II. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES SONT, SAUF EXCEPTION, SOUMISES À UN PRINCIPE LÉGISLATIF D'INTERDICTION DU SUBVENTIONNEMENT DES LIEUX DE CULTE

A. LE PRINCIPE LÉGISLATIF D'INTERDICTION DU FINANCEMENT PUBLIC DES LIEUX DE CULTE

1. Une interdiction à relier au principe constitutionnel de laïcité

Si le terme « laïcité » apparaît dès le XIX e siècle, il ne sera consacré en tant que tel au niveau constitutionnel qu'avec la Constitution du 27 octobre 1946 , qui affirme dans son article 1 er que « La France est une République laïque » . La Constitution du 4 octobre 1958 reprend cette disposition et la complète en affirmant, dans son article 1 er , que la France est une République laïque , qu'elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion, et qu'elle respecte toutes les croyances .

La laïcité a donc aujourd'hui une valeur constitutionnelle, mais elle n'est explicitement définie par aucun texte constitutionnel ou législatif . Le Conseil d'État remarque à cet égard que « peu de concepts ont reçu des interprétations aussi diverses 77 ( * ) ». Lors de son audition devant votre délégation, Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, a estimé que « la laïcité visait au respect, à l'émancipation et à l'égalité entre les citoyens ». À cette occasion, notre collègue Edmond Hervé soulignait pertinemment que la laïcité relevait d'une « démarche de liberté » et ne devait pas être envisagée comme « une posture antireligieuse ».

La laïcité a également été définie par des autorités juridictionnelles et consultatives . Selon la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), « la laïcité constitue un principe fondateur de la République française, conciliant la liberté de conscience, le pluralisme religieux et la neutralité de l'État 78 ( * ) » . En 2005, le Conseil d'État a affirmé que le principe constitutionnel de laïcité impliquait la neutralité de l'État et des collectivités territoriales de la République , ainsi qu'un traitement égal des différents cultes 79 ( * ) .

En 2013, le Conseil constitutionnel s'est prononcé, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, sur les composantes du principe de laïcité 80 ( * ) . Pour rendre sa décision il s'est principalement fondé 81 ( * ) sur l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et sur l'article 1 er de la Constitution de 1958. Les juges constitutionnels ont tout d'abord affirmé que le principe de laïcité « figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ». Ils ont ensuite indiqué qu'il résulte du principe de laïcité « la neutralité de l'État [et le fait] que la République ne reconnaît aucun culte » , et ajouté que « le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances , l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion » et la « garantie par la République du libre exercice des cultes ». Ils ont enfin rappelé que le principe de laïcité « implique que [la République] ne salarie aucun culte ».

Mais votre délégation observe surtout que si les sages ont réaffirmé le fait que la « République ne salarie aucun culte », ils n'ont en revanche pas souhaité donner une valeur constitutionnelle au principe législatif d'interdiction du subventionnement public des cultes .

Comme le relève l'Observatoire de la laïcité 82 ( * ) , « sans méconnaître les difficultés pratiques que peuvent rencontrer les collectivités territoriales dans l'application du principe constitutionnel de laïcité, il incombe aux élus locaux la charge de faire respecter la laïcité ». Votre délégation ne saurait que souscrire à la charte destinée aux élus locaux rappelant que « la laïcité est une des conditions fondamentales du vivre ensemble » et requiert en tant que telle « la lutte constante contre toutes les discriminations économiques, sociales ou urbaines » ; que conformément au principe de neutralité de l'État, elle suppose « que les religions ne s'immiscent pas dans le fonctionnement des pouvoirs publics et que les pouvoirs publics ne s'ingèrent pas dans le fonctionnement des institutions religieuses » ; et que la liberté de culte implique que « la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées par la loi elle-même ».

On comprend donc aisément l'ampleur du rôle des collectivités territoriales, chargées de faire vivre la laïcité sur notre territoire . En effet, celles-ci assument, comme le reconnaissait devant votre délégation Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire : « un triple rôle qu'elles doivent conserver : gardiennes de la laïcité, acteurs de la laïcité et interlocuteurs avec les représentants des religions et nos concitoyens croyants ».

L'interdiction législative du subventionnement public des cultes édictée par la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l'État doit donc s'appliquer dans le respect du principe constitutionnel de laïcité.

2. L'interdiction législative du subventionnement public des cultes et, par extension, des lieux qui y sont dédiés

La loi du 9 décembre 1905 affirme dès son article 2 que la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte, et supprime en conséquence toutes les dépenses relatives aux cultes des budgets de l'État, des départements et des communes . L'interdit ainsi exprimé s'applique tout particulièrement au financement des lieux de culte . Les associations cultuelles instituées par la loi de 1905 pour assurer l'exercice du culte ne peuvent « sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État, des départements et des communes 83 ( * ) ». Ces dispositions impliquent donc qu'aucune religion ou conviction ne puisse être privilégiée ou discriminée dans notre pays.

Votre délégation souligne à nouveau que ce principe d'interdiction du subventionnement public des cultes n'a pas valeur constitutionnelle . Le Conseil constitutionnel a bien reconnu, dans sa décision précitée du 21 février 2013, qu'en vertu du principe de laïcité, « la République ne salarie aucun culte » mais il n'a pas entendu interdire tout subventionnement des cultes 84 ( * ) . C'est donc le principe du non-salariat qui possède une valeur constitutionnelle, et pas celui du non-subventionnement. Comme le relève Elsa Forey : « l'affirmation d'un principe de non-subventionnement public des cultes comme composante du principe de laïcité aurait en effet pu avoir des conséquences sur un certain nombre de dispositifs législatifs autorisant un financement public des cultes 85 ( * ) ».

La loi du 9 décembre 1905 constitue aujourd'hui le cadre de l'exercice de la libre-administration des collectivités territoriales en matière de financement des cultes . Même si cette loi ne se réfère pas explicitement à la laïcité, elle en constitue indéniablement la « clé de voûte », les collectivités territoriales étant en première ligne, notamment en adoptant à l'égard des cultes une stricte neutralité .

Votre délégation observe d'ailleurs que c'est précisément sur le fondement du principe d'interdiction du subventionnement public des cultes que les juridictions administratives ont annulé certaines dépenses ou interventions des collectivités territoriales en faveur des cultes .

a) L'interdiction de principe, pour les collectivités territoriales, de financer la construction ou l'acquisition d'édifices cultuels

Ainsi, dans le cadre de la construction ou de l'acquisition d'un lieu de culte , le juge a reconnu l'illégalité de dépenses publiques relatives à la construction d'un nouveau lieu de culte par une commune 86 ( * ) , de subventions pour l'acquisition d'un ensemble immobilier au profit d'une association dont l'objet inclut la pratique d'un culte 87 ( * ) , ou encore de la vente d'un bien communal à un prix inférieur à sa valeur vénale à une association dont l'objet principal est de poursuivre des activités cultuelles 88 ( * ) .

b) L'interdiction de principe, pour les collectivités territoriales, de financer des dépenses de fonctionnement courant

Les dépenses de fonctionnement courant d'un lieu de culte telles que le nettoyage, le chauffage ou l'éclairage ne peuvent pas être prises en charge par la collectivité territoriale . L'affectataire doit assumer par exemple les dépenses d'électricité afférentes à l'exercice du culte 89 ( * ) . Les dépenses d'aménagement, d'embellissement, de mise en valeur ou d'amélioration des édifices cultuels non classés sont également prohibées 90 ( * ) .

Votre délégation observe que la réalité pratique dans les territoires est pourtant plus souple , une analyse confirmée par l'Observatoire du patrimoine religieux, qui reconnaît que « certains maires se montrent conciliants et partagent les frais de chauffage, car si cette dépense n'est pas assurée, la toiture tient moins bien ».

c) L'interdiction de principe, pour les collectivités territoriales, de favoriser un culte à travers la mise à disposition de locaux

La mise à disposition de locaux favorisant un culte est également censurée par la jurisprudence . Ainsi en va-t-il de la décote de 50 % sur la valeur locative de locaux communaux mis à disposition d'une association pour la fondation et l'entretien d'une salle de prière 91 ( * ) , de la mise à disposition gratuite d'un lieu public pour exercer un culte si l'occupation de ce lieu est généralement payante 92 ( * ) , ou encore de la location à un ministre du culte d'un terrain ou d'un local à un prix dérisoire 93 ( * ) .

d) L'interdiction de principe, pour les collectivités territoriales, de financer des célébrations religieuses même d'intérêt local

Au-delà du cas des édifices cultuels eux-mêmes, une commune ne peut pas participer directement à l'organisation de célébrations religieuses 94 ( * ) . Le juge administratif a ainsi annulé des subventions se rapportant directement à des cérémonies ou des manifestations cultuelles, alors même que celles-ci auraient acquis au niveau local un caractère traditionnel et un intérêt culturel et touristique 95 ( * ) .

À cet égard, votre délégation relève d'ailleurs une différence d'interprétation entre le juge administratif et les élus locaux concernés. En témoigne l'analyse de notre collègue Marie-Françoise Perol-Dumont, sénatrice du Limousin, qui indiquait devant votre délégation que « la jurisprudence a apporté des ajustements par le haut et par le bas. Dans mon département, on pratique les ostensions qui ont une dimension à la fois religieuse et festive, cultuelle et culturelle. Les gens y participent quelle que soit leur appartenance politique. Depuis toujours, les collectivités locales finançaient ces évènements. Il y a sept ans, cela ne posait aucun problème. Il y a quatre ans, un débat a eu lieu pour savoir s'il s'agissait d'une pratique cultuelle ou culturelle. Les subventions ont été soumises au vote, adoptées ; puis le tribunal administratif a été saisi, et les bénéficiaires ont dû rembourser. La jurisprudence a exacerbé la situation. La prochaine fois, il ne sera plus question de subvention ».


* 77 Conseil d'État, Rapport public, Un siècle de laïcité, 2004, p. 246.

* 78 CNCDH, Assemblée plénière du 26 septembre 2013, Avis sur la laïcité, Journal officiel n° 0235 du 9 octobre 2013.

* 79 CE, 16 mars 2005, n° 265560, ministre de l'Outre-Mer c/ président de la Polynésie française.

* 80 Conseil constitutionnel (CC), 21 février 2013, n° 2012-297 QPC, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité, considérant 5.

* 81 Considérant 5 « Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi" ; qu'aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1 er de la Constitution : [...] ».

* 82 Observatoire de la laïcité, Guide Laïcité et collectivités locales, publié le 17 décembre 2013.

* 83 Loi du 9 décembre 1905, article 19.

* 84 Conseil constitutionnel (CC), 21 février 2013, n° 2012-297 QPC, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité : « 5. [...] que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion, et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu'il implique que celle-ci ne salarie aucun culte » .

* 85 Elsa Forey, Le Conseil constitutionnel au secours du droit local des cultes, AJDA 2013, p. 1112. Parmi ces dispositifs figurent notamment le bail emphytéotique pour l'édification des lieux de culte ou les garanties d'emprunt accordées par les collectivités pour l'édification de lieux de culte dans les agglomérations en développement.

* 86 CE, 1 er juillet 1910, Ville d'Amiens, S. 1910, III, 145, note Hauriou M.

* 87 TA Grenoble, 31 décembre 1991, n° 8836688, M. Georges Fourel, Rec. p. 632.

* 88 TA Orléans, 16 mars 2004, n° 0103376, Fédération d'Indre-et-Loire de la libre pensée.

* 89 Cour administrative d'appel de Nancy, 5 juin 2003, n° 99NC01589, commune de Montaulin.

* 90 CE, 11 juillet 1913, n° 48342, commune de Oury.

* 91 TA Nice, 26 mars 2013, n° 1104890, Association de défense de la laïcité et M. Vardon c/ Ville de Nice et Association des Musulmans du centre-ville.

* 92 CE, 26 mai 1911, commune de Heugas, Rec. p. 624.

* 93 CE, 7 avr. 1911, commune Saint-Cyr-de-Salerne, Rec. p. 438.

* 94 TA Châlons-sur-Marne, 18 juin 1996, Association « Agir » c/ Ville de Reims, RDP 1997.

* 95 CE, 15 février 2013, n° 347049 : des subventions municipales avaient été accordées pour les « ostensions », manifestation considérée localement comme une tradition populaire ; « les ostensions septennales consistent en la présentation, dans certaines communes du Limousin, par des membres du clergé catholique, de reliques de saints qui ont vécu dans la région ou qui y sont particulièrement honorés » . Le Conseil d'État a jugé que « les ostensions septennales ont le caractère de cérémonies cultuelles et ne peuvent donc pas être subventionnées par une collectivité territoriale » .

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