B. LA FLEXIBILITÉ

Le pragmatisme britannique se traduit, sur le marché du travail, par une grande flexibilité qui permet aux entrepreneurs de ne plus considérer l'embauche comme un risque trop lourd à supporter mais comme une opportunité à saisir pour accompagner la croissance de l'entreprise. Cette flexibilité caractérise tous les domaines qui, en France, sont identifiés comme des contraintes lourdes en temps de crise : temps de travail, période d'essai, licenciement, etc.

Le message principal véhiculé par les entrepreneurs est qu'en période de crise, la souplesse du marché du travail britannique permet aux entreprises d'apporter des réponses graduées sans recours à la destruction d'emplois .

Le licenciement est possible, il coûte beaucoup moins cher qu'en France, mais, selon les dires des entrepreneurs rencontrés à Londres par la Délégation aux entreprises, il constitue clairement la dernière option envisagée par les employeurs qui ne veulent pas se séparer de salariés formés, performants, ayant développé un savoir-faire utile à l'entreprise.

1. Le temps de travail

Le premier levier est la flexibilité du temps de travail : le travail à temps partiel s'est fortement développé pendant la crise, permettant ainsi d'éviter la solution des licenciements massifs. Comme l'indique un document de travail du Cercle d'outre-Manche reprenant les informations de la Confederation of British Industries (CBI), lors de la période de crise la plus sévère, en septembre 2009, entreprises et syndicats britanniques se sont accordés sur les objectifs suivants :

La flexibilité du temps de travail concerne donc par conséquent également les salaires. L'adaptation salariale à la situation économique constitue un élément normal, intégré par les personnels. Cette adaptation traduit la primauté de la relation contractuelle en matière de droit du travail.

Comme le rappelle Alexandre Terrasse, avocat spécialisé en droit du travail britannique, « contrairement au droit social français, il n'existe pas en droit anglais de code du travail. Ainsi le droit repose sur un amalgame de textes de loi adoptés par le Parlement ( Statutes ) et le régime de loi coutumière érigé par la jurisprudence ( Common Law ). Il en résulte que la relation entre employeurs et salariés demeure essentiellement contractuelle, c'est-à-dire qu'elle repose sur les termes contractuels négociés par les parties , sous réserve du respect de certaines règles impératives imposées par les textes de loi.

Si, tout comme en France, une distinction existe entre les contrats de travail à durée déterminée et ceux à durée indéterminée, il ressort de la pratique que les contrats à durée indéterminée représentent la grande majorité des contrats de travail offerts par les entreprises situées au Royaume-Uni (33 ( * )) , les contrats à durée déterminée (34 ( * )) ( fixed-term contract ) n'étant utilisés que dans le cadre de l'exécution de missions spécifiques et dans le contexte de certaines activités commerciales ou professionnelles.

Cette préférence relève du fait que pendant la première année de son embauche, le salarié employé sous le régime du contrat à durée indéterminée ne pourra (sauf dans certains cas particuliers) invoquer une protection contre les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Une autre raison probable tient au fait qu'après l'expiration d'un contrat à durée déterminée d'une période d'un an ou plus, le régime applicable en matière de résiliation et de renouvellement devient commun aux deux types de contrats ».

2. La période d'essai

Pour faire face à la crise, le Gouvernement de David Cameron a augmenté à deux ans (35 ( * )) la période pendant laquelle entreprise et salarié peuvent se séparer sans formalité (36 ( * )) . Cette sorte de période d'essai de deux ans ( trial period ), qui ne prive en aucun cas le salarié de ses droits, semble constituer un atout pour les deux parties : les entrepreneurs rencontrés ont tous évoqué le défi que constitue la fidélisation des personnels compétents, qui apporte très naturellement un équilibre dans les relations et favorise un dialogue « gagnant-gagnant ».

Toutefois, dans certains cas, le licenciement devient inévitable, soit en raison d'un contexte économique pesant sur l'entreprise, soit parce que le salarié n'est pas ou plus adapté au poste.

3. Le licenciement

En France, même si le motif de licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse, l'entreprise devra verser des indemnités qui peuvent se révéler lourdes, « parfois 50% plus élevées qu'au Royaume-Uni » . Le Cercle d'outre-Manche a établi des simulations comparatives (37 ( * )) . Ainsi, pour un cadre de 51 ans avec 7 ans d'ancienneté, le coût serait de près de 35 000 euros en France et de 15 600 euros au Royaume-Uni.

Le licenciement abusif ( unfair dismissal ) est évidemment sanctionné au Royaume-Uni. Les indemnités sont toutefois moins importantes qu'en France, où il n'existe pas encore de plafond , contrairement au Royaume-Uni qui prévoit un maximum de 8 100 £ pour l'indemnité de base ( basic award ) et à 55 000 £ pour les dommages et intérêts ( compensatory awards ).

Le débat sur les indemnités en cas de licenciement injustifié vient d'être relancé par l'annonce par le Premier ministre de leur plafonnement, le 9 juin dernier. Cette réforme constituerait une nouvelle étape dans la sécurisation des employeurs, après le décret (38 ( * )) du 2 août 2013 portant fixation du montant du barème de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L.1235-1 du code du travail, et après la définition d'un référentiel à l'article 83 du texte adopté par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, -au cours duquel votre rapporteur, M. Olivier Cadic, a déposé un amendement (39 ( * )) visant à plafonner les indemnités-, et que le Sénat examine ces jours-ci en nouvelle lecture après l'Assemblée nationale.

D'après les informations présentées sur le site du Premier ministre (40 ( * )) , cet encadrement annoncé -qui prévoit un plafond et un plancher- tiendrait compte de la taille de l'entreprise et de l'ancienneté du salarié :

- « moins de 20 salariés : le montant des indemnités sera compris entre 2 et 6 mois de salaire, le plafond étant porté à 12 mois pour les salariés ayant 15 ans d'ancienneté et plus ;

- plus de 20 salariés : le barème sera de 4 à 12 mois, puis 20 mois à partir de 15 ans d'ancienneté ;

- pour les entreprises plus grandes, à partir du seuil de 250 ou 300 salariés, ce barème sera déterminé, ces mesures adaptées avec les parlementaires ;

- cet encadrement ne concernera pas les cas les plus graves (cas de discrimination ou de harcèlement), pour lesquels les juges prud'homaux pourront prononcer d'autres montants. Et cette disposition ne concerne pas le montant des indemnités légales et conventionnelles de licenciement auquel le salarié a droit, mais uniquement celles que le juge peut accorder s'il considère qu'un licenciement n'a pas une cause réelle et sérieuse ».

Il semble donc que les réformes en cours tendent à se rapprocher de la logique britannique afin de lever la crainte du contentieux . C'est un signe positif qu'il convient d'encourager, car, pour les entrepreneurs installés en France, le licenciement est aujourd'hui vécu comme un véritable « traumatisme » et comme une « faute ».

Dans le cadre d'un licenciement collectif pour motif économique, les entreprises anglaises doivent consulter les représentants du personnel et indemniser les salariés licenciés. Les indemnités légales sont fixées comme suit (41 ( * )) :

- une semaine de salaire par année travaillée si le salarié a moins de 41 ans ;

- une semaine et demie par année travaillée si le salarié a plus de 41 ans ;

- le salaire de calcul est plafonné à 270 £ par semaine (soit 415 €) ;

- l'indemnité totale est plafonnée à 8 100 £ (soit environ 12 000 euros).

Le barème fixé actuellement par le décret précité du 2 août 2013 ne constitue qu'une référence utilisée dans le cadre d'une conciliation en cas de litige. Mais, lorsque le contentieux se poursuit, il n'existe pas de plafond.


* 33 Selon l'Institut Montaigne, en 2010, seuls 6,1% des salariés bénéficiaient d'un CDD au Royaume-Uni.

* 34 Dont la durée est fixée contractuellement, avec un plafond cumulé de 4 ans, au-delà duquel le salarié bénéficie d'un contrat permanent : https://www.gov.uk/fixed-term-contracts/renewing-or-ending-a-fixedterm-contract.

* 35 Cf. OCDE, Regulations in force, United Kingdom http://www.oecd.org/els/emp/United%20Kingdom.pdf

* 36 En 1971, elle se limitait à deux ans, avant d'être réajustée à un an en 1974, puis à six mois en 1975. Sous le gouvernement Thatcher, elle est repassée à deux ans en 1985, puis à un an en 1997, puis de nouveau à deux ans en 2012 sous le gouvernement libéral-conservateur (mais seulement pour les contrats conclus après cette date).

* 37 http://www.cercledoutremanche.com/public/var/observations/le_droit_du_travail.pdf

* 38 Décret n°2013-721, pris pour application de l'article 21 de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi.

* 39 Amendement n° 898 modifiant l'article L.1235-3 du code du travail.

* 40 http://www.gouvernement.fr/argumentaire/tout-pour-l-emploi-2348

* 41 Cercle d'outre-Manche, Ibid.

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