II. LA DÉMARCHE DES POUVOIRS PUBLICS : UNE MOBILISATION ET UNE INSCRIPTION DANS LA DURÉE

A. LES TENTATIVES D'UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DU RISQUE PAR LE LÉGISLATEUR

1. La transposition de la directive européenne relative à l'évaluation et à la gestion des inondations

En juillet 2010, soit de manière quasi concomitante avec la présentation du rapport sénatorial d'information, la loi portant engagement national pour l'environnement transposait la directive communautaire de 2007 relative à la gestion du risque inondation.

a) Les dispositions de la directive européenne

Ce texte vise à mettre en place une politique de prévention des inondations ainsi qu'une coordination des actions entre les Pays membres. Il rappelle la grande diversité des inondations sur le territoire de l'Union européenne, que ce soit du point de vue de sa nature - débordements de rivières, crues subites, « inondations par la mer des zones côtières - ou par son impact en fonction de la zone touchée ». C'est pourquoi le texte vise seulement à rendre obligatoires des mesures et actions visant à mieux gérer les inondations, « les objectifs en matière de gestion des risques d'inondation devant être fixés par les États membres et devant tenir compte des particularités locales et régionales ».

La directive prévoit ainsi :

- l'obligation d'une évaluation préliminaire des risques d'inondation ;

- la réalisation d'une carte des zones inondables et des risques d'inondation en cartographiant les territoires exposés, respectivement, à des phénomènes fréquents, moyens et extrêmes ;

- la mise en place de plan de gestion des risques inondation (PGRI).

b) Une transposition par la loi de Grenelle II jugée a minima

La transposition de la directive de 2007 a été jugée « a minima » par la mission d'information commune et vue comme une « occasion manquée ignorant la situation particulière du littoral et la spécificité des phénomènes de submersion marine » .

En effet, une prise de compte de la spécificité de la submersion marine par rapport à l'inondation plus classique n'a pas eu lieu. En outre, le contenu des plans de gestion des risques inondation restait flou : les imprécisions tiennent d'une part au contenu 74 ( * ) même des plans et, d'autre part, à la gouvernance 75 ( * ) de ceux-ci. Enfin, si la loi de transposition insérait dans le code de l'environnement une stratégie nationale de gestion des risques inondation (SNGRI), aucune précision n'était apportée. Cela s'expliquait principalement par le fait que l'État attendait le résultat de l'évaluation préliminaire des risques d'inondation avant de les définir.

Après évaluation, vos rapporteurs constatent que l'État fait preuve d'une meilleure prise en compte de la spécificité du risque de submersion marine , comme en témoigne la circulaire du 27 juillet 2011 relative à la prise en compte du risque de submersion marine dans les plans de prévention des risques naturels littoraux.

Ils se félicitent également que la stratégie nationale de gestion des risques d'inondation , qui vise à assurer la cohérence des actions menées sur le territoire, ait été arrêtée par les ministres de l'Écologie, de l'Intérieur, de l'Agriculture et du Logement le 7 octobre 2014. Cette stratégie fixe ainsi trois grands objectifs : augmenter la sécurité des populations, réduire le coût des dommages, et raccourcir fortement le délai de retour à la normale des territoires sinistrés.

Enfin, vos rapporteurs notent avec satisfaction que le contenu des PGRI a bien été précisé dans le guide fourni en aout 2013 76 ( * ) par le ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie . La gouvernance des PGRI a d'ailleurs été précisée par la circulaire du 5 juillet 2011 relative à la mise en oeuvre de la politique de gestion des risques d'inondation, et la circulaire du 14 août 2013 relative à l'élaboration des plans de gestion des risques d'inondation et à l'utilisation des cartes de risques pour les territoires à risque important d'inondation 77 ( * ) .

Toutefois, si la gouvernance a bien été clarifiée, votre délégation regrette qu'il n'y ait pas eu d'amélioration de la coordination entre les nombreux outils de gestion du risque (PPR, PCS, PAPI ou encore SDAGE), gages d'une meilleure lisibilité . C'est dans ce sens qu'elle présente une recommandation visant à rendre plus lisible l'articulation des outils relatifs aux risques (recommandation n° 6) .

2. La tentative non aboutie de traduire dans le droit plusieurs préconisations de la mission sénatoriale d'information

Dès juillet 2010, la mission d'information présidée par notre collègue Bruno Retailleau rendait ses conclusions. S'appuyant sur cette expertise , deux propositions de loi sénatoriales 78 ( * ) étaient déposées par nos collègues de la commission de l'Économie. Reprises dans un texte identique à travers une proposition de loi unique « tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine », qui avait pour double objectif de permettre un accompagnement des sinistrés dans l'éventualité d'une crise , notamment grâce à une indemnisation efficace, et d'en réduire les conséquences par une meilleure anticipation . Ainsi, était-il envisagé de renforcer les systèmes d'alerte, la préparation de la population et l'organisation des secours.

Votre délégation relève que sur les 92 propositions du rapport, 32 ont été reprises directement. La proposition de loi finalement adoptée par le Sénat le 3 mai 2011, traduit directement 29 préconisations de nos collègues. Elle comprend six chapitres 79 ( * ) reprenant les enjeux majeurs relevés par la mission d'information.

Votre délégation regrette que cette proposition de loi , pourtant novatrice et témoignant d'avancées législatives en matière de prévision et de gestion des risques de submersion, n'ait toujours pas été examinée par l'Assemblée nationale , alors qu'elle lui a été transmise le 4 mai 2011 et à nouveau le 2 juillet 2012.

a) La promotion d'une approche globale du risque de submersion marine
(1) Une meilleure prévision des différents phénomènes pouvant aboutir à une inondation

D'après la mission d'information sénatoriale, « la tempête Xynthia a montré la spécificité des risques d'inondation associés, non à des crues intenses, mais à une submersion marine » 80 ( * ) . C'est pourquoi l'article 1 er de la proposition de loi prévoit que les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) prennent en compte simultanément les risques de crues et les risques littoraux .

Par ailleurs, afin de mieux intégrer le risque de submersion marine , l'article 2 insère dans le code de l'environnement « la prévision des effets de surcotes marines, de vague et les risques de submersions marines ». L'article 2 bis crée également un chapitre relatif à l'organisation de la surveillance, de l'alerte et de l'information sur les tsunamis .

(2) Une meilleure gestion globale du risque d'inondation

La mission d'information souhaitait « muscler le contenu stratégique du plan de gestion des risques inondation (PGRI) » 81 ( * ) , jugé insuffisamment précis. C'est pourquoi l'article 3 modifie son contenu sur plusieurs points :

- il y intègre un bilan de l'état des éléments de protection contre la mer ainsi qu'un document qui retrace l'ensemble de la chaîne d'alerte ;

- il le dote d'un volet stratégique sur le littoral en lui confiant un rôle d'évaluation de l'ensemble des mesures de gestion du risque ;

- il prévoit l'élaboration spécifique de stratégies locales relatives aux submersions marines à l'échelle de la « zone littorale homogène ».

L'article 3 bis vient également enrichir le PGRI en prévoyant que l'étude d'impact le précédant comprenne l'étude de la gestion des risques naturels majeurs .

b) Le renforcement de la protection des populations par la mise en place d'un droit des sols adapté au risque de submersion marine

La mission d'information avait constaté que l' objectif de protection des populations ne figurait que dans le code de l'environnement, et avait jugé nécessaire de l'intégrer dans le code de l'urbanisme. C'est pourquoi l'article 4 intègre dans le code de l'urbanisme les objectifs de prévention des risques naturels et technologiques , ainsi que de protection des vies humaines face à ces risques .

Par ailleurs, nos collègues avaient estimé que le renforcement de la protection des populations devait se faire par « la pleine opposabilité des PPR aux documents d'urbanisme » 82 ( * ) . Dans ce sens, l'article 5 rend les plans de prévention des risques naturels (PPRN) et les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) pleinement et directement opposables aux documents locaux d'urbanisme . L'article 5 bis prévoit même l'extension aux schémas de cohérence territoriale (SCOT) l'obligation de suppression des dispositions contraires au PPR , alors que l'article 6 bis interdit la délivrance tacite de permis dans les zones délimitées par les PPR.

La mission avait enfin relevé des lacunes dans la procédure de « porter à connaissance » qui, selon elle, » ne présentait pas de « valeur ajoutée » pour les autorités locales compétentes en matière d'urbanisme » 83 ( * ) et n'était exercée que très ponctuellement.

Au cours de leurs auditions, vos rapporteurs se sont vu confirmer que cette procédure s'est largement perfectionnée , les informations relatives aux risques naturels étant maintenant communiquées aux maires de manière plus systématique et plus exhaustive.

c) L'amélioration de la gestion des digues et de la défense contre la mer
(1) Clarifier les mécanismes de contrôle et d'entretien des ouvrages de défense contre la mer

La mission sénatoriale jugeait que « de trop nombreux acteurs interviennent dans la gestion des digues » 84 ( * ) . Elle a ainsi recommandé de clarifier le régime de propriété afin de permettre une meilleure gestion des digues et de défense contre la mer . Cette recommandation, reprise à l'article 7 de la proposition de loi, prévoit le transfert des ouvrages de défense contre la mer aux collectivités territoriales qui le souhaitent.

La mission a également considéré qu'il était « très important de contrôler la mise en oeuvre d'un plan de renforcement des ouvrages de défense contre la mer » 85 ( * ) . L'article 8 renforce donc les moyens de contrôle des ouvrages de défense contre la mer et rend obligatoire , comme aux Pays-Bas, un plan d'action, élaboré tous les six ans, relatif aux ouvrages de défense contre la mer.

Constatant que « les travaux d'urgence sur les digues ont été réalisés de manière rapide avec parfois des matériaux de mauvaise qualité technique » 86 ( * ) , nos collègues ont jugé nécessaire de « définir très précisément des normes en matière d'ingénierie des digues . À cette fin, l'article 9 confie donc au comité technique permanent des barrages et ouvrages hydrauliques , actuellement compétent pour rendre un avis sur la sécurité de ces ouvrages, le soin d'élaborer les prescriptions nécessaires à la construction et à l'entretien des digues .

Si nos collègues n'avaient pas repris dans leur proposition de loi les dispositions relatives à la promotion d'une gestion locale de proximité de nature à assurer la surveillance et l'entretien des digues, votre délégation prend acte des avancées réalisées sur ce point dans le cadre de la Gemapi .

(2) Faciliter le financement destiné aux ouvrages de défense contre la mer

La mission d'information a estimé que « le programme d'investissement » destiné à la protection contre la submersion marine « devait s'étaler sur plusieurs années et ne pas se contenter d'une simple « réparation » de l'existant » 87 ( * ) . L'article 10 de la proposition de loi crée donc un mécanisme de financement pérenne des investissements destinés à la protection contre la submersion marine .

d) Renforcer et adapter les systèmes d'alerte, la préparation de la population au risque et l'organisation des secours à la nature du risque
(1) Mieux informer la population sur le risque

Selon la mission commune d'information, « la communication envers la population doit être le premier instrument de prévention des risques naturels » 88 ( * ) . C'est dans ce sens qu'elle préconisait de rendre obligatoire l'adoption, par une commune, d'un plan communal de sauvegarde (PCS) dès lors que la réalisation d'un PPR lui a été prescrite ; de désigner dans chaque département une personne référente permettant d'aider les communes qui le souhaitent à réaliser les PCS : de subordonner les subventions étatiques en faveur des actions locales de prévention des risques à l'existence dans une commune d'un PCS approuvé ; et enfin de mieux informer la population du contenu de ces plans . L'article 12 de la proposition de loi reprend l'ensemble de ces orientations en prévoyant une information régulière des populations concernées ainsi que des exercices de simulation d'une catastrophe naturelle .

En outre, l'article 13 instaure une journée nationale de la prévention des risques naturels.

Au cours de leurs auditions, vos rapporteurs ont acquis la ferme conviction que l'information est une condition du développement d'une culture de risque . Sur ce point, Philippe Le Moing-Surzur, sous-directeur de la planification et de la gestion des crises au ministère de l'Intérieur, indiquait que « les comportements inadaptés des populations étaient dus au manque de culture du risque ». C'est pourquoi votre délégation présente une recommandation afin de remédier à cette situation (recommandation n° 3).

(2) Mieux alerter la population en cas de survenance du risque

Constatant que « la tempête Xynthia avait provoqué des dysfonctionnements majeurs des moyens de communications » 89 ( * ) , la mission proposait de prioriser les appels d'urgence. L'article 14 de la proposition de loi impose donc aux opérateurs de téléphonie mobile d'offrir aux services d'urgence un accès prioritaire gratuit .

e) La réparation des dommages causés par une submersion marine par des régimes d'indemnisation justes et efficaces

Souhaitant « aider les collectivités territoriales à réparer les dommages subis en recourant à la solidarité nationale » 90 ( * ) , nos collègues ont proposé une indemnisation équitable des collectivités territoriales touchées par une catastrophe naturelle. L'article 15 de la proposition de loi institue donc un prélèvement sur les recettes de l'État permettant de verser, suite à une catastrophe naturelle, une compensation égale aux communes et EPCI déclarés éligibles du fait de leurs pertes de bases d'imposition à la taxe d'habitation, à la taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties, par un décret en Conseil d'État.

Doutant de la capacité du « fonds Barnier » à faire face aux opérations de rachat envisagées pour l'indemnisation des sinistrés, nos collègues ont précisé, dans l'article 16, que la faculté de l'État de procéder au versement d'avances au profit de ce fonds vise à faire face à des financements de dépenses exceptionnelles 91 ( * ) .

f) Gérer le risque de submersion marine en lien avec la préoccupation d'aménagement et de développement des zones littorales

La mission d'information a mis en évidence le problème de « la fragmentation des outils et des législations » 92 ( * ) . Pour y remédier, elle a proposé, article 19 de la proposition de loi, la mise en place d' une distribution spatiale des activités adaptée au risque de submersion marine, à travers un « schéma d'aménagement des zones littorales à risque » . L'article 21 étend d'ailleurs les possibilités de préemption dans ces zones. 93 ( * ) .

Souhaitant optimiser la coordination des instruments et organismes compétents, nos collègues ont également confié au Conseil national de la mer et des littoraux une mission de soutien aux collectivités territoriales dans l'aménagement des zones littorales à risque. C'est l'objet de l'article 22 de la proposition de loi 94 ( * ) .


* 74 Un contenu jugé incomplet et ne prévoyant aucune coordination entre les différents outils existants, la France disposant déjà de très nombreux outils, qu'il s'agisse des PPR, des PCS, des PAPI ou encore des SDAGE.

* 75 Pas de précisions quant au préfet coordonnateur s'agissant d'un littoral s'étendant sur plusieurs régions (le préfet coordonnateur de bassin étant en théorie le préfet de région). Aucune définition des modalités de concertation avec les collectivités territoriales. Absence de définition claire de la mission d'appui aux collectivités confiée aux établissements publics territoriaux de bassin (EPTB).

* 76 Rapports fournis par la Direction générale de la prévention des risques, le Service des risques naturels et hydrauliques, et le Bureau des risques météorologiques.

* 77 Cf. annexe 3 de la circulaire portant sur le rôle des différents échelons territoriaux.

* 78 Les propositions de loi n° 172 (2010-2011) et n° 173 (2010-2011) déposées au Sénat le 14 décembre 2010 et rédigées dans des termes rigoureusement identiques, se sont attachées à traduire les préconisations du rapport d'information n° 647, « Xynthia : une culture du risque pour éviter de nouveaux drames ».

* 79 La promotion d'une approche globale du risque de submersion marine ; la mise en place d'un droit des sols adapté au risque de submersion marine ; l'amélioration de la gestion des digues et de la défense contre la mer ; le renforcement et l'adaptation à la nature du risque des systèmes d'alerte, de la préparation de la population et de l'organisation des secours ; la réparation des dommages causés par une submersion marine avec des régimes d'indemnisation justes et efficaces.

* 80 Rapport d'information n° 647, « Xynthia : une culture du risque pour éviter de nouveaux drames », 2009-2010, tome I, p. 116.

* 81 Rapport d'information n° 647, p. 108.

* 82 Rapport d'information n° 647, p. 116.

* 83 Rapport d'information n° 647, p. 120.

* 84 Rapport d'information n °647, p. 144.

* 85 Rapport d'information n° 647, p. 147.

* 86 Rapport d'information n° 647, p. 147.

* 87 Rapport d'information n° 647, p. 150.

* 88 Rapport d'information n° 647, p. 130.

* 89 Rapport d'information n° 647, p. 153.

* 90 Rapport d'information n° 647, p. 173.

* 91 Comme les opérations d'envergure de rachat de logements dans des zones soumises à un tel risque naturel.

* 92 Rapport d'information n° 647, p.192.

* 93 Article qui modifie les articles L. 142-1, L. 142-2, L. 142-3 et L. 211-1 du code de l'urbanisme.

* 94 Article qui modifie l'article 43 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.

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