IV. EUROJUST ET LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME

A. LE RÔLE D'EUROJUST

L'unité de coopération judiciaire Eurojust a été créée par une décision du Conseil de l'Union européenne en date du 28 février 2002. Cette création a fait suite à une décision prise lors du sommet européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, premier sommet des chefs d'État et de gouvernement entièrement dédié au domaine de la justice et des affaires intérieures, qui visait à mettre en place un véritable « espace de liberté, de sécurité et de justice » en Europe. Cette décision, notons-le, a coïncidé avec l'entrée en fonction d'Europol dont Eurojust devait constituer, en quelque sorte, le pendant dans le champ judiciaire.

L'objectif était de fournir aux autorités judiciaires des États membres un outil de coopération et de coordination efficace en complément des autres instruments tels que le réseau judiciaire européen et les magistrats de liaison. Dans le même temps, la coopération judiciaire en matière pénale prenait un nouvel essor avec la convention européenne d'entraide judiciaire pénale du 29 mai 2000 qui posait le principe de relations directes entre les autorités judiciaires des pays membres sans l'intermédiaire des autorités centrales.

Si elle a pour vocation générale de faciliter la mise en oeuvre de tous les dispositifs d'entraide répressive et notamment le mandat d'arrêt européen, Eurojust a pour mission plus spécifique de promouvoir et d'améliorer la coordination des enquêtes et des poursuites engagées sur le territoire d'au moins deux États membres. Sa compétence est calquée sur celle d'Europol avec notamment la criminalité organisée, le terrorisme, les infractions connexes et les autres formes de criminalité.

Eurojust a, par nature, vocation à intervenir dans les dossiers multilatéraux. Toutefois, 69 % des dossiers traités en 2013, et 83 % des dossiers traités en 2014, étaient des dossiers bilatéraux. Le Bureau français d'Eurojust s'est quant à lui, efforcé de privilégier les dossiers multilatéraux avec 57 % des dossiers ouverts en 2013 et 40 % en 2014.

Sinon, l'activité d'Eurojust est en progression constante : 1 576 dossiers ouverts en 2013, 1 804 en 2014.

Des accords de coopération ont été signés avec les États-Unis et la Norvège qui disposent d'un procureur de liaison au sein d'Eurojust.

On sait qu'Eurojust reste fondé sur un modèle intergouvernemental. Chacun des 28 États membres est représenté par un Membre national ayant la qualité de procureur, de juge ou d'officier de police ayant des prérogatives équivalentes. Les Membres nationaux peuvent être assistés par un adjoint et des assistants.

Eurojust compte donc 65 magistrats ou représentants nationaux, auxquels il faut ajouter 230 personnels administratifs. À titre de comparaison, Europol recense 157 officiers de liaison et 858 fonctionnaires.

Le bureau français d'Eurojust est composé de six personnes : un Membre national qui est un magistrat hors hiérarchie mis à disposition de l'unité pour une durée de quatre ans, trois magistrats dont un adjoint et des assistants ainsi que deux assistants administratifs. Le Membre national français est assimilé à un membre du ministère public dès lors qu'il reçoit lui aussi les instructions générales adressées aux parquets généraux et aux parquets par le ministre chargé de la justice. Il a accès, dans les mêmes conditions que les magistrats du ministère public, aux données contenues dans tout traitement automatisé de données à caractère personnel conformément à l'article 695 - 8 et suivants du code de procédure pénale.

L'organe décisionnel d'Eurojust est le collège des 28 Membres nationaux (un par État membre) qui disposent chacun d'une voix en cas de vote. Le collège est présidé par un Membre national élu pour une durée de trois ans.

Le collège prend toutes les décisions de caractère général intéressant le fonctionnement d'Eurojust. Il vérifie, en outre, la compétence de l'unité à l'occasion de chaque nouvelle saisine et dispose également d'un pouvoir général d'impulsion, de coordination et de recommandation.

Eurojust peut être comparé à un « bureau multilatéral d'entraide pénale internationale ». Son fonctionnement est soumis aux principes suivants :


• Eurojust n'intervient qu'à la demande des autorités judiciaires nationales qui conservent la pleine et entière maîtrise de la conduite des enquêtes et de l'exercice des poursuites. Il n'existe pas d'auto saisine ;


• Toutes les communications et les échanges d'informations s'effectuent par l'intermédiaire du Membre national concerné. Les autorités judiciaires nationales d'un pays ne peuvent donc pas saisir directement le Membre national d'un autre pays ; de même, le Membre national d'un pays ne peut s'adresser directement aux autorités judiciaires d'un autre État membre.

Eurojust sert de cadre et de support aux dispositifs d'entraide suivants :


• les réunions de coordination qui permettent de réunir toutes les autorités judiciaires et policières intervenant dans un dossier ;


• les centres de coordination opérationnelle qui permettent de coordonner en temps réel une action concertée dans plusieurs États membres ;


• les équipes communes d'enquête dont Eurojust assure le financement.

Jusqu'à présent, 102 équipes communes d'enquête ont été mises en place sous l'égide d'Eurojust.

La coopération entre Europol et Eurojust a été formalisée par un accord entre les deux agences entré en vigueur en janvier 2010.

La négociation actuelle des deux projets de règlement relatifs à ces agences a démontré la nécessité de clarifier leurs mandats respectifs tout en renforçant leur complémentarité en ce qui concerne notamment :


Le traitement du renseignement . Celui-ci est la vocation naturelle d'Europol dont l'analyse criminelle est la principale mission.

Les responsables d'Eurojust souhaitent que l'unité de coopération judiciaire ainsi que les autorités judiciaires des États membres puissent en bénéficier, ce qui suppose une meilleure fluidité dans la transmission des informations détenues par Europol à Eurojust ;


La coordination des enquêtes judiciaires . Celle-ci est la raison d'être d'Eurojust et la fonction d'appui et de coordination reconnue à Europol dans le projet de règlement actuellement en discussion ne devra pas remettre en cause la pleine et entière compétence d'Eurojust dans ce domaine. De même, s'il est désormais acquis qu'Europol pourra financer la création d'équipes communes d'enquête, Eurojust souhaite que lesdites équipes ne puissent être formellement mises en place que par les autorités judiciaires chargées de l'enquête conformément à l'article 13 de la convention européenne d'entraide judiciaire pénale du 29 mai 2000 précitée.

La lutte contre le terrorisme a toujours été une priorité d'Eurojust. Depuis le 1 er janvier 2014, Eurojust (tous bureaux nationaux confondus) a été saisi au total de 306 dossiers en matière de terrorisme.

Les principaux pays requérants sont la Belgique, l'Italie, l'Espagne, la France et le Royaume-Uni. La France est le premier pays requis (93 fois sur la même période) devant l'Allemagne, l'Espagne, Italie et le Royaume-Uni. Les pays tiers les plus sollicités sont la Suisse et le Maroc ainsi que la Turquie, les États-Unis l'Algérie et la Malaisie.

Ces dossiers ont donné lieu à 41 réunions de coordination à Eurojust entre 2006 et 2014. Le bureau français d'Eurojust a, pour sa part, ouvert 26 dossiers en matière de terrorisme entre le 1 er janvier 2005 et le 1 er janvier 2015.

Il convient de rappeler qu'Eurojust intervient uniquement à la demande des autorités judiciaires nationales chargées de conduire des enquêtes. Or, dans les affaires de terrorisme, les services enquêteurs hésitent parfois à partager des informations confidentielles dans un cadre multilatéral qui n'offrirait pas toujours un niveau de sécurité suffisant. D'où le choix de certains services de privilégier les contacts directs avec les autorités étrangères sans passer par Eurojust. Pourtant, dans les dossiers multilatéraux complexes, seuls Europol et Eurojust sont en mesure d'assurer une coordination efficace au niveau opérationnel. Les États membres devraient progressivement en prendre conscience.

En application de la décision 2005/671/JAI du 20 septembre 2005 relative à la coopération et à l'échange d'informations en matière de terrorisme, Eurojust comme Europol sont en principe destinataires de renseignements concernant les procédures en cours et les condamnations prononcées dans les États membres dans les affaires de terrorisme. Cette décision prévoit également la création dans chaque pays d'un correspondant nationale d'Eurojust pour le terrorisme.

En juin 2009, un protocole signé entre la Direction générale des affaires criminelles et des grâces, le parquet général de Paris, le parquet de Paris et le Membre national français d'Eurojust a permis de simplifier et de systématiser ces échanges d'informations. Ces dernières sont intégrées dans un système automatisé de traitement des données personnelles et de gestion des dossiers. Ce système est également alimenté en informations relatives à d'autres catégories d'infractions graves (traite des êtres humains, trafic de drogue, exploitation sexuelle des enfants pédopornographie, criminalité organisée...) lorsque celles-ci concernent au moins trois États membres et que le dossier a donné lieu à l'émission de demandes d'entraide à destination d'au moins deux États membres.

Il faut relever, hélas, que la décision 2005/671 précitée relative aux infractions terroristes n'est actuellement appliquée, dans toutes ses dispositions, que par quelques États membres dont la France, l'Espagne ou la Belgique.

Il est, par ailleurs, indispensable de renforcer les échanges d'informations (notamment par l'accès aux fichiers d'analyse criminelle) entre Europol et Eurojust.

Il faut comprendre que lorsqu'Eurojust n'est pas associé formellement à un fichier, ses demandes seront traitées par Europol comme celles d'un pays tiers. Il ne pourra donc obtenir des informations sur un dossier particulier qu'avec l'accord préalable de tous les États membres concernés. C'est une difficulté.

L'unité Eurojust est actuellement associée au seul fichier sur les transactions financières suspectes et devrait l'être prochainement au fichier sur les combattants étrangers. Mais ce n'est pas le cas pour les trois autres fichiers « Hydra », « Dolphin » et « Check the Web ».

Relevons encore que l'unité publie, depuis 2008, un rapport périodique sur les condamnations prononcées en matière de terrorisme dans les États membres et dans certains pays tiers.

Au plan législatif, les responsables d'Eurojust préconisent un certain nombre de réformes. Priorité devrait, selon eux, être donnée au recueil des preuves au cours de l'enquête ainsi qu'au partage des renseignements opérationnels entre les autorités nationales et les agences d'Europol et Eurojust.

Sont donc souhaitées des mesures qui seraient de nature :


• à simplifier et à harmoniser le recueil des preuves électroniques qui sont obtenues à partir d'Internet et à assurer leur admissibilité devant la juridiction de jugement lorsqu'elles ont été acquises dans un autre État membre ;


• à compléter le dispositif d'interconnexion électronique des casiers judiciaires (ECRIS) avec la mise en place d'une unité centrale dédiée aux condamnations prononcées contre les ressortissants des pays tiers ;


• à renforcer les échanges d'information entre Europol et Eurojust en permettant à ce dernier d'être associé sans restriction aux cinq fichiers ouverts par Europol en matière de terrorisme.

Les responsables d'Eurojust estiment, enfin, qu'il serait opportun d'élargir le champ d'application de la décision cadre du 13 juin 2002, révisé en 2008, sur l'harmonisation des incriminations et des peines en matière de terrorisme afin d'y intégrer les incriminations visées dans la résolution n° 2178 du Conseil de sécurité de l'ONU ciblant plus spécifiquement le phénomène des combattants étrangers.

Cette mesure a été préconisée par la résolution européenne contre le terrorisme adoptée par le Sénat le 1 er avril dernier.

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