COMPTES RENDUS DES DÉPLACEMENTS EN FRANCE

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DÉPLACEMENT DANS L'ACADÉMIE DE TOULOUSE

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DÉPLACEMENT DANS L'ACADÉMIE DE CRÉTEIL

431

DÉPLACEMENT DANS L'ACADÉMIE DE LILLE

435

DÉPLACEMENT DANS L'ACADÉMIE DE BESANÇON

439

DÉPLACEMENT DANS L'ACADÉMIE DE LYON

444

DÉPLACEMENT DANS L'ACADÉMIE DE POITIERS

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DÉPLACEMENT DU RAPPORTEUR AU COLLÈGE GEORGES-BRASSENS (Paris 19 ème )

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VISITE DE DEUX ÉTABLISSEMENTS À MONTFERMEIL (93)
ET À SOURDUN (77)

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Déplacement dans l'académie de Toulouse
( Lundi 9 et mardi 10 mars 2015 )

• Collège Rosa Parks ( établissement REP+, accueillant 355 élèves, dont 80 % issus de classes socio-professionnelles défavorisées)

Personnes rencontrées : M. Hicham Zaïm, principal, Mme Margot de Rochemonteux, principale adjointe, infirmière, assistante sociale, conseillère principale d'éducation, professeurs

• Groupe scolaire Guilhermy (établissement accueillant 275 élèves - 140 en maternelle et 135 en primaire).

Personnes rencontrées : M. David Garinot, directeur, M. Jacques Vanhuysse, inspecteur de l'éducation nationale, M. Aurélien Lapouge, coordinateur C.L.A.E de la Ligue de l'enseignement de la Haute-Garonne, Mme Marlène Souleille, directrice du C.L.A.E. associatif, M. Grégory Mutin, directeur adjoint du C.L.A.E. associatif

• École élémentaire Georges Bastide (établissement REP+, accueillant 192 élèves).

Personnes rencontrées : M. Fabrice Coudreau, directeur, Mme Francine Loze, inspectrice de l'éducation nationale, Mme Laurence Peixoto et M. Matthieu Lemaire, professeurs des écoles

• Collège Nicolas Vauquelin (é tablissement REP, accueillant 566 élèves).

Personnes rencontrées : Mme Muriel Benazet, principale, M. Olivier Xerri, principal adjoint, Mme Karima Bouziane, gestionnaire, Mme Audrey Cazaux-Menny et M. Claude Lagrange, conseillers principaux d'éducation, Mmes Séverine Curtaud, Charlotte de Boissière, Tonia Harris, M. Julien Maria et Mme Sofia Pinto Da Costa, professeurs, Mme Inès Djaïdja et Mona Ramond, assistantes d'éducation, Mme Christine Sanchez, infirmière scolaire, Mme Fanny Darracq, secrétaire de direction, M. Djamal Aït-Saïd, Mme Oulfa Ben Mohamed, M. Dominique Guicharnaud, Mmes Judith Maiffret, Zhor Mesnaoui et M. Michel Rinaldi, parents d'élèves

• Autres personnes entendues au cours de ce déplacement : Mme Hélène Bernard, rectrice de l'académie de Toulouse, M. Jacques Caillaut, directeur académique des services de l'éducation nationale de la Haute-Garonne, Mme Nathalie Mery, inspectrice de l'éducation nationale, adjointe du directeur académique des services de l'éducation nationale de la Haute-Garonne, M. Georges Bringuier, inspecteur de l'éducation nationale mathématiques-sciences physiques, M. Thierry Junca, principal du collège Raymond Badiou, Mme Nicole Arrestier, proviseure du lycée Françoise, M. Alain Fochesato, conseiller principal d'éducation au lycée Françoise, M. Xavier Caperan, conseiller principal d'éducation du lycée Roland Garros, Mme Hélène Rouch, présidente de la fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) de la Haute-Garonne

L'ensemble des personnes rencontrées a rappelé, de manière liminaire, que « l'école ne peut pas tout » . Un chef d'établissement le résumait ainsi : l'école est devenue un « dispositif compensatoire » de situations sur lesquelles l'école n'a pas de prise.

De même, les différentes visites et auditions ont permis de mettre en évidence un constat général : la situation au sein de chaque établissement dépend de plusieurs facteurs (environnement immédiat, contexte socio-économique, rôle de l'équipe de direction, stabilité de l'équipe pédagogique), rendant ainsi les comparaisons délicates.

1. Des valeurs républicaines sont des valeurs englobantes qui appellent des définitions claires : « vivre-ensemble » et laïcité, accès à la citoyenneté...

Pour l'ensemble des personnes rencontrées, l'accès à la citoyenneté et la transmission des valeurs républicaines sont une mission de l'école, même si elle ne peut pas relever uniquement de l'institution scolaire.

À plusieurs occasions, les personnes rencontrées ont relevé que les valeurs républicaines, à commencer par le principe de laïcité, font l'objet d'approches différentes et de définitions variées.

D'une part, pour les élèves, les concepts sont flous, le vocabulaire ne recouvre nécessairement pas la même réalité que les adultes .

D'autre part, les adultes au sein de l'école ont également des interprétations personnelles de la laïcité. M. Georges Bringier, inspecteur de l'éducation nationale, regrettait ainsi une « grande ignorance laïque ». Il pointait l'absence formation initiale et continue ainsi que d'évaluation des enseignants sur la laïcité. Pour lui, certains enseignants contractuels sont « réfractaires » à la laïcité mais maintenus faute de candidats aux postes occupés. Un conseiller principe d'éducation rappelait que l'ignorance du contenu de la laïcité et de ses limites conduit à des comportements inappropriés des personnels, comme le refoulement hors de l'établissement d'un parent qui portait un signe religieux.

Pour un chef d'établissement, « la défense de la laïcité est quotidienne », en veillant à demander à quelques jeunes filles de quitter leur voile au portail de l'établissement.

S'agissant de l'accès à la citoyenneté, plusieurs personnes rencontrées ont regretté l'étiolement du sentiment d'appartenance à la nation française . Mme Nathalie Merry, adjointe au directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) signalait qu'être Français équivaut dans certains établissements à une insulte. Cette remarque est d'autant plus surprenante d'élèves ayant la seule nationalité française.

À la suite des attentats de Paris, certains élèves à l'école Bastide ont évoqué « des Algériens qui ont tué des Français », nécessitant des explications de la part du corps enseignant.

Un consensus s'est largement dégagé sur l'idée que les valeurs républicaines ne devaient pas rester abstraites mais être vécues, expliquées et reliées avec le vécu des élèves. Au collège Rosa Parks, plusieurs intervenants ont souligné que les élèves n'établissent pas spontanément de lien entre la connaissance des évènements historiques et leur vie quotidienne et qu'en outre, la forte réceptivité d'un message sur le moment ne présage pas de son impact à long terme. De même, une enseignante au collège Nicolas Vauquelin, notait qu'une simple information relayée par les médias ou Internet pouvait ruiner plusieurs semaines d'effort en envoyant un message contraire aux élèves. De même, une enseignante de l'école Bastide jugeait qu'un scandale politique retentissant rendait d'autant plus difficile la transmission aux élèves de l'image et des valeurs d'une République exemplaire.

2. Les « incidents » au sein des établissements ne sont pas systématiquement relayés

La rectrice a indiqué que tous les incidents ayant lieu dans les établissements scolaires de son ressort n'étaient pas forcément relayés auprès d'elle. Un chef d'établissement rencontré soulignait que les incidents ne remontent pas la chaîne hiérarchique par peur des critiques et de l'image négative de l'établissement.

Quelques incidents ponctuels ont eu lieu à l'occasion ou à la suite de la minute de silence organisée le 8 janvier 2015 en hommage aux victimes des attentats de Paris. À l'école Guilhermy, une enfant s'est rendue le lendemain à l'école avec une kalachnikov en plastique, ce qui a donné lieu par le directeur de l'école à convocation des parents et à un signalement à l'inspecteur de l'éducation nationale. Au collège Rosa Parks, le principal n'a pas eu à déplorer, lors de la minute de silence, de chahut mais a noté des marmonnements ou l'expression d'opinions contraires sur le thème « Ils l'ont mérité ». Chaque élève concerné a été reçu individuellement par le principal pour échanger sur ces propos : aucune conviction antirépublicaine n'a été détectée mais davantage un manque d'information et le colportage de rumeurs alimentées par la théorie du complot.

Mme Nathalie Merry, adjointe au DASEN, résumait la situation en indiquant que peu d'incidents ont été signalés dans les établissements mais qu'il convient davantage de redouter les évènements à « bas bruit », comme la naissance d'une défiance de certains parents envers l'école.

La minute de silence n'a pas été jugée par plusieurs personnes rencontrées comme un moment adapté, les élèves ayant davantage besoin d'un temps de parole nécessaire pour faire partager des valeurs auxquelles les élèves n'adhèrent pas spontanément. Un chef d'établissement relevait qu'en filière professionnelle particulièrement, les évènements de janvier ont marqué une rupture entre l'attente des enseignants et les réactions des élèves, réceptifs à la théorie du complot et enclin au rejet des valeurs qu'on croit communément admises. L'école Bastide a préféré substituer à cette minute de silence un temps de parole.

De manière générale, des incidents - telles que bagarres, insultes, etc. - se produisent au long de l'année scolaire et donnent lieu, pour les faits graves, à des procédures disciplinaires. Au collège Rosa Parks, depuis le début de l'année scolaire, onze commissions éducatives - pour un rappel à la loi - et quatre conseils de discipline ont été convoqués, aboutissant à deux exclusions fermes et deux exclusions avec sursis.

Enfin, des contestations peuvent s'élever sur le contenu et les modalités des enseignements . Ces cas se présentent moins à l'école primaire où les élèves ne remettent pas en cause le savoir transmis mais est plus fréquent au sein du second degré.

De manière spontanée, l'exemple de la natation pratiquée en cours d'éducation physique et sportive (EPS) a été cité comme l'illustration des difficultés de certains élèves à participer aux activités scolaires pour des motifs culturels ou religieux. Sur ce point, M. Georges Bringier, inspecteur de l'éducation nationale, a fait part de cas où, par des certificats médicaux de complaisance, les filles étaient dispensées de ces cours de natation pour éviter la mixité.

En réaction, la tentation pourrait être de trouver des aménagements (exemple : entrée différée des élèves dans les bassins) mais plusieurs enseignants ne souhaitent pas transiger de crainte d'ouvrir la porte à de nouvelles revendications.

Sur les savoirs enseignés, des enseignants peuvent être questionnés et le contenu de leur propos relativisé . M. Georges Bringier a noté une émergence du géocentrisme par ignorance ou par opposition de principe. Les enseignants sont démunis face à la remise en cause du savoir par une croyance : « Prouvez-moi que vous avez raison ! ». Certains enseignants résolvent la problème par l'évitement, en ne traitant pas d'une question délicate au programme.

Une question particulière se pose pour le port des signes ostensibles religieux à l'école par les élèves. Si elle est globalement appliquée, elle nécessite des rappels fréquents. En outre, une nouvelle source d'incertitude apparaît autour de nouvelles formes de vêtements portées par les élèves de culture musulmane - l'abaya - qui est présenté par les intéressées comme un vêtement culturel et non confessionnel.

Dans le doute, les équipes de direction ne l'interdisent pas. La même incertitude existe pour la tenue vestimentaire des accompagnants scolaires. Mme Nathalie Merry, adjointe au DASEN, a rappelé la position relayée aux chefs d'établissement : l'accompagnement scolaire des sorties pédagogiques n'est pas un droit pour les parents, ce qui justifie que l'établissement puisse choisir les accompagnants. Cependant, la circulaire sur le sujet de Luc Chatel reporte la responsabilité sir les chefs d'établissement, comme en son temps, celle de François Bayrou sur les signes religieux à l'école.

3. L'apprentissage des valeurs républicaines nécessite du temps et passe par des enseignements concrets.

L'apprentissage du vivre-ensemble passe enfin par la vie au sein de l'établissement. Comme le relevait une professeure des écoles, « apprendre à lire, à lever le doigt pour parler, à se positionner par rapport à ses camarades, ce sont les valeurs de la République par l'apprentissage de la citoyenneté ». La République se vit : la classe est une « petite démocratie » .

Un chef d'établissement invitait à briser la logique de l'enseignement par discipline lorsqu'il s'agit de la question des valeurs à transmettre. Elle regrettait la pression des parents et des enseignants, particulièrement dans les établissements favorisés, pour achever le programme au détriment de formations transversales autour du « vivre-ensemble » qui détournaient, à leurs yeux, les élèves de l'objectif scolaire. Un conseiller principal d'éducation abondait en ce sens : une vision élitiste de l'enseignement s'oppose à des enseignements communs.

L'apprentissage des valeurs républicaines : l'exemple du collège Vauquelin

Le collège Vauquelin a fait, sous l'impulsion de sa direction, du bien vivre-ensemble et de la citoyenneté le « fil rouge de son projet d'établissement » .

Des actions très concrètes sont mises en place à l'échelle de l'établissement pour « faire vivre » aux élèves les valeurs républicaines et les règles de la vie en communauté. Une semaine banalisée a ainsi été organisée en collaboration avec la Ligue des droits de l'homme, dont plusieurs membres sont intervenus sur site, au sein du collège, dans le cadre d'ateliers.

Le collège conduit en parallèle un important travail d'implication des parents dans la scolarité de leurs enfants. Une « maison des parents » a été instituée à la rentrée 2011 : outre la mise à disposition des parents d'élèves d'une salle identifiée au sein de l'établissement, une assistante sociale anime des rencontres régulières afin de sensibiliser les familles au fonctionnement du collège (café des parents deux fois par mois le matin et conférences régulières le soir, sur des thématiques spécifiques, comme sensibilisation aux risques de l'Internet). La « maison des parents » propose également des actions individualisées, de l'accompagnement social aux familles en difficulté à l'aide aux devoirs en présence des parents.

Plusieurs établissements ont créé des journées d'intégration qui permettent, à l'entrée du collège, de fédérer les élèves autour de valeurs communes et d'encourager la cohésion, réduisant significativement les affrontements entre classes et entre élèves au cours de l'année scolaire. Au collège Nicolas Vauquelin, à l'initiative d'une enseignante, une semaine de la presse sera prochainement organisée : les cours seront banalisés, les élèves mélangés en groupe de différents niveaux avec pour objectif d'écrire un journal avec la participation de certains parents. L'établissement a également accueilli en résidence dans le collège la Ligue des Droits de l'Homme pendant une semaine.

4. Des enseignants démunis face à leur mission d'apprentissage de la citoyenneté et du vivre-ensemble.

Il ressort de l'ensemble des entretiens et des visites réalisés un certain désarroi des enseignants face aux mises en cause des repères républicains , et notamment du principe de laïcité. La plupart des acteurs entendus ont relevé leur manque de préparation sur ces enjeux, la formation initiale et continue des professeurs étant jugée insuffisante et trop théorique. Ils ont ainsi été nombreux à faire part des difficultés éprouvées au lendemain des attentats de janvier pour répondre aux interrogations de leurs élèves, et à regretter qu'aucun élément de langage ne leur ait été fourni à cette occasion. Plusieurs pistes d'amélioration ont été évoquées, parmi lesquelles une formation plus pragmatique, autour d'études de cas, ainsi que la mise à disposition d'outils pédagogiques adaptés, mis rapidement à la disposition des enseignants.

De l'avis de plusieurs des personnes rencontrées, le rôle des enseignants dans la transmission des valeurs républicaines est aujourd'hui d'autant plus mis à mal que l'image et le statut du professeur dans la société sont détériorés. La parole de l'enseignant, en conflit permanent avec celle des familles, parait décrédibilisée.

Les équipes éducatives ont par ailleurs insisté sur le rôle essentiel des chefs d'établissement et des corps intermédiaires de l'éducation nationale dans l'accompagnement des enseignants dans leur mission de transmission des valeurs républicaines. Plusieurs professeurs, de même que les inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) rencontrés, ont regretté la tendance de certains chefs d'établissement à « mettre le couvercle » sur les incidents ainsi que leur manque de soutien aux équipes enseignantes. À l'inverse, les visites réalisées dans les collèges Rosa Park et Vauquelin ont révélé combien le chef d'établissement pouvait être moteur, au sein de la communauté éducative, dans le lancement de projets autour de l'apprentissage de la citoyenneté et du vivre ensemble. De la même manière, les IEN ont insisté sur leur rôle dans la formation et la diffusion auprès des enseignants des questions relatives aux valeurs républicaines, tout en regrettant la pauvreté de leur formation initiale sur ces aspects.

Enfin, la gestion inadaptée des ressources humaines a été, à plusieurs reprises, présentée comme un facteur supplémentaire de fragilisation de l'école dans son rôle de formation du citoyen. L'affectation de nombreux enseignants débutants, voire stagiaires, dans les établissements d'éducation prioritaire concentrant les difficultés, ne permettrait pas une prise en charge adaptée des élèves et induirait une forte instabilité des équipes éducatives.

5. Une nécessaire implication des familles et des intervenants extérieurs

Les équipes éducatives et les cadres de l'éducation nationale ont souligné la nécessité de renforcer les partenariats à la fois au sein de l'école et avec l'extérieur pour améliorer le climat scolaire.

Il s'agirait avant tout de renouer le lien avec les familles , aujourd'hui très largement distendu, notamment avec des parents immigrés ne parlant qu'imparfaitement le français. La transmission des valeurs républicaines de même que la réussite scolaire supposent, selon la plupart des personnes entendues, une implication forte des parents dans la scolarité de leurs enfants et leur adhésion aux missions et aux valeurs de l'école de la République. Plusieurs établissements ont, dans cette optique, mis en place des actions spécifiques destinées à ouvrir l'école aux parents.

À titre d'exemple, le collège Vauquelin a créé en son sein une « maison des parents », lieu de débats mais aussi d'assistance aux familles en difficulté (dispositif « Ouvrir l'école aux parents », offrant aux parents immigrés des cours de français).

Au-delà du lien avec les familles, a également été relevé le besoin de renforcer les partenariats avec les autres acteurs éducatifs . Dans l'enseignement primaire tout particulièrement, les directeurs d'école ont attiré l'attention de la commission sur le rôle central des acteurs périscolaires - centres de loisirs associés à l'école (CLAE) notamment - dans le temps scolaire, confrontés aux mêmes difficultés que les enseignants. À l'école Guilhermy, la minute de silence s'est déroulée, à midi, sur le temps périscolaire puisque les cours finissent à 11 heures 30.

6. Un impact certain de l'environnement économique, social et culturel sur le vivre ensemble et le climat scolaire

Au cours des entretiens, l'accent a été mis sur l'impact du degré de mixité sociale au sein des établissements scolaires sur le vivre ensemble, l'intégration des élèves et l'apprentissage des valeurs républicaines.

Il ressort des échanges que le décalage entre les réalités quotidiennes des élèves et les valeurs portées par la République, prégnant au sein des établissements présentant une forte concentration de difficultés sociales, participe d'une perte de confiance des élèves et des familles dans la mission émancipatrice de l'école.

À titre d'exemple, le collège Rosa Park, dans lequel la commission s'est rendue, socialement homogène (80 % d'élèves issus de classes socio-professionnelles défavorisées), présente un niveau d'incidents (violences, agressions verbales, etc.) relativement élevé, et connait fréquemment des faits de contestation des valeurs républicaines, et notamment du principe de laïcité. À l'inverse, il ne semble pas y avoir d'obstacle majeur à l'intégration et à l'adhésion aux valeurs républicaines au sein du collège Vauquelin et du lycée Françoise, caractérisés, du fait de leur sectorisation, par une forte mixité sociale.

Beaucoup d'acteurs scolaires entendus ont appelé, à cet égard, à une réforme de la sectorisation et regretté la fuite des élèves de familles plus favorisées vers les établissements privilégiés ou vers le secteur privé.

Plus généralement, certains chefs d'établissements ont alerté la commission d'enquête sur l'influence négative en matière de climat scolaire de l'environnement immédiat des établissements implantés au sein de quartiers difficiles. Ils ont insisté sur la nécessité d'accompagner la réforme de l'école d'une refondation de la politique de la ville.

Déplacement dans l'académie de Créteil
( Lundi 23 mars 2015 )

• Collège Jean-Jaurès de Pantin (établissement accueillant 392 élèves).

Personnes rencontrées : M. Christian Wassenberg, DASEN de Seine-Saint-Denis, M. Pascal Fourestier, principal, Équipe de direction du collège, Représentants des élèves, Représentants des parents, Représentants des professeurs

• Lycée polyvalent Paul-Éluard de Saint-Denis (é tablissement accueillant 1 756 élèves).

Personnes rencontrées : Mme Béatrice Gille, rectrice, M. Christian Wassenberg, DASEN de Seine-Saint-Denis, Mme Nathalie Burghelle, directrice de cabinet, Mme Anne Rebeyrol, chargée de mission Valeurs, M. Bruno Bobkiewicz, proviseur, Équipe de direction du lycée, Représentants des élèves, Représentants des parents, Représentants des professeurs

• Lycée polyvalent Darius-Milhaud du Kremlin-Bicêtre (établissement accueillant 1 451 élèves).

Personnes rencontrées : Mme Elisabeth Laporte, DASEN du Val-de-Marne, Mme Véronique Marquez, proviseure, léquipe de direction, des représentants des professeurs : Mme Peron Lalanne, M. Dubosclard, M. Brisac, M. Camisullis, M. Monnoir, M. Moundib, Mme Cura et M. Le Roux, deux CPE : Mme Ourdia Abdi et M. Jean-Claude Molle, des représentants des parents : Mme Véronique Gignoux, Mme Claire Heudier et Mme Soraya Ihaddadene, des représentants des élèves : Melles Sarah Khedraoui 1COM, Yasmine Nassar 1COM, Ghizlène Kheladi TASSP3, M. Steve Cahen T STMG GF, Melle Amandine Yahaya TES1, M. Hugo Machado da Luz TES1, et Melle Myriam Oumghar 1L

• Déjeuner à l'UFA Rabelais à Vitry-Sur-Seine (établissement accueillant 600 élèves).

Personnes rencontrées : Mme Béatrice Gille, rectrice, Mme Élisabeth Laporte, DASEN du Val-de-Marne, Mme Nathalie Burghelle, directrice de cabinet, Mme Anne Rebeyrol, chargée de mission Valeurs, Mme Michèle Delomel, doyenne des IEN ET/EG, M. Jean-Jacques Dumery, doyen des IA-IPR, Mme Catherine Loheac, directrice de l'UFA, Mme Abittan, principale du collège Rabelais qui accueille l'UFA

1. Bien que probablement sous-estimés, les incidents liés à la minute de silence en janvier apparaissent relativement peu nombreux

Les auditions menées ainsi que les documents remis par le rectorat mettent en évidence que les incidents d'élèves signalés sont « marginaux, individuels et concentrés sur les secteurs les plus défavorisés » et qu'ils sont davantage l'expression d'une forme de provocation que d'une hostilité réfléchie. Le rectorat estime à 70 (sur 900 000 élèves) les refus ou manifestations au cours de la minute de silence . Si les cadres de l'académie (recteur, DASEN et inspecteurs) se sont attachés à minimiser l'importance des incidents, au regard du contexte et des précédents - attentats de 2001, émeutes de 2005, affaire Merah - une évolution leur paraît particulièrement frappante et inquiétante : la forte hausse du nombre d'incidents observés dans le premier degré .

Il ressort cependant des visites d'établissements que ces derniers ont des définitions très variables de ce qui est constitutif d'un incident . Le proviseur du lycée Paul-Éluard - établissement connaissant de graves problèmes de discipline - ne recense aucun incident mais des réactions « surprenantes et déstabilisantes ». Il en va de même pour le lycée Darius-Milhaud, dont le chef d'établissement a précisé qu'elle ne parlait que d'incidents majeurs ou de provocations graves. En revanche, le principal du collège Jean-Jaurès a qualifié d'incidents des comportements inappropriés, dont six ont été recensés dans son établissement - deux étant qualifiés de « particulièrement inappropriés ». Ces éléments permettent de considérer que le nombre d'incidents dont a eu connaissance le rectorat a été sous-estimé.

Il semble que la grande majorité des incidents ont été réglés par la discussion avec les enseignants ou , pour les incidents les plus graves, par la voie disciplinaire normale , c'est-à-dire par la convocation auprès du conseiller principal d'éducation (CPE) ou du chef d'établissement. Les familles ont, dans la majorité des cas, été également convoquées.

L'ensemble des acteurs rencontrés ont porté un regard critique sur la minute de silence , jugeant l'exercice peu adapté au contexte scolaire, ainsi que sur son organisation, l'estimant précipitée au regard des évènements. Enfin, beaucoup d'élèves ont mal reçu le slogan « Je suis Charlie », souvent vécu comme une injonction.

2. Les établissements visités font état de difficultés quotidiennes liées au climat scolaire et à l'enseignement de certains pans du programme

Dans l'ensemble des établissements visités, l'année scolaire est émaillée d'incidents dont la gravité et les conséquences disciplinaires sont variables - allant de bagarres et d'insultes à des agressions à l'arme blanche ou à des alertes à la bombe - mais qui perturbent la vie de l'établissement et l'enseignement. En outre, les élèves à l'origine d'incidents liés à la minute de silence au collège Jean-Jaurès étaient déjà connus de leur encadrement pour des atteintes à la discipline. Les stages en milieu professionnel donnent régulièrement lieu à des conseils de discipline pour vol ou autres délits (2 par an au lycée Darius-Milhaud).

Le contenu de certains enseignements fait l'objet de remises en cause , bien que ces dernières ne soient que rarement argumentées. C'est notamment le cas en physique-chimie, en sciences de la vie et de la terre ou en histoire-géographie. Les enseignants se sont néanmoins révélés peu préoccupés par ces remises en question lorsqu'elles sont formulées en cours, considérant qu'il relève du métier de l'enseignant d'y répondre et de démonter les objections des élèves. Un renforcement de la formation sur l'enseignement de ces questions « sensibles » paraît nécessaire, en particulier face à l'écueil d'une réponse fondée sur le dogme religieux. Pour les professeurs de matières scientifiques, un enseignement d'épistémologie et d'histoire des sciences pourrait être utilement dispensé.

Plus préoccupantes, en revanche, sont les logiques d'évitement et de contournement des enseignements dispensés . C'est le cas pour les cours d'éducation physique et sportive (EPS), et notamment pour les cours de natation.

Enfin, l'interdiction du port de signes ostensibles religieux est appliquée dans l'ensemble des établissements . Elle se heurte à la contestation active et répétée d'une petite minorité d'élèves - six sur 1 500 au lycée Darius-Milhaud. Aucun incident lié à des comportements religieux n'est observé lors des stages en entreprise des élèves. En revanche, est toléré le port de robes longues - l'abaya - par des élèves de culture et de religion musulmane. Comme à Toulouse, ces vêtements sont considérés comme des vêtements culturels et non confessionnels.

3. L'enseignement des valeurs de la République nécessite un véritable effort de définition et un volume horaire important

Beaucoup d'interlocuteurs - enseignants, parents, élèves - considèrent rencontrées que les valeurs républicaines, à commencer par le principe de laïcité, font l'objet d'approches différentes et de définitions variées.

Les autorités de l'académie ont regretté qu'au sein de l'équipe éducative « tous ne parlent pas de la même voix » et ont insisté sur la nécessité de développer une cohérence et une culture commune au sein même de l'éducation nationale . Cette cohérence ne peut provenir que d'un important effort de formation - initiale et continue. De plus, les interlocuteurs ont déploré la suppression de l'épreuve « Agir en fonctionnaire éthique et responsable » dans les concours de recrutement.

L'enseignement des valeurs républicaines est rendu plus complexe par l'environnement dans lequel évoluent les élèves ; d'après les mots du principal du collège Jean-Jaurès, « leur normalité n'est pas républicaine ». Cela est d'autant plus le cas que le quartier est très majoritairement musulman et se caractérise par une faible mixité sociale et ethnique. Un enseignant d'EPS rapportait qu'au cours d'un séjour en classe transplantée, la répartition des tâches ménagères s'était spontanément faite de manière très inégalitaire, certains garçons refusant d'y participer.

De plus, l'enseignement des valeurs républicaines se heurte à l'emprise sur les esprits qu'exercent certains discours . Les enseignants se trouvent souvent impuissants à lutter efficacement contre certaines théories du complot. A contrario , de leur initiative, deux enseignants de lettres et d'histoire-géographie du lycée Paul-Éluard se sont associés avec un journaliste pour faire travailler leurs élèves sur les théories du complot.

Comme à Toulouse, un consensus s'est largement dégagé sur l'idée que les valeurs républicaines ne devaient pas rester abstraites mais être vécues, expliquées et reliées avec le vécu des élèves .

Cependant, les modalités de l'enseignement de la citoyenneté et des valeurs de la République ne font pas consensus . Beaucoup d'enseignants estiment qu'un enseignement séparé des valeurs de la République, tel qu'il existe déjà, se réduit le plus souvent à l'affirmation inefficace de principes et de valeurs. Au contraire, ils souhaitent que l'enseignement des valeurs républicaines - comme l'enseignement du fait religieux - s'appuie essentiellement sur les enseignements disciplinaires. D'autres, au contraire, soutiennent le projet d'un enseignement moral et civique interdisciplinaire.

4. Autres points

- Formation des enseignants ;

- Stabilité de l'équipe éducative et rôle des corps d'encadrement dans l'accompagnement des enseignants, la formation et l'animation (chef d'établissements, IEN et IA-IPR) ;

- Liaison avec les parents et avec le tissu associatif local ;

- Impact de l'environnement et de la mixité sociale.

Déplacement dans l'académie de Lille
( Lundi 13 avril 2015 )

• Rencontre avec le recteur

Personnes rencontrées : M. Jean-Jacques Pollet, recteur de l'académie de Lille, M. Hervé Teirlynck, directeur de cabinet, M. Franck Laurent, IA-IPR enseignement et vie scolaire, M. Éric Le Coquil, IA-IPR philosophie

• Lycée Jean-Moulin à Roubaix (établissement polyvalent accueillant 1 050 élèves).

Personnes rencontrées : M. Guy Charlot, IA-DASEN du Nord, M. Alain Godon, proviseur, Mme Francine Carbon, proviseur adjoint, Mme Sabine de Yrigoyen, proviseur adjoint, M. Patrick Rouneau, chef de travaux LEGT, M. Franck Cary, chef de travaux SEP, Mme Patricia Leclercq, intendante, etc., Mme Pascale Dezeuze, conseillère principale d'éducation, M. Mohamed Attia, professeur lettres histoire-géographie, M. François Da Rocha-Carneiro, professeur histoire-géographie, Mme Myriam Devos, professeur de comptabilité-gestion, Mme Cécile Delaplace, professeur de lettres-espagnol, Mme Isabelle Kherrouche, professeur d'économie-gestion, Mme Hafida Norha-Hafida, professeur d'économie-gestion, M. Olivier Turostowski, professeur d'économie-gestion, M. Rachid Bouyafri, professeur de comptabilité-gestion, M. Raynald Vandekerckhove, agent technique de laboratoire, M. Saïd Rahmi, ouvrier d'entretien, Mme Sophia-Fatiha Amara, parent d'élève, M. Mohamed Zerrouki, parent d'élève, Melle Sarah Fessier, élève, Melle Habsathou Ba, élève.

• École Hélène-Boucher à Mons-en-Baroeul (é tablissement public expérimental)

Personnes rencontrées : Mme Novak, inspectrice de la circonscription Lille III-Villeneuve Nord, Mme Debouvère et M. Lahouste, conseillers pédagogiques, Mme Ledé, adjointe à l'enseignement de la ville, Mme Calcoen, directrice école maternelle Anne Frank, Mme Gilson, directrice école élémentaire Hélène Boucher, M. Fermen et Mme Mazzoli, enseignants des deux CM1/CM2, Mme Dufour, enseignante de CP/CE1 et M. Chevalier (maître RAR)

• Lycée Averroès à Lille ( é tablissement privé sous contrat - lycée -et hors contrat - collège)

1. Les incidents liés à la minute de janvier

En ce qui concerne les incidents observés dans les établissements à la suite des évènements de janvier, le recteur a tenu à minimiser leur importance, soulignant qu'il n'y avait eu qu'une quinzaine de « comportements inappropriés » recensés dans l'académie.

Les documents remis à la commission d'enquête font état d'une cinquantaine d'incidents pour 850 000 élèves, de gravité variable. Ces incidents constituent « l'écume » du problème, une approche statistique n'est pas appropriée. En outre, le recteur a insisté sur la difficulté de caractériser ces comportements inappropriés et d'en apprécier l'importance : le refus d'étudier l'Égypte pré-musulmane, s'il ne constitue pas un incident, est plus préoccupant que des actes relevant de l'insolence lors de la minute de silence.

Ces propos ont été corroborés par les personnes rencontrées au lycée Jean-Moulin, la difficulté éprouvée par de nombreux enseignants à débattre des évènements avec les élèves et la prégnance des théories du complot étant jugées particulièrement inquiétantes.

2. Des difficultés quotidiennes liées au non-respect des règles de discipline et de laïcité

La communauté éducative du lycée Jean-Moulin, au cours d'un échange sincère, a dressé un tableau relativement sombre de la situation, sans tomber dans le catastrophisme. Ont notamment été évoqués :

- l' indiscipline est monnaie courante et perturbe la vie de l'établissement ainsi que l'enseignement (bagarres, insultes, utilisation permanente des téléphones portables, invectives voire agression physique de professeurs) ;

- la forte baisse des acquis et des connaissances des élèves en matière langagière, en français et en histoire-géographique, alimentant une véritable « perte de repères » ;

- les règles liées à la laïcité demeurent incomprises des élèves , parfois enfreintes (abayas, prières au sein de l'établissement ou lors des stages, menant parfois à des exclusions) et souvent remises en question (lors des sorties et déplacements scolaires, face aux adultes en GRETA) car vécues comme discriminatoires et liberticides. Si la contestation du contenu des enseignements demeure rare et plutôt lié aux théories du complot qu'aux dogmes religieux, les cours d'EPS font l'objet d'un fort contournement - notamment par des certificats médicaux de complaisance. On observe également un refus croissant de la mixité filles/garçons, obligeant certains professeurs à tirer au sort la composition de certains groupes, sinon constitués par affinité religieuse. La Charte de la laïcité, quoique affichée, est peu exploitée (une élève en ayant « vaguement » entendu parler), souvent de peur des réactions des élèves ;

- la radicalisation touche une poignée d'individus - mais il s'agit d'un phénomène nouveau, qui surprend et choque les enseignants et personnels de vie scolaire. Elle s'est dernièrement fortement développée, touchant souvent des bons élèves. L'établissement coopère avec les forces de l'ordre ;

- de façon inquiétante, l'attitude de certains élèves - et parfois de leurs familles - évolue vers un véritable séparatisme, un repli identitaire allant de pair avec un renouveau religieux . Une CPE fait état de références permanentes à la foi musulmane, dans l'enseignement comme la vie scolaire, quand un professeur d'histoire évoque une véritable « fracture entre "eux" et "nous", "eux" désignant la France, la République ». Le lien des élèves à la République est décrit comme « très ténu », celle-ci étant vue comme hypocrite et profondément inégalitaire. Cette marginalisation se traduit également par une attitude de suspicion systématique vis-à-vis du discours médiatique ou institutionnel, nourrissant les théories du complot et une absence de hiérarchisation des médias. Un sentiment diffus d'injustice et de traitement inégalitaire est également répandu (Palestiniens/juifs, Dieudonné/ Charlie Hebdo , etc.).

3. Perspectives

- Importance de la formation initiale et surtout de la formation continue, qui demeure trop négligée malgré un PAF académique de qualité ;

- Les conditions de travail - tant celles des enseignants et que celles des élèves - sont fortement liée au taux d'encadrement ainsi qu'à la stabilité de l'équipe éducative. Dans le cas de l'école Hélène-Boucher, le dynamisme de l'équipe éducative provient directement du fait que les enseignants y sont recrutés par profil et selon un véritable projet ;

- EMC ne doit pas relever uniquement et automatiquement des profs d'HG, dont il est aujourd'hui une « sous-discipline ». Le recteur a insisté sur le fait qu'il ne devait pas devenir une discipline à part entière, au risque de devenir un « catéchisme », mais qu'il devait être incarné et vécu ;

- Enseignement du fait religieux ;

- Contexte socio-économique et mixité sociale : donner un horizon aux élèves ;

- L'éducation à la citoyenneté et l'acquisition du langage doivent commencer le plus tôt possible (ex. pédagogie Freinet).

4. Le cas spécifique du lycée Averroès

La délégation s'est également rendue au lycée Averroès, établissement sous contrat de confession musulmane. L'établissement a pour particularité de compter un collège hors contrat (une demande de contrat est en cours d'examen) avec lequel le lycée partage ses locaux et sa structure administrative.

Compte tenu de l'actualité, la délégation a rencontré les deux IA-IPR qui ont inspecté l'établissement suite aux accusations portées par un enseignant de philosophie démissionnaire. Si la mission d'inspection n'a pas relevé de comportement attentatoire aux valeurs de la République, elle a notamment recommandé de dissocier clairement les instances de l'établissement de celles de l'association « mère » ainsi que de lever les ambigüités entre l'enseignement de la philosophie et celui - optionnel - d'éthique religieuse.

La délégation s'est ensuite déplacée au lycée Averroès où elle a pu rencontrer l'équipe de direction, des enseignants ainsi que des élèves. Les entretiens n'ont pas mis en évidence un quelconque écart avec les établissements publics visités en matière de contenus d'enseignement. Toutefois, des élèves ont affirmé que la non-mixité entre les sexes était la règle pour les cours d'EPS, point qui ne semble pas avoir été relevé par la mission d'inspection du rectorat.

Déplacement dans l'académie de Besançon
( Lundi 11 mai 2015 )

• ÉSPÉ de Franche-Comté, Besançon

Personnes rencontrées : M. Éric Prédine, directeur, M. Thierry Liégeois, responsable administratif et Mme Catherine Caille-Cattin, directrice adjointe

En ce qui concerne la formation à la transmission des valeurs républicaines :

- ces problématiques sont intégrées au tronc commun d'enseignement et concerne donc l'ensemble des stagiaires qui sont mélangés pour l'occasion. L'enseignement consiste en une conférence, préparée et suivie par plusieurs TD pour un volume de 24h/semestre, sur huit thématiques dont « la laïcité », « agir en fonctionnaire éthique et responsable », « l'école inclusive », « l'égalité entre les sexes », etc. ;

- la formation aux contestations des enseignements n'est pas intégrée systématiquement aux formations disciplinaires ;

- aucune mise en situation n'est proposée ;

- l'évaluation en matière de laïcité et de valeurs républicaines est difficile car vaine si elle se limite à une évaluation théorique. À ce jour, des « posters scientifiques » ont été réalisés mais les résultats sont mitigés.

Compte tenu du volume horaire d'enseignement limité (550h en M1 et 250h en M2), les exigences du master « Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation » (MEEF) semblent excessives . Il s'agit en effet de préparer et réussir le concours, d'effectuer une année en alternance et de mener des travaux de recherche. L'ÉSPÉ plaide pour une poursuite de la formation lors des deux premières années de titularisation (T1 et T2), via des séminaires et des retours d'expérience. Possible pour les enseignants du second degré, elle semble très difficile pour ceux du premier, du fait de l'absence de remplaçants. L'ÉSPÉ souhaite intégrer davantage les programmes de formation continue : un parcours de recherche va être créé à la rentrée 2015 au profit des enseignants titulaires ayant un niveau licence. La grande majorité des sujets de recherche porteront sur la transmission des valeurs de la République et sur la vie scolaire.

Une des raisons du bon fonctionnement de l'ÉSPÉ réside dans la qualité des relations entretenues avec le rectorat . Une inspectrice pédagogique régionale (IPR) est détachée à mi-temps auprès de l'ÉSPÉ où elle assume la fonction de directeur adjoint chargé des relations avec le rectorat, ce qui permet de conserver un accès direct aux services académiques.

La coopération avec le rectorat prend également la forme de l'association en matière de recherche et d'innovation . L'ÉSPÉ est adossée à une fédération de recherche sur l'éducation de l'Université de Franche-Comté comptant 13 laboratoires, à laquelle est associé le pôle académique recherche-développement, innovation, expérimentation (PARDIE) afin de permettre une évaluation scientifique sur les innovations pédagogiques. Enfin, l'ÉSPÉ parvient à faire assurer 20 à 27 % de ses cours par des professionnels de l'éducation.

• École élémentaire Albrecht Dürer, Besançon

Rencontre avec la directrice, l'IEN et trois enseignants. 11 classes, en REP+ mais avec une certaine mixité sociale (présence de familles plutôt favorisées)

En entretien particulier, la directrice a insisté sur la prégnance du « eux et nous » exprimé par certains élèves , nombre d'entre eux ne se disant pas Français.

Les enseignants ont été frappés de constater, à la suite des attentats de janvier, l'emprise des théories du complot sur de nombreux élèves . Le rapport aux médias est souvent problématique : 80 % des élèves de CM2 ont accès, directement ou indirectement, à Internet mais ne fréquentent pas les sites des médias « classiques ». Les contestations de l'enseignement sont peu nombreuses, jamais argumentées et systématiquement démontées par les enseignants.

Une hausse significative de la pratique religieuse musulmane dans le quartier est observable les cinq dernières années. Elle s'accompagne de la conviction - exprimée par de nombreux élèves de cycle 3 à l'occasion des débats de janvier - que les commandements religieux priment la loi de la République . Les problèmes liés à la laïcité sont ponctuels et proviennent de cas isolés mais actifs , nécessitant une vigilance et un travail de tous les jours. Les exemples donnés sont : le refus d'un père de serrer la main de la directrice ou de s'asseoir à son bureau ou encore la mise au ban d'élèves mangeant du porc.

Certains élèves présentent des lacunes très importantes en matière de sociabilité et de culture (par ex., certains élèves de CP ignorent ce qu'est une pomme), qui nuisent fortement à l'apprentissage et au travail. En conséquence, les enseignants prévoient des activités - proches de la leçon de choses - et des déplacements ad hoc . L'apprentissage est très lent et le programme, pourtant couvert dans d'autres écoles, est quasi-impossible à terminer sur l'année scolaire. Des lacunes importantes dans les savoirs fondamentaux demeurent.

Une initiative mise en place par l'IEN consiste à rencontrer , avec des enseignants volontaires, l'imam local afin d'échanger avec lui et de recueillir ses avis sur la compatibilité des activités scolaires et des préceptes religieux (ex. participation des filles aux activités sportives, enseignement de l'art, etc.). Ces avis permettent de constituer un argumentaire étayé face aux éventuelles contestations sur un fondement religieux. Cette démarche est cependant problématique (la directrice a manifesté son désaccord) en ce qu'elle prévoit que les fonctionnaires se prévalent d'arguments religieux pour faire respecter les règles de l'école républicaine. Il s'agit d'un des écueils pointés par le rapport Obin ainsi que par Patrick Gaubert dans son audition.

• Lycée agricole Granvelle, Dannemarie-sur-Crête

Personnes rencontrées : Direction : M. Serge Abadie, directeur, Mme Nathalie Malotet, proviseure-adjointe, MM. Alain Despaux et Jean-Christophe Marillier, conseillers principaux d'éducation, Mme Laurence Maire du Poset, directrice de l'exploitation, Mme Sophie de La Serve, chef de projet de partenariats, Mme Anne-Marie Lemercier, infirmière. Enseignants : Mmes Catherine Mignot, Émilie Julien, Nicole Didier et Deborah Vieille et MM. François Armbruster et Emmanuel Delavelle. Élèves : MM. Franck Bruard, Pierre-Louis Pourcelot, Simon Ciresa, Jean-Charles Girardet, Mickaël Chevenement, Elie Boillin, Quentin Bouvier et Mlles Mélissandre Dubrai, Constance Noirot et Léa Meux .

Dans cet établissement à la population rurale et homogène, aucune remise en cause des principes républicains n'est observée . De l'avis général, l'internat - qui concerne 85 % des élèves - joue un rôle clef dans la forte cohésion des élèves , qui est d'ailleurs valorisée et préservée par l'équipe éducative (ex. stabilité des classes sur 3 ans). La vie rurale, ses valeurs et ses rites (ex. les comices), favorise la communauté. Le fort encadrement par des adultes joue également un rôle important.

L'équipe éducative a insisté sur l'importance de donner du sens à la formation , ce qui est plus facile quand l'enseignement dispensé est un enseignement technologique ou professionnel. La pédagogie de l'enseignement agricole, qui insiste sur l'accompagnement des élèves et la mise en pratique, permet d'intéresser les élèves les moins scolaires.

Malgré les efforts déployés en faveur de l'accueil et de la communication avec familles, certaines sont dans une logique consumériste. Les relations avec les familles sont également compliquées par la dégradation de l'image de l'enseignant.

Les enseignants et personnels de la vie scolaire pointent qu'ils sont parfois confrontés à des paroles d'intolérance et de xénophobie . Ces propos, qui se sont multipliés après les attentats de janvier, sont favorisés par la pauvreté lexicale et les confusions sémantiques - ces dernières étant souvent entretenues dans le débat public.

• Collège Diderot, Besançon

Personnes rencontrées : M. Jean-Louis Tournut, principal, Mmes Laurence Liebermann et Christine Brezard, conseillères principales d'éducation, Mme Marion Chaillet, professeure des écoles et Mmes Magalie Feriot et Lise Lartot, professeures.

La minute de silence du 8 janvier a été organisée dans les salles de classe - et non dans la cours de crainte de débordements - après une heure de débats. Aucun refus n'a été observé, même si des propos déplacés ont été tenus, par provocation ou du fait d'authentiques interrogations des élèves.

Le principal comme les enseignants perçoivent un renouveau de la pratique religieuse musulmane depuis cinq ans environ , qui n'a cependant que peu d'influence au sein de l'établissement, au-delà d'incidents ponctuels (ex. refus d'un parent d'élève de serrer la main d'un non-musulman ).

Certains enseignements, notamment la reproduction en SVT, l'histoire ou la natation en EPS, sont régulièrement perturbés . L'assiduité aux activités physiques et sportives est contournée par la production de certificats de complaisance (ex. 50 % des filles d'une classe de 6 e SEGPA prétendent être allergiques au chlore). Les atteintes à la laïcité demeurent ponctuelles, mais sont régulièrement répétées et nécessitent de ne pas « baisser la garde ».

Une « classe vocale » a été mise en place à partir de la 5 e , autour d'un projet musical mais également culturel. Dans ce cadre, la visite d'une mosquée, de la cathédrale et d'une synagogue sont programmées. L'équipe enseignante observe qu'une meilleure connaissance du fait religieux tend à améliorer les relations entre élèves et les conditions d'enseignement.

Les personnels de vie scolaire et les enseignants pointent cependant une dégradation du climat scolaire , qui se manifeste par une banalisation et une multiplication des incivilités et de la violence verbale envers les adultes. Les propos racistes, notamment envers les élèves roms ou albanais, tendent à augmenter.

Le collège est également confronté à l'incompatibilité du mode de vie de certaines familles, notamment d'origines mahoraise, rom ou albanaise, avec une scolarité normale. Il en découle un absentéisme très important voire la déscolarisation de certains élèves , face auxquels les personnels sont démunis. L'abrogation de la loi Ciotti prévoyant la suppression éventuelle des allocations familiales en cas d'absentéisme est déplorée par les CPE .

L'implication des parents d'élèves est également un axe d'effort important . Au-delà du café des parents et des rencontres parents-professeurs, l'établissement pratique la remise en mains propres aux familles des bulletins trimestriels, qui font l'objet d'un entretien avec le professeur principal de la classe.

Dans le prolongement des travaux du CNIRE, un projet de co-élaboration du règlement intérieur, dans lequel l'élève est reconnu « comme citoyen à part entière » est mené à l'initiative du chef d'établissement.

Déplacement dans l'académie de Lyon
( Lundi 11 mai 2015 )

• Lycée Frédéric Faÿs à Villeurbanne - 1 000 élèves, 130 professeurs, à la fois lycée général et lycée industriel (chaudronniers, production et construction métallique) - particularité accueille des sportifs ayant une scolarité aménagée - quartier assez défavorisé mais brassage grâce aux sportifs. 30 % de boursiers (publics des deux lycées proches).

Rencontre avec le proviseur M. Éric Esvan, puis six professeurs tant du lycée général que du lycée professionnel (anglais, philosophie, lettres et histoire géographie).

• École élémentaire Berthelot à Villeurbanne - 11 classes en élémentaire et 8 en maternelle (bientôt 9 car vont passer en REP)

Rencontre avec les directrices de l'école maternelle (Mme Nicole Terrasse) et de l'école élémentaire (Mme Christilla Bobichon-Prothon) ainsi que 13 professeures de l'école maternelle et élémentaire

• ÉSPÉ

Rencontre avec des formateurs : Mmes Nadia Belkis (MEEF EE), Anne-Marie Mercier et Françoise Poyet (MEEF 1 er degré), MM. Jean-Luc Ubaldi (DA Formation), Yvon Thévenot (directeur des études), et Mme Marie-Cécile Guernier (MEEF 2 nd degré, PAPET/CAPLP). Rencontre avec des étudiants et étudiants/stagiaires : M. Alexandre Chanez (M1), Mme Caroline Jury (M2A), M. Evan Maucourant (M2B).

1. Visite du lycée

La direction du lycée avait prévu la participation à la minute de silence sur la base du volontariat d'où pas de débordements. La plupart de ceux qui sont restés étaient du lycée général, les autres ne se sentaient pas concernés.

Dans les classes où presque tous sont issus de l'immigration a été majoritaire le discours du « eux et nous », mais certains ont été scandalisés par la tuerie même si plus réservés quant au blasphème (comparaison récurrente avec Dieudonné et les Juifs...). Les élèves asiatiques se sont tus.

Des efforts de clarification ont été faits en cours de philo notamment, car beaucoup de confusion : expliquer les concepts de barbarie, de tolérance, de limites à la liberté d'expression, de démocratie, de dialogue, en différenciant le légal et le légitime.

En histoire, le professeur a évité d'imposer une doxa en cherchant à ce que les élèves fassent d'eux-mêmes le parallèle avec la seconde guerre mondiale, l'état des libertés sous Vichy et les caricatures contre les Juifs (sujet du cours prévu) ; cela a permis de prendre du recul et montré que l'histoire n'est pas inutile. Il faut que les élèves fassent le lien entre le cours et ce qui se passe dans la société et leur quotidien.

La fracture initiée avec Khaled Kelkal s'était un peu calmée mais la fin des subventions aux associations oeuvrant pour le vivre ensemble (éducateurs, MJC et éducation populaire) et de la police de proximité injustement caricaturée a ouvert un abandon dont l'école, et surtout le collège, paie le prix.

Depuis 2-3 ans, la religion et le communautarisme sont en recrudescence d'où en réaction une radicalisation des « petits blancs ».

Certains enseignements sont contestés : la représentation dans la chapelle Sixtine de deux hommes nus (Dieu créant Adam), la Shoah (une seule fois, en terminale ES, le professeur a menacé de porter plainte, mais toujours des échanges de regards), la théorie de l'évolution accusée de faire la promotion de l'athéisme. En lycée professionnel (pratiquement que des garçons), problèmes pour aborder l'évolution du rôle des femmes, le fait religieux, la laïcité et République (la robe sans manches de la prof ayant été jugée choquante, elle a réagi en faisant ses cours en robe toute l'année).

Le chahut est surtout le fait de ceux dont la religion est la plus superficielle. Pour ceux pour qui la loi de Dieu est supérieure aux valeurs de la République, c'est revendiqué très calmement.

Certains sont choqués par la possibilité de ne pas avoir de religion et tous contestent le chiffre de 10 % de Musulmans en France, l'estimant sous-évalué.

Les professeurs estiment qu'il y a encore un certain respect vis-à-vis des professeurs quand l'alchimie se fait, mais leur discours est en concurrence avec d'autres « vous aviez raison je suis allé voir sur Internet et ils disent pareil ». Ils expriment une certaine tolérance vis-à-vis des professeurs. Sont gentils mais les élèves « ont l'air consternés » par ce que les enseignants racontent. Les élèves sont tiraillés entre le discours de l'école et de l'extérieur.

Il n'y a pas de philo en lycée professionnel. L'idée de l'introduire dès le collège se heurte à la pauvreté du vocabulaire.

Il y a quelques années, il y avait surtout des problèmes de vocabulaire, maintenant ce sont aussi des problèmes de structure de phrase (passage intempestif du « elle » au « il »...). La suppression de beaucoup d'heures de français au collège a été délétère. Même en terminale littéraire certains n'écrivent pas correctement.

Les élèves sont « fatigués par la novlangue » . Plutôt que de discourir sur la laïcité et la tolérance, il faut voir les applications pratiques avec des exemples concrets et expliquer. Plutôt que de plaquer des heures de morale civique, il faudrait travailler sur des projets interdisciplinaires (l'ont fait avec Pythagore et Averroes) et avoir plus d'interactivité.

Les enseignants demandent un soutien des projets (moments de respiration où des élèves se révèlent) et la possibilité de faire venir des intervenants extérieurs socio-culturels (médiathèques, musées, théâtres). Un exemple positif : 3 000 euros pour faire venir inopinément des comédiens « tu m'agresses la parole » dans la classe, qui reproduisent le manque de respect des élèves et leur permet de prendre du recul.

Les difficultés du lycée professionnel sont encore supérieures : même si les effectifs sont allégés (une vingtaine), les élèves arrivent cassés par le collège. Certains professeurs ont l'impression de « martyriser » leurs élèves, qui n'ont pas le niveau pour suivre des programmes trop ambitieux La souffrance scolaire se rajoute à une souffrance sociale, d'où de la violence et l'impression de se faire agresser toute la journée.

De plus les débouchés sont incertains : le manque de places en CAP conduit à une orientation en Bac pro alors qu'on sait qu'ils ne feront jamais de BTS (d'autant moins après la réforme du bac pro en 3 ans). Ce sont des élèves qui ne redoublent jamais pour en être débarrassés plus vite.

Idem pour les classes Bac pro 3 e prépa pro au sein du lycée en théorie destinées à ceux qui ont un projet professionnel, en fait pour ceux dont les collèges veulent se débarrasser au plus vite. Ces classes initialement de 18 et passées à 24 devraient passer à 30, ce qui n'est pas raisonnable.

Proposition : avoir un co-enseignement : 2 professeurs avec 30 élèves plutôt qu'un seul avec 20. Cela permettrait de régler tout de suite les problèmes de discipline sans que le cours s'arrête et de pouvoir débriefer entre adultes.

S'agissant de la formation continue des enseignants , les professeurs souhaitent des formations de psychologie de groupe et de gestion du conflit pour savoir comment réagir en cas de situation tendue et « comment marche le cerveau d'un ado », rappelant que tout professeur se fait à un moment donné chahuter.

Ont souhaité pouvoir avoir un retour de psychologues sur leur travail comme c'est le cas dans les classes relais et regretté que rien ne soit proposé aux collègues en souffrance qui n'osent pas en parler par honte, ce qui révèle l'archaïsme de la relation avec le directeur d'établissement. Ils ont déploré l'absence de médecine du travail.

2. Visite de l'école primaire

Dans ce quartier, la religion est très présente . Il y a beaucoup de familles d'origine étrangère et on sent depuis moins de 10 ans une radicalisation , du prosélytisme et on voit de jeunes mères voilées. Avant, certains enfants ne mangeaient pas de porc, maintenant ils ne mangent plus de viande. Une petite fille a arrêté de manger de la viande après des réflexions de ses camarades.

Les enfants pensent que tous les jours fériés sont des fêtes chrétiennes (y compris le carnaval). Certains parents refusent les décorations de Noël et il faut faire très attention à ne pas célébrer les fêtes.

Certains parents ont un comportement sexiste : le père d'un garçon insolent répond « oui, mais c'est un garçon... et vous êtes une femme... ».

Les enfants ne savent pas qu'ils sont français , ils se disent musulmans, ou arabes comme si c'était une religion. La plupart ont la double nationalité mais ne s'identifient qu'à l'origine des parents. Se pose le problème du non-respect de l'obligation scolaire quand les familles rentrent dans leur pays d'origine dès juin pour avoir des billets d'avion moins chers.

L'école rencontre de vraies difficultés avec 3 à 5 enfants allophones par classe en maternelle, et des enfants laissés trop longtemps devant des écrans (unanimité contre le projet d'équiper les écoles en tablettes !) sans que les parents lisent d'histoire, d'où des difficultés de concentration. Une petite en maternelle a les doigts mous car ne manipule plus de légos, ce qui pose des problèmes pour la graphie ensuite.

Pourtant, la minute de silence n'a pas donné lieu à incidents. Seuls ont participé les enfants du primaire (pour préserver les plus petits), par la minute de silence et la récitation d'un poème. Le portail étant ouvert, quelques parents d'élèves dont des mères voilées y ont assisté.

Le travail fait en décembre sur la paix et la laïcité avait rendu les enfants plus réceptifs. Pour le 25 e anniversaire de la déclaration des droits de l'enfant, les CM1-CM2 ont réalisé un projet sur le Prix Nobel de la paix Malala et une fresque sur la liberté d'expression et la moquerie.

Depuis 3 ans, des programmes de construction d'accession sociale à la propriété ont permis de ramener une certaine mixité sociale. Mais on constate un gros évitement entre la maternelle et le primaire. Pour ne pas faire fuir les autres parents (d'autant plus qu'à la sortie de l'école ce sont les mères voilées les plus visibles car elles ne travaillent pas et viennent chercher elles-mêmes leurs enfants), les directrices réclament de vraies mesures :

- l' affichage des symboles de la République - la mairie de Villeurbanne refuse de donner un drapeau pour pavoiser école (incompréhensible alors que la circulaire du 6 septembre 2013 sur la charte de la laïcité le demande) ; ainsi que du matériel pérenne pour l'affichage de la charte ;

- une réaffirmation de l'interdiction de la participation de mères voilées aux sorties scolaires.

Toutes ont souligné la nécessité d'une position claire et pérenne et s'inquiètent des dernières déclarations de la ministre (relayées par la rectrice) que leur opposent les parents contre la circulaire Chatel qu'elles appliquent, en considérant qu'il ne leur appartient pas de définir ce qui relève du prosélytisme. Refusent d'être taxées d'islamophobie ou de « méchanceté » par des mères citant d'autres chefs d'établissement autorisant les sorties pour ne pas avoir de problème. Un parent d'élève soutenu par un collectif contre l'islamophobie menace de les attaquer en justice. Elles soulignent la distinction entre sorties scolaires se passant dans le cadre de l'école et pendant le cadre scolaire (en estimant que les parents n'ont pas un droit à accompagner) et la présence de mères voilées à des fêtes ou des réunions de parents d'élèves.

Cette situation est d'autant plus confuse que la personne qui fait traverser les enfants (un contrat de retour à l'emploi dans une association sous contrat avec la mairie) est voilée. La directrice se dit « coincée » par la présence de cette contractuelle qui relève de la mairie et non pas des autorités scolaires.

Les personnels ont fait état du sentiment de ne pas être soutenus. « On résiste mais on a besoin d'une aide claire de l'État, on a besoin de courage politique. » La charte de la laïcité était positive mais il faut des actes.

L'intitulé de « morale » civique est jugé gênant car renvoyant à la III e République et au catéchisme avec une vérité assénée plutôt que basée sur le débat et la réflexion.

Les enseignantes ont également insisté sur l'importance de la stabilité des équipes (qui permet par exemple à une collègue d'accepter que l'on déplace un élève sanctionné dans sa classe) et de la fermeté de la direction vis-à-vis des parents.

Elles ont souhaité des sessions de formation continue de deux à trois semaines (qui impliquent un remplacement) plutôt que des formations de quelques heures qui désorganisent leur travail sans permettre d'approfondir. Une jeune enseignante a enfin regretté de ne jamais avoir pu faire de stage d'observation dans la classe d'une de ses collègues (en 7 ans) pour pouvoir comparer leurs méthodes. Le module de formation continue sur Internet Magistere a été jugé scandaleux.

3. Réunions à l'ÉSPÉ

Rencontre avec les formateurs

Il y a consensus sur le fait que la laïcité ne doit pas être abordée que pendant les unités d'enseignement (UE) dédiées du bloc IV mais aussi au quotidien dans tous les UE. Certains enseignements spécifiques existent mais beaucoup sont optionnels.

En M1 la priorité est donnée aux disciplines pour la préparation du concours, qui est encore trop vu comme le lieu de l'excellence disciplinaire, les épreuves d'admissibilité étant d'un académisme absolu. Il faudrait trancher si l'on veut privilégier la transmission ou la connaissance.

Dans la deuxième épreuve d'admission, même si l'épreuve « agir en fonctionnaire de l'État de manière éthique et responsable » a été supprimée, il doit y avoir un questionnement autour des conditions de travail des élèves, des établissements, des valeurs de la République.

Un certain flou entoure le positionnement des formateurs de l'ÉSPÉ par rapport à « l'employeur », en l'occurrence les corps d'inspection :

- si les sanctions sont prononcées par les inspecteurs, les tuteurs de l'ÉSPÉ répugnent à les saisir en cas de manquement constaté ;

- la question de savoir si les tuteurs seront en relation avec les jurys de titularisation fait débat. Pourtant, les taux de non titularisation de respectivement 0,5 % et 2 % pour le premier et le second degré conduisent à s'interroger sur la réalité du contrôle ;

- l'évaluation des tuteurs sera-t-elle sanctionnée et utilisée par les inspecteurs ?

L'ÉSPÉ semble ainsi se positionner uniquement en tant que formateur et non en tant qu'évaluateur.

S'agissant des atteintes aux valeurs de la République par les étudiants, les formateurs estiment que le référentiel de compétences, même s'il contient beaucoup d'implicite, constitue déjà en lui-même un code de déontologie et qu'il conviendrait de faire signer une charte par les étudiants synthétisant ces valeurs.

Cependant, certains étudiants confondent liberté pédagogique et droit à la désobéissance. Un bémol, s'il y a des étudiantes sont voilées, certaines d'entre elles se préparent aux concours privés ou veulent enseigner à l'étranger.

Certains chefs d'établissement refusent d'afficher la charte.

Les ÉSPÉ devraient devenir des écoles académiques avec un statut autonome.

Rencontre avec de futurs professeurs des écoles

Pour l'étudiante en M2A (admise au concours et en 2 e année), s'il y a un manque de ressources en éducation civique (manuels et sites Internet), la formation sur les valeurs de la République est jugée bonne.

Elle regrette toutefois que la formation reste très universitaire et très peu professionnalisante. Le module d'analyse de la pratique de 30 heures constitue le seul cours formatif mais exposer ses difficultés devant 39 étudiants peut bloquer. Les cours sont jugés mal répartis sur l'année, il y a trop évaluations (17 pour valider le diplôme), sur lesquels il n'y a d'ailleurs pas de retour. 4 des 12 heures de formation aux TIS (nouvelles technologies) sont ainsi consacrées à l'évaluation...

Les QP (questions professionnelles) qui devaient être assurées par des professionnels (chefs d'établissement, inspecteurs...) ont eu du mal à être mises en place pour des questions de recrutement. Certains cours ont été donnés en amphi. De plus cela a donné lieu à plus de stratification que de croisement d'où des résultats mitigés.

En revanche, le dispositif des PEMF (maîtres formateurs) est à renforcer car très positif « apportent des solutions instantanées aux questions », par contraste avec les cours dispensés par les didacticiens « qui ne présentent que des expériences impossibles à reproduire avec les moyens donnés ».

Le système du double tutorat (ÉSPÉ-établissement) a été mis en place très tard et est resté embryonnaire (concrètement le tuteur de l'ÉSPÉ est venu une fois), ce que reconnaissaient d'ailleurs les formateurs entendus précédemment : on est encore loin de l'« Alternance intégrative ».

Pour les M2B, c'est-à-dire les recalés au concours ayant validé leur première année, le système est assez bâtard : il faut repréparer le concours tout en soutenant un mémoire.

Il y a 3 périodes de stage dont des stages en responsabilité en binôme. La formation comprend beaucoup d'heures d'analyse de la pratique, mais il y a peu de pratique à analyser...

Pour les M1, il n'y a que des stages d'observation. Il est dommage que le cours de gestion de la classe en analyse de la pratique débute le 15 octobre alors que les étudiants sont en stage depuis le 1 er septembre.

Déplacement dans l'académie de Poitiers
( Lundi 18 mai 2015 )

• Entretien au rectorat

E n présence de M. Jacques Moret, recteur de l'académie de Poitiers, et de Mme Brigitte Estève-Bellebeau, référente laïcité académique.

• ÉSPÉ de Poitiers

Entretiens avec le président de l'université de Poitiers, M. Yves Jean, et l'équipe de direction : M. Mario Cottron, directeur ; M. Christophe Costa, responsable administratif ; Mme Maire Soulisse, responsable du master MEEF 1 er degré et directrice du site ÉSPÉ de Niort ; M. Xavier Lerner, référent laïcité et citoyenneté

• Déjeuner au lycée professionnel hôtelier et agricole Kyoto à Poitiers

Déjeuner avec le recteur M. Jacques Moret, son directeur de cabinet, deux DASEN et une IENA des Deux-Sèvres, le doyen des IA-IPR, chargé de mission ÉSPÉ, ainsi que le directeur de l'ÉSPÉ, le directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et des forêts, le chef du service régional de la formation et du développement et le proviseur M. Alain Zenou, la proviseure-adjointe, une professeure d'anglais, un professeur d'éducation socio-culturelle et une professeure d'histoire-géographie

• ESENESR :

Rencontre avec les membres de l'équipe de direction : M. Jean-Marie Panazol, directeur, ainsi que la secrétaire générale, le chef du département des formations des personnels de l'enseignement scolaire, le chef du département des formations des personnels de l'encadrement supérieur et de la recherche et le chef des partenariats et des relations extérieures - Rencontre avec des stagiaires

1. Entretien au rectorat

Sur les évènements de janvier, M. Jacques Moret, recteur, a précisé que l'académie de Poitiers avait connu peu d'incidents. Les quelques contestations relevées ont été résolues par le dialogue avec les élèves et les familles, et n'ont été suivies d'aucune sanction. Si le climat scolaire est globalement très apaisé, M. Moret a néanmoins mentionné quelques cas de contestations d'enseignement, de la théorie de l'évolution par exemple, ou de refus d'élèves de participé à certains activités, comme la visite d'églises. Il a estimé que l'école devait maintenir une position très ferme sur ces sujets, et regretté que certains chefs d'établissement ferment les yeux sur certains agissement pour maintenir la « paix sociale ».

Conformément à la grande mobilisation pour les valeurs de la République lancée par la Ministre de l'éducation nationale, un plan de formation des formateurs a été très rapidement mis en place . Un premier temps a été consacré à des consultations inter-académiques, avec les académies de Bordeaux et de Limoges, réalisées le 17 mars. Trois séries de formation ont ensuite été programmées : une première a eu lieu en avril, et deux autres, à venir, se dérouleront en mai et septembre. Les deux premières sessions de formation ont visé à construire une culture commune autour des notions de laïcité et de valeurs républicaines. Les suivantes auront pour objectif de préparer les enseignants à traiter des situations complexes, en partant de cas concrets. En parallèle, le recteur a précisé qu'avait été mis en place un comité de pilotage , présidé par la référente laïcité de l'académie et composé d'une dizaine de membres. Formés plus régulièrement, ces derniers auront pour rôle d'assurer un tutorat à l'égard des autres formateurs.

Il a néanmoins été précisé que l'académie de Poitiers s'était mobilisée, bien avant les évènements de janvier, sur la formation à la citoyenneté, au travers de trois axes principaux :

- renforcement de l'implication directe des élèves dans les établissements scolaires, notamment au travers des conseils de vie lycéenne et les conseils académiques de vie lycéenne, l'objectif étant de « mobiliser les élèves par les élèves » ;

- engagement dans la lutte contre la discrimination , à travers la création de plusieurs missions, relatives à la lutte contre les discriminations faites aux femmes et à la lutte contre l'homophobie. L'action de ses missions consiste notamment en l'organisation des rencontres avec des collégiens et des lycéens, pour les sensibiliser sur ces questions ;

- mise en place d'un pôle civique au sein de l'académie , dont le rôle est de coordonner et de donner une cohérence aux initiatives et dispositifs mis en place au sein de l'académie autour de la formation à la citoyenneté et de la promotion des valeurs républicaines. Le pôle civique met à disposition des personnels éducatifs des outils et ressources pédagogiques et apporte une assistance à la mise en place des initiatives prises par les établissements. Enfin, le pôle civique organise également des colloques et formation à destinations des personnels éducatifs.

Afin de renforcer la formation à la citoyenneté, plusieurs axes d'amélioration ont été identifiés :

- mettre l'accent sur la formation des enseignants et des personnels d'encadrement . En ce qui concerne la formation initiale, le recteur a insisté sur la nécessité de placer la citoyenneté au coeur des plans de formation des ÉSPÉ. Il a également souligné l'importance de renforcer la formation des personnels d'encadrement, et notamment des chefs d'établissements, qui, plus encore que les enseignants, ont été pris au dépourvu lors des évènements de janvier.

Compte tenu de la présence de l'ESEN à Poitiers, la formation continue a été délaissée au cours des dernières années. L'académie de Poitiers travaille néanmoins à son renforcement, et privilégie la mise en place de formations inter-catégorielles, à destination aussi bien des enseignants, des équipes de direction que des conseillers principaux d'éducation.

En complément, et dans l'attente de la mise en place d'un document national, le rectorat travaille à la mise en place d'un vademecum citoyenneté, qui devrait également contribuer à diffuser une culture commune.

- assurer une formation continue des élèves à la citoyenneté, du primaire au collège. L'académie de Poitiers a récemment été réorganisée en réseaux, les réseaux Éclore, qui ont pour objectif de renforcer la coordination entre les écoles, les collèges et les lycées d'un même secteur. De l'avis du recteur, ces réseaux pourraient avoir un rôle central dans la définition de plans de formation à la citoyenneté, afin d'assurer une continuité dans le parcours de formation des élèves.

S'agissant des mesures proposées par le ministère, Mme Estève-Bellebeau s'est interrogée sur la pertinence du nouvel enseignement d'éducation morale et civique. Elle a notamment regretté qu'il soit implémenté selon les mêmes modalités que l'ECJS, dont on sait que l'heure a souvent été utilisée à d'autres fins.

Enfin, le recteur s'est déclaré favorable à la mise en place d'un enseignement du fait religieux, à condition qu'il soit factuel, distancié et ne soit pas enseigné seulement sous un prisme national.

- mobiliser l'ensemble des partenaires de l'éducation nationale (parents, associations sur le terrain, etc.) . L'académie de Poitiers a lancé à cette fin un travail de recensement pour fournir à l'ensemble des chefs d'établissement un listing de l'ensemble des partenaires agissant sur le territoire

- responsabiliser l'ensemble de la communauté éducative et développer l'exemplarité, en développant un code de déontologie des métiers de l'éducation nationale.

2. Visite de l'ÉSPÉ

À titre liminaire, le Président de l'Université, M. Yves Jean, s'est félicité de la bonne articulation entre l'ÉSPÉ et les deux universités de la région, Poitiers et la Rochelle.

M. Mario Cottron, directeur de l'ÉSPÉ, a rappelé que la réforme de la formation des enseignants, ayant conduit en 2013 à la création des ÉSPÉ, entendait rompre avec le modèle de formation consécutive qui avait prévalu jusqu'alors.

Sur les maquettes d'enseignement , le directeur a indiqué que le cadrage initial national organisait la formation autour de cinq blocs de compétences. Parmi ceux-ci, le bloc 4 relatif au « contexte d'exercice du métier » comprend l'apprentissage des notions de laïcité, d'égalité et de lutte contre les discriminations. Il représente un volume de 12 crédits ECTS sur 120 pour l'ensemble du master et occupe un volume d'enseignement proportionnel, de l'ordre de 10 % du total des cours dispensés , dont seulement une partie néanmoins est consacrée à l'apprentissage des valeurs républicaines.

À Poitiers, le choix d'une formation plus intégrée a été fait : les unités d'enseignement mises en place ne correspondent en effet pas aux blocs de compétences définis dans le cadre national, mais intègrent des compétences de plusieurs blocs, de manière transversale. La question des valeurs républicaines fait plus spécifiquement l'objet de l'enseignement culture commune , enseigné à raison de 165 heures sur 861 en MEEF 1 er degré, et de 109 sur 861 en MEEF 2 e degré, soit un volume horaire supérieur à celui conseillé dans le cadrage national pour le bloc « contexte d'exercice du métier ». Il convient de relever que cette unité d'enseignement ne comprend pas uniquement des cours, mais prévoit également des préparations aux stages, des conférences régulières, etc.

Le directeur a indiqué que qu'à la suite des évènements de janvier, le réseau des ÉSPÉ, qui regroupe les équipes de direction de toutes les écoles, a fait parvenir à l'ensemble des ÉSPÉ un questionnaire relatif aux enseignements du tronc commun . Les résultats compilés et adressés au Ministère de l'éducation nationale concluent à une relative homogénéité entre les écoles. En revanche, une insuffisance générale sur la question de l'orientation scolaire a été mise en exergue.

Comme l'a souligné Xavier Lerner, référent laïcité et citoyenneté et enseignant à l'ÉSPÉ, l'enseignement de culture commune donne lieu à plusieurs modalités d'évaluation :

- observations du comportement des enseignants stagiaires au sein des classes, dans le cadre de leurs stages ;

- exposé en séminaires ;

- évaluation finale du module « connaissance du système éducatif ».

Il a insisté sur le fait que, quelle que soit la méthode, l'évaluation se devait toujours d'être réalisée en situation.

Afin d'améliorer la formation, a été évoquée l'idée de renforcer la coordination entre l'ÉSPÉ et les inspecteurs, ces derniers étant encore trop réticents à la présence des enseignants de l'ÉSPÉ sur le terrain.

Si l'épreuve « agir en fonctionnaire éthique et responsable de l'État » a été supprimé du concours, M. Cottron a néanmoins rappelé qu'une des épreuves orales prévoit un questionnement sur les valeurs. Il a par ailleurs indiqué que le référentiel de compétences des enseignants paru en juillet 2013 comprenait, dans la partie connaissance du système éducatif, l'action en fonctionnaire éthique et responsable. L'équipe de direction a également trouvé intéressante l'idée d'une sélection des futurs enseignants sur la base de leurs motivations, ainsi que la proposition d'un code de déontologie des personnels éducatifs.

S'agissant plus généralement des difficultés rencontrées par les enseignants quant à la transmission des valeurs républicaines, M. Xavier Lerner a estimé qu'il était nécessaire, afin de combattre les théories du complot et de régler les problèmes de laïcité, de développer un enseignement de l'histoire moins consensuel , qui « aborde les sujets qui fâchent ». Il a en effet considéré que l'enseignement de l'histoire était devenu aujourd'hui trop social et économique. La tentation est grande aujourd'hui pour les enseignants prudents et loyaux de contourner, voire de ne pas aborder certains thèmes. Il a également appelé de ses souhaits un plus grand soutien des inspecteurs aux enseignants pour aborder les thèmes difficiles.

Enfin, le constat d'un net recul de la formation continue au cours des quinze dernières années a été fait. Les ÉSPÉ ont un rôle à jouer sur ce point, mais le directeur a rappelé que leur contribution n'en était pour l'instant qu'à ses débuts.

3. Déjeuner au lycée

Sur les incidents lors de la minute de silence :

Le recteur a indiqué avoir fait remonter l'intégralité des incidents signalés (30 concernant des élèves et 6 concernant des enseignants), tout en estimant que toutes les académies n'avaient pas joué le jeu.

S'agissant des enseignants, trois prétendaient ne pas avoir été au courant, deux avaient délibérément refusé la minute de silence et ont été sanctionnés, tandis que le dernier, un professeur de philosophie de Poitiers qui avait traité les journalistes de Charlie Hebdo de « crapules », a été muté d'office après sa mise à pied.

L'académie de Poitiers a mis en place un système automatisé de remontée de l'information. Une fois l'incident rentré par le chef d'établissement, il remonte directement à l'autorité définie en fonction de la gravité (la mort d'un élève remonte directement au cabinet de la ministre, une bagarre entre professeurs va au rectorat). Il y a donc moins de possibilité de manipulation. Ce système a depuis été étendu dans une quinzaine d'académies.

Sur la réponse apportée aux atteintes aux valeurs de la République : les professeurs ont mis en avant l'importance du travail collectif sur les questions de citoyenneté, au sein des établissements, mais également avec l'extérieur. La pièce « inconnu à cette adresse » a ainsi été montée.

Les assises locales et départementales (qui réunissaient également les parents), si elles ont été jugées trop ambitieuses (trois thèmes choisis), ont cependant révélé le besoin d'échanges et d'information et permis de nouer des contacts destinés à se prolonger localement en dehors du ministère. L'ensemble des interlocuteurs a souligné le besoin de partenariat et de connaissance de ce qui se fait ailleurs en matière de citoyenneté à d'autres niveaux (méconnaissance écoles/collèges/lycées). Ceci devrait se faire à l'échelle des communautés de communes et des quartiers, pour plus de cohérence entre les actions. Les dispositifs de la politique de la ville souffrent ainsi de trop de juxtaposition, notamment pour l'aide aux devoirs. C'était déjà l'idée des communautés locales d'éducation créées à l'initiative de Ségolène Royal, qui devaient se réunir une fois par an, mais n'ont pas eu beaucoup de succès. Parler bambin était ainsi une initiative locale qui a été valorisée, non par le ministère, mais par des travaux parlementaires.

La nécessité d'atténuer la césure entre le CM2 et la 6 e a fait consensus. Certains ont évoqué l'idée d'un corps unique entre le primaire et le secondaire. Ils ont toutefois reconnu que les mentalités y restaient très opposées (citant l'exemple d'un professeur agrégé refusant d'aller dans une école). Pourtant, les enseignants sont dorénavant recrutés au niveau master et formés dans les mêmes ÉSPÉ.

Le recteur, approuvé en cela par le directeur de l'ÉSPÉ, a proposé que, lors de la formation initiale, des stages puissent intervenir dans un autre niveau que celui auquel se destine l'étudiant (pour de futurs professeurs du second degré aller en primaire et inversement), afin d'aboutir à une meilleure connaissance mutuelle.

A également été évoquée l'idée de délocaliser les enseignements du CM2 au collège pour que la barrière physique soit déjà passée avant l'entrée au 6 e , d'autres barrières attendant ensuite les collégiens. Le rôle des conseils écoles/collège a été souligné pour favoriser le passage en 6 e .

S'agissant de l'autonomie des établissements, le proviseur M. Zenou a estimé qu'elle ne devait pas se traduire par un repli sur soi mais au contraire par la mise en place de réseaux entre établissements (comme le réseau des lycées agricoles, mais aussi entre les écoles, les collèges et les lycées d'un même bassin de vie cf réseau Éclore), ce mouvement étant particulièrement fort depuis cinq ans.

La nécessité d'avoir de meilleurs rapports avec les parents et d'arriver à les faire venir à l'école a été jugée primordiale pour éviter l'échec scolaire. Les projets de réussite éducative devraient comprendre des projets en direction des parents. Certes, des opérations comme la semaine de la maternelle permettent de faire venir les parents (surtout les mamans...), mais après ?

4. Visite de l'ESEN

L'ESEN fait partie du RESP (réseau des écoles de service public). Il assure :

- la formation initiale de cinq semaines des chefs d'établissements, des inspecteurs et des médecins scolaires (formation statutaire définie par les textes) ;

- la formation continue de ces mêmes personnels à la demande principalement d'une direction générale ou d'une académie. En l'absence d'autonomie budgétaire, il n'est donc pas autonome pour la mise en place du plan de formation.

Il partage la responsabilité de la formation avec les académies qui ont leur propre plan de formation et développent de plus en plus cette compétence. Un réseau des délégués à la formation académique assure des rencontres trois fois par an pour se coordonner.

10 000 stagiaires ont été formés en deux ans. En nombre de journées stagiaires, on constate une hausse de 18 % en 2014.

Afin de répondre aux critiques unanimes des stagiaires et des inspections générales d'une prise en compte insuffisante de l'expérience et d'un manque d' individualisation de la formation, il a été mis en place un contrat individuel de professionnalisation, sorte de bilan de compétences, qui se fait en académie. Des ateliers optionnels sont ensuite proposés en fonction des besoins de chacun (sur la communication institutionnelle, interpersonnelle...).

Le rôle des « accompagnateurs experts » et des pairs a été revu. Alors que précédemment il pouvait leur être reproché de « raconter leur vie » sur des sujets quotidiens traités, ce qui rendait le caractère transférable de la formation aléatoire, sont désormais privilégiées des études de cas, avec une analyse des invariants et des éléments contextuels. Le lien avec les acquis de la recherche est également assuré puisqu'il est par exemple indispensable pour pouvoir parler des rythmes scolaires de façon crédible de connaitre les biorythmes. Il est également fait étant des expériences menées à l'étranger.

L'ESEN travaille enfin à rapprocher inspecteurs et chefs d'établissement, qui devront ensuite apprendre à travailler ensemble ( intercatégorialité ).

Depuis 2015, deux modules les regroupent ainsi sur les questions d'orientation, de décrochage, de relations avec les parents et les élus. En pratique, leur mise en oeuvre est compliquée par la différence numérique entre les deux groupes (160 et 600). En revanche, les formations principales, pilotage s'agissant des chefs d'établissement et évaluation s'agissant des inspecteurs, demeurent séparées.

Afin de répondre aux demandes en matière de dégradation du climat scolaire, l'ESEN, en collaboration avec Éric Debarbieux, spécialiste de la violence à l'école, a mis en place en partenariat avec la gendarmerie nationale une formation à la prévention et à et la gestion de crise des chefs d'établissement, visant notamment à leur apprendre à reconnaître les signaux faibles préfigurateurs de tensions. Trois sessions d'une semaine (pour 40 personnes chacune) ont déjà eu lieu au centre national d'entrainement des forces de gendarmerie situé à Saint-Astier. Le taux de satisfaction dépasse 90 %. 400 chefs d'encadrement devraient être formés par an.

Une opération de prévention des dérives sectaires et de la radicalisation est également en place avec le ministère de l'intérieur.

L'ESEN assume sa vocation à faire des chefs d'établissements des managers , « ce n'est pas un gros mot », c'est-à-dire à leur apprendre à gérer une organisation en acquérant et valorisant des compétences. Ceci est d'autant plus nécessaire que les professeurs sont recrutés à bac + 5, les parents plus intrusifs, et que le phénomène de l'autonomie des établissements se heurte à certains syndicats. Les chefs d'établissement ne peuvent plus s'appuyer sur le même type d'autorité (cf Max Weber) et de légitimité.

L'autorité ne se décrète pas, elle se conquiert par des actes, grâce à une cohérence personnelle, à la déontologie, au sens de l'éthique, qui se travaillent en formation initiale et continue. Les chefs d'établissement doivent également apprendre à prendre des décisions en cas de silence de la loi ou du règlement dans une « institution suradministrée et sous-encadrée » où le texte fait référence.

La formation à l'ESEN aborde des thèmes comme l'école inclusive, l'égalité femmes/hommes, l'éthique et la déontologie, la lutte contre les discriminations et la radicalisation.

Pour une minorité d'élèves et même de professeurs, « le discours républicain n'a plus d'adhérence » ; ils en viennent à mettre sur le même plan Dieudonné et Charlie. Certains enseignants estiment ainsi que la société n'a pas à opprimer les besoins d'épanouissement individuel et que le voile devrait être autorisé en classe. Il serait donc utile que les ÉSPÉ intègrent les bases de la laïcité et de la philosophie dans leur formation pour donner un socle de valeurs communes.

En revanche, l'idée d'un code de déontologie des métiers de l'enseignement a semblé au directeur une fausse bonne idée . Il s'agirait encore d'une référence textuelle et cela accréditerait a contrario l'idée que les enseignants ne respectent pas les règles, alors même qu'il s'agit d'une infime minorité. Il faut surtout un soutien de la hiérarchie et la confiance de la société.

Concernant le sentiment largement exprimé par les enseignants de ne pas être soutenus par la hiérarchie , le directeur a indiqué avoir mis en avant dans son discours aux nouveaux stagiaires l'importance de dire la vérité plutôt que de la cacher, en rappelant qu'il s'agissait là du principe de loyauté à la base des obligations du fonctionnaire. Il a cependant admis que des craintes liées à la bureaucratie et à la culture administrative pouvaient conduire à mettre des filtres à tous les niveaux afin d'édulcorer les difficultés remontées au niveau des chefs d'établissement, puis du DASEN, puis du recteur, avant que cela arrive jusqu'au ministre. Il a cependant indiqué que la gravité des phénomènes de radicalisation intervenus ces derniers mois conduisait dorénavant les chefs d'établissements à faire remonter les problèmes plus systématiquement afin de ne pas les assumer seuls, répondant en cela aux injonctions pressantes du ministère.

Il a en outre rappelé que si les professeurs recherchaient des « solutions de confort » comme le redoublement ou l'exclusion temporaire, le chef d'établissement devait prendre en compte l'obligation scolaire et préconisait donc plus souvent le rappel à la loi, ce qui pouvait être source d'incompréhension.

Le directeur a enfin souligné l'importance de donner à l'ensemble de la communauté éducative les mêmes repères, grâce au projet d'établissement, afin par exemple qu'un retard fasse l'objet de la même sanction de la part de tous.

La délégation a ensuite rencontré des stagiaires qui ont souhaité :

- plus de cohérence entre les formations dispensées à l'ÉSPÉ et l'ESEN, en soulignant qu'au-delà des intentions affichées la réalité demeurait complexe ;

- que l'ESEN aide à mettre en place les outils concrets pour promouvoir localement les valeurs de la République ;

- favoriser les projets d'établissement, l'interdisciplinarité et l'intercatégorialité (chefs d'établissements, inspecteurs, mais aussi partenaires sociaux) ;

- faire connaître les structures et réalisations existantes afin de les mettre en cohérence (notamment en fournissant des listings d'interlocuteurs) ;

- des mises en situation avec des cas concrets, notamment s'agissant de l'accompagnement dans l'entrée dans le métier des contractuels (qui représentent parfois plus de 30 % dans certaines filières et académies).

Déplacement du rapporteur au collège Georges-Brassens (Paris 19 e )
( Mercredi 20 mai 2015 )

Personnes rencontrées : Mme Dodinet, principale, M. Bonnet, principal adjoint, M. Seksig, IA-IPR 6 ( * ) , M. Blaise, professeur de lettres modernes, Mmes Baudon et Colcanap, conseillères principales d'éducation .

Collège de 600 élèves, seul de sa zone hors éducation prioritaire. Possède une SEGPA (64 élèves) ainsi qu'un dispositif pour élèves surdoués rencontrant des difficultés scolaires (24 places). Le collège réunit des populations très différentes - extrêmement défavorisées et « bobo ». Il en va de même en matière ethnique et religieuse, avec une forte présence musulmane (1/3 des élèves) et juive (1/3 environ). La moitié des élèves sont en classe bilangue.

La minute de silence, organisée dans le réfectoire, s'est bien passée et n'a été perturbée que du fait d'un élève chahuteur, sans revendication. La journée du jeudi 8 janvier a été consacrée à des discussions avec les élèves, au cours desquelles aucun propos répréhensible n'a été tenu. Certains élèves ont en revanche relayé un discours complotiste ou y ont été confrontés.

L'établissement ne connaît pas de tensions liées à des manifestations d'appartenance religieuse. Les entorses à la discipline sont le fait d'un petit nombre d'élèves perturbateurs, souvent en grande difficulté sociale, familiale et scolaire. Certains, qui souhaiteraient se diriger vers la voie professionnelle ou l'apprentissage, en sont empêchés par leur trop jeune âge et le manque de souplesse des dispositifs de préprofessionnalisation (DIMA) pour les élèves âgés de moins de quinze ans 7 ( * ) .

Le mot d'ordre de l'organisation des enseignements est l' adaptation et l'individualisation des parcours, qui est permise par l'utilisation de tous les instruments à disposition des équipes éducatives (aménagement du temps scolaire, projets personnalisés, PPRE, etc.). En appliquant strictement les horaires disciplinaires, la direction peut garder la main sur 100 heures de sa dotation horaire globale (DHG) sur 700, soit 14 % de la DHG totale. Ces 100 heures sont allouées à des projets ou au dédoublement de certaines classes, à l'instar du dédoublement systématique des classes en sciences physiques ou du soutien aux élèves allophones dans le cadre de l'option « français langue seconde ».

Initiative intéressante, un enseignement d'humanités est dispensé auprès de deux classes de sixième et est en voie de généralisation. En sus des heures disciplinaires normales, cet enseignement est organisé conjointement par un professeur d'histoire-géographie et par un professeur de lettres . Il porte sur les grands textes fondateurs (épopée de Gilgamesh, Iliade et Odyssée, Ancien et Nouveau Testament, Eneide et Coran). Dans ce cadre, les élèves effectuent de nombreuses visites dans des musées (Louvre, du judaïsme) ainsi que dans des lieux de culte. Cet enseignement est très apprécié et soutenu par les parents d'élèves. L'encadrement souligne qu'il a également permis de réduire voire de neutraliser les antagonismes culturels et religieux au sein de l'établissement.

L'équipe éducative a insisté sur les points suivants :

- les classes hétérogènes sont jugées profitables pour l'ensemble des élèves, à l'exception notable des élèves de SEGPA, qui présentent des difficultés graves et durables d'apprentissage et qui ne sont pas en mesure de suivre une scolarité ordinaire en collège ;

- le collège unique n'empêche pas les parcours différenciés et les aménagements ;

- en matière de culture humaniste et d'éducation à la citoyenneté, « il ne faut pas avoir peur d'apprendre des choses aux élèves » (prof. de lettres) et ne pas négliger la vertu émancipatrice du savoir. Il convient également de commencer le plus tôt possible, dès la classe de sixième ;

- le maillage associatif est d'une grande aide pour « récupérer » les élèves en difficulté et pour établir le lien avec certaines familles ;

- l'orientation des élèves doit être abordée le plus en amont possible afin d'éviter les déconvenues en 3 e , le collège est aidé en cela par l'association « Rêve d'avenir ».

Déplacement à Montfermeil (93) et Sourdun (77)
( Lundi 1 er juin 2015 )

• Le cours Alexandre Dumas de Montfermeil (93)

Personnes rencontrées : MM. Éric Mestrallet, président de la Fondation Espérance banlieues, Albéric de Serrant, directeur du Cours Alexandre Dumas, Général Vincent Lafontaine, MM. Niels Villemain, professeur d'histoire-géographie et de français, et Pierre-François Chanu, professeur d'histoire-géographie et de mathématiques

• L'internat d'excellence de Sourdun (77)

Personnes rencontrées : Prsonnels de direction - M. Bernard Liciciro, proviseur, Mme Nicloe Delvaux, proviseure-adjointe, Mme Christine Passey, adjointe-gestionnaire - Personnels enseignants : M. Luc Ambart, professeur de mathématiques, Mme Chloé Chouen-Ollier, professeure de lettres modernes, M. Mathieu Ferrari, professeur d'anglais, Mme Charlotte Grimaldi, professeure d'histoire-géographie, Mme Véronique Marchal, professeure d'espagnol, M. Sylvain Pons, professeur d'histoire-géographie, Mme Sandrine Sosinski, professeure d'anglais - Personnels de vie scolaire : M. Florien André, maître d'internat, M. Joël Breton, assistant d'éducation, Mme Adeline Bullot, assistante d'éducation, M. Mohamed Korchi, conseiller principal d'éducation, Mme Aurore Rousseau, assistante d'éducation - Élèves : M. Alexandre Belkebir, M. Antoine Jelliman, M. Tunahan Macit, Mlle Messaline Matingou, Mlle Ananda Mbumba, Mlle Ella Chiara Pancari, Mlle Anaëlle Tchangou

1. Le cours Alexandre Dumas de Montfermeil (93)

Ouvert en 2012, le cours Alexandre Dumas est un établissement privé hors contrat . Il compte actuellement 110 élèves, du CP à la troisième. Les effectifs devraient continuer à progresser dans les années à venir, mais la direction a indiqué ne pas souhaiter dépasser un plafond de 150 élèves. La faiblesse des effectifs a en effet été présentée à plusieurs reprises comme une condition de succès.

Son financement est assuré à hauteur de 15-20 % par les parents d'élèves (le coût de la scolarité s'établit à 75 euros par mois), le reste est pris en charge par la Fondation Espérance banlieues grâce aux dons individuels et au mécénat.

L'établissement a mis en place un certain nombre de rituels, qui rythment la vie de l'établissement tout au long de l'année et qui visent à créer un double sentiment d'appartenance : à l'établissement tout d'abord et à la nation ensuite.

Chaque enfant est accueilli, lors de son inscription, par l'ensemble des élèves, le corps enseignants et la direction. Ses parents participent à la cérémonie. À cette occasion, il lui est demandé de réaffirmer sa volonté d'intégrer l'établissement auprès des autres élèves et de ses parents. Il prête ensuite serment sur l'étendard de l'école et est affecté à une équipe (sizaine), où tous les niveaux sont mélangés. La direction a insisté sur le fait que cet élément avait vocation à renforcer la cohésion au sein de l'équipe et le sentiment d'appartenance à l'établissement.

À l'issue d'une période d'un mois et demi, le directeur remet à l'élève son uniforme devant l'ensemble de sa classe. Ce moment a été présenté par la direction comme un « commencement d'appartenance au pays » ou encore un « éveil à la citoyenneté en vivant son identité d'élève ».

L'uniforme a par ailleurs été imposé dès l'ouverture de l'établissement. S'il était fourni gratuitement au départ, il est cependant apparu que les élèves n'en prenaient pas soin et il a été demandé aux parents d'acquérir « un trousseau » comprenant 6 polos, 2 sweats, une casquette ou un bandana pour un coût de 150 euros. La tenue a été choisie pour être aussi proche que possible des vêtements portés au quotidien par les jeunes. Elle a été présentée comme un « témoignage de l'engagement de l'enfant et des parents ».

Le port de l'uniforme est bien vécu par les élèves qui, d'après les membres de l'équipe pédagogique, sont fiers de le porter, y compris à l'extérieur de l'établissement. La confiscation de l'uniforme constitue d'ailleurs une sanction à part entière.

Les semaines sont organisées autour de plusieurs temps forts. Elles débutent par la levée des couleurs, organisée le lundi matin. S'il s'agissait au départ d'une initiative isolée, mise en place sur la proposition d'un parent d'élève après la mort de Nelson Mandela, il a été décidé de la pérenniser par la suite, à la demande des élèves eux-mêmes, qui avaient apprécié ce moment de solennité. Après avoir écouté, pendant quelques minutes, le directeur prononcer un mot d'accueil, les élèves assistent, main sur le coeur, à la montée du drapeau français.

Les journées débutent à 8 heures en collège (9 heures en primaire) par un échange avec le directeur, durant lequel les élèves sont invités à faire part de l'avancée de leur réflexion sur un thème choisi en début de semaine et censé mobiliser l'ensemble de l'établissement.

Les matinées sont consacrées aux enseignements disciplinaires. Le programme suivi s'inspire de celui de l'éducation nationale. Néanmoins, un effort particulier est fourni dans les matières fondamentales (français, mathématiques et histoire).

Le programme de l'après-midi varie toutes les trois semaines : devoirs sur table, correction des devoirs et préparation aux devoirs. Des activités sportives et culturelles sont également proposées. L'après-midi se conclut par « l'avis » du chef d'établissement, au cours duquel il dresse un bilan de la journée passée.

La direction souhaite en outre mettre en place des études, de 17 heures à 19 heures, au cours de l'année scolaire 2015-2016.

La semaine se clôt par un discours du directeur, au cours duquel il revient sur les temps forts de la semaine passée et les couleurs sont baissées.

Des activités extrascolaires sont également organisées : randonnées chaque vendredi et camp annuel sur un week-end.

Les élèves font l'objet d'un suivi individuel assuré par un corps professoral composé de neuf enseignants (trois enseignants en primaire et six enseignants en collège).

Les enseignants sont recrutés sur la base de quatre critères :

avoir un niveau au moins équivalent à la licence ;

avoir suivi une formation ou justifier d'une expérience dans l'encadrement de jeunes (scoutisme, centres aérés, Fondation d'Auteuil, etc.) ;

faire preuve d'une ouverture culturelle et religieuse ;

être capables de travailler en équipe.

Il est en outre demandé aux enseignants de faire preuve d'une forte polyvalence et d'une grande disponibilité. La dimension éducative de leur métier a été présentée comme un élément essentiel de la pédagogie de l'établissement. Chaque professeur suit ainsi une dizaine d'élèves, quel que soit leur niveau.

Les relations entre les enseignants et les élèves sont empreintes d'une certaine distance qui se veut néanmoins « bienveillante ». Il a ainsi été rappelé que la règle du vouvoiement est particulièrement bien intégrée par les enfants, qui n'hésitent pas à la rappeler aux adultes. En effet, selon les termes employés par un membre de la communauté éducative, cette règle permet « d'éveiller en eux la compréhension qu'ils ont une dignité ».

Sur la question de l'application du principe de laïcité, la direction a indiqué faire preuve de fermeté s'agissant du port de signes religieux, mais ne pas s'interdire un certain pragmatisme . Le cas d'une élève dont le père estimait que le bandana fourni avec l'uniforme ne couvrait pas suffisamment la tête de sa fille a été mentionné. Il a cependant été précisé que cette question avait été résolue en proposant à l'élève de porter un bandeau plus large.

La direction a en outre indiqué à plusieurs reprises que l'enfant devait être accueilli comme un tout et qu'il ne devait « rien laisser à la porte » de l'établissement.

Par ailleurs, si les repas sont pris en commun et avec le corps enseignant, aucun menu n'est proposé par l'établissement . Chaque élève apporte son propre déjeuner.

La transmission des valeurs de la République passe par plusieurs vecteurs. Tout d'abord les rites, qui visent à éveiller chez les élèves un sentiment d'appartenance à une collectivité scolaire et nationale. L'accent est également mis sur les disciplines, en particulier l'histoire, dont le programme est traité de manière détaillée et chronologique.

Des contestations ont cependant pu être relevées. La direction a ainsi rapporté le cas d'un père qui avait critiqué le choix du directeur de citer certains passages des Fourberies de Scapin à la suite des événements de janvier 2015, considérant que sa fille avait été « touchée dans sa pureté » par les mots prononcés par le directeur. À l'issue d'une dialogue tendu mais permanent avec le père, celui-ci a accepté de laisser sa fille poursuivre sa scolarité au sein de l'établissement tout en reconnaissant aux enseignants la liberté du choix des contenus.

Sur les questions de discipline, les personnes rencontrées ont observé que si le taux d'absentéisme est globalement plus faible que dans d'autres établissements comparables, les élèves peuvent rencontrer des difficultés à être ponctuels. Ce phénomène est cependant cyclique. Les retards sont ainsi très importants en début d'année scolaire, ils diminuent par la suite avant de remonter, généralement au retour des vacances scolaires ou en milieu d'année, lorsque les enfants commencent à être fatigués.

Les écarts de comportements, même graves, ne font pas l'objet d'un conseil de discipline. Les sanctions sont envisagées comme un outil éducatif permettant de faire progresser l'élève . Une graduation de la sanction est ainsi prévue, allant de la simple remontrance par l'enseignant, à la convocation des parents par le directeur. À la suite d'une discussion entre le chef d'établissement et les parents, l'élève est convoqué sans avoir été averti de la présence de ses parents. C'est à eux qu'il revient ensuite de déterminer la sanction, qui doit être applicable à l'école, comme au domicile de l'enfant. Une seconde rencontre est organisée quelques temps plus tard afin d'évaluer l'évolution du comportement de l'enfant. Si une amélioration est constatée, l'enfant est félicité et encouragé.

2. L'internat d'excellence de Sourdun (77)

Inauguré en 2009, l'internat d'excellence de Sourdun est le premier établissement de ce type à avoir ouvert en France.

L'établissement accueille en priorité des élèves scolarisés en zone urbaine sensible, originaires des départements de l'académie de Créteil : Val-de-Marne, Seine-et-Marne et Seine-Saint-Denis. Les élèves ne sont pas sélectionnés à partir de leurs résultats scolaires mais en fonction de leur mérite, de leur travail et de leur potentiel.

L'établissement compte environ 500 élèves, contre 120 en 2009. Ce faible nombre d'élèves permet de garantir des effectifs ne dépassant pas une vingtaine d'élèves par classe.

Les élèves sont tenus de porter un uniforme . Si, au départ, il leur était simplement demandé de respecter un code vestimentaire, il est rapidement apparu plus simple d'imposer un uniforme, qui doit être acheté par les familles pour un coût de 200 euros.

L'établissement comprend un collège, un lycée et une classe préparatoire aux grandes écoles.

Établissement d'État, l'internat d'excellence est directement financé par le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et non par les Conseils départementaux et régionaux comme cela est le cas pour les autres collèges et lycées.

Les enseignants doivent être polyvalents et accepter d'être affectés indifféremment en collège ou en lycée. Il peut en outre leur être demandé d'assurer la surveillance des études jusqu'à 22 heures.

Les enseignants sont recrutés sur la base de « postes à profil », c'est-à-dire que le chef d'établissement a la possibilité de recruter ses équipes. Le choix des enseignants est motivé par leur adhésion aux grandes orientations du projet d'établissement. La direction a estimé qu'environ 30 % des enseignants ne partagent pas totalement à la pédagogie développée.

L'établissement compte une cinquantaine d'enseignants, dont un « noyau dur » d'une trentaine d'enseignants. Le « turn-over » est d'environ sept enseignants par an.

Si les résultats scolaires de cet établissement sont encourageants, le taux de réussite au baccalauréat atteignant environ 98 %, la direction a admis ne pas être certaine de la pleine adhésion de l'ensemble des élèves aux valeurs de la République .

À la suite des événements de janvier 2015, des affiches portant le slogan « Je suis Charlie » ont ainsi été arrachées et certains élèves ont tenu des propos virulents, témoignant d'une mauvaise appropriation des valeurs républicaines.

Enseignants

La plupart des enseignants ont indiqué avoir craint la tenue de la minute de silence. Certains d'entre eux ont avoué avoir découvert un visage différent de leurs élèves, des propos qualifiés « d'injustifiables » ayant pu être tenus. Des échanges, parfois « rudes » ont eu lieu aussi bien avec les filles qu'avec les garçons. Certains enseignants ont rappelé que le discours des filles était souvent plus brutal et radical que celui des garçons.

Certains enseignants ont précisé que les réactions ont été différentes selon les niveaux . Les propos tenus par les collégiens étaient souvent plus virulents que ceux des lycéens.

L'équipe enseignante a estimé qu'une préparation aurait été nécessaire. En effet, si des propos visant à contester de manière virulente la légitimité de la minute de silence ont pu être tenus le jour même, les échanges qui ont eu lieu par la suite ont permis de modérer les discours.

Certains enseignants ont fait part d'une forme de « prosélytisme perlé », dont ils ne sont cependant pas les témoins directs. Ils ont ainsi cité la présence de tapis de prière dans les chambres de quelques élèves ou encore le refus de consommer certains aliments. Les chambres sont considérées par les élèves comme des espaces privés et ils ne comprennent pas toujours que le principe de laïcité s'y applique aussi.

D'une manière générale, la notion de laïcité est connue et acceptée par l'ensemble des élèves, mais ils peuvent avoir des difficultés à comprendre comment celle-ci doit s'appliquer concrètement.

Les enseignants d'histoire-géographie ont observé que le contenu des programmes sont ainsi faits que les élèves n'ont aucune idée de l'origine du principe de laïcité. L'histoire des guerres de religion et l'évolution des rapports entre l'Église et l'État en France sont ainsi absentes des programmes actuels. Or, la volonté de présenter les évènements de manière positive , même si la réalité a été beaucoup plus violente, peut être contreproductive. Certains enseignants ont estimé qu'il serait souhaitable d'être plus « combattif » et de ne plus céder à l'habitude prise de « marcher sur des oeufs » ou d'avoir recours à la « stratégie de l'évitement » afin d'éviter de « créer des histoires ».

Certains enseignants ont estimé que les exigences vis-à-vis des élèves étaient en constante diminution. Il est par exemple demandé aux professeurs de noter leurs élèves sur 24 et plus sur 20, relevant ainsi artificiellement leur moyenne sans qu'il y ait de lien avec leur niveau réel. L'éducation nationale a tendance à niveler par le bas : « les élèves ne savent plus calculer, on leur autorise l'utilisation de la calculatrice, ils ne savent plus utiliser une calculatrice, on supprime le calcul ». Les enseignants ont globalement considéré que l'on ne demandait pas suffisamment d'efforts aux élèves.

Selon eux, l'objectif de permettre à l'ensemble d'une classe d'âge d'avoir accès au baccalauréat a été quasiment atteint. La difficulté se concentre désormais, en réalité, sur le post-baccalauréat . Les enseignants ont ainsi fait remarquer que la première année dans le supérieur est difficile pour les élèves issus de l'internat, qui faisaient l'objet d'un suivi quasi individuel.

Les enseignants ont rappelé que l'intérêt de ce type de structures est de réconcilier certains élèves avec le savoir, l'école et la République. Les établissements comme l'internat de Sourdun permettent de sortir les élèves de leur environnement, de leur montrer qu'ils peuvent réussir et de leur transmettre les « codes », dont la méconnaissance peut s'avérer extrêmement discriminante.

Ils ont en outre fait remarquer que la classe préparatoire aux grandes écoles mise en place au sein de l'établissement obtenait de bons résultats, en raison notamment du soutien apporté et que les autres élèves établissements peuvent obtenir via un réseau. Les enseignants ont souligné l'utilité des partenariats développés avec d'autres établissements tels que le lycée Janson de Sailly ou l'université Paris Dauphine, ou dans le cadre des « cordées de la réussite » et des conventions ZEP avec Sciences Po.

D'une manière générale, les enseignants rencontrés ont regretté la « propension de la société à rendre l'école responsable de tout » ainsi que le « double langage » tenu par les médias à la fois victimaire et exclusif.

Personnels de vie scolaire

Selon les personnels de vie scolaire, l'établissement ne rencontre pas de problème grave de discipline. Cela est notamment dû à un encadrement suffisamment nombreux (22 surveillants et 4 conseillers principaux d'éducation).

L'uniforme a été présenté comme jouant un rôle essentiel en permettant d'atténuer les différences sociales.

Les personnels rencontrés estiment que les élèves travaillent beaucoup et se consacrent pleinement à leur scolarité.

Si les élèves sont globalement disciplinés, les assistants d'éducation ont remarqué qu'il pouvait être nécessaire de rappeler certaines règles, y compris de base, en particulier en début d'année scolaire ou au retour des vacances.

L'établissement n'est pas confronté au communautarisme , les élèves se mélangent quels que soient leur confession, leur origine ou leur quartier. Les élèves parlent français entre eux.

S'agissant des sanctions, l'internat d'excellence de Sourdun a développé les « travaux d'intérêt général » visant à sanctionner l'élève en lui imposant de prendre part à une activité utile à l'ensemble de la collectivité scolaire (ramassage des papiers dans la cour de récréation, rangement des ouvrages du centre de documentation et d'information, etc.). Les parents sont informés de chaque sanction prise.

Élèves

Les élèves ont eu connaissance de l'existence de l'établissement par un membre de leur famille (oncle, parent, frère ou soeur), un enseignant ou plus généralement, un membre de la communauté éducative de son établissement d'origine.

Les élèves ont indiqué apprécier l'environnement de travail de l'internat ainsi que les activités périscolaires proposées qui leur permettent d'avoir accès au sport et à la culture.

Le niveau élevé d'exigence et la disponibilité des enseignants ont également été présentés comme des facteurs de succès.

Les élèves rencontrés ont des projets professionnels précis et ambitieux qu'ils espèrent pouvoir réaliser grâce à l'internat.

L'internat favorise une certaine mixité ethnique et religieuse et les effectifs réduits « obligent à connaître l'autre ».


* 6 Entendu par la commission d'enquête le 28 mai en qualité de vice-président du Comité laïcité République.

* 7 La quasi-suppression du redoublement tend à accentuer ce problème, puisque de plus en plus d'élèves en grande difficulté arrivent à un jeune âge dans les dernières années du collège.

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