B. DES HYPOTHÈSES DE MARCHÉ PEUT-ÊTRE OPTIMISTES

1. Les perspectives du marché mondial
a) La croissance du marché mondial

Cette croissance semble acquise. Selon l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'agriculture (FAO), de tous les produits agricoles, les produits laitiers sont ceux dont la demande augmentera le plus. Cette progression est le résultat de trois facteurs : l'augmentation de la population mondiale, l'augmentation du niveau de vie dans les pays émergents et le changement d'habitudes alimentaires qu'il induit, notamment en faveur des aliments protéinés et, enfin, les changements dans les techniques de production et d'approvisionnement.

Ainsi, tous les professionnels répètent à l'envi que la consommation mondiale progressera de 2 % par an. Les experts de l'OCDE tablent plus précisément sur une croissance annuelle de 1,9 %, mais avec des évolutions contrastées selon les segments de marché : « Le taux de croissance sera de 1,9 % par an. Le lactosérum, le fromage et le lait écrémé en poudre devraient se distinguer avec une croissance annuelle de plus de 2 % par an. On attend une tendance moins marquée par le lait entier en poudre (+ 1,7 %) et moins encore pour le beurre (+ 0,7 %) ». Les données chiffrées sont présentées dans le tableau ci-après :

Perspectives du marché mondial des produits laitiers (2014-2023)
(en millions de tonnes)

2014

2020

2023

Évolution

Lait

783,7

879,9

928,2

+ 18,4 %

Produits frais

532,9

614,2

658,6

+ 23,5 %

Beurre

10,5

11,8

12,6

+ 20 %

Fromage

21,6

24,2

25

+ 17 %

Lait écrémé en poudre

3,9

4,4

4,6

+ 18 %

Lait entier en poudre

4,9

5,7

6,0

+ 22,8 %

Poudre de lactosérum

np

np

np

np

Caséine

0,29

0,34

0,36

+ 24 %

Source : OCDE/FAO 2014

b) Le positionnement de l'Union européenne

Comment se positionne l'Union européenne dans ce marché mondial, apparemment très porteur ? La Commission estime qu'au niveau global, l'abolition des QL n'aura qu'une faible incidence sur les volumes dans la mesure où la plupart des États membres étaient en sous-réalisation. Le niveau global de collecte devrait même être en dessous du niveau de quotas prévu en 2014 (150 millions de tonnes de QL et une prévision de collecte comprise entre 140 et 145 millions de tonnes entre 2015 et 2020). La part de l'Union européenne dans la production mondiale devrait cependant décliner, avec la croissance attendue des productions d'autres pays. L'évolution du marché est indiquée dans le tableau ci-dessous. Le tableau reprend les données établies par deux institutions et à deux moments différents (Commission en 2011 et l'OCDE/FAO en 2014) 43 ( * ) .

Les prévisions du marché laitier dans l'Union européenne
(en milliers de tonnes)*

2009

2014

2020

2023

Prévisions Commission

Prévisions OCDE

Prévisions Commission

Prévisions OCDE

Prévisions Commission

Prévisions OCDE

Prévisions Commission

Prévisions OCDE

Lait

Production
Collecte

147,6
133,2

np

151,8
138,6

153,7

157,8
146,9

158

np

160,5
np

Fromage

Production
Exportation

8 680
578

np

9 030
695

9 738
827

9 542
727

10 467
1 081

np

10 690
1 143

Beurre

Production
Exportation

2 137
154

np

2 115
134

2 327
132

2 108
129

2 330
142

np

2 330
138

Lait écrémé en poudre

Production
Exportation


941
231


np


1 017
412


1 140
480


1 035
443


1 244
615


np


1 242
624

Lait entier en poudre

Production
Exportation

762
459

np

769
424

642
356

788
441

640
350

np

638
348

Poudre de lactosérum

Production
Exportation

np

np

np

1 920
603

np

2 102
772

np

2 146
803

Caséine

Production
Exportation

np

np

np

134
74

np

150
81

np

156
80

Sauf lait : millions de tonnes

Concernant les exportations, les évolutions seront contrastées selon que l'on considère les volumes ou les parts dans le marché mondial. Concernant les volumes, l'Union européenne devrait accroître ses exportations de fromage et de lait écrémé en poudre (les exportations devraient en revanche baisser sur le beurre et le lait entier en poudre). Elle devrait également réaliser de belles performances sur la poudre de lactosérum (+ 33 % en 10 ans selon l'OCDE), produit émergent (qui n'est d'ailleurs même pas documenté par la Commission en 2011). Les parts de marché de l'Union européenne devraient se maintenir, voire légèrement augmenter (fromage). Ces données sont présentées dans le tableau ci-dessous.

Place de l'Union européenne dans les échanges de produits laitiers

Quantité Monde*

Quantité UE*

Part UE

2014

2023

2014

2023

2014

2023

Beurre

883

923

132

138

14,9 %

14,9 %

Fromage

2 397

2 946

827

1 143

34,5 %

38,7 %

Lait écrémé en poudre

1 943

2 418

480

624

24,7 %

25,8 %

Lait entier en poudre

2 364

2 743

356

348

15 %

12,6 %

Lactosérum

np

np

603

803

np

np

Caséine

223

292

69

86

30,9 %

29,4 %

*Milliers de tonnes Source OCDE/FAO - 2014

Le marché international serait donc extrêmement porteur et l'Union européenne doit et peut y prendre sa place. Pourtant, certains préfèrent tempérer cet enthousiasme, en évoquant de possibles déconvenues, sur deux sujets : les prix ; les inconnues du marché.

2. Les prix

L'idée de ce rapport est née au moment de l'amorce d'une baisse sensible du prix du lait. Le souvenir de la crise de 2009 était encore bien présent. La perspective d'un effondrement s'est éloignée et la seule évocation d'une nouvelle crise du secteur laitier interloqua plus d'un interlocuteur. Certains préférant souligner au contraire que les niveaux de 2014 avaient atteint des records historiques.

a) Le passage de 2015

• Le prix moyen du marché.

La moyenne annuelle 2014 est d'environ 365 €/1 000 l, « un niveau record » fait observer la DG Agri (+ 6 % par rapport à 2013, + 21 €/1 000 l). La baisse des prix est sensible depuis septembre 2014 (388 €) en cohérence avec la baisse générale en Europe et des produits transformés industriels sur le marché international. Plusieurs éléments peuvent amplifier les variations saisonnières :

- les effets de l'embargo russe, par report de quantités non exportées vers la Russie sur les marchés européens ;

- l'offensive de certains pays producteurs qui souhaitent profiter de la fin des QL pour développer leur production, prendre des parts de marché, y compris par une concurrence sur les prix ;

- la période de la baisse coïnciderait avec la période des négociations commerciales dans le secteur.

Dans ce contexte, le point bas point de 2015 correspondrait à une baisse de - 15 à - 20 % à la fin du premier trimestre (302 euros en avril) mais l'ampleur de la baisse sur l'année devrait être plus mesurée. Début 2015, les prix de base du lait est d'environ 310-320 €/1 000 l et pourraient descendre sous les 300 € compte tenu de la saisonnalité. En moyenne sur le premier semestre 2015, le prix serait entre 304 € et 315 €/1 000 l, soit une baisse de 15-17 % par rapport au premier semestre 2014. Le prix du lait retrouverait, en moyenne, au premier semestre 2015, un niveau proche ou légèrement inférieur à celui des premiers semestres des années 2011 ou 2012 ou de la moyenne des années 2009-2013 qui se situe à 304 €/1 000 l. Le prix serait toutefois assez nettement supérieur à ceux constatés en 2009.

• Le prix de l'éleveur.

Malgré les efforts de prévision et sans même compter les « correctifs qualité » apportés au prix de base 44 ( * ) , il est difficile de prévoir l'évolution du prix du lait payé effectivement à l'éleveur. Si les indicateurs retenus dans les clauses prix des contrats sont connus, de nombreuses entreprises n'utilisent pas directement ou pas totalement ces indicateurs. Par exemple, les coopératives (Sodiaal notamment) fixent de plus en plus via leurs conseils d'administration des prix d'acompte mensuels et des objectifs annuels qui reflètent la valorisation attendue par les marchés.

Par ailleurs, les prix sont de plus en plus lissés sur l'année, afin d'éviter des effets contre productifs (pas d'incitation à la production de lait d'été, trop grand écart de prix entre mois...).

D'une façon générale, les politiques de prix des entreprises sont de plus en plus individuelles. Cette individualisation ne s'oppose pas à ce que les entreprises comparent sur une période donnée (moyenne annuelle par exemple) les prix qu'elles paient par rapport à ceux de leurs principaux concurrents, le cas échéant pour effectuer des recalages. En outre, il faut rappeler que l'évolution du marché des Produits de Grande Consommation (PGC) n'est pas prise en compte directement par les indicateurs de marché relatifs aux produits industriels. En cas de forte baisse de la valorisation des PGC, des ajustements complémentaires à la baisse du prix du lait sont à prévoir. Ces ajustements se feraient, dans les coopératives, par une décision au niveau des conseils d'Administration et, pour les industriels privés, en invoquant une clause de sauvegarde (qui n'est parfois pas très explicite dans les contrats). Les négociations commerciales avec les GMS peuvent également conduire à une baisse additionnelle des prix de vente des produits laitiers.

Ces incertitudes doivent être pondérées par l'évolution plutôt favorable, en 2015, des coûts de production (aliments, énergie).

b) Une tendance à la baisse des prix ?

« La compétition laitière sur le marché international se fera en grande partie sur les prix. Le lait est un élément de ce que les anglo-saxons appellent les « commodities » et les « commodities » sont les marchés de prix », relève Olivier Picot, président de la FNIL. Beaucoup d'éleveurs craignent que le marché mondial soit un marché de dupes. « En Pologne, les fermiers sont réticents, l'idée générale est qu'il faudra produire plus à moindre prix », nous confie le ministre conseiller de la Représentation permanente de Pologne à Bruxelles. Plus de volume à des prix plus faibles. Autrement dit : « travailler plus, pour gagner moins ».

Il est tout à fait frappant, en effet, de constater que les observateurs, si prompts à afficher les belles perspectives de consommation mondiale, affichées par l'OCDE, sont plus diserts sur les perspectives, beaucoup moins bonnes, des prix - en dollars courants-, pourtant issues du même organisme, comme on peut le constater dans le tableau ci-dessus. À l'exception du fromage et de la caséine, le prix de tous les produits exportés accuserait une baisse de 7 à 14 %.

Perspectives de prix de l'OCDE 2013 / 2023

Évolution

Lait

- 8 %

Fromage

+ 10,7 %

Lait écrémé en poudre

- 14 %

Lait entier en poudre

- 9 %

Poudre de lactosérum

- 7 %

Caséine

+ 3,8 %

c) La volatilité des prix

Le phénomène est bien connu et a été étudié à de nombreuses reprises. Il s'est manifesté de façon éclatante lors de la crise laitière de 2009, avec des variations de près de 50 % en quelques mois. La volatilité des prix, presque naturelle en agriculture a été masquée en Europe par la pratique des prix institutionnels. La fin des prix officiels a fait entrer le monde agricole dans les fluctuations du marché. Cette volatilité a été amplifiée par la financiarisation du marché et l'influence croissance du marché mondial. En général, la demande est prévisible et régulière. Ce sont les variations de l'offre, souvent liées aux aléas climatiques, qui font la fluctuation des prix. Mais l'arrivée sur le marché mondial d'un consommateur poids lourd - la Chine - multiplie les à-coups : quand la Chine consomme ou stocke, cela déclenche une frénésie sur le marché. Quand elle déstocke, le prix chute. L'évolution du prix de la poudre de lait se diffuse à l'ensemble de la filière.

Cette volatilité est perçue très négativement par les éleveurs. Il y a d'abord une incompréhension, qui elle, est bien compréhensible ! L'éleveur admet parfaitement que son prix dépende de la pluie et du beau temps ; il ne peut comprendre qu'il dépende aussi des nurseries de Shanghai !

Il y a surtout ce constat que la volatilité des prix est déconnectée de la volatilité des coûts, notamment de l'énergie et de l'alimentation.

La profession avait anticipé une chute des prix du lait en 2015. « Par rapport au record de 2014 » relativise la DG AGRI à Bruxelles. La diminution est bien réelle, mais s'avère beaucoup moins pénalisante que ce qui était prévu, car le prix des intrants a lui aussi chuté sous l'effet de la baisse, plus importante encore, du prix de l'énergie. Le risque que craint le plus la profession est la conjonction d'une baisse de prix et de l'augmentation des coûts. Cela est parfaitement possible. Mieux : les perspectives du marché sont à l'international. Mais aller à l'exportation, c'est s'exposer aux concurrences mondiales et aux soubresauts des prix mondiaux. Le marché mondial implique la volatilité des prix. « La fin des QL ne fait que rajouter de l'incertitude à un contexte déjà anxiogène » , analyse Julien Turenne, sous-directeur produits et marchés à la DGPAAT du ministère de l'agriculture 45 ( * ) .

D'autant plus anxiogène qu'il n'y a guère de solution pratique. La tentative de régulation internationale en 2011 s'est soldée par de vagues promesses d'observations statistiques. En Europe, il ne faut pas non plus attendre trop d'initiatives. Il est tout à fait frappant de constater que la volatilité des prix n'entame en rien la confiance des grands États laitiers dans les vertus du libre marché . Les pays les plus engagés dans la libéralisation du marché sont aussi les pays où le prix a le plus baissé, pratiquement deux fois plus qu'en France !, comme en le voit dans le tableau suivant :

Variations récentes du prix du lait (2014/2015)

(en euros par litre et en %)

France

Allemagne

Pays-Bas*

Danemark

Irlande

Avril 2014

34,25

39,72

42

43

38,55

Avril 2015

30,20

30,79

32

30,83

29,89

Variation un an

-11,8 %

-22,4 %

-23,8 %

-28,3 %

-22,5 %

Écart max sur deux ans**

29%

38%

45%

41%

50 %

Source : Milk Market Observatory 2015

*Mai 2014 - mai 2015

** L'écart maximum est calculé entre le point haut et le point bas entre 2013 et 2015

Source : ibid

Cette exposition à la volatilité est le prix à payer, le risque du marché, parfaitement assumé par les intéressés et qui, à aucun moment, ne les ferait regretter leur choix. Il est peu probable que l'Union européenne intervienne dans ce domaine. Non seulement la Commission, qui a l'initiative des propositions, n'a pas semblé ouverte à cette idée, mais au Conseil, de nombreux États y seraient opposés. « La PAC s'est soigneusement éloignée du sujet sous la pression d'États membres qui y verraient un frein à leurs avantages comparatifs supposés » 46 ( * ) . La gestion de cet aléa relève davantage de l'initiative individuelle ou des relations entre producteurs (OP) et transformateurs.

3. Des déconvenues possibles sur les perspectives de marché
a) Les inconnues du marché

Il y a beaucoup d'inconnues sur les prévisions d'échange.

Tous les familiers du secteur connaissent le chiffre emblématique de 2 % de croissance annuelle. Un affinage des statistiques montre pourtant que les perspectives, même très favorables, ne sont pas toujours aussi bonnes. Car, non seulement le chiffre précis de l'OCDE est de 1,9 % mais surtout cette hausse est calculée par rapport à une période de référence 2011-2013 et pas 2015. Or, sur la plupart des produits, la hausse du marché se constate en début de période. Sur le fromage par exemple, secteur annoncé comme très porteur et très favorable aux productions françaises, le rythme de croissance s'affaiblit au fur et à mesure des années : + 12,4 % les trois premières années (2013/2015), puis + 8 % les trois années suivantes, puis + 6,1 %, les trois suivantes. La tendance reste largement positive mais une analyse plus fine permet de tempérer. En d'autres termes, la fameuse hausse du marché mondial sera sans doute moins forte que prévu.

Il ne s'agit que d'une observation technique. Les vraies inconnues sont ailleurs.

La sensibilité des échanges aux parités monétaires est évidemment cruciale. Or, cette donnée est totalement imprévisible. En témoigne cette analyse des « experts » de la Commission, publiée en 2011, sur l'évolution des parités euro/dollar. « Il existe un potentiel d'augmentation des exportations (de produits laitiers) à court terme, car l'euro devrait baisser par rapport au dollar, mais, à plus long terme, les prévisions sont moins favorables car l'euro devrait remonter à partir de 2014 »47 ( * ) . On conviendra que pronostiquer une baisse de l'euro quand il atteint des sommets historiques (1 € = 1,38 US $ en août 2011) n'était pas spécialement audacieux. En revanche, prévoir une remontée du taux de change à partir de 2014, alors que c'est précisément le moment où la parité s'est effondrée (1 € = 1,38 US $ en avril 2014 ; 1 € = 1,08 US $ en avril 2015 : soit - 22 %) montre les limites des prévisions des « experts ». Cela ne serait d'ailleurs pas la première fois. La Commission avait également très mal anticipé la crise laitière de 2008/2009 et avait augmenté les quotas au pire moment, juste au moment du retournement de marché, aggravant le déséquilibre offre/demande.

D'autres facteurs peuvent contrecarrer les prévisions. La force des productions européennes est leur image de qualité et de sécurité. Mais le monde agricole est très vulnérable aux incidents . Un accident peut vite se transformer en crise agricole et stopper tous les échanges 48 ( * ) .

De même, toutes les prévisions de marché se fondent sur la croissance du marché asiatique et dans une moindre mesure, du Moyen-Orient et de l'Afrique. Sans nier ce potentiel, deux éléments sont à prendre en compte. D'une part, un écart, même minime, sur le taux de croissance de la zone a un impact immédiat sur les importations de ces pays, et par conséquent sur les exportations européennes, en particulier lorsqu'elles concernent des produits de consommation s'inspirant du mode de vie occidental. D'autre part, il ne faut pas raisonner comme si le développement du marché signifiait ipso facto un potentiel équivalent pour les exportations mondiales. La conquête du marché chinois suppose - exige - très souvent une alliance entre un producteur international et un producteur chinois 49 ( * ) . Il n'y a pas de superposition entre croissance du marché et exportations.

Enfin, il faut envisager l'hypothèse où le marché intérieur (européen), présenté comme mature ne serait pas stable mais légèrement déclinant. Une baisse, même légère du marché intérieur aurait des répercussions immédiates et amplifiées sur la compétition sur les marchés extérieurs. « Il ne fait aucun doute qu'il y aura une augmentation de la production en Europe. Mais dès lors que le marché intérieur est mature, au mieux puisque certains prédisent même l'amorce d'une contraction du marché européen, tout le complément sera logiquement destiné au marché mondial. Soit le marché mondial absorbe la production européenne et ça passe. Soit il n'absorbe pas et ça casse », analysent les spécialistes de France Agrimer 50 ( * ) .

b) Les nouveaux compétiteurs

L'Union européenne ne sera pas seule sur ce marché supposé florissant. Certains pronostiquent que les cartes seront rebattues. Tout d'abord, les grands pays de consommation ne vont pas rester inertes et accepter d'être dépendants pour leur approvisionnement alimentaire. L'Inde sera le premier producteur mondial de lait par exemple. Mais surtout, « d'anciens joueurs vont recommencer à miser ». L'incertitude majeure porte sur les concurrents américains. « Certains producteurs d'Amérique du Sud sont à surveiller (Argentine, Uruguay) », analyse Olivier Blanchard de France Agrimer. Mais surtout, les États-Unis sont une très grande puissance laitière, mais qui est encore peu présente sur le marché international au regard de ses capacités. Une sorte de « géant américain endormi ».

« Le géant américain endormi »

L'analyse de M. Olivier Picot, président de la FNIL

La concurrence internationale va se transformer. Jusqu'à présent, le pays de référence est la Nouvelle-Zélande qui fixe le prix de la poudre de lait, qui sert de référence aux autres produits laitiers. L'écart entre les deux prix, français et néo-zélandais, paraissait insurmontable (élevages extensifs, prix des terres, prix des bâtiments, effet taille...), mais c'est beaucoup moins sûr aujourd'hui. Le prix de revient va augmenter en Nouvelle-Zélande, en lien avec le prix du foncier, qui augmente partout, tandis que le prix français pourrait baisser.

Le nouveau concurrent sera américain. Aujourd'hui, il y a très peu d'exportations américaines. Il y a une capacité industrielle mais pas de prix adapté. Le prix du lait aux États-Unis est élevé et est pratiquement déconnecté du marché mondial. Le secteur laitier fonctionne en circuit fermé. Le prix du lait est réglementé par les États et dépend de l'usage : il existe un prix pour le fromage, un prix pour les laitages, etc. L'idée est de privilégier le producteur au détriment du consommateur. Les chocs sont amortis par un système d'assurance. Quand les prix baissent, l'agriculteur est assuré de maintenir son revenu, avec une aide de l'État.

Aujourd'hui, les Américains sont quasi absents du marché mondial. Alors que leur outil de production est énorme : plus de 50 % du lait est issu de fermes de plus de 10 000 vaches. Les États-Unis sont une ancienne puissance laitière qui ne s'exprime pas. Quand elle abordera le marché mondial, cela va entraîner de grands bouleversements. On assistera alors à la libre expression de la compétitivité et les Américains sont préparés à ce type de compétition.

Les Européens raisonnent sur le marché asiatique et mondial comme s'il n'y avait pas de concurrence américaine. Le Traité d'échange et de partenariat transatlantique (TTIP) est, clairement, le signal d'une volonté américaine de revenir sur le marché mondial.

c) Le positionnement français

Les belles performances françaises à l'exportation ne parviennent pas à faire disparaître une certaine inquiétude.

Exportation de produits laitiers (M€)

2010

2011

2012

2013

2014

Total M€

5 706

6 435

6 630

6 966

7 323

Part de l'international dans le CA de la filière

44,2 %

48,3 %

52,8 %

51,9 %

Sources : CNIEL - L'économie laitière 2015, et Crédit agricole - L'observatoire - novembre 2014

La plupart des professionnels du secteur gardent une certaine retenue devant les perspectives du marché mondial. Certes, selon un sondage interne du FNCL, 45 % des éleveurs souhaitent profiter des opportunités, 30 % tablent sur une production stable. Mais d'autres professionnels sont moins optimistes... « La tradition française a orienté le marché vers les produits à haute valeur ajoutée (fromages, laitages....). Les fabricants ont refusé de faire de la poudre de lait. Le paradoxe est qu'aujourd'hui, c'est sur la poudre qu'il faut aller », estime Patrick Ferrère, du think tank « saf agr'iDées ».

Les perspectives pour le fromage sont excellentes, entend-on souvent. Mais c'est le fromage ingrédient qui s'exporte (l'emmental, le gouda...), et non les morbier, cancoillotte, les pâtes molles à croûte persillée... D'ailleurs, la France n'est que le deuxième exportateur européen de fromages, très loin derrière l'Allemagne (672 tonnes contre 1 157 tonnes en 2014).

Il faut également se méfier de la médiatisation qui fait faire parfois de mauvais choix. Il y a deux ans, il y a eu l'euphorie sur le lait infantile, avec une superbe embellie du marché chinois (augmentation du volume exporté en Chine de 35 % entre 2013 et 2012). Une fois que la Chine a stocké, le marché s'est écroulé (- 40 % en 2014 !).

La question qui se pose est celle du choix stratégique. Faire de la poudre de lait pour coller au marché, ou rester sur des segments à haute valeur ajoutée, mais à petits volumes ? C'est évidemment une responsabilité d'industriel. La libéralisation et l'internationalisation du marché apportent de la volatilité dans tous les domaines : les prix, bien sûr, mais aussi les marchés.


* 43 Commission européenne - Prospects for Agricultural Markets and Income in the EU - 2011-2020 - Décembre 2011. Perspectives agricoles de l'OCDE et de la FAO - 2014-2023 - Mars 2014

* 44 Exemple de primes et compléments de prix figurant dans les contrats de vente de lait entre l'OP Milleret et la fromagerie Milleret : prime froid, prime de contrat, prime de saisonnalité, prime multicritères, prime de groupement de vente...

* 45 Audition de M. Julien Turenne, le 2 décembre 2014.

* 46 M. Christophe Perrot, Dominique Caillaud, Vincent Chatellier, Myriam Ennifar, Gérard You , la diversité des exploitations et des territoires laitiers français face à la fin des quotas- 2 èmes Rencontres Recherches Ruminants - 3-4 décembre 2014.

* 47 Commission européenne - Prospects for agricultural markets - décembre 2014.

* 48 Les exemples sont légion : la crise de l'ESB, bien sûr, mais aussi au cours des derniers mois, on peut citer la peste porcine, décelée sur un sanglier en Lituanie et entraînant une suspension des importations de porc de toute l'Union européenne, ou bien la xylella, une bactérie qui s'attaque aux oliviers et qui a entraîné un arrêt total des exportations végétales de l'Italie vers le Maroc.

* 49 En 2014, deux des plus grands groupes laitiers mondiaux ont investi dans des usines de fabrication de lait infantile en Chine : Danone et Yashiti, Fonterra (NZ) et Beingmati.

* 50 Audition du 2 décembre 2014.

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