'est ainsi qu'un certain nombre de femmes sont clairement à l'initiative de mouvements de Résistance, par exemple Lucie Aubrac, Hélène Viannay, Micheline Eude, Germaine Tillion et bien d'autres encore...

Pour conclure, je dirai que cette participation au combat, à risques presque égaux avec ceux des hommes, ne faisait pas nécessairement des femmes résistantes des féministes au sens des années 1970 et suivantes. Pour la plupart, c'est plutôt un certain humanisme qu'elles défendaient, ni masculin ni féminin. Comme l'a écrit Annie Guéhenno dans ses souvenirs de Résistance : « La Résistance fut comme un embarquement dans notre vie d'homme - c'est une femme qui écrit cela en 1965 -. Derrière les titres, l'argent, tous ces fantômes, se trouvent les hommes, et ils sont semblables » .

« L'identité humaine » , tel était, je crois, le fondement de la lutte citoyenne contre le III ème Reich.

Je vous remercie. [Applaudissements]

Jacques Vistel

Merci beaucoup, Claire Andrieu, pour cette présentation synthétique et dense. Je donne la parole à Mme Danielle Tartakowsky, professeure d'histoire contemporaine et présidente de l'Université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis.

3. Un cas particulier : les manifestations de ménagères organisées par le Parti communiste français (Danielle Tartakowsky)

Danielle Tartakowsky, professeure d'histoire contemporaine, présidente de l'Université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis

À partir de 1940 et durant plus de cinq ans, la France subit le rationnement et la faim qui frappent certains plus que d'autres, du fait de défaillances de l'organisation du ravitaillement général, de deux hivers particulièrement rigoureux et plus encore bien sûr, de l'occupant dont les prélèvements privent la France d'une grande partie de ses ressources.

La réaction vient des femmes, de femmes confrontées aux étals vides, à la pénurie. De novembre 1940 à l'été 1944, elles participent à plusieurs centaines de manifestations de rue dans la France entière, qui touchent toutes les zones de pénurie alimentaire : bassin minier du Nord, région parisienne, axe rhodanien, littoral méditerranéen.

Ces femmes, souvent accompagnées de leurs jeunes enfants, sont parfois quelques dizaines, plus souvent quelques centaines, exceptionnellement plus d'un millier. Elles se portent depuis les marchés vides vers les préfectures, les sous-préfectures et les mairies, et réclament aux autorités de quoi se nourrir. Durant l'hiver 1940-1941, elles obtiennent souvent satisfaction.

Ces manifestations s'inscrivent, jusqu'en 1942 du moins, dans le rythme saisonnier des récoltes. Le rôle de la rumeur dans leur diffusion, leur atomisation, le rapport d'immédiateté spatio-temporelle avec les causes et les objectifs (les étals sont vides, on a faim) sont autant de facteurs qui amènent à voir en elles des mouvements teintés de ces archaïsmes caractéristiques de la culture politique de Vichy, et qui peuvent les apparenter aux émeutes de subsistance d'Ancien Régime.

Certaines de ces manifestations sont indéniablement spontanées, en zone sud en premier lieu. Du moins, leur rythme, leur implantation, leur nombre ne sauraient-ils se comprendre sans prise en compte des effets croisés de la conjoncture alimentaire et de la stratégie du Parti communiste, qui va intégrer ces mouvements sociaux, ces mouvements de protestation sociale fondés sur les revendications les plus élémentaires - la faim - dans sa stratégie politique, dans sa stratégie de résistance. Ces manifestations sont évoquées pour la première fois par L'Humanité clandestine dès la mi-novembre 1940 : c'est la première fois qu'on a une attestation de ces mouvements de ménagères (un terme totalement disparu des usages de l'entre-deux-guerres, sauf rarissimes exceptions). Ces manifestations dites de ménagères représentent de novembre 1940 à mai 1942 plus de la moitié des manifestations de rues qui se sont déployées sur un objectif ou sur un autre dans la France entière, malgré les interdictions.

Durant l'hiver 1940-1941, une première vague frappe principalement, mais non exclusivement, la zone occupée, où les risques sont pourtant majeurs. La plupart de ces manifestations se déroulent dans d'anciennes municipalités communistes, dans le département de la Seine et le bassin du Nord en premier lieu. Elles deviennent exceptionnelles durant l'été 1941, puis reprennent avec force à la fin de l'année sous l'effet d'une pénurie accrue.

Au début de 1942, elles se déploient principalement en zone sud du fait de l'aggravation des restrictions et de l'afflux des réfugiés en zone occupée. À partir de cette date, le phénomène cesse de se limiter aux fiefs militants d'avant-guerre pour s'étendre à au moins vingt-quatre départements français.

Le Parti communiste ne revendique pas explicitement la paternité de ces mouvements, mais il sait se saisir d'un mécontentement surgi sur le terrain de la consommation - qui ne relevait pas de son champ d'action coutumier dans l'entre-deux-guerres - pour l'organiser, ou du moins l'amplifier. Contrairement au titre de cet exposé, je dirai qu'il interagit plutôt qu'il organise ce mouvement. Il mobilise d'abord sur le seul terrain revendicatif, conformément à l'analyse de la guerre anti-impérialiste qui est la sienne jusqu'au début 1941, puis conserve ce mode d'action au nombre de ses formes de résistance après le tournant de 1941 en devant (je cite un préfet) « à l'effective ampleur du problème posé de trouver là un terrain d'action » .

Un terrain d'action où le mécontentement social se conjugue avec l'action de comités de base animés par quelques femmes, futures cadres de l'Union des Femmes françaises, qui les impulsent et qui demeurent légales. Ces manifestations attestent d'une précoce résistance civile et populaire qui contribue, dès l'hiver 1941-1942, à saper le consensus social souhaité par Vichy. Le gouvernement s'en inquiète et réagit en juillet 1942 en faisant adopter des mesures visant à priver ces manifestations de toute publicité. Il demande aux préfets d'avertir les maires qu'il n'y aura jamais de distributions spéciales après une manifestation de ce type, pour éviter que les manifestations, dont j'ai dit qu'elles avaient été suivies d'effets positifs durant l'hiver 19440-1941, ne fassent tache d'huile. Cependant, dans certaines villes plus que d'autres, la répression se durcit : c'est le cas dans le Doubs et à Marseille, où se produisent des internements administratifs de femmes ou des arrestations à la suite de ces manifestations de ménagères.

La progression de la Résistance, son affirmation stratégique et le développement de la lutte armée contribuent à modifier la place et le rôle de ces manifestations qui, toutefois, ne disparaissent pas. Elles deviennent inférieures en nombre aux manifestations dites patriotiques qui vont en se multipliant. Elles s'émancipent du temps saisonnier des troubles de subsistance pour désormais s'intégrer au rythme global de la lutte contre Vichy et l'occupant.

Les manifestantes, puisqu'il ne s'agit que de femmes, souvent accompagnées de leurs enfants, cessent du reste de tenir les autorités pour des interlocuteurs et intègrent parfois à leur mouvement des revendications d'autre sorte, dont le rejet du Service du travail obligatoire. La place qu'y jouent les comités de femmes, parfois soutenus par des Francs-tireurs et partisans - c'est le cas rue Daguerre à Paris - devient pour elles beaucoup plus ouverte. Certaines de ces manifestations vont s'inscrire explicitement dans la préparation de la grève du 14 juillet 1944 et de la grève insurrectionnelle, en s'affirmant comme des composantes à part entière de la Résistance organisée.

« Actions genrées », dit-on aujourd'hui parfois avec une certaine condescendance. Certes, il s'agit bien d'un mode d'action genrée au sens où il épouse la partition convenue des rôles sociaux, mais cette partition, par-delà la place des femmes, est alors assumée comme un atout par le PCF. En effet, dans ce secteur comme dans d'autres, ce parti joue sur des pratiques sociales préexistantes de toutes natures, pour pouvoir ancrer dans le terrain social et populaire sa résistance de masse. Dès lors, les femmes se voient délibérément assigner une place à la mesure de leur rôle majeur dans le tissu social.

D'aucuns diront que cette attitude des femmes fut une attitude d'opposition plus que de résistance. C'est oublier que ces manifestations dangereuses - il y eut des femmes arrêtées - contribuent dès la fin 1941 à mettre sur la place publique l'existence d'un mécontentement et à attester de formes de résistance, avant de s'inscrire dans des orientations politiques et stratégiques nationalement définies. Ces manifestations de femmes ordinaires ont sans doute été un moyen pour elles d'entrer en résistance, sinon dans la Résistance, et même - sans doute une étude serait-elle nécessaire sur ce point - d'entrer, selon les formes qui étaient les leurs, en politique.

Jacques Vistel

Merci, Madame, de cette évocation, qui se situe bien dans le prolongement de vos travaux sur les mouvements sociaux. Nous allons maintenant aborder la situation des femmes dans la Résistance sous l'angle géographique, avec une étude de cas sur le département du Nord par Catherine Lacour-Astol, docteure en histoire contemporaine, qui a été votre élève, Claire Andrieu, et à laquelle je suis heureux de donner la parole.

4. La résistance féminine dans le Nord : exemplarité, singularité (Catherine Lacour-Astol)

Catherine Lacour-Astol, docteure en histoire 19 ( * )

J'ouvrirai ce propos par une citation, puisqu'on a beaucoup parlé de la louange immédiate et consensuelle qui a entouré l'investissement des femmes dans la Résistance :

« A l'origine, la Résistance fut spontanée, instinctive, individuelle ! Dans cette réaction immédiate, les femmes furent sans doute plus nombreuses que les hommes » . 20 ( * )

Dès 1946, Élisabeth Terrenoire met l'accent sur le fait que non seulement les femmes se sont engagées, mais qu'elles ont sans doute été plus nombreuses que les hommes.

Indépendamment de la louange dont a fait l'objet la mobilisation des femmes dans la Résistance, l'histoire de la Résistance, en revanche, a longtemps peiné à prendre en compte cet engagement, et plus encore à considérer sa spécificité.

Poser la question de la Résistance féminine dans le Nord, c'est prendre acte des avancées récentes de l'historiographie de la Résistance, et donc tenter de dresser le portrait d'un engagement singulier parce que féminin. C'est aussi prendre en compte la dimension territoriale de la Résistance, qui ne s'est de toute évidence pas développée à l'identique dans une France écartelée.

Deux questions, donc.

En quoi la Résistance des femmes du Nord est-elle exemplaire de la Résistance féminine ? Quelles marques spécifiques y a apporté l'inscription dans un espace singulier à plus d'un titre ?

Dans le Nord, comme ailleurs sur le territoire français, l'étude de la mobilisation féminine fait état d'une activité plurielle, celle des agents de liaison, des boîtes aux lettres, des agents de renseignements, des passeuses de ligne... Ce tableau foisonnant atteste que si la Résistance armée est restée majoritairement « l'affaire des hommes » 21 ( * ) , aucune activité n'a été ignorée par les résistantes.

Répartition des arrestations effectuées par les Allemands
ou sur leur ordre dans le Nord, 1940-1944

Le tableau qui vous est proposé 22 ( * ) est fait, non pas à partir des archives de la reconnaissance mais à partir de celles de la répression, et met donc en évidence les activités qui ont été sanctionnées par l'occupant en soulignant le rôle des femmes par rapport à celui des hommes. Ce rôle est évidemment classé au prorata de l'importance prise par les femmes dans l'activité en question. Le tableau commence par les sabotages, pour lesquels le rôle des femmes est quasiment nul, ou en tout cas n'a pas été réprimé, pour se terminer par l'hébergement, dans lequel l'engagement des femmes, les choses a été essentiel.

En dehors de la pluralité des activités, d'autres traits de l'engagement résistant féminin peuvent être mis en évidence : sa précocité, sa réactivité, dont a fait état Danielle Tartakowsky, son ancrage dans le quotidien, son inscription au coeur du foyer, cette irruption de la Résistance dans la sphère privée autorisant pour partie sa survie. Je voudrais insister sur la précocité, qui signe une résistance pionnière, « un désordre de courage » , pour reprendre l'expression de Malraux. Dans le Nord, cette précocité est lisible dans la chronologie des arrestations, comme dans celles des déportations. La première femme déportée du Nord, Mariette Roëls-Duflot, est arrêtée le 2 septembre 1940 et déportée à Aix-la-Chapelle le 16 novembre de la même année. Elle passera plus de 1 600 jours en déportation 23 ( * ) .

Perçue et sanctionnée par l'occupant, cette Résistance pionnière sera reconnue à la fin de la guerre, puisque selon les dates retenues par l'administration dans le cadre de la reconnaissance par la carte verte - la carte du Combattant Volontaire de la Résistance (CVR) - 27 % des résistantes du Nord se sont engagées en 1940-1941, contre 13 % des résistants.

La grève des mineurs de 1940-1941, qui alerte l'occupant sur la capacité de mobilisation dans une région rompue à la lutte ouvrière, éclaire les modalités d'un engagement féminin pluriel. Dans la grève, le rôle des femmes de mineurs est de faciliter la lutte masculine, ainsi qu'en témoignent les ordres allemands qui cherchent à cantonner les femmes au foyer, relayés en cela par les autorités françaises, comme le montre le document suivant.

Affiche émanant de la mairie d'Auchel
relayant un ordre de la Kreiskommandantur de Béthune 24 ( * )

Certaines femmes sont aussi considérées comme des meneuses, et poursuivies comme telles, quand d'autres poursuivront la lutte dans les rangs communistes.

Ces traits majeurs de l'engagement féminin sont sans doute accusés dans le Nord, qui connaît un régime d'occupation aggravé.

Divisions administratives du Militärbefehlshaber in Belgien und Nordfrankreich (commandement militaire en Belgique et dans le Nord de la France) 25 ( * )

Les départements septentrionaux, qui dépendent de l'OFK-670, sont en effet rattachés au Commandement militaire allemand de Bruxelles et placés sous la coupe d'un Oberfeldkommandant doté des pleins pouvoirs sur sa province. La violence de l'invasion et la précocité de l'occupation, effective dès la mi-juin 1940, influent sur la mobilisation féminine. En septembre 1940, la condamnation à mort d'une femme, Blanche-Joséphine Paugan, accusée d'avoir coupé les lignes téléphoniques, est un signal fort adressé aux populations.

Avis de condamnation à mort de Blanche-Joséphine Paugan

L'indifférence au sexe manifesté par cette condamnation 26 ( * ) , même si elle n'a finalement pas été exécutée, est un marqueur fort de la rigueur immédiate qui caractérise la zone rattachée.

Dans le Nord, la mobilisation féminine est aussi influencée par le précédent de 1914, dont la mémoire régionale a conservé le souvenir, et particulièrement celui de figures féminines du refus de l'occupant comme Louise de Bettignies. En 1927, un monument financé par une souscription nationale est inauguré à Lille par le maréchal Foch à la mémoire de la jeune femme et aux femmes héroïques des pays envahis.

Deux ans avant, sous le titre La guerre des femmes , Antoine Redier avait signé un hommage à toutes celles qui avaient résisté avant la lettre 27 ( * ) .

Monument en l'honneur de Louise de Bettignies, entrée du boulevard Carnot, Lille.

Inscription : « A Louise de Bettignies et aux femmes héroïques des pays envahis ».

Photographie de Léo Greggs, aviateur américain,
hébergé et soigné de février 1944 à mai 1944 par Léa Leroux-Delannoy 28 ( * )

Cette mobilisation spécifique est le fait de femmes seules, dont certaines étaient déjà des résistantes en 1914, à l'instar de Jeanne Gadenne-Jourdain. Elle a ouvert les portes de sa maison en 1914 lorsque son mari était mobilisé, elle le fait à nouveau en 1940. Arrêtée en septembre 1943, déportée en février 1944, elle revient sauve de déportation en 1945 à l'âge de 64 ans 29 ( * ) . Son itinéraire, qui montre la filiation entre les deux conflits, témoigne aussi de ce que la résistance d'aide est un tremplin pour d'autres formes d'engagement : dans son cas, le renseignement, pour le compte de l'Organisation civile et militaire (l'OCM).

Cependant cette résistance d'aide, et plus généralement cette résistance civile, est surtout le fait de femmes engagées au sein du couple. Reflet du caractère dominant de la résistance non armée, l'engagement familial est, dans le Nord, l'objet d'une reconnaissance appuyée en sortie de guerre. En témoigne la consécration de Lucienne Buysse d'Hallendre 30 ( * ) , proposée pour siéger dans le cénacle masculin de la commission départementale de la CVR, à l'instar de Lucie Aubrac à l'échelle nationale. Sa consécration, comme son itinéraire, en font l'idéal type de la résistante du Nord. Maturité (elle est née avant le siècle), précocité de l'engagement, anglophilie (elle est Lise Dallen en Résistance), engagement familial aux côtés de son époux et de son fils, elle est, en sortie de guerre, une icône de la Résistance féminine régionale, et est la gardienne d'une activité résistante partagée au sein du couple, quelle qu'ait été la valeur de ce partage.

Eugène d'Hallendre, responsable OCM, fusillé à Bondues le 27 décembre 1943
et Lucienne Buysse-d'Hallendre,
membre de l'OCM, arrêtée avec son mari, déportée, rapatriée

Pour finir, je voudrais revenir sur le modèle familial et les rapports sociaux à l'intérieur de la famille, pour rappeler que ce couple évoque un propos tenu par Antoine Prost - manifestement encore d'actualité dans les années 1940 et 1950 - selon lequel « dans les années 1930, se marier c'est logiquement faire équipe» . 31 ( * )

Jacques Vistel

Merci beaucoup, Madame, d'avoir mis l'accent sur les différences entre la zone dite libre, la zone occupée, les zones annexées et la zone Nord-Pas-de-Calais, qui présentent évidemment des caractéristiques extrêmement variées en matière de répression.

Nous avons terminé cette première table ronde, et j'invite Guy Krivopissko à rejoindre la tribune.

Deuxième table ronde :
Biographies et témoignages

Présidence : Guy Krivopissko

Conservateur du Musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne

Intervenantes :

Témoignage de Colette Périès-Martinez

Ancien agent de liaison de l'Armée secrète de Haute-Savoie
puis du Maquis des Glières

Témoignage de Colette Lacroix

Ancienne du mouvement Forces unies de la jeunesse,
du Réseau « Pimento » et des Maquis de l'Ain

Corinne Bouchoux

Docteure en histoire, sénatrice de Maine-et-Loire, groupe écologiste

Claudine Lepage

Sénatrice représentant les Français établis hors de France, groupe socialiste

Corinna von List

Docteure en histoire,
chercheure associée à l'Institut historique allemand de Paris

Une vidéo d'interview de Mme Colette Périès-Martinez est projetée

1. Témoignages de Mmes Colette Périès-Martinez et Colette Lacroix

Guy Krivopissko, conservateur du Musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne

Lors d'un colloque organisé en 1975 par l'Union des Femmes françaises - dont il a été rappelé l'origine résistante à travers les comités populaires féminins - sur les femmes dans la Résistance, le résistant et historien de la Résistance Henri Noguères déclarait :

« Il en fut des femmes dans la Résistance comme il en est, quotidiennement, des femmes dans la vie. Elles y ont fait toutes ces choses qu'elles seules pouvaient faire, - ou qu'elles pouvaient faire en tout cas, indiscutablement mieux que les hommes. Elles y ont fait aussi, et tout aussi bien que les hommes, tout ce que les hommes faisaient » 32 ( * ) .

Je pense que cette table ronde sera l'illustration parfaite de ces propos du résistant Henri Noguères. Nous entendrons d'abord successivement les témoignages des résistantes Colette Périès-Martinez et Colette Lacroix. Suivront les communications sur Rose Valland faite par la sénatrice Corinne Bouchoux, sur Sophie Scholl et la Résistance allemande effectuée par la sénatrice Claudine Lepage, et sur la résistante agente du SOE Pearl Witherington, présentée par l'historienne Corinna von List.

Ces communications seront prolongées par les témoignages des résistantes et déportées Jacqueline Fleury et Marie-José Chombart de Lauwe.

Madame Colette Péries-Martinez, je souhaite présenter très brièvement votre parcours en Résistance. Vous avez 20 ans en 1940 et vous habitez la Haute-Savoie. Vous grandissez dans une famille de hauts fonctionnaires de la République : votre père a été préfet. Après des études secondaires au lycée d'Annecy, vous suivez une formation médico-sociale à la Croix-Rouge et vous fréquentez un groupe de jeunesse chrétienne. Le refus de la situation créée par la défaite, l'occupation et la collaboration, est celui de toute votre famille. Jusqu'en 1942, avec votre soeur aînée et un groupe de jeunes filles, vous oeuvrez pour les prisonniers de guerre, puis vous franchissez un pas supplémentaire en devenant agent de liaison de l'Armée secrète et des groupes de combats des mouvements de Résistance, notamment du maquis des Glières. Vous transportez du courrier, des renseignements, vous planquez et exfiltrez des résistants et des soldats alliés, vous transportez de l'argent... Votre zone d'action est la Haute-Savoie, l'Ain, l'Isère ; vous allez jusqu'à Lyon, Avignon et Marseille.

Première question : quel évènement vous paraît invivable, insupportable au sens propre du terme, pour provoquer votre entrée en Résistance ?

Colette Périès-Martinez, ancien agent de liaison de l'Armée secrète de Haute-Savoie puis du Maquis des Glières

Je pense que c'est surtout de ne plus se sentir libre. Dans la rue, n'importe qui pouvait être arrêté. Annecy était devenue zone interdite et je ne pouvais pas accepter que des amis soient arrêtés, emprisonnés ou déportés. C'est une des raisons pour lesquelles que je me suis lancée en Résistance, mais nous étions quatre à faire partie d'un groupe catholique. Toutes les quatre, nous avons formé une équipe d'agents de liaison, sous la direction du général Vallette d'Osia. Nous dépendions de l'Armée Secrète.

Guy Krivopissko

Comme le disait Françoise Leclercq, « Pour entrer en résistance, encore fallait-il rencontrer la Résistance ». Pour vous, cela s'est passé comment ?

Colette Périès-Martinez

Je pense que dans notre groupe, nous nous sommes dit : « on ne peut accepter cette situation » . Nous avions des amis scouts, et la responsable des scouts d'Annecy voulait créer une équipe féminine d'agents de liaison, à la demande du général Vallette d'Osia : elle nous a alors demandé d'y participer.

Guy Krivopissko

Pour autant, on a rappelé les dangers, mais aussi cette infériorité dans laquelle votre situation de femme, de jeune fille, vous plaçait. Dans votre éducation, qu'est-ce qui vous a autorisée à désobéir ?

Colette Périès-Martinez

Être une femme était plutôt une supériorité dans la Résistance [applaudissements] , car nous passions beaucoup mieux que les hommes. C'était à nous de le faire !

Guy Krivopissko

Mais dans votre éducation, avez-vous appris à penser par vous-même, à agir ?

Colette Périès-Martinez

Ah oui ! Mes parents tenaient beaucoup à ce que nous pensions par nous-mêmes.

Guy Krivopissko

Pouvez-vous rappeler les propos de votre père lorsque vous avez commencé à fréquenter ce groupe de jeunes chrétiennes ?

Colette Périès-Martinez

Comme j'aimais beaucoup mon père, quand j'ai voulu entrer dans ce mouvement de jeunes chrétiens, je lui ai demandé son accord. Il m'a dit : « Promets-moi une chose. Une fois par mois, ou tous les deux mois, demande-toi si tu penses encore par toi-même, ou si c'est le mouvement qui pense pour toi... » [applaudissements] . Je ne l'ai jamais oublié.

Guy Krivopissko

Colette Lacroix, vous avez 16 ans en 1940 et vous habitez dans l'Ain. Votre père est prisonnier. Vous êtes lycéenne au lycée Edgard Quinet et aussi au lycée Lalande, puisque la guerre réunit les deux établissements, celui de garçons et celui de filles. Je rappelle qu'à l'époque, vous êtes parmi les rares jeunes qui peuvent poursuivre des études secondaires (seuls 3 % d'une classe d'âge poursuit alors des études), ce qui était encore plus rare pour les jeunes filles. Votre premier refus est immédiat, ainsi que celui de toute votre famille. Ce sont d'abord des réactions spontanées, et qui se prolongent très vite au sein du mouvement « Libération Sud », de « Combat » et des « Forces Unies de la Jeunesse », ainsi qu'à partir de 1943 au sein du réseau de renseignement « Pimento », de l'Intelligence Service. Le responsable de ce réseau de renseignement pour l'Ain est Henri Gauthier ; il devient votre mari. Vous donnez naissance, durant l'Occupation, en 1944, à votre premier enfant.

Ainsi successivement, et parfois parallèlement, vous contribuez à des actions de propagande de la Résistance, mais aussi avec les maquis de l'Ain, ceux de l'Armée Secrète et les FTP. Vous effectuez des missions de liaison, vous planquez, exfiltrez des résistants et des soldats alliés, vous organisez, réceptionnez et répartissez les parachutages et participez même à la lutte armée, notamment à des sabotages ferroviaires. La zone d'action sur laquelle vous agissez est l'Ain et ses départements limitrophes, mais le réseau de renseignements vous conduit aussi à Toulouse.

Comme pour Colette Périès-Martinez, je vous poserai trois questions. Première question : quel évènement vous paraît à ce point insupportable que vous décidez de vous engager en Résistance ?

Colette Lacroix, ancienne du mouvement « Forces unies de la jeunesse », du Réseau Pimento et des maquis de l'Ain

C'est l'arrivée des Allemands. J'avais été témoin de l'arrivée des Espagnols chassés par Franco et j'avais trouvé leur situation épouvantable. Je m'étais alors dit que la situation qui nous attendait avec Hitler allait être du même genre. Donc il était obligatoire pour moi d'être contre cette situation.

Guy Krivopissko

Deuxième question : quand et comment rencontrez-vous la Résistance ?

Colette Lacroix

Très facilement. Chez le voisin de mes parents, Paul Pioda, qui est mort en déportation, j'ai rencontré Marcelle Appleton, grande résistante qui m'a demandé d'aller faire mon premier acte de Résistance en novembre 1940 en me cachant chez elle, pendant que des gens venaient fouiller sa maison.

Guy Krivopissko

Enfin, dans votre éducation, comme pour Colette Périès-Martinez, qu'avez-vous reçu qui vous engage à désobéir ?

Colette Lacroix

Mon père a été fait prisonnier, alors qu'il n'aurait pas dû l'être. Il est allé à Strasbourg, avec son unité - il était capitaine - pour se faire démobiliser (ils ne s'étaient pas rendus aux Allemands). Ils avaient reçu l'assurance qu'ils ne seraient pas faits prisonniers. Ce manque de respect de la parole donnée a contribué à me révolter.

Guy Krivopissko

Avez-vous appris à désobéir ?

Colette Lacroix

Ça n'était pas de la désobéissance, au contraire, mais une obéissance à mes idées.

Guy Krivopissko

Je vous remercie. [applaudissements]

Avec le bref résumé des parcours des deux Colette, vous aurez compris qu'il leur est impossible de faire le récit de toutes ces années de Résistance. Mais j'aimerais qu'elles nous racontent chacune - et cela reprendra le questionnement de Claire Andrieu ou la formule d'Henri Noguères - deux évènements, deux faits de Résistance : l'un qu'elles ont accompli à l'égal des hommes avec qui elles résistaient, et l'autre qu'elles ont accompli alors qu'elles seules, jeunes femmes, pouvaient l'effectuer. Colette Périès-Martinez, pendant toutes ces années de Résistance et dans toute votre action, quel fait de Résistance avez-vous accompli à l'égal d'un homme ?

Colette Périès-Martinez

Par exemple, un jour, je rentrais de Suisse avec un sac à main que j'avais fait moi-même en ficelle, avec une doublure pour y cacher beaucoup de papiers, et ça se voyait très bien. Le car a été arrêté par des policiers français - ils portaient le feutre et l'imperméable - et des Allemands, qui ont dit à tout le monde de descendre pour la fouille.

Je suis restée assise, bien sûr, avec mon sac, et un policier monte et me dit : « Pourquoi vous ne descendez pas ? ». Je lui dis : « Je suis cardiaque. Si vous me laissez pendant une heure debout au soleil, je meurs » . Nous avons discuté un petit peu, et au bout d'un moment je lui demande : « Pourquoi arrêtez-vous les femmes ? » . Il me répond : « Parce qu'il a des femmes qui portent des papiers » . Je lui dis : « Moi je n'aurais jamais le courage de cacher des papiers, puisqu'on risque sa vie. Je suis peureuse » . Il me répond : « Oui, vous n'avez pas une tête de terroriste... » . Et il m'a laissée tranquille ! [applaudissements]

Guy Krivopissko

Je sais aussi qu'au sein de votre réseau, vous avez participé à des activités de codage et de décodage de messages.

Colette Périès-Martinez

J'ai effectivement travaillé avec un officier parachuté de Londres et j'allais assez souvent l'aider à décoder, c'était assez amusant ! Il venait souvent à la maison pour effectuer la liaison radio avec Londres. J'ai continué à le voir après la guerre. Il était ennuyé en me disant : « Comme je suis très riche, pour les uns je serai un fils des deux cents familles à rejeter, et pour les autres je serai un ?sale Juif?». C'est un peu ce qui lui est arrivé...

Guy Krivopissko

Merci pour ce témoignage [applaudissements] .

Colette Lacroix, même question. Parmi toutes les actions auxquelles vous avez participé, quelles sont les choses que vous avez réalisées à l'égal de vos compagnons hommes ? Et lesquelles avez-vous faites, qu'ils n'auraient pas pu accomplir, eux ?

Colette Lacroix

Par exemple, lorsque j'ai été chargée de surveiller Klaus Barbie. J'étais allée à Toulouse pour porter du matériel (du plastique, etc...) et là, j'avais rendez-vous avec mon patron anglais, le major Brooks. Il me dit : « Je viens d'entendre le message selon lequel le débarquement va avoir lieu aux environs de Sète. Je t'ai trouvé une place dans le train, dans le même compartiment que Klaus Barbie. Au moment du débarquement, il faudra pouvoir mettre la main sur lui, ne pas le quitter » . Ce n'était pas un homme qui pouvait le faire...

Malheureusement, à l'époque, nous n'avions pas de téléphones portables ! Et quand nous sommes partis dans le train, nous ne savions pas que le débarquement à Sète avait été annulé. Le train s'est arrêté aux environs de Sète, et j'étais dans le compartiment de Barbie. Au bout d'une demi-heure, je suis sortie dans le couloir, effarouchée, et j'ai dit aux gardes du corps de Barbie que j'avais peur. Ils ne savaient pas ce qui se passait. Au bout d'un moment, Barbie a sorti la tête de son compartiment pour savoir ce que je voulais, et ses gardes lui ont répondu que j'avais peur. « Qu'elle vienne dans mon compartiment ! » , a-t-il dit.

Je suis revenue dans le compartiment de Barbie, et nous avons passé plusieurs heures ensemble. Nous sommes arrivés en fin de compte à Lyon, où nous sommes allés dans un restaurant où il a été accueilli à bras ouverts. Au moment de son procès, j'avais presque envie d'aller révéler le nom de ce restaurant, mais je ne l'ai pas fait... Comme Barbie avait envie d'aller plus loin, j'ai prétexté d'aller aux toilettes, et je me suis sauvée comme j'ai pu. Voilà ! [applaudissements]

Autrement, pour faire sauter des trains, des ponts, nous n'agissions pas différemment des hommes. La première fois que j'ai fait sauter un pont, j'ai eu horriblement peur parce qu'une grosse pierre est tombée juste à côté de moi. C'était sur le pont du Suran, dans le département de l'Ain, entre Bourg et Pont-d'Ain.

Guy Krivopissko

Le temps nous est compté, mais j'espère que nous aurons un temps d'échanges avec la salle pour que vous puissiez continuer de questionner les deux Colette.

Nous poursuivons l'évocation de ces femmes en Résistance avec l'itinéraire de Rose Valland, à laquelle Corinne Bouchoux, sénatrice et historienne, a consacré de nombreuses études. La figure de Rose Valland est aujourd'hui bien connue, et est beaucoup moins caricaturale que ne l'a montrée le film Le Train 33 ( * ) , où ce personnage était interprété par Suzanne Flon.

2. Rose Valland, la Résistance au musée (Corinne Bouchoux, sénatrice de Maine-et-Loire)

Corinne Bouchoux, historienne, sénatrice de Maine-et-Loire, groupe écologiste

Quelques mots sur Rose Valland. On avait demandé à Lucie Aubrac de faire une conférence sur Rose Valland en 1998, mais elle s'était aperçue qu'elle avait en réalité assez peu d'éléments sur elle. Je me suis donc penchée sur son itinéraire atypique, mais qui reprend des éléments qui ont été évoqués tout à l'heure.

Née en 1898 à Saint-Étienne de Saint-Geoirs dans un milieu modeste (son père est charron, sa mère ne travaille pas), elle fait l'École normale d'institutrices - c'est déjà une expédition - et là, on la découvre talentueuse. Elle part faire les Beaux-Arts à Lyon, puis elle s'enhardit et arrive à Paris dans les années 1930 ; elle y étudie l'histoire de l'art. Elle gagne chichement sa vie et se retrouve en 1940, par un concours de circonstances qui a été étudié depuis, au musée de Jeu de Paume au moment où vont commencer les pillages et les spoliations.

Entre 1940 et 1944, elle va se livrer à une forme singulière de résistance : elle ne sauvera pas des vies, mais contribuera à sauver des biens. Au quotidien, elle met en fiches ce que font les nazis. Elle va réussir - c'est un travail minutieux, patient - à noter les destinations des oeuvres d'art qui partent vers l'Allemagne. Elle va parvenir aussi, via Jacques Jaujard, à en informer la Résistance. C'est une résistance totalement atypique : elle est seule et prend des notes 34 ( * ) .

On a su depuis quelle avait été son existence : c'est une existence singulière parce qu'elle ne sera pas réellement inquiétée, même si elle a été menacée plusieurs fois. À la Libération, incorporée à l'armée française et à l'armée américaine, elle est sur le terrain pour éviter que ne soient bombardés les endroits où sont cachées les oeuvres d'art. Elle fera ensuite le choix, là aussi atypique, de vivre en Allemagne entre 1945 et 1953 35 ( * ) , avec deux missions essentielles : assurer le retour des oeuvres d'art, mais aussi la reconstruction des musées allemands. Elle avait déjà le souci de l'Europe, l'idée de la paix, tout en conservant la mémoire de ce qui s'était passé...

Pour revenir à ce qui a été dit tout à l'heure sur la reconnaissance de ces femmes résistantes, Rose Valland a reçu assez tôt toutes les décorations possibles, les distinctions françaises, américaines puis allemandes. Elle a donc reçu tous les honneurs au titre de son activité de résistante 36 ( * ) . Néanmoins elle est restée en dehors des réseaux de sociabilité de la Résistance, parce qu'elle a vécu en Allemagne après la guerre principalement, peut-être aussi parce qu'elle avait un mode de vie différent : elle vivait avec une femme, avec qui elle est restée jusqu'à la fin de ses jours. Elles ont travaillé ensemble après les années 1960 sur le dossier des restitutions, qui leur tenait à coeur.

Je voulais vous faire partager cet itinéraire qui a été déformé par deux fois, dans le film Le Train 37 ( * ) et de façon plus caricaturale dans le film plus récent, américain 38 ( * ) , qui en fait une personne à la moralité douteuse, ce que n'était pas Rose Valland.

Rose Valland a mis ses compétences au service d'une forme de Résistance du quotidien, mais qui a quand même permis de sauver un grand nombre d'éléments du patrimoine artistique et des collections privées, en particulier les biens des Juifs qui avaient été spoliés. Il était donc important de ne pas l'oublier dans ce colloque.

Guy Krivopissko

Je vous conseille de lire l'ouvrage que Corinne Bouchoux a consacré à Rose Valland : Rose Valland, la Résistance au musée 39 ( * ) . Il y a eu une exposition au Centre d'histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon 40 ( * ) consacrée à Rose Valland, qui a même eu les honneurs d'une bande dessinée 41 ( * ) ...

Au coeur du système nazi, la Résistance est celle de ces jeunes étudiants du groupe de la Rose Blanche à Munich, dont Claudine Lepage, sénatrice, va nous dresser le portrait. Avant de lui laisser la parole pour cette présentation de Sophie Scholl, j'évoquerai brièvement son homonyme Dora Scholl, résistante antinazie réfugiée en France, qui oeuvre au « travail allemand », infiltre la Wehrmacht et travaille à la démoralisation des soldats, à leur passage à la Résistance.

Je crois que cette évocation des résistances franco-allemandes était nécessaire et je donne la parole sans plus tarder à Claudine Lepage.

3. Sophie Scholl, une résistante allemande (Claudine Lepage, sénatrice représentant les Français établis hors de France)

Claudine Lepage, sénatrice représentant les Français établis hors de France, groupe socialiste

Elle avait 22 ans, elle était étudiante en biologie et philosophie. Elle a été arrêtée le 18 février 1943 pour avoir dispersé des tracts dans les couloirs de l'Université de Munich. Son procès a eu lieu quatre jours plus tard et elle a été guillotinée quelques heures après. Elle était allemande, elle s'appelait Sophie Scholl.

Sophie a douze ans lorsqu'Hitler prend le pouvoir en Allemagne, le 30 janvier 1933. Malgré une éducation chrétienne imprégnée d'humanisme, elle entre, comme ses frères et sa soeur, dans les organisations de Jeunesse hitlérienne. Rapidement désabusés par le manque de sens, à leurs yeux, du rituel propre à ces organisations, les enfants Scholl s'en éloignent. Dès 1936, les deux frères de Sophie s'engagent dans une organisation de jeunesse parallèle, créée en 1929 et interdite dès l'arrivée d'Hitler au pouvoir car elle promeut la culture et l'ouverture sur le monde. Il s'agit d'une organisation masculine, mais Sophie est influencée par l'expérience qu'y vivent ses frères.

Au printemps 1937, Sophie et ses frères et soeur sont arrêtés par la Gestapo pour être interrogés. Sophie, qui n'a que 16 ans, est relâchée dans la journée mais l'emprisonnement de ses frères et de sa soeur la marque et l'empreint de fierté, sans qu'elle soit toutefois, comme ces derniers, d'ores et déjà en rupture totale avec le National-Socialisme. La lecture d'ouvrages interdits par le régime a une importance particulière dans le chemin qui conduit Sophie à la Résistance. Elle permet à la jeune fille de se forger un esprit civique, ce que cherchait précisément à empêcher le régime, interdisant les livres contraires à l'« esprit allemand ».

Les évènements qui conduisent à la Deuxième Guerre mondiale, de l' Anschluss à l'invasion de la Pologne, renforceront cette prise de conscience 42 ( * ) . Son premier acte de Résistance est l'occasion pour elle de partager avec d'autres le rejet du régime, puisqu'elle se procure les livres prohibés auprès d'un groupe d'amis qui prend rapidement une place significative dans sa vie.

Sophie obtient son baccalauréat en mars 1940, mais doit, avant de commencer ses études, effectuer deux ans de travaux obligatoires dans une garderie d'enfants. Ce n'est donc qu'au mois de mai 1942 qu'elle débute ses études à Munich. Elle y retrouve son frère Hans, alors que celui-ci commence à organiser, avec trois autres étudiants, des actions de résistance passive pour mobiliser contre le régime, en diffusant des tracts dans l'Université.

Le moment précis auquel Sophie fut intégrée au groupe de la Rose Blanche, mouvement de résistance estudiantin créé autour du professeur Kurt Huber, n'est pas connu avec certitude. S'il est probable que la jeune fille en ait été dans un premier temps tenue à l'écart par son frère qui voulait la protéger, elle a rapidement pris part aux actions.

Au cours de l'été 1942, le groupe se sépare. Sophie doit travailler dans une usine de munitions tandis que certains garçons sont appelés sur le front russe. La jeune fille assiste par ailleurs au procès de son père, jugé pour avoir parlé imprudemment de ses convictions politiques au travail. Ces expériences renforcent les étudiants dans leurs convictions ; ils reprennent leurs actions lorsqu'ils reviennent à l'Université à l'automne. Le rôle de Sophie au sein du groupe s'accroît. Dès le début de l'année 1943, l'effet des tracts commence à se faire sentir parmi les étudiants de l'Université de Munich, et ils se rebellent davantage.

En février 1943, c'est la défaite de Stalingrad. Le danger s'accroît, mais le groupe veut communiquer cette nouvelle, qui ravive l'espoir de la chute d'Hitler. La Rose Blanche édite alors un tract à ce sujet. Ce sera le dernier. En effet, alors qu'Hans et Sophie le dispersent dans les couloirs de l'Université de Munich le jeudi 18 février 1943, le concierge les surprend et les dénonce à la Gestapo. Sophie et Hans nient, mais la fouille de leurs chambres d'étudiant est accablante. Le procès a lieu quatre jours plus tard, devant le tribunal populaire, en présence des parents Scholl. Il dure cinq heures. Sophie, son frère Hans et l'un de leurs camarades, Christoph Probst, sont condamnés à être exécutés. Ils sont guillotinés le jour même, en fin d'après-midi.

Sophie Scholl ne fut pas la seule femme résistante en Allemagne. Cependant, elle est un symbole important de la Résistance, comme en témoignent de nombreux ouvrages, documentaires et films consacrés au mouvement de la Rose Blanche. [applaudissements]

Guy Krivopissko

Nous continuons ces présentations de femmes étrangères avec Corinna von List, qui évoquera l'agente du Special Operation Executive (SOE) , Pearl Witherington (« Marie » ou « Pauline » selon ses pseudonymes), qui n'est pas tout à fait anglaise puisqu'elle est née à Paris.

4. Pearl Witherington, une agente franco-britannique au Special Operation Executive (Corinna von List)

Corinna von List, docteure en histoire, chercheure associée à l'Institut historique allemand de Paris 43 ( * )

Je vais vous faire un petit portrait de Pearl Witherington qui concerne uniquement ses activités dans la Résistance, faute de temps pour la présenter de manière plus complète.

Elle est née en 1914, à Paris en effet, mais elle est ressortissante britannique : je vous le précise car en tant que telle, elle est menacée directement d'internement administratif par les autorités allemandes en 1940. Elle est scolarisée à Paris jusqu'à l'âge de 17 ans, puis suivra un cours de dactylographie et obtiendra un diplôme linguistique de la Chambre de commerce britannique : elle est donc parfaitement bilingue.

Puis elle sera employée à l'ambassade de Grande-Bretagne à Paris jusqu'en 1940, date de l'arrivée des Allemands à Paris. À la fin de 1940 elle s'enfuit en Angleterre avec sa mère et ses trois soeurs cadettes : toute la famille est menacée d'internement administratif. À partir de juin 1943, elle sera agente du Special Operation Executive (SOE) : pour cela, elle recevra une formation classique, que passent tous les agents des services secrets britanniques. Elle reçoit des résultats particulièrement positifs à ces tests. Voici l'appréciation des services secrets britanniques : « Personne particulièrement apte à effectuer cette mission. [...] Très soucieuse de la sécurité. Elle possède des qualités de leader. » 44 ( * )

Pour effectuer ses missions sur le terrain, elle reçoit une fausse identité, au nom de Geneviève Touzalin. J'ai trouvé dans son dossier personnel d'agente du SOE ce document qui prouve qu'elle était très bien entraînée à la signature de cette fausse identité.

Signature de Pearl Witherington
sous la fausse identité de Geneviève Touzalin

Sa première mission sera celle d'agent de liaison et chef-adjoint du réseau « Stationer SOE » (« stationer » veut dire « papetier » en français). Elle est parachutée le 22 septembre 1943 en France dans la région de Châteauroux. On voit sur cette carte que le réseau Stationer couvre un terrain particulièrement vaste, avec trois zones d'activité principales qui se trouvent autour de Châteauroux, de Clermont-Ferrand et de Tarbes. À la mi-octobre 1943, elle remplace temporairement le chef du réseau Stationer 45 ( * ) , rappelé à Londres afin de réorganiser le réseau.

Il y a un détail intéressant que j'ai trouvé dans son dossier personnel : elle avait son domicile officiel clandestin à Limoges, c'est-à-dire hors des zones d'activité principales du réseau.

Après l'arrestation du chef du réseau « Stationer » , le 1 er mai 1944, elle prend l'initiative de subdiviser ce réseau. Par la suite, elle prendra la tête du réseau « Wrestler » , également un réseau SOE, de mai à septembre 1944. À ce titre, elle réorganise et commande le maquis dans le département de l'Indre et organise un nombre importants de parachutages, fournissant les armes et munitions nécessaires au maquis au moment du débarquement. Son maquis réussit ainsi à repousser une violente attaque allemande effectuée par un régiment SS Panzergrenadier .

Pearl Witherington est finalement l'une des rares femmes à avoir participé à des combats à un poste de commandement. C'était donc un vrai leader. 46 ( * ) [applaudissements]

Guy Krivopissko

Merci, Corinna von List, pour cette très belle présentation.

Marie-José Chombart de Lauwe, ce portrait ne vous évoque-t-il pas d'autres jeunes femmes parachutistes que vous avez connues au camp de Ravensbrück ?

Marie-José Chombart de Lauwe, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Déportation

Je voudrais évoquer très rapidement - nous avons peu de temps - l'histoire de quatre jeunes parachutistes que nous avons connues à Ravensbrück. En Afrique du Nord, le général Merlin a créé un corps de transmission de femmes, parmi lesquelles un groupe a accepté de suivre (c'était d'ailleurs sa volonté) une formation complémentaire en Angleterre, pour être ensuite parachuté en France. Au sein de ce groupe, certaines ont été exécutées et, je le souligne, les quatre qui ont été déportées à Ravensbrück espéraient être transférées dans un camp de prisonniers de guerre. Mais elles ont été convoquées en janvier 1945 chez le commandant et elles ont été exécutées.

Guy Krivopissko

Je crois, Marie-José Chombart de Lauwe, que vous vouliez aussi parler d'une autre oubliée, avant de témoigner de votre propre histoire de Résistance.

Marie-José Chombart de Lauwe

Je porte la mémoire de femmes que j'ai connues personnellement. J'ai parlé de nos parachutistes, que l'on appelait les « Merlinettes », mais il y a un autre cas qui est typique des situations vécues par les femmes.

C'était à la prison de la Santé. Nous étions au secret. Ma voisine de cellule était France Bloch-Sérazin. Elle fabriquait des produits chimiques destinés à faire sauter les trains de munitions. Elle avait monté un petit laboratoire et elle a été arrêtée avec tout le groupe de Raymond Losserand. Nous sommes restées voisines de cellule, et nous communiquions par des lieux secrets, puisque nous étions isolées. Elle m'a donc raconté son histoire. Elle a participé aux groupes armés. Ce qui lui est spécifique, c'est qu'au procès, elle était la seule femme. Le matin, par mon oeilleton, je les avais vus passer alors qu'ils se rendaient à la Maison de la Chimie. De nombreuses condamnations à mort ont été prononcées. Les Allemands avaient dit : « Nous, nous sommes généreux, nous n'exécutons pas les femmes. ». Mais France disait qu'avec la charge qui pesait contre elle (elle était classée terroriste, juive et communiste : pour les Allemands, le pire !), elle aurait préféré être condamnée à mort avec ses camarades hommes. Les noms de ceux-ci figurent sur la cloche du Mont-Valérien qui porte les noms des fusillés : il n'y a que des hommes... Le sort de France Bloch-Sérazin s'est malheureusement achevé à Hambourg, où elle a été guillotinée, puisque tel était le sort spécifique réservé aux femmes.

Guy Krivopissko

Merci, Marie-José.

Avant que nous entendions le témoignage de Marie-José Chombart de Lauwe et de Jacqueline Fleury sur leur résistance, qui a continué au camp de Ravensbrück, une vidéo de présentation va être projetée.

5. La Résistance des femmes au risque de la Déportation : témoignages de Marie-José Chombart de Lauwe, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, et de Jacqueline Fleury, présidente honoraire de l'Association nationale des Déportées et Internées de la Résistance

Une vidéo d'interviews de Mmes Chombart de Lauwe et Fleury est projetée

Guy Krivopissko

Marie-José, vous avez 17 ans en 1940 et demeurez dans les Côtes d'Armor où votre père est médecin. Vous souhaitez d'ailleurs embrasser cette profession puisque vous entamez des études de médecine en 1941 à Rennes. La Résistance est immédiate pour toute votre famille, vous participez tous aux activités du réseau de renseignement « Georges France 31 ». Vous êtes arrêtés le 27 mai 1942, condamnés à mort, peine commuée en déportation Nacht und Nebel 47 ( * ) et vous êtes déportés le 26 juillet 1943, votre père à Buchenwald, votre mère et vous à Ravensbrück.

Qu'est-ce que rester résistante en camp de concentration nazi ?

Marie-José Chombart de Lauwe

Résister en camp de concentration, c'est deux aspects : tenter d'abord de sauver des vies et, d'autre part, de rester des êtres humains dignes, face à la volonté de déshumanisation imposée par les SS.

Guy Krivopissko

Pouvez-vous donner quelques exemples ? Vous parliez de cette circonstance incroyable qui vous amène à vous occuper des enfants nés au camp.

Marie-José Chombart de Lauwe

Il se trouve que ma mère était sage-femme, mon père médecin pédiatre, et je commençais moi-même mes études de médecine. Tout naturellement, je figurais sur une liste qui avait été déposée au Revier 48 ( * ) . Quand j'arrive dans cette pièce 49 ( * ) , c'est la consternation. Ces bébés avaient l'air de vieillards. C'est quelque chose d'atroce et de douloureux. Pour sauver des vies, il faut faire appel à la solidarité dans le camp : il s'agissait de trouver du lait, de petites bouteilles... Une infirmière courageuse vole une paire de gants de caoutchouc dans laquelle on taille dix tétines... On essaie de faire survivre ces bébés coûte que coûte, ce qui est extrêmement difficile. Ils mouraient tous... J'ai également assisté à une solidarité extraordinaire entre les mères : celle qui avait encore du lait mais dont le bébé était mort le donnait à un bébé survivant... De nos trois bébés français survivants, le seul encore en vie aujourd'hui - c'est le plus vieux car il est né en novembre 1944 - a reçu du lait d'une femme tzigane. En définitive, le fait que cet enfant ait été nourri par des femmes de plusieurs nationalités est réellement un symbole de l'Europe. [applaudissements]

Guy Krivopissko

Vous souhaitiez aussi évoquer cette dignité que vous avez voulu conserver, cette humanité : rester un être pensant, digne.

Marie-José Chombart de Lauwe

Nous avions formé des groupes d'amies. On se réunissait quand il y avait un anniversaire. On fabriquait clandestinement et à grands risques des objets cadeaux, pour les donner à celles dont on fêtait l'anniversaire. Or sortir un petit bout de tissu d'un atelier, le broder à mon numéro 50 ( * ) , c'était déjà prendre un risque énorme, mais nous le vivions au quotidien. Un autre groupe chantait et récitait des poèmes, et j'ai d'ailleurs connu à l'époque, puisque nous étions dans la même baraque, Germaine Tillion, qui avait déjà commencé à rédiger ses pièces qui donneraient lieu au Verfügbar aux enfers .

Rire de nous-mêmes était également très important. Nous continuions ainsi à penser, face aux humiliations atroces qui nous étaient imposées. Voilà ce qu'étaient les femmes. Rester des êtres pensants, garder cette dignité, c'étaient cela, notre action continue, et ce sont ces valeurs essentielles : la solidarité et l'amitié, qui nous ont sauvées. [applaudissements]

Guy Krivopissko

Jacqueline Fleury, Marie-José parlait de ces petits objets [que vous vous offriez entre prisonnières] , et vous en avez apporté quelques-uns. Peut-on les voir ?

Jacqueline Fleury, présidente honoraire de l'Association nationale des déportées et Internées de la Résistance

Ici, vous voyez les bijoux fabriqués dans le camp, à l'usine, avec des détritus, alors que c'était interdit. J'avais confectionné celui-ci comme cadeau pour l'une de mes compagnes. Là, ma cuillère, que j'avais fabriquée à l'usine aussi, au risque de me faire punir. Bien sûr, je n'ai pas tout apporté.

Guy Krivopissko

Voici aussi quelques-uns des journaux clandestins distribués par Jacqueline Fleury : Le Courrier de l'Air 51 ( * ) , évidemment, Témoignage Chrétien 52 ( * ) , ce qui est logique, et un numéro extraordinaire de Défense de la France , dont vous étiez membre, daté du 14 juillet 1943.

Jacqueline Fleury

Il a été distribué à la sortie du métro par quelques-uns de nos camarades, dont Geneviève de Gaulle.

Guy Krivopissko

Cela nous renvoie à la communication de Danielle Tartakowsky : ces femmes qui sont dans la rue, qui se montrent, non seulement pour protester mais aussi pour appeler à l'organisation et à la Résistance.

Quelques mots sur Jacqueline Fleury. Vous avez 16 ans en 1940, vous êtes lycéenne, comme Marie-José Chombart de Lauwe, et grandissez dans une famille durement et douloureusement touchée par la Première Guerre mondiale. Votre père est officier de l'armée française et la Résistance concerne toute votre famille. Votre frère agit au sein du réseau « Mithridate », votre père au sein de l'Organisation civile et militaire et vous-même à « Défense de la France ». À la suite de la répression qui frappe le mouvement à l'été 1943, vous continuez la résistance aux côtés de votre frère et de vos parents, au sein du réseau « Mithridate ».

Vous êtes arrêtés le 29 juin 1944, à l'exception de votre frère qui a pu s'échapper, et vous êtes déportés le 15 août 1944. C'est le dernier grand convoi de déportation de masse de résistants : 2 200 personnes, 546 femmes et 1 654 hommes. Nous touchons ici du doigt la bonté du général Von Choltitz, qui assume personnellement le départ de ce dernier convoi...

Votre père est déporté à Buchenwald, et comme Marie-José Chombart de Lauwe, vous êtes déportée à Ravensbrück, avec votre mère.

Comment reste-t-on résistante dans un camp de concentration nazi ?

Jacqueline Fleury

J'ai retrouvé ma mère à Ravensbrück. Cela a été un grand choc de la retrouver dans cet endroit abominable, et peut-être un choc encore plus dramatique pour elle. La première chose qu'elle m'a dite, et que j'aimerais que vous conserviez dans votre souvenir, c'est : « Il ne faut pas pleurer devant nos sadiques gardiens, car ne pas pleurer c'est encore résister » .

Tout cela allait continuer des mois durant, puisque nous avons été transportées dans des wagons à bestiaux dans quatre camps différents. Ravensbrück avait en effet, comme tous les grands camps, des camps satellites, et les déportés représentaient une main d'oeuvre très intéressante. Un déporté qui meurt, ça n'a aucune importance. On le nourrit peu ; il est vite remplacé. Nous craignions beaucoup ces transports, souvent très durs, surtout lorsque l'hiver s'installait. Il faisait un froid comme on n'en connaît plus maintenant. À travers l'aspect de ma mère, je voyais ce que nous devenions : mourant de faim, avec un corps qui se transforme. Heureusement, nous n'avions pas de glace pour nous regarder, parce que nous aurions peut-être été effrayées... C'est au travers de l'apparence de ma mère que je voyais notre déshumanisation. Ce qui m'a fait le plus souffrir pendant toute cette déportation, c'est d'avoir vu souffrir ma mère. Quand on souffre soi-même, on supporte. Mais voir souffrir quelqu'un qu'on aime au-delà de tout, c'est absolument insupportable. Je ne pardonnerai jamais cela.

Guy Krivopissko

Jacqueline, vous avez été dans quatre camps kommandos de Buchenwald, et toujours affectée dans des usines travaillant pour la machine de guerre allemande.

Jacqueline Fleury

Nous sommes un groupe de résistantes. Dans le premier kommando où nous sommes arrivées - on ne nous avait pas prévenues de ce que nous allions faire, nous ne savions pas à quoi nous allions servir, nous étions des « stücks » qu'on faisait travailler n'importe où -, nous devions nettoyer des obus qui avaient déjà servi, dans des bacs d'acide, sans aucune protection. Notre petit groupe de résistantes a décidé de refuser ce travail pour l'effort de guerre de l'ennemi que nous avions combattu en France.

Les structures des petits kommandos ressemblaient beaucoup à celles de camps plus grands, mais nous étions plus facilement repérables par nos SS surveillants et par les offizierin , ces femmes qui nous surveillaient. Il était donc extrêmement difficile d'échapper à un travail. Avec tout notre groupe, nous avons informé le commandant - nous avions une camarade qui nous servait d'interprète - que nous étions comme les militaires, et qu'il ne saurait dès lors être question de nous faire travailler pour l'armement de notre ennemi. Évidemment, nous étions très naïves, mais je pense que ce qui nous a sauvées est le fait d'avoir été très nombreuses.

Nous avons été remises dans des trains dans des conditions de transport épouvantables, pour repartir vers d'autres lieux.

Dans le deuxième kommando , nous avons découvert que nous devions fabriquer de petites pièces destinées aux V2 - nous ne savions pas trop ce que c'était, mais ce travail, lui aussi, nous a paru inacceptable. Certaines de nos camarades qui fabriquaient les pièces réussissaient à faire sauter leur machine, ce qui signifiait pour le reste du groupe un arrêt de travail important qui nous réjouissait.

Je me souviens qu'avec ma mère, nous devions vérifier de petites pièces avec des tournevis et trier les bonnes et les mauvaises pièces dans deux caisses. Je vous laisse penser ce que nous faisions de temps en temps, mais pas systématiquement, car cela aurait été extrêmement dangereux. Ce groupe de Françaises, qui travaillait si mal, a vu arriver dans le kommando le commandant de Buchenwald dont nous dépendions, et nous avons été punies.

Quelques jours après, nous sommes parties dans un autre convoi, vers un autre kommando près de Leipzig. Nous étions là avec 1 300 Juives hongroises qui travaillaient dans une usine d'armement, tandis que dans notre baraque de fortes têtes, nous travaillions à faire des routes. Nous traînions le rouleau. Quand la route était terminée, on la défonçait. Nous abattions des arbres dans la forêt, ce qui avec notre gabarit - à l'époque, nous n'avions quasiment plus de nourriture - était presque impossible. Mais le pire que nous avons vécu dans ce kommando , c'est d'avoir à vider des wagons de charbon pendant douze heures, alors que nous n'avions même plus de forces pour soulever une pelle. Ces journées étaient absolument horribles. Lorsque nous rentrions dans nos baraques, nous n'avions ni savon ni vêtements pour nous changer.

Le 13 avril 1945, nous avons été réunies sur la place d'appel en colonnes cinq par cinq avec un morceau de pain, et nous sommes parties pour effectuer l'une de ces horribles « marches de la mort », comme nous les avons appelées entre nous. Nous verrons mourir beaucoup de nos compagnes non seulement du fait de ces marches hallucinantes, mais aussi du fait des bombardements et des mitraillages. Nous marcherons jusqu'au 9 mai. Je crois que j'ai dit l'essentiel.

Guy Krivopissko

Jacqueline, merci infiniment pour ce témoignage. [applaudissements]

Toutes les deux, vous employez les mots « soeur » et « amitié », et vous dites, Jacqueline, qu'il faudrait inventer un mot encore plus fort pour définir les liens qui nous unissaient.

Jacqueline Fleury

Je ne l'ai pas trouvé...

Guy Krivopissko

Marie-José, je pense aussi que l'un des ressorts qui vous soutenaient pour rester en vie, pour continuer, c'était la volonté de survivre pour pouvoir témoigner. Est-ce que je résume bien ?

Marie-José Chombart de Lauwe

Oui, c'était important pour nous de témoigner car nous avons connu à Ravensbück les pires crimes contre l'humanité, en dehors de ce que nous subissions au quotidien, qui relevait déjà de crimes atroces contre la dignité de l'homme. Par la suite, les crimes contre l'humanité ont été définis au procès de Nuremberg.

Je voulais évoquer ici les crimes des médecins nazis. Dans notre baraque des Nacht und Nebel , il y avait des jeunes filles polonaises qui étaient victimes d'expérimentations médicales. Elles avaient de grandes plaies ouvertes du genou à la cheville, sur lesquelles les médecins testaient différents médicaments. Je ne peux pas raconter toute l'histoire. Les jeunes filles que nous avons côtoyées ont connu des souffrances atroces - certaines sont mortes pendant ces opérations, d'autres ont été exécutées -, mais quelques-unes ont été sauvées à la fin : certaines ont été changées de numéro [pour leur permettre d'échapper à ces traitements] , un groupe de prisonnières russes les a aidées, et les victimes ont pu témoigner de cette horreur. J'ai été témoin, lors du procès de Schuren, de l'évocation de l'expérience menée sur des petites filles tziganes qui ont été stérilisées. Le responsable d'ailleurs a admis avoir castré aussi des hommes : « C'étaient des tziganes » , disait-il... Voilà l'idéal nazi !

À la Fondation pour la mémoire de la Déportation, nous étudions l'application d'une telle doctrine dans les camps de concentration. C'est l'aboutissement le plus parfait de l'horreur nazie, de cette idéologie de haine de l'autre et de hiérarchie des races. C'est ce travail que nous poursuivons aujourd'hui pour faire comprendre où cette haine peut aboutir. C'était ma mission d'expliquer ce que nous avons subi.

Nous avons d'ailleurs, avec l'Amicale de Ravensbrück et l'ADIR, rédigé un ouvrage qui s'appelle Les Françaises à Ravensbrück 53 ( * ) , toutes tendances confondues, de Geneviève de Gaulle à Marie-Claude Vaillant-Couturier, une femme médecin y a aussi participé. Nous avons fait un travail méthodique, sérieux, fondé sur des témoignages vérifiés, pour poser cette base essentielle de notre expérience collective de ces crimes contre l'humanité. Ça, c'est un livre de femmes qui témoignent jusqu'au bout. [applaudissements]

Guy Krivopissko

Nous avons cinq minutes pour échanger avec la salle.

Lise Graff

Je suis résistante et alsacienne. J'ai travaillé pour l' Office of Strategic Services américain en Allemagne. Bilingue, je circulais comme je voulais puisque j'avais la nationalité allemande. On m'avait chargée de communiquer l'endroit où se trouvaient les défenses de l'armée allemande dans toutes les villes, pour les transmettre à l' OSS américain. J'ai été arrêtée et je suis passée en conseil de guerre devant M. Freisler, le même qui a condamné Sophie Scholl. J'ai par miracle échappé à la peine de mort, car je suis passée en jugement le 19 juillet 1944, la veille de l'attentat contre Hitler. À Berlin, en prison, j'ai rencontré une résistante française d'origine russe, emmenée par la suite à Plötzensee, dont on ne parle d'ailleurs jamais. C'était la prison d'exécution dans laquelle on décapitait les prisonnières, parmi lesquelles 225 Françaises. Je retourne souvent à Plötzensee pour y apporter des fleurs.

Guy Krivopissko

Merci infiniment. Y a-t-il un autre témoignage, ou des questions à nos anciennes résistantes ?

Charles Sancet

Je suis membre de la direction nationale de l'Association nationale des anciens combattants de la Résistance (ANACR) aux côtés de Mme Cécile Rol-Tanguy, et suis par ailleurs secrétaire général de l'association Libération Nationale PTT-ANACR. Je suis l'auteur d'un livre intitulé Les femmes des PTT et la Seconde Guerre Mondiale ; permettez-moi d'en dire deux mots. Dans cet ouvrage, j'ai voulu sortir de l'anonymat 224 postières, téléphonistes et télégraphistes de 83 départements, pour leur rendre hommage. 98 d'entre elles furent déportées, 24 ne revinrent pas - parmi celles-ci 6 Juives, gazées dès leur arrivée à Auschwitz, l'une d'elles avec sa petite fille de trois ans. J'ai d'ailleurs intitulé un des huit chapitres Femme regardée comme juive , en référence à l'article 1 er de la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs.

Il était nécessaire, 70 ans après, de faire connaître ce que fut le courage, l'héroïsme et l'efficacité de simples employées des PTT, dans un secteur qui était stratégique. Les communications et les transmissions de l'ennemi furent écoutées, des lettres de dénonciation de résistants furent interceptées, des liaisons avec les maquis furent assurées. Je n'ai pas oublié pour autant les grandes figures féminines de la Résistance dans les PTT, notamment Simone Michel-Lévy, l'une des six femmes Compagnons de la Libération.

En avant-propos de mon livre, j'ai cité une phrase d'une résistante du Doubs, Mathilde Filloz, âgée de bientôt 102 ans le 1 er juillet 2014. Au cours d'un colloque en 1984, elle avait déclaré : « Les femmes sont ainsi, elles ont fait des choses aussi belles, aussi grandes, aussi difficiles que les hommes, mais elles ne l'ont pas dit » .

Je terminerai par ces mots prononcés par Yvette Gueguen-Sibiril, résistante déportée des Côtes du Nord, qui disait : « Soyons fières de ce que les femmes ont fait durant cette période. Nous avons lutté avec notre sensibilité, avec notre coeur, mais aussi avec notre lucidité » . [applaudissements]

Marie-José Chombart de Lauwe

Simone Michèle-Lévy était une postière qui a joué un rôle essentiel. Elle avait été transférée au kommando d'Holleischen et, avec deux compagnes, elle a fait sauter une grosse machine qui a paralysé l'industrie allemande. Elles ont reçu une bastonnade publique, avant d'être pendues toutes les trois dans des conditions effroyables, avec un fil de fer.

Jacqueline Fleury

Yvette Gueguen-Sibiril était l'une de mes compagnes, et je l'ai parfaitement connue.

Guy Krivopissko

Pour une fois, j'étais le seul homme à la tribune au milieu de témoins extraordinaires... Je remercie les deux sénatrices et Corinna von List. Avant de passer à la troisième table ronde, je souhaiterais qu'on applaudisse une dernière fois, mais debout, les quatre résistantes !

[L'assistance se lève et applaudit]

Troisième table ronde :
La vie après la Résistance - L'engagement au service de la Cité

Présidence : Rose-Marie Antoine,
Directrice générale de l'Office national des Anciens Combattants et Victimes de Guerre

Intervenants :

Christine Bard

Professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers

Sabrina Tricaud

Docteure en histoire, chercheure associée au Centre d'Histoire de Sciences-Po

Laurence Cohen

Sénatrice du Val-de-Marne, groupe communiste, républicain et citoyen

Christiane Demontès

Sénatrice du Rhône, groupe socialiste

Alain Gournac

Sénateur des Yvelines, groupe de l'Union pour un Mouvement populaire

Françoise Laborde

Sénatrice de Haute-Garonne, groupe du Rassemblement démocratique et social européen

Joëlle Garriaud-Maylam

Sénatrice représentant les Français établis hors de France,
groupe de l'Union pour un Mouvement populaire

Une vidéo de Mmes Hélène Luc et Cécile Goldet, anciennes sénatrices, est projetée

1. Introduction : Rose-Marie Antoine, Directrice générale de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre

Je suis heureuse que la vidéo qui vient d'être projetée ait permis à Cécile Goldet, qui a été sénatrice de Paris de 1979 à 1986 et qui n'est malheureusement pas en mesure d'assister à ce colloque, d'être quand même présente parmi nous. Pour moi qui l'ai bien connue, c'est très émouvant de la revoir.

Nous abordons donc maintenant la dernière partie de ce colloque, consacrée à la vie après la Résistance, et plus particulièrement à l'engagement au service de la Cité qui caractérise un certain nombre de résistantes.

Pour certaines d'entre elles, cet engagement a commencé par la vie politique. Au niveau national tout d'abord, les résistantes ont indéniablement contribué à féminiser les premières assemblées élues après la guerre, alors même que, il faut le rappeler, elles ont voté pour la première fois en 1945 ! Pour d'autres anciennes résistantes, cet engagement politique a pris la voie de mandats locaux, qui se sont d'ailleurs poursuivis dans certains cas au Parlement, comme nous le verrons tout à l'heure.

Il faut bien reconnaître cependant que cette greffe n'a pas toujours bien pris, et que la féminisation des assemblées n'a pas été très durable. Je vous propose d'écouter ce que Lucie Aubrac déclarait sur ce sujet, de manière très éclairante, en 1975 :

« Je pense que la Résistance a entraîné une mutation profonde et radicale des mentalités et des motivations féminines. [...] Si, à la Libération, les assemblées comptaient un nombre important de femmes, ce nombre se dégrada vite. Le retour des structures politiques d'avant-guerre, les jeux fastidieux d'un parlementarisme formel et souvent courtisan, et - pourquoi pas - l'atavisme masculin réinstallé dans de vieilles formes de pensée, ont éloigné les femmes des représentations nationales.

Pourtant elles sont restées attentives aux problèmes du monde contemporain. Leur mutation qui les rend disponibles pour d'autres engagements a, entre autres, permis à une nouvelle génération de continuer ses conquêtes en partant d'un acquis irréversible 54 ( * ) » .

Je cède sans plus tarder la parole à Christine Bard, professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers, qui va poser la question des « oubliées de l'histoire », un sujet que les débats sur la féminisation du Panthéon ont inscrit ces derniers mois dans notre actualité.

2. Des oubliées de l'histoire ? (Christine Bard)

Christine Bard, professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers 55 ( * )

Quelle est la place mémorielle des sénatrices issues de la Résistance ?

Cernons d'abord un peu mieux ce groupe des conseillères de la République élues en décembre 1946, même s'il n'est pas perçu comme un « groupe » et que la nouveauté de la présence d'élues de sexe féminin n'est pas alors commentée 56 ( * ) .

Les conseillères de la République sont peu nombreuses et leur nombre chute rapidement. Elles sont 22 soit 7 % en 1946 57 ( * ) , puis 13 en 1948, 9 en 1952, soit 3 %.

Sur les 22 premières élues, 11 sont communistes. C'est le Parti communiste qui assure la meilleure représentation aux femmes, puisqu'elles sont 13 % des sénateurs communistes, 7 % pour les socialistes et 5 % pour le MRP (Mouvement républicain populaire). Quelle que soit leur couleur politique, elles sont spécialisées, pour les trois quarts de leurs interventions, dans les domaines perçus comme féminins : santé, famille, enfance, logement...

Rien ne paraît mémorable dans cet événement de l'entrée des femmes dans la Haute Assemblée. Si l'on suit le diagnostic établi par William Guéraiche dans sa thèse d'histoire sur L'évolution de la répartition du pouvoir entre les sexes 58 ( * ) , la Libération est un rendez-vous manqué. Très vite vont se dissiper les illusions, les espoirs que pouvaient avoir les résistants sur la création d'une société plus juste, plus égalitaire, plus démocratique, y compris dans sa conception et sa pratique des relations entre les sexes. L'explication se situe quelque part entre le poids de l'ordre politique genré et l'insuffisance de la mobilisation des Françaises pour leurs droits 59 ( * ) . Cinquante ans plus tard, la mobilisation pour la parité soulignera que les femmes parlementaires sont moins nombreuses qu'à la Libération, et l'on se souviendra que beaucoup de ces premières élues de la République étaient issues de la Résistance.

Plus de la moitié de ces femmes politiques sont résistantes. Et celles qui sont mises en avant dans les responsabilités sont toutes issues de la Résistance 60 ( * ) . La Résistance est un vivier essentiel du recrutement des femmes politiques à la Libération. Ce phénomène est bien connu aussi pour les hommes, mais il est accentué pour les femmes, qui ne sont pas seulement des « veuves de » ou des « filles de » résistants, mais bien des résistantes à part entière.

La trace mémorielle de ces résistantes est plutôt faible 61 ( * ) . Je proposerai ici une réflexion en deux temps : sur le caractère minoritaire du groupe qu'elles forment, puis sur ce qui a pu entraver ou au contraire encourager leur mémoire.

La sous-estimation est un phénomène bien connu en histoire des femmes. Il se vérifie pour la Résistance. Six femmes Compagnons de la Libération sur 1 059, 4 000 médaillées et moins de 15 % des CVR (Combattants Volontaires de la Résistance) 62 ( * ) . Et l'on tombe plus bas dans les index des livres sur la Résistance, autour de 2 ou 3 % : l'historiographie accentue gravement la discrimination.

Les mythologies de la Résistance conduisent en effet à minorer la part des femmes. C'est l'un des effets de l'emphase mise sur la lutte armée notamment. Il faut évidemment se demander qui écrit l'Histoire et quand. L'écriture de l'histoire est une forme de pouvoir, très inégalement partagé entre les sexes. Cela commence à changer dans les années 1970, avec une dynamique féministe qui crée le désir d'une autre histoire, par le bas, une histoire des oubliées de l'Histoire, justement 63 ( * ) . L'histoire orale se développe, le témoignage est réhabilité (comme source documentaire digne d'intérêt et même, dans bien des cas, essentielle). De nouveaux moyens techniques, tels que le magnétophone et la caméra vidéo, soutiennent le développement d'une histoire contemporaine dans laquelle les femmes existent. Nombre d'études auront alors à coeur de rendre justice aux oubliés de la Résistance : les femmes, mais aussi les étrangers et les Juifs, des deux sexes par exemple, comme le souligne Rita Thalmann, dans le premier numéro de la revue Clio en 1995 64 ( * ) .

Lucie Aubrac écrivait dans la préface au livre de l'historienne Margaret Collins-Weitz :

« Les Combattantes de l'ombre, j'aime ce titre car il veut dire aussi que, une fois la France libérée, la liberté retrouvée, les femmes ne se sont pas considérées comme des héroïnes. On ne connaît pas, chez toutes ces soeurs en résistance, d'association pour réclamer postes ou décorations au nom de leurs activités » 65 ( * ) .

Il est important de souligner ce fait : la subjectivation et la socialisation différenciée selon le sexe. La fameuse modestie féminine conduit bien des résistantes à se taire après la guerre sur leurs activités, à sous-estimer leur rôle, à négliger de demander une reconnaissance officielle de leur engagement. Cette sous-estimation féminine est un trait genré assez stable, mais renforcé par le contexte des années 1940. C'est, pour le féminisme, le « creux de la vague » 66 ( * ) . L'idéologie familialiste triomphe, associée à un ordre moral post-vichyste 67 ( * ) . Un large consensus se forme sur une conception très différentialiste des identités sexuées, des rôles des femmes et des hommes dans la société, d'où l'énorme scandale provoqué par Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, en 1949. C'est l'époque du baby-boom et des publicités qui montrent l'épouse au foyer, ceinte de son tablier de ménagère et attendant le retour du chef de famille. Après une période d'exception, la Résistance (qui a représenté une transgression pour les femmes, alors que le modèle viril d'engagement et de combat pouvait inviter au contraire les hommes à résister), le retour à l'ordre s'opère 68 ( * ) .

Essayons maintenant de comprendre les raisons de cet effacement des résistantes, en réfléchissant à ce qui fabrique la mémoire collective, expression finalement assez trompeuse, car il y a en réalité des mémoires plurielles, créées et diffusées par différents vecteurs mémoriels.

La mémoire institutionnelle est de peu de poids pour ces femmes. Il n'y a pas de mémoire du Sénat spécifiquement dédiée à ces résistantes. D'où l'intérêt de ce moment que nous vivons aujourd'hui, qui mêle le mémoriel et l'histoire. Notons tout de même que sans les fiches biographiques du Sénat, plusieurs de ces résistantes élues de la République seraient complètement absentes sur Internet 69 ( * ) . La mémoire institutionnelle peut aussi renvoyer aux honneurs de la République : la Légion d'Honneur par exemple. Mais l'Ordre est à sa manière sexiste, et ne s'intéresse à la promotion et à la visibilité de ses décorées que depuis peu 70 ( * ) .

Du côté de la mémoire nationale, le Panthéon capte l'attention. Deux résistantes et déportées viennent d'être distinguées : Germaine Tillion et Geneviève Anthonioz de Gaulle. Le geste est tardif : le Panthéon a été exclusivement masculin jusqu'en 1995, quand Marie Curie y est entrée. Le Panthéon donne une bonne idée du déficit mémoriel dont souffrent les femmes. On peut noter que la parité de la prochaine panthéonisation (deux femmes, deux hommes) ne tient pas compte du rattrapage mémoriel attendu par les féministes. Le choix exclusif de la Résistance a également déçu qui attendait la reconnaissance de l'apport du féminisme, en particulier à travers la figure d'Olympe de Gouges 71 ( * ) .

L'intégration dans la mémoire du mouvement ouvrier est une voie majeure en raison du poids des communistes à la Libération. Le Parti communiste, bien qu'il ne soit pas exempt de machisme, soutient assez systématiquement la cause des femmes. C'est bien le cas pour le suffrage féminin, défendu à la Commission de réforme de l'État à Alger par Fernand Grenier alors que seule l'éligibilité était proposée, en mars 1944. L'existence d'organisations féminines telles que l'Union des Jeunes Filles de France et l'Union des Femmes françaises (UFF) assure aux militantes communistes un rôle valorisé, même s'il est second. L'UFF se vit comme le fruit de la Résistance féminine, comme l'incarnation de la Résistance féminine, et c'est une organisation de masse. Avec ténacité, elle cultive la mémoire résistante, honorant notamment la figure de Danielle Casanova. Les 8 mars sont des occasions annuelles de le faire 72 ( * ) . C'est l'UFF qui a l'initiative du premier grand colloque sur les femmes dans la Résistance, qui a eu lieu à la Sorbonne en 1975 73 ( * ) . La Confédération générale du travail (CGT) relaie cette sensibilité particulière dans la commémoration du rôle des femmes dans la Résistance.

Citons aussi le rôle de Rolande Trempé, ancienne résistante et professeure d'histoire contemporaine (à l'Université de Toulouse le Mirail) et de sa doctorante, Marie-France Brive, qui a commencé une thèse sur l'histoire des femmes dans la Résistance 74 ( * ) . Citons aussi le film réalisé par Rolande Trempé : Résistantes, de l'ombre à la lumière 75 ( * ) . Enfin, citons toutes les recherches faites pour le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (conçu comme un lieu de mémoire par son fondateur, Jean Maitron) , qui assure, pour toutes ces femmes, résistantes et militantes, une place dans l'histoire et la mémoire.

Mais le vecteur mémoriel le plus efficace est celui qui a été développé par celles qui étaient les plus concernées par le devoir de mémoire et la nécessité de témoigner : les résistantes elles-mêmes, dans le domaine associatif qu'elles ont créé. Dès 1944, l'Amicale des prisonnières de la Résistance est constituée. Elle se fond dans l'Association des déportées et internées de la Résistance, dont les statuts sont déposés en 1945. Association féminine, elle veut « poursuivre la solidarité » qui avait uni ces femmes dans les prisons, les convois, les camps. L'immense majorité des survivantes a rejoint à un moment ou à un autre l'Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance, malgré les tensions politiques internes entre communistes et non communistes. En 2000, l'association a encore 660 cotisantes. Elle se dissout en 2006 après avoir donné ses archives à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine de Nanterre. Ces archives, la revue de l'association, les ouvrages réalisés sur l'univers concentrationnaire témoignent d'une activité qui a perduré, qui s'est renouvelée aussi, contre le négationnisme, le néonazisme, pour l'indemnisation des déportées victimes d'expérimentations pseudo médicales 76 ( * ) ... Le travail de préservation de la mémoire et de transmission accompli par l'ADIR est vraiment extraordinaire.

Spontanément, les résistantes sont souvent considérées comme féministes. C'est en réalité peu le cas dans cette génération et leur engagement n'est pas relié à la défense des droits des femmes en particulier. Sans nous attarder sur cette confusion, signalons tout de même qu'il y a bien des féministes parmi les résistantes et d'anciennes résistantes qui vont s'engager pour les droits des femmes.

Parmi les conseillères de la République en 1946, citons Marie-Hélène Lefaucheux, qui oeuvre pour des positions communes aux femmes élues. Citons aussi la première femme ministre, Germaine Poinso-Chapuis 77 ( * ) , qui n'a pas été sénatrice, mais députée et ministre en 1947-1948 78 ( * ) .

Oubliées de l'histoire ? La question méritait d'être posée, même si le sort mémoriel des résistantes n'est pas le moins enviable. Le test de popularité de la panthéonisation montre qu'elles comptent désormais parmi les « grands hommes » à l'égard desquels la patrie exprime sa reconnaissance. Les résistantes restent aussi dans la mémoire collective celles grâce à qui les Françaises sont devenues citoyennes, en 1944 (même si c'est un peu plus compliqué en réalité et si cette affirmation renvoie au néant l'histoire des luttes féministes pour le droit de vote) 79 ( * ) . Aujourd'hui la mémoire et l'histoire s'unissent pour intégrer ce passé dans notre temps présent. Comme le disait si bien Lucie Aubrac, « résister se conjugue toujours au présent » 80 ( * ) [applaudissements]

Rose-Marie Antoine

Merci, Christine Bard, de nous avoir retracé ces parcours mémoriels et de sortir de l'oubli ces femmes. Je voudrais à ce stade vous dire combien les femmes, en général, après la guerre, n'ont pas été très friandes de décorations et de reconnaissance de la Nation. J'en parle en connaissance de cause car en tant que directrice générale de l'ONAC, qui donne les titres de reconnaissance de la Nation, je dispose des chiffres et des informations qui m'amènent à tenir ces propos aujourd'hui. Il y a quelques mois j'ai reçu le président de l'Association des Médaillés de la Résistance, M. Lucien Duval, sur le point d'être décoré de la plus haute distinction, la Légion d'Honneur. Il m'a fait part d'une injustice envers son épouse, résistante pour laquelle aucune demande n'a jamais été présentée. Il m'a dit combien il aimerait, à leur âge avancé, qu'elle soit enfin reconnue.

Effectivement, nous avons examiné le cas de cette dame et nous sommes très vite rendu compte qu'elle avait effectivement été résistante, sans qu'aucune demande de reconnaissance n'ait été faite. Mais au moment où le dossier était complet, où elle devait recevoir la Légion d'Honneur, elle est morte, en décembre 2013, et son mari l'a suivie trois mois plus tard. Ce témoignage très émouvant montre qu'au soir de leur vie, certains hommes ont eu une pensée pour leur compagne, qui méritait aussi cette reconnaissance.

Je donne à présent la parole à Sabrina Tricaud, chercheure associée au Centre d'histoire de Sciences-Po, qui va nous présenter un portrait de groupe des sénatrices issues de la Résistance.

3. Portrait de groupe des sénatrices issues de la Résistance (Sabrina Tricaud)

Sabrina Tricaud, docteure en histoire, chercheure associée au Centre d'Histoire de Sciences-Po

« Après 1945, se souvient la sénatrice Yvonne Dumont témoignant auprès de l'historien William Guéraiche, les femmes sont devenues citoyennes. Elles ont changé ! Je me rappelle qu'on disait à un prisonnier de guerre qui revenait après cinq de captivité :

- Qu'est-ce que tu trouves le plus changé dans la France que tu retrouves ?

- C'est ma femme ! » 81 ( * )

De même qu'en 1919 la Chambre des Députés était bleu horizon, de même les assemblées constituantes de 1945-1946 et celles de la nouvelle République sont à l'horizon de l'Armée des Ombres. La participation à la Résistance est l'un des principaux aspects de la sélection du personnel politique à la Libération 82 ( * ) , et ce qui est vrai pour les hommes l'est davantage encore pour les femmes qui, ayant obtenu le droit de vote et d'éligibilité en 1944, entrent en politique. En 1946, une vingtaine de femmes siègent au Palais du Luxembourg. Elles représentent alors un peu plus de 6 % des sénateurs alors qu'elles sont aujourd'hui 23 %. Parmi elles, des figures emblématiques de la Résistance telles que Gilberte Brossolette ou Marie-Hélène Lefaucheux. Mais qui sont-elles, quels furent leurs parcours après la Résistance et quelle fut leur place au Sénat ?

Une progressive mise à l'écart des sénatrices résistantes

J'ai dénombré 22 sénatrices résistantes pour l'étude qui suit 83 ( * ) . Je précise que la définition retenue est restrictive car elle ne tient compte que des critères qu'on appelle officiels, c'est-à-dire les femmes qui sont décorées pour faits de résistance et/ou déportées, qui ont été membres de l'Assemblée consultative provisoire et/ou d'un comité de libération. Ce groupe a le mérite de représenter la métropole et l'Outre-mer, le Conseil de la République et le Sénat de la V ème République, et il couvre la période 1946-1995 84 ( * ) .

La majorité des sénatrices résistantes a siégé entre 1946 et 1948 85 ( * ) et jusqu'au début des années 1950, c'est-à-dire durant la Libération, période de forte féminisation du personnel politique avant que l'accès aux fonctions électives, et ce à tous les échelons, ne se referme.

Après la Libération, les femmes sont progressivement refoulées hors du système républicain, avant une nouvelle phase de féminisation de la vie politique à partir des années 1970 86 ( * ) . Le Sénat, bastion antiféministe sous la III ème République, n'échappe pas à la règle. Les femmes y sont peu nombreuses puisque jusqu'à la génération de la parité, dans les années 2000, il y a moins de 5 % de femmes au Sénat. Cependant, la génération des sénatrices résistantes s'installe durablement au Sénat. Gilberte Brossolette et Yvette Dumont y ont siégé pendant toute la IV ème République, tandis que Marie-Hélène Cardot a marqué le paysage de la Haute assemblée durant 25 ans, de 1946 à 1971. Elle est ainsi devenue la « sainte du palais », selon l'expression d'Alain Poher 87 ( * ) .

La chronologie influe également sur la couleur politique des sénatrices résistantes. La plupart sont de gauche : communistes (12 sur 22 soit 54 % des sénatrices résistantes) et socialistes (18 % des sénatrices résistantes). Cela n'est pas propre au Sénat, puisque depuis 1945 ce sont les partis de gauche, à l'époque SFIO et PCF, ainsi que le parti démocrate-chrétien MRP, qui favorisent le plus la promotion des femmes. Donc la majorité des femmes parlementaires, à l'Assemblée comme au Sénat, sont issues de ces trois partis. J'ajoute que la prépondérance de la gauche est toujours valable aujourd'hui puisque la majorité des sénatrices actuelles sont membres du parti communiste, du parti socialiste et du groupe écologiste.

Le profil socio-professionnel des sénatrices résistantes reflète cet ancrage politique à gauche : elles sont enseignantes, en particulier institutrices, employées (employées de bureau notamment), journalistes... Ces professions sont l'une des caractéristiques des femmes parlementaires en général qui les distinguent de leurs collègues masculins. Les hommes sont avocats ou médecins, les femmes institutrices. En revanche, leur parcours politique présente de nombreux points communs avec ceux de leurs homologues masculins.

De longs parcours politiques

L'engagement dans la sphère publique ne commence pas, pour nombre de sénatrices résistantes, avec la Résistance. Plusieurs femmes, et souvent les élues communistes, militaient déjà avant-guerre au Parti communiste, dans des syndicats, des associations ou des mouvements de jeunesse. Quelques exemples : Juliette Dubois a milité à l'Union des Jeunes Filles de France, dont est également issue Hélène Édeline, Mireille Dumont a participé au Comité mondial des femmes contre le fascisme, Maria Pacaut a été membre du Syndicat national des instituteurs, Claire Saunier de la CGT, Alice Brisset était membre du PCF dès le Congrès de Tours et a été secrétaire de la Fédération communiste de Seine-et-Oise dans l'entre-deux-guerres (en 1923-1924).

De fait, l'engagement résistant, en politique puis à la Libération, s'inscrit dans la continuité d'un militantisme d'avant-guerre qui leur a servi de formation politique.

Les sénatrices résistantes sont aussi des femmes d'appareil et des élues de terrain. Beaucoup exercent des responsabilités locales, voire nationales, au sein de leur parti politique, de longues années durant. Par exemple, Brigitte Gros a relaté dans Véronique dans l'appareil ses déboires dans les arcanes du parti radical, dont elle fut vice-présidente. Elle montre aussi dans cet ouvrage 88 ( * ) combien la fidélité partisane n'est pas toujours récompensée par les hommes. La preuve en est que plusieurs sénatrices résistantes sont entrées au Sénat en remplacement d'un homme - par exemple Hélène Édeline, Brigitte Gros ou Françoise Seligmann - mais lors du renouvellement suivant elles n'obtinrent pas nécessairement l'investiture de leur parti.

La majorité des sénatrices résistantes disposent en outre d'un fort ancrage local : 72 % du groupe ont en effet un mandat de maire ou de conseillère générale et/ou de conseillère municipale et générale. Les exemples les plus connus sont ceux de Brigitte Gros, qui a été maire de Meulan de 1965 à 1985, et de Nicole de Hauteclocque, qui a été membre du Conseil de Paris de 1947 à 1989 et qui l'a même présidé en 1972-1973. Cet enracinement local est souvent antérieur à leur élection au Sénat. Dans ce cas, l'entrée au Palais du Luxembourg s'inscrit dans un parcours politique dit classique qui conduit les femmes des mandats locaux aux mandats nationaux de la IV ème et de la V ème Républiques 89 ( * ) . D'ailleurs, six sénatrices résistantes avaient exercé auparavant un mandat de députée 90 ( * ) .

À l'inverse, pour certaines, le mandat de sénatrice n'a constitué qu'une étape dans leur carrière politique qui s'est poursuivie dans d'autres assemblées, par exemple à l'Assemblée de l'Union Française pour Marie-Hélène Lefaucheux et Eugénie Eboué-Tell, ou bien tout simplement dans leur circonscription.

De fait, la vie politique des sénatrices résistantes, en dépit même de la fermeture du système républicain après la Libération, fut relativement longue.

La place des sénatrices résistantes au Palais du Luxembourg

Dès leur entrée au Palais du Luxembourg, les sénatrices résistantes y occupent une place importante. Gilberte Brossolette fut, selon ses propres termes, « bombardée » 91 ( * ) à la vice-présidence du Conseil de la République en 1946, de même que Marie-Hélène Cardot, qui occupe ces fonctions pendant dix ans, de 1959 à 1971. Elles ont de fait présidé de nombreuses séances parlementaires 92 ( * ) . Néanmoins, à l'exception de ces figures emblématiques, la place des sénatrices résistantes au Bureau du Sénat et dans les commissions est à l'image de leur place au Palais du Luxembourg : minoritaire 93 ( * ) . Trois résistantes (soit 18 % du groupe) furent secrétaires du Bureau du Sénat sous la IV ème et la V ème République, et seule Marie-Hélène Cardot a présidé une commission, celle des pensions, de 1956 à 1958. Elle a également été vice-présidente à plusieurs reprises de la commission des affaires sociales.

Dans les commissions parlementaires, les sénatrices issues de la Résistance sont largement cantonnées dans les secteurs qui reproduisent la division sexuée du travail ou les secteurs prétendument féminins : la plupart des sénatrices résistantes ont siégé aux commissions de la famille et/ou des affaires sociales (11 sur 22, soit la moitié), ainsi qu'aux commissions des affaires culturelles et de l'éducation (8 sur 22, soit 36 %) 94 ( * ) ... Là encore, le parallèle avec les sénatrices de 2014 est éclairant : il y a aujourd'hui 81 sénatrices, soit 23,4 % des sénateurs. Elles sont 25 à siéger à la commission des affaires sociales et 17 à celle de la culture, de l'éducation et de la communication. L'actuelle commission des affaires sociales est la plus féminisée, avec 25 femmes sur 57 membres. On pourrait faire la même étude à l'Assemblée nationale et on constaterait les mêmes données.

Les interventions des sénatrices résistantes, leurs propositions de lois et de résolution, traduisent également cette répartition sexuée des commissions. On peut en dresser une typologie en trois catégories.

Première catégorie : les élues qui ont siégé au Conseil de la République des débuts de la IV ème jusqu'aux années 1950 sont principalement intervenues dans ce qu'on pourrait appeler la « gestion des séquelles » de la Résistance, c'est-à-dire qu'elles interviennent sur tous les sujets relatifs à la défense des anciens combattants et des victimes de la guerre, au statut des internés et des déportés, aux pensions, à l'aide aux veuves et aux orphelins, etc. 95 ( * ) . Un débat symptomatique de cet engagement des sénatrices résistantes est celui qui a lieu le 21 décembre 1950 à propos de la loi d'amnistie. Les échanges sont particulièrement vifs, et les sénatrices résistantes y participent avec véhémence. La communiste Yvonne Dumont injurie l'orateur Georges Laffargue, ce qui lui vaut un rappel à l'ordre assez sec du président de séance. Marie-Hélène Cardot prend la parole pour défendre la loi d'amnistie : « Avec toute mon âme de croyante, de veuve d'un chef de maquis tué en 1943 par un traître auquel, malgré ma douleur, j'ai pardonné, je voudrais vous dire toute la satisfaction éprouvée, quand justement le Parlement s'est décidé à accorder sa clémence ». La sénatrice Mireille Dumont l'interrompt : « Ils n'ont pas eu pitié de leurs victimes ! ». Ce débat 96 ( * ) fut sans doute l'un de ceux dans lesquels les résistantes sont le plus intervenues.

La deuxième catégorie concerne les interventions relatives à tous les sujets liés à leur profession ou à leur circonscription : par exemple les élues d'outre-mer interviennent principalement sur les questions ultramarines, les enseignantes sur les questions scolaires.

Enfin, les sénatrices résistantes interviennent pour défendre le sort des femmes, des enfants, de la famille. Renée Dervaux - j'y suis particulièrement sensible en tant que mère de famille nombreuse - a déposé en 1968 une proposition de loi tendant à permettre aux mères de famille de déduire les frais de garde d'enfants de leurs impôts 97 ( * ) . Les deux sénatrices qui siégeaient lors des débats sur la réforme des régimes matrimoniaux en 1965 et sur la loi Neuwirth en 1967 (il s'agit de Marie-Hélène Lefaucheux et de Renée Dervaux) ont voté pour ces deux textes.

L'engagement féministe, pour rebondir sur ce que disait Christine Bard, est souvent lié à l'engagement résistant et, plus largement, à l'entrée en politique. Le cas le plus emblématique est celui de Marie-Hélène Lefaucheux, qui présida le Conseil national des femmes françaises de 1954 à 1964 et qui fut présidente de la commission de la condition de la femme aux Nations-Unies.

Pour conclure ce portait de groupe, je dirai que les sénatrices résistantes présentent bien des points communs avec nos actuelles sénatrices, ainsi qu'avec les autres femmes parlementaires, hier comme aujourd'hui.

Si la participation à la Résistance ne fut pas toujours à l'origine de l'engagement politique de ces femmes, elle les a profondément marquées et a indubitablement influencé leur parcours et leurs choix politiques, leurs participations aux débats.

Gilberte Brossolette, qui fut la première femme à présider une séance au Sénat, et même la première à y prendre la parole, le résume. Après qu'elle a lu le discours du Président Auguste Champetiers de Ribes qui, alité, ne put prononcer l'allocution d'ouverture de la première session du Conseil de la République, Léon Blum, la croisant dans les couloirs, s'exclame : « Mon Dieu ! Que vous avez eu de l'enthousiasme et de la flamme pour lire ce discours [...]. C'était extraordinaire ». Gilberte Brossolette lui répond : « Mais c'est parce que le discours était sur la Résistance. » Et d'ajouter : « Je n'ai pas voulu lui dire que c'était parce que j'étais une femme. » 98 ( * ) [applaudissements]

Rose-Marie Antoine

Merci pour ce portrait de groupe très vivant et complet ! Nous allons entendre maintenant trois sénatrices et un sénateur de la délégation aux droits des femmes nous présenter quatre portraits de sénatrices issues de la Résistance. Ils ont choisi ces personnalités en fonction des affinités politiques ou locales qui les rapprochent. Je donne donc sans plus tarder la parole à Laurence Cohen, sénatrice du Val-de-Marne, membre du groupe communiste républicain et citoyen, qui va nous présenter Hélène Édeline.

4. Quatre portraits de sénatrices issues de la Résistance
a) Laurence Cohen, sénatrice du Val-de-Marne, présente Hélène Édeline

J'ai choisi pour ma part de vous présenter l'action au Sénat d'Hélène Édeline, résistante communiste, femme politique reconnue, qui a siégé dans notre assemblée de 1975 à 1979.

Ce choix tient pour beaucoup à une proximité locale, mais également à une grande admiration envers une femme au parcours peu commun. Justice sociale, égalité, solidarité, étaient des valeurs qu'elle avait solidement chevillées au corps et au coeur. Hélène Édeline a inauguré une tradition de femmes maires à Gentilly qui perdure encore, et j'en profite pour saluer la présence dans cette salle de Patricia Tordjman, maire brillamment réélue aux dernières municipales.

Mon choix tient aussi à la forte personnalité d'Hélène Édeline. Quiconque l'avait rencontrée - et j'ai eu cette chance - demeurait très impressionné par son charisme exceptionnel, son esprit libre et par la force de son caractère, symbolisés pour une part par cette habitude, peu commune pour une femme dans les années 1970, de fumer le cigarillo !

Femme politique d'envergure, elle savait rester très proche des gens qu'elle aimait et qu'elle défendait avec un pouvoir de conviction redoutable. C'était une femme de parole et d'action aussi, comme en témoignent sa vie et son action dans la Résistance.

Hélène Édeline est née en décembre 1919 à Paris. Son éveil à la politique remonte au Front populaire : elle avait 17 ans seulement. Elle adhère au Parti communiste en 1938, se fait rapidement remarquer et devient secrétaire de l'Union des Jeunes Filles de France, comité créé par le Parti communiste qui deviendra un vivier de résistantes, parmi lesquelles Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier, dont Hélène Édeline était très proche. C'est d'ailleurs Marie-Claude Vaillant-Couturier qui lui remettra en 1987 la Légion d'Honneur pour son action dans la Résistance. Je trouve très émouvant que Patricia Tordjman nous ait apporté le discours prononcé à cette occasion.

Quand le PCF est interdit en septembre 1939, Hélène Édeline participe dans la clandestinité à la rédaction et à l'impression de tracts et de journaux.

En 1940, l'imprimerie clandestine où elle opère est découverte, son chef de réseau est arrêté et guillotiné à la prison de la Santé. La surveillance de la police oblige Hélène Édeline à fuir. Elle rejoint alors l'État-major des FTP comme agent de liaison de Waldeck L'Huillier et de Charles Tillon. Elle assure les contacts notamment avec le réseau Manouchian, rendu célèbre par l'affaire de l'Affiche rouge. En 1944, au moment des combats de la Libération, Hélène Édeline assure la liaison avec le poste de commandement du colonel Rol-Tanguy.

Après la guerre commence pour elle un parcours d'élue locale : elle siège au conseil général de la Seine à partir de 1953 où elle s'occupe des finances, ce qui est peu commun pour une femme, encore aujourd'hui hélas. Puis elle devient maire de Gentilly en 1962. Lui succédera à la mairie Carmen Leroux, autre femme gentilléenne d'envergure.

Hélène Édeline devient sénatrice en mai 1975 au décès de Louis Talamoni. À l'expiration de son court mandat, en octobre 1977, elle choisit de ne pas se représenter. Je dis bien : elle choisit ! C'est un élément notable qu'il convient de souligner : elle était convaincue que la vie politique doit être l'affaire de toutes et tous et qu'il faut une rotation des responsabilités comme des mandats électifs afin de laisser la place à d'autres. Et ce n'est pas un homme qui lui succède, mais Hélène Luc.

Le court mandat d'Hélène Édeline au Sénat n'empêche pas un bilan très riche. Elle siège à la commission des affaires culturelles et exprime à de multiples reprises ses convictions en faveur de l'éducation populaire, notamment lors de la discussion d'une question orale sur la politique de l'édition et de la culture en novembre 1975. Défendant la conviction que la culture n'est « ni une marchandise ni un luxe » , elle s'insurge à chaque discussion budgétaire contre les carences des crédits du ministère de la culture. Ses critiques de l'insuffisance des budgets de l'Éducation nationale sont très argumentées et plongent leurs racines dans une expérience vécue, son mari, Albert Édeline, étant enseignant et directeur de centres de vacances. Elle soutiendra avec une conviction comparable la nécessaire démocratisation de l'enseignement.

De manière naturelle, les droits des femmes sont également un sujet qui lui tient à coeur, et c'est un autre point commun entre nous. En juin 1977, lors de la discussion d'une question orale sur le droit au travail des femmes 99 ( * ) - tout un programme à l'époque ! - Hélène Édeline dénonce des salaires trop bas, le manque d'accès aux formations et les licenciements fréquents, encouragés par l'argument du « salaire d'appoint » 100 ( * ) . Elle déplore une « campagne tantôt insidieuse, tantôt ouverte, incitant les femmes à demeurer au foyer » .

Au cours du même débat, elle passe de manière assez visionnaire des questions relatives au travail des femmes à la problématique des représentations des rôles de l'homme et de la femme, de la mère et du père. Elle remarque par exemple que personne ne s'étonne des aptitudes d'une femme seule à élever ses enfants, alors qu' « on invitera le père veuf ou célibataire à se décharger de cette tâche impossible à remplir par lui » . « Pourquoi une telle différence ? » s'interroge-t-elle 101 ( * ) .

Ces propos paraissent très actuels aujourd'hui, pour les membres de la délégation aux droits des femmes dont je fais partie. L'influence déterminante, et démontrée, des stéréotypes masculins et féminins sur la persistance des inégalités entre hommes et femmes fait en effet partie de nos préoccupations constantes.

Enfin, le travail législatif accompli par Hélène Édeline porte la marque (cela semble naturel d'ailleurs) de son passé de résistante. Le 30 juin 1977, elle intervient lors de la discussion d'une proposition de loi tendant à abaisser à 55 ans l'âge de la retraite pour les anciens déportés et internés (c'est Simone Veil qui représente le Gouvernement au banc des ministres).

L'engagement d'Hélène Édeline en faveur des déportés fait écho à celui d'une ancienne élue communiste, membre du Conseil de la République, Germaine Pican, elle-même résistante et déportée à Auschwitz et à Ravensbrück - en même temps qu'une autre résistante célèbre, Charlotte Delbo.

Germaine Pican, à la même tribune du Sénat, s'était exprimée plusieurs fois pour défendre les droits des déportés et internés de la Résistance, entre 1946 et 1948, à une époque où se mettait en place leur statut. Ce qui ressort de la lecture des débats des années 1940, c'est que Germaine Pican défendait les droits des anciens déportés sans jamais évoquer sa propre expérience des camps.

Hélène Édeline partage avec Germaine Pican cette humilité, cette modestie, cette discrétion, disons même cette pudeur, puisqu'au cours de ce débat de 1977 précédemment évoqué, elle loue « ces hommes et ces femmes qui ont participé à la grandeur et à I`honneur de la France » , sans jamais mentionner son propre engagement dans la Résistance.

Je suis très heureuse d'avoir pu partager avec vous aujourd'hui, même brièvement, cette évocation d'une femme politique que j'ai beaucoup admirée et sur laquelle des recherches plus importantes mériteraient à mon avis d'être conduites.

Je termine en saluant très chaleureusement France Tellio, sa fille, qui nous fait aujourd'hui l'honneur d'être présente parmi nous. [applaudissements]

Rose-Marie Antoine

Christiane Demontès, sénatrice du Rhône, vice-Présidente du Sénat, membre du groupe socialiste, va nous présenter Françoise Seligmann.

b) Christiane Demontès, sénatrice du Rhône, présente Françoise Seligmann

Pour ma part, c'est Françoise Seligmann dont j'ai choisi d'évoquer l'action aujourd'hui.

Son parcours exemplaire au Parti socialiste et son engagement inlassable en faveur des droits de l'Homme m'ont donné envie de vous parler d'elle. J'ai aussi fait ce choix parce que j'ai eu l'occasion de rencontrer et de côtoyer Françoise Seligmann dans les instances du Parti socialiste - j'étais une jeune militante, elle avait l'âge de ma mère : sa force de conviction et sa générosité, jointes à un humour contagieux et à une ironie certaine, m'ont beaucoup marquée, comme d'ailleurs tous ceux qui l'ont approchée...

Françoise Jullien (c'était son nom de jeune fille : Seligmann est le nom de son mari, François-Gérard Seligmann, marchand d'art et résistant, rencontré pendant l'Occupation) est née à Marseille le 9 juin 1919. Au début de l'Occupation (elle a alors 21 ans), son père, qui vit à Casablanca où il s'est remarié, lui propose de le rejoindre et de ne pas rester (je cite ses mots) auprès de sa « juive de mère ». Françoise refuse. Contrainte d'abandonner ses études, elle commence une carrière d'assistante sociale et se spécialise dans l'enfance délinquante.

Dès 1941, elle participe à la mise en place d'une filière d'évasion vers la Suisse et permet à de nombreux Juifs de fuir la France. Elle conduit parfois elle-même ces proscrits vers la frontière. Au sein du mouvement « Combat », elle s'occupe du service social, comme d'ailleurs d'autres nombreuses femmes résistantes, ce qui signifie qu'elle vient en aide aux résistants et à leurs familles, par exemple pour fournir de faux papiers - on en a eu des témoignages tout à l'heure - et pour trouver des lieux d'hébergement et de repli pour les fugitifs. Elle travaille également pour le NAP (Noyautage des administrations publiques), organisation du mouvement « Combat » créée pour infiltrer les administrations de Vichy.

Elle travaille aussi, à partir de 1943, pour les Mouvements Unis de la Résistance (MUR), qui résultent de la réorganisation des grands réseaux souhaitée par Jean Moulin. Elle participe même à des évasions, armes à la main : elle fait en particulier partie, en janvier 1944, des résistants qui libèrent Yvette Bernard de la prison de Blois.

Bien des années plus tard, elle écrira l'histoire de son engagement dans la Résistance sous le titre Liberté, quand tu nous tiens 102 ( * ) . « Je ne fais pas de passéisme , dira-t-elle, je soutiens que pour construire l'histoire de demain, il ne faut pas oublier celle d'hier. » 103 ( * )

Au titre de son action de résistante, elle a reçu la médaille de la Résistance et la Légion d'Honneur. Elle sera aussi commandeur de l'Ordre national du Mérite et de l'Ordre des Arts et des Lettres.

J'en viens à un autre aspect très important des combats de Françoise Seligmann : les droits de l'Homme. Opposée catégoriquement au colonialisme, elle mène campagne contre la torture en Algérie avec la Ligue des Droits de l'homme, à laquelle elle adhère dès 1949. Ce combat, elle le partage avec d'autres anciennes résistantes comme Germaine Tillion et Marie-José Chombart de Lauwe, ici présente et que je salue.

Cet engagement pour les droits de l'Homme a été le fil conducteur de toute la vie de Françoise Seligmann. Le prix Seligmann a été créé en 2004 pour récompenser les ouvrages dénonçant le racisme sous toutes ses formes, en mémoire du combat contre l'occupant nazi qu'elle partagea avec son mari. En 2006 a été créée la Fondation Seligmann, dont des représentants sont parmi nous aujourd'hui et que je salue.

Bien sûr, Françoise Seligmann est aussi une femme politique. À la fin des années 1950, elle est très proche de Pierre Mendès-France qui lui confie le secrétariat national de l'Union des forces démocratiques. En 1974, elle rejoint le Parti socialiste où elle côtoie François Mitterrand. Elle y exerce d'importantes responsabilités. Pendant les années au cours desquelles la gauche est écartée du pouvoir, elle contribue à théoriser le rôle de l'opposition et manifeste dans ce domaine une exigence et un refus de toute complaisance particulièrement stimulants. Je l'ai fréquentée à cette époque : je me souviens d'une femme très déterminée, impressionnante et intimidante !

En 1992, Françoise Seligmann entre au Sénat à la suite du décès de Robert Pontillon. La nouvelle sénatrice des Hauts-de-Seine siège d'abord à la commission des affaires culturelles, puis à la commission des lois.

Au cours de ce bref mandat, de mars 1992 à septembre 1995 (lors du renouvellement de 1995, elle ne sera pas investie mais laissera sa place à un homme), deux thèmes émergent plus particulièrement parmi ceux qu'a défendus Françoise Seligmann au Sénat.

D'abord, le thème de l'ouverture à l'étranger et de l'immigration. Elle intervient ainsi en juin 1993, pendant la discussion de la future loi du 23 juillet 1993 réformant le code de la nationalité. Elle souligne 104 ( * ) l'apport à notre pays de « tous les enfants des Juifs d'Europe centrale échappés de leurs ghettos, comme ceux des manoeuvres italiens, espagnols ou polonais, accueillis et formés dans notre école publique et laïque » . Elle dénonce la « sclérose culturelle » qui ne manquerait pas de résulter pour la France d'une fermeture de ses frontières à de nouveaux migrants. « Toucher au code de la nationalité, dit-elle, c'est toucher à l'histoire de France » . L'actualité nous conforte dans son combat...

Il est clair que ce que l'on sait de sa famille et de sa vie au moment de la guerre a directement inspiré cette prise de position hostile à toute remise en cause de la tradition d'ouverture de notre pays. L'immigration est pour elle un élément de l'identité française ; la citoyenneté doit intégrer l'immigration.

Un autre aspect de ses convictions s'exprime tout naturellement dans le cadre de son mandat : son féminisme.

C'est peu connu, mais en 1946, Françoise Seligmann avait lancé La Française , un journal féministe auquel contribuait, entre autres, Albert Camus, mais qui n'aura pas le même succès ni la même longévité que Elle , créé la même année...

Au Sénat, ses convictions féministes sont un élément important de son activité de parlementaire si l'on en juge par le dépôt, en décembre 1992, d'une proposition de loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et tendant à dépénaliser l'auto-avortement. Dans le même esprit, elle pose une question orale sur la situation des centres d'IVG et s'indigne du manque de moyens auxquels ces derniers sont confrontés. Elle considère que ces centres ont « démontré, par leur action, combien leur existence est indispensable et, dans bien des cas, salutaire si l'on songe à ce fléau sanitaire, social, humain, que constituaient, dans le passé, les avortements clandestins » 105 ( * ) . Le manque de moyens de ces centres est, hélas, aujourd'hui encore, un sujet de préoccupation et d'actualité pour la délégation aux droits des femmes.

En mai 1994, Françoise Seligmann est l'auteure d'une autre proposition de loi pour une meilleure répartition des fonctions électives entre les hommes et les femmes 106 ( * ) , autre domaine dans lequel la délégation aux droits des femmes exerce une particulière vigilance. Et d'ailleurs, ce texte ne sera jamais inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée...

Françoise Seligmann meurt le 27 février 2013. Celle que le Nouvel Observateur avait surnommée la « vieille dame indignée de la gauche française » 107 ( * ) décède le même jour qu'un autre résistant illustre, lui aussi indigné célèbre, Stéphane Hessel. [applaudissements]

Rose-Marie Antoine

M. Alain Gournac, sénateur des Yvelines, membre du groupe UMP, va maintenant nous présenter Nicole de Hauteclocque.

c) Alain Gournac, sénateur des Yvelines, présente Nicole de Hauteclocque

J'espère que vous allez accepter la présence d'un homme à cette tribune !

[Mme Rose-Marie Antoine accueille Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports.]

Je suis vice-président de la délégation aux droits des femmes et je vais à mon tour vous parler d'une grande résistante, Nicole de Hauteclocque - son nom a déjà été mentionné tout à l'heure -, une grande dame dont j'ai souhaité évoquer le parcours aujourd'hui, non seulement en raison de nos affinités gaullistes mais surtout de son destin exceptionnel.

Quelles ont été les principales étapes de sa vie et ses activités dans la Résistance ?

Nicole de Saint-Denis est née en 1913, dans la Meuse. Elle est la fille du colonel de Saint-Denis, ancien de la guerre de 1914-1918. Elle passe sa jeunesse à Copenhague puis à Stockholm où son père est attaché militaire. Elle revient ensuite en France passer son baccalauréat.

En 1932, elle épouse le sous-lieutenant Pierre de Hauteclocque, qui est le cousin de Philippe de Hauteclocque, futur Maréchal Leclerc. Dès 1940, son mari rejoint le Général de Gaulle. La même année, Nicole de Hauteclocque entre dans la Résistance par l'intermédiaire du colonel Roulier, qui sera connu sous le pseudonyme de « colonel Rémy ». Elle est chargée de lui fournir des renseignements et de servir de « boîte aux lettres » au réseau dont il est le chef, la Confrérie Notre-Dame. Ce réseau, appelé ensuite CND-Castille, est l'un des premiers réseaux de renseignements du BCRA, (Bureau Central de Renseignement et d'Action) créé par le Général de Gaulle.

À partir de 1943, Nicole de Hauteclocque se spécialise en quelque sorte dans le secteur « radio » de la Résistance. Elle chiffre des messages et prête son appartement pour des tentatives d'émission radiophonique vers Londres. Il s'agissait, vous vous en doutez, d'une tâche très exposée et particulièrement dangereuse car les Allemands étaient parvenus à repérer assez facilement les sources émettrices. De fait, en juin 1943, son contact, dit « Jacot » est arrêté. Nicole de Hauteclocque échappe elle-même de justesse à l'arrestation. À la fin de 1943, une nouvelle vague d'arrestations fait sombrer la Confrérie Notre-Dame. Le danger est grand pour Nicole de Hauteclocque, car certains agents connaissent sa véritable identité. Mais malgré une visite et quelques appels téléphoniques de la Gestapo, elle n'est pas arrêtée.

Au moment de la Libération de Paris, elle retrouve le colonel Rémy et prend une part active aux combats. Elle est alors affectée aux services sociaux du BCRA, devenu DGER (Direction générale des études et des recherches) 108 ( * ) .

Elle déclarera plus tard au sujet de son engagement résistant : « On parle de bon choix aujourd'hui. Pour moi, la Résistance était le seul choix possible » .

Son courage est récompensé par la Légion d'Honneur à titre militaire. La proposition de citation la qualifie de « Française magnifique ayant rallié la cause de la Résistance aux temps les plus sombres » et la considère comme un « exemple splendide de patriotisme et de résolution » . 109 ( * )

Après la guerre, elle est promue capitaine honoraire de l'armée française, du fait notamment de sa participation aux combats de la Libération. Plusieurs autres décorations ont récompensé son engagement : la Croix de guerre, la Rosette de la Résistance et la Médaille de la France Libre. Fait original et particulièrement émouvant, c'est elle, Nicole de Hauteclocque, qui remet la Croix de guerre à ses parents, eux-mêmes actifs dans la Résistance.

J'en viens à son action politique.

Son engagement politique, il faut le souligner, est étroitement lié à son passé de résistante. En 1947, elle s'inscrit sur une liste municipale à la demande du général de Gaulle et commence sa carrière politique comme élue RPF du XV ème arrondissement de Paris. Elle déclarera à ce sujet : « Il est évident que ma vie politique, débutée au RPF en 1947, a été la suite toute naturelle de ma vie de résistante et de gaulliste » 110 ( * ) .

Elle est vice-présidente du Conseil général de la Seine en 1949-1950 puis du Conseil de Paris en 1954-1955 et en 1962-1963. Elle sera d'ailleurs la première femme à présider ce conseil, en 1972-73.

Quels ont été ses thèmes de prédilection en tant que parlementaire, à l'Assemblée nationale où elle a siégé de 1962 à 1986, puis au Sénat dont elle a été membre de 1986 à sa mort, en 1993 ?

Nicole de Hauteclocque montre beaucoup d'intérêt pour les questions sociales. Le 29 octobre 1965, elle pose ainsi une question orale sur les difficultés à se loger des femmes seules, insistant sur les inégalités de salaire - on peut encore en parler - entre les femmes et les hommes 111 ( * ) . Fait particulièrement remarquable, elle s'intéresse à l'intégration des personnes handicapées dans le monde du travail dès 1971, quatre ans avant la grande loi fondatrice de 1975, preuve d'une constante préoccupation de la dignité humaine. Pour elle, l'entrée des handicapés dans le monde du travail est « une condition déterminante pour leur équilibre psychologique, et leur insertion dans la société est un facteur indispensable, non seulement pour l'économie nationale, mais surtout pour la dignité de ceux qui sont concernés » 112 ( * ) . Ces propos font honneur à celle qui les a prononcés.

Enfin, le problème du manque de moyens des forces de l'ordre fait partie des questions qu'elle a le plus souvent débattues dans sa vie de parlementaire. En novembre 1982, elle réclame une « loi de programme, pour que la Nation consente l'effort nécessaire pour la police, donc pour la sécurité de ses citoyens » 113 ( * ) .

Élue au Sénat en 1986, Nicole de Hauteclocque siège à la commission des Affaires étrangères. En 1988, au lendemain de la période de cohabitation, elle dénonce l'insuffisance de la réaction du Gouvernement français à la violation des droits de l'homme par le régime communiste finissant de Ceausescu 114 ( * ) .

Nicole de Hauteclocque s'éteint en 1993, après plus de quarante-cinq ans dédiés à la vie politique, mais avant tout au service de notre pays.

Rose-Marie Antoine

Nous terminons cette séquence avec Françoise Laborde, sénatrice de la Haute-Garonne, qui va nous présenter Brigitte Gros.

d) Françoise Laborde, sénatrice de la Haute-Garonne, présente Brigitte Gros

C'est Brigitte Gros que j'ai pour ma part choisi de vous présenter cet après-midi.

Brigitte Gros a siégé au Sénat de 1973 à sa mort, en 1985. Elle a été membre du groupe de la Gauche démocratique dont est issu le groupe du Rassemblement démocratique social et européen auquel j'appartiens. Elle a également siégé parmi les non-inscrits après quelques mois au groupe socialiste, mais nous retiendrons aujourd'hui, si vous le voulez bien, la Gauche démocratique!

Quelques éléments, tout d'abord, de biographie, avant d'évoquer une carrière politique bien remplie. Née Servan-Schreiber, Brigitte Gros appartient à une famille dont le rôle éminent dans le journalisme ne se commente plus. Elle est une jeune résistante, puisque dès l'âge de 18 ans, en 1943, elle devient agent de liaison dans les maquis de l'Ain et y travaille sous les ordres de Léo Hamon, qui lui aussi aura un engagement politique après la Résistance et qui sera une grande figure de notre assemblée pendant la IV ème République.

Brigitte Gros est arrêtée en 1944 avec deux de ses camarades de la Résistance. Elle a raconté plus tard avoir entendu leur mise à mort depuis le réduit où elle était enfermée. Elle a dû sa liberté au geste humain d'un officier allemand qui a sans doute eu pitié de sa jeunesse.

C'est en septembre 1973 qu'elle arrive au Sénat, elle aussi après le décès d'un sénateur, Aimé Bergeal. Nous la voyons ici, salle des Conférences [voir la photo ci-contre] .

Elle siège, selon les époques, à la commission des affaires économiques et du Plan ou à la commission des affaires culturelles.

Dans les domaines relevant de la compétence de la commission des affaires culturelles, Brigitte Gros prend tout naturellement une part active aux discussions législatives sur la communication audiovisuelle, bien sûr, et sur la presse écrite dont elle défend activement le pluralisme ; elle s'intéresse de manière très pointue à des aspects techniques comme le prix des journaux, les modalités de leur distribution et les recettes publicitaires. Mes chers collègues, c'est un éternel recommencement !

De manière plus anecdotique, elle prend parti pour la suppression du baccalauréat à travers une proposition de loi qu'elle dépose en 1980.

Son action de sénatrice reflète également ses convictions féministes qui peuvent encore aujourd'hui interpeller les membres de la délégation aux droits des femmes, puisque sa première intervention au Sénat porte sur les crèches 115 ( * ) . En 1974, dans un débat sur l'amélioration de la condition féminine, elle consacre un long développement au problème des modes de garde des jeunes enfants, qui sont malheureusement toujours d'actualité 116 ( * ) .

Elle déposera aussi, en 1978, deux propositions de loi qui ne peuvent laisser indifférents les membres de la délégation aux droits des femmes : l'une pour protéger les femmes du viol 117 ( * ) , et la seconde pour faciliter l'accès des femmes à la vie publique (déjà !). Il faut dire qu'à l'époque, il n'y avait que cinq sénatrices...

En 1979, elle intervient dans le cadre du projet de loi relatif à I'IVG 118 ( * ) qui vise à reconduire la loi Veil de 1975 et s'inquiète des risques de résurgence des drames de l'avortement clandestin pour les femmes de condition modeste, en raison des contraintes liées à l'accès à I'IVG : ici aussi, nous sommes dans l'actualité...

En 1982, elle s'insurge contre l'insuffisante représentation politique des femmes en France et propose par amendement de prévoir la présence de 30 % de femmes sur les listes de candidats dans les communes de plus de 15 000 habitants 119 ( * ) . Je vous laisse deviner quel succès a remporté cet amendement !

Brigitte Gros s'est intéressée aussi aux problèmes concernant la vie locale. Elle prend une part active à la discussion des grandes lois de décentralisation du début des années 1980 : là aussi, c'est un éternel recommencement ! Elle montre ainsi de très solides compétences en matière de fiscalité et de finances, mais c'est probablement par son engagement dans les questions d'aménagement urbain et de logement que l'action de Brigitte Gros mérite un développement particulier.

Elle intervient dans le domaine des transports urbains. Elle connaît bien les problématiques de la desserte des banlieues (déjà !) et se bat pour la création d'emplois proches des lieux d'habitat. Son livre Les Paradisiennes , paru en 1970, aborde la question de la vie dans ce qu'on appelle alors les « grands ensembles ». Nous la voyons ici, à Meulan [voir la photo ci-dessus].

Ses préoccupations en matière de transports la rendent visionnaire, puisqu'elle elle dépose en 1975 une proposition de loi créant une carte d'auto-stoppeur, inspirée par la crise de l'énergie : c'est le co-voiturage avant l'heure...

La maladie, hélas, après un combat courageux, l'emporte en 1985, à l'âge de 60 ans. Dans son éloge funèbre, le président Alain Poher rend hommage aux qualités de Brigitte Gros en évoquant « son éloquence persuasive et [...] son extraordinaire puissance de travail » mises au service d'un « message pour un mieux-vivre des populations, pour le respect des libertés, pour plus de justice » .

Je n'ai qu'un regret : ne pas l'avoir connue. [applaudissements]

5. Marthe Simard, première femme dans une assemblée parlementaire française (Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice représentant les Français établis hors de France)

Rose-Marie Antoine

Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice représentant les Français établis hors de France, va nous parler d'une « pionnière », avec le personnage remarquable de Marthe Simard, première femme dans une assemblée parlementaire française.

Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice représentant les Français établis hors de France

Nous venons de fêter le 70 ème anniversaire de l'octroi aux femmes du droit de vote et d'éligibilité. Pourtant, un an même avant cette conquête civique, une femme siégeait déjà dans une assemblée parlementaire française. Plus étonnant encore, l'histoire, jusqu'à une date très récente, avait perdu toute trace de cette pionnière, Marthe Simard (son nom de jeune fille est Caillaud), Française née en Algérie le 6 avril 1901, infirmière établie au Canada. Dès le déclenchement de la guerre en 1939, elle soutient l'effort de guerre, organise des levées de fonds, distribue des colis aux prisonniers. Elle s'investit dans le soutien et la promotion du combat de la France contre l'Allemagne. Elle a été la fondatrice et animatrice du tout premier comité de la France Libre hors de France, qu'elle fonde dès le soir du 18 juin 1940 à Québec, à une période où le Canada avait maintenu ses relations avec le régime de Vichy.

Toujours, elle se bat pour faire triompher une certaine idée de la France. À la demande du général de Gaulle, qui reconnaît rapidement ses qualités d'oratrice et ses talents d'organisatrice, elle va sillonner le Canada et les États-Unis, puis les Antilles, donnant des conférences, intervenant à la radio, créant et coordonnant une trentaine d'autres comités de la France Libre sur tout le territoire canadien. En 1943, lorsque le général de Gaulle met en place une Assemblée consultative provisoire à Alger, Marthe Simard est désignée comme l'une des cinq représentantes de la France Libre à l'étranger par le Comité national de la Résistance intérieure, et est la seule femme à y siéger. Jacques Vistel l'a mentionné tout à l'heure : Lucie Aubrac avait elle aussi été nommée à l'Assemblée provisoire d'Alger, mais n'y a pas siégé 120 ( * ) . Seule Marthe Simard s'y est rendue.

A la veille de l'inauguration de cette assemblée consultative provisoire, le 2 novembre 1943, on apprend avec stupéfaction qu'il y a une femme nommée dans cette assemblée, et c'est l'effervescence dans tout le Canada. Le Parlement s'en émeut, les journaux, la radio en parlent. D'ailleurs, vous le savez, beaucoup de députés avaient manifesté leur mécontentement face à la création de l'Assemblée consultative provisoire d'Alger. En réponse à ce mécontentement, Marthe Simard avait déclaré : « Nous, Français combattants, nous avons reçu un mandat explicite du peuple de France, actuellement prisonnier. Nous ne pouvons déroger à ce mandat. Les 40 millions de Français qui suivent le général de Gaulle veulent être représentés par des gens neufs, des gens propres, des gens qui ont fait la guerre pour la France et non pour leurs intérêts ou pour leurs ambitions politiques. La France nouvelle ne veut plus des hommes qui l'ont conduite dans la situation où elle se trouve présentement » .

Marthe Simard est donc devenue la première Française à siéger dans une assemblée parlementaire. Au tout début de janvier 1944, cette jeune grand-mère de 42 ans rejoint la Louisiane pour s'embarquer sur un navire de guerre en direction d'Alger, pour un voyage aussi long que périlleux, puisque l'Atlantique avait été transformé en champ de batailles et que plusieurs des bateaux de son convoi seront coulés par les Allemands.

Le 7 novembre 1944, lorsque l'Assemblée consultative provisoire s'installe à Paris et s'établit ici, au Palais du Luxembourg, dix femmes y sont nommées, dont Marthe Simard. Le général de Gaulle lui propose de s'installer en France pour y mener une carrière politique, mais elle décline l'invitation, estimant son devoir accompli et souhaitant passer le relais à d'autres. Elle choisit alors de reprendre une existence discrète et paisible au Canada.

Comment cette femme, au parcours exceptionnel et si atypique, qui aurait pu servir de symbole et de modèle pour une génération de femmes, a-t-elle pu à ce point être effacée de notre mémoire collective ? J'avoue que cela fait plus de dix ans, depuis que j'ai trouvé sa trace dans certaines archives, que cette question m'interpelle, et j'ai été très heureuse quand en 2011, le maire de Paris a accédé à ma demande pour qu'une place parisienne puisse enfin porter son nom...

Si Marthe Simard mérite d'être redécouverte, ce n'est pas seulement en raison du caractère hors normes du destin de cette résistante de la première heure, mais aussi et surtout pour la modernité de son message. Je voudrais ici souligner trois messages forts de Marthe Simard, une forme d'héritage politique qu'elle nous lègue pour mieux construire l'avenir.

Premier message : elle a eu cette volonté de faire vivre une certaine idée de la France, généreuse, tolérante, universelle, bien au-delà de ses frontières, et aussi l'action des expatriés et les échanges culturels et humains, qui jouent un rôle essentiel dans le rayonnement d'un pays et la diffusion de ses valeurs. En pleine guerre, par son action de résistante et son travail de conviction, Marthe Simard a été une pionnière de ce qu'on appelle le « soft power » . Après-guerre, dès sa nomination à l'Assemblée consultative provisoire, elle a souligné combien il était important de consolider les liens spirituels et intellectuels entre le Canada et la France par le renforcement des échanges d'étudiants, l'envoi de livres et l'engagement quotidien des Français qui y résident. Aujourd'hui plus que jamais, nous devons garder à l'esprit que l'influence de la France dans le monde repose aussi, largement, sur les initiatives souvent discrètes et mal connues de nos compatriotes établis à l'étranger.

Deuxième message de Marthe Simard : sa capacité à puiser dans son expérience à l'étranger une inspiration pour le débat politique français. Le fait d'avoir vécu dans un Canada ayant ouvert le droit de vote aux femmes dès 1918 lui a donné l'assurance nécessaire pour réclamer des droits civiques pour les Françaises. Ses discours devant l'Assemblée consultative provisoire d'Alger et ses prises de position dans la presse ont fait mûrir le débat sur le rôle politique des femmes. Aujourd'hui, n'oublions jamais de regarder ce que nos voisins réalisent, n'oublions jamais que nous avons toujours beaucoup à apprendre des autres.

Troisième message : Marthe Simard représente à mes yeux une figure de l'éthique en politique. Elle a su faire progresser, de manière totalement désintéressée, les causes en lesquelles elle croyait profondément. Son ascension politique portée par la Résistance, son retour dans l'ombre dès la Libération, ses appels au renouvellement des élites et son insistance pour la nécessaire exemplarité des représentants de la France, sur notre territoire comme à l'étranger, sont autant de jalons que cette grande dame oubliée de la République nous laisse pour construire l'avenir. [applaudissements]

Rose-Marie Antoine

Nous passons à la dernière séquence de ce colloque, consacrée aux témoignages croisés de Marie-José Chombart de Lauwe et de Jacqueline Fleury, deux exemples de femmes issues de la Résistance dont l'engagement n'a pas pris une forme politique.

6. Deux témoignages d'engagements associatifs : Jacqueline Fleury et Marie-José Chombart de Lauwe

Rose-Marie Antoine

Je vais d'abord m'adresser à Jacqueline Fleury. Je voudrais que vous nous parliez de l'Association nationale des anciennes Déportées et Internées de la Résistance (ADIR), cette association que vous avez créée avec vos « soeurs en Résistance », et des relations très particulières qui lient entre elles les anciennes de Ravensbrück. Parlez-nous aussi, si vous le voulez bien, du réseau de la Mémoire.

Jacqueline Fleury

Alors que s'éloigne inexorablement notre commun et douloureux passé, nous sommes encore quelques survivantes à pouvoir faire l'historique de l'Association nationale des anciennes Déportées et Internées de la Résistance (ADIR). On parle beaucoup de 1944 : c'est en septembre 1944 qu'a débuté une amicale des prisonnières, lorsqu'une d'entre elles, Irène Delmas, a lancé à la radio un appel aux résistantes à peine libérées, et dispersées dans toute la France. 350 d'entre elles ont répondu à cet appel, et lors d'une première réunion qui va avoir lieu le 14 octobre 1944 se réalisera le voeu d'entretenir les liens extraordinaires que nous avions noués en prison. En effet, lors de notre départ d'Allemagne, de cellule en cellule, nous nous faisions cette promesse. C'est pourquoi Irène Delmas a vite été rejointe par beaucoup d'amies, parmi lesquelles je citerai Gabrielle Ferrière-Cavaillès et bien d'autres. Pleines d'ardeur, elles ont transformé un foyer situé rue Guynemer en un centre d'accueil pour celles dont elles espéraient intensément le retour de déportation.

Une équipe très efficace a mis en place un service médical, un service social et a permis la création de 150 lits pour les survivantes, dont on prévoyait que leur état de santé serait certainement très précaire. Dès l'ouverture, une cantine et un vestiaire fonctionnent. Des sections reliées à Paris se constituent un peu partout en France : à Lyon, Marseille, Nice et Clermont-Ferrand. En janvier 1945, afin de réunir des fonds, Irène Delmas se rend en Suisse et y fait une rencontre exceptionnelle en la personne de Geneviève de Gaulle. Libérée depuis peu de Ravensbrück, celle-ci, à peine rétablie, organise des conférences pour informer le public des réalités de la déportation et de l'état de dénuement et de délabrement de celles qu'elle avait quittées dans le camp. Ainsi réunies dans le même but, nos deux amies reçoivent un accueil favorable de plusieurs centres aérés et d'organismes qui ont permis d'accueillir des survivantes et de leur prodiguer tous les soins nécessaires à leur rétablissement.

Au printemps 1945 a débuté la libération des camps : le rapatriement des déportés va s'échelonner durant des mois. Rue Guynemer, après l'angoisse d'une longue attente, nos amies se sont efforcées d'atténuer les traces douloureuses des souffrances que leurs compagnes avaient endurées et, pour certaines, le chagrin qui les accablait à l'annonce de deuils familiaux, qui s'ajoutaient à tant d'épreuves. Le retour à la vie de certaines a été possible grâce à l'accueil chaleureux et à l'accompagnement trouvé au foyer de l'ADIR. C'est au même moment que l'amicale des prisonnières s'est transformée en Association nationale des déportées et internées résistantes, qui a tenu sa première assemblée le 15 décembre 1945.

Puis en juin 1946 paraissait Voix et Visages , le journal de l'association. Les premiers numéros ont réservé une place importante aux In memoriam , rendant ainsi hommage à nos camarades mortes dans les camps, ce qui était primordial pour nous toutes. Au cours des années qui se sont écoulées, nous avons aussi perpétué le souvenir de nos amies qui disparaissaient. Important par son contenu, par son rôle essentiel de mémoire, Voix et Visages a toujours suscité un vif intérêt auprès de nos adhérentes mais aussi auprès de nos fidèles amies. Dans ses pages était rapportée la vie de l'ADIR - informations, démarches, recherches, enquêtes - tout ce qui nous tenait à coeur. À titre d'exemple, le journal a relayé l'important travail mené en faveur des droits à réparation des cobayes, victimes d'expériences pseudo-médicales à Ravensbrück, dont Anise Postel-Vinay nous tenait au courant. Le journal relatait aussi les rapports de Geneviève de Gaulle sur les procès des criminels de guerre nazis, les recherches rigoureuses effectuées par notre amie Germaine Tillion pour réaliser ses livres sur Ravensbrück et tant d'autres, par exemple sur l'existence des chambres à gaz, celle de Ravensbrück en particulier. La collection de Voix et Visages représente une partie des archives de l'ADIR et comporte de nombreux documents accessibles aux chercheurs depuis déjà de nombreuses années. Des objets rapportés des camps forment un complément important à ces archives.

La transmission de la mémoire dans laquelle nous avons été plusieurs à nous impliquer, notamment en participant auprès des jeunes au Concours national de la Résistance et de la Déportation, s'ajoute à nos nombreux témoignages.

Par l'intermédiaire de notre amie Germaine de Renty et moi-même, membres du Conseil du réseau du souvenir, notre ADIR a été présente dans la réalisation du Mémorial national de la Déportation qui se trouve dans l'Île de la Cité, inauguré par le général de Gaulle le 14 avril 1962.

Voilà ce qu'a été le rôle de l'ADIR, le rôle de celles qui avaient survécu à ces horribles temps et qui restaient fidèles, surtout à leurs compagnes disparues pour porter leur souvenir et pour s'assurer qu'elles ne deviennent jamais les oubliées de l'histoire. [applaudissements]

Rose-Marie Antoine

Marie-José, pouvez-vous nous expliquer ce que recouvre le titre de votre livre Toute une vie de Résistance ? 121 ( * )

Marie-José Chombart de Lauwe

Cela recouvre toutes les dimensions des actions pour le respect de tout être humain, dont les racines, pour moi, plongent dans le crime contre l'humanité atroce que nous avons connu à Ravensbrück. Ce crime m'a imposé, personnellement, un devoir de vigilance pour que cela ne recommence pas. « Toute une vie de Résistance » s'enracine dans les associations de déportés, bien sûr - j'ai fréquenté aussi l'ADIR - mais également dans l'Amicale de Ravensbrück, spécifique à ce camp, à propos duquel nous avons réalisé, cela a déjà été indiqué, un travail collectif.

Mon histoire a deux grands axes : mémoire de la Déportation et respect de tout être humain. Ils sont enracinés dans les mêmes valeurs.

En ce qui concerne la mémoire de la déportation, je voulais évoquer aujourd'hui quelqu'un qui semble trop oublié : c'est Marie-Claude Vaillant-Couturier qui, à Ravensbrück, est restée après la libération du camp par la Croix-Rouge, les Suédois et le comte Bernadotte, en négociation avec Himmler. Certaines des déportées étaient intransportables, épuisées et malades : Marie-Claude Vaillant-Couturier est restée avec elles jusqu'au bout. Il y a un autre aspect très important de son action. Lors du procès de Nuremberg jugeant les grands dirigeants nazis, elle a été la seule femme témoin. Nous avons d'ailleurs de très beaux textes qui ont été rédigés à cette occasion.

Par la suite, sentant que la génération des déportés commençait à s'amenuiser et allait disparaître, nous avons pensé, à la fin des années 1980, qu'il était nécessaire de créer une Fondation pour la mémoire de la Déportation, en principe éternelle. Notre fondation a été créée en 1990. Elle a regroupé en son sein pratiquement toutes les associations de déportés. Marie-Claude Vaillant-Couturier en fut la première présidente. Du fait de notre histoire commune à Ravensbrück (je l'ai même aperçue pour la première fois à la prison de la Santé), quand elle s'est sentie gravement atteinte en 1995, elle m'a demandé de prendre sa succession à la fondation et j'ai toujours exercé cette mission depuis. L'action concernant la mémoire de la déportation est vivante, nous a conduits à collecter le maximum de témoignages enregistrés et à procéder à un travail de réflexion sur le nazisme et les crimes dans les camps. Cela continue encore aujourd'hui : nous lançons une nouvelle revue qui analyse l'apport des témoins.

L'autre axe que j'évoquais m'a permis de rencontrer en particulier Germaine Tillion et notre amie Françoise Seligmann à la Ligue des droits de l'Homme. Cela a été, à l'occasion de la guerre d'Algérie, la découverte de la torture. À ce moment-là, j'ai donc milité à la Ligue des Droits de l'Homme.

La résurgence des groupes néonazis et la découverte du courant négationniste est un autre aspect de mon engagement. Madeleine Rebérioux, historienne, m'a demandé de rédiger un ouvrage de vigilance, travail que j'ai assumé pour la commission « Extrême-droite » créée à la Ligue des Droits de l'Homme pour lutter contre la résurgence des groupes néonazis et des courants négationnistes.

Autre axe de mon action : les droits de l'enfant. À Ravensbrück, j'ai eu ce témoignage atroce de crimes contre les enfants et d'opérations sur les petites filles tziganes. En tant que chercheure au CNRS, je dirigeais une commission aux études de thèse sur la socialisation de l'enfant et du jeune. J'ai toujours été convaincue qu'il fallait former ces générations qui viennent après nous. Donc j'ai travaillé dans le domaine des droits de l'enfant. Quand nous avons préparé, à la Ligue des Droits de l'Homme, la convention internationale de l'ONU sur les droits de l'enfant, on m'a demandé de créer une commission spécifique pour préparer l'application, en France, de cette convention pour un meilleur respect des droits de l'enfant. Toute ma vie, j'ai continué dans cette voie. [applaudissements]

Rose-Marie Antoine

Merci, Marie-José. Vous avez connu l'horreur des camps et la déshumanisation, mais vous êtes profondément humaniste. Vous êtes même l'incarnation de cette valeur. J'aimerais, pour conclure, que vous adressiez toutes les deux un message à la jeune génération.

Jacqueline Fleury

Ce sera très simple. Je pense que dans la vie, il faut toujours garder l'espérance. Cela exprime tout ce que du fond de mon coeur je souhaite laisser à mes enfants, dont certains sont là, et pour vous tous.

Marie-José Chombart de Lauwe

Du fait de ce que nous avons vécu, de la force de l'amitié et de la chaleur humaine face à l'horreur des camps nazis, je leur dis, aux jeunes d'aujourd'hui : soyez vigilants. On doit respecter tout être humain. Sachez que dans l'amitié et dans la solidarité, on puise beaucoup de force. Ce que l'on ne peut faire individuellement, quelquefois on le porte mieux en groupe ! Regroupez-vous, alors, pour cette défense essentielle des valeurs de notre République : liberté, égalité, fraternité.

Clôture du colloque :
Mme Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports

Merci à Mesdames Fleury et Chombart de Lauwe pour leur dernier mot qui, je l'espère, sera entendu des plus jeunes, pour ce message d'engagement que vous savez si bien nous transmettre. Nous étions avec Mme Chombart de Lauwe, il y a peu, avec beaucoup de jeunes, dans mon ministère. Ils m'ont écrit par la suite que votre rencontre les a inspirés pour longtemps.

Madame la Présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Brigitte, Mesdames et Messieurs, je suis vraiment ravie d'avoir pu vous rejoindre pour la fin de cette dernière séquence et d'avoir entendu ces propos.

Il y a 71 ans exactement, Jean Moulin réunissait pour la première fois le Conseil national de la Résistance au 48 rue du Four, dans le 6 ème arrondissement de Paris, à quelques mètres d'ici. Ce 27 mai 1943, Jean Moulin et toutes les personnalités qu'il avait réussi à fédérer décidèrent de se rassembler ensemble autour des valeurs de la République et de créer l'acte fondateur qui allait impulser l'organisation de la Résistance française et susciter tant d'espoirs chez les femmes et les hommes de notre pays. Aujourd'hui on célèbre très officiellement la création du CNR, grâce à cette Journée de la Résistance, et c'est l'occasion de rendre hommage - je souhaitais m'y associer - à ces femmes, à ces hommes qui, au nom de la liberté et de leur attachement indéfectible aux valeurs républicaines, au nom de leur amour de la France aussi, ont combattu pour la libération de leur pays.

Ce message d'engagement citoyen, au nom de valeurs, est évidemment un exemple pour tous et en particulier pour notre jeunesse. Nous ne sommes pas à n'importe quel moment : je pense que ce message doit être entendu. Merci d'avoir associé les collégiens et les lycéens à cette journée, que je sais avoir été l'occasion d'un travail collectif sur les valeurs de courage, de tolérance, de solidarité, de progrès social, autant de mots qui trouvent toute leur résonnance en ce moment.

Je veux en particulier remercier Brigitte Gonthier-Maurin, car c'est elle qui a eu l'initiative de consacrer ce colloque, en cette journée d'anniversaire, aux femmes résistantes, ces grandes oubliées de l'histoire. « Sans elles, la moitié de notre travail eût été impossible » : ce sont les mots du colonel Rol-Tanguy à la Libération. Ces femmes, dont le rôle a été trop souvent occulté, dont la place dans notre société n'était pas reconnue, ont pourtant eu un rôle décisif dans la victoire. Elles s'appelaient - permettez-moi de les nommer à nouveau - Danielle Casanova, Denise Vernay, Marie-Madeleine Fourcade, Madeleine Riffaud, Germaine Tillion, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Lucie Aubrac, Marie-José Chombart de Lauwe, et d'autres encore...

Elles n'étaient, à cette époque, que des citoyennes de seconde zone, sans droit de vote, soumises légalement à leur père ou à leur époux. Et pourtant, ce sont elles qui s'engagèrent pour leur pays, en faisant oublier cette maxime populaire selon laquelle la guerre serait une « affaire d'hommes ».

Le résistant et historien Daniel Cordier, secrétaire particulier de Jean Moulin, a souvent raconté comment s'était constituée la Résistance. Je le cite : « Les femmes s'occupaient de tout. La Résistance n'aurait jamais existé sans les femmes. Les femmes étaient partout, et elles étaient la structure interne de la Résistance. C'était elles que l'on utilisait comme courriers pour aller de la zone libre à la zone occupée » .

Et en effet, au sein des réseaux, c'étaient les femmes qui exerçaient dans la clandestinité, au péril de leur vie, les travaux de secrétariat, d'agents de liaison, de services. Cacher, héberger, nourrir, approvisionner, telles étaient leurs missions principales. N'oublions pas qu'en cette époque tragique, rien de tout cela n'était anodin : celles qui étaient arrêtées au cours de ces missions risquaient l'emprisonnement, la déportation, pour certaines l'exécution. Et ce fut le destin tragique d'Olga Bancic, décapitée à la hache le jour de son trentième anniversaire à Stuttgart, seule femme membre du réseau « Manouchian » lors du simulacre du procès des 23 résistants qui figuraient sur la célèbre Affiche Rouge. Elle fut la seule à être décapitée, en application du droit criminel de la Wehrmacht qui interdisait de fusiller les femmes.

Si les femmes étaient le plus souvent jugées incapables de se servir d'armes, elles étaient pourtant bel et bien les premières à effectuer les repérages des lieux ou à transporter les armes et les explosifs. Et je veux aussi ce soir rendre hommage aux femmes résistantes mortes durant leur action, saluer en particulier la mémoire d'Ariane Knout, dite « Régine », qui paya de sa vie une action de transport d'armes alors qu'elle était secondée par sa fille Betty, à l'époque âgée seulement de 16 ans. Saluer, là encore, la mémoire d'« Annette » Richtiger, 24 ans, qui remplaçait son mari Jean, FTP tué au combat, et qui fut déchiquetée, elle, par une bombe alors qu'elle assurait le transport de la seule mitrailleuse disponible dans le secteur entre Lens et Valenciennes. Que dire encore du rôle primordial joué par les femmes dans le sauvetage des enfants juifs ?

J'ai une pensée pour toutes ces femmes anonymes dont l'action a changé le cours de l'histoire, ces Justes qui restaurèrent la solidarité dans des moments où l'humanité était en train de vaciller. Résistantes, ces femmes incarnaient pleinement l'esprit de la Résistance. En résistant, elles transgressaient non seulement les lois du régime de Vichy, mais elles portaient aussi un coup aux conventions, à la représentation de ce que devait être une femme à cette époque-là. Le combat que nous menons encore aujourd'hui pour l'égalité entre les femmes et les hommes, elles avaient eu le courage, elles, de l'engager. Nous avons, nous tous et toutes réunis, l'ambition de le poursuivre, ce combat. Nous le devons, en hommage à ces pionnières, et nous le devons aussi aux jeunes générations.

Pour beaucoup de ces femmes, l'engagement était une évidence. Je suis, je vous l'avoue, toujours un peu surprise lorsque j'entends ou que je lis les témoignages de ces femmes résistantes. Interrogées sur leurs actions, elles font toujours preuve de beaucoup de modestie, de beaucoup de discrétion. Je vous en cite quelques extraits : « Vous savez, moi ce que j'ai fait c'était de la petite résistance. Les autres devaient être bien plus intéressantes que moi. Moi je n'ai pas fait grand-chose... » .

Oui, ce sont des mots que j'ai entendus, que vous avez dû entendre souvent, et c'est à ces femmes invisibles, ces « combattantes de l'ombre », qui ont péri sur le chemin de la liberté, que je veux rendre justice et hommage en cette Journée nationale de la Résistance. Leur engagement a été bien peu valorisé à la Libération : il a fallu attendre mai 1968 et la libération de la parole des femmes, pour que ces dernières commencent enfin à exister dans l'histoire de la Résistance. Je pense en disant cela en particulier au témoignage de Lucie Aubrac dans son livre Ils partiront dans l'ivresse , dans lequel elle nous a raconté les évènements de Caluire, et comment elle a pu libérer son mari de la Gestapo.

Vous l'avez vu au cours des échanges de cette journée, l'engagement, pour ces femmes, a continué très souvent après à la guerre. Là encore, c'est Lucie Aubrac qui disait : « Le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent ». Eh bien, le message de ces résistantes, nous devons non seulement le célébrer aujourd'hui, mais surtout lui donner un écho dans notre société moderne de 2014. Cette année 2014, c'est précisément l'année de l'engagement, l'engagement au service de la société, au service des autres, pour une société plus juste, plus solidaire, plus « fraternelle », comme j'ai entendu tout à l'heure. Je ne doute pas qu'en célébrant cette grande cause nationale de l'engagement, nous serons fidèles à l'esprit de ces résistantes. Leur message, nous devons nous assurer qu'au-delà de cette seule journée, nous puissions le porter dans la durée. C'est évidemment le sens de la décision qu'a prise le Président de la République et qu'il a annoncée au Mont-Valérien l'an passé. Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz seront « panthéonisées » aux côtés de leurs homologues résistants Pierre Brossolette et Jean Zay. Deux femmes, et deux hommes, qui ont incarné les valeurs de la France quand elle était à terre. Réjouissons-nous qu'aux côtés de ces hommes, nous puissions enfin dire demain : « Aux grandes femmes, la patrie reconnaissante » .

Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes

Ce colloque s'achève. Il me reste à vous remercier pour votre participation, à remercier très chaleureusement les témoins, les femmes résistantes qui nous ont fait l'honneur de se déplacer pour participer à ce colloque. Je veux remercier aussi les autres intervenants et intervenantes ainsi que les animateurs et animatrices des tables rondes. Je crois que nous avons vécu un grand moment d'histoire, de mémoire, d'émotion et d'humanité.

ANNEXES

Compte rendu de l'audition de Mme Alya Aglan,
professeure d'histoire contemporaine à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, jeudi 24 octobre 2013

Biographies des intervenants

Quelques portraits de Résistantes

Paroles de Résistantes

Audition de Mme Alya Aglan, professeure d'histoire contemporaine
à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne

(24 octobre 2014)

Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous recevons ce matin Mme Alya Aglan, professeure d'histoire contemporaine à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, qui va évoquer avec nous, dans ses grandes lignes, la question du rôle des femmes dans la Résistance.

Cette audition est organisée dans la perspective de la préparation du colloque dont nous avons adopté le principe lors de notre réunion du 3 octobre 2013.

Je rappelle que ce colloque sera la contribution de notre délégation à la première commémoration de la Journée nationale de la Résistance, le mardi 27 mai 2014, dont l'instauration résulte d'une proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Mirassou, signée par les membres du groupe socialiste. Cette proposition a été adoptée en mars 2013 et elle est devenue la loi du 20 juillet 2013.

Ce texte a fixé la date de la Journée nationale de la Résistance au 27 mai pour commémorer la première réunion, par Jean Moulin, du Conseil national de la Résistance. Madame la Professeure, nous vous écoutons avec intérêt.

Mme Alya Aglan, professeure d'histoire contemporaine à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne . - Je vous remercie de m'associer à vos travaux sur ce thème des femmes résistantes.

Les femmes ont-elles joué un rôle spécifique dans la Résistance ? Quelle a été leur place ? Comme pour les hommes, il n'est jamais aisé de répondre avec des chiffres à des questions concernant un mouvement clandestin. On dispose toutefois de données a minima relatives au nombre de femmes fusillées et surtout déportées, grâce au travail de recensement des convois effectué par Serge Klarsfeld. On estime aujourd'hui à 88 000 le nombre total de déportés politiques, dont 10 % de femmes. C'est une preuve irréfutable de l'engagement des femmes, même si cela ne rend compte ni de son intensité, ni de sa variété.

Malgré une participation très faible à la vie politique avant-guerre, les femmes sont nombreuses à prendre en charge le quotidien de la Résistance. Leur rôle essentiel consiste à restaurer le lien social mis à mal par la force corrosive de l'occupation.

Leur faible nombre apparent tient aussi au fait qu'elles ont été très peu nombreuses, après-guerre, à demander des cartes de combattants volontaires. Certaines ont été médaillées par le gouvernement français ou par le gouvernement britannique, mais lorsque l'on interroge la plupart d'entre elles, elles estiment que ce qu'elles ont fait était « normal ».

Claire Andrieu a décrit ces femmes comme les « intendantes de la Résistance ». Je dirais, pour ma part, qu'elles ont plutôt été les protectrices de l'ordre clandestin, s'adaptant aux modalités de l'action clandestine avant même la constitution des grandes organisations.

La Résistance a été organisée par des femmes et autour d'elles. Ce sont elles qui mettent en place les premières filières d'évasion des prisonniers de guerres français, qui ont ensuite profité aux aviateurs alliés. Comme exemple de cette action, on peut citer le rôle des femmes auprès des prisonniers du centre de La Croix de Berny à Antony pour les prisonniers en attente de transfert vers l'Allemagne, ou encore le rôle joué par Simone Martin-Chauffier en Côte d'Or. Plus tard, ce sont elles qui assurent le ravitaillement des maquis.

Leur rôle est complémentaire de celui des hommes, à la fois au sein des réseaux d'action clandestine - spécialisés par types d'opérations - et au sein de mouvements de Résistance à vocation plus politique. Elles y assurent des fonctions de secrétariat, d'agents de liaison ou prennent en charge le transport de matériel au travers de la ligne de démarcation. Cela supposait d'innombrables contrôles. Or, pour l'occupant, elles n'ont pas le profil de « terroristes ». Être une femme était un atout pour passer ces contrôles.

Elles exercent rarement des fonctions de responsabilités, même si des exceptions existent telles Marguerite Gonnet, chef de Libération Sud pour l'Isère, ou Lucie Aubrac, à la tête d'un corps franc chargé d'organiser des évasions.

Elles peuvent aussi exercer une influence politique, comme celle de Berty Albrecht auprès d'Henri Frenay. C'est sous son influence qu'Henri Frenay a évolué en faveur de l'idée européenne.

Des femmes ont ainsi pu diriger des réseaux après l'arrestation de leur chef. C'est le cas de Marie-Madeleine Fourcade qui le raconte très bien dans son livre, L'Arche de Noé , surnom donné au réseau Alliance. Rappelons qu'il s'agissait de jeunes femmes d'environ 25 ans...

Une mention particulière doit être faite des résistantes communistes. Au Parti communiste français, les femmes jouent un rôle important. Tout d'abord, les femmes germanophones se consacrent à une mission très dangereuse : un « travail antiallemand », consistant à lier conversation avec les soldats d'occupation pour les démoraliser. Il y a aussi les manifestations de ménagères organisées par le PCF. L'une de ces manifestations, restée célèbre, a lieu le 1 er août 1942 devant le magasin Félix Potin de la rue Daguerre à Paris. Lise Ricol, compagne d'Artur London, y mobilise la foule contre la pénurie et contre la relève annoncée par Pierre Laval, consistant en un échange de travailleurs volontaires contre le retour de prisonniers français. Il y a plusieurs blessées ; dix jours plus tard les militantes sont arrêtées. Ces mouvements ont été particulièrement étudiés par l'historienne américaine Paula Schwartz.

Les femmes ont aussi une place dans la Résistance extérieure. On peut citer Élisabeth de Miribel, affectée à Londres en 1939 à la mission française de guerre économique et qui reste pour assurer le secrétariat particulier du Général de Gaulle. On peut citer aussi, bien sûr, Eugénie Éboué qui travaille au cabinet de Félix Éboué, à Brazzaville, capitale de l'Empire rallié à la France Libre. Elles participent aussi aux comités de la France Libre constitués notamment aux États-Unis et en Amérique du Sud pour soutenir la cause de la Résistance. Des femmes sont engagées volontaires militaires au sein du corps féminin des volontaires, devenu en 1941 le corps des volontaires françaises. Sans jouer de rôle directement combattant, elles remplacent les hommes partout où cela est possible : comme conductrices de camion, mécaniciennes, infirmières, médecins ou encore au service du chiffre ; certaines sont même parachutistes.

Un cas unique est celui de Jeanne Bohec, jeune chimiste travaillant dans une poudrerie à Brest. À Londres, elle est engagée comme caporal dans le secrétariat des laboratoires de recherche militaires. Elle travaille au développement d'explosifs et réalise le coup de force d'être envoyée en mission en France par le Bureau central de renseignements et d'action (BCRA), les services secrets de la France Libre. Elle instruit les Forces française de l'intérieur en Bretagne à l'usage des explosifs. Cette région revêtait un caractère stratégique car en application du « Plan vert », les Résistants y étaient prêts, dès le mois de mai 1944, à détruire toutes les voies de communication avec le reste du pays, gênant ainsi les Allemands dans le rapatriement des troupes après le débarquement. Dans ses mémoires, intitulées La plastiqueuse à bicyclette , elle raconte qu'elle maniait mieux les armes que ses compagnons masculins mais qu'on ne la laissait pas s'en servir lorsqu'un homme était là pour le faire.

Présentes dans toutes les armes, les femmes volontaires sont au nombre de 15 000, dont 1 800 au sein de la France Libre ; que l'on songe notamment au fameux bataillon des « Rochambelles » au sein de la 2 ème division blindée.

Les femmes ont donc exercé des fonctions spécifiques : elles ont eu une contribution incontestable à la Résistance.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Votre présentation permet de saisir tout ce qu'il y avait en creux des actions de la Résistance. Mais que sont devenues toutes ces femmes ? Au-delà de leur engagement pour défendre le pays, ces femmes se sont-elles ensuite mobilisées pour sa reconstruction ?

Mme Alya Aglan . - Des femmes sont restées engagées, comme Gilberte Brossolette, sénatrice, ou d'autre élues députées, mais il n'y a eu à ce jour aucune étude sur ce que les femmes de la Résistance sont devenues, plus particulièrement dans la vie politique.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Elles se sont plutôt consacrées au devoir de mémoire ?

Mme Alya Aglan . - Il y a eu bien entendu Lucie Aubrac qui a donné de nombreuses conférences dans les lycées. Il y a eu aussi un engagement très fort dans les années 1945-1947 en faveur de l'Europe, mais assez peu dans les partis politiques traditionnels, restés très masculins. Nombre de femmes avaient pour objectif principal, après la guerre, de fonder une famille.

Mme Corinne Bouchoux . - Comment notre colloque pourrait-il être le plus pédagogique possible, évitant à la fois l'écueil de l'invisibilité des femmes dans la Résistance et celui de l'hagiographie ?

Mme Alya Aglan . - Cela pourrait être évité en prenant des cas particuliers et en reliant toujours leur rôle à celui des hommes. Elles n'ont pas eu le rôle le plus visible mais leur protection et le maintien du lien social auquel elles se sont consacrées ont été essentiels.

Mme Françoise Laborde . - Mettre en valeur quelques personnalités d'envergure sera incontestablement de nature à enrichir notre colloque. En jouant ce rôle de protection qui leur est viscéral, les femmes sont entrées dans le vif du sujet à leur façon.

Mme Alya Aglan . - Il s'agissait d'une protection au sens très large du terme, presque maternel car la protection armée des opérations était assurée par les hommes. Le rôle des femmes a été encore plus important avant la mise en place des organisations, moment où les hommes ont commencé à revendiquer qui des postes de délégué militaire régionaux, qui des mandats de représentants à l'Assemblée d'Alger.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Notre manifestation s'annonce très bien...

Mme Alya Aglan . - Oui, d'autant qu'elle permettra d'étudier les carrières des résistantes devenues sénatrices et députées, ce qui donnera une vision en coupe des femmes dans la vie politique au sortir de la guerre. Le Parti communiste est celui qui leur a laissé la plus grande place, y compris dans l'action clandestine. La plupart des femmes de cette époque aspiraient toutefois à une vie de famille... Il faut ajouter que la Guerre froide a apporté une certaine désillusion sur la construction du monde meilleur auquel on avait rêvé pendant la guerre.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Oui, le Conseil national de la Résistance fut un grand moment d'ouverture et de consensus et puis...

Mme Alya Aglan . - ... le jeu politique traditionnel a hélas repris ses droits.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - C'est important car tout cela reste encore d'actualité. Je vous remercie.

Biographies

des Intervenants

Brigitte Gonthier-Maurin

Brigitte Gonthier-Maurin est sénatrice des Hauts-de-Seine depuis juin 2007. Elle siège au groupe communiste républicain et citoyen.

Au nom de la commission de de la culture, de l'éducation et de la communication, dont elle est vice-présidente et rapporteure pour avis des crédits de l'enseignement scolaire, elle a publié en juin 2012 un rapport d'information intitulé Le métier d'enseignant au coeur d'une ambition émancipatrice . Elle est par ailleurs membre du conseil d'administration du Centre d'art et de culture Georges Pompidou .

Au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes qu'elle préside depuis 2011, elle a publié divers rapports d'information : Harcèlement sexuel : une violence insidieuse et sous-estimée en juin 2012, Femmes et travail: agir pour un nouvel âge de l'émancipation en janvier 2013, La place des femmes dans l'art et la culture : le temps est venu de passer aux actes en juin 2013, Projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes : premier jalon vers une approche intégrée en juillet 2013 et Pour que le viol et les violences sexuelles cessent d'être des armes de guerre en décembre 2013.

Jacques Vistel

Jacques Vistel, né en 1940, préside la Fondation de la Résistance et joue un rôle actif dans la transmission de l'histoire et de la mémoire de la Résistance.

Conseiller d'État honoraire, il a été, entre autres fonctions, directeur adjoint des Musées de France (1978-1982), président de la Commission d'aide à la distribution des films (1981) et Médiateur du cinéma (1987 - 1991).

Son père, Alban Vistel, Compagnon de la Libération, actif dans la Résistance dans la région lyonnaise, est l'auteur de nombreux ouvrages sur la Résistance, dont La Résistance spirituelle .

Claire Andrieu

Claire Andrieu est professeure des universités en histoire contemporaine à l'IEP de Paris / Sciences Po. Elle est spécialiste d'histoire politique et sociale du XX ème siècle et plus particulièrement des années de guerre (1939-1945) et de la Libération (1944-1946), ainsi que des débuts de la V ème République.

Sur la Résistance, elle a notamment publié Le programme commun de la Résistance, éditions de l'Érudit en 1984 ; le Dictionnaire De Gaulle, en codirection avec Philippe Braud et Guillaume Piketty, aux éditions Robert Laffont en 2006 ; La Résistance aux génocides, en codirection avec Jacques Semelin et Sarah Gensburger paru aux Presses de Sciences-Po en 2008; plusieurs articles dans le Dictionnaire historique de la Résistance française, de François Marcot (dir.) aux éditions Robert Laffont, paru en 2006 ; « Les résistantes. Perspectives de recherche », in Le Mouvement social (juillet-septembre 1997) ; « Réflexions sur la Résistance à travers l'exemple des Françaises à Ravensbrück », Histoire@Politique, en ligne, n° 5, août 2008 ; et « La Résistance comme mouvement social », in Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky (dir.), Histoire des mouvements sociaux en France, de 1814 à nos jours, éditions La Découverte, 2012.

Danielle Tartakowsky

Présidente de l'Université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis, Danielle Tartakowsky est professeur d'histoire contemporaine et spécialiste des mouvements sociaux dans la France contemporaine. Elle travaille plus particulièrement sur les manifestations et mobilisations collectives auxquelles elle a consacré de nombreux ouvrages.

En 1996, elle publie : Le Front populaire : la vie est à nous , éditions Gallimard, puis en 1998 Le pouvoir est dans la rue : crises politiques et manifestations en France , éditions Aubier. En 2005, elle écrit une histoire du 1 er mai ( La part du rêve : histoire du 1 er mai en France , Hachette littératures). Elle a récemment publié Les Droites et la Rue. Histoire d'une ambivalence, de 1880 à nos jours , aux éditions La Découverte.

Catherine Lacour-Astol

Professeure agrégée d'histoire au lycée Pasteur de Lille, Catherine Lacour-Astol est docteure en histoire contemporaine. Elle a soutenu sa thèse de doctorat en 2010 à l'Institut d'études politiques de Paris : La Résistance féminine : répression et reconnaissance (1940 - fin des années 1950). L'exemple du Nord .

Elle est l'auteure de plusieurs articles publiés dans les actes des colloques organisés par l'Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHiS) et la ville de Bondues (musée de la Résistance), notamment : "Résistance, genre et représentations en sortie de deuxième guerre mondiale dans le Nord" , dans La clandestinité en Belgique et en zone interdite (1940-1944) , édité par Robert Vandenbussche (2009). À paraître en 2015 aux Presses de Sciences Po : Le genre de la Résistance. Répression et reconnaissance de l'engagement féminin dans le Nord (1940-début des années 1950) .

Guy Krivopissko

Historien spécialiste de la Résistance, et notamment de la presse clandestine, Guy Krivopissko est depuis 1985 conservateur du Musée de la Résistance nationale qui regroupe plusieurs sites en France, dont le Musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne.

Guy Krivopissko a participé à de nombreux colloques et rencontres et coordonné des ouvrages sur la période : avec Jacques Gaucheron, Florilège des poèmes de la Résistance (éd. Messidor-Musée de la résistance, 1991), La vie à en mourir - Lettres de fusillés 1941-1944 (éd. Tallandier, 2003 et Point-Seuil Histoire, 2006), À vous et à la vie, lettres de fusillés du Mont-Valérien 1940-1944 (éd. Tallandier-Ministère de la Défense, 2010), avec Guy Hervy, Aurélien Poidevin et Axel Porin, Quand l'Opéra entre en résistance, les personnels de la Réunion des théâtres lyriques nationaux sous Vichy et l'Occupation , (éd. l'OEil d'or, 2007) et, avec Guy Brossard, Comment parler de la Résistance aux enfants (éd. Le Baron perché, 2012).

Colette Périès-Martinez

Dès le début de la guerre, Colette Périès, née en 1922 et sa soeur Louise, née en 1918, filles de Paul Périès, préfet, suivent une formation d'aide médico-sociale de la Croix Rouge. Elles appartiennent à un groupe qui fait parvenir des faux papiers ou des colis à des prisonniers en Allemagne.

Fin 1942, les deux soeurs s'engagent dans l'équipe féminine d'agents de liaison mise en place par Antoinette Reille, sous la tutelle du commandant Vallette d'Osia, chef départemental de l'Armée Secrète (A.S.), fonction qu'il assurera jusqu'à son arrestation en 1943.

Colette Périès a notamment pour missions de faire passer des messages, de transporter de l'argent venant de Suisse ou de Lyon, nécessaire à la Résistance, ou encore de venir en aide à des fugitifs. Elle a pour sa part accompagné de nombreux passages à travers la frontière suisse. Les deux soeurs et leurs camarades effectuent aussi des missions de renseignement et sont ainsi amenées à se rendre à Marseille, à Grenoble, dans l'Ain et, très fréquemment, à Lyon, où elles se chargent de transmettre des courriers via des boîtes aux lettres qui changent fréquemment d'emplacement pour éviter les nombreux contrôles de police.

Leur moyen de transport privilégié est la bicyclette, ce qui permet notamment d'éviter les contrôles, très fréquents dans les gares et les trains. Ces contrôles sont particulièrement dangereux car les jeunes filles mènent souvent leurs actions sous leur véritable identité : en cas d'arrestation, toute leur famille se trouverait menacée. Colette et sa soeur sont donc habituées à parcourir chaque jour de grandes distances à vélo, parfois plus d'une centaine de kilomètres. Colette Périès déclarera d'ailleurs ensuite, non sans humour, qu'après la guerre, elle était prête à faire le Tour de France ! Toutes ces volontaires défileront d'ailleurs à bicyclette lors de la libération d'Annecy.

Les soeurs Périès ont également aidé la Résistance organisée autour du plateau des Glières, en assurant la liaison entre les maquis et les résistants locaux.

Colette Périès, comme sa soeur Louise, est décorée de la médaille de la Résistance. Elles ont reçu ensemble la Croix de Guerre avec citation commune, dont voici un passage : « Mesdemoiselles Périès, agents de liaisons intelligentes, courageuses, ont su avec un total mépris du danger, assurer tantôt ensemble, tantôt en se relayant, un service de plus en plus difficile, tant dans la clandestinité qu'au cours des opérations de Libération ».

Colette Périès est également décorée de la Légion d'Honneur.

Un salon de la préfecture de Haute-Savoie porte le nom des deux soeurs résistantes depuis le 4 mai 2013. La préfecture a rendu hommage à « deux femmes exemplaires et, à travers elles, [à] toutes celles, trop méconnues, qui, après s'être engagées dans la Résistance avec courage et abnégation, sont rentrées dans l'ombre avec humilité une fois la liberté reconquise » 122 ( * ) .

Colette Lacroix

Colette Lacroix est née en 1924. En 1940, son père est prisonnier de guerre. Élève au  lycée Quinet de Bourg-en-Bresse, Colette Lacroix entre en contact avec Raymond Sordet, lui-même élève au lycée Lalande. Avec d'autres camarades, ils forment un groupe dès la fin de 1940 ; ils sont en lien avec l' Intelligence service et lui font parvenir des renseignements.

En avril 1941, tous sont dénoncés et arrêtés. Colette Lacroix, probablement du fait de son jeune âge, est libérée. Le groupe est dissout mais elle souhaite poursuivre son activité dans la Résistance et prend contact avec Paul  Pioda, pionnier de la Résistance qui rejoint le mouvement « Libération-Sud ». À ses côtés, elle distribue des tracts et vend des photos du  Général de Gaulle. Elle quête également au profit des maquisards. Des amies de lycée la suivent. Colette se trouve ainsi intégrée aux « Forces unies de la jeunesse patriotique ».

Colette Lacroix est également membre du  mouvement « Combat ».  En 1942, elle déménage à Nantua et participe notamment à la recherche de terrains de parachutages et à la fabrication de faux papiers. En lien  avec Yvon Morandat, elle est chargée de repérer des sites susceptibles d'accueillir les premiers groupes de maquis dans le secteur de Grenoble.

Elle intègre le réseau  « Pimento » (dépendant du Special  opérations executive - SOE, faisant partie des services secrets des Britanniques). Elle y rencontre Henri Gauthier qu'elle épouse. Enceinte, elle est envoyée à Montauban pour accoucher. Dans la même maison se trouve alors Clara Malraux, l'épouse d'André Malraux. Colette agit pendant un temps pour le réseau « Pimento » dans le Sud-Ouest de la France puis revient dans l'Ain, où elle effectue des missions d'agent de liaison. Elle est aussi amenée à transporter messages et matériel, notamment des explosifs et des armes, d'un groupe à l'autre. Elle participe également à des sabotages - le réseau « Pimento » est spécialisé dans le sabotage des voies ferrées. En août 1944, alors que le débarquement allié est annoncé en Provence, elle est chargée de surveiller Klaus Barbie.

Corinne Bouchoux

Corinne Bouchoux est sénatrice écologiste de Maine-et-Loire depuis septembre 2011. Elle siège à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, à la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et à la commission pour le contrôle de l'application des lois. Elle est, par ailleurs, membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA).

Corinne Bouchoux est diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris, titulaire du CAPES de Sciences économiques et sociales et docteure en Histoire (Université d'Angers).

Militante associative depuis trente ans, elle a effectué sa carrière professionnelle dans l'enseignement secondaire de l'Éducation nationale comme enseignante puis personnel de direction (1997-2007), puis dans l'enseignement supérieur agricole comme directrice des formations et de la vie étudiante (2007-2011).

Elle est auteure des ouvrages suivants : L'Allemagne réunifiée , Paris, Syros, 1992 ; Lucie Aubrac. Cette exigeante liberté, entretiens avec Corinne Bouchoux, Paris, L'archipel, 1997 ; Rose Valland, La Résistance au musée, La crèche, Geste édition, 2006 et Si les tableaux pouvaient parler : le traitement politique et médiatique des retours d'oeuvres d'art pillées et spoliées par les nazis (France 1945-2008) , PUR, 2013.

En octobre 2013, elle a été co-auteure avec le sénateur Jean-Claude Lenoir d'un rapport intitulé L'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : une loi qui n'a pas encore atteint ses objectifs . À la commission de la culture, elle est rapporteure pour avis du budget de la culture pour les crédits « arts visuels ».

Claudine Lepage

Claudine Lepage a été élue sénatrice représentant les Français de l'étranger en septembre 2008. Membre du groupe socialiste, elle siège à la commission des affaires culturelles, où elle est rapporteure pour avis des crédits de l'audiovisuel extérieur, et à la délégation aux droits des femmes ; elle préside le groupe interparlementaire d'amitié France-Canada du Sénat et est présidente déléguée pour le Togo du groupe interparlementaire d'amitié France - Afrique de l'Ouest.

Claudine Lepage est l'auteure de la proposition de loi visant à indemniser les personnes victimes de prises d'otages, adoptée par le Sénat le 9 octobre 2013. Elle est par ailleurs membre du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et de France Médias Monde, société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France.

Corinna von List

Corinna von List a fait des études d'histoire, de français et de relations internationales à la Freie Universität Berlin et à l'Université Lyon III (Jean Moulin). Supervisée par M. Bernhard Kroener, professeur titulaire à l'Université de Potsdam, sa thèse de doctorat a porté sur le thème suivant : « La Résistance au féminin - services de liaison - aide à l'évasion - presse clandestine » . Ce travail a été récompensé en 2006, à Paris, par le prix du Comité Guillaume Fichet-Octave Simon.

Aujourd'hui, Corinna von List est chercheure indépendante pour la Fondation de la Résistance et l'Institut historique allemand de Paris. Elle a également participé, en sa qualité de documentaliste, à la saisie du fonds « Tribunaux allemands » conservé au Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (une antenne du Service historique de la Défense).

Dernières publications : Corinna von List, Résistantes , Alma Éditeur, Paris 2012 (nouvelle édition sous presse) ; Gaël Eismann, Corinna von List, Les fonds des tribunaux allemands (1940-1945) conservés au BAVCC à Caen, in Francia 39 (2012), p. 347-378.

Marie-José Chombart de Lauwe

Née en 1923, Marie José Wilborts participe à la Résistance dans les Côtes d'Armor, dès le début de l'Occupation, à dix-sept ans, alors qu'elle est en classe de terminale. Elle contribue avec ses parents et un groupe d'amis, dans un mouvement portant le nom de « La bande à Sidonie », aux évasions vers l'Angleterre. Le groupe est intégré en 1941 au réseau de renseignement « Georges France 31 ». Marie-José, qui commence ses études de médecine à Rennes, possède un Ausweis , ou laisser-passer, qui lui permet de se rendre sur la côte, alors zone interdite, ses parents y étant domiciliés. Elle est alors chargée de ramener aux responsables du réseau les documents sur les défenses côtières collectés par les résistants, bien cachés dans ses cahiers. Le 22 mai 1942, les responsables du réseau sont arrêtés à Rennes ; dénoncés par un agent double, Marie-José, ses parents et onze membres du réseau sont arrêtés par la Gestapo. Elle a alors dix-neuf ans.

De la prison de Rennes, elle est transférée à la prison d'Angers où sa mère est également enfermée, puis à la prison de la Santé où sont alors internées Marie-Claude Vaillant-Couturier et France Bloch-Sérazin, et enfin, à Fresnes. En juillet 1943, elle est déportée à Ravensbrück. Elle occupe, avec ses compagnes de convoi, le bloc 32, celui des « Nacht und Nebel » (« Nuit et Brouillard ») et des femmes utilisées comme cobayes par les nazis pour leurs expériences pseudo médicales. En septembre 1944, elle est affectée au bloc 11, la Kinderzimmer (« pouponnière »), où les nourrissons sont voués à une mort certaine. En mars 1945, elle est évacuée à Mauthausen, et libérée par la Croix Rouge le 22 avril 1945. Elle a vingt-deux ans quand elle regagne la France.

Après la guerre, elle reprend ses études et passe un doctorat d'État en psychologie infantile. Elle témoigne en 1950 lors du procès de l'ancien commandant du camp de Ravensbrück. Pendant la guerre d'Algérie, elle prend position contre la torture. Elle est alors présidente de l'Amicale de Ravensbrück.

Elle épouse Paul-Henry Chombart de Lauwe, ancien résistant et pilote dans la RAF ; en 1954, elle entre au CNRS puis dirige un séminaire de thèses à l'École pratique des hautes études en sciences sociales.

En 1983, elle publie Complots contre la démocratie, les multiples visages du fascisme , puis en 2010 Réhabilitations du nazisme... attention, danger ! aux éditions de la Fédération nationale des Déportés et Internés résistants et patriotes (FNDIRP) dont elle est membre. De 1988 à 1991, elle participe aux travaux du Comité national consultatif pour les Sciences de la Vie et de la Santé, fondé par le professeur Jean Bernard, et milite pour l'adoption de la Convention internationale des droits de l'enfant.

En 1996, elle succède à Marie-Claude Vaillant-Couturier à la Présidence de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Très engagée dans la transmission de la mémoire de la Résistance et de la déportation, elle témoigne régulièrement dans des établissements scolaires. Elle a publié ses souvenirs sous le titre Toute une vie de Résistance (éditions FNDIRP-Pop Com, 2000).

Marie-José Chombart de Lauwe est Grand-Croix de la Légion d'Honneur, titulaire de la Croix de Guerre, de la Médaille de la Résistance, officier du Mérite National et Chevalier des Arts et des Lettres.

Jacqueline Fleury

Jacqueline Marié est née le 12 décembre 1923 à Wiesbaden, en Allemagne. Son père est officier de carrière. Sa famille maternelle, originaire du Soissonnais, a été durement éprouvée par la Première Guerre mondiale.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Jacqueline Marié termine ses études secondaires. En 1940, la famille entière entre en Résistance.

Jacqueline Marié commence par recopier des tracts, à la main, avec son frère, Pierre. Elle s'engage dans le mouvement « Défense de la France », qui crée et diffuse un journal clandestin. Ce mouvement s'organise autour de Philippe et HélèneViannay et compte parmi ses membres Geneviève de Gaulle. Jacqueline Marié transporte et distribue le journal à Versailles, où elle habite, et dans ses environs.

Son frère est membre du réseau de renseignements « Mithridate » ; mettant à profit son excellente connaissance de la langue allemande, il subtilise des plans du Mur de l'Atlantique, que Jacqueline Marié recopie dans une arrière-boutique de Versailles. Ces plans sont ensuite envoyés à Londres.

Sa mère est membre du même réseau et son père, de l'Organisation civile et militaire (OCM).

Jacqueline Marié est arrêtée, avec ses parents, le 29 juin 1944. Ils sont incarcérés à la prison de Fresnes, d'où ils sont déportés le 15 août 1944 (son père, à Buchenwald ; Jacqueline et sa mère, à Ravensbrück).

Jacqueline Marié et sa mère sont contraintes aux « marches de la mort » du 13 avril au 9 mai 1945. Après des jours de marche forcée, elles s'évadent ; des prisonniers de guerre français leur portent secours.

En 1946, Jacqueline Marié épouse Guy Fleury. En 1958, elle est décorée de la Légion d'Honneur. Elle est aujourd'hui Grand Officier de la Légion d'Honneur et titulaire de la Grand-Croix de l'ordre national du Mérite, de la Croix de Guerre avec palme, de la Croix du Combattant Volontaire 1939-1945 et de la Croix du Combattant Volontaire de la Résistance. Jacqueline Fleury est également Chevalier de l'Ordre des Palmes académiques.

En tant que présidente de l'ANADIR (Association nationale des Anciennes Déportées et Internées de la Résistance) et vice-présidente de la FNDIR (Fédération nationale des déportés et internés de la Résistance), Jacqueline Fleury intervient dans de nombreux collèges et lycées pour transmettre la mémoire de la Résistance et de la Déportation et joue un rôle actif dans le Concours national de la Résistance qu'elle a créé avec des déportés résistants dans les années 1960.

Rose-Marie Antoine

Rose-Marie Antoine fut successivement assistante parlementaire au Sénat, déléguée nationale à la Fondation France-Libertés puis chargée de mission à la Présidence de la République avant d'intégrer, en 1989, le corps préfectoral.

En 1995, elle rejoint le ministère de la Défense dans lequel elle occupe différentes fonctions : chef de la mission Innovation prospective à la Direction centrale du service national (DCSN), chargée de mission pour l'encadrement supérieur à la Direction de la fonction militaire et du personnel civil (DFP), sous-directrice de l'action culturelle et éducative à la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), directrice du projet "Affaires territoriales et emploi" à la Délégation interministérielle aux restructurations de défense (DIRD), puis chargée de la tutelle et du pilotage stratégiques des établissements publics du ministère de la Défense au Cabinet du Secrétaire général pour l'administration.

Rose-Marie Antoine a été nommée Directrice générale de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) le 14 janvier 2013. Elle est administratrice générale depuis janvier 2013.

Christine Bard

Christine Bard est professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers, membre de l'UMR CERHIO (Centre de recherches historiques de l'Ouest). Elle travaille sur l'histoire politique, sociale et culturelle des femmes et du genre (parmi ses ouvrages : Les Filles de Marianne ; Les Garçonnes ; Les Femmes dans la société française au XX ème siècle ; Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances ; Une histoire politique du pantalon ; Le féminisme, au-delà des idées reçues ; Les insoumises. La révolution féministe ; Histoire des femmes dans la France des XIX ème et XX ème siècles ).

Elle préside l'association Archives du féminisme et dirige la collection « Archives du féminisme » aux Presses universitaires de Rennes. Elle dirige la structure fédérative de recherches Confluences à l'Université d'Angers et coordonne actuellement un projet interdisciplinaire sur les discriminations sexistes et homophobes (GEDI). Elle anime également le musée virtuel sur l'histoire des femmes et du genre MUSEA, créé en 2004.

Sabrina Tricaud

Sabrina Tricaud est agrégée et docteure en histoire. Chercheure associée au Centre d'histoire de Sciences Po, elle est professeure d'histoire au collège Henry Bordeaux, à Cognin en Savoie.

Spécialiste d'histoire politique et d'histoire des femmes, elle a publié des articles sur les femmes politiques sous les IVe et Ve Républiques ainsi que plusieurs ouvrages sur Georges Pompidou ( L'entourage de Georges Pompidou aux éditions Peter Lang en 2014, Georges Pompidou et Mai 1968 chez le même éditeur en 2008 en collaboration avec Bernard Lachaise).

Laurence Cohen

Laurence Cohen a été élue sénatrice du Val-de-Marne en septembre 2011. Membre du groupe communiste républicain et citoyen, elle siège à la délégation aux droits des femmes et à la commission des affaires sociales, où elle est rapporteure pour avis des crédits de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt).

Au nom de la délégation aux droits des femmes, elle a publié en avril 2013 un rapport d'information intitulé Élection des sénatrices et des sénateurs : vers plus d'égalité ?

Laurence Cohen est également membre du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes et du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Conseillère régionale d'Ile-de-France, elle préside par ailleurs le groupe interparlementaire d'amitié France-Brésil du Sénat.

Christiane Demontès

Élue sénatrice en septembre 2004, Christiane Demontès, membre du groupe socialiste, est vice-présidente du Sénat. Elle siège à la commission des affaires sociales et à la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale ; elle est rapporteure « branche vieillesse » des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Elle est également vice-présidente de la délégation aux droits des femmes.

Au nom de la commission des affaires sociales, elle a été rapporteure de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel et de la loi du 1 er mars 2013 portant création du contrat de génération. Elle a également été rapporteure pour avis de la loi de juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire. En juin 2011, elle a été l'auteure, avec d'autres membres de la commission des affaires sociales, d'un rapport d'information intitulé Politique familiale et protection de l'enfance : quelles leçons tirer du modèle québécois ?

Christiane Demontès est conseillère municipale de Saint-Fons ; elle préside le Conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE) et la Fédération des régions européennes pour la recherche en éducation et en formation (FREREF).

Elle siège, au nom du Sénat, au Conseil d'orientation des retraites ainsi qu'à l'Observatoire national des zones urbaines sensibles.

Alain Gournac

Alain Gournac est sénateur des Yvelines depuis septembre 1995.

Vice-président du groupe Union pour un Mouvement populaire, il siège à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; il est également vice-président de la délégation aux droits des femmes et président délégué pour la Géorgie du groupe interparlementaire d'amitié France-Caucase.

Au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Alain Gournac a publié avec d'autres collègues, en juillet 2012, trois rapports d'information  intitulés : Forces armées : peut-on encore réduire un format « juste insuffisant » ? , L'avenir des forces nucléaires françaises et Les capacités militaires industrielles critiques .

Françoise Laborde

Françoise Laborde a été élue sénatrice de la Haute-Garonne en septembre 2008. Elle siège au groupe du Rassemblement démocratique et social européen. Vice-présidente de la délégation aux droits des femmes, elle est membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et préside le groupe d'études du Sénat sur les arts de la scène, les arts de la rue et les festivals en régions.

Membre de l'Observatoire de la laïcité, elle est l'auteure d'une proposition de loi adoptée par le Sénat en janvier 2012 pour étendre l'obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et assurer le respect du principe de laïcité.

Au nom de la délégation aux droits des femmes, Françoise Laborde a publié, en juin 2010, un rapport d'information intitulé Violence au sein des couples , dans le cadre de la préparation de la loi du 10 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. En juin 2013, elle a présenté un rapport d'information intitulé A la recherche d'un nouvel équilibre hommes-femmes dans l'enseignement supérieur et la recherche .

Françoise Laborde préside par ailleurs le groupe interparlementaire d'amitié France-Irlande du Sénat. Elle est également adjointe au maire de Blagnac.

Joëlle Garriaud-Maylam

Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice représentant les Français établis hors de France, a été élue en septembre 2004. Elle est vice-présidente du groupe Union pour un Mouvement populaire et siège à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (où elle est rapporteure pour avis des crédits de l'audiovisuel extérieur) ainsi qu'à la commission des affaires européennes.

Elle est présidente déléguée, pour le Sénégal, du groupe interparlementaire d'amitié France - Afrique de l'Ouest et, pour la Birmanie, du groupe interparlementaire d'amitié France - Asie du Sud-Est. Elle est par ailleurs membre de la Commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel et de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.

Vice-présidente de la délégation aux droits des femmes, elle est également membre du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Au titre de la commission des affaires étrangères, Joëlle Garriaud-Maylam a été rapporteure, entre autres textes, du projet de loi tendant à l'élimination des armes à sous-munitions (avril 2010), et du projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique, dite convention d'Istanbul (avril 2014). Elle est co-auteure d'un rapport d'information intitulé Pour une réserve de sécurité nationale publié en décembre 2010.

En octobre 2010, Joëlle Garriaud-Maylam a présenté, au nom de la délégation aux droits des femmes, un rapport d'information intitulé Vers la parité pour la gouvernance des entreprises .

Quelques portraits de Résistantes

Berty Albrecht (1893-1943)

Berty Albrecht, née Berty Wild, naît le 15 février 1893 à Marseille dans une famille protestante. Dès 1940, elle refuse la défaite. Ses fonctions d'inspectrice du travail lui permettent de camoufler ses activités clandestines : réseau de renseignements, aide aux prisonniers et aux familles d'internés, évasions vers la zone libre. Elle poursuit son engagement aux côtés d'Henri Frenay, rencontré dans les années 1930, avec qui elle fonde le mouvement « Combat ». Elle est l'une des inspiratrices de la création des Mouvements Unis de la Résistance (MUR).

Elle est arrêtée une première fois en mai 1942 et internée ; un groupe franc la fait évader en décembre 1942. Deux mois après, en février 1943, elle rejoint Henri Frenay à Cluny et reprend avec lui ses activités clandestines. Elle est arrêtée par la Gestapo le 28 mai 1943, torturée puis transférée à la prison de Fresnes, où elle meurt 123 ( * ) .

Berty Albrecht est l'une des rares femmes à être inhumées dans la crypte du Mont Valérien. Le courage dont elle a fait preuve pendant le conflit a été récompensé à titre posthume : elle est décorée de la Médaille militaire, de la Croix de Guerre 1939-1945 avec Palme et de la Médaille de la Résistance. Elle fait également partie des six femmes Compagnons de la Libération.

Lucie Aubrac (1912-2007)

Née en 1912, Lucie Bernard grandit dans une famille de vignerons. Elle est reçue à l'agrégation d'histoire en 1938 et affectée à Strasbourg, où elle rencontre Raymond Aubrac, ingénieur des Ponts et chaussées. Après la débâcle, elle rejoint Clermont-Ferrand où est repliée l'académie de Strasbourg dont elle dépend. A l'automne 1940, elle fait la connaissance d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie, cofondateur du mouvement de résistance Libération Sud et s'engage avec Raymond Aubrac dans le réseau « la dernière colonne », qui signe notamment des tracts contre Vichy. Alors qu'elle attend un enfant, Lucie Aubrac participe à la création du journal Libération , dont le premier numéro paraît en juillet 1941. Elle aide plusieurs résistants à franchir la ligne de démarcation et contribue à des évasions. Le 21 juin 1943, Raymond Aubrac est arrêté à Caluire en même temps que Jean Moulin ; Lucie Aubrac, accompagnée d'un groupe franc, attaque le fourgon dans lequel son mari est enfermé et lui permet de s'échapper.

Le 8 février 1944, le couple se rend à Londres où elle met au monde leur deuxième enfant. Elle intervient plusieurs fois à la BBC, en particulier le 20 août 1944, au cours d'une allocution qui évoque le rôle des femmes dans la Résistance. En janvier 1945, Lucie Aubrac regagne Paris et siège à l'Assemblée consultative.

Après la guerre, Lucie Aubrac retrouve son métier de professeur d'histoire. Elle s'engage pour transmettre la mémoire de la Résistance.

Olga Bancic (1912-1944)

Olga Bancic est née en Roumanie en 1912, dans une famille juive. Elle est membre des Jeunesses Communistes de Roumanie ; son engagement politique la contraint à s'exiler en France en 1938.

En 1940, elle s'engage aux côtés des FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans de la Main d'oeuvre Immigrée), confiant sa fille âgée d'un an à une famille française. Elle fabrique des bombes et des explosifs et assure leur transport. Sous le pseudonyme de Pierrette, elle fait partie du groupe Manouchian avec lequel elle participe à une centaine d'attaques, c'est-à-dire à environ la moitié des actions menées par le groupe.

Elle est arrêtée en 1943, avec les autres membres du groupe Manouchian. La célèbre « Affiche rouge » montre les portraits de dix des hommes du réseau Manouchian, fusillés le 15 février 1944. Olga Bancic est internée en Allemagne, à Karlsruhe. Elle meurt décapitée, le jour de ses trente-deux ans. La veille de sa mort, elle rédige une lettre 124 ( * ) , désormais célèbre, à l'intention de sa fille, qu'elle jette par la fenêtre pendant son transfert vers la prison de Stuttgart où elle doit être exécutée :

« Ma chère petite fille, mon cher petit amour.

Ta mère écrit sa dernière lettre, ma chère petite fille, demain à 6 heures du matin, le 10 mai, je ne serai plus.

Ne pleure pas, mon amour, ta mère ne pleure pas non plus. Je meurs la conscience en paix et avec la ferme conviction que demain tu auras une vie et un futur plus heureux que ceux de ta maman. Tu n'auras plus à souffrir. Sois fière de ta maman, mon petit amour. J'ai toujours ton image devant moi.

Je vais croire que tu verras ton père, j'ai l'espoir qu'il aura un sort différent du mien. Dis-lui que je n'ai jamais cessé de penser à lui, comme je n'ai jamais cessé de penser à toi. Je vous aime tous les deux de tout mon coeur. Vous m'êtes chers tous les deux. Ma chère enfant, ton père est, pour toi, aussi une mère. Il t'aime beaucoup.

Tu ne sentiras pas le manque de ta maman. Ma chère enfant, je finis cette lettre avec l'espérance que tu seras heureuse pour toute ta vie, avec ton père, avec tout le monde.

Je vous embrasse de tout mon coeur, beaucoup, beaucoup.

Mon amour pour toujours,

Ta maman. »

France Bloch-Sérazin (1913-1943)

France Bloch passe son enfance à Poitiers et fait des études de chimie à Paris. Dès avant la guerre, elle milite contre l'absence d'intervention de la France dans la guerre civile espagnole ; en août 1937, elle adhère au Parti communiste. En 1939, elle épouse Frédéric Sérazin, ouvrier-tourneur, syndicaliste et militant communiste. Dès 1940, elle s'engage dans une des « Organisations Spéciales » mises en place par le Parti Communiste. Le premier statut des Juifs la chasse du laboratoire où elle travaille. Sous le pseudonyme de « Claudia », elle fabrique des explosifs pour la Résistance dans son appartement parisien. Elle est arrêtée le 16 mai 1942 avec d'autres résistants, internée à la prison de la Santé, où elle est torturée. Condamnée à mort, elle est déportée et décapitée à Hambourg le 12 février 1943. Elle est décorée, à titre posthume, de la Légion d'Honneur, de la Croix de guerre avec Palme et de la Médaille de la Résistance.

Jeanne Bohec (1919-2010)

Jeanne Bohec est née en Bretagne en 1909. Elle fait études de chimie lorsque la guerre éclate et part travailler dans une poudrerie de Brest comme aide chimiste.

A l'annonce de la signature par la France de l'armistice avec l'Allemagne, elle décide de partir en Angleterre sans prévenir ses parents ; elle n'a alors même pas entendu parler du Général de Gaulle. En novembre 1940, les « Volontaires Françaises Féminines » sont créées et Jeanne Bohec s'y engage. Elle est affectée comme secrétaire au Service technique de l'armement, jusqu'au printemps 1942. Elle est alors affectée à un laboratoire qui fabrique des explosifs pour la Résistance. Elle y apprend aux agents du BCRA (Bureau Central de Renseignement et d'action) à manipuler les explosifs.

Jeanne Bohec souhaite rentrer en France pour pouvoir participer à la Résistance, ce qui lui est d'abord refusé par le BCRA. Elle finit par obtenir son parachutage et reçoit la mission, sans précédent pour une femme, d'enseigner aux résistants le maniement des explosifs. Elle fabrique elle-même des bombes avec des produits courants. Elle a alors le grade de sous-lieutenant. Elle participe à de nombreux sabotages de voies ferrées et sera même à la tête d'une de ces opérations. On lui refuse cependant de prendre les armes à l'approche du débarquement car les dirigeants FFI considèrent que « ce n'est pas la place d'une femme ».

Après la guerre, elle devient professeur de mathématiques à Paris. Officier de la Légion d'Honneur et Commandeur de l'Ordre du Mérite, son habitude de se déplacer à vélo pendant la guerre lui a inspiré le titre de l'autobiographie qu'elle a publiée par la suite, La plastiqueuse à bicyclette .

Danielle Casanova (1909-1943)

Danielle Casanova a grandi en Corse, dans une famille d'instituteurs ; elle se nomme alors Vincentella Périni. Elle part vivre à Paris à dix-huit ans, où elle fait ses études à l'École dentaire. Dès 1928, elle milite aux Jeunesses Communistes. Elle y rencontre son futur mari, Laurent Casanova, qu'elle épouse en 1933.

En 1932, elle est élue au Comité central du Parti communiste et se rend à Moscou en 1935 pour participer au congrès de l'Internationale communiste des jeunes.

En 1936, elle est secrétaire générale de l'Union des jeunes filles de France (UJFF), fondée à son initiative.

L'interdiction du Parti communiste, en septembre 1939, pousse Danielle Casanova dans la clandestinité. Elle cherche alors à rassembler les membres du Parti pour mettre en place une organisation armée, qui devient par la suite les Francs Tireurs et Partisans français. Dans le même temps, elle rassemble les femmes, permettant notamment à des comités féminins de la Résistance de se mettre en place. Elle organise des « manifestations de ménagères », défilés de femmes pour protester contre les pénuries. Elle publie aussi un journal clandestin , La voix des femmes , qui fait prendre conscience aux femmes que la lutte contre l'occupant est possible.

En février 1942, elle est arrêtée et emprisonnée à la Santé où elle retrouve Marie-Claude Vaillant-Couturier. Elle est ensuite internée au fort de Romainville puis déportée à Auschwitz, où elle remplace la dentiste du camp. Cette position privilégiée lui permet d'aider ses camarades en leur fournissant des vivres et des vêtements supplémentaires. Elle meurt en mai 1943, emportée par le typhus.

Geneviève de Gaulle (1920-2002)

Geneviève de Gaulle, née en 1920 dans le Gard, est la nièce du Général. En 1940, elle commence par manifester son refus de l'Occupation par des actions symboliques, en arrachant par exemple des affiches allemandes. Elle transporte notamment des plis en Espagne et contribue la mise en place d'un maquis en Haute-Savoie.

En 1943, elle rejoint le réseau clandestin « Défense de la France », puis devient membre du comité rédacteur de son journal. Ses articles sont signés de son pseudonyme, « Gallia ». Elle imprime et diffuse le journal d'abord dans une grande imprimerie située à la Sorbonne, puis rue de Sèvres à Paris. Le 14 juillet 1943, elle participe à une grande distribution de ce journal, sur le parvis de Saint-Christophe de Javel ; elle se fait arrêter le 20 juillet, interroger par la Gestapo et interner à Fresnes. Elle est déportée à Ravensbrück le 2 février 1944. Le nom qu'elle porte lui vaut d'être placée en isolement dans le camp pour servir éventuellement d'otage, à partir d'octobre 1944.

Après la guerre, elle est membre, puis présidente de l'Association des Déportées et Internées de France (ADIR) et conseiller au ministère des Affaires culturelles. En 1987, elle témoigne lors du procès de Klaus Barbie. Par ailleurs membre du Conseil économique et social à partir de 1987, elle milite pendant de nombreuses années pour l'adoption d'une loi contre la grande pauvreté, ce qui fait écho à l'association qu'elle préside depuis 1964, ATD Quart Monde.

Le 27 mai 2015, Geneviève de gaulle fera son entrée au Panthéon avec Germaine Tillion, Pierre Brossolette et Jean Zay.

Charlotte Delbo (1913-1985)

Charlotte Delbo naît en 1913, dans un milieu modeste. Elle adhère en 1934 aux jeunesses communistes puis en 1936 à l'Union des jeunes filles de France fondée par Danielle Casanova. Passionnée de littérature et de philosophie, elle rencontre en 1937 le comédien Louis Jouvet en réalisant une interview pour le journal communiste Les Cahiers de la jeunesse , dirigé par son mari Georges Dudach. Louis Jouvet l'embauche et la charge de prendre ses cours en sténographie. Au moment où la guerre éclate, Louis Jouvet emmène la troupe de l'Athénée en tournée. Charlotte Delbo le suit mais en 1941 retrouve en France son mari qui a rejoint le réseau Politzer, dans lequel il s'occupe du journal La Pensée Libre . Dans le réseau, elle est chargée de l'écoute de Radio Londres et de Radio Moscou. Elle participe également à la conception des tracts et revues, qu'elle dactylographie.

Le 2 mars 1942, Charlotte Delbo est arrêtée en même temps que son mari et d'autres résistants communistes (les Politzer, Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier). Charlotte Delbo et Georges Dudach sont transférés à la prison de la Santé après plusieurs interrogatoires. Georges Dudach est condamné à mort et fusillé le 22 mai 1942. Charlotte Delbo est internée à Romainville le 24 août et déportée à Auschwitz le 24 janvier 1943. Le 7 janvier 1944, elle est transférée à Ravensbrück. Elle a été libérée par la Croix Rouge suédoise le 23 juin 1945.

Son oeuvre littéraire témoigne de son expérience de la déportation : Le Convoi du 24 janvier , Auschwitz et après, Spectres, mes compagnons, La Mémoire et les Jours, Qui rapportera ces paroles ? , Ceux qui avaient choisi.

Marie-Madeleine Fourcade (1910-1989)

Dès 1940, Marie-Madeleine Fourcade rejoint le réseau « Alliance », chargé du renseignement militaire, l'un des plus importants réseaux de renseignement au service de la France libre et des Alliés, dirigé par Georges Loustaunau-Lacau jusqu'à son arrestation 1941. Marie-Madeleine Fourcade prend alors la tête du réseau, sous le pseudonyme de « Hérisson ». Elle devient le premier chef d'état-major féminin d'un réseau. « Alliance » compte alors environ trois mille membres, dont 25 % de femmes. Chacun de ses membres a pour pseudonyme un nom d'animal, ce qui conduit les Allemands à le surnommer « Arche de Noé ». « Alliance » transmet des informations inestimables aux services de renseignement britanniques, notamment sur les bases de missiles V1 et V2.

Marie-Madeleine Fourcade reste trente et un mois à la tête du réseau, ce qui est exceptionnel pour un résistant actif. Elle se rend à Londres en 1943 et rentre en France en juillet 1944 ; elle y poursuit la lutte jusqu'à la Libération.

Après le conflit, elle vient en aide aux familles des victimes en recherchant les disparus dans les camps et en faisant rapatrier leurs corps, en organisant des obsèques et des cérémonies commémoratives. Elle est titulaire de la Médaille de la Résistance et Commandeur de la Légion d'honneur.

Elle préside le Comité d'Action de la Résistance, de 1963 à sa mort en 1989. De 1979 à 1982, elle siège au Parlement européen.

Simone Michel-Lévy (1906-1945)

Simone Michel-Lévy est née dans le Jura en 1906. Elle entre à l'âge de seize ans dans les PTT. Dès 1940, elle adhère au réseau « CND Castille » du colonel Rémy et est chargée de l'établissement des faux papiers, du transport et de la mise en place des postes émetteurs sous le pseudonyme d'Emma. Les missions de radio comptent parmi les plus dangereuses, car elles sont étroitement surveillées par la Gestapo ; elles obligent de surcroît « Emma » à être en contact avec de nombreux résistants.

Simone Michel-Lévy conçoit également de fausses cartes professionnelles et des ordres de missions des PTT en vue de couvrir des réfractaires au STO.

En 1942, son poste aux PTT à Paris lui donne accès à un laissez-passer qui lui permet de circuler sur tout le territoire. Avec l'appui de deux collègues, elle crée le réseau « Action PTT » qui devient ensuite « État-major des PTT » (EMPTT) en 1942.

Elle est arrêtée le 5 novembre 1943, torturée puis déportée à Ravensbrück dans le convoi des « 27 000 ».

Au cours de sa captivité, elle est affectée au camp de Flossenbürg où elle doit fabriquer avec ses camarades des munitions pour le groupe Skoda. Elles décident ensemble de saboter la production. En octobre 1944, elle est repérée et accusée de sabotage. En avril 1945, elle est pendue avec ses deux complices, quelques jours avant la libération du camp. Simone Michel-Lévy fait partie des six femmes Compagnon de la Libération et a été décorée de la Légion d'honneur, de la Croix de guerre avec Palme et de la Médaille de la Résistance. Elle est également titulaire d'une décoration britannique.

Émilienne Moreau-Evrard (1898-1971)

Émilienne Moreau-Evrard, née à Wingles (Pas-de-Calais) en 1898, résiste contre l'occupant allemand dès la Première guerre mondiale. A l'âge de dix-sept ans, elle aide les troupes écossaises du 9 ème bataillon Black Watch à débusquer des soldats allemands dans son village de Loos, prenant elle-même les armes. Elle est récompensée par la Croix de guerre et est surnommée « l'héroïne de Loos ».

Elle devient ensuite institutrice et épouse Just Evrard, secrétaire général adjoint de la fédération socialiste du Pas-de-Calais. Dès le début de l'Occupation, ils s'engagent dans la Résistance avec des camarades de la SFIO. Après un sabotage, en septembre 1941, Just Evrard est arrêté ; dès sa sortie de prison, en avril 1942, il fuit en zone libre, où Émilienne Moreau-Evrard le rejoint. À Lyon, elle est agent de liaison dans le réseau « Brutus », un important réseau de la zone Sud, sous le pseudonyme de « Jeanne Poirier » ou d'« Émilienne la Blonde ». Elle travaille également avec le CAS (Comité d'Action Socialiste). Son rôle consiste à transporter des courriers ou de l'argent et à porter assistance à des réfractaires au STO ou à des résistants.

En 1943, son mari est envoyé à Alger pour siéger à l'Assemblée consultative provisoire. Émilienne Moreau-Evrard travaille alors pour « La France au Combat » qui regroupe les mouvements à tendance socialiste au sein des Mouvements Unis de la Résistance. Elle est désignée en 1944 pour siéger à l'Assemblée consultative. Elle se rend ainsi à Londres le 6 août, où elle expose le rôle des femmes dans la Résistance à la BBC. De retour en France en septembre 1944, elle poursuit son engagement dans le Pas-de-Calais. Elle est une des six femmes Compagnons de la Libération. Elle est titulaire de la Croix de Guerre 1939-1945 et de la Croix du combattant volontaire de la Résistance. Elle est également officier de la Légion d'honneur.

Jacqueline Péry-d'Alincourt (1919-2009)

Jacqueline de la Rochebochard est née en 1919 dans une famille de la noblesse bretonne. Elle fait ses études secondaires à Poitiers et se fiance à l'âge de dix-neuf ans à Joseph d'Alincourt, jeune officier ; au moment de la déclaration de guerre, ce dernier est mobilisé dans l'Est de la France. Il est fait prisonnier puis déporté à Nüremberg où il meurt au début de 1941. L'activité résistante de Jacqueline d'Alincourt commence véritablement après la mort de son mari, à Paris, quand elle voit un enfant porter l'étoile jaune dans le métro. Elle s'engage en 1942.

Elle témoigne 125 ( * ) : « J'ai vingt-deux ans au printemps 1942, dans Paris occupé. Des hommes, des femmes, des enfants disparaissent tous les jours. Comment accepter de courber la tête ? Je comprends que je préfère mourir. Ce choc détermine en moi une résolution que rien ne pourra détruire. L'ennemi n'a pas de prise sur qui ne craint pas la mort. J'en parle à mon ami Claire Chevrillon 126 ( * ) qui, à mon insu, est déjà dans la Résistance. [...] Je m'engage totalement [...] Pour combattre avec un ennemi qui incarne le mal absolu, pour sauver l'honneur de l'Homme. »

Sa mission consiste à coder des messages pour les envoyer au BCRA, à Londres. Elle rencontre ensuite Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin. Elle est chargée de chercher des « boîtes aux lettres », lieux par lesquels pourront transiter documents et messages en toute sécurité. Jacqueline d'Alincourt aide également les résistants venus de Londres à se procurer de l'argent, de fausses pièces d'identité, une couverture professionnelle et un logement. Son pseudonyme est « Violaine ».

Elle est arrêtée le 24 septembre 1943 par la Gestapo, torturée puis internée à Fresnes, à Romainville et déportée à Ravensbrück en avril 1944 où elle côtoie Geneviève de Gaulle et Germaine Tillion.

Après la guerre, elle épouse Pierre Péry, résistant, lui aussi déporté et survivant de Buchenwald. Elle intervient lors de plusieurs conférences, notamment aux États-Unis, pour témoigner de son parcours et de la déportation.

Jacqueline Péry-d'Alincourt est Commandeur de la Légion d'Honneur et titulaire de la Grand-Croix de l'Ordre du mérite.

Anise Postel-Vinay

Née en 1922, Anise Girard est réfugiée à Rennes avec sa famille lorsqu'elle entend l'allocution du Maréchal Pétain demandant aux Français de cesser le combat, le 17 juin 1940. La famille revient à Paris et elle y poursuit ses études d'allemand. Avec des camarades, elle prend part à la manifestation du 11 novembre 1940 sur les Champs-Élysées ; plusieurs sont arrêtés. Après des tentatives infructueuses pour prendre contact avec des réseaux résistants, elle se voit proposer des actions de renseignement militaire. Malgré son inexpérience, Anise Girard fournit plusieurs plans concernant le système de défense allemand. En août 1942, elle est arrêtée alors qu'elle allait livrer les documents qu'elle avait recueillis. À son arrivée à la prison de la Santé, on lui annonce qu'elle sera mise à mort le lendemain, mais elle est ensuite transférée à Fresnes, puis à Romainville, d'où elle est déportée au camp de Ravensbrück, avec Germaine Tillion.

Après la guerre, elle s'emploie à faire connaître l'histoire de la déportation. Elle évoque notamment les atrocités commises sur certaines femmes, en majorité polonaises, qui servaient de cobayes au professeur SS Karl Gebhardt, et surnommées pour cette raison les « lapins ». Elle décrit également la solidarité qui régnait dans ce camp. Après la guerre, elle épouse André Postel-Vinay, figure également célèbre de la Résistance.

Elle collabore notamment aux trois ouvrages écrits par Germaine Tillion sur Ravensbrück ( Cahiers du Rhône, 1946, et Seuil, 1973 et 1988), et aux ouvrages collectifs Les chambres à gaz, secret d'Etat (Minuit, 1984) et La France des années noires (Seuil, 1993).

Germaine Tillion (1907-2008)

Née en 1907 en Haute-Loire, Germaine Tillion fait des études d'ethnologie et part en Algérie de 1934 à 1940 pour étudier la vie des tribus chaouias. De retour à Paris, elle cherche à participer à la Résistance. Elle rencontre Paul Hauet, un colonel à la retraite, avec qui elle relance l'UNCC (Union Nationale des Combattants Coloniaux), une association qui vise à aider matériellement et moralement les prisonniers de guerre d'Outre-mer. Sous couvert d'activités légales, l'association cache en réalité des filières d'évasion, des actions de recensement de camps de prisonniers et des activités de renseignement. Germaine Tillion cache également des fugitifs dans son propre domicile de Saint Maur.

Elle prend contact avec trois membres du réseau du Musée de l'Homme, Boris Vildé, Yvonne Oddon et Anatole Lewitsky et parvient ainsi à relier ce réseau à d'autres groupes : le mouvement Valmy, Ceux de la Résistance, France-Liberté et Gloria SMH.

En août 1942, Germaine Tillion est dénoncée et arrêtée. Elle est internée pendant plus d'un an, d'abord à la Santé, puis à Fresnes, avant d'être déportée à Ravensbrück. Elle y côtoie Geneviève de Gaulle, Jacqueline Péry d'Alincourt et Anise Postel-Vinay. Elle applique ses méthodes d'ethnologue à une enquête sur le système concentrationnaire nazi, en réalisant par exemple des organigrammes SS ou des listes de déportées françaises ou de bourreaux. Sa mère, elle aussi déportée à Ravensbrück, meurt dans les chambres à gaz en mars 1945.

Germaine Tillion a été sauvée par la Croix Rouge suédoise.

Après la guerre, elle liquide le réseau auquel elle a appartenu, lui donnant le nom de « Réseau musée de l'Homme-Hauet-Vildé ». Elle écrit également plusieurs ouvrages sur la Résistance et Ravensbrück. En 1954, elle travaille en Algérie et dénonce les tortures commises par des militaires français.

En 1999, Geneviève de Gaulle lui remet la Grand-Croix de la Libération.

Le 27 mai 2015, Germaine Tillion fera son entrée au Panthéon avec Geneviève de Gaulle, Pierre Brossolette et Jean Zay.

Marie-Claude Vaillant-Couturier (1912-1996)

Marie-Claude Vaillant-Couturier est la fille de Lucien Vogel, éditeur. Reporter photographe, elle adhère aux Jeunesses communistes en 1934 et épouse Paul Vaillant-Couturier, député communiste. Elle participe à ses côtés à la fondation de l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires. Elle participe, avec Danielle Casanova à la création de l'Union des Jeunes Filles de France. Elle entre en 1938 à l'Humanité . Après l'Armistice, elle s'engage dans la Résistance et met son expérience au service des publications clandestines du Parti communiste. Arrêtée le 9 février 1942, emprisonnée à la Santé, puis à Romainville, elle est déportée à Auschwitz, puis à Ravensbrück. À son retour, elle témoigne des crimes nazis devant le tribunal de Nüremberg.

Après la guerre, elle siège à l'Assemblée Consultative provisoire, est élue aux deux assemblées constituantes en 1945 et 1946, est députée de la Seine de 1946 à 1958 et de 1962 à 1967, puis du Val-de-Marne jusqu'en 1973. Elle est vice-présidente de l'Assemblée Nationale de 1956 à 1958 et en 1967-1968.

Elle reçoit, le 16 avril 1995, le grade de commandeur de la Légion d'Honneur.

Rose Valland (1898-1980)

Rose Valland est née en Isère. En 1914, elle est reçue à l'École Normale des Institutrices, qu'elle termine en 1918. Très douée en dessin, elle intègre ensuite l'École nationale de beaux-arts de Lyon, puis celle de Paris, où elle étudie en même temps qu'elle suit une formation à l'École du Louvre. Elle se consacre à l'histoire de l'art. Au début de la guerre, elle travaille au musée du Jeu de Paume à Paris. A la même époque, les nazis réquisitionnent le bâtiment afin d'y entreposer des oeuvres confisquées, en particulier des peintures d'artistes juifs. Ces oeuvres volées sont ensuite envoyées en Allemagne.

Rose Valland décide de rester au musée pendant cette période. Elle déclare à ce sujet : « Mon intention était arrêtée, je m'efforcerais de rester. [...] Je ne comprenais pas encore très nettement les raisons qui me poussaient à cette décision, ni de quelle manière je pourrais être utile et justifier ma présence [...]. Seule était précise ma détermination de ne pas quitter la place . » 127 ( * ) Elle travaille au musée pendant toute la période de l'Occupation. Elle prend des notes, reproduit des documents administratifs allemands, récupère et analyse des carbones laissés dans les corbeilles à papier, recense les destinations des oeuvres... Son travail a permis de retrouver la trace des oeuvres dérobées par les Allemands. Après la guerre, Rose Valland travaille au Comité de récupération artistique, qui vise à retrouver ces peintures et sculptures dispersées dans toute l'Allemagne.

Hélène Viannay (1917-2006)

D'origine russe, Hélène Mordkovitch est née à Paris en 1917. En 1940, elle est étudiante en géographie à la Sorbonne. Pendant un voyage en train, elle comprend la nécessité de résister. Elle raconte son arrivée à Vierzon : « Nous voilà dans la gare. En entrant, un drapeau croix gammée depuis le haut du toit jusqu'au sol, alors nous entrons en Allemagne, ce n'est plus la France, il n'y a aucun doute. La tension montait. Devant nous, deux soldats allemands font les cent pas. À un moment donné, j'ai compris ce qu'ils disaient, moi qui ne sais pas l'allemand. Ils nous regardent et disent : « Deutsche Mädchen » ou quelque chose comme cela ; nous ressemblons à deux jeunes filles allemandes, blondes aux yeux bleus. L'un des soldats s'approche de nous pour caresser la joue de la jeune fille [...] ; elle se jette en arrière et bien moi je le gifle, ... à toute volée! Je n'avais jamais donné de gifles de ma vie, je n'en ai jamais donné depuis mais j'y suis allée de bon coeur et l'Allemand est resté comme ça... On a entendu un sifflet et le train est parti : pas de fouille, rien, aucune conséquence. J'ai pleuré à chaudes larmes, la petite jeune fille a pleuré à chaudes larmes, on s'est embrassé et j'ai dit : « bon, bien, maintenant je sais où je suis, pas possible, je ne peux pas supporter, je ne les supporte pas, qu'ils s'en aillent ! ». Vous voyez, c'est comme ça qu'on devient résistant, ce n'était pas plus compliqué 128 ( * ) ».

À la Sorbonne, elle a l'idée de fabriquer des tracts intitulés : « Français, réveillez-vous », qu'elle tape elle-même à la machine, cinq par cinq, de septembre à décembre 1940. Elle rencontre alors un étudiant en philosophie, Philippe Viannay. Ensemble, ils créent un journal clandestin, Défense de la France dont le premier numéro est diffusé en février 1941. L'impression a lieu à la Sorbonne, de nuit. Hélène Mordkovitch assure toute la production du journal mais ne participe que très peu à la rédaction des articles. Elle se charge de diffuser le journal, de produire des faux-papiers et d'assurer la liaison entre les différents ateliers, jusqu'à la Libération. Elle se marie en 1942 avec Philippe Viannay ; un enfant naît le 14 juillet 1943. Le 20 juillet, une vague d'arrestations touche le mouvement, son mari est arrêté ; elle quitte précipitamment la clinique et va se réfugier chez Marie-Hélène Lefaucheux. Fin 1944, Hélène Viannay part pour le maquis de Ronquerolles et effectue des missions d'agent de liaison entre les zones d'activités du maquis et Paris.

Après la guerre, elle travaille avec son mari au centre nautique des Glénans, dont elle est co-fondatrice. Elle crée et préside également le prix Philippe Viannay, qui récompense chaque année des ouvrages portant sur la résistance au nazisme.

Photo de Charlotte Delbo : (c) Eric Schwab

Paroles de Résistantes

Lucie Aubrac

« La guerre est l'affaire des hommes.

Mais les Allemands, qui ont menacé des femmes et asphyxié des enfants, ont fait que cette guerre est aussi l'affaire des femmes.

Mais les Allemands et la police de Vichy ne connaissent pas le droit international et cette guerre est aussi l'affaire des femmes.

Nous, les femmes de France - je dis « nous » car il y a deux mois seulement que j'ai quitté mon pays - nous, les femmes de France, avons dès l'armistice pris notre place dans ce combat. Notre foyer disloqué, nos enfants mal chaussés, mal vêtus, mal nourris ont fait de notre vie depuis 1940 une bataille de chaque instant contre les Allemands. Bataille pour les nôtres, certes, mais aussi bataille de solidarité pour tous ceux qu'a durement touchés l'occupation nazie.

La grande solidarité des femmes de France : ce sont les petits enfants juifs et les petits enfants de patriotes sauvés des trains qui emmènent leurs parents vers les grands cimetières d'Allemagne et de Pologne ; ce sont dans les prisons et les camps de concentration en France les colis de vivres, les cigarettes, le linge nettoyé et raccommodé , qui apportent aux patriotes entassés derrière les murs un peu d'air civilisé et d'espoir ; ce sont les collectes de vêtements et de vivres qui permettent aux jeunes hommes de gagner le maquis ; ce sont les soins données à un garçon blessé dans un engagement avec les Allemands.

Et puis maintenant que tout le pays est un grand champ de bataille, les femmes de France assurent la relève des héros de la Résistance. Dans la Grande Armée sans uniforme du peuple français, la mobilisation des femmes les place à tous les échelons de la lutte : dactylos, messagères, agents de liaison, volontaires même dans les rangs de groupes francs et de Francs-Tireurs, patiemment, modestement, les femmes de France mènent le dur combat quotidien...

Vous n'êtes qu'un prénom, Jeannette ou Cécile, mais arrêtées, torturées, déportées, exécutées, vous restez dures et pures, sans confidence pour le bourreau. N'est-ce pas vous, héroïne anonyme qui, arrêtée par la Gestapo, frappée au visage, défigurée, un oeil perdu, vous évanouissant aux terribles coups de cravache sur le haut des cuisses, êtes restée silencieuse ?

[...] C'est peut-être dans la cellule voisine que mourut Thérèse Pierre, les reins brisés par la torture, que Mme Albrecht attendit la hache du bourreau. Battues, méprisées, toutes seules devant la souffrance et la mort, si notre martyrologue est long, nous savons, nous, femmes de France, nous qui connaissons le prix de la vie, qu'il faut nos pleurs, nos souffrances et notre sang pour que naisse le beau monde de demain. » 129 ( * )

***

« Quand les mouvements de Résistance ont commencé à se structurer, les responsabilités étaient réparties sans qu'il y eût la moindre discrimination de sexe, mais selon ce qui paraissait la meilleure utilisation des compétences et des aptitudes. C'est ainsi que par efficacité les femmes étaient secrétaires et prirent en main l'organisation des services sociaux clandestins. Une jeune femme agent de liaison attirait moins l'attention qu'un garçon dans une société où un homme jeune était a priori suspect. Il ne s'agissait pas de tâches mineures, bien au contraire. Quand elles étaient arrêtées les femmes subissaient des interrogatoires épouvantables parce que les policiers savaient qu'elles étaient des charnières importantes. La déportation et la mort était les prix courants de leur activité.

Dans tous les « services » de la Résistance le rôle et la présence des femmes était certains. [...] À mesure que tombaient les illusions créées par Vichy, que se faisaient les choix et se formaient les opinions chez les femmes, se tissait sur la France des campagnes et des villes un réseau féminin de plus en plus serré de sympathie et d'aide à la Résistance qui a très certainement été l'une des raisons de son efficacité.

Cette sympathie et cette aide ont conduit les femmes à s'engager de plus en plus. [...]

Je pense que la Résistance a entraîné une mutation profonde et radicale des mentalités et des motivations féminines. Les femmes n'ont pas hésité à prendre, ont décidé de prendre des responsabilités dans les organismes clandestins et dans ceux issus de la Résistance. [...]

Si, à la Libération, les assemblées comptaient un nombre important de femmes, ce nombre se dégrada vite. Le retour aux structures politiques d'avant-guerre, les jeux fastidieux d'un parlementarisme formel et souvent courtisan, et - pourquoi pas - l'atavisme masculin réinstallé dans de vieilles formes de pensée, ont éloigné les femmes des représentations nationales.

Pourtant elles sont restées attentives aux problèmes du monde contemporain. Leur mutation qui les rend disponibles pour d'autres engagements a entre autres permis à une nouvelle génération de continuer ses conquêtes en partant d'un acquis irréversible. » 130 ( * )

***

Yvonne Dumont 131 ( * )

« Les épreuves des années 1939-1945, l'expérience acquise au cours des multiples actions que menèrent des milliers d'entre elles, donnèrent aux femmes une conscience plus haute de leurs devoirs et de leurs droits.

Elles avaient appris, que tout ce qu'elles souffraient quotidiennement dans leur chair et dans leur coeur, leurs angoisses de mère et de femmes, était la conséquence directe et concrète d'événements qui s'étaient déroulés avant la guerre, dans notre pays et dans le monde.

Beaucoup d'entre elles, jusqu'alors, avait pensé que ces questions étaient du ressort des hommes d'État, du domaine des préoccupations du mari, mais que ce n'était pas leurs affaires à elles.

Et la vie démontrait brutalement, tragiquement à la masse des femmes, que toute la tendresse, la sollicitude, le dévouement, le courage à la tâche dont est capable une mère, une épouse, ne suffisent pas à préserver les êtres les plus chers, quand les fléaux tels que la guerre et l'occupation s'abattent sur le pays.

Avec l'ensemble de notre peuple, elles faisaient l'expérience de ce que, hommes et femmes doivent collectivement intervenir, dire leur mot, agir à propos de ces grands problèmes qui, en définitive, décident de la vie quotidienne de chacun.

De même elles réalisaient aussi de quel prix se payait la division entre travailleurs que le malheur se chargeait de réunir.

- Les bombes ne choisissaient pas entre la maison du communiste, celle du chrétien ou du socialiste.

- La faim ne faisait pas de distinction entre les enfants des uns ou des autres.

- Travailleurs des villes ou des champs, ouvriers, instituteurs, techniciens, paysans subissaient la même captivité dans les stalags, et leurs femmes la même solitude.

- Les balles du peloton d'exécution tuaient aussi bien celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas et les larmes de leurs veuves avaient le même goût amer.

Cette communauté dans le malheur imposait de s'unir dans l'action pour y mettre un terme.

C'est ainsi que les femmes que tant de choses avant la guerre tenaient éloigner les unes des autres, se sont retrouvées pour protester contre le rationnement, contre le départ des travailleurs en Allemagne, pour la solidarité aux familles des patriotes des forces françaises de l'intérieur.

Trois noms de femmes, trois noms d'héroïnes mortes pour la France, symbolisent cette union.

Danielle Casanova, la communiste, disait : « Il faut combattre jusqu'à ce que la France ait retrouvé les libertés qu'elle avait conquises au cours des siècles au prix de tant de sang et de révolutions. Notre belle France sera libre et ce sera notre oeuvre à tous ».

Bertie Albrecht, la chrétienne, confiait à une de ses amies : « Je suis prête à tous les sacrifices pour servir la France au maximum ».

Suzanne Buisson, la socialiste, apprenant la débâcle en 1940, s'écriait : « Non, la France, la République ne sont pas mortes, mais il faudra se battre, on se battra ». 132 ( * )

***

« La Résistance fut aussi une multitude d'actes modestes, répondant à des motivations d'ordre économique, personnel ou affectif, et qui, au départ, ne signifiaient pas toujours de la part de ceux et de celles qui les accomplissaient une compréhension totale de la situation, ni de ses causes, ni des moyens d'en sortir.

Et pourtant dès le début beaucoup d'actes obscurs, en apparence anodins et sans gloire, qui furent le fait de dizaines et dizaines de milliers de femmes, sont à mettre au compte de la Résistance. [...]

Et il n'est pas exagéré de dire que l'attitude et le rôle des femmes fut de ce point de vue d'une importance capitale, moins en raison de qualités qui leur sont propres, que des circonstances dans lesquelles elles furent placées. [...]

Dès le début de l'occupation les femmes se manifestèrent.

À propos du ravitaillement.

Cela commença par des pétitions, des délégations aux mairies, aux préfectures, réclamant le déblocage de lait, de matières grasses, de charbon, des bons de galoche pour les enfants, des suppléments de points textile. [...]

Et peu à peu l'action passe à un stade supérieur.

À partir de revendications économiques, les manifestations débouchent sur des actions de résistance plus affirmées. L'attitude courageuse des femmes de mineurs du Nord et du Pas-de-Calais, lors de la grève menée par leur mari, déclarée le 26 mai 1941, en témoigne.

De la pétition, de la délégation, on arrive aux prises de parole dans les queues, devant les églises à la sortie de la messe, devant les magasins, et les femmes en viennent à s'attaquer aux stocks, à décharger les camions de ravitaillement, et à se servir. [...]

Mais les premières actions furent sans doute celle des femmes de prisonniers. [...] Cette activité qui, elle aussi, alla en s'amplifiant jusqu'à la fin de la guerre, commença dès l'hiver 1940. [...] Les femmes de prisonniers s'organisent peu à peu à travers toute la France en zone Nord éditent leur journal « Le trait d'union ».

À partir de 1942, aux activités concernant le ravitaillement, le sort des prisonniers de guerre, va se joindre la lutte contre la réquisition des hommes (et des femmes) pour le travail en Allemagne. [...]

L'autre secteur où se sont exercées et l'ingéniosité et la générosité des femmes est l'aide morale et matérielle apportée aux familles des emprisonnés, des déportés, qui connaissent l'angoisse permanente de l'ignorance du lieu de détention de l'être cher emmené un jour par la Gestapo, la Milice ou la police spéciale ou bien tout simplement disparu, du sort qui lui était réservé, angoisse augmentée des soucis matériels qui touchaient souvent au dénuement. [...]

Il resterait encore beaucoup à dire sur l'activité spécifique des femmes au cours de cette période. Par exemple, il faudrait parler de la place qu'eurent dans la Résistance française des femmes immigrées, chassées de leur pays avant la Deuxième guerre mondiale par le fascisme ou l'antisémitisme.

Il m'est arrivé au cours de voyages à l'étranger ou de rencontres féminines internationales de retrouver des Allemandes, des Italiennes, des Hongroises, des Polonaises, parlant un français impeccable, évoquant des souvenirs qui nous étaient communs.

Il faudrait mentionner l'activité d'un groupement de femmes juives résistantes, les initiatives personnelles de femmes qui n'avaient aucun lien avec quelque organisation que ce soit, mais obéissaient simplement à leur sentiment de femme, de Française. » 133 ( * )

***

Germaine Tillion 134 ( * )

« J'apprends, le 17 juin, la demande d'armistice et c'est pour moi un choc si violent que j'ai dû sortir de la pièce pour vomir... [...]

En 1940, dans cette période tout à fait initiale de la première résistance, il n'y a pas encore de réseaux ni d'organisations, mais seulement quantités de groupuscules, qui ont tous des choses à faire et n'en ont pas les moyens et qui, par conséquent, sont obligés de se raccorder à d'autres. Et c'est cela qui commence peu à peu à former des réseaux : des réseaux au sens grammatical du mot, pas au sens administratif de 1944. Songez que les premières arrestations de notre groupe eurent lieu dès février 1941. Mais entre août 1940 et février 1941, l'activité de résistance a été intense. [...]

Au début, nous ne nous cachions pas, ou très peu ; nous cachions seulement nos moyens, mais pas du tout nos choix. Nous étions, selon la phrase classique, comme le poisson dans l'eau. Mais une eau qui était continuellement informé de tout ce que faisaient les poissons. Par conséquent, à la merci du premier traître venu. [...]

Dans les archives du « réseau du musée de l'Homme » [...], vous verrez que la résistance des premiers mois à recruter des gens qui étaient de gauche, des gens qui étaient de droite, et aussi d'extrême gauche et d'extrême droite. »

[À Ravensbrück,] j'ai acquis beaucoup de respect pour la personne humaine, car j'ai vu et coudoyé les femmes admirables. [...] En plusieurs occasions j'ai failli mourir. J'ai été aidée. J'ai aidé des camarades et beaucoup de camarades m'ont aidée. Il y a eu autour de moi une entraide constante. [Il y avait à Ravensbrück toutes les catégories]. Des plus modestes jusqu'à la plus vieille noblesse française. [...] Et des comportements assez voisins. Une duchesse, une femme de ménage, cela se tient à peu près de la même façon devant l'horreur. J'ai été frappée par la distinction des Françaises. De toutes les classes... » 135 ( * )

Gisèle Guillemot

Née en 1922, Gisèle Guillemot a déjà participé à des actions de soutien à la République espagnole quand elle entre en Résistance dès 1940. Membre du Parti communiste, elle effectue des missions d'agent de liaison sous le pseudonyme d'Annick. Arrêtée par la Gestapo en avril 1943 avec quatorze camarades, elle est emprisonnée à Caen puis à Fresnes. Ses camarades sont fusillés sur le Mont Valérien. Classée « Nacht und Nebel », Gisèle Guillemot est déportée en Allemagne et transférée à Ravensbrück à l'automne 1944, dont elle est libérée en avril 1945 par la Croix rouge. Elle a écrit de nombreux poèmes et, sous le titre Elles... revenir , un ensemble de portraits contant l'histoire du retour de déportation de dix femmes et livrant un récit sans concession des difficultés et parfois des souffrances de leur retour à la vie.

À ma mère

[...]

« Écoute, il faut que tu comprennes

Lui et moi on n'a pas supporté

Ces gens qu'on torturait

Et ceux qu'on fusillait

Et les petits-enfants

Entassés dans les trains

Alors on a rêvé

De liberté

Écoute Maman, je vais te raconter

Écoute, il faut que tu comprennes

Lui et moi on n'a pas supporté

Alors on s'est battu

Alors on a perdu

Écoute maman, il faut que tu comprennes

Écoute, ne pleure pas

Demain sans doute ils vont nous tuer

C'est dur de mourir à vingt ans

Mais sous la neige germe le blé

Et les pommiers déjà bourgeonnent

Ne pleure pas

Demain il fera si beau »

***

Arlette Humbert-Laroche

Agent de liaison, Arlette Humbert-Laroche (1915-1945) est arrêtée en janvier 1943, incarcérée à Fresnes puis jugée à Berlin et emprisonnée à la prison de Jauer en Silésie. Avec l'avancée des troupes soviétiques, elle est déportée à Ravensbrück, Mathausen et Bergen-Belsen où elle trouve la mort.

Dans ma cellule

Bientôt midi.

Ça sent la soupe monotone et moisie.

Ah ! Que j'ai envie

de fruits craquants et rebondis

d'herbes fraîches et du jus sucrés

dans des vergers alourdis

de branches qui m'égratignent.

Que j'ai envie

de bourgeons éclatés

dans mes doigts,

que j'ai envie là,

sur ma gorge

d'un baiser d'homme inassouvi,

deux étaux à ma taille,

la terre sous mes épaules

accueillante comme un lit,

une sève de fleurs, de plante, de vie

coulant de moi

avec un envahissement de marée ;

[...]

Midi ! Ça sonne ! Qu'est-ce qu'on mange aujourd'hui ?

Ah ! Oui ! Des pois

des pois cassés et moisis.

***

On tue

On tue,

D'un bout de la terre à l'autre

On tue,

On tue sur la mer,

La nuit on peut voir

Dans l'énorme et indifférente solitude

De l'eau,

Des cadavres

Qui ont encore leurs dernières larmes

À leurs faces de linge

Tournées vers le ciel noir.

[...]

Pourtant le soleil est là.

Je l'ai vu ce matin

Jeune, fort, exigeant.

Il ruisselait sur les toits

Il mordait au coeur les arbres,

Il empoignait la ville aux épaules

Et réclamait de la terre son réveil,

Il est là,

Il est au fond de toutes choses

Et, devant ce monde qui s'entrouvre, s'affaisse et se replie

Il y a la mystérieuse et latente énergie

Qui refuse les ténèbres

Et ne veut pas qu'on tue la vie.

***

Marianne Cohn

Dès 1934, la famille allemande de Marianne Cohn (1921-1944) fuit les persécutions nazies et s'exile en Espagne, puis en France.

Marianne Cohn rejoint la Résistance et aide de nombreux enfants juifs à se réfugier la Suisse. Elle est arrêtée une première fois à Nice en 1943 : c'est alors qu'elle rédige ce poème. En mai 1944, elle est arrêtée une nouvelle fois alors qu'elle convoie vers la Suisse vingt-huit enfants ; elle est torturée et mise à mort par la Gestapo ; elle a vingt-trois ans.

Je trahirai demain

Je trahirai demain, pas aujourd'hui.
Aujourd'hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.

Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.

Je trahirai demain, pas aujourd'hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d'une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.

Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.

Je trahirai demain, pas aujourd'hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n'est pas pour le barreau,
La lime n'est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.

Aujourd'hui je n'ai rien à dire,
Je trahirai demain.

***

Madeleine Riffaut

Née en 1924, Madeleine Riffaut s'est engagée dans la Résistance dès l'âge de 18 ans et a participé, sous le nom de code « Rainer », à plusieurs opérations contre l'occupant nazi. Elle entre dans les FTP en mars 1944 et prend une part active aux combats de la Libération au cours desquels elle est livrée à la Gestapo et torturée. Ce poème a été écrit en août 1944. Après sa libération, elle est affectée à la compagnie Saint-Just avec le grade d'aspirant.

Chanson

« Ils me banderont les yeux

Avec un mouchoir bleu

Ils me feront mourir

Sans me faire souffrir

Ils m'avaient tué un camarade

Je leur ai tué un camarade

Ils m'ont battue et enfermée

Ont mis des fers à mes poignets.

Sept pas de long

À ma cellule.

Et en largeur

Quatre petits.

[...]

Ils ont bien pu tordre mes mains

Je n'ai jamais livré vos noms

On doit me fusiller -demain -

As-tu très peur, dis ? Oui ou non ?

Le temps a pris

Le mors aux dents !

Courez, courez

Après le temps !

Ceux-là, demain, qui me tueront

Ne les tuez pas à leur tour

Ce soir mon coeur n'est plus qu'amour.

Cela sera comme la chanson :

Les yeux bandés

Le mouchoir bleu

Le poing levé

Le grand adieu !

Ravensbrück

1 - L'enfer

Charlotte Delbo 136 ( * )

« Moi aussi

je regardais les étoiles

pendant l'appel

la nuit

longtemps avant le jour

pointes de diamant glacées

dards incandescents

diamants de glace

flèches de feu

qui trouaient le métal du ciel

pour planter dans notre chair

leurs échardes de froid

leurs griffes acérées

brûlantes

et nous transpercer jusqu'au coeur.

[...]

Toutes

des milliers

dehors dans la nuit

debout dans le froid de la nuit

bleues de froid

la poitrine serrée à faire mal

insensibles à force d'avoir mal

insensibles à la mort

qui nous enserre de sa poigne glacée.

Et c'est la nuit du matin

encore tout un jour à venir

à vivre jusqu'au soir

jusqu'à la nuit du soir. »

Gisèle Guillemot 137 ( * )

Rêve perdu

« Mon amie »

Elle disait

si je reviens

j'écrirai des romans.

Elle disait

si je reviens

j'apprendrai le violon

elle disait

si je reviens

j'aurai beaucoup d'enfants.

il n'y aura

ni enfants

ni violon, ni roman. »

Jacqueline Péry d'Alincourt

« La vie au 31 était un enfer.

Nous étions 1600 pour un espace devant contenir normalement 425 lits en trois étages.

C'était l'hiver.

Beaucoup de femmes n'avaient pas de couverture et les fenêtres n'avaient pas de carreaux.

Nous étions sans lumière.

On partait le matin dans l'obscurité.

Le soir au retour du travail, il faisait déjà nuit.

Il fallait pour gagner son lit ou toucher un morceau de pain, engager une bataille afin de se frayer un passage à travers une masse compacte qui ne pouvait ni avancer, ni reculer, frappait, hurlait dans toutes les langues...

Pour aller au lavabo, lorsqu'il y avait de l'eau, il fallait également percer la masse couverte de poux avant d'atteindre la vasque. C'était souvent l'endroit préféré des folles et il fallait nous garder de leurs coups. Le fait de nous mettre nue sous le robinet (seul moyen de se laver vite et complètement) avait le don d'exciter leur colère. » 138 ( * )

2 - Le retour du camp

Gisèle Guillemot

« REVENIR 139 ( * )

« Le train qui rapatriait ce groupe de déportées via la Suisse n'était pas vraiment confortable. De vieux wagon de troisième classe, aux sièges de bois, qui brinquebalaient sur les rails avec un bruit assourdissant. Mais les voyageuses n'en avaient cure. Les bouleversements des derniers jours, la peur sourde qui les avait d'abord taraudées, l'effarement d'une libération aussi inattendue avant la fin de la guerre, le soulagement de quitter le camp et la douleur de laisser derrière elles trop de leurs compagnes, avait miné leurs dernières ressources. Elles étaient épuisées. Après les adieux aux libérateurs, l'installation dans les compartiments, le départ, elle avait sombré dans une profonde et bienfaisante somnolence. Mais les sens toujours en éveil depuis des mois pour prévoir le pire, elles avaient senti le train ralentir. Les deux sifflements aigus de la locomotive les avaient sorties de leur léthargie. Une voix triomphante avait annoncé : « vous entrez en France ». Par les vitres vite ouvertes, elles saluaient une foule sur le quai de la gare frontière qui leur tendait des présents, sandwichs, friandises, fleurs et même des linges imbibés d'eau de Cologne. Un petit groupe tenta une Marseillaise qui avorta dans des trémolos d'émotion. »

Charlotte Delbo

« Qu'on revienne de guerre ou d'ailleurs

quand c'est d'un ailleurs

aux autres inimaginables

c'est difficile de revenir

Qu'on revienne de guerre ou d'ailleurs

quand c'est d'un ailleurs

qui n'est nulle part

c'est difficile de revenir

tout est devenu étranger

dans la maison

pendant qu'on était dans l'ailleurs

Qu'on revienne de guerre ou d'ailleurs

quand c'est d'un ailleurs

où l'on a parlé avec la mort

c'est difficile de revenir

Et de reparler aux vivants.

Qu'on revienne de guerre ou d'ailleurs

quand on revient de là-bas

et qu'il faut réapprendre

c'est difficile de revenir

quand on a regardé la mort

à prunelle nue

c'est difficile de réapprendre

à regarder les vivants

aux prunelles opaques. » 140 ( * )

« Quand nous sommes sortis du camp, épuisés jusqu'à l'hébétude, nous n'avions même pas la force d'en éprouver de la joie. Se reposer, dormir, dormir tout son saoul. Il nous semblait que notre fatigue ne se dissiperait jamais. Ni notre tristesse. Nous portions le poids de tous ceux qui ne revenaient pas. Quelques milliers de survivants pour des millions de morts, une somme de souffrances dont nul ne fera jamais le compte.

Nous, nous rentrions, et la vie reprendrait. Nous ne le savions pas encore très clairement. Tous les projets que nous avions pu échafauder, tous les rêves pour après, se diluaient dans un brouillard d'irréel. Nos préoccupations ne dépassaient pas l'immédiat : boire, dormir, manger, ne plus entendre la sirène, ne plus commander à son corps de tenir debout, de marcher ; cesser ce contrôle exténuant sur chacun de ses gestes, ne plus être sur le qui-vive, se laisser aller, s'abandonner. Enfin ne plus faire attention à tout. Pour moi, j'avais l'impression que, privés du raidissement que leur imposait ma volonté, mes membres devenaient flasques, mon squelette invertébré.

Mais, dans la confusion où nous étions, une certitude claire se dessinait : les miradors s'écroulaient, les barbelés tombaient, les camps étaient balayés par la tornade purificatrice : la victoire. L'herbe pousserait sur les places d'appel. Les énormes pustules qui avaient défiguré des territoires immenses seraient effacées par la végétation, le manteau naturel de la Terre. La victoire avait été chère, elle était là, radieuse. La liberté avait gagné. Nos morts, nos millions de morts, nos souffrances, nos humiliations s'inscriraient dans l'histoire comme faits du passé. Nous rentrions. Nous dirions l'histoire.

Plus tard. Pour l'heure, il s'agissait de reprendre des forces, de s'orienter, de se remettre dans la vie, dans celle d'avant ou dans une vie nouvelle : se marier, avoir des enfants, travailler, entreprendre des études ou les reprendre, retrouver son travail ou en changer pour partir à neuf. Notre pensée se ranimait lentement. Il fallait comme reconstruire sa personnalité. J'entends par là revenir en possession de soi-même, en rassemblant des morceaux épars qui réapparaissaient soudain ou affleuraient peu à peu, alors qu'on les avait cru perdus, et qu'il fallait ressouder en effaçant les cicatrices du camp. Aussi a-t-on vu chacun se replier chez lui, sur lui, et ceux qui avaient été des compagnons inséparables sont restés parfois des années sans se revoir. Chacun était trop absorbé par tous les problèmes qui l'assaillaient, des difficultés qu'il n'avait pas prévues, au niveau le plus terre-à-terre bien souvent. Non, ce n'était pas par égoïsme. L'Europe relevait ses ruines, les criminels étaient jugés et condamnés, l'histoire n'avait plus besoin de nous. » 141 ( * )

3 - Témoigner

Gisèle Guillemot

« Toutes les autres

Celles qui allaient mourir disaient : « Il faudra leur raconter, là-bas, en France, il faudra que tout le monde sache. Il ne faut plus jamais que cela recommence et les coupables devront être punis ».

Les revenantes ou bien essayé mais personne n'a voulu les entendre : « N'y pense plus, c'est fini ! » Puisqu'on ne voulait pas les écouter, elles se sont tues. Elles étaient si fatiguées ! Leurs nuits si difficiles ! Elles se sont résignées au silence, tout comme leur compagnon.

Puis dans le cours des années quatre-vingts, quelqu'un a dit : « On a exterminé seulement les poux ». Alors, elles se sont mises très en colère, sont enfin sorties de leur torpeur et ont imposé leur parole. La troisième génération, qui n'avait pas de honte à assumer, ni la sienne, ni celle de ses parents, a été avide de connaissance, elle a voulu savoir comment ces crimes avaient été possibles. Il s'est produit une sorte d'osmose entre ceux qui savaient et ceux qui voulaient savoir. Alors, non seulement les rescapés ont parlé dans les écoles, les lycées, mais elles ont enregistré leurs témoignages pour les générations à venir, écrit parfois d'excellents récits. C'est alors seulement que se sont senties moins mal et que leurs nuits sont devenues un peu moins difficiles. » 142 ( * )

Germaine Tillion 143 ( * )

« Si j'ai survécu je le dois à coup sûr au hasard, ensuite à la colère, à la volonté de dévoiler ces crimes et, enfin, à la coalition de l'amitié, car j'avais perdu le désir viscéral de vivre. [...]

Le groupe donnait à chacun une infime protection (manger son pain sans qu'on vous l'arrache, retrouver la nuit le même coin de grabat), mais il donnait aussi une sollicitude amicale indispensable à la survie. Sans elle, il ne restait que le désespoir, c'est-à-dire la mort. »

Marie-Claude Vaillant-Couturier 144 ( * )

« La Résistance à Auschwitz comme à Ravensbrück avait pour but d'aider moralement et matériellement à survivre, à rester des êtres humains, des patriotes confiantes dans la victoire.

Il s'agissait d'essayer de fournir des vêtements, des chaussures, un supplément de nourriture aux plus faibles, des médicaments aux malades, de tenter de les placer ensuite dans des postes de travail moins dur, de tenter de sauver de l'extermination une malade en la cachant ou en substituant à son numéro matricule celui d'une morte. Pour la survie, une parole d'amitié était aussi importante qu'un morceau de sucre. Également l'information sur les événements extérieurs, sur la circulation des fronts, à travers les communiqués des journaux allemands ou par celles qui pouvaient entendre la radio des SS, de même que l'organisation de causeries sur des sujets culturels, politiques ou des prières en commun, selon les convictions de chacune. [...] La proportion de détenues politiques était infiniment plus élevée à Ravensbrück qu'à Auschwitz. Il en résultait une atmosphère de lutte plus consciente, plus générale.

Le problème de l'opposition au travail au profit de l'oppresseur de notre pays y était aussi plus aigu puisque Ravensbrück était la plaque tournante fournissant des prisonnières pour l'industrie à travers toute l'Allemagne. Cela a été une de nos préoccupations constantes.

À Ravensbrück et dans les divers commandos qui en dépendaient, les Françaises n'étaient pas un groupe homogène formé uniquement de résistantes et elles n'étaient pas seules. Cependant on peut dire que d'une façon générale toutes les formes ont été utilisées pour ne pas servir l'ennemi, éviter le travail, le ralentir, saboter avec tous les risques que cela comportait et que certaines ont payé de leur vie. »

Un aspect de la libération des camps pour les anciennes déportées françaises de la Résistance : le retour à la vie en Suisse romande 145 ( * )

Entre l'été 1945 et le printemps 1947, environ 500 anciennes déportées sont venues recouvrer, tant que faire se peut, leur santé dans neuf maisons d'accueil de Suisse romande, à l'initiative de Geneviève de Gaulle, de l'ADIR (Association des déportées et internées de la Résistance) et de son Comité d'aide en Suisse.

Cet ouvrage reconstitue les conditions d'accueil de ces anciennes déportées et leur financement par diverses sources : les conférences prononcées par Geneviève de Gaulle dans toute la Suisse, des collectes et les subventions (tardives) du Don suisse 146 ( * ) . L'ADIR, qui se constitue à ce moment-là par la réunion de l'Amicale des prisonnières de la Résistance, née en 1944 et présidée par Irène Delmas, reçoit le soutien du Comité S.O.S d'aide en Suisse, dont la cheville ouvrière est Germaine Suter-Morax. La soeur de celle-ci, Florence Morax, travaille comme assistante sociale au foyer de l'ADIR, au 4 de la rue Guynemer à Paris, toute proche du jardin du Luxembourg. Cet immeuble réquisitionné avait en premier lieu été mis à la disposition de l'Amicale des prisonnières de la Résistance.

Ce livre retrace les parcours (résistance, déportation, convalescence) d'une douzaine d'anciennes déportées (Gisèle Guillemot, Manou Kellerer-Bernit, Françoise Robin-Zavadil, Denise Pons-Morin, Henriette Trachta-Docquier, Suzanne Orts-Pic, Marie-Claire Jacob-Huerre, Noëlla Rouget-Peaudeau, Anise Postel-Vinay-Girard, Yvonne Curvale-Calvayrac, Paule de Schoulepnikoff-Gouber et Ida Grinspan-Fensterzab), toutes résistantes à l'exception de cette dernière. Mais de nombreuses autres figures sont évoquées dans Retour à la vie , en particulier Simone Veil, qui a gardé du reste un souvenir noir de son séjour. Charlotte Delbo, quant à elle, qui séjourne au Mont-sur-Lausanne, publie ses premiers textes dans la presse suisse, textes qui constitueront plus tard des chapitres de son oeuvre littéraire majeure. On citera aussi Violette Lecoq ou France Audoul, qui toutes deux racontent la déportation par le dessin. France Audoul témoigne dans plusieurs lieux de Suisse romande en projetant ses dessins à l'appui de ses conférences.

L'ouvrage tente aussi d'appréhender comment ces rescapées de l'enfer ont été perçues, à l'époque, par la population et la presse d'un pays épargné par la guerre. Concernant la presse, il n'est pas indifférent de signaler que ce sont principalement des journalistes femmes qui sont venues rencontrer et recueillir les témoignages de ces « douloureuses », comme les nomme Renée Gos dans la Tribune de Genève .

A l'issue de ces séjours en Suisse, Jane Sivadon écrira dans le journal de l'ADIR, Voix et Visage 147 ( * ) : « Pourrons-nous jamais dire toute la reconnaissance que nous devons à ces voisins amis, pour leur accueil si fraternel et affectueux ? Ils ne se doutent certainement pas que plusieurs d'entre nous ont retrouvé chez eux, sinon la joie de vivre, du moins le goût à la vie. Nous avions oublié, après nos longues années de captivité, qu'il est encore possible de travailler dans le calme et dans la paix. Nous avions oublié toute la valeur que représente l'harmonie qui émane des choses et des êtres (...) [et] il est vrai que nous nous sentons plus fortes (...) parce que nous avons pu, pendant quelques semaines, respirer l'air vivifiant des montagnes . »

Quant à Geneviève de Gaulle, elle rencontre pendant cette période son futur mari, Bernard Anthonioz. Celui-ci lui donnera accès aux Cahiers du Rhône pour y publier, avec Germaine Tillion en particulier, la toute première étude scientifique sur Ravensbrück 148 ( * ) . Geneviève de Gaulle écrira en 1993, à l'occasion du cinquantenaire de cette revue : « Plusieurs de mes camarades assistaient à notre mariage. Beaucoup d'autres se trouvaient en convalescence en Suisse, grâce à la générosité de ce peuple ami. Son hospitalité était à l'image de ce qui est à l'origine des Cahiers du Rhône : une réelle solidarité envers ceux qui combattaient pour les droits de l'homme et pour la liberté » 149 ( * ) .

Les auteurs de Retour à la vie n'ignorent cependant pas que ce généreux accueil de la population ne saurait dédouaner la Suisse officielle de ses compromissions économiques avec le Reich et de la fermeture des frontières aux réfugiés pendant le conflit lui-même.


* 1 Actes du colloque Les Femmes dans la Résistance tenu les 22 et 23 novembre 1975 à Paris (Grand Amphithéâtre de la Sorbonne) à l'initiative de l'Union des Femmes françaises, Ed. du Rocher, p. 300.

* 2 Collins Weitz, Margaret, Les combattantes de l'ombre : histoire des femmes dans la Résistance, 1940-1945 , Paris, Albin Michel, 2007, 416 p.

* 3 Chombart de Lauwe, Marie-José, Toute une vie de Résistance , Paris, FNDIRP, Pop Com, 2007, 195 p.

* 4 Cité dans Les femmes dans la Résistance en France , Actes du colloque international de Berlin, 8-10 octobre 2001, Tallandier, 2003, p. 16.

* 5 Actes du colloque Les femmes dans la Résistance tenu les 22 et 23 novembre 1975 à Paris (Grand Amphithéâtre de la Sorbonne) à l'initiative de l'Union des Femmes françaises, Ed. du Rocher, p. 123.

* 6 Les documents figurant dans le dossier remis au public le jour du colloque ont été reproduits en annexe.

* 7 Jean-Pierre Lévy (1910-1996) fut chef du groupe lyonnais « France-Liberté », co-fondateur puis chef national du mouvement « Franc-Tireur », Compagnon de la Libération.

* 8 Paul Rivière, Compagnon de la Libération, député de la Loire de 1962 à 1978.

* 9 Les documents figurant dans le dossier remis au public le jour du colloque ont été reproduits en annexe.

* 10 Les notes en bas de page sont de l'auteure.

* 11 La première ACP siège jusqu'au 25 juillet 1944 ; la quasi-totalité de ses membres, tous nommés, sont des résistants de France ou des territoires extérieurs. De même qu'au CNR, tous les partis politiques y sont représentés, sauf l'extrême droite. Aucune femme ne siège au CNR, une seule à l'ACP.

* 12 Jacques Debû-Bridel (1902-1993), membre du CNR où il représentait la Fédération républicaine, parti de la droite catholique, fut député en 1944-1945 puis sénateur de 1948 à 1958.

* 13 Paul Giacobbi (1896-1951), élu sénateur de la Corse en 1939 puis député de la Corse de 1945 à 1951.

* 14 Le texte sorti des débats de la commission de l'ACP en mars 1944 ne représentait donc qu'un petit progrès par rapport au silence du CNR. Il autorisait seulement les femmes à se présenter aux premières élections municipales, cantonales et nationales qui désigneraient une partie des membres des assemblées provisoires, peu après la Libération. Dans cette période de transition, les femmes pouvaient donc être éligibles, mais non électrices. L'électorat restait entièrement masculin. Le principe du suffrage féminin n'étant pas énoncé, la garantie n'était pas donnée que les femmes seraient électrices lors des élections ultérieures.

* 15 Celle-ci était alors exclusivement masculine, puisque Marthe Simard, seule déléguée de sexe féminin, n'y siégeait pas à cette date.

* 16 L'article premier de l'ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération dispose que la future Assemblée nationale constituante sera élue « par tous les Français et Françaises majeurs » et que, pour toutes les élections aux assemblées provisoires, les articles 17 et 21 spécifient que « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes » .

* 17 Cette vision incluait la famille comme acteur civique, à travers chacun de ses membres, et en particulier les femmes.

* 18 Il s'agit des articles 16 et 20 (devenus les articles 17 et 21 dans le texte final).

* 19 Les notes sont de l'auteure.

* 20 Terrenoire, Élisabeth, Combattantes sans uniforme, les femmes dans la Résistance , Paris, Bloud et Gay, 1946, p. 8.

* 21 « La guerre est l'affaire des hommes » est le titre du chapitre consacré par Margaret Collins Weitz à la Résistance militaire, chapitre dans lequel elle insiste sur les obstacles faits aux femmes pour y participer. Collins-Weitz, Margaret, Les combattantes de l'ombre : histoire des femmes dans la Résistance (1940-1945) , Paris, Albin Michel, 1997, 416 p.

* 22 À paraître en 2015 dans Catherine Lacour-Astol, Le genre de la Résistance. Répression et reconnaissance de l'engagement féminin dans le Nord (1940-début des années 1950) , Paris, Presses de Sciences Po.

* 23 ONAC/SD Nord, dossier CVR 212, Mariette Roëls-Duflot.

* 24 Archives Nationales de Pierrefitte, Fonds 72AJ/853.

* 25 Archives nationales, La France et la Belgique sous l'occupation allemande 1940-1944, les fonds allemands conservés au Centre historique des Archives nationales, Inventaire de la sous-série AJ40, Centre historique des Archives nationales, 2002.

* 26 Archives Nationales de Pierrefitte, Affiches du comité d'histoire de la Seconde guerre mondiale, 72AJ/837.

* 27 Antoine Rédier, La guerre des femmes, histoire de louise de Bettignies et de ses compagnes, Paris, Éditions de la Vraie France, 1924.

* 28 Archives Départementales du Nord, 170W71060, Dossier de médaille de la Résistance de Léa Leroux-Delannoy, Lille.

* 29 ONAC/SD Nord, dossier CVR 50, Jeanne Gadenne-Jourdain.

* 30 ONAC/SD Nord, dossier CVR 16, Lucienne Buysse d'Hallendre.

* 31 Prost, Antoine « La famille et l'individu » , in Antoine Prost, Gérard Vincent, Histoire de la vie privée. De la première Guerre mondiale à nos jours , Paris, Seuil, 1987, p. 90. Dans cette contribution, Antoine Prost utilise les résultats d'une enquête réalisée par le magazine Confidences de juin 1938 (« Comment concevez- vous le bonheur conjugal ? » ).

* 32 Actes du colloque Les Femmes dans la Résistance , tenu les 22 et 23 novembre 1975 à Paris (Grand Amphithéâtre de la Sorbonne) à l'initiative de l'Union des Femmes françaises, Éd. du Rocher, p. 57.

* 33 Film de John Frankenheimer sorti en 1964, avec Burt Lancaster, Paul Scofield, Jeanne Moreau et Suzanne Flon. Les notes suivantes sont de Corinne Bouchoux.

* 34 L'action de Rose Valland pendant l'Occupation est désormais connue. En 1961 paraît chez Plon Le front de l'art 1939-1945 , son récit, réédité en 1997 puis en 2014 ( Le front de l'art : défense des collections françaises, 1939-1945 (Éd. Réunion des musées nationaux)). Par ailleurs, des articles lui rendent hommage (en 1965 dans Elle et en 1979 dans Le Dauphiné libéré ). En 1995, deux ouvrages marquants alertent sur le sujet des spoliations et le rôle de Rose Valland : The Rape of Europa : the Fate of Europe's Trasures in the Third Reich and the Second World War (Lynn Hunt Nicola, Éd. Vintage) et Le musée disparu : enquête sur le pillage d'oeuvres d'art en France par les nazis (Hector Feliciano, Éd. Gallimard). En 2008 paraît Rose Valland, résistante pour l'art , de Frédéric Destremau (Éd. musée dauphinois, préface d'André Vallini).

* 35 Dans la zone d'occupation française puis en RFA.

* 36 Ce n'est cependant que dans les années 1990 qu'un collège puis une place de son village natal, Saint-Étienne de Saint-Geoirs, ont été baptisés de son nom. Le site Internet qui recense les quelque 2 000 oeuvres dites MNR (Musées nationaux Récupérations) porte aussi le nom de Base Rose Valland. Il faut pourtant attendre 2005 pour qu'une plaque à son nom soit apposée au flanc droit du jeu de Paume.

* 37 Ce film, qui a connu un grand succès, tant en France qu'aux États-Unis, a été diffusé plusieurs fois à la télévision française, dont une présentation aux Dossiers de l'écran en 1975, avec un débat entre plusieurs invités, parmi lesquels Rose Valland ; un enregistrement audio de cette émission existe encore à ce jour.

* 38 Monuments Men , film américano-allemand de George Clooney sorti en 2014 ; adaptation cinématographique de Monuments Men , livre de Robert M. Edsel, collectionneur américain qui a aussi créé la Fondation Monument men. Ce film fait découvrir de manière romancée le rôle de Rose Valland au Jeu de Paume : elle n'a pas en réalité eu de frère résistant assassiné et donc pas de frère qui aurait « volé » un camion d'oeuvres d'art, elle n'a pas été emprisonnée à la Libération non plus.

* 39 Bouchoux, Corinne, Rose Valland, La Résistance au Musée , Paris, Geste éditions, Archives de Vie, 2006, 134 p.

* 40 « La dame du Jeu de Paume. Rose Valland sur le font de l'art » , 2010.

* 41 « Rose Valland, Capitaine Beaux-Arts » , bande dessinée, Éd. Dupuis.

* 42 À son ami Fritz Hartnagel, militaire, Sophie Scholl écrit des lettres contre la guerre, et notamment cette phrase : « Je trouve que la justice est toujours plus importante que tous les autres attachements, souvent sentimentaux » , affirmant ainsi pour première fois qu'elle considère que l'on peut s'opposer à la patrie à laquelle on est attaché, si cette patrie suit une voie qui ne nous convient pas (note de Mme Lepage).

* 43 Les notes sont de Mme von List.

* 44 TNA, HS 9/355/, non folioté.

* 45 Maurice Southgate.

* 46 Sources :

- Pearl Witherington Cornioley, Hervé Larroque, Kathryn J. Atwood, Code name Pauline. Memoirs of a World War II special agent. Chicago, 2013 (Women of action).

- Marcus Binney, The women who lived for danger. The agents of the Special Operations Executive . New York, Harper Collins, 2002.

- The national Archives (TNA), Kew (Angleterre, HS 9/356, HS 9/355/2, Dossier personnel Pearl Witherington.

* 47 Nacht und Nebel : catégorie de déportés destinés, en application d'un décret du 7 décembre 1941 signé par le maréchal Keitel, à disparaître sans laisser de traces : aucune information ne pouvait être donnée sur leur lieu de détention ou sur leur sort.

* 48 Abréviation du mot allemand Krankenrevier , dispensaire. Dans les camps de concentration, le Revier était un baraquement destiné aux prisonniers malades. Le personnel médical était le plus souvent sélectionné parmi les prisonniers.

* 49 La pouponnière de Ravensbrück ou « Kinderzimmer » a été créée en septembre 1944, quand les Allemands ont autorisé les naissances à Ravensbrück. Avant cette date, les femmes enceintes étaient, en fonction du terme de leur grossesse, avortées de force ou leur enfant était tué à la naissance.

* 50 Mme Chombart de Lauwe fait allusion au mouchoir que ses compagnes lui avaient offert pour son anniversaire, brodé à son numéro et orné du triangle rouge des prisonnières françaises (voir la vidéo projetée avant cette séquence).

* 51 De 1940 à 1944, la Royal Air Force diffuse sur la France occupée des tracts et des journaux, parmi lesquels le Courrier de l'Air ; 78 numéros de ce journal auraient ainsi été déversés sur la France occupée.

* 52 Le premier Cahier du Témoignage Chrétien paraît clandestinement à Lyon en novembre 1941 ; le Courrier du Témoignage Chrétien paraît à partir de mai 1943.

* 53 Chombart de Lauwe, Marie-José (dir.), Amicale de Ravensbrück, Association des déportées et internées de la Résistance, Les Françaises à Ravensbrück , Paris, Gallimard, 1970, 350 p.

* 54 Actes du colloque Les Femmes dans la Résistance , tenu à l'initiative de l'Union des Femmes françaises, Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, les 22 et 23 novembre 1975, Paris, 1977, Éd. Du Rocher, p.21.

* 55 Les notes sont de Christine Bard.

* 56 Je m'en tiendrai aux informations chiffrées données par Mattei Dogan et Jacques Narbonne, dans le premier ouvrage savant sur les femmes dans la vie politique institutionnelle : Les Françaises face à la politique , Paris, Armand Colin, 1955, p. 166-169. Ni le président d'âge Jules Gasser, ni Auguste Champetier de Ribes, ni Gilberte Pierre-Brossolette (vice-présidente) ne mentionnent la nouveauté de la présence féminine, ce qui concorde avec la thèse du « non-événement » que représente à l'époque l'accès des femmes à la citoyenneté à la Libération (Pour situer cet épisode dans l'histoire longue, voir Bard, Christine, Les femmes dans la société française au XX ème siècle , Paris, Armand Colin, rééd. 2003).

* 57 Elles sont 12 sur 200 élus au scrutin indirect (6 %), 8 sur 50 désignées à la représentation proportionnelle par l'Assemblée nationale, et 2 conseillères de la France d'Outre-Mer sur 65. Soit un total de 22 sur 315.

* 58 Guéraiche, William, Les Femmes dans la vie politique française, de la Libération aux années 1970 , Thèse d'histoire, Toulouse, 1992, 954 p.

* 59 Voir Les femmes politiques de 1944 à 1947 : quelle libération ? , Clio , n° 1, 1995, p.  165 et 186, ainsi que William Guéraiche, Les femmes et la République , Paris, L'Atelier, 1999.

* 60 Gilberte Brossolette, vice-présidente du Sénat, et trois secrétaires (Marie-Hélène Cardot, Isabelle Claeys, Claire Saunier) - les secrétaires sont membres des Bureaux des assemblées parlementaires.

* 61 Sur la mémoire résistante, cf. Wiewiorka, Olivier, La Mémoire désunie. Le souvenir politique des années sombres, de la Libération à nos jours , Paris, Seuil, 2010.

* 62 Chaperon, Sylvie, « Les récompenses des résistantes », 1939-1945 : combats de femmes, Françaises et Allemandes, les oubliées de la guerre , Paris, Autrement, 2001.

* 63 Thébaud, Françoise, Écrire l'histoire des femmes et du genre , Lyon, ENS Éditions, 2007.

* 64 Thalmann, Rita, « L'oubli des femmes dans l'historiographie de la Résistance » , Clio . Histoire, femmes, sociétés , n° 1, 1995, p. 21-35.

* 65 Collins Weitz, Margaret, Les combattantes de l'ombre. Histoire des femmes dans la résistance , préface de Lucie Aubrac, Paris, Albin Michel, 1997, p. 10.

* 66 Chaperon, Sylvie, Les Années Beauvoir 1945-1970 , Paris, Fayard, 2000.

* 67 Mossuz-Lavau, Janine, Les Lois de l'amour : les politiques de la sexualité en France, 1950-2002 , Paris, Petite bibliothèque Payot, 2002.

* 68 Capdevila, Luc, Rouquet, François, Virgili, Fabrice, Hommes et femmes dans la France en guerre (1914-1945) , Paris, Payot, 2003.

* 69 Les fiches Wikipédia des conseillères de la République de 1946 sont gravement lacunaires, parfois inexistantes.

* 70 Notons par exemple l'existence d'une Association des femmes décorées de la Légion d'Honneur.

* 71 La mémoire officielle n'est pas seulement nationale, elle est aussi locale. Une exploration des mémoires locales serait nécessaire : sont-elles moins oublieuses des femmes ?

* 72 Ce que le Parti communiste a réalisé avec l'association de recherche « Femmes et communistes : jalons pour une histoire » créée en 1998 n'a pas d'équivalent dans un autre parti.

* 73 Actes publiés aux éditions du Rocher en 1977.

* 74 Cf. Brive, Marie-France, « Les résistantes et la Résistance » , Clio , n° 1, 1995, p. 57-66. Première titulaire d'un poste universitaire sur l'histoire des femmes, Marie-France Brive a travaillé sur les femmes dans la Résistance dans une perspective féministe.

* 75 Réalisé en 2003 avec Cécile Favier, ce documentaire dénonce l'oubli des résistantes.

* 76 Pavillard, Anne-Marie « Les archives de l'Association nationale des déportées et internées de la Résistance (ADIR) à la BDIC » , Histoire@Politique, n° 5, mai-août 2008 (n° « Femmes en résistance à Ravensbrück » ) : www.histoire-politique.fr/index.php?numero=05&rub=sommaire.

* 77 Avocate militante féministe dès les années 1930, membre du Mouvement de libération nationale, nommée au Comité départemental de libération des Bouches-du-Rhône, députée MRP, ministre de la Santé publique et de la Population en 1947-1948.

* 78 Knibiehler, Yvonne, Germaine Poinso-Chapuis. Femme d'État , Aix-en-Provence, Edisud, 1998.

* 79 Sur les luttes féministes de l'avant-guerre, cf : C. Bard, Christine, Les Filles de Marianne , Paris, Fayard, 1995, et sur le débat à propos du vote : Bougle-Moalic, Anne-Sarah, Le vote des Françaises : cent ans de débats, 1848-1944 , Paris, PUR, collection « Archives du féminisme », 2012.

* 80 Aubrac, Lucie, Cette exigeante liberté : entretiens avec Corinne Bouchoux , Paris, L'Archipel, 1997.

* 81 Témoignage d'Y. Dumont à W. Guéraiche, le 4 octobre 1988, cité dans Guéraiche, William, Les femmes et la République. Essai sur la répartition du pouvoir de 1943 à 1979 , Paris, éditions de l'Atelier/éditions ouvrières, 1999, p. 87. Les notes sont de Sabrina Tricaud.

* 82 Dogan, Mattéi, et Hiley, John, Elites, Crisis, and the Origins of Regimes , 1998, et M. Dogan, « Les professions propices à la carrière politique. Osmoses, filières et viviers » , in M. Offerlé, Profession politique XIX ème -XX ème siècles, Belin, 1999, pages 171-200.

* 83 Il s'agit de : Alice Brisset, Gilberte Brossolette, Marie-Hélène Cardot, Isabelle Claeys, Renée Dervaux, Juliette Dubois, Mireille Dumont, Yvonne Dumont, Eugénie Eboué-Tell, Hélène Edeline, Brigitte Gros, Nicole de Hauteclocque, Catherine Lagatu, Marie-Hélène Lefaucheux, Marie Oyon, Maria Pacaut, Germaine Pican, Marie Roche, Claire Saunier, Françoise Seligmann, Jane Vialle, Jeanne Vigier.

* 84 La plupart ont été sénatrices sous la IV ème République (17 sur 22 soit 77 %) et sept ont siégé au Palais du Luxembourg sous la V ème République. Renée Dervaux et Marie-Hélène Cardot ont poursuivi leur carrière au Sénat sous la V ème République. Cinq femmes résistantes y ont siégé après 1958 : Hélène Édeline, Brigitte Gros, Nicole de Hauteclocque, Catherine Lagatu, Françoise Séligmann.

* 85 La proportion de femmes « éjectées » en 1948 est plus forte si l'on se réfère aux seules élues de la IV ème République : 10 sur 17, soit plus de la moitié des conseillères de la République.

* 86 W. Guéraiche, op. cit.

* 87 En lui remettant la Croix de chevalier de la Légion d'Honneur, en 1973, Alain Poher, président du Sénat, prononce ces mots : « Soyez sûre que le Sénat vous est reconnaissant de ces 25 années d'activité et vous remercie du témoignage que vous avez apporté pendant toute votre vie. Pour nous, vous resterez la « sainte du palais » », 8 mai 1973, www.senat.fr.

* 88 Gros, Brigitte, Véronique dans l'appareil , Paris, Julliard, 1960.

* 89 77 % d'entre elles ont candidaté au moins une fois aux élections constituantes de 1945 et 1946, ou bien à une élection législative avant de siéger au Sénat.

* 90 G. Brossolette (députée à la première Constituante), I. Claeys (députée du Nord de 1949 à 1951), E. Eboué-Tell (députée aux deux assemblées constituantes), N. de Hauteclocque (députée de Paris de 1962 à 1986), M.-H. Lefaucheux (députée à la première Constituante) et M. Oyon (députée à la première Constituante).

* 91 Propos recueillis par Annick Cojean, Le Monde , 9 mars 2001.

* 92 « J'ai adoré présider les séances, raconte Gilberte Brossolette. Vous savez que c'est très amusant ! » ( cf note ci-dessus).

* 93 C'est toujours le cas aujourd'hui. On compte aujourd'hui deux femmes parmi les huit vice-présidentes, et cinq sur les quatre secrétaires du Bureau après le renouvellement de 2011.

* 94 Elles ont également occupé une position non négligeable à la commission des pensions : 6 sur 22.

* 95 « La grande victime de la guerre, n'est-ce pas incontestablement l'enfant ? » s'interroge Marie-Hélène Cardot à la tribune le 2 août 1950 sur le projet de loi relatif à l'amélioration de la situation des anciens combattants et victimes de guerre.

* 96 Compte rendu de la séance du Conseil de la République du jeudi 21 décembre 1950, Journal officiel de la République française du 22 décembre 1950, pp. 3206-3208.

* 97 Proposition de loi n° 157 du 14 mai 1968 tendant à permettre aux mères de famille exerçant un emploi salarié de déduire, lors du calcul de leur revenu net imposable, le montant des frais résultant de la garde de leurs enfants.

* 98 Propos rapportés par Laure Adler, Les femmes politiques , Paris, Le Seuil, 1993, p. 143. Ce discours ne mentionne pourtant pas les femmes résistantes, mais évoque les « soldats et maquisards, nos frères et nos enfants » que « nous avons vus tomber [...] pour que la France vive » .

* 99 Discussion de la question n° 65 de Mme Jeanine Alexandre-Debray concernant le droit au travail des femmes, le 30 juin 1977.

* 100 JO - Débats du Sénat, séance du 30 juin 1977, p. 1958.

* 101 JO - Débats du Sénat, séance du 30 juin 1977, p. 1956.

* 102 Seligmann, Françoise, Liberté, quand tu nous tiens (1940-1954) , tome I, Paris, Fayard, 2000, 393 p.

* 103 Interview publiée dans A Paris , le magazine d'information de la ville de Paris, n° 14 (mars 2005). Archives du Sénat.

* 104 JO - Débats du Sénat, séance du 15 juin 1993, p. 1285.

* 105 JO - Débats du Sénat, séance du 4 décembre 1992, p. 3654.

* 106 JO - Débats du Sénat , séance du 19 mai 1994, p. 1708.

* 107 AFP, 28 février 2013.

* 108 Source : Service Historique de la Défense (SHD), dossier personnel de Mme de Hauteclocque, cote 16P177767, consulté le 17/04/2014.

* 109 SHD, dossier personnel de Mme de Hauteclocque, Mémoire de proposition pour la nomination au grade de chevalier de la Légion d'Honneur, réalisé à Paris le 27/07/1954 par le Chef de corps, le lieutenant-colonel Lecomte, chef du réseau CND Castille. Consulté le 17/04/2014.

* 110 Propos cités dans sa biographie mise en ligne sur le site de l'Assemblée Nationale (www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=3770)

* 111 JO - Débats de de l'Assemblée nationale, séance du 29 octobre 1965, p. 4359.

* 112 JO - Débats de l'Assemblée nationale, 2 ème séance du 27 octobre 1971, p. 4985.

* 113 JO - Débats de l'Assemblée nationale, 1 ère séance du 10 novembre 1982, p. 7009.

* 114 JO - Débats du Sénat, séance du 25 octobre 1988, p. 655-656.

* 115 JO - Débats du Sénat , séance du 9 octobre 1973, question orale de Mme Goutmann.

* 116 JO - Débats du Sénat, séance du 8 octobre 1974.

* 117 JO - Débats du Sénat, séance du 27 juin 1978.

* 118 JO - Débats du Sénat, séance du 14 décembre 1979, p. 5448-5449.

* 119 JO - Débats du Sénat, séance du 13 octobre 1982, p. 4500-4513.

* 120 Lucie Aubrac avait bien été désignée pour siéger à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger en tant que représentante de « Libération-Sud » mais la naissance de sa fille l'a retenue à Londres. Son mari, Raymond Aubrac, s'y est rendu. Voir Aubrac, Raymond, Où la mémoire s'attarde , Paris, Odile Jacob, 1996, p. 145.

* 121 Chombart de Lauwe, Marie-José, op. cit.

* 122 Colette Périès raconte que le général et Mme de Gaulle, en mai 1948, ont été reçus chez ses parents dont la maison avait été un haut lieu de la Résistance haute savoyarde. En partant, le général a enlevé la croix de Lorraine épinglée sur son veston et l'a remise à la mère de Colette Périès. C'est cette même croix que Colette Périès portait le jour du colloque.

* 123 D'après Vladimir Trouplin, in Krivopissko, Guy, Lévisse-Touzé, Christine, Trouplin, Vladimir, Dans l'Honneur et par la Victoire : Les femmes Compagnon de la Libération , Paris, Tallandier, 2008, p.32 : « Elle se donne la mort par pendaison dans la nuit [du 31 mai 1943]. On retrouve son corps dans le cimetière de la prison de Fresnes en mai 1945. Les circonstances de sa mort, restées mystérieuses pendant soixante ans, n'ont été élucidées qu'en août 2004 par Mireille Albrecht, qui découvrit par hasard, après plus de vingt ans de recherches, les pièces d'archives relatives au décès de sa mère ».

* 124 GUENO, Jean-Pierre, Paroles de l'ombre, Lettres, carnets et récits des français sous l'Occupation 1939-1945 , Paris, Librio, Document, 2013, p. 118.

* 125 Morin-Rotureau, Evelyne, Combats de femmes, Françaises et Allemandes, les oubliés de la guerre , Paris, Autrement, 2001, pp 158-159.

* 126 Auteure de Une Résistance ordinaire : septembre 1939-août 1944 , éd. du Félin, 1999

* 127 Thibault Laurence (dir.), Les Femmes et la Résistance , Paris, 2006, La Documentation Française, AERI, p.47

* 128 Dominique Veillon et Françoise Thebaud, « Hélène Viannay », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 1 | 1995, mis en ligne le 31 mai 2005, consulté le 20 mai 2014. URL : clio.revues.org/530 ; DOI : 10.4000/clio.530

* 129 Discours sur les ondes de la BBC , 20 avril 1944.

* 130 Actes du colloque « Les femmes dans la Résistance » tenu les 22 et 23 novembre 1975 à l'initiative de l'Union des femmes françaises, Éditions du rocher, 1977, pp. 20-21.

* 131 Membre du Conseil de la République puis sénatrice de 1946 à 1959, membre du comité central du PCF de 1947 à 1968, vice-présidente de l'Union des femmes françaises.

* 132 Bertrand, Simone, 1000 visages, un seul combat : les femmes dans la Résistance, Paris, Les Editeurs français réunis, 1965, préface

* 133 Actes du colloque « Les femmes dans la Résistance » tenu les 22 et 23 novembre 1975 à l'initiative de l'Union des femmes françaises, Éditions du rocher, pp. 123-132.

* 134 1907 - 2008, ethnologue, membre du Réseau du musée de l'Homme, déportée en 1943 à Ravensbrück où elle écrit et fait jouer une opérette, Le Verfügbar aux Enfers .

* 135 Tillion, Germaine, Lacouture, Jean, La traversée du mal , entretiens avec Jean Lacouture , Paris, Arléa, 1997 , pp. 43-78

* 136 Delbo, Charlotte, La mémoire et les jours, Paris, Berg International, 2013, pp. 38-39.

* 137 Amicale de Ravensbrück, Textes et poèmes présentés au mémorial de Ravensbrück le 17 avril 2010 à l'occasion du 65 eme anniversaire de la libération du camp .

* 138 Amicale de Ravensbrück, Textes et poèmes présentés au mémorial de Ravensbrück le 17 avril 2010 à l'occasion du 65 eme anniversaire de la libération du camp .

* 139 Guillemot, Gisèle, Elles... Revenir, Paris, Tirésias, AERI, 2006, pp. 5-6.

* 140 Delbo, Charlotte, Auschwitz et après, III. Mesure de nos jours , Paris, Les éditions de Minuit, 1971, 215 p.

* 141 Delbo, Charlotte, La mémoire et les jours, Paris, Berg International, 2013, pp. 121-122.

* 142 Guillemot, Gisèle, op. cit, pp. 58-59.

* 143 Amicale de Ravensbrück, Textes et poèmes présentés au mémorial de Ravensbrück le 17 avril 2010 à l'occasion du 65 ème anniversaire de la libération du camp.

* 144 « La Résistance ne s'arrête pas à la porte des prisons et des camps », Actes du colloque « Les femmes dans la Résistance » tenu les 22 et 23 novembre 1975 à l'initiative de l'Union des femmes françaises, Éditions du rocher, pp. 40-41.

* 145 Synthèse de l'ouvrage : Exchaquet-Monnier, Brigitte, Monnier, Éric, Retour à la vie : l'accueil en Suisse romande d'anciennes déportées françaises de la Résistance, 1945-1947, Neuchâtel, Suisse, Alphil, 2013, 411 p., préface de Marc Perrenoud, avant-propos d'Anise Postel-Vinay-Girard, postface de Noëlla Rouget-Peaudeau.

* 146 Organisme semi-officiel, créé en février 1944 par le Conseil fédéral, participant à ce que l'historien genevois Jean-Claude Favez a qualifié de « rattrapage humanitaire de la Suisse ».

* 147 N° 4, novembre 1946.

* 148 Ravensbrück , Neuchâtel, La Baconnière, 1946 ( Les Cahiers du Rhône ; 65. Série bleue ; 20). Fondée par Albert Béguin en 1942, cette revue joue un rôle majeur dans la Résistance intellectuelle pendant la guerre en publiant Éluard, Aragon, Emmanuel ou encore Maritain.

* 149 Les Cahiers du Rhône : « refuge de la pensée libre », Neuchâtel, La Baconnière, 1993, pp. 70-71.

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