IV. LES RECOMMANDATIONS DE VOTRE DÉLÉGATION

Les investigations menées par votre délégation l'ont conduite à faire un constat en demi-teinte . Certes, les services de l'État se sont, après la tempête, engagés dans le perfectionnement du système de prévention des risques et de protection des populations, mais les actions mises en oeuvre depuis le passage de Xynthia n'ont toujours pas permis de développer une véritable « culture du risque » sur nos territoires .

Celle-ci passe par une meilleure communication entre les acteurs et un partage clair des responsabilités dans la diffusion aux populations de 'information sur le risque . Philippe Le Moing-Surzur, sous-directeur de la planification et de la gestion des crises, l'affirmait à juste titre lors de son audition devant votre délégation : « Il faut une démarche transversale à l'ensemble de la société ».

La loi de modernisation de la sécurité civile 130 ( * ) de 2004 exprimait déjà clairement cette idée : « La sécurité civile est l'affaire de tous. Tout citoyen y concourt par son comportement. Une véritable culture de la préparation au risque et à la menace doit être développée ».

Par ailleurs, l' occurrence croissante de phénomènes météorologiques extrêmes doit mener à concevoir le risque différemment . La culture du risque ne signifie plus seulement qu'il faut avoir « conscience des risques », mais elle doit permettre de réaliser des « projets de territoire » . À cet égard, Jean-Marc Michel, directeur de l'aménagement au sein de la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) soulignait devant votre délégation, que « le risque n'est pas seulement une contrainte , mais peut être un facteur de projet de territoire », surtout lorsqu'il permet de « concevoir des projets audacieux préparant l'avenir ».

Votre délégation partage pleinement cette analyse et souhaite encourager les collectivités territoriales à s'engager dans cette voie pour faire du risque un facteur de projets de territoire .

C'est dans ce sens qu'elle formule des recommandations destinées à responsabiliser tous les acteurs (services de l'État, élus locaux, citoyens) face aux risques, avec pour objectif principal la protection des populations, qu'il s'agisse du risque de submersion marine ou, de façon plus large, d'autres risques naturels. Cette responsabilisation doit prendre effet dès la phase de prévention du risque jusqu'au moment de sa survenance.

Avant la réalisation du risque, votre délégation plaide pour une réelle préparation de la population et des élus locaux (A), et une planification urbanistique clarifiée (B). Puis, en cas de réalisation du risque, votre délégation recommande une amélioration de la transmission de l'alerte (C).

A. MIEUX PRÉPARER LA POPULATION ET LES ÉLUS LOCAUX AUX RISQUES

1. Un déploiement généralisé des repères de crue

Vos rapporteurs déplorent qu'en dépit de la répétition de catastrophes naturelles, nos concitoyens aient tendance à une certaine forme de déni face aux risques naturels , constat particulièrement valable pour les risques d'inondation et de submersion. Sur le terrain, les populations oublient même parfois que certains territoires ont pu être sinistrés dans le passé.

Actuellement, l'adoption d'un PPRI implique que les communes procèdent à la pose de repères de crues visibles de la voie publique et organisent, tous les deux ans, des réunions d'information du public 131 ( * ) . Grâce à cet outil simple et peu coûteux , il est en théorie impossible de contester le risque puisque celui-ci devient directement et facilement identifiable. D'ailleurs, votre délégation s'est vu confirmer qu'à la suite de la tempête Xynthia, l'État avait distribué dans les communes les plus touchées par la catastrophe 2 000 repères de crues 132 ( * ) . La Direction générale de la prévention des risques a indiqué à vos rapporteurs que 295 repères seulement ont été installée à ce jour, un chiffre modeste eu égard aux risques.

Votre délégation se félicite que les PAPI intègrent sur les territoires des poses de repères de crues. Elle souligne que les collectivités territoriales peuvent à ce titre bénéficier d'une aide financière, via le fonds Barnier, à hauteur de 50% du coût de la pose.

Dans cette perspective, elle approuve l'instruction du Gouvernement du 14 janvier 2015 destinée à accélérer la pose de repères de crue et prévoyant que le versement des subventions du fonds Barnier au PAPI et aux opérations d'endiguement PSR soit conditionné au respect par les maires de leurs obligations d'information préventive, au titre desquelles s'inscrit la pose des repères de crues.

Enfin, elle relève que le ministère de l'Écologie crée un site national des repères de crues, qui devrait ouvrir au public à l'automne 2015.

Ces initiatives méritent d'être consolidées, et votre délégation estime qu'il est nécessaire d'appeler les élus locaux à un déploiement plus rapide des repères de crue.

Recommandation n° 1

Appeler les collectivités territoriales à déployer le plus rapidement possible les repères de crue.

2. Mieux préparer les populations face aux risques

Vos rapporteurs estiment que les habitants des communes littorales doivent, certes, avoir pleinement conscience des risques qu'ils encourent, mais également être préparés à la survenance de ces risques . Comme le soulignait avec justesse notre collègue Bruno Retailleau « la communication envers la population doit être le premier instrument - et sûrement le moins coûteux - de prévention des risques naturels » 133 ( * ) .

a) Mettre en place un mécanisme d'indemnisation plus responsable

S'intéressant aux travaux sur les digues, le rapport d'évaluation à mi-parcours du PSR faisait le constat que les programmes de travaux prévus étaient loin d'être achevés . Deux préoccupations importantes ressortaient de son analyse :

- l'enveloppe prévue de 500 millions d'euros risque de ne pas être suffisante pour traiter le linéaire de digues indiqué par le Plan (1 200 km) ;

- le fonds Barnier ne suffira peut-être pas pour couvrir les programmes labellisés, en gestation ou postérieurs.

C'est pourquoi la mission d'inspection recommandait que « le suivi de l'utilisation du fonds Barnier soit amélioré » afin d'en maîtriser la programmation et l'évolution . Ses conditions d'utilisation, en particulier l'affectation des moyens, devraient correspondre à « des priorités clairement identifiées » , de façon « cohérente avec les enjeux et les moyens disponibles ».

Tirant les conclusions de cette évaluation, vos rapporteurs ont pris la mesure des moyens limités du fonds Barnier, notamment dans le contexte économique actuel. Ils ont noté avec intérêt les propos de MM. Philippe Ledenvic et Christian Pitié, membres du CGEDD, qui soulignaient lors de leur audition devant votre délégation « le caractère déresponsabilisant des indemnisations qui ne sanctionnent pas l'insuffisance des efforts de prévention et d'amélioration de la résilience ». Ils indiquaient à cet égard qu'il serait préférable de « mettre en place un mécanisme plus responsabilisant qui influerait sur les comportements , tant des élus que des citoyens ». Cette réflexion était également présente dans le rapport de la mission d'inspection interministérielle de mai 2010 134 ( * ) qui fustigeait l'absence de « mécanismes de rappel » visant à inciter à la prévention. Elle faisait d'ailleurs siennes les observations déjà formulées en 2005 par une mission d'enquête sur le régime d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles : « par ses caractéristiques, le régime catnat (régime du fonds Barnier) contribue à affaiblir, sinon à supprimer, toute incitation à réduire l'exposition au risque par une recherche d'une autre localisation des activités ou par des investissements dans la prévention. Les primes et les franchises ne dépendent ni du risque subi, ni des efforts consentis par l'assuré pour adopter des mesures de prévention ou de réduction de la vulnérabilité » 135 ( * ) .

C'est dans cette perspective que votre délégation appelle à une concertation de l'ensemble des acteurs concernés, notamment le secteur de l'assurance, afin de mieux prendre en compte les mesures de prévoyance et de résilience mises en oeuvre pour limiter les dégâts. Votre délégation entend responsabiliser les populations en leur transmettant la culture du risque, mais également économiser des ressources précieuses du Fonds Barnier. C'est ainsi qu'un système de malus, ou d'indemnisation dégressive en cas d'absence d'efforts de prévention, pourrait être envisagé.

Recommandation n° 2

Engager une concertation entre les collectivités territoriales, l'État et les assureurs pour créer un système d'indemnisation des catastrophes naturelles plus responsabilisant pour les populations (malus ou indemnisation dégressive en cas d'absence d'efforts de prévention).

b) Informer la population sur les comportements à adopter

La tempête Xynthia a pointé de graves défaillances en matière d'information sur les comportements à adopter en cas de survenance du risque de submersion marine. Témoignant devant la mission présidée par notre collègue Bruno Retailleau, Jacques Auxiette, alors président du conseil régional des Pays-de-la-Loire, rappelait qu'à La Faute-sur-Mer, « les habitants avaient reçu une information d'alerte rouge qui ne comportait aucune indication des mesures concrètes de protection ». Pire encore, au moment de l'alerte, certains messages avaient été « contreproductifs, et même mortels » 136 ( * ) . C'est pourquoi votre délégation plaide pour une information des populations en amont sur les comportements à adopter en cas de catastrophe naturelle .

Auditionné par votre délégation, Bruno Retailleau relevait avec justesse que « la culture du risque, ce n'est pas le risque zéro, mais c'est apprendre à vivre avec le risque ». Cette position est d'ailleurs largement relayée par les associations spécialisées dans la prévention des risques. À cet égard, votre délégation a pu prendre la mesure du remarquable travail de terrain effectué par l'association IFFO-RME, qu'elle a pu auditionner, qui agit « pour prévenir et contribuer à la résilience des populations et des territoires ». Leurs actions, orientées vers la prévention des risques par une information en amont des populations, notamment des jeunes, permettent un changement progressif de « culture » vis-à-vis des risques . Les représentants de cette association soulignaient à juste titre que « si le maire a des responsabilités en matière de prévention et de protection face aux risques, le citoyen a aussi les siennes ». Au coeur de ce changement de paradigme , se trouve, selon eux, « la responsabilité citoyenne », autrement dit « le fait que le citoyen prenne ses responsabilités et devienne acteur de sa propre sécurité », ce qui est l'esprit même de la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

Vos rapporteurs tiennent particulièrement à l'information en direction des jeunes publics (enfants, adolescents, étudiants), vecteurs, selon eux, d'une évolution des mentalités en matière de culture du risque. Ils souhaitent que l'Éducation nationale soit pleinement associée à cette réflexion.

C'est dans cette perspective que votre délégation recommande de développer l'information en amont sur les comportements à adopter en cas de catastrophe naturelle . Cette information pourrait ainsi être élaborée par les services de la sécurité civile qui la transmettraient aux communes, à charge ensuite pour les maires - soutenus par des associations telles que l'IFFO-RME - de l'afficher en mairie et sur leurs sites internet afin de la rendre accessible aux populations concernées.

Cette recommandation est non seulement simple à mettre en pratique et peu coûteuse , mais surtout elle est essentielle à une intégration de la culture du risque par la population . Elle avait d'ailleurs été formulée dans le rapport d'information 137 ( * ) de nos collègues, sans toutefois être reprise dans leur proposition de loi.

Recommandation n° 3

Développer la sensibilisation du public à la prévention des risques d'inondation et de submersion en expliquant aux populations exposées les comportements à adopter en cas de survenance de ces événements, avec un effort particulier auprès des jeunes publics, grâce au soutien de l'Éducation nationale.

3. Mieux préparer les élus locaux face aux risques
a) Préserver le « porter à connaissance »

La procédure du « porter à connaissance » 138 ( * ) impose aux préfets de « porter à la connaissance des communes ou de leurs groupements compétents les informations nécessaires à l'exercice de leurs compétences en matière d'urbanisme » et de leur fournir « notamment les études techniques dont dispose l'État en matière de prévention des risques et de protection de l'environnement » .

En 2010, nos collègues Bruno Retailleau et Alain Anziani regrettaient que les préfectures se bornaient le plus souvent à « faire le catalogue des réglementations opposables aux permis de construire, sans mettre l'accent sur les facteurs de danger pour les populations » 139 ( * ) .

La situation s'est nettement améliorée depuis lors, puisque désormais, l'atlas des zones inondables est systématiquement transmis. En outre, selon la DGALN « indépendamment du "porter à connaissance" exercé au titre du code de l'urbanisme, l'État transmet en continu toutes les informations dont il dispose sur les risques ». La circulaire du 8 octobre 2013 précise d'ailleurs les documents devant faire l'objet du « porter à connaissance ».

Sur ce point, Bruno Retailleau estimait devant vos rapporteurs que le rôle des préfets de département devait être consolidé, ces derniers étant les plus à même de « conjuguer la rigueur de la règle avec la nécessité et la complexité du terrain » . Il recommandait en ce sens « une concentration entre leurs mains de l'ensemble des pouvoirs en matière de prévision du risque ».

Vos rapporteurs ont été informés qu'une nouvelle circulaire spécifiquement consacrée au " porter à connaissance " en zones inondables était en cours de rédaction par la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages de la DGALN et par la Direction générale de la prévention des risques, ce dont ils se félicitent. Selon les informations qui leur ont été communiquées, le texte évoquera à nouveau les processus d'information en continu des collectivités territoriales en charge de la planification et du droit des sols.

Votre délégation se réjouit de ce progrès dans la communication entre les préfectures et les communes en matière de transmission des informations relatives aux risques.

b) Assurer une aide technique pérenne aux collectivités territoriales

Depuis la tempête Xynthia, des efforts ont été accomplis dans ce domaine, notamment de la part des services déconcentrés pour accompagner les communes dans l'élaboration des plans communaux de sauvegarde. Dans les deux départements les plus impactés par la tempête Xynthia, chaque maire a été directement informé par lettre du préfet de l'intérêt d'élaborer et d'actualiser les plans communaux de sauvegarde. Pour la réalisation des PCS et des DICRIM140 ( * ), les deux préfectures ont mis en place un dispositif d'appui, réalisé des documents pédagogiques et organisé des réunions d'information. Dans sa réponse aux recommandations de la Cour des comptes en 2012, le préfet de Vendée insistait sur le fait que les sous-préfets avaient organisé des réunions d'information à l'intention des maires intéressés. En outre, « une équipe d'appui composée de représentants de la préfecture du SDIS, de la DDTIM et de la gendarmerie ou de la DDSP a participé aux différentes réunions de travail organisées dans les communes ». Comme l'indiquait sévèrement la Cour des comptes, l'efficacité de l'action des services déconcentrés « a parfois été freinée par la faiblesse en moyens humains des services déconcentrés de la préfecture et la difficulté à les accroître ».

Si votre délégation salue le soutien apporté par les préfectures aux communes , elle juge qu'eu égard aux difficultés que peut représenter pour elles la mise en place de l'ensemble des actions de prévention des risques, celles-ci doivent pouvoir bénéficier d'une aide technique. Or, cette dernière est conditionnée par la préservation de moyens humains et financiers suffisants.

Recommandation n° 4

Garantir des moyens financiers et humains suffisants dans les préfectures afin d'assurer une aide technique aux collectivités territoriales en matière de prévention des risques naturels.

c) Améliorer l'information du conseil municipal

La décision du 12 décembre 2014 du TGI des Sables d'Olonne a relevé que le conseil municipal de La Faute-Sur-Mer n'avait pas été convoqué sur le thème du risque naturel majeur et ses implications pour la vie locale. Les juges ont fait observer que le maire et son adjointe avaient préféré privilégier « l'image touristique idyllique de la commune » 141 ( * ) plutôt que la protection de la population.

Or, votre délégation veut rappeler aux élus locaux qu'une large information relative aux risques naturels existe. Il lui parait important qu'ils s'en saisissent pleinement. Elle mentionne, à titre d'exemples, le « mémento du maire et des élus locaux », actualisé régulièrement par l'Institut des risques majeurs de Grenoble, et les guides méthodologiques 142 ( * ) à l'intention des élus locaux, publiés par le Centre européen pour la prévention du risque inondation (CEPRI) 143 ( * ) .

Vos rapporteurs souhaitent saluer l'expérience menée dans le département de la Somme par l'IFFO-RME et l'Association des maires de France, soutenue par le préfet du département. Suite aux larges renouvellements des équipes communales après les élections de 2014, une journée de rencontres et d'ateliers a été animée dans chaque circonscription ouverte par le sous-préfet.

Partant de ces constats, votre délégation plaide pour une communication systématique des élus locaux sur les risques . L'information des conseillers municipaux doit ainsi les amener à une réflexion sur les mécanismes de prévention à adopter face aux risques . C'est pourquoi elle recommande que les maires organisent, en début de mandat, une réunion d'information du conseil municipal dédiée aux risques naturels.

Recommandation n° 5

Prévoir une information systématique du Conseil municipal par le maire en début de mandat sur les risques naturels encourus par la commune.


* 130 Loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

* 131 Mécanisme prévu par les articles R 563-11 et suivants du code de l'environnement.

* 132 1 000 en Charente-Maritime, 600 en Vendée, 200 en Loire-Atlantique et 200 en Gironde.

* 133 Rapport d'information n° 647, tome I, p. 130.

* 134 « Tempête Xynthia : retour d'expérience, évaluation et propositions d'action », mai 2010.

* 135 Mission d'enquête sur le régime d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, Inspection générale des finances, Conseil général des ponts et chaussées, Inspection générale de l'environnement, octobre 2005.

* 136 Rapport d'information n° 647, tome I, p. 41.

* 137 Proposition n° 50.

* 138 2 e et 3 e alinéas de l'article L. 121-2 du code de l'urbanisme.

* 139 Rapport d'information n° 647, tome I, p. 58.

* 140 Document d'Information Communal sur les Risques Majeurs.

* 141 Extrait du jugement du 12 décembre 2014 rendu par le TGI des Sables d'Olonne.

* 142 On peut citer par exemple : « Impulser et conduire une démarche de réduction de la vulnérabilité des activités économiques » (2012), « La prise en compte du risque d'inondation dans les Schémas de cohérence territoriale » (2013) et « Sensibiliser les populations exposées au risque d'inondation - Comprendre les mécanismes du changement de la perception et du comportement » (2013).

* 143 Association, créée en 2006, rassemblant des associations, des collectivités territoriales, des syndicats de collectivités et des établissements publics.

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