Rapport d'information n° 611 (2014-2015) de Mme Catherine MORIN-DESAILLY , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 9 juillet 2015

Disponible au format PDF (663 Koctets)


N° 611

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juillet 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la réforme du collège ,

Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY,

Sénatrice.

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; MM. Jean-Claude Carle, David Assouline, Mmes Corinne Bouchoux, Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Claudine Lepage, M. Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot , vice-présidents ; Mmes Françoise Férat, Dominique Gillot, M. Jacques Grosperrin, Mme Sylvie Robert, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Patrick Abate, Pascal Allizard, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Mmes Marie-Christine Blandin, Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Gilbert Bouchet, Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, MM. Joseph Castelli, François Commeinhes, René Danesi, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Mme Nicole Duranton, MM. Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Gaudin, Mme Samia Ghali, M. Loïc Hervé, Mmes Christiane Hummel, Mireille Jouve, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Pierre Leleux, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Jean-Claude Luche, Christian Manable, Mmes Danielle Michel, Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Jean-Jacques Panunzi, Daniel Percheron, Mme Christine Prunaud, MM. Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Abdourahamane Soilihi, Alain Vasselle, Hilarion Vendegou .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Présentée le 11 mars 2015 en Conseil des ministres, la réforme du collège a reçu un avis favorable du Conseil supérieur de l'éducation ainsi que du Conseil national de l'enseignement agricole et a été mise en oeuvre par un décret et un arrêté publiés le 20 mai 2015.

Elle s'inscrit dans la démarche engagée par la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, dont le rapport annexé prévoit de « repenser le collège unique », notamment par la « différenciation des approches pédagogiques et (...) des actions de soutien pour les élèves qui éprouvent des difficultés » ainsi qu'une « marge de manoeuvre dans la gestion de leur dotation » au profit des établissements.

Cette réforme est inséparable de la refonte des programmes de la scolarité obligatoire, réalisée sous l'égide du Conseil supérieur des programmes. Adoptés le 9 avril 2015, ces projets de programmes pour l'école élémentaire et du collège ont fait l'objet d'une consultation auprès des enseignants et du grand public.

Qu'ils soient parents, enseignants, formateurs, intellectuels ou simples observateurs de la politique éducative, les Français se sont sentis concernés par cette réforme.

Dans le cadre de sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, comme elle s'était fortement impliquée dans la discussion de la loi du 8 juillet 2013, a souhaité éclairer ce débat en entendant les principales parties.

Au cours de trois tables rondes successives, elle a invité les syndicats représentant les enseignants du second degré, les fédérations d'associations de parents d'élèves ainsi que les syndicats représentant les personnels d'inspection et de direction à venir exprimer et confronter leurs positions sur cette réforme.

Par la suite, la commission a reçu la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui a ainsi pu répondre aux interrogations suscitées par les réformes.

Enfin, M. Pierre Nora, historien et membre de l'Académie française, a été invité à s'exprimer sur la réforme des programmes, notamment ceux d'histoire, ainsi que sur la philosophie générale de la réforme.

Par la tenue de ces auditions, qui participe de l'exercice de ses prérogatives de contrôle et d'information, la commission a souhaité créer les conditions d'un véritable débat sur ces réformes qui engagent l'avenir de notre pays.

Retracés au sein de ce rapport d'information, ces travaux rendent également compte de l'importance qu'attache la commission à ce que l'école de la République soit en mesure de tenir ses promesses envers tous les élèves.

MERCREDI 27 MAI 2015

TABLE RONDE AVEC LES REPRÉSENTANTS DES SYNDICATS D'ENSEIGNANTS

La commission organise une table ronde sur la réforme du collège avec les représentants des syndicats d'enseignants. Sont entendus :

Mme Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants (SE-UNSA) ;

Mmes Ophélie Sauger et Cécile Kholer, représentant le Syndicat national Force ouvrière lycées collèges (SNFOLC) ;

M. Frédéric Sève, secrétaire général du Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN-CFDT) ;

Mme Frédérique Rolet, co-secrétaire générale du Syndicat national des enseignements du second degré (SNES-FSU) ;

MM. François Portzer, président, et Jean-Rémi Girard, vice-président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC) ;

M. Michaël Marcilloux, secrétaire national de l'Union nationale des syndicats Confédération générale du travail de l'éducation nationale (UNSEN CGT Educ'Action).

A. INTERVENTIONS

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Nous accueillons ce matin les représentants des principales organisations syndicales des enseignants de l'éducation nationale.

Dans le cadre de ses missions de contrôle et d'information, notre commission a choisi de se pencher sur la réforme du collège, qui est au coeur de l'actualité et est mise en oeuvre par un décret et un arrêté publiés la semaine dernière - au lendemain d'un mouvement de grève des enseignants du second degré.

Cette réforme s'appuie sur un constat que nous partageons tous : le collège actuel ne parvient pas à garantir à tous l'acquisition des savoirs fondamentaux, pas plus qu'il ne corrige les conséquences liées à l'origine sociale des élèves.

Pourtant, la réforme annoncée par la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, est loin de faire consensus. Ses principales dispositions sont fortement contestées, à l'instar de la réduction de 20 % des horaires d'enseignement disciplinaires - et la fin des options de langues anciennes - au profit d'enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), ou de la suppression des classes bilangues et des sections européennes. D'autres questions, notamment celles relatives à l'orientation des élèves, demeurent en suspens.

Cette réforme s'accompagne d'une refonte des programmes de l'enseignement primaire comme du collège. Une consultation est engagée sur le fondement des projets de programmes élaborés par le Conseil supérieur des programmes (CSP), instance indépendante placée auprès du ministre, dont sont membres nos collègues Marie-Christine Blandin et Jacques-Bernard Magner et - jusqu'il y a peu - Jacques Grosperrin.

Dès lors, nous comptons sur vous pour éclairer les réflexions et les travaux de notre commission. Nous souhaiterions connaître vos positions sur la philosophie et les dispositions de cette réforme. Cela nous sera très utile en prévision de l'audition de la ministre, qui aura lieu la semaine prochaine.

Mme Frédérique Rolet, co-secrétaire générale du Syndicat national des enseignements du second degré (SNES-FSU)

Nous pensions qu'une réforme du collège était nécessaire, le Gouvernement ayant déjà engagé la réforme du primaire. La loi de refondation de l'école rappelait les difficultés rencontrées par 25 % des élèves à l'entrée au collège ainsi que la nécessité de commencer par le premier degré.

Depuis la loi Haby et la création du collège unique, on s'est contenté de mettre les élèves dans le même lieu pour que tous accèdent à une culture scolaire parfois très éloignée de leur culture familiale. Or les parcours demeurent fortement corrélés avec l'origine sociale des élèves. La réforme était donc nécessaire.

Encore fallait-il partir du bon diagnostic. Quels sont les problèmes du collège ? Les taux d'encadrement se sont effondrés entre 1999 et 2010. Ensuite, il est difficile de différencier les situations d'apprentissage, du fait du peu de moyens disponibles pour constituer des petits groupes et ainsi mieux prendre en compte les élèves en difficulté.

La loi de refondation prévoyait que les collèges puissent disposer d'une marge de manoeuvre dans la gestion de leur dotation horaire globale et que des projets puissent permettre une plus grande transversalité - dans le cadre d'expérimentations et sur la base du volontariat.

Or, qu'a-t-on vu ? Les négociations ont été bâclées. Nous sommes confrontés à la volonté d'imposer une autonomie qui n'est pas celle des équipes mais celle des chefs d'établissement. Ces derniers devront faire des choix qui mettront en concurrence à la fois les disciplines et les enseignants, et qui nécessiteront des arbitrages pour mettre en place des projets ou de l'accompagnement. Certains dédoublements, autrefois fléchés, notamment en sciences ou en technologie, ne seront plus obligatoires. Ces 20 % d'autonomie vont donc accentuer la diversité des politiques d'établissements.

Je rappelle que ce ne sont pas les disciplines ou les dispositifs, à l'instar des classes bilangues, qui sont à l'origine des inégalités, mais les usages sociaux qui en sont faits. Il aurait mieux valu réfléchir à une carte des langues vivantes et d'implantation des options, notamment en éducation prioritaire, plutôt que de supprimer ces dispositifs. On va recréer ainsi de nouveaux parcours socialement différenciés et donc des inégalités. De plus, l'interdisciplinarité, qui au demeurant peut être un outil intéressant, est difficile à appréhender pour les élèves les plus éloignés de la culture scolaire. Des travaux interdisciplinaires fructueux exigent du temps pour la concertation et la co-intervention et doivent porter sur des notions attachées aux programmes.

En conclusion, cette réforme se contente d'ânonner certains termes - « autonomie », « interdisciplinarité » - sans réfléchir aux conditions d'application et sans considération pour les demandes des enseignants du second degré. Qu'apportera-t-elle aux élèves en difficulté ? Rien. Mais elle risque de mettre en concurrence les établissements et les disciplines, ainsi que d'instaurer un climat peu propice au travail en équipe. Cette réforme est donc une occasion manquée d'aider les élèves les plus en difficulté.

Mme Cécile Kohler, représentant le Syndicat national Force ouvrière lycées collèges (SNFOLC)

Notre syndicat demande l'abrogation de la réforme du collège, comme il l'a exprimé dans le communiqué de l'intersyndicale qui représente 80 % des enseignants du second degré. Cette réforme se présente comme un remède à l'inégalité et au niveau insuffisant des élèves dans l'acquisition des savoirs fondamentaux. Peut-on croire que l'autonomie des établissements dans la définition de 20 % de leur dotation horaire globale serait compatible avec l'égalité ? Cette autonomie mènera inévitablement à une concurrence entre les 5 000 collèges de France, qui proposeront autant de contenus différents.

Par ailleurs, l'organisation des EPI sur une partie des horaires disciplinaires pose problème. Cela signifie moins d'orthographe, moins de grammaire, ce qui n'aidera pas les élèves les plus en difficulté. Cela reviendrait à la perte d'environ 400 heures de cours sur l'ensemble de la scolarité au collège, soit près d'une demi-année d'enseignement. La définition des programmes sur la base des cycles pose également le problème de la progressivité de l'apprentissage et de l'évaluation des élèves. Et cela, alors que les effectifs par classe ne cessent d'augmenter depuis des années. Certaines classes de sixième comptent 30 élèves, voire plus.

Peut-on penser qu'en supprimant l'enseignement du latin et du grec ainsi que les classes bilangues on améliorera le niveau des élèves ? C'est un contresens d'imaginer que ces dispositifs sont réservés aux privilégiés, puisqu'ils existent dans les établissements de l'éducation prioritaire. La suppression des classes bilangues menace mille deux cents postes.

Cette réforme nous apparaît davantage comme un moyen de faire des économies ; il s'agit d'apprendre moins pour dépenser moins. Nous demandons, afin d'améliorer les apprentissages, un allègement des effectifs par classe. Après la réforme des rythmes scolaires toujours contestée, cette réforme s'inscrit dans la continuité de la refondation de l'école et de la réforme territoriale. Nous n'en voulons pas. Les collègues n'en veulent pas ; ils étaient majoritairement en grève le 19 mai. Dès lors, la publication du décret et de l'arrêté d'application le lendemain a suscité une forte indignation.

M. Frédéric Sève, secrétaire général du Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN CFDT)

Tout le monde s'accorde sur l'urgence qu'il y a à réformer le collège, qualifié par un précédent ministre de l'éducation nationale de « maillon souffrant » du système éducatif. Souffrance pour les élèves, en effet, puisque c'est le lieu où se concrétisent les difficultés et le décrochage. Souffrance également pour les personnels, qui sont confrontés au quotidien aux dysfonctionnements du collège dont la société s'est accommodée. Il y avait urgence du fait du développement des stratégies familiales de contournement et d'évitement ; les familles allaient chercher la réussite par elles-mêmes. Le collège unique se défaisait progressivement et presque irrémédiablement.

Il y avait également une opportunité : la réforme du collège s'accompagne de la redéfinition du socle commun, des programmes et de l'évaluation. Cela peut lui donner une cohérence globale et constitue une chance supplémentaire de réussir une réforme de cette ampleur. De plus, tout le monde s'accorde sur son objectif : réduire les inégalités et favoriser la réussite de tous les élèves, ce qui limitera les stratégies d'évitement.

S'agissant des modalités de la réforme, le SGEN a pesé pour que cessent les réformes injonctives, mais soutient celles qui s'inspirent de ce que les collègues font sur le terrain. Quand l'État et la société fermaient les yeux sur ce qui se passait au collège, des enseignants ont innové, inventé et pris des initiatives. Les personnes les plus à même de choisir ce qui est bon pour les élèves sont les collègues au contact de la réalité des populations et des territoires. Nous avons pesé pour que la réforme accorde le maximum de liberté pédagogique nouvelle aux équipes éducatives, afin de leur permettre de remplir leur mission et de prendre en compte les difficultés particulières de leurs élèves.

Le point clé de la réforme est l'autonomie qu'elle accorde aux équipes dans la détermination du contenu et de l'organisation des enseignements. De ce point de vue, cette réforme va dans le bon sens.

Toutefois, un décret et un arrêté ne constituent pas une réforme. Cette réforme se fera sur le terrain ; elle est encore devant nous et il y a beaucoup à faire. Puisque l'on glisse d'un modèle injonctif à un modèle où les établissements sont plus autonomes, il va falloir donner les moyens de cette autonomie. Il nous faut distinguer deux temps. Tout d'abord, la préparation de la rentrée 2016, à l'occasion de laquelle il s'agit d'inventer de nouvelles manières de travailler. Pour ce faire, il faudra accorder du temps aux équipes au cours de l'année 2015-2016. Des ressources en ingénierie seront nécessaires pour aider les équipes à faire leurs choix, l'objectif étant bien d'être à leurs côtés pour les épauler dans la prise de décision.

Des changements, ensuite, doivent être faits à plus long terme, en particulier sur le fonctionnement des instances de direction des collèges, créées pour un pilotage descendant et hiérarchique et qu'il faut adapter à la nouvelle donne, plus autonome, avec plus de collégialité et de transparence. Il faudra également des moyens spécifiques pour préparer cette transition, en particulier des indemnités pour mission particulière qui, c'est le principe, peuvent être versées en numéraire ou sous forme de décharges.

Mme Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants (SE UNSA)

Malgré l'engagement quotidien des personnels, sur le terrain, le collège n'est ni juste, ni efficace, et c'est une source de souffrance pour les professionnels comme pour les élèves en échec. L'échec scolaire est massif au collège et les écarts se creusent entre les élèves pendant les quatre années du cursus ; les comparaisons internationales montrent même que nos élèves les plus faibles ont de plus mauvais résultats que les élèves les plus faibles des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous faisons moins bien, pour ces élèves, qu'un pays comme le Mexique, par exemple. Les études internationales montrent encore que, là où il y a des progrès, c'est d'abord parce que le niveau des élèves les plus faibles a progressé : le progrès des plus faibles est un levier pour tous les élèves. Rien ne sert d'opposer la réussite des plus faibles à celle des meilleurs, ni de parler, comme le font trop souvent les médias, d'un « nivellement par le bas » : la réalité, c'est que mieux les plus faibles réussissent, plus loin vont les meilleurs.

Aujourd'hui, notre système opère une discrimination en faveur des meilleurs élèves. Ce sont eux qui bénéficient du plus grand nombre d'heures de classe et des dispositifs les plus performants pour l'acquisition des compétences ; il faut donc restructurer le collège pour se donner effectivement les moyens de faire réussir tous les élèves.

Le dialogue social a eu lieu, amplement, d'abord dans le cadre de la loi pour la refondation de l'école puis pendant une année entière. Nous avons été réunis quatre ou cinq fois, en particulier pour travailler sur l'évolution du collège, puis nous avons négocié la grille horaire.

Pour l'UNSA, l'une des clés de la lutte contre les discriminations est ce que nous appelons la « marge heure professeur », que cette réforme multiplie par six, ce qui est considérable. Dans un collège « moyen », de seize classes, au lieu de disposer comme aujourd'hui de huit heures, 48 heures seront disponibles pour travailler en effectifs réduits, pour observer et travailler sur les difficultés d'apprentissage avec les élèves, pour faire de la co-animation. Cela, tous les enseignants le demandent. Cette réforme vient directement des expériences réussies sur le terrain, c'est une évolution, pas une révolution ; elle est modeste, parce qu'elle s'ajuste aux possibilités et aux avancées de la réflexion dans les équipes.

On a beaucoup glosé sur les EPI, comme s'ils « volaient » des heures aux disciplines. Mais les EPI ne représentent que six à neuf heures, sur 104 heures de cours, on ne peut ainsi pas parler d'une mise en péril des enseignements disciplinaires. De plus, leur contenu correspondra aux programmes et ils permettront un accompagnement personnalisé, des pédagogies diversifiées, un travail par groupe : autant de manières de travailler qui existent déjà au lycée - et qui ont été instituées par une autre majorité politique que celle d'aujourd'hui. Enfin, les EPI sont en continuité des itinéraires de découverte (IDD)...

Cette réforme est fondée sur l'autonomie, qui n'est pas synonyme de liberté ou de « grand n'importe quoi », mais de responsabilité et de confiance faites aux équipes pour construire localement des réponses aux besoins des élèves, pour redonner du pouvoir d'agir aux enseignants, conforter leur fierté de faire leur métier et leur permettre de « s'éclater » pédagogiquement, au service de la réussite des élèves.

La réussite de la réforme, bien sûr, tiendra à l'accompagnement de sa mise en oeuvre, en particulier par la formation initiale et la formation continue, lesquelles ont été mises à mal par la majorité précédente.

Une autre priorité indispensable, c'est la réussite à l'école primaire.

Notre chance, c'est que cette réforme est systémique. Elle concerne également la formation, les programmes, l'évaluation et nous espérons qu'elle portera aussi sur le diplôme national du brevet.

Il y a urgence pour le collège, pour le système éducatif public. Il est temps de sortir des polémiques sans fondement, pour porter tous ensemble ce nouveau collège !

M. Jean-Claude Gaudin

Est-ce bien ce que vous faites ?

Mme Claire Krepper

Nous partageons tous les principes de cette réforme, il est très important que nous la réussissions, pour garantir le vivre ensemble dans notre République !

M. Philippe Nachbar

Jargon !

Mme Claire Krepper

Elle est aussi indispensable à la réussite économique de notre pays. Les enjeux dépassent le système éducatif, il faut que les collectivités locales prennent leurs responsabilités avec les services de l'État pour développer la mixité scolaire et sociale dans tous les établissements !

M. Jean-Claude Gaudin

Elles le font !

M. François Portzer, président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC)

Nous sommes tout à fait conscients des manquements du collège, un quart des élèves y est en échec scolaire. Nos propositions pour un « collège modulaire », expérimentées en particulier au collège Élisabeth et Robert Badinter de la Couronne, près d'Angoulême, montrent que nous ne sommes en rien les tenants de l'immobilisme, que nous sommes favorables à la pédagogie en petits groupes, à l'innovation.

Mais cette réforme n'est pas la bonne et c'est pourquoi nous en demandons l'abrogation, ainsi que l'ouverture de véritables négociations. Elle nous a été imposée, sans concertation ou presque, puisque seules trois réunions ont été organisées en quelques semaines ; nous sommes sortis de la dernière lorsque nous avons constaté qu'on nous y demandait d'apposer notre signature à une réforme déjà ficelée, sans qu'aucune réflexion de fond n'ait été entreprise. Le fait que le Gouvernement ait publié le décret le 19 mai, au soir d'une journée de manifestation nationale et de grève contre cette réforme, montre combien il s'agit d'un déni de démocratie ! Pour réformer, il faut commencer par écouter l'opinion et par consulter les organisations syndicales qui représentent les enseignants au collège.

Que reprochons-nous à cette réforme ? D'abord, qu'elle diminue les horaires disciplinaires, alors que les élèves ont besoin de plus d'heures de cours pour réussir. On nous « vend » l'interdisciplinarité comme la solution miracle, alors même que les IDD ont été un échec au lycée ! L'interdisciplinarité est une bonne chose, mais à condition qu'elle soit volontaire et qu'elle n'ampute pas les heures d'enseignement disciplinaire. Même chose pour l'enseignement des disciplines artistiques et des sciences : la confusion règne, on mélange la physique, les sciences de la vie et de la terre (SVT), la technologie. On supprime également un véritable enseignement du latin et du grec, - qui ne se limite pas à passer une vidéo sur la guerre de Troie... -, en faisant croire que ces enseignements sont élitistes, alors qu'ils concernent 20 % des élèves et que leur apprentissage s'accroît en Seine-Saint-Denis ! Cette réforme supprime des dispositifs qui fonctionnent, comme les classes européennes, les classes bilangues ou l'enseignement des langues régionales, avec le risque de mécontenter les familles et au grand bénéfice de l'enseignement privé.

L'autonomie serait-elle la solution ? Cette réforme fait progresser l'autonomie des chefs d'établissement, pas celle des établissements eux-mêmes, avec un risque d'inégalité croissante entre établissements. Alors que le vrai problème est qu'un quart des élèves sont en difficulté au collège, rien n'est fait pour les aider, pour leur permettre d'acquérir les savoirs fondamentaux, par des méthodes adaptées et en petits groupes.

Cette réforme est dangereuse, aussi, parce qu'elle sera suivie par celle de l'évaluation et des programmes, parce qu'elle répète les erreurs catastrophiques de la réforme du lycée ! Notre association, depuis 1905, se bat pour l'école de la République, celle d'un enseignement de qualité pour tous, et nous récusons le modèle universel qui est suivi aujourd'hui, où l'école publique, de mauvaise qualité, est faite pour les pauvres, alors que l'enseignement de qualité est réservé à l'élite de l'argent, comme cela se pratique dans un grand nombre de pays. Contrairement à ce qu'a dit la ministre, cette réforme ne va pas vers plus d'égalité, mais elle détruira davantage encore l'école de la République : notre association ne laissera pas cette gabegie se poursuivre !

M. Michaël Marcilloux, secrétaire national de l'Union nationale des syndicats Confédération générale du travail de l'éducation nationale (UNSEN CGT Educ'Action)

Nous n'avons eu que trois réunions de travail avec le ministère sur ce projet de réforme qui était ficelé d'avance. Le principal problème pour nous concerne l'autonomie qui est donnée aux chefs d'établissement et non aux équipes éducatives. Par ailleurs, si l'on considère que le dédoublement des classes constitue une bonne chose, il faut le prévoir pour tous les établissements et non le rendre possible en fonction des choix que fera chaque établissement, compte tenu de leur niveau de dotation. Il faut partir des projets des équipes éducatives, ce qui nécessite une marge de manoeuvre supérieure en termes de moyens.

Nous ne sommes pas opposés à l'interdisciplinarité mais avec des moyens et une concertation et sans flécher au préalable les enseignements qui feront l'objet de cette interdisciplinarité. En l'espèce, les établissements et les disciplines sont mis en concurrence et on fait reposer la pénurie de moyens sur les personnels. Il n'existe pas de solution clé en main. Le nombre d'élèves par classe est toujours élevé au collège et on ne peut pas développer un accompagnement personnalisé avec des classes de 26 élèves ou plus.

B. DÉBAT

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire

La plupart d'entre nous jugeait nécessaire d'entreprendre une réforme du collège, car, comme le remarquait le représentant de l'UNSA, le collège aujourd'hui n'est ni juste, ni efficace.

Si, à l'issue de la scolarité au collège, 20 % environ des élèves ne maîtrisent pas les compétences de base en français - et 20 % d'élèves ont une maîtrise insuffisante des mathématiques - il ne faut pas oublier qu'une proportion comparable, voire supérieure, d'élèves présentent des lacunes graves dans les apprentissages fondamentaux à leur entrée au collège.

Plutôt que d'uniformiser par le bas les apprentissages au collège, notamment en détruisant les filières d'excellence, en supprimant les options de langues anciennes ou en imposant une seconde langue vivante dès la classe de 5 e - dont l'inefficacité a été prouvée à l'occasion de son expérimentation -, ne faudrait-il pas plutôt concentrer les efforts sur l'école élémentaire, afin que tous les élèves, à l'issue de celle-ci, maîtrisent pleinement les savoirs fondamentaux ?

Comme le disait Charles Péguy, « lire, écrire, compter, c'est la base de tout ». Je crains que sans cet effort nécessaire, toutes les réformes du collège restent vaines.

Je suis, par ailleurs, particulièrement préoccupé par un des grands principes de cette réforme : réduire les temps d'enseignements disciplinaires au profit de l'accompagnement personnalisé et des enseignements pratiques interdisciplinaires. Ne faudrait-il pas plutôt consacrer davantage de temps aux apprentissages fondamentaux, et notamment au français, dont le volume horaire est en diminution constante depuis quarante ans ?

Quelle est, enfin, la pertinence d'introduire les EPI au collège ? Ces derniers rappellent furieusement les IDD au collège ou les TPE au lycée, qui n'ont pas connu un franc succès...

En matière d'orientation, la réforme prévoit la suppression des options de découverte professionnelle, au profit du parcours individuel d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP). Ce parcours ne bénéficie d'aucune dotation horaire spécifique et devra donc être organisé sur du temps disciplinaire. L'avenir des classes de troisième « prépa-pro » paraît également compromis. Tout semble fait pour éloigner davantage les élèves de la voie professionnelle.

Quel regard portez-vous sur les nouveaux projets de programmes ?

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole

Certaines dispositions introduites par le décret et l'arrêté sont déjà mises en oeuvre dans l'enseignement agricole, à l'instar de l'accompagnement personnalisé ou de l'autonomie pédagogique. Cependant, cette autonomie pédagogique s'y accompagne d'une vraie autonomie de gestion, au service d'un véritable projet. Ne pourrait-on pas s'en inspirer davantage ?

Par ailleurs, l'orientation demeure le grand absent de cette réforme. L'article 6 de l'arrêté y fait allusion en prévoyant que les EPI contribuent à la mise en oeuvre du PIIODMEP. Si ce n'est un projet de référentiel publié par le CSP il y a six mois, rien n'est prévu pour sa mise en oeuvre - et surtout, aucun horaire spécifique !

Faudra-t-il donc ponctionner les disciplines pour organiser ce parcours ?

M. Jean-Rémi Girard, vice-président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC)

L'option de découverte professionnelle qui bénéficiait d'un créneau de trois heures (DP 3) a été supprimée, ce qui constitue une régression. Ceci, d'autant plus que le PIIODMEP sera mis en place sur les quotas d'heures disciplinaires et non en supplément. Par ailleurs, l'accompagnement personnalisé fonctionnera comme les EPI sur les heures disciplinaires. Au final, un élève en difficulté qui bénéficiait jusqu'alors de six heures de français se retrouvera avec seulement quatre heures et demie de cette discipline à l'issue de la réforme.

Mme Claire Krepper

Effectivement, les options de découverte professionnelle disparaissent. Dans les faits, elles étaient réservées aux élèves dont on pensait qu'une orientation professionnelle précoce leur serait profitable. Il s'agissait d'un choix négatif. Il faut que tous les élèves puissent en profiter, ce qui amène à prévoir dans les programmes, de mettre en avant les aspects des disciplines permettant de découvrir leur dimension professionnelle. Les EPI pourront aussi être l'occasion d'approcher cette dimension professionnelle. Les classes de troisième « prépa-pro » sont maintenues pour les élèves qui ont un projet.

Mme Ophélie Sauger, représentant le Syndicat national Force ouvrière lycées collèges (SNFOLC)

Il existe des conseillers d'orientation-psychologue (COP), dont les effectifs ont baissé cette année. Les projets du Gouvernement ne prévoient pas de revenir sur ces baisses d'effectif.

Mme Frédérique Rolet

Il faut réfléchir à porter la scolarité obligatoire à dix-huit ans. Les jeunes entrent au collège à onze ans et en sortent à quinze ans ; à seize ans, ils sont au lycée. Les élèves ont besoin d'être aidés, d'autant que ce sont les élèves des classes populaires qui sont concernés par l'orientation. Si on ajoute les projets d'éducation artistique et culturelle (PEAC) à ces modules d'orientation, on multiplie en réalité les parcours qui ne font pas l'objet d'horaires identifiés.

M. Jean-Rémi Girard

Nous sommes éminemment favorables au renforcement de l'enseignement des fondamentaux à l'école primaire. Au-delà de la traditionnelle bataille de chiffres - de 20 % à 40 % selon le Haut conseil à l'éducation - il est certain que de trop nombreux élèves présentent des difficultés lors de leur entrée en 6 e , difficultés que le collège n'arrive aujourd'hui pas à résorber. Dès lors, l'objectif doit être de limiter le nombre d'élèves en difficulté à l'entrée en 6 e . Pourtant aucune réforme de fond de l'école primaire n'y a réussi. Au contraire, les réformes successives ont eu tendance à ajouter des enseignements supplémentaires dans un cadre horaire qui n'a cessé de se réduire. Par ailleurs, les questions de formation des enseignants dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), puis les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), notamment s'agissant des méthodes d'apprentissage de la lecture, de la grammaire et du calcul, demeurent taboues au sein de l'éducation nationale. On ne peut pourtant continuer à accepter que des élèves de 6 e ne sachent pas lire un texte ! Sans prise en compte de cette réalité, toute réforme du collège sera inutile.

M. Frédéric Sève

Une école primaire efficace nécessite une réforme du collège. La France est l'un des pays qui consacre le plus d'heures à l'apprentissage des fondamentaux au cours de la scolarité. Ce n'est donc pas l'insuffisance de ces enseignements qui explique les différences de niveaux constatées avec les autres pays. À mon sens, il n'existe pas de disciplines plus fondamentales que d'autres.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Il existe, en revanche, des compétences fondamentales.

M. Frédéric Sève

Certes, mais une compétence peut se travailler dans différentes matières. Le socle commun de 2005 comme celui de 2014 ne prévoient pas autre chose.

M. Jacques-Bernard Magner

Je constate qu'il existe de nombreux points d'accord entre les intervenants. Tous sont, comme nous, préoccupés par la situation des 150 000 jeunes qui quittent chaque année le système scolaire sans diplôme. Ce constat nécessite en lui-même une réforme du collège, dont nous avons déjà débattu lors de la discussion de la loi pour la refondation de l'école de la République, même si l'école primaire était au coeur de ce texte. Le décret dont vous contestez la légitimité était prévu par cette loi, notamment pour ce qui concerne le rôle du Conseil supérieur des programmes (CSP). Cela étant, si l'on nie la nécessité de l'acquisition d'un socle commun de compétences, de connaissances et de culture, lui préférant, comme au lycée, l'accumulation de disciplines parallèles, on est effectivement défavorable à la réforme proposée. Celle-ci, en liant dans un même cycle les classes de CM2 et de 6 e , suit la logique du socle commun de compétences à acquérir au cours des scolarités primaire et secondaire. Il convient également de saluer la création de 60 000 postes en cinq ans, dont 4 000 consacrés à l'application de la réforme du collège, à rebours des 80 000 postes supprimés par le précédent gouvernement. Je partage également le constat selon lequel le temps de travail des élèves à l'école primaire et au collège doit être réduit : il faut apprendre à travailler différemment et en équipe.

Il existe toutefois des points de désaccord, notamment s'agissant du caractère urgent de la publication du décret, qui ne fait aucun doute pour moi, en vue de la préparation de la rentrée 2016. Je rappelle que les syndicats ont déjà rencontré à plusieurs reprises les ministres successifs de l'éducation nationale et que Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, s'est engagée à poursuivre avec eux un dialogue permanent. Les EPI font également débat car ils symbolisent une nouvelle façon de travailler. Nombre d'enseignants travaillent déjà de façon interdisciplinaire ; il s'agit seulement d'en généraliser la méthode. La réforme, contrairement aux critiques entendues, impose des classes bilangues dès la 5 e . En outre, le latin et le grec continueront à être enseignés en classes de littérature. Il ne s'agit donc en aucun cas d'un recul ! Pour autant, les syndicats d'enseignants doivent apporter leurs suggestions relatives à cette réforme. Lorsque je militais à la Fédération de l'éducation nationale (FEN) dans les années 70, nous prônions l'instauration d'une école fondamentale. Il est temps de refonder une pensée politique et syndicale sur l'école pour l'avenir de nos enfants. Je vous invite donc à poursuivre le dialogue.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin

Cette table ronde était fort utile, tant l'émoi suscité par la publication précipitée du décret fut grand. Nul n'affirme ici qu'il ne fallait pas réformer le collège. Mais, pour que les enseignants mettent en oeuvre la réforme avec conviction, il faut, en amont, un consensus et une concertation. Certes, on ne peut nier que des échanges sur la réforme du collège ont eu lieu lors des débats relatifs à la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, mais ce texte, qui a suscité tous les espoirs après la dégradation de l'école par le précédent gouvernement, n'est pas sorti d'une logique de séquençage des réformes. Le véritable sens de la réforme de 2013 n'a pas été suffisamment expliqué. Dès lors, la réforme des rythmes scolaires, puis celle du collège, ont semblé poursuivre la déstabilisation du système. Même si les apprentissages y sont essentiels, la réussite des élèves ne peut constituer la responsabilité de la seule école primaire. À titre d'illustration, nous avions insisté, avec notre collègue Françoise Cartron, sur l'importance de la scolarité en maternelle et l'accueil des enfants dès deux ans. En réalité, la question fondamentale du « tous capables », dont le principe a été réaffirmé dans la loi pour la refondation de l'école, n'a pas été définitivement tranchée. Pourtant, l'objectif de l'école doit bien être d'éviter les difficultés scolaires dès les premières années de scolarité. À cet effet, peut-être conviendrait-il d'allonger la scolarité pour laisser à tous le temps nécessaire aux apprentissages. De ce point de vue, le passage de quatre à trois ans de la durée de scolarité en lycée professionnel a conduit à un échec patent : tous les élèves n'ont pas le même rythme. Par ailleurs, l'enjeu que constitue la formation initiale, et surtout continue, des enseignants a été totalement mis de côté. Au final, le métier d'enseignant, au potentiel formidable, est en grande souffrance, notamment du fait d'une succession, depuis quarante ans, de réformes souvent mal expliquées. Je terminerai sur le volet de la réforme relatif au développement de l'interdisciplinarité et au renforcement de l'autonomie des chefs d'établissement. Ne pensez-vous pas qu'il y a là une incohérence entre une plus grande souplesse apportée aux établissements et le risque d'inégalités auquel elle pourrait conduire ?

Mme Corinne Bouchoux

Sans nier le moins du monde l'intérêt de ce débat, je regrette que nul n'ait fait état du plaisir d'apprendre et du bonheur de progresser. À vous écouter, les enfants semblent être des oies que l'on peut gaver de connaissances à loisir ! Dans le cadre de cette réforme, il faut également entendre les élèves, comprendre leur hantise du classement, leur ennui, leurs craintes face à la dégradation du climat scolaire. Nous avions proposé à l'occasion de l'examen de la loi de refondation de l'école, la création de modules d'enseignement à la gestion non violente des conflits. Combien ont été réellement mis en place ? Notre point de vue sur l'école dépend souvent du plaisir d'apprendre qui fut le nôtre, mais nos craintes, s'agissant de cette réforme, me semblent infondées. Je ne crois pas que, demain, les élèves partiront massivement dans l'enseignement privé. De fait, les trois quarts des évolutions proposées par le décret existent déjà dans l'enseignement privé et dans l'enseignement agricole. L'essentiel est de remettre au coeur du débat le bonheur de travailler.

Mme Françoise Laborde

Les questions cribles programmées demain à quinze heures au Sénat sur la réforme du collège avec la ministre de l'éducation nationale, ainsi que la rencontre que nous avons avec vous ce matin, sont pour nous l'occasion d'affiner nos réflexions sur ces questions.

J'ai un véritable sujet d'inquiétude concernant les moyens dévolus à la formation continue des enseignants dans l'objectif d'une entrée en vigueur de cette réforme en septembre 2016.

L'articulation entre aides personnalisées et classes dédoublées n'est pas encore très claire pour moi ; nos intervenants pourront-ils nous apporter des réponses ?

La réforme prévoit désormais que, « sauf dérogation », les élèves de 6 e auront au maximum vingt-six heures de présence hebdomadaire, y compris l'aide personnalisée, six heures de présence quotidienne et une pause méridienne d'au moins une heure trente : quelle assurance a-t-on que ces nouvelles orientations seront bien appliquées dans tous les collèges de France, y compris dans les établissements privés sous contrat ?

L'éducation civique a longtemps été sacrifiée au sein des enseignements d'histoire-géographie-éducation civique. Quelles garanties a-t-on qu'il n'en soit pas de même demain s'agissant de l'enseignement moral et civique ?

Mme Claire Krepper

Pour répondre à Mme Brigitte Gonthier-Maurin qui s'interroge sur le degré d'adhésion des personnels à la réforme, au vu notamment du récent mouvement social, bien visible dans les établissements, je m'aperçois que les enseignants sont rassurés, voire enthousiasmés par la réforme à chaque fois que l'on prend le temps de la leur présenter positivement et de leur montrer en quoi elle va leur permettre de porter leurs projets.

La concurrence entre établissements existe déjà, y compris entre établissements publics, notamment par le biais de l'offre des options. En réduisant le poids des options, la réforme contribuera à réduire ces phénomènes de concurrence inter-établissements.

S'agissant de l'étendue de l'autonomie du chef d'établissement, il appartiendra aux équipes enseignantes de s'investir et d'occuper pleinement leur place au sein des instances - conseils pédagogiques et conseils d'administration - afin de contribuer à l'élaboration des projets de l'établissement.

Les nouveaux programmes, qui font désormais une grande place à la découverte des savoirs avec les élèves et par les élèves, devraient favoriser le « plaisir d'apprendre ». Mais si nous voulons que la réforme réussisse, il faudra aussi que les objectifs de l'évaluation des élèves évoluent.

L'un des facteurs de détérioration du climat scolaire au collège reste la ségrégation interne dans les établissements, en particulier dans certains quartiers où une ségrégation selon les résultats des élèves se double d'une ségrégation ethnique visible, qui engendre de nombreux conflits. Les travaux d'Éric Debarbieux sur ces établissements au climat scolaire dégradé nous invitent à mettre fin à ces pratiques ségrégatives et à constituer des classes véritablement hétérogènes.

M. Jean-Rémi Girard

Permettez-moi de vous rappeler que la loi sur la refondation de l'école constituait un cadre général très large et ne prévoyait absolument pas cette réforme du collège dans tous ses éléments actuels - diminution de l'horaire consacré au latin, fin des classes bilangues, etc. Nous considérons cette réforme comme mauvaise.

J'attire également votre attention sur le fait que les établissements privés sous contrat appliqueront la réforme à l'exclusion de ses contraintes horaires - rythmes scolaires, durée de la pause méridienne, horaires quotidiens. Les établissements privés sous contrat fonctionnent selon un mode dérogatoire - sélection à l'entrée, règles d'exclusion, etc. : ils auront donc toute la latitude nécessaire pour continuer à offrir aux familles ce que les établissements publics ne pourront plus proposer. Nous risquons donc d'assister à une fuite des familles aisées vers le secteur privé et in fine à un renforcement de la ségrégation sociale entre établissements.

Pour répondre à l'interrogation de Mme Françoise Laborde sur la place de l'enseignement moral et civique, sachez que celui-ci prend la place de l'éducation civique au sein des heures consacrées à l'histoire-géographie.

Enfin, s'agissant des programmes qui sont en cours de consultation, nous considérons que la place faite au français et aux mathématiques constitue une régression.

Mme Ophélie Sauger

L'emploi de 20 % de la dotation horaire globale de l'établissement sera laissé au libre choix du chef d'établissement. Nous sommes inquiets de la concurrence entre disciplines que cette situation risque de faire naître au sein des établissements compte tenu de l'absence de moyens supplémentaires dévolus à la réforme.

S'agissant de l'enseignement des langues étrangères, je ne pense pas que nous puissions affirmer que désormais 100 % des élèves seront en classe bilangue. Certes, les élèves de 5 e bénéficieront désormais de deux heures et demie d'enseignement d'une deuxième langue vivante chaque semaine mais, d'expérience, un enseignement de moins de trois heures hebdomadaires ne permet pas un apprentissage satisfaisant.

Nous évoquons tous le « plaisir d'apprendre » mais n'oublions pas que l'on ne développera pas de « compétences » sans « connaissances », ni de « savoir-faire » sans « savoirs ». Or, l'enseignement de la langue française en primaire et au collège est passé de 78 heures en 1977 à 53 heures en 2011.

S'agissant enfin des projets interdisciplinaires, le relatif échec des enseignements d'exploration au lycée devrait nous inciter à faire confiance au volontariat, à leur conférer un cadre structurant et à ne pas les prélever sur les horaires disciplinaires.

M. Frédéric Sève

La concurrence entre établissements existe de fait, la carte scolaire en est le meilleur témoignage. Notre objectif est de faire réussir tous les élèves ; à terme, la concurrence entre établissements devrait s'en trouver réduite car le choix de l'établissement ne sera plus un critère de réussite.

S'agissant d'une prétendue concurrence entre disciplines, je fais confiance aux équipes éducatives pour trouver au cas par cas des terrains d'entente, sans confiscation de leur choix par le chef d'établissement. J'aimerais à cet égard plaider pour que nous conservions un droit au « dissensus » : nous pouvons avoir des débats entre organisations syndicales, mais au niveau local, in fine , les équipes éducatives trouveront des accords. Restaurons une belle vision de l'enseignement et des enseignants !

Mme Frédérique Rolet

Le Gouvernement affiche le dialogue social comme l'une de ses marques de fabrique. Or, alors que nous avions très largement participé à l'élaboration de la loi de refondation de l'école ainsi qu'aux constats du rapport qui lui était annexé, force est de constater que, sur une réforme aussi complexe que celle du collège, nous n'avons eu en tout et pour tout que trois séances de concertation avec le Gouvernement. En conséquence, les enseignants ont eu le sentiment de n'avoir pas été entendus et un enseignant du collège sur deux était en grève le 19 mai dernier.

Les enseignants ne sont pas d'affreux « immobilistes » réfractaires à tout changement. Leur réaction à cette réforme a un sens et doit être prise en compte.

S'agissant de l'interdisciplinarité, qui n'est pas une véritable nouveauté, nous sommes gênés par l'idée qu'elle consisterait à proposer de « faire » à des élèves considérés comme déficients et incapables de « penser ».

M. Magner pense que les élèves travaillent trop : il est démontré que le temps passé dans les établissements contribue à réduire les inégalités entre les élèves.

Les élèves mettant en moyenne vingt minutes pour déjeuner, l'augmentation de la pause méridienne n'a de sens que si le temps dégagé est occupé utilement. Or, rien n'est prévu à ce sujet.

Nous ne sommes en aucun cas élitistes et nous aspirons à la mixité sociale et scolaire. Mais faute d'une refonte totale de la carte scolaire et des implantations des options, les parcours d'initiés perdureront. Un premier pas, certes insuffisant, avait été fait avec l'éducation prioritaire.

L'accompagnement personnalisé mis en oeuvre dans les lycées ne fonctionne pas et le fait que l'on tarde à évaluer le dispositif est assez significatif.

En résumé, nous refusons cette réforme qui ne nous paraît pas devoir bénéficier aux élèves et nous demandons à la ministre d'être à l'écoute des professionnels.

Mme Colette Mélot

Nous ne pouvons accepter que 150 000 élèves sortent chaque année du système scolaire sans formation. La réforme est indispensable car, du fait de l'évolution des populations d'élèves, le collège unique n'est plus adapté. L'autonomie des établissements constitue un bon moyen de répondre à des besoins divers. Nous devons nous concentrer sur la maîtrise des fondamentaux, mais nous devons aussi proposer des offres différenciées permettant de valoriser les aptitudes propres de chaque élève. Le collège modulaire ayant été évoqué, j'aimerais obtenir des précisions sur le bilan qui a pu être fait de cette expérience.

Je déplore enfin la disparition des classes bilangues et des classes européennes qui fonctionnent bien et constituent un apport véritable, notamment en zone d'éducation prioritaire.

Il m'apparaît que cette réforme ne contribuera en rien à réduire les inégalités.

Mme Françoise Cartron

La conclusion de Mme Mélot illustre bien le contresens qui est fait par certains. La réforme envisagée s'inscrit dans la continuité de la loi pour la refondation de l'école de la République, qui porte l'égalité des chances dans son ADN. Seul le sentiment que les chances sont égales pour tous permettra aux élèves d'avoir à nouveau confiance en l'école et en la République.

S'agissant de la concertation que vous appelez de vos voeux, je rappelle que toutes ces questions ont été longuement abordées lors de l'examen de la loi et que la ministre propose aux organisations syndicales une année entière de discussion sur l'application concrète du décret : pouvez-vous nous dire si vous participerez à ces discussions, et avec quelle feuille de route, quelles revendications ?

Certaines personnes prônent un effort accru sur les enseignements fondamentaux dispensés à l'école et regrettant les heures d'enseignement « perdues » : souhaitent-elles que l'on revienne à des semaines de vingt-sept heures ?

J'aimerais connaître votre sentiment sur le projet d'établissement : cette notion a-t-elle un sens pour vous ?

Enfin, n'oublions pas que la finalité des heures d'accompagnement est de faciliter l'accès aux disciplines.

M. Jacques Grosperrin

Je remercie notre présidente pour l'organisation de ce débat et les organisations pour leur participation. Mme Cartron vient d'exécuter un tour de passe-passe en nous expliquant que ce décret et cet arrêté étaient prévus depuis deux ans. J'ai participé activement à l'examen de la loi pour la refondation de l'école et je puis vous assurer qu'il n'en n'est rien. Dans ces conditions, je comprends que les organisations professionnelles s'interrogent sur la manière dont elles sont considérées.

Nous devons nous attaquer au collège unique, qui est devenu une sorte de totem, et qui conduit les élèves les plus faibles à décrocher. La scolarité obligatoire jusqu'à seize ans pourrait être discutée et l'on pourrait envisager, par exemple, des passerelles ou des filières de pré-professionnalisation.

La suppression des classes bilangues annonce la disparition d'un collège public d'excellence. Les élèves des milieux les plus aisés s'orienteront vers les établissements privés, dont les moyens financiers permettront de maintenir ce type de classe.

Enfin, je ne suis pas certain que le régime « latin pour personne et espagnol pour tous » soit profitable aux élèves.

Mme Dominique Gillot

Pour qu'une loi s'applique, il faut des décrets. Les décrets sont publiés selon un processus progressif et les rapporteurs s'emploient à contrôler la publication des textes d'application des lois sur lesquelles ils ont travaillé, comme je le fais, sur la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Nous sommes aujourd'hui dans la mise en oeuvre de ce beau projet consistant à refonder l'école pour refonder la République.

Je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle la qualité de l'enseignement serait forcément liée au nombre d'heures de cours dispensés. L'enseignement ne doit pas se réduire à un simple « gavage » de connaissances, mais doit s'évertuer à éveiller la curiosité des élèves. Par ailleurs, à l'heure où nos collègues députés discutent que la question du burn out en milieu professionnel, je constate que nos collégiens passent en moyenne sept heures et demie dans leurs établissements.

Je souhaiterais avoir des précisions sur les marges « heures/professeur » qui pourront être utilisées pour l'ingénierie, la concertation et l'organisation des activités : ces marges passeront-elles réellement de huit à 48 heures dans un établissement comprenant seize classes ?

M. Jean-Rémi Girard

Je réfute absolument le terme de « gavage » qui a été employé par deux fois de façon assez choquante et je m'étonne que le personnel politique tienne de tels propos, qui ne peuvent avoir pour effet que de générer du mécontentement parmi les enseignants.

Le projet de collège modulaire est disponible et consultable sur le site du SNALC. Il a pour objet d'aboutir à un socle commun plus efficace et mieux adapté que le socle actuel, qui comprend plus de deux cents compétences, dont je ne suis pas certain que les personnes ici présentes les maîtrisent toutes ...

Les textes ne prévoient pas que la marge horaire puisse être utilisée pour la concertation. Cette marge ayant été créée du fait de la suppression des classes bilangues et des sections européennes, les collèges ayant les plus forts effectifs et le plus grand nombre de classes seront favorisés par rapport à des établissements plus modestes. Lorsque les marges disponibles seront insuffisantes, les professeurs renonceront à l'interdisciplinarité, comme ils ont dû le faire avec les itinéraires de découverte, car le dispositif ne fonctionnera pas.

M. Michaël Marcilloux

La loi de refondation de l'école, à laquelle mon organisation s'est opposée, comportait quelques réflexions générales sur le collège mais aucune disposition traitant de son organisation et de son fonctionnement. Et les trois soirées de discussions organisées depuis ne peuvent en aucun cas être apparentées à une véritable concertation. Je rappelle que nous attendons toujours un bilan de l'autonomisation des lycées.

Je trouve, moi aussi, assez scandaleux l'emploi du terme « gavage » alors que les enseignants se battent au quotidien pour faire réussir leurs élèves, sans toujours y parvenir.

Nous ne participerons pas aux discussions de longue haleine proposées par la ministre sur les décrets que nous n'approuvons pas et dont la publication récente a été justifiée par la nécessité de préparer la rentrée de 2016 dès maintenant.

Mme Frédérique Rolet

Les objectifs égalitaires de la réforme sont certes des objectifs nobles, mais les moyens et les méthodes nous semblent inadaptés. Le décret étant par ailleurs assorti d'un arrêté d'application, je ne vois pas quelles marges de manoeuvre restent pour la concertation.

M. Frédéric Sève

Nous sommes favorables à la modularité pour les lycées, mais pas pour les écoles ni pour les collèges, l'enseignement obligatoire devant être le même pour tous.

Bien que, tous ici, nous maîtrisions le « lire-écrire-compter », il apparaît clairement que nous ne lisons pas tous la loi de la même façon et que nous comptons différemment les heures d'enseignement ou encore le nombre d'enseignants mobilisés contre une réforme.

À ceux qui s'insurgent contre le terme « gavage », je souhaite faire remarquer qu'il est utilisé par les enseignants eux-mêmes, qui déplorent l'accumulation des connaissances à transmettre prévue par les programmes.

Enfin, je rappelle que le décret relatif au collège ne sort pas de nulle part, mais a reçu l'avis du Conseil supérieur de l'éducation. Notre organisation sera présente lors des prochaines réunions de concertation, mais nous pensons qu'à ce jour, il ne s'agit plus tant de discuter au niveau national du contenu du décret que d'échanger dans les établissements sur son application.

Mme Claire Krepper

La loi pour la refondation de l'école traitait des enseignements de tronc commun, des enseignements complémentaires - sans pour autant préciser leur articulation - et de l'autonomie. L'inscription des enseignements complémentaires dans les horaires des disciplines a pour avantage de renforcer leur légitimité, de favoriser leur pérennité et de leur faire bénéficier de l'expertise professionnelle des enseignants.

Nous participerons à la concertation sur la circulaire car nous souhaitons que les changements soient présentés de façon concrète dans les établissements. Une autonomie cadrée devrait permettre l'adaptation aux situations particulières tout en préservant l'équité entre tous.

Les moyens complémentaires sont liés à la taille de l'établissement, un établissement moyen devant bénéficier en principe d'un demi-poste supplémentaire. Cela dit, nous savons tous que la répartition des moyens supplémentaires est généralement modulée en fonction de critères déterminés par les rectorats et un établissement situé, par exemple, en milieu rural isolé, pourra être légèrement avantagé.

Mme Cécile Kholer représentant le Syndicat national Force ouvrière lycées collèges (SNFOLC)

Je rappelle que les enseignants sont des personnes responsables, capables de comprendre une réforme. Si on nous explique que nous ne comprenons pas, si la réforme exige à ce point d'être expliquée, c'est peut-être qu'il y a un problème.

Les 60 000 postes supplémentaires devaient permettre de multiplier le nombre de classes et donc de diminuer les effectifs de ces classes. Nous constatons qu'il n'en est rien. Je note que des personnes effectuant de temps en temps des visites dans nos établissements recommandent aux enseignants, qui y travaillent tous les jours, de faire en sorte que les élèves « s'éclatent » en apprenant. Je leur réponds qu'il est difficile de « s'éclater » en apprenant dans une classe de trente élèves.

Mme Dominique Gillot

Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, je ne suis pas certaine que la qualité de l'enseignement dépende de la quantité d'heures de cours dispensées. Cela dit, si j'ai employé un terme qui a choqué certains, je le retire et je vous prie de m'excuser.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je souhaiterais préciser que les dispositions intitulées « repenser le collège unique » figuraient dans le rapport annexé à la loi de refondation et non dans la loi elle-même.

Je remercie vivement tous les participants à cette table ronde et je tiens à les assurer du fait que les membres de notre commission, dont beaucoup appartiennent au monde de l'éducation, tiennent les enseignants en très haute estime et éprouvent le plus profond respect pour le métier qu'ils exercent.

MERCREDI 27 MAI 2015

TABLE RONDE AVEC LES REPRÉSENTANTS DES ASSOCIATIONS DES PARENTS D'ÉLÈVES

La commission organise une table ronde sur la réforme du collège avec les représentants des associations des parents d'élèves. Sont entendus :

Mme Valérie Marty, présidente de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) ;

M. Hervé Jean, secrétaire général de l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL) ;

Mme Sylvie Fromentelle, secrétaire générale de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) .

A. INTERVENTIONS

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Nous accueillons les représentants des principales organisations de parents d'élèves de l'enseignement public et privé sous contrat.

La réforme du collège, qui s'accompagne d'une révision des programmes, en cohérence avec le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture, demeure au coeur du débat public. La publication, la semaine dernière, des textes d'application, n'a pas apaisé le débat ni éteint la contestation que rencontre cette réforme.

Alors que l'opposition à cette réforme est essentiellement animée par une intersyndicale d'enseignants, les fédérations de parents d'élèves que vous représentez se sont montrées favorables à cette réforme. Quand, le 10 avril dernier, le Conseil supérieur de l'éducation a été amené à se prononcer sur les projets de décret et d'arrêté, la FCPE a voté en faveur, tandis que la PEEP s'est abstenue. De son côté, l'APEL a exprimé publiquement son soutien à la réforme.

Dès lors, nous comptons sur vous pour éclairer les réflexions et les travaux de notre commission. Nous souhaiterions connaître vos positions sur la philosophie et les différentes dispositions de cette réforme. Cela nous sera très utile en prévision de l'audition de la ministre, la semaine prochaine.

Mme Valérie Marty, présidente de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP)

Depuis 35 ans que l'on parle de la réforme du collège, la question que se posent les parents demeure aujourd'hui la même : comment aider les élèves en difficulté au sein du collège ?

Dans cette réforme, l'apprentissage d'une seconde langue vivante à partir de la 5 e et l'enseignement pratique interdisciplinaire, qui offre la possibilité de travailler différemment, ont recueilli l'assentiment des parents d'élèves de la PEEP.

L'aide personnalisée proposée par la réforme semble aller dans le bon sens. Il s'avère que les parents d'élèves sont également partisans d'une diminution des heures disciplinaires afin de réserver du temps à l'accompagnement des élèves dans leur apprentissage des savoirs et des compétences.

Nous aurions souhaité qu'une réflexion soit organisée sur l'enseignement des langues vivantes en France, au collège comme au lycée. Nos adhérents sont opposés à la suppression des sections européennes. Il s'agirait plutôt de revoir leur fonctionnement. Si ces sections regroupent de bons élèves, elles permettent surtout d'enseigner les langues vivantes de manière différente. Il serait souhaitable que les langues vivantes soient enseignées, comme elles le sont dans les sections européennes des lycées, en s'inscrivant concrètement dans l'apprentissage de certaines disciplines.

M. Hervé Jean, secrétaire général de l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL)

L'APEL, association apolitique et non confessionnelle, regroupe 880 000 familles ayant fait le choix de l'enseignement catholique.

Je rappellerai tout d'abord les raisons qui nous amènent à juger nécessaire une réforme profonde du primaire comme du secondaire. Comment se satisfaire d'un système dont les performances ne cessent de se dégrader, comme le montrent les enquêtes PISA ? 150 000 élèves sortent sans qualification d'un système scolaire de plus en plus injuste et au détriment des enfants issus de milieux défavorisés. Pour cette raison, nous pensons qu'une réforme du collège est nécessaire et urgente, et formulons le voeu que cette réforme aboutisse, sans - qu'une fois de plus et comme c'est le cas depuis trente ans - on en arrive à estimer qu'elle n'est pas appropriée.

En 2011, un sondage révélait que 45 % des parents d'élèves considéraient que le collège fonctionnait mal, ne garantissait pas l'égalité des chances et triait les élèves. Le constat perdure. Aujourd'hui, le collège a toujours du mal à remplir sa mission de transmission et d'acquisition des savoirs et des compétences nécessaires pour construire une vie d'adulte et s'insérer dans la société. Avec la volonté d'améliorer la situation, nous avions d'ailleurs, le 5 avril 2011, organisé au Sénat un petit-déjeuner-débat sur le thème « Inventons le collège de demain », qui avait ouvert une réflexion sur l'autonomie des établissements, la réforme des programmes, la suppression progressive du redoublement...

Dans le cadre de cette nouvelle réforme, je soulignerai trois points :

- l'autonomie laissée aux établissements pour l'aménagement de 20 % du temps des élèves. Elle doit avoir pour objectif de donner aux chefs d'établissement et aux équipes éducatives la possibilité de mieux s'adapter à la diversité des élèves qu'ils accueillent. Le collège unique ne signifie pas le collège uniforme. Il faut instaurer un collège où chacun puisse développer ses capacités en fonction de sa forme d'intelligence pour parvenir au meilleur de lui-même. Chacun doit avoir droit à un parcours qui vise la réussite. C'est l'élément-clé de la réforme ;

- la mise en place des enseignements pratiques interdisciplinaires va dans la bonne direction, en conjuguant enseignement théorique et enseignement pratique. Un certain nombre d'élèves peinent à appréhender les éléments théoriques. Cette nouvelle notion d'apprentissage favoriserait la compréhension, la motivation et encouragerait l'implication. Elle permettrait de valoriser la créativité, de développer l'aisance et la capacité à s'exprimer ainsi que la volonté d'entreprendre et de mener un projet ;

- l'accompagnement personnalisé renforcé entre le CM2 et la 6 e nous paraît important pour que les élèves les moins en confiance comprennent les enjeux du collège et démarrent sur de bonnes bases plutôt que d'être fragilisés dès le départ.

Sur la question des langues vivantes, l'APEL émet des réserves. Elle soutient le principe du démarrage de la seconde langue en 5 e mais regrette la suppression des classes bilangues et des sections européennes. Ces dispositifs étaient perçus de manière positive par les parents.

Le succès de cette réforme dépendra de l'implication de la communauté éducative et de la façon dont ses différents acteurs vont se l'approprier. Nous sommes prêts, de notre côté, en tant que parents d'élèves, à prendre notre place dans sa mise en oeuvre.

Mme Sylvie Fromentelle, secrétaire générale de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE)

Pour la fédération que je représente, les principales avancées de la réforme du collège sont le développement des pratiques interdisciplinaires, le renforcement des langues vivantes, la répartition du calendrier scolaire, la création d'un conseil de vie collégienne - propice au maintien de la démocratie et à l'investissement personnel dans l'établissement - ainsi que le développement de l'autonomie des établissements qui requiert la participation de l'ensemble des personnels.

Qui dit réforme du collège dit nouveaux programmes. Nous les espérons plus cohérents qu'ils ne le sont actuellement. Quant à la réforme de l'évaluation des élèves pour valoriser les progrès et ainsi valoriser les élèves, sera-t-elle bénéfique ou facteur de démotivation ?

Un autre enjeu de cette réforme est le travail de partenariat à mettre en oeuvre pour impliquer les parents dans la vie de l'établissement. Il est reconnu que des parents impliqués dans la vie scolaire de leurs enfants augmentent leurs chances de réussite.

Il est important également que le calendrier annuel des rythmes scolaires soit mieux adapté au collège.

Mais le succès de cette réforme risque d'être compromis si les établissements se trouvent dépourvus de postes, si le remplacement des enseignants absents n'est pas assuré, si le personnel d'encadrement, ainsi que les médecins scolaires ou les assistants d'éducation, fait défaut. De plus, cette réforme restera en péril tant que la formation continue des enseignants ne sera pas efficacement assurée.

Cette réforme du collège requiert de la part des établissements non seulement un travail de terrain pour la réussite de leurs élèves, mais également un accompagnement tant des enseignants que des parents.

B. DÉBAT

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole

Mon collègue Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire, m'a priée de vous soumettre ses questions.

Sur le principe de la réforme et l'apprentissage des fondamentaux, il ne faut pas oublier qu'une proportion élevée d'élèves entrant en 6 e présente des lacunes graves dans les apprentissages fondamentaux. Notre collège ne parvient pas à résorber ces difficultés. Or, on sait aujourd'hui que le destin scolaire des élèves est scellé très tôt, dès la fin du cycle 2.

Plutôt que d'uniformiser par le bas les apprentissages au collège, notamment en détruisant les filières d'excellence, en supprimant les options de langues anciennes ou en imposant une seconde langue vivante dès la classe de 5 e , ne faudrait-il pas plutôt concentrer les efforts sur l'école élémentaire, afin que tous les élèves, à l'issue de celle-ci, maîtrisent pleinement les savoirs fondamentaux ?

Notre rapporteur pour avis est particulièrement préoccupé par un des grands principes de cette réforme : réduire les temps d'enseignement disciplinaire au profit de l'accompagnement personnalisé et des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Si, en apparence, le volume global horaire demeure peu ou prou identique, 20 % de ce temps sera consacré à l'accompagnement personnalisé et aux projets interdisciplinaires. Je ne suis pas opposée à l'accompagnement personnalisé et aux projets, mais ceux-ci doivent venir en complément des enseignements et non s'y substituer. Quelle est votre position à ce sujet ? Ne faudrait-il pas plutôt consacrer davantage de temps aux apprentissages fondamentaux et notamment au français dont le volume horaire est en diminution constante depuis quarante ans ?

Quelle est la pertinence d'introduire des EPI au collège ? Ces derniers rappellent les itinéraires de découverte (IDD) au collège ou les travaux pratiques encadrés (TPE) au lycée, qui n'ont pas connu un franc succès... Leur intérêt n'est-il pas conditionné par la maîtrise des acquis disciplinaires et par une solide culture générale, choses rares en classe de 5 e ? Ne risquent-ils pas justement de ne bénéficier qu'aux bons élèves ?

En matière d'orientation, la réforme prévoit la suppression des options de découverte professionnelle, au profit du parcours individuel d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP). Ce parcours ne bénéficie d'aucune dotation horaire spécifique et devra donc être organisé sur du temps disciplinaire. L'avenir des classes de troisième « prépa-pro » paraît également compromis. Tout semble fait pour éloigner davantage les élèves de la voie professionnelle qui, derrière les beaux discours, semble plus que jamais dévalorisée par l'éducation nationale.

Ne faudrait-il plutôt pas permettre l'individualisation des parcours, plutôt de s'arc-bouter sur le collège unique et y enfermer les élèves qui n'y sont pas à l'aise ?

Quel regard portez-vous sur les nouveaux projets de programmes ? Vous paraissent-ils satisfaisants ?

En tant que rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole, mon questionnement complète celui de mon collègue Jean-Claude Carle. Certaines dispositions introduites par le décret et l'arrêté sont déjà mises en oeuvre dans l'enseignement agricole, à l'instar de l'accompagnement personnalisé ou de l'autonomie pédagogique. Cependant, cette autonomie pédagogique s'y accompagne d'une vraie autonomie de gestion, au service d'un véritable projet. Ne pourrait-on pas s'en inspirer davantage ?

Enfin, l'orientation demeure le grand absent de cette réforme. L'article 6 de l'arrêté y fait allusion en prévoyant que les EPI contribuent à la mise en oeuvre du PIIODMEP. Si ce n'est un projet de référentiel publié par le CSP, il y a six mois, rien n'est prévu pour sa mise en oeuvre - et surtout, aucun horaire ! Faudra-t-il donc ponctionner les disciplines pour organiser ce parcours ?

Plus généralement, il me semble que cette réforme s'inscrit dans la continuité d'une logique à l'oeuvre au sein de l'éducation nationale et que je dénonce depuis plusieurs années : celle qui considère qu'il convient de retarder le plus possible l'orientation des élèves, et d'en orienter le plus grand nombre vers les filières générales, souvent sans considération de leur niveau scolaire et de leurs aspirations. Ceci relève d'une vision dépassée d'une hiérarchie des savoirs et des intelligences qui demeure particulièrement prégnante. J'ai entendu que l'orientation se fait désormais en classe de seconde. Cela me paraît un peu tard pour avoir une orientation intelligente.

M. Jacques-Bernard Magner

Les points de vue des représentants des trois associations de parents vont dans un sens positif et confirment le vrai partenariat avec les parents d'élèves qui sont, avec les personnels de l'éducation nationale et les collectivités, les trois piliers de la construction de l'école et du collège. Je regrette simplement que le travail de ces associations ne soit pas toujours considéré au niveau national et territorial comme il mériterait de l'être.

Vos associations respectives ont largement contribué, aux côtés du Gouvernement et des parlementaires, à la discussion sur la refondation de l'école. Sont-elles prêtes à s'impliquer dans la mise en oeuvre de la réforme du collège pour en préciser les éléments, notamment le passage de l'enseignement primaire à l'enseignement secondaire, qui ne va pas sans difficultés ?

M. Jacques Grosperrin

Il est important d'entendre des parents d'élèves qui ne s'expriment pas d'une seule voix. Je considère que les associations ne doivent pas avoir un rôle de transmetteur ou d'accélérateur de la réforme du collège et l'on peut regretter que certaines d'entre elles soient en de très bons termes avec le Gouvernement. Je vous entends cependant et peux comprendre vos convictions.

Nous sommes d'accord avec le principe d'autonomie des établissements et sur l'enseignement interdisciplinaire, même si, comme Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l'éducation nationale, je pense que pour faire de l'interdisciplinaire, il faut d'abord maîtriser le disciplinaire.

Quel est votre sentiment sur les classes bilangues et la suppression du latin ? Ne va-t-on pas vers une suppression de la différenciation des parcours, de la méritocratie et de l'élitisme ? La question du collège unique a-t-elle encore un sens à ce jour ? Ne serait-il pas intéressant de proposer des voies diversifiées ? En supprimant le latin et en imposant l'espagnol, ne va-ton pas créer davantage d'inégalités ?

Compte tenu des lacunes en lecture et du niveau d'expression orale en français de certains élèves à l'entrée en 6 e , est-il judicieux de leur imposer une deuxième langue vivante ?

Les établissements privés ne vont-ils pas être les bénéficiaires de cette réforme en finançant sur leurs fonds propres les enseignements dont le Gouvernement propose la suppression ? Le latin, par exemple, est une discipline exigeante et je crains que la suppression de son enseignement fragilise le système éducatif public.

Quelles sont les craintes des parents d'élèves ? Quelles modifications souhaiteraient-ils apporter à la réforme du collège ?

Mme Corinne Bouchoux

Vos associations respectives présentent des points de vue très différents qui, nonobstant les critiques et réserves formulées, considèrent que cette réforme va dans le bon sens.

La diversité des points de vue des parents d'élèves ne tient-elle pas au fait que le travail en équipe, au demeurant à la base des textes de la réforme, fait partie de la vie réelle et que la seule question qui se pose est de savoir comment assurer, dans la réalité, la réussite pour tous à l'école ?

En ce qui concerne la place des parents dans l'institution scolaire, que peut-on concrètement améliorer dans les conseils d'administration pour que ces instances importantes ne soient pas uniquement des chambres d'enregistrement, mais des lieux de dialogue où l'on peut ensemble intervenir sur le terrain d'une manière constructive et non pas aléatoire ?

Tout le monde veut le bonheur des élèves mais chacun perçoit différemment le texte d'un même décret.

Mme Valérie Marty

Les parents d'élèves sont favorables à la diminution des heures consacrées aux apprentissages des disciplines traditionnelles. Ils préfèrent faire mieux que plus, qu'il y ait de l'accompagnement et que les enseignants essayent de personnaliser leur enseignement afin d'aider les élèves à progresser. Ce n'est pas en faisant plus d'heures qu'on va faire mieux !

Au demeurant, on sait bien que les lacunes des élèves qui arrivent au collège ne seront jamais comblées et que leur niveau scolaire risque même de s'abaisser, ce qui constitue une vraie difficulté. Les parents ne perçoivent pas comment la réforme va aider les élèves à réussir leur passage au collège, en prenant en compte la grande diversité des élèves.

S'agissant des enseignements interdisciplinaires, les parents sont plutôt favorables aux parcours de découverte. Parfois, dans certains collèges, ils ont un peu perdu de leur sens et on ne voit plus trop l'intérêt de ce dispositif. Par contre, au niveau du lycée, les TPE sont très intéressants et les élèves y apprennent beaucoup de choses. La fragilité de la mise en oeuvre des EPI est là : comment gérer ces enseignements interdisciplinaires au sein des établissements scolaires, comment l'éducation nationale va réussir à accompagner les équipes d'enseignants ? On pointe le problème de la gouvernance : comment réussir une réforme, comment la mettre en oeuvre et comment aider les enseignants à trouver un sens et un intérêt pour les élèves ?

Les grandes fédérations de parents que nous sommes font le même constat : il est temps de nous réformer, de mieux répondre aux attentes des parents, de proposer une nouvelle forme d'animation afin que nous ayons toujours notre place au sein de la communauté éducative. Nous participerons, bien sûr, au dialogue avec le ministère.

Quant à la liaison CM2/6 e , les parents n'y sont pas associés et donc c'est assez invisible pour nous.

M. Hervé Jean

Nous partageons en grande partie les propos de Mme Marty.

S'agissant du débat entre EPI et apprentissages fondamentaux, il est difficile d'y voir clair. Nous ne sommes ni des spécialistes, ni des experts. Nous pensons simplement que le nombre d'heures au collège se situe au-dessus de la moyenne observée dans beaucoup de pays de l'OCDE. Nous avons beaucoup d'heures et les programmes sont très chargés. Quelle est la part des choses entre la somme de ce qui est enseigné et la somme de ce qui est retenu ? Peut-être faut-il un peu moins d'enseignement disciplinaire sur le papier, mais avec une meilleure efficacité et une meilleure réussite des élèves. Nous privilégions une approche plus qualitative que quantitative. Nous avons discuté de ces EPI au sein de la communauté éducative avec les chefs d'établissements et les enseignants et nous avons un avis positif. Il se fait déjà des choses intéressantes dans ce domaine-là qui mériteraient d'être mieux connues et qui pourraient servir d'exemple.

Nous partageons l'idée que tout se joue au niveau du cours élémentaire, l'important est de pouvoir agir dès qu'un enfant a des difficultés.

Nous sommes très investis dans le domaine de l'orientation depuis quarante ans. Nous essayons de faire en sorte que cette éducation au choix soit développée très tôt, dès le primaire.

La liaison CM2/6 e est également un point important et qui peut être amélioré surtout pour les élèves un peu fragilisés, qui manquent de confiance en eux. Le manque de confiance des élèves est une difficulté propre à notre système éducatif, criante par rapport à d'autres.

Nous regrettons la suppression des classes bilangues et du latin. Notre conception du collège n'est pas celle d'un collège uniforme pour tous mais celle d'un collège qui permette la réussite de tous. Ainsi, la suppression des classes bilangues et européennes ne peut être la traduction de la volonté de ne pas proposer plus à celui qui peut faire plus.

Concernant la place des parents, notre association a été, dès 1967, à l'origine de la notion de communauté éducative. Il est important que les parents puissent être partie prenante des réflexions sur la vie de l'établissement.

Mme Sylvie Fromentelle

Pour nous, le changement de pédagogie est très important, de même que la formation. Il y a deux ans, nous avons accompli un travail de fond avec les départements et les conseils locaux autour du collège. Nous n'avons pas attendu que le ministère publie son projet pour avoir une position sur le sujet.

La réforme du collège fait partie d'un tout qui inclut la modification des programmes en primaire, avec pour objectif la réussite des enfants.

Lorsque l'interdisciplinarité est mise en oeuvre, elle fonctionne bien. En outre, nous avons des enseignants innovants.

Certains ont évoqué l'organisation des lycées agricoles. J'observe que le chef d'établissement n'est pas forcément le président du conseil d'administration. L'implication des parents est aussi plus importante. Nous avons des leçons à en tirer.

L'orientation doit s'accompagner d'un vrai travail d'explication et d'accompagnement des familles et des jeunes, en particulier, de ceux qui sont en difficulté.

La transition entre CM2 et 6 e est une période importante car c'est souvent en 6 e que les enfants décrochent. Je regrette que les parents ne participent pas aux conseils école-collège.

La FCPE soutient beaucoup les familles défavorisées. La question de la mixité sociale est très importante. Le travail collaboratif en classe doit aussi être favorisé.

Nous souhaitons obtenir un statut de parent délégué pour mieux travailler et participer à toutes les commissions existantes.

Au total, nous estimons qu'il faut rendre confiance aux enfants et aux parents.

Mme Françoise Cartron

Je remercie les représentants des parents d'élèves pour la qualité de leurs interventions. Que ressort-il des enquêtes que vous menez auprès de vos adhérents par rapport aux difficultés rencontrées par les collégiens - manque de confiance en soi, souffrance, ennui ? Quelle est votre analyse de ces aspects négatifs et que pourrait améliorer cette réforme ?

M. Michel Savin

L'objet même de cette réforme est de s'attaquer à la problématique des enfants en échec scolaire. Ma question s'adresse au représentant de l'APEL et à la représentante de la FCPE. Existe-t-il une différence importante en termes de pourcentage d'élèves en échec scolaire entre l'enseignement libre et l'enseignement public ? Ma seconde question s'adresse à la FCPE. Quelles sont vos propositions pour aider les familles rencontrant des difficultés ou étant dans l'incapacité d'accompagner leurs enfants pendant leur scolarité ?

Mme Sylvie Fromentelle

Tous les parents souhaitent la réussite de leurs enfants quelle que soit leur situation sociale et économique. En associant les parents, tous les enfants peuvent réussir. Nous travaillons depuis des années sur cette question avec notamment ATD Quart Monde, Prisme ou encore la PEEP. Nous menons des actions de terrain, afin d'impliquer les parents les plus éloignés, de les défendre et de les représenter. Car pour ces parents, l'école est fréquemment une institution qui fait peur.

M. Hervé Jean

La question de Mme Cartron sur le manque de confiance des enfants souligne un point très important. Elle pose celle du sens de l'apprentissage. Beaucoup d'élèves ne perçoivent pas l'utilité de l'école, ni l'intérêt d'apprendre. D'où la nécessité de concilier l'approche théorique de certains enseignements, qu'il faut conserver, et une approche concrète qui redonnera sans doute du sens à l'école et de la confiance aux élèves. Il faut aussi réfléchir à des approches pédagogiques différentes. Nous avons récemment participé à un colloque sur les intelligences multiples. Il y a là un domaine que nous n'exploitons pas suffisamment et qui constitue une des voies de progrès de notre système.

Monsieur Savin, bien sûr, l'enseignement catholique compte des enfants en échec scolaire. Leur pourcentage ? En a-t-on plus ou moins que dans l'enseignement public ? Je n'ai pas la réponse. Ce qui est certain c'est qu'il est de notre devoir de faire en sorte que chaque enfant s'inscrive dans une dynamique de réussite. La question n'est pas quantitative mais qualitative.

Par ailleurs, nous avons développé ce que nous appelons les rencontres « parents-école », pour les familles de parents les plus éloignés de l'école. Nous essayons de faire réfléchir ces parents et de les conforter dans leur capacité à accompagner leurs enfants.

Mme Valérie Marty

Il faudra plus d'une réforme pour résoudre les problèmes de la difficulté, la souffrance et l'ennui rencontrés par les collégiens. En attendant, il est certain que la réforme du collège actuelle ne pourra se faire que si elle est comprise par les parents. Et s'il n'y a pas de défiance entre l'école, les institutions et les familles. Aujourd'hui, ils ne comprennent pas en quoi cette réforme va aider les élèves en difficulté et faire progresser les bons élèves.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je vous remercie. J'en profite pour vous informer que notre collègue Marie-Annick Duchêne conduit à l'heure actuelle une mission sur les conseils d'école.

MERCREDI 3 JUIN 2015

AUDITION DE MME NAJAT VALLAUD-BELKACEM, MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE

A. INTERVENTIONS

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je vous remercie d'être venus nombreux pour entendre Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous avions demandé cette audition dès la présentation de la réforme du collège en conseil des ministres, au mois de mars, mais l'agenda n'a pas permis de la tenir plus tôt.

La réforme du collège a été mise en oeuvre par un décret et un arrêté publiés voici deux semaines, au lendemain d'un mouvement de grève des enseignants. Au-delà de nos sensibilités politiques respectives, nous sommes tous attachés à la réussite de tous les élèves et tous conscients de la nécessité de réformer le collège. En revanche, les modalités pratiques de votre réforme font débat, chacun ayant son idée de la réforme idéale. Nombre d'entre nous ont participé à l'élaboration de la loi de refondation de l'école en 2013. Aussi mettons-nous les choses en perspective, quand bien même le collège n'a pas été au centre des débats.

Notre commission a d'ores et déjà entendu des représentants des syndicats enseignants et des parents d'élèves. La semaine prochaine, nous entendrons des représentants des chefs d'établissement et des inspecteurs.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Nous étions convenus d'une première date le 19 mai, mais il s'agissait du jour de la mobilisation enseignante, c'est pourquoi nous avons reporté l'audition. Le moment me paraît toutefois opportun pour répondre à certaines questions et lever certaines inquiétudes, comme je l'ai fait devant votre assemblée à l'occasion des nombreuses questions posées au Gouvernement.

La réforme du collège doit être mise en perspective dans la politique éducative du Gouvernement. Nous avons d'abord rendu à l'éducation nationale le premier budget de la nation. Cela s'est traduit par des créations de postes, notamment dans le premier degré. « Pourquoi avoir réformé le collège avant le primaire ? », m'a-t-on souvent demandé. Or depuis 2012, nous avons augmenté le nombre de maîtres dans les écoles primaires, favorisé la préscolarisation avant l'âge de trois ans et modifié les rythmes scolaires dans le premier degré : nous avons donc bien respecté la logique chronologique en commençant par les défis du primaire.

Le collège est un moment charnière dans la vie des élèves. En passant du CM2 à la sixième, l'élève bascule dans un autre monde sans être toujours acculturé et en mesure de comprendre ce que l'on attend de lui. Depuis quelques années, les résultats des élèves - de tous les élèves - de collège français sont en baisse.

Notre collège va mal parce que le niveau général diminue ; parce que l'écart entre les bons élèves et les plus en retard n'a cessé de se creuser ; parce que ces écarts sont liés à l'origine sociale des élèves - le déterminisme social est particulièrement fort en France, qui est la lanterne rouge de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans ce domaine. L'école française conforte les inégalités sociales par son organisation, qui donne davantage à ceux qui ont déjà beaucoup.

Nous avons voulu remédier à cet état de fait, en jouant sur tous les leviers d'action. Les enseignements interdisciplinaires et l'accompagnement personnalisé ont déjà fait l'objet de tentatives d'introduction au collège, mais sans les accompagner d'un changement des programmes. Ainsi, on a fait peser une injonction paradoxale sur les enseignants en leur demander de travailler en petits groupes, de mieux accompagner les élèves, tout en leur imposant des programmes très lourds, d'où la souffrance qu'ils ressentent.

Pour la première fois, nous allons modifier à la fois les programmes et l'organisation du collège. Premier levier, partant du constat que tous les établissements n'ont pas les mêmes besoins, nous allons mettre fin à l'uniformité en donnant une marge de manoeuvre aux équipes enseignantes, ici pour renforcer l'enseignement du français, là pour renforcer la motivation en organisant des partenariats avec le monde professionnel. Ce sont les fameux 20 % du temps dont les équipes pédagogiques décideront l'organisation.

Deuxième levier : les pratiques pédagogiques. Il n'y a pas une unique façon d'apprendre. En plus des enseignements traditionnels, qui sont disciplinaires, théoriques et magistraux, nous allons mettre en place les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) : plusieurs enseignants travailleront ensemble auprès des élèves en croisant leurs spécialités. Dans un monde complexe où les sources d'information sont multiples, l'enseignement cloisonné et disciplinaire ne suffit plus. Pour prendre du sens, ce travail doit s'organiser autour de projets concrets - ce que les anglo-saxons appellent learning by doing - par exemple en établissant un lien entre des formules mathématiques et le développement durable.

Les EPI porteront sur huit thèmes, dont le monde économique et professionnel, le renforcement des langues vivantes ou encore le développement durable. Autonomie oblige, les établissements en choisiront six. Que les différentes disciplines ne craignent pas de perdre du temps d'enseignement, puisqu'elles en retrouveront en participant aux EPI.

Troisième levier, l'accompagnement personnalisé et le travail en petits groupes. Les enseignants se plaignent de ne pouvoir avancer en raison de l'hétérogénéité du niveau des élèves. Nous allons créer 4 000 postes - cela n'est pas suffisamment rappelé - pour les aider à s'adapter à la singularité de chaque élève en prévoyant des temps d'accompagnement personnalisé. Ils vérifieront la bonne acquisition du cours ou proposeront un approfondissement aux élèves les plus avancés.

La réforme instaurera ainsi un collège toujours unique mais pas uniforme, car il traitera la diversité des élèves. Elle s'accompagnera d'une réforme des programmes qui entrera elle aussi en vigueur à la rentrée 2016. Ces programmes correspondront au socle commun de connaissances, de compétences et de culture, dont la première version avait été établie en 2005, alors que François Fillon était ministre de l'éducation nationale - vous voyez que nous reprenons les bonnes idées, d'où qu'elles viennent... Cependant, comme les programmes n'avaient pas été révisés, les enseignants devaient évaluer leurs élèves à l'aune du programme et en fonction du socle commun, ce qui a conduit certains à qualifier le livret personnel de compétences « d'usine à cases ».

Nous procédons à une mise en cohérence, pour que les programmes de primaire et du collège conduisent l'élève à la maîtrise de chacune des compétences du socle. C'est un travail considérable. J'ai pu encore le constater ce matin même à l'occasion d'un forum avec des historiens. Bien sûr, un programme est toujours perfectible. Considérez cependant que nous changeons en même temps neuf ans de programmes dans toutes les disciplines.

Enfin, nous ne voulons pas seulement corriger les lacunes du collège, mais aussi le moderniser. En 2023, quand les collégiens de 2016 entreront dans la vie active, de quoi auront-ils besoin ? De connaître plusieurs langues vivantes, de mieux maîtriser l'oral, de savoir travailler en équipe, de développer la créativité, de savoir utiliser les outils numériques.

Dans cette perspective, nous allons d'abord imposer la deuxième langue vivante dès la classe de cinquième. Des contre-vérités ont circulé, on a prétendu que c'était au détriment de la première langue vivante (LV1). C'est faux, la LV1 ne perd pas d'heures. À compter de 2016, les élèves apprendront une langue étrangère dès le cours préparatoire (CP), et non plus à partir du cours élémentaire 1 re année (CE1).

Le 7 mai, le Président de la République a annoncé un plan numérique pour le collège, doté d'un milliard d'euros sur trois ans. Ce n'est pas anodin ! Ce programme, mis en oeuvre dès 2016, comprendra une formation des enseignants, la création de ressources pédagogiques numériques, en particulier pour les langues vivantes, et le financement d'équipements mis à la disposition des élèves.

La réforme du collège répond à un défi particulièrement actuel après les attentats de janvier, celui de la citoyenneté. L'école a également pour mission de transmettre des valeurs, de former des citoyens. C'est pourquoi parmi les thèmes des EPI figure l'éducation aux médias, ce qui a malheureusement été peu commenté. La réforme prévoit également le développement d'un média collégien - journal, radio ou autre - dans chaque établissement, ainsi que la création d'un conseil de la vie collégienne, expérimenté avec succès dans les lycées.

Enfin, la réforme n'oublie pas les parents. Le livret scolaire unique leur donnera la possibilité de suivre le parcours de leur enfant, notamment l'absentéisme.

B. DÉBATS

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire

La plupart des acteurs de la communauté éducative entendus par notre commission ont exprimé de fortes inquiétudes quant à cette réforme : certains en demandent même l'abrogation.

Je ne conteste pas la nécessité d'améliorer la situation, puisque 20 à 30 % des entrants en sixième ne maîtrisent pas les fondamentaux et que certains élèves sortant de troisième ont des difficultés à résoudre des exercices de mathématiques de niveau CM2.

Parmi les 150 000 élèves qui sortent du système sans diplôme, la moitié a éprouvé des difficultés dès le premier cycle, conséquence du déterminisme social. À sept ans, l'avenir des élèves est déjà largement déterminé. Il est nécessaire de prendre le problème à la racine, dès l'école élémentaire, pour faire en sorte que tous les élèves sachent lire, écrire et compter à leur entrée en sixième. Nous pensons que vous devez aller plus loin. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

La méthode et la philosophie de la réforme suscitent elles aussi des interrogations. L'école mérite mieux que des prises de position politiciennes, dans un jeu où droite et gauche se renverraient le « référentiel bondissant » ! Pourquoi supprimer les classes bilangues et les sections européennes ? Leur utilité a été rappelée par un récent rapport de l'inspection générale soulignant que leur présence « participe indéniablement à une meilleure attractivité du collège, facteur de mixité sociale pour les établissements classés en éducation prioritaire ».

La deuxième langue vivante en cinquième est une mesure louable, mais son enseignement, trop superficiel, risque de fragiliser les élèves en difficulté, comme les enseignants des collèges qui l'ont expérimentée l'ont relevé.

Le latin et le grec sont injustement taxés d'élitisme ; votre réforme n'offre pas la possibilité de les étudier sérieusement, elle propose un enseignement au rabais dans le cadre des EPI. L'arrêté crée, en plus, un enseignement de complément sans dotation horaire dédiée. Certes, un programme est en projet, mais qu'en sera-t-il sans volume dédié ? Ce sont pourtant des fondements de notre culture.

Je m'interroge sur la pertinence des EPI, qui sont créés au détriment de l'enseignement disciplinaire. Rappelons-nous les expériences, peu concluantes, des travaux personnels encadrés (TPE) et des itinéraires de découverte (IDD).

L'orientation, maintenant. La réforme met fin à l'option de découverte professionnelle en troisième au profit du parcours individuel d'information et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP), mais sans horaires spécifiques. Le temps de cet enseignement sera nécessairement pris sur le temps disciplinaire. L'avenir de la classe de troisième prépa-pro est tout aussi incertain, en l'absence de précisions sur le volume horaire qui lui sera attribué. Le Président de la République veut favoriser les filières professionnelles et l'apprentissage ; pourquoi ne pas individualiser davantage les parcours ? Enfin, le devenir des sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) au collège reste flou. Quelles orientations prévoyez-vous ?

Sans revenir sur le caractère facultatif de l'enseignement de certaines périodes historiques, je déplore le charabia ridicule utilisé dans certains programmes ; ainsi des éléments explicatifs au programme de français de cycle 4 : « L'élève questionne et expérimente à travers l'écriture, l'oral et la lecture le sens du cheminement qui mène l'être aussi bien au-delà de lui-même vers l'inconnu qu'en lui-même à la recherche de l'énigme qu'il est » ! Va-t-on enfin appeler un chat un chat ? Ce langage prêterait à sourire, s'il n'était pas insultant pour les jeunes et les parents dont le vocabulaire est limité.

J'avais proposé qu'avant les arbitrages budgétaires le Parlement puisse débattre au-delà des deux heures attribuées pour discuter votre budget, autant que pour celui des Monnaies et médailles !

Mme Françoise Férat, rapporteure pour avis des crédits de l'enseignement technique agricole

Plutôt que de revenir sur des points inlassablement soulevés depuis plusieurs semaines, je m'en tiendrai au cadre général de la réforme.

L'acquis des fondamentaux dès le primaire est essentiel. La réforme ne présuppose-t-elle pas que tous les élèves doivent savoir lire, écrire et compter convenablement en entrant en sixième, ce qui favoriserait la réduction des inégalités par la suite ?

Pour remonter plus loin encore, la maternelle est un moment important, celui de l'acquisition du langage. Or les inégalités sont déjà fortes à l'entrée à l'école. Je crois savoir qu'il existe un projet de programmes pour la maternelle. Qu'en est-il exactement ?

Certaines des dispositions du décret et de l'arrêté sont déjà mises en oeuvre dans l'enseignement agricole, en premier lieu l'accompagnement personnalisé et l'autonomie pédagogique, qui s'accompagne d'une véritable autonomie de gestion - et ça marche ! Ne pourrait-on pas s'en inspirer ?

L'orientation est la grande absente de la réforme. L'article 6 de l'arrêté se contente d'une allusion : les EPI contribuent à la mise en oeuvre du PIIODMEP. Pour le moment, en dehors d'un projet de référentiel, rien n'est prévu pour sa mise en oeuvre. Aucune dotation horaire n'a été annoncée. Faudra-t-il ponctionner sur les disciplines pour l'organiser ?

Plus généralement, je déplore la logique qui consiste à maintenir les élèves autant que possible dans une filière générale. La revalorisation de l'enseignement professionnel demeure hélas un voeu pieux.

Mme Françoise Laborde

Premièrement, quelles sont les conséquences de cette réforme sur le diplôme national du brevet ?

Deuxièmement, les heures normalement consacrées à l'enseignement de l'éducation civique sont souvent utilisées pour terminer le programme d'histoire-géographie. L'enseignement moral et civique au collège aura-t-il un programme et une dotation spécifiques pour éviter cela ?

D'un point de vue pratique, 26 heures de cours hebdomadaires sont prévues en sixième, avec un plafond de six heures par jour et une pause d'une heure et demie le midi, soit au total 4,5 jours de cours. L'école privée sous contrat sera-t-elle soumise aux mêmes règles, ce qui la contraindrait à assurer des cours le mercredi matin ? Dans le cas contraire, ce serait une dérogation, et vous savez que je les déteste...

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Je suis convaincue de la réalité de l'effet maître, qui rend d'autant plus importante la formation des enseignants. Avec les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), nous avons rétabli la formation initiale. Nous allons veiller à harmoniser les troncs communs et, surtout, accorder une priorité à la formation continue. Un plan de formation pour 2015-2016 est en cours d'adoption avec les organisations syndicales. Nous avons souhaité publier le décret pour commencer dès que possible l'appropriation de la réforme par les enseignants, grâce à ce plan très ambitieux puisque chacun d'entre eux recevra quatre à cinq jours de formation sur la nouvelle organisation, les nouveaux programmes et l'introduction du numérique.

Concernant les classes bilangues, peut-être la formulation est-elle en cause. Nous ne souhaitons pas mettre fin au dispositif, mais l'étendre à l'ensemble des élèves. L'école ne peut organiser la différence de chances entre élèves. Les classes bilangues concernent 15 % des élèves de sixième ; elles concerneront l'ensemble des élèves de cinquième. C'est peut-être insuffisant, mais nous aurons parcouru la moitié du chemin.

Est-ce un risque que d'enseigner une deuxième langue à tous dès la cinquième ? Arrêtons d'opposer les matières : comme des enquêtes sérieuses l'ont démontré, l'exposition aux langues vivantes améliore la maîtrise du français.

Il y a un temps pour la polémique et un temps pour la confiance. Les langues anciennes sont une richesse, un apport dans les domaines de l'histoire, de la citoyenneté, du français, mais aussi du développement de l'imaginaire ; c'est pourquoi, plutôt que de les réserver à une minorité, nous devons les ouvrir à un plus large public grâce aux EPI qui aborderont toutes ces dimensions. Je fais le pari que ces matières attireront ainsi davantage d'élèves. S'ils sont 18 % à étudier le latin au collège, ils ne sont plus que 5 % au lycée. Les langues et cultures de l'Antiquité pourront être étudiées en cinquième, quatrième et troisième de façon continue dans le cadre des EPI, avec en plus la possibilité d'enseignements de complément. Au total, elles bénéficieront du même nombre d'heures, mais pour un plus grand nombre d'élèves. Quant aux professeurs, ils enseigneront ces matières dans le cadre des EPI, comme tous leurs collègues et l'augmentation du nombre d'élèves leur permettra de continuer à assurer des cours de latin et de grec.

Vous craignez le retour des IDD, qui déjà étaient destinés à introduire l'interdisciplinarité au collège. Leur échec s'explique par le fait que les heures d'IDD, qui n'étaient pas sanctuarisées dans l'agenda des élèves, sont devenues des heures « gadget ». Les EPI, eux, auront une réalité dans les agendas et une base dans les programmes.

L'éveil des élèves au monde professionnel est favorisé par le PIIODMEP, qui sera bientôt appelé, de façon moins obscure, « parcours Avenir ». Ce parcours est conçu pour faire découvrir aux élèves, les lycées professionnels, les métiers, l'apprentissage dans le cadre de journées dédiées. Les établissements seront invités à adopter un projet en lien avec les entreprises de leur territoire.

Vous vous inquiétez pour les SEGPA. Non seulement ces classes continueront à exister, mais elles seront confortées. Une circulaire en cours de rédaction entend favoriser le rapprochement entre les élèves de SEGPA et ceux des autres filières à travers des moments communs dans leur scolarité.

Le vocabulaire des programmes a suscité de nombreuses réactions. Je conviens de la nécessité de créer des documents de vulgarisation plus aisément accessibles aux parents.

Mme Françoise Cartron

Très bien !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre

La maternelle n'est pas oubliée, puisque les nouveaux programmes ont déjà été adoptés avec un retour très positif des enseignants mais, curieusement, un écho beaucoup moins important. Il a été unanimement reconnu que le jeu devait y retrouver toute sa place. Nous avons également introduit la conscience phonologique, c'est-à-dire le premier pas vers l'apprentissage de l'écriture. Nous travaillons en ce moment à des documents de vulgarisation de ces programmes.

Vous avez évoqué l'enseignement agricole ; naturellement, nous suivons attentivement ce qui s'y passe, notamment en matière d'accompagnement personnalisé.

Mme Laborde m'a interrogée sur les conséquences de la réforme sur le brevet. Le nouveau brevet apportera une évaluation en conformité avec les orientations du référentiel, en matière de maîtrise de l'oral, de travail en équipe et de connaissance de deux langues vivantes. Contrôle continu et contrôle final seront maintenus.

Enfin, les établissements privés sous contrat devront naturellement respecter le référentiel du collège ; en revanche, la loi leur laisse la possibilité d'organiser la semaine comme ils l'entendent. Ils n'auront donc pas obligation de dispenser des cours le mercredi matin.

Mme Corinne Bouchoux

Vous avez fait preuve de beaucoup de pédagogie pour nous expliquer ce qui est explicite dans la réforme ; mes questions porteront plutôt sur ce qui reste implicite. Chez les enseignants, l'individualisme et le sens de l'autonomie priment sur le travail en équipe. Nous le savons tous, l'ouverture de classes bilangues ou l'enseignement du latin servent à créer des classes « Camif » destinées à améliorer l'attractivité du collège dans un univers de plus en plus compétitif. Enfin, transformer les petits effectifs volontaires pour apprendre une langue ancienne en gros effectifs non volontaires n'ira pas sans difficultés. Se pose également la question de l'équilibre entre la formation des enseignants sur site, dans les établissements, et la mise à disposition des locaux nécessaires - en Allemagne, les professeurs disposent de bureaux et de salles de réunion. Il est indispensable d'y répondre, si l'on veut arriver à une réforme consensuelle du collège.

Mme Françoise Cartron

Votre ton très pédagogique parvient à faire évoluer les représentations et les convictions. M. Carle et Mme Férat sont désormais convertis à l'importance de la maternelle et du primaire. Je me rappelle le rapport de la présidente Papon sur la nécessité d'ouvrir des jardins d'éveil plutôt que des maternelles : nous progressons... Il est désormais acquis que l'apprentissage de la langue dès le plus jeune âge est important : oui, nous avançons ! Quant à la part d'autonomie laissée aux établissements, elle est prônée depuis bien longtemps, toujours par M. Carle, qui y voit le salut de la progression et de l'innovation pour nos établissements : nous y sommes !

La consultation des enseignants de maternelle livre un retour favorable sur la réforme des programmes. Celle des enseignants du primaire est en cours. Disposez-vous d'une synthèse éclairant les points de consensus et de litige ? Cette réforme ne fonctionnera que si les enseignants se l'approprient. Quel accompagnement avez-vous prévu pour oeuvrer au plus près des professeurs ? Irez-vous jusqu'à modifier les missions des inspecteurs de l'Éducation nationale pour qu'ils privilégient, dans cette période de changement, l'accompagnement pédagogique au contrôle administratif ? Enfin, des questions ne manquent pas de surgir depuis le 11 janvier sur la nécessité d'éduquer les enfants aux medias et à l'esprit critique : comment l'école peut-elle y contribuer ?

Mme Colette Mélot

Je ne reviendrai pas sur le diagnostic, ni sur la nécessité d'une réforme de notre système éducatif. Je m'étonne cependant que la vôtre propose d'abroger des options et de les remplacer par des parcours moins nourris, notamment en langue. Enseigner à tous une deuxième langue dès la cinquième ? Le saupoudrage ne bénéficiera certainement pas aux élèves. Mieux aurait valu pour certains approfondir la première langue vivante. Supprimer les classes européennes ou les langues anciennes prive ceux qui l'auraient voulu de la possibilité de bénéficier de cet enseignement. Vouloir généraliser les apprentissages est irréaliste, et particulièrement dans les établissements difficiles. Il n'y a pas que les enfants issus des classes sociales favorisées qui choisissent ces options. Dans un collège de zone d'éducation prioritaire (ZEP), en Seine-et-Marne, des classes bilangues et européennes y ont été créées il y a vingt ans. On y compte 50 % de boursiers, et le collège fait désormais partie d'un réseau d'éducation prioritaire (REP). Grâce à ces dispositifs et aux échanges linguistiques, les élèves y bénéficiaient d'une ouverture au monde. Ce ne sera désormais plus possible.

Le collège unique qui a vu le jour en 1975 n'est plus adapté. Si le socle commun reste nécessaire, il faut des enseignements diversifiés pour que les élèves trouvent leur voie et s'épanouissent. Ce n'est pas tout à fait ce que vous proposez. Enfin, pouvez-vous nous confirmer que la réforme ne modifiera ni les sections internationales, ni les sections sportives, ni les classes à horaires aménagés ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin

Cette réforme fait naître un véritable émoi : à l'instar de mes collègues, je suis inondée de courriers. Nous aurons besoin de temps pour lutter contre les déterminismes sociaux. Des inquiétudes demeurent sur la reconstitution d'un vivier d'enseignants. Les résultats d'admissibilité au concours externe laissent entrevoir des manques dans certaines matières. Au certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) externe de mathématiques, le taux des admissibles a chuté de 5,1 %. La même désaffection se constate en allemand, en lettres et en anglais, où le nombre d'admissibles est même inférieur au nombre de postes à pourvoir. Cette réforme risque de s'opérer dans un contexte de pénurie d'enseignants. Manifestement, les dispositifs des emplois d'avenir professeur (EAP) et du Master 1 en alternance ne suffiront pas à rétablir la situation. La question du pré-recrutement demeure plus que jamais essentielle.

M. Philippe Bonnecarrère

Mon collègue Claude Kern s'interroge sur la préposition « ou » dans l'intitulé de la thématique « Langues et cultures étrangères ou régionales ». Il aurait souhaité lire « et ». Quelle place faites-vous aux langues régionales dans la réforme ?

M. David Assouline

Il faut que ceux qui se servent de la concomitance entre la réforme des programmes et celle du collège pour créer la confusion arrêtent de mentir. Beaucoup se sont émus de la suppression du latin ou du fait qu'on privilégierait l'enseignement de l'islam à celui des autres religions, ce qui est totalement faux. Quelles nouvelles instructions avez-vous données au Conseil supérieur des programmes (CSP) pour garantir que l'enseignement des humanités et des Lumières reste au coeur des contenus, comme vous l'aviez annoncé au lendemain du 11 janvier ?

M. Louis Duvernois

Quelle continuité avez-vous prévue pour les enseignements et les contenus du collège au lycée, sachant que chaque professeur aura enseigné le latin selon ce qu'il lui aura été possible ? Sous couvert de faire découvrir les langues anciennes à plus d'élèves, les disparités qui seront rendues inévitables par les mises en pratique propres à chaque collège inciteront-elles à poursuivre cette option ? Pourquoi la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) ne reconnaît-elle pas l'inscription véritable des langues et cultures de l'Antiquité dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture ?

Pourquoi la DGESCO a-t-elle choisi huit thématiques d'EPI, dont certaines ne sont pas forcément adaptées, alors que le CSP en proposait dix parfaitement justifiées ?

Les classes bilangues ne seront maintenues que pour les élèves ayant commencé une autre langue que l'anglais en CP. Que prévoyez-vous pour la période transitoire 2016-2021 durant laquelle ces élèves entreront en sixième ?

Mme Mireille Jouve

Quel dispositif proposez-vous pour former les enseignants au numérique, assurer la maintenance du matériel et équiper les établissements ?

Mme Maryvonne Blondin

Les collectivités et les familles sont engagées depuis longtemps dans la résurgence des langues régionales. Celles-ci ont été prises en compte dans la loi de refondation de l'école. Il ne faudrait pas qu'elles soient perdues dans le cadre de cette réforme du collège. Elles mériteraient de figurer dans l'article 8 de l'arrêté.

Les enseignements de complément renforceront le contenu des EPI. Dans certains collèges, les classes-relais contribuent à lutter contre l'absentéisme et l'échec scolaire. Comment seront-elles organisées ? Bénéficieront-elles de dotations globales ? Les inspecteurs et les chefs d'établissement auront à choisir les heures d'autonomie qui seront accordées. Comment les former et les accompagner dans cette mission ?

Mme Marie-Annick Duchêne

En cette période troublée, il est rassurant de savoir que nos adolescents vont dans des écoles de service public, ou du privé sous contrat. Qu'en est-il du hors-contrat qui tend, dans certains territoires, à s'étendre ? L'État envisage-t-il des contrôles supplémentaires ?

Mme Marie-Pierre Monier

Le parcours personnalisé s'adressait aux élèves de troisième en grande difficulté, afin qu'ils sortent du collège avec un diplôme : le certificat de formation générale (CFG) ou le brevet série pro. Quel est son devenir ? Selon quel calendrier s'organisera la mise en place des nouveaux programmes et comment les remarques des enseignants seront-elles prises en compte ? Enfin, cette réforme donnera-t-elle des précisions sur les effectifs, qu'il s'agisse de ceux des classes, des groupes ou de l'aide individualisée ?

Mme Christine Prunaud

Vous entendre plus tôt, madame la ministre, aurait éclairci bien des choses... Cette réforme prévoit de bonnes mesures. Les 4 000 postes attribués pour l'accompagnement personnalisé sont-ils inclus dans le chiffre que le Gouvernement avait annoncé, ou viennent-ils en plus ? Qu'en est-il de la mise à disposition de nouveaux locaux ? J'ai cru comprendre que vous ne toucheriez pas aux classes bilangues. Même si ce n'est pas la majorité, on y trouve un pourcentage d'élèves issus du milieu ouvrier. Comment les encourager à s'y inscrire davantage ? Je crois fermement qu'il faut développer l'enseignement des langues. Cependant, comment articuler l'apprentissage d'une première avec celui d'une deuxième langue ? Enfin, puisque tout le monde ici s'accorde à reconnaître la valeur des classes maternelles, pourquoi ne pas encourager la scolarisation dès deux ans ?

M. Jean-Pierre Leleux

Notre objectif commun est la réussite de tous les élèves. Consiste-t-elle pour autant à ce que tous les élèves aient le même niveau ? En généralisant les enseignements et en initiant tous les élèves à toutes les matières, ne risque-t-on pas d'atrophier les filières d'excellence ?

Selon vous, la réforme ne passera pas si les enseignants ne l'accompagnent pas. Or, lors de notre table ronde avec les enseignants, la majorité de leurs syndicats s'y est opposée, certains allant même jusqu'à en demander l'abrogation. Comment comptez-vous faire ? Une consultation des enseignants est en cours sur les programmes. Ce sujet ne devrait-il pas faire l'objet d'un débat parlementaire ? Enfin, pourquoi les bourses au mérite ont-elles été supprimées ?

M. Michel Savin

Une réforme du collège devrait instaurer un meilleur climat dans les établissements. Certains élèves passent parfois de collège en collège et de classe en classe sans jamais parvenir à s'intégrer. Comment traiter une problématique qui met en insécurité les autres élèves et les enseignants ?

M. Guy-Dominique Kennel

Je tiens à féliciter la ministre qui est une remarquable communicante. J'entends beaucoup de questions et toujours les mêmes réponses. Avec ce sens de...

Mme Françoise Cartron

... la pédagogie...

M. Guy-Dominique Kennel

... il n'y a rien d'étonnant à ce que vous soyez ministre de l'Éducation nationale. Au mois de mars dernier, vous disiez que la suppression des classes européennes ne concernerait pas les zones transfrontalières. Je suis alsacien et 73 % des élèves de mon département sont scolarisés en classes bilangues. Qu'en est-il précisément pour ce territoire ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (Clemi) est une petite cellule. Quel sera son rôle à l'avenir ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Si nous tenons à lancer la réforme dès la rentrée 2016, la concomitance des réformes n'est pas notre fait, mais vient du retard accumulé par le Conseil supérieur des programmes, instance indépendante dont le précédent président, M. Alain Boissinot, a démissionné en juin dernier. Indéniablement, il y a eu des maladresses de formulation au sujet des programmes d'histoire, notamment dans l'usage du terme « facultatif ». Le CSP a jugé bon de distinguer entre sujets obligatoires et facultatifs pour laisser une marge de manoeuvre aux enseignants dans leur traitement des programmes. Il n'est pas pour autant question de rendre l'étude des Lumières facultative, ni de passer aucune période de l'histoire sous silence. Aucun thème n'est facultatif, mais l'enseignant garde la liberté d'approfondir certains aspects plus que d'autres - l'approche sociale des idées des Lumières ou bien leur influence à l'étranger, par exemple. L'un des objectifs de notre réforme, après les attentats de janvier dernier, est de développer chez les élèves les valeurs de la liberté et de la liberté d'expression.

Quant au calendrier, la consultation des enseignants initiée le 11 mai dernier se poursuivra jusqu'au 12 juin. Elle s'adresse à 800 000 enseignants, invités à répondre à un questionnaire, selon la méthode expérimentée pour l'adoption du socle commun et des programmes de maternelle. Pour l'instant, les retours sont satisfaisants. Le 12 juin, je saisirai le CSP à la lumière de ces remontées, puis je validerai définitivement les programmes en septembre, ce qui laissera aux éditeurs une année pour publier les nouveaux manuels. À cela s'ajoutent des consultations plus larges : un forum se tient actuellement en Sorbonne, où de grands historiens éclairent de leurs regards ce que doit être l'enseignement de l'histoire. Une réflexion de même nature devrait s'organiser pour les autres matières.

Un plan national de formation ambitieux sera publié dans quelques jours pour préparer les enseignants à mettre en oeuvre la réforme, avec l'organisation de vingt-trois séminaires nationaux sur la réforme du collège, les nouveaux programmes et le numérique. On pourra ainsi former les cadres - chefs d'établissement ou inspecteurs - qui formeront à leur tour les enseignants, sur site, à raison de quatre à cinq jours par personne entre les mois d'octobre 2015 et de mai 2016. Des crédits supplémentaires seront délégués aux académies.

La mission des inspecteurs est essentielle pour que les enseignants s'approprient les nouvelles pratiques. Au mois d'août dernier, à l'occasion de la mise en place des chantiers-métiers, nous avons redéfini les missions des enseignants qui ne se résument pas à faire face aux élèves en classe, mais incluent aussi le travail en équipe et le contact avec les parents. Les missions des inspecteurs ont également évolué vers davantage d'accompagnement et de formation. Une circulaire devrait bientôt formaliser cela.

Madame Mélot, vous ne partagez pas notre projet, notamment au sujet des langues vivantes. Arrêtons de nous leurrer en considérant qu'un enfant de onze ans est capable de savoir ce qu'il veut faire. Nous voyons trop souvent le collège avec nos yeux d'adultes. À onze ans, l'enfant a besoin d'être accompagné dans ses choix. Si le collège ne le fait pas, ce sont les parents qui s'en chargent ou qui délèguent la tâche à des entreprises privées. Il serait d'autant plus injuste de laisser l'enfant seul responsable de ses choix et de son parcours quand il ne dispose d'aucun accompagnement. C'est à nous de donner aux enfants le goût du travail et celui du mérite, en les initiant par exemple au latin et au grec. Et quand bien même ce ne serait que saupoudrage, il sera toujours temps d'approfondir et d'aller plus loin au lycée ou à l'université. C'est déjà une belle ambition que d'ouvrir le plus de portes possibles avant quinze ans.

Soyons clairs, il a toujours existé deux sortes de classes bilangues : celles destinées aux enfants qui ont étudié l'anglais comme LV1 à l'école primaire et qui choisissent l'allemand en sixième, et les classes bilangues dites « de continuité » pour les élèves ayant commencé l'apprentissage d'une langue autre que l'anglais en primaire et qui en débutent l'apprentissage en sixième. Ces dernières sont majoritaires dans les zones transfrontalières, où nous les maintiendrons, en leur offrant même une garantie, puisque ce bilanguisme sera désormais garanti dans tous les établissements : c'est inscrit dans les textes. En revanche, les élèves qui ont commencé par l'anglais ne commenceront à apprendre une autre langue qu'en cinquième, comme la réforme le prévoit.

Je reviendrai avec grand plaisir vous présenter en amont la future carte académique des langues. C'est la première fois que nous avons un pilotage national en la matière. Dans les académies, tout tient à la personnalité du recteur. À Lyon, par exemple, un recteur germaniste a ouvert des classes et développé des jumelages, de sorte qu'on compte désormais 30 % d'élèves germanistes dans l'académie. Nous voulons un pilotage national prévoyant des objectifs chiffrés, des ouvertures de classes, des profilages de poste. Recourir à des intervenants extérieurs est un bon moyen de promouvoir l'apprentissage des langues. Qu'on se rappelle le succès des assistants de langue ou des locuteurs natifs, il y a quelques années. Nous voulons redonner une véritable impulsion.

Quant aux concours de recrutement, si l'on se fie à l'exemple du CAPES de mathématiques, les ratios d'admissibilité sont bien meilleurs cette année qu'en 2013 : 1,25 en 2015 contre 1,08 deux ans plus tôt. Ce n'est pas parfait, mais nous sommes sur la bonne voie. Il faudra du temps pour encourager les étudiants à reprendre la voie des concours. Je ne suis pas fermée sur le pré-recrutement.

Monsieur Duvernois, le CSP est une instance indépendante dont nous avons la liberté de ne pas forcément adopter les projets. Nous avons tenu à ce que les EPI soient ancrés dans les programmes. C'est le cas des langues et cultures de l'Antiquité qui prennent en compte l'étude de la civilisation et de la culture en plus de l'apprentissage linguistique.

Dans le cadre de notre réflexion sur les chantiers-métiers, nous avons décidé que les enseignants qui s'impliquaient dans le numérique pourraient bénéficier de l'indemnité pour mission particulière. Lorsqu'il a annoncé le plan numérique, le Président de la République a précisé que la responsabilité de l'entretien du matériel dans les établissements serait partagée entre l'État et les collectivités territoriales.

Je tiens à vous rassurer sur le sort des langues régionales, dont la réforme du collège ne remet pas en cause la promotion. L'enseignement bilingue restera en vigueur et de pleine application dans les écoles et les lycées. Il commencera dès la sixième. L'article 8 de l'arrêté prévoit que les élèves qui ont étudié une autre langue que l'anglais en primaire, commenceront à l'étudier dès la sixième. Cela vaut aussi pour les langues régionales.

Mme Maryvonne Blondin

Et les enseignements de complément ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Les EPI assureront la continuité et la progression de l'apprentissage entre la cinquième et la troisième. Quant aux classes-relais, elles ne seront pas impactées, non plus que les sections sportives ou les classes à horaires aménagés. Le procès qu'on nous fait de vouloir mettre tout le monde dans les mêmes sections n'est pas justifié. Enfin, la classe de troisième prépa-pro n'est pas non plus remise en cause par la réforme du collège.

Nous souhaitons renforcer notre contrôle des établissements privés hors contrat. La jurisprudence récente nous est favorable : alors que jusqu'à présent notre intervention se limitait aux questions d'hygiène ou de sécurité, nous pouvons désormais exercer un contrôle sur la transmission des valeurs de la République. Une équipe d'inspecteurs est en train de se créer. De la même façon, nous voulons mieux évaluer le respect des programmes ou l'acquisition du socle de connaissances par les jeunes scolarisés à domicile.

En termes d'effectifs, les 4 000 postes annoncés serviront à démultiplier les enseignements en petits groupes. Actuellement, un collège de 500 élèves a une marge de manoeuvre de 10 heures pour organiser du travail en petits groupes. Grâce à la réforme, il en aura 60.

Il faut bien comprendre que les programmes sont les outils professionnels des enseignants. Par conséquent, le Parlement ne peut pas être le lieu où on les conçoit. Définir leur contenu requiert une expertise, une expérience et un vocabulaire particuliers. Plusieurs méthodes ont été expérimentées : on a confié la tâche à la DGESCO, ou bien à des comités ad hoc . Quoique perfectible, le dispositif actuel est efficace. Le CSP est une instance indépendante composée d'experts, mais aussi de membres de la société civile, venus du Conseil économique, social et environnemental, ou bien même du Parlement pour six d'entre eux. On allie ainsi l'expertise aux regards généralistes. La loi a prévu que les enseignants soient consultés. C'est indispensable pour que la réforme réussisse.

Enfin, sur la question des bourses au mérite, je regrette qu'on ait jugé la mesure en la déconnectant de l'ensemble du dispositif. Avant 2012, comme on consacrait peu d'argent aux bourses étudiantes, on avait le souci d'objectiver les critères de leur versement : d'où la création des bourses au mérite, soit 1 800 euros alloués aux bacheliers ayant obtenu une mention « très bien ». Nous avons augmenté le financement des bourses de 450 millions d'euros, ce qui revient à attribuer beaucoup plus de bourses à beaucoup plus d'étudiants : désormais, 130 000 étudiants issus des classes moyennes reçoivent 1 000 euros par an. Toutes les bourses ont été revalorisées, avec un effort particulier à destination des plus défavorisés, soit 20 000 étudiants qui touchent 800 euros supplémentaires. La logique du dispositif n'est plus la même, puisqu'il ne privilégie plus les bacheliers méritants qui bénéficient déjà des coups de pouce donnés par d'autres institutions. Initialement, nous souhaitions supprimer les bourses au mérite. Le Conseil d'État s'y est opposé pour des raisons de forme. Afin d'éviter l'impasse financière, nous avons coupé la poire en deux : nous avons conservé le mécanisme de soutien au mérite, mais en le divisant par deux de 1 800 à 900 euros. Au demeurant, les bourses au mérite complètent les bourses sociales, lesquelles ont augmenté de 800 euros par an. Croire au mérite, c'est offrir au plus grand nombre d'étudiants les moyens de faire leurs preuves, en leur donnant de meilleures conditions pour apprendre.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je vous remercie pour cette audition menée avec dynamisme. Notre commission est très intéressée par les questions d'orientation scolaire. Nous venons de constituer une mission d'information de quinze membres sur ce sujet, présidée par Jacques-Bernard Magner et dont Guy-Dominique Kennel est le rapporteur.

MERCREDI 10 JUIN 2015

TABLE RONDE AVEC LES REPRÉSENTANTS DES SYNDICATS DE DIRECTION ET D'INSPECTION

La commission organise une table ronde sur la réforme du collège avec les représentants des syndicats de direction et d'inspection. Sont entendus :

- M. Didier Laffeach, secrétaire général adjoint du Syndicat Indépendance et direction - Force ouvrière (ID - FO) ;

- Mme Claudie Paillette, secrétaire nationale du Syndicat général de l'éducation nationale - Confédération française démocratique du travail (SGEN-CFDT) ;

- M. Michel Richard, secrétaire général adjoint du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale - Union nationale des syndicats autonomes (SNPDEN-UNSA) ;

- M. Paul Devin, secrétaire général du Syndicat national des personnels d'inspection - Fédération syndicale unitaire (SNPI-FSU) ;

- M. Claude Desfray, co-secrétaire général du Syndicat des inspecteurs d'académie (SIA) ;

- M. Patrick Roumagnac, secrétaire général du Syndicat de l'inspection de l'éducation nationale - Union nationale des syndicats autonomes (SI.EN-UNSA) .

A. INTERVENTIONS

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Notre commission poursuit ses travaux sur la réforme du collège, en accueillant ce matin les représentants des principales organisations syndicales des personnels de direction et d'inspection de l'éducation nationale. Le Syndicat national des inspecteurs d'académie - inspecteurs pédagogiques régionaux (SNIA-IPR-UNSA) n'a pas été en mesure de se faire représenter aujourd'hui.

Les principes et modalités de la réforme du collège ont été fixés par un décret et un arrêté publiés le 20 mai dernier - au lendemain d'un mouvement de grève des enseignants du second degré. Elle s'accompagne d'une refonte des programmes de la scolarité obligatoire, dont les projets élaborés par le Conseil supérieur des programmes (CSP) font aujourd'hui l'objet d'une consultation.

Cette réforme demeure contestée, notamment au sein du corps enseignant. Un groupe de travail réunissant le ministère et l'intersyndicale des enseignants du second degré se tiendra aujourd'hui, à la veille d'une nouvelle journée de mobilisation dans les collèges.

Notre commission a déjà reçu les syndicats d'enseignants et les représentants de parents d'élèves. Elle a entendu la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, la semaine dernière et nous souhaitions absolument vous rencontrer.

Je vous propose de vous exprimer chacun à votre tour, pour une durée de cinq minutes environ. À l'issue de vos interventions, je donnerai la parole à notre rapporteur pour les crédits de l'enseignement scolaire, M. Jean-Claude Carle, puis à l'ensemble des sénateurs.

M. Michel Richard, secrétaire général adjoint du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN-UNSA)

Le SNPDEN a donné un avis favorable à la réforme du collège lors de la réunion du Conseil supérieur de l'éducation qui l'a largement adoptée.

Cette réforme parachève les précédentes plutôt qu'elle ne bouleverse l'organisation du collège. Nous approuvons cette révision du collège qui, dans sa situation actuelle, ne satisfait ni les enseignants ni les parents, puisque les élèves soit y rencontrent des difficultés, soit n'arrivent pas à obtenir les résultats auxquels ils aspirent.

La possibilité de laisser une part d'autonomie à l'établissement - et j'insiste sur les mots « à l'établissement » - représente un point intéressant et fondamental de cette réforme, à laquelle il a été reproché de donner un « chèque en blanc » au chef d'établissement. La marge horaire de trois heures va permettre à chaque établissement d'adapter l'offre de formation selon ses besoins, compte tenu de l'énorme diversité existant entre les 8 000 établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), dont plus de 5 000 collèges.

La fongibilité horaire entre les disciplines au cours des quatre années du collège constitue également une marge d'autonomie laissée aux établissements. Nous pensions qu'avant de définir les horaires, il était préférable de préciser les curriculums et les acquis des élèves à l'issue du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Une démarche différente a été choisie.

Le temps de travail du collégien, réparti entre temps de présence dans l'établissement et travail personnel, est un creuset d'inégalités entre les élèves de milieux favorisés, qui bénéficient de l'aide de leurs parents dans leurs études, et ceux qui se trouvent livrés à eux-mêmes, n'ayant pas la chance d'être accompagnés par leurs parents : il est nécessaire de se pencher sur ce problème dans la nouvelle définition du fonctionnement des collèges.

Le dernier point concerne la réforme profonde des modalités d'évaluation des élèves. Nous militons depuis de longues années pour l'abandon de l'école du tri. Dans le cycle de l'école obligatoire, le socle commun du cours préparatoire (CP) à la 3 e doit être le même pour tous. Il est inconcevable de sélectionner les élèves dès le plus jeune âge alors que la maîtrise du socle commun est indispensable pour former de futurs citoyens.

M. Didier Laffeach, secrétaire général adjoint du Syndicat Indépendance et direction (ID-FO)

La réforme du collège agite les esprits, nourrit les conversations et occupe les médias depuis de longs mois ; les interrogations des personnels de terrain et notamment des personnels de direction ne s'apaisent pas.

Indépendance et direction considère comme légitime l'évolution du collège, a fortiori quand le niveau qui le suit comme celui qui le précède ont été réformés.

Pourtant, nous réfutons l'idée du « maillon faible du système éducatif » car nous estimons que, s'il est loin d'être parfait, le collège n'a pourtant pas failli à l'ensemble de ses missions et notamment dans celle de la massification. Notons à ce sujet que l'Observatoire sur les inégalités en France affirme dans un rapport publié au début de ce mois « que l'école n'aggrave pas les inégalités » même si « elle ne réussit pas à les réduire ».

Sans doute, l'évolution de la société, des techniques, de l'environnement comme de la pédagogie rendent la mutation du collège nécessaire et nous sommes tout prêts à participer à cette démarche. Dans nos sociétés, l'école est un enjeu sur lequel chaque enfant, chaque citoyen, chaque responsable, chaque élu a un point de vue, tant il est vrai que chaque âge de la vie a un lien avec l'école.

Nous nous interrogeons cependant sur la situation actuelle qui, à travers les études internationales, tend à faire prévaloir un modèle plutôt anglo-saxon, qui ne coïncide pas toujours avec le mythe national de l'école laïque et républicaine de la Troisième République. Et d'ailleurs, qui, objectivement, souhaite réellement voir proposer à nos enfants une école de type sud-coréen pourtant bonne élève des comparatifs ?

Un autre écueil doit être évité : attendre de l'école qu'elle réforme la société. L'école a un rôle, une responsabilité dans la construction du citoyen et de la société qu'elle partage avec tant d'autres, de la famille aux médias et aux autres institutions. Mais elle demeure aussi le fruit de cette société et de ses attentes. Il est normal que la société interroge l'école, mais la société doit aussi s'interroger quand elle constate que trop d'élèves peinent à comprendre le sens de l'école, la chance qu'on a d'apprendre, parce que l'effort n'est plus considéré comme une valeur positive.

Toute société doit avoir confiance dans son école, la valoriser et valoriser ses acteurs, c'est une condition de sa réussite et de son efficacité.

À ID-FO, nous nous affirmons comme des acteurs de terrain, responsables et soucieux de la qualité du service public offert aux élèves, à tous les élèves et nous avons le sentiment que, faute d'avoir clairement et précisément défini les préalables et les attendus, la réforme du collège ne permettra pas, en l'état, à la société de retrouver la fierté dans son école.

Nous estimons que la mise en place d'une réforme dont les objectifs sont louables, qui s'appuie sur la définition d'un nouveau socle et des programmes, constituait une bonne base de départ. Il était également intéressant de réfléchir en parallèle sur les méthodes pédagogiques et les supports numériques. Mais le tempo adopté vient ruiner cet édifice, car la réforme doit être mise en oeuvre sans avoir permis aux acteurs de s'approprier ces éléments. La rédaction des programmes n'est pas achevée et la déclinaison en items du nouveau socle n'est pas réalisée.

Nous nous inquiétons de certaines propositions de cette réforme. Si nous sommes favorables à la possibilité d'adaptations pédagogiques pour répondre aux besoins différenciés des élèves, nous considérons que cette autonomie des établissements doit porter essentiellement sur les rythmes, les méthodes, les démarches pédagogiques individualisées et non sur les contenus qui doivent rester nationaux, gage de la formation équitable de tous les citoyens, quelle que soit leur origine géographique ou sociale. Nous sommes ainsi favorables à une autonomie exercée dans un cadre national identique pour tous.

Nous n'hésitons pas à affirmer que la France a besoin d'une élite et qu'il appartient à l'école de la République d'accompagner et de guider chaque élève, selon la devise « citius, altius, fortius » chère à Coubertin. Le devoir de l'école n'est pas de reproduire les élites mais de permettre à chacun d'y accéder : les classes bilangues ou européennes sont précisément des chemins de réussite et d'excellence pour les collégiens qui ne sont pas des « héritiers ». C'est pourquoi nous sommes attachés à la mixité sociale dans les établissements, associée au retour en grâce de l'exigence car on n'exige que de ceux en qui l'on croit. Les formations d'excellence, pour peu que tous puissent effectivement être accompagnés pour y accéder et y réussir dans les meilleures conditions ne sont pas la vraie cause des disparités constatées entre élèves à l'issue de la scolarité obligatoire. Nous redoutons même que certaines familles ne quittent nos établissements pour les retrouver dans d'autres réseaux, aggravant encore la situation.

Sur le plan pratique, nous relevons une contradiction entre l'affirmation de la nécessaire acquisition de compétences tout au long du cycle 4, validées par le palier 3 du socle, et le maintien en parallèle du diplôme national du brevet sur les bases actuelles.

Je m'attarderai brièvement sur un axe de la réforme dont nous avons le sentiment qu'il est la généralisation d'expériences tentées sur de petits nombres : les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), dont les modalités de mise en oeuvre restent bien floues. Relevons au préalable que les six domaines à sélectionner, valider et auxquels les enseignants devront donner du contenu seront des sources d'inégalités tant en fonction des équipes que des conditions locales, géographiques et budgétaires. L'absence de temps de concertation institutionnalisé pèsera sur leur mise en oeuvre. La manière dont les équipes s'approprieront ces EPI ne manquera pas de différer d'un point à l'autre du territoire, tant sur les contenus choisis que sur la ventilation des domaines au long du cursus. Les premiers concernés seront les élèves amenés à changer d'établissement, pour lesquels il sera fort compliqué et même quasi impossible de repérer les points qui n'auront pas été étudiés. Cette évolution aggravera les disparités entre établissements en termes d'exigence comme de contenus au détriment des élèves les plus fragiles. Sans horaire dédié et sans cadre, dépendante des choix des équipes, l'histoire des arts est un bon exemple de ces écueils.

Sur le plan organisationnel, les établissements à fort effectif seront confrontés aux problèmes de nombre et d'espace, tandis que les autres devront compter avec les multiples postes partagés, qui sont autant d'éléments d'inégalité. À cela s'ajouteront les problèmes de postes qui, immanquablement, viendront interférer dans la réflexion pédagogique, particulièrement en période de baisse démographique comme en connaissent de nombreux collèges. Ces paramètres ne manqueront pas d'inciter les équipes à privilégier tel ou tel domaine pour éviter la fermeture d'un poste ou la création d'un complément de service dans l'établissement voisin. Est-on bien certain que l'élève sortira gagnant de ces arbitrages ?

En outre, il ne suffit pas de dire que les chefs d'établissement seront les garants de l'opération. Leur rôle est loin d'être clairement défini, il n'est que de constater le peu de place qui leur est accordé dans les textes publiés, voire dans les projets à paraître. En termes d'organisation du temps scolaire, notons encore que la prise en compte et la combinaison des EPI à rythme annuel, semestriel ou trimestriel, ajoutée aux « semaines interdisciplinaires », aux enseignements complémentaires, risque de se traduire par des emplois du temps particulièrement pesants pour les élèves. Et je ne mentionnerai que pour mémoire le travail supplémentaire induit pour les personnels de direction qui se fera forcément au détriment d'autres missions.

La rapidité avec laquelle la réforme doit se mettre en place, en une seule étape, risque de représenter un autre handicap. Avec des équipes enseignantes perplexes, réticentes, si ce n'est hostiles, qui devront toute l'année à venir et sans réelle formation préalable, se projeter et se montrer créatives, le climat a peu de chances de se révéler propice. D'autant que les délais impartis devront permettre les allocations de moyens début 2016 - autant dire demain.

En conclusion, ID-FO reste avant tout attaché à une éducation effectivement nationale, de qualité et qui se préoccupe de tous les élèves. Nous regrettons le flou qui préside à la mise en place d'une réforme essentiellement structurelle qui reposera in fine sur les personnels de direction, pourtant fort entendus dans cette démarche.

Mme Claudie Paillette, secrétaire nationale du Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN-CFDT)

Le SGEN-CFDT a exprimé un avis favorable à la réforme du collège. Ses orientations correspondent à l'évolution du projet social et sociétal de la CFDT, notamment par rapport au constat du collège unique, qui, certes, a réussi la massification mais pas la démocratisation. Le collège n'est peut-être pas le « maillon faible » mais il est le « maillon souffrant », tant pour le personnel enseignant que pour les nombreux élèves qui échouent. En tant que principal de collège, j'ai souffert de voir des élèves arriver en 6 e et décrocher très rapidement en raison de la manière dont sont organisés les enseignements.

La loi de refondation de l'école a défini clairement les objectifs de l'école obligatoire dans l'acquisition du socle commun de compétences, de connaissances et de culture, dans la définition des programmes et dans les critères d'évaluation.

La réforme du collège reprend certaines de nos propositions, telle la possibilité pour les établissements d'avoir la main sur une partie de l'élaboration de leurs parcours de formation. Les enseignements doivent être en partie communs et nationaux. Mais il est également intéressant de travailler en fonction des ressources locales, des compétences professionnelles des enseignants et de pouvoir tenir compte de la réalité des élèves. Nous sommes très attachés aux possibilités de modularité dans le cycle. L'évaluation systématique des acquis, de façon définitive, au niveau des classes de 5 e , 4 e et 3 e freine incontestablement les élèves en difficulté dans leur réussite, par manque de temps pour apprendre.

Cette réforme attribue aux personnels enseignants un rôle d'expert plutôt que d'exécutant, la plupart d'entre eux ayant intégré le fait que tout est défini par le haut. Elle contribue ainsi à leur rendre le pouvoir d'agir sur l'organisation pédagogique, avec une marge de manoeuvre allouée aux conseils pédagogiques. Depuis longtemps, nous prônons la notion de collectif d'enseignants, véritable « outil de réflexion » au sein d'une équipe pédagogique dans laquelle, par ailleurs, le rôle d'accompagnement des cadres de l'éducation nationale nous semble prédominant. La réflexion sur les EPI ou les marges horaires, par exemple, devrait permettre de développer, au coeur de l'apprentissage, des projets collectifs, qui se situent aujourd'hui souvent à la périphérie de l'organisation pédagogique.

Notre syndicat s'inquiète des moyens qui seront mis en oeuvre l'année prochaine pour la formation des équipes et du temps qui leur sera réservé pour la concertation.

J'ajouterai pour conclure que l'école n'est qu'un élément de notre cohésion sociale, la réforme du collège ne dédouane ni l'État ni les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de la mixité sociale dans les établissements.

M. Patrick Roumagnac, secrétaire général du Syndicat de l'inspection de l'éducation nationale (SI.EN-UNSA)

Les faits sont têtus : malgré les multiples réformes, malgré les nouvelles connaissances dans les champs didactiques ou pédagogiques et malgré les outils numériques, notre école reste obstinément plus efficace à garantir la reproduction sociale qu'à aider les plus fragiles à réussir. Le rôle d'ascenseur social qu'elle aurait joué dans le passé est une image d'Épinal ; il a toujours été réservé aux élites.

C'est dans ce contexte que nous est proposée une réforme qui puise sa légitimité dans son aspiration à modifier en profondeur le fonctionnement du système éducatif et qui s'inscrit dans une approche systémique. Elle se situe dans le droit-fil de l'ambition affichée dans la loi de refondation de l'école et mérite mieux que les quolibets insensés que nous entendons depuis des semaines. Nous avons aujourd'hui besoin d'un véritable débat éducatif. Il s'agit de choisir entre le maintien d'une structure qui a prouvé son inefficacité - notre pitoyable « exception française » - en construisant patiemment l'échec scolaire et l'exclusion sociale, ou bien oser bousculer nos habitudes, nous orienter vers des solutions plus audacieuses et qui ont fait leurs preuves, qui nous permettront de faire société.

En 1975 déjà, nous avions la possibilité de mettre en oeuvre l'école fondamentale, héritière de la réflexion de Wallon et Langevin. Nous avons retenu le modèle du « petit lycée » pour un collège qui n'a jamais pu devenir unique. Puissions-nous ne pas réitérer cette erreur : errare humanum est, perseverare diabolicum . Je rappelle que cette orientation prend ses sources dans la pensée de Condorcet, synthétisée par Danièle Cosson-Schéré quand elle déclare que l'éducation a pour objectif que « le plus grand des savants et le plus modeste des individus, ayant reçu l'instruction élémentaire, ne soient plus séparés que par une différence de degrés ». Voilà qui est bien loin de l'idée de viatique culturel minimaliste !

Le SI.EN-UNSA affirme et assume résolument son soutien à une réforme indispensable pour tourner le dos aux dérives mortifères de notre système éducatif. Cette réforme est le seul espoir de redonner confiance à ceux qui feront la société de demain. Des valeurs aujourd'hui dépassées comme la solidarité seront peut-être demain la seule voie possible pour conserver l'espoir. Les inspecteurs du SI.EN-UNSA affirment leur soutien à une réforme qui ne va peut-être pas assez loin, mais qui prend le bon chemin.

M. Claude Desfray, co-secrétaire général du Syndicat des inspecteurs d'académie (SIA)

Fort de la connaissance des réalités des classes et de l'expertise pédagogique des inspecteurs d'académie - inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR), le SIA a adressé le 19 mai dernier une analyse et des propositions à la ministre. En cohérence avec la loi de refondation de l'école, la réforme prévoit la mise en place de trois types d'enseignement : l'enseignement disciplinaire, l'enseignement pratique interdisciplinaire (EPI) et l'accompagnement personnalisé. Nous ne pouvons que nous réjouir de la diversification de l'offre et des démarches pédagogiques, qui pourront garantir l'acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture par tous.

Pour autant, malgré la richesse de sa diversité pédagogique, la réforme tend à fragiliser cette ambition.

Le renforcement de l'autonomie des établissements, qui est la marque de cette réforme, s'accompagne d'un accroissement sensible du nombre de décisions devant être prises en matière d'organisation : sept contre une à deux aujourd'hui. Il s'agira de se prononcer, par exemple, sur la répartition des horaires entre les disciplines pour chaque niveau du cycle, l'organisation des EPI sur le cycle 4 ou encore l'organisation des enseignements artistiques sur l'ensemble du cursus. À défaut d'une solide formation en ingénierie pédagogique et de temps de concertation dédié, cette pléthore de concertation risque de détourner les enseignants du coeur de leur métier ainsi que d'induire des tensions.

Quant à l'interdisciplinarité qui aura lieu dans le cadre des EPI, les programmes proposés à consultation par le CSP ne déclinent pas de façon généralisée les huit thématiques prévues. Quelles problématiques peuvent-elles recouvrir ? Quels savoirs disciplinaires pourront y être convoqués ? Nous souhaitons des propositions concrètes, afin de se prémunir de la mise en oeuvre de projets aboutissant à des réalisations sans de solides apprentissages. Ainsi, l'augmentation du travail épistémologique des enseignants se fera aux dépens de leurs réflexions didactiques et pédagogiques.

En ce qui concerne la pluridisciplinarité, qui est au coeur de l'accompagnement personnalisé mis en oeuvre au lycée et en classe de sixième, nous considérons que le choix d'affecter cet horaire aux disciplines, plutôt que d'en faire un enseignement distinct, constitue un frein aux collaborations entre enseignants. Il risque également de faire perdre de vue la spécificité pédagogique de cet enseignement, qui deviendrait un simple complément disciplinaire.

En conclusion, le SIA demande la reprise des discussions sur la réforme du collège, en vue d'aboutir aux adaptations nécessaires.

M. Paul Devin, secrétaire général du Syndicat national des personnels d'inspection (SNPI-FSU)

Le collège, tel qu'il existe aujourd'hui, ne saurait être résumé à l'ennui des élèves, à un carcan de disciplines ou au désintérêt des professeurs à y traiter les difficultés des apprentissages. Ce serait trahir les efforts déployés au quotidien par les équipes enseignantes.

Que le collège ne parvienne pas à conduire tous ses élèves à la réussite ne peut suffire à le désigner comme le maillon faible du système éducatif. Ce serait ignorer qu'il est confronté à des problèmes spécifiques : ceux de l'adolescence et de ses comportements, de la disparité des acquis, mais également de la réduction progressive des moyens et des taux d'encadrement - déjà moins favorables que la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Toutefois, le collège marque la réussite d'une volonté politique essentielle, celle de scolariser ensemble toute une génération d'adolescents et de développer pour eux les mêmes ambitions.

Nous ne considérons pas que la réforme actuelle puisse contribuer à lutter efficacement contre les inégalités, qui constituent le problème majeur du système éducatif. Cette position ne résulte en rien d'un conservatisme qui refuserait tout changement ; les raisons qui guident les opposants à cette réforme ne sont pas les mêmes, ne les agrégeons pas trop vite.

La première nécessité de réforme pour le collège est de permettre une mixité sociale réelle sur l'ensemble du territoire, et non seulement en supprimant quelques sections ou options, d'autant que celles-ci constituent souvent un vecteur de lutte contre l'évitement scolaire. Cette mixité exige une politique déterminée, volontaire et courageuse.

La seconde nécessité est de donner au collège des moyens à la hauteur de l'ambition que nous portons pour tous ses élèves. Lorsque l'on nourrit une telle volonté, il faut en assumer les coûts. Or la rationalisation budgétaire a été portée par un discours de relativisation des moyens, qui prétend que la qualité n'aurait aucune relation avec les moyens consacrés à l'action. Mais peut-on décréter l'aide personnalisée quand les moyens ne permettent pas le dédoublement des classes ? Il en va de même pour les effectifs des classes, la formation continue, ou encore le recrutement des enseignants, qui connaissent une baisse de leur pouvoir d'achat et la dégradation de leurs conditions de travail.

Les aménagements de la réforme ne relèvent en rien d'une révolution pédagogique. S'il est souhaitable de développer la concertation au sein des équipes et l'interdisciplinarité, cela nécessite d'identifier des problématiques dont la résolution fait appel à des concepts issus de plusieurs champs disciplinaires ; il s'agit d'un exercice complexe qui exige une formation adaptée des enseignants.

Faute de volonté de consacrer à l'éducation les moyens nécessaires, la réforme s'appuie sur des volontés d'évolution institutionnelle qui n'apporteront aucune amélioration. La première est l'autonomie des établissements, dont certains affirment dogmatiquement qu'elle contribuera à la réussite des élèves, refusant de tirer parti des bilans désastreux des expériences suédoises et britanniques. Ne procédant pas de la seule réflexion des équipes enseignantes, les organisations nouvelles mises en oeuvre - AP et EPI - vont devoir se conformer à des dotations horaires disciplinaires qui parfois s'avéreront incohérentes avec ces projets. Il faudra trancher et parfois sans ménagement. En résultera-t-il réellement une meilleure coopération des enseignants ?

Nous voulons réformer le collège et ainsi rompre les liens qui unissent inégalités sociales et inégalités scolaires. Mais nous savons que cela nécessite une politique qui ne peut se contenter d'affirmer des valeurs mais qui doit conduire les choix budgétaires nécessaires. À défaut, nous continuerons l'empilement des réformes et nous constaterons l'accentuation des fractures sociales. La pédagogie comme la qualité professionnelle des enseignants sont déterminants ; en revanche, il y a un point critique où elles risquent de n'être plus que cautère sur jambe de bois. Il est notre devoir de le dire à la représentation nationale.

B. DÉBAT

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire

Personne ne nie la nécessité d'une réforme du collège. Toutefois est-ce cette réforme qui va permettre de régler le problème de la liaison entre les inégalités sociales et les inégalités scolaires dans un pays où le déterminisme social est fort ? La vraie réforme à mener ne se trouve-t-elle pas au niveau de l'acquisition des fondamentaux lors du premier cycle ?

J'ajouterai que chacun reconnaît la nécessité des enseignements interdisciplinaires. Toutefois, le fait que le temps d'enseignement de ces EPI soit pris sur les enseignements disciplinaires ne pose-t-il pas problème ?

En matière d'autonomie des établissements, cette réforme va dans le bon sens, quoique pas suffisamment loin. En 2011, j'avais proposé de substituer à l'évaluation individuelle des enseignants par les inspecteurs une évaluation collective des établissements. Les enseignants auraient été en partie évalués par le chef d'établissement. Qu'en pensez-vous ? Ne faudrait-il pas confier la présidence des établissements à une personne extérieure, comme dans l'enseignement agricole ?

Concernant la remise en cause des filières d'excellence. Pourquoi supprimer des dispositifs qui fonctionnent ? Je pense aux classes bilangues, au latin et au grec ainsi qu'à d'autres disciplines. Cela ne va-t-il pas au contraire accroître les inégalités ?

Je terminerai par la question de l'orientation. Comment pourrions-nous mettre en place une réelle individualisation des parcours afin de passer d'une orientation aujourd'hui subie à une orientation plus positive ?

M. Jacques-Bernard Magner

On entend parfois certaines formations politiques réclamer que les chefs d'établissements recrutent eux-mêmes les professeurs. Qu'en pensez-vous ? En outre, que pensez-vous de la liaison mise en place au sein du cycle trois entre les cours moyens et la classe de sixième ?

Mme Colette Mélot

Je partage l'avis selon lequel la réforme est nécessaire. À ce stade, je voudrais insister sur la pertinence des classes bilangues et des classes européennes. L'efficacité de ces voies n'est plus à démontrer. Je voudrais également mettre l'accent sur l'importance de l'enseignement de l'allemand. Je rappelle que la France et l'Allemagne se sont engagées, lors du cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée, à favoriser l'enseignement de la langue du partenaire européen. C'est pourquoi il me semble qu'une réflexion devrait être menée autour de cet engagement, afin de présenter l'Allemagne et sa langue à tous les élèves, comme il est question de présenter la culture latine et grecque puisqu'il s'agit des origines de notre culture.

Mme Marie-Christine Blandin

Les écologistes retiennent des temps forts comme les demandes de formation continue, les demandes de temps pour les équipes pédagogiques et un plus grand rôle dévolu aux conseils pédagogiques. Dans cet esprit, les chefs d'établissement vont-ils prévoir un temps de lecture commune, en vue d'une appropriation de la réforme par tous les enseignants pour la rentrée ? Et vont-ils, dans l'élaboration de leurs emplois du temps, pouvoir laisser une place plus grande à l'identification des équipes pédagogiques, qui auront un rôle accru en particulier pour les EPI ? Quelles sont vos aspirations quant au calendrier de mise en oeuvre de cette réforme ? Enfin, les corps d'inspection prévoient-ils des évolutions de leurs pratiques afin de faciliter l'accompagnement des enseignements dans la mutation prévue par la loi, les programmes et par la réforme ?

Mme Françoise Laborde

Mon propos rejoint quelque peu celui de ma collègue. La formation des enseignements pour la rentrée 2016 est le point qui m'inquiète particulièrement. Qu'en pensez-vous ? Enfin, ne pensez-vous pas que cette réforme est l'occasion de réformer voire de supprimer le brevet des collèges ?

M. Patrick Abate

Le temps accordé aux élèves et le nombre d'élèves par classe me semblent être des points primordiaux. Ma question sera très concrète. Dans une situation à moyens équivalents ou supplémentaires, est-il possible d'imaginer que dans un collège, du fait de l'autonomie, de la pluridisciplinarité, de l'aide personnalisé, il puisse y avoir des classes d'une dizaine d'enfants lorsque cela est nécessaire, afin de leur donner du temps et des classes à l'effectif bien plus important pour les enfants ayant plus de facilités ? De la même manière, peut-on imaginer, dans un même bassin d'emploi, dans une même région mêlant des collèges défavorisés et des collèges plus favorisés, qu'il y ait dans certains collèges des classes à faibles effectifs et dans d'autres des classes à effectifs importants ? Ou est-ce plus simple d'avoir uniquement des classes d'une trentaine d'élèves ?

M. Claude Desfray

Concernant la formation des enseignants, nos recteurs nous ont réunis et un calendrier a été établi. Il est prévu que la formation ait lieu par districts et en deux temps. Tout d'abord, les professeurs représentants les conseils pédagogiques seront formés en janvier-février 2016 sur les nouveaux programmes, puis l'ensemble des professeurs recevront une formation au dernier trimestre de l'année scolaire 2015-2016.

Mme Claudie Paillette

Nous sommes favorables à une évolution très forte concernant les modalités d'évaluation des personnels. Le ministère doit ouvrir ce chantier. Les chefs d'établissement n'ont pas, selon nous, la compétence pédagogique qui leur permettrait d'évaluer les personnels. Nous pensons également que le chef d'établissement ne doit plus être le président des conseils d'administration car il représente l'État, ce qui a tendance à transformer les conseils en chambre d'enregistrement. Toutefois, la présidence du conseil d'administration ne devrait pas pour autant être confiée à une personnalité extérieure.

M. Michel Richard

Nous sommes favorables à une réforme du brevet des collèges car cet examen n'a cessé de se complexifier et ne correspond plus à la logique de validation du socle commun.

Il faut travailler à la préparation de la rentrée 2016 dès que possible. Pour notre part, nous considérons que les enseignants doivent être valorisés en tant que cadres et donc associés à la conception et à la mise en oeuvre de la réforme.

Nous avons une position différente concernant la présidence des conseils d'administration. Pour nous il est indispensable que les chefs d'établissements président les conseils, car c'est un principe général d'organisation des établissements publics et le système fonctionne.

Nous estimons que l'excellence est une nécessité pour le service public. Mais la priorité doit être de concilier la bienveillance avec la recherche de l'exigence.

M. Didier Laffeach

Le débat existe au sein de notre organisation, concernant la présidence des conseils d'administration. Mais nous sommes majoritairement favorables au maintien de la présidence par le chef d'établissement. La référence aux établissements agricoles ne nous semble pas complètement pertinente car le représentant extérieur qui préside leur conseil est toujours un membre actif au sein du monde agricole. Pour les collèges, il reste encore à trouver le profil qui pourrait correspondre.

Nous sommes résolument hostiles au recrutement des professeurs par les chefs d'établissement car cela créerait une concurrence entre les établissements pour attirer les meilleurs profils et amènerait les enseignants à arrêter leurs choix d'affectation en termes de carrière et d'intérêt personnel, fragilisant d'autant les zones les plus difficiles.

À propos de la formation des enseignants, le phasage proposé par le ministère est délicat car la préparation d'une rentrée se fait en janvier et non au mois de juin. La vie des établissements va ainsi être rendue difficile.

Mme Claudie Paillette

Nous ne sommes pas favorables au maintien du brevet, car le collège doit être consacré à la validation du socle commun.

Concernant la gestion du corps professoral, nous proposons que les critères retenus pour les mutations professionnelles tiennent compte à la fois des aspects géographiques et des projets d'établissement. Il serait cohérent de développer les programmes par cycles et de permettre aux enseignants de conduire jusqu'à leur terme les projets, conçus le plus souvent sur trois ans, avant de changer d'établissement. Concernant la réforme, il nous semble indispensable de développer la formation dès que possible dans les établissements pour préparer la rentrée 2016.

M. Paul Devin

Tout à l'heure, j'entendais dire que le collège unique avait vécu. Pour ma part, je ne le souhaite pas ! Le collège, comme lieu unique dispensant la même formation à chaque élève, doit demeurer le fondement de notre politique scolaire et de toute réforme qui s'y attacherait.

S'agissant du recrutement des personnels enseignants par les chefs d'établissement, pour avoir longtemps travaillé en Seine-Saint-Denis, je vous affirme qu'il conduirait à ce que, dans ce département, l'enseignement ne soit plus dispensé que par des contractuels ou par des professeurs inexpérimentés. Le mécanisme naturel de déplacement des enseignants, couplé à une liberté des chefs d'établissement en matière de recrutement conduirait à un déclassement des territoires les plus fragiles, contraire à la démocratisation du système scolaire comme à l'objectif de réussite de tous les élèves.

Je partage, par ailleurs, la position défendue par M. Richard concernant la présidence du conseil d'administration des établissements : elle doit demeurer au chef d'établissement, représentant de l'État, au risque de fragiliser l'ensemble du système.

Je terminerai par la question de la formation des enseignants, qui rejoint, selon moi, celle des moyens qui y sont alloués. La réforme, et notamment la mise en oeuvre de la liaison prévue entre la classe de CM2 et le collège, demande une formation et un accompagnement accrus des professeurs. Or, les moyens consacrés à la formation continue n'ont cessé de diminuer, au point qu'elle a quasiment disparu dans certains territoires.

M. Patrick Roumagnac

Je m'avoue impressionné par le consensus qui se dégage autour de la nécessité d'une réforme. Mais celle-ci sera-t-elle suffisante pour pallier les maux dont souffre le collège ? Tant de réformes ont déjà été tentées ! D'ailleurs, que convient-il réellement de réformer ? Depuis quarante ans, les études en sciences sociales montrent que nombre d'apprentissages sont extérieurs à l'école. À mon sens, une réforme efficace doit d'abord apprendre aux élèves à s'approprier et à comprendre les informations reçues par l'ensemble des canaux d'apprentissage, notamment les images, parfois dangereuses, véhiculées par la télévision et par l'Internet. La réforme de l'école ne doit pas être le seul fait des spécialistes mais l'affaire de tous les citoyens : nous sommes tous responsables de l'échec comme de la réussite des élèves. Ainsi, il me semble utile d'associer les élus dans la construction d'une politique éducative à l'échelle des territoires. Cette proposition n'est pas une utopie ; de tels partenariats existent déjà. Il est temps d'en dresser le bilan et de s'inspirer des réussites qui auront été observées. Cessons le dogmatisme autour de l'idée que l'école peut et doit tout faire et associons-nous pour la réforme ! La réforme me semble également devoir englober l'ensemble des niveaux jusqu'aux études supérieures. Le lien entre le collège et le lycée doit à cet égard être approfondi. De même, dans la mesure où peu d'élèves cessent leurs études au baccalauréat, un travail approfondi doit être mené pour faciliter le passage entre le lycée et les études supérieures. Vous l'aurez compris, je suis favorable au développement des synergies et souhaite que cesse enfin l'isolation dans laquelle s'est trop longtemps complu l'éducation nationale.

Mme Vivette Lopez

Je rejoins les propos tenus par MM. Devin, Roumagnac et Carle. Pour remédier à ce constat, il est indispensable que les élèves maîtrisent les fondamentaux à l'issue de l'école primaire. À cet égard, la suppression du redoublement, décision démagogique pour les élèves comme pour les parents dont on ne souhaite pas blesser l'ego, me semble constituer une grave erreur. Le redoublement n'est pas une punition mais une seconde chance donnée aux enfants pour lesquels l'apprentissage nécessitait un temps plus long. Sa suppression va conduire un nombre encore plus grand d'élèves à entrer en sixième sans maîtriser les savoirs fondamentaux ; ils ne pourront dès lors qu'échouer au collège. À l'inverse, pour les enfants qui s'ennuient à l'école en raison de leur maîtrise précoce des connaissances, le saut d'une classe est souhaitable.

S'agissant enfin de l'apprentissage des langues, je rappelle que celles-ci sont parfaitement maîtrisées, et ce dès le plus jeune âge, par les enfants des familles bilingues comme par les enfants habitant dans des zones frontalières, et dont l'école primaire propose un enseignement en langue étrangère un à deux jours par semaine. Cette expérience pourrait être généralisée dès la maternelle sur l'ensemble du territoire national afin d'assurer le bilinguisme de tous les élèves.

M. Jacques Grosperrin

Votre discours unanime de défense du collège unique est certainement le fait des fonctions que vous occupez. Pourtant, au vu de ses résultats et du nombre d'élèves qui le quitte sans maîtriser le socle commun, il me semble que ce modèle a vécu, même s'il demeure un symbole et sa suppression un tabou. N'est-il pas temps de sortir de nos postures antagonistes et d'envisager un collège unique plus souple ?

Vous demandez, monsieur Devin, à ce que des moyens supplémentaires soient consacrés à la formation des enseignants. Supprimons le diplôme national du brevet (DNB) et nous pourrons y allouer les 4,5 millions d'euros ainsi épargnés.

Je m'étonne également qu'aucun d'entre vous n'ait fait mention du décret pris à la va-vite, au lendemain d'une manifestation, pour mettre en place une réforme pour le moins contestée. Outre la méthode, cette réforme, qui supprime les options synonymes d'excellence et à propos de laquelle on envisagea un temps la disparition de la notation, me semble par trop empreinte d'idéologie. La bienveillance, dont vous avez fait état, monsieur Richard, a ici dépassé les limites du raisonnable, tant et si bien que les meilleurs élèves, les plus travailleurs et les plus ambitieux, n'iront plus dans les collèges dits « difficiles » qui les attiraient encore en raison des options qu'ils proposaient. La concurrence avec les établissements privés, qui continueront à dispenser ces enseignements d'excellence, ne fera que croître au détriment du service public, je le crains.

Je suis enfin surpris de votre refus unanime de voir les chefs d'établissement noter leurs enseignants. Pourtant, qui d'autre qu'eux serait mieux placé, notamment s'agissant de l'évaluation de l'implication de chaque professeur dans la vie scolaire ? Plus globalement, de quelle manière pourrait, selon vous, être amendée, pour plus d'efficacité, la réforme du collège ?

M. David Assouline

Cette audition souligne la confusion entre deux types de débat : d'un côté, le débat sociétal et idéologique sur l'école tel qu'il est présenté par M. Grosperrin, et sur lequel nous ne pourrons jamais nous entendre ; de l'autre, le débat concret sur la mise en oeuvre de cette réforme. À cet égard, je tiens à souligner l'influence des chefs d'établissement et de l'équipe enseignante sur l'attractivité de leur collège. Vous aurez donc un rôle fondamental dans l'application concrète de la réforme et la mise à plat des inévitables difficultés. Une expérience similaire a déjà été faite lors de la réforme des rythmes scolaires. Il y avait un consensus sur la nécessité de dégager du temps pour l'apprentissage, mais lorsqu'il a fallu mettre en oeuvre la réforme, le changement a été plus difficile qu'attendu. J'en viens donc à ma question : maintenant que la réforme du collège est lancée à travers la publication des textes d'application, pensez-vous disposer d'assez de temps pour la rendre opérationnelle d'ici la rentrée 2016 ?

Mme Marie-Annick Duchêne

Je ne vois pas qui est le représentant de l'État dans un conseil d'établissement. Ce sont les collectivités territoriales qui sont représentées : les régions dans les lycées, les départements dans les collèges et les communes dans les écoles. Cette précision faite, je rejoins la question de M. Patrick Abate : dans le cadre de l'autonomie accordée aux établissements, sera-t-il possible de créer des petits groupes pendant les trois heures d'enseignement interdisciplinaire ? Par ailleurs, comment s'effectuera désormais la liaison, au sein du cycle 3, entre l'école élémentaire et le collège ?

Mme Françoise Cartron

Cette réforme du collège est une réforme de société. Elle a pour ambition de ne plus accepter ce qu'on accepte depuis des années, à savoir que 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification puis soient lâchés ainsi dans la jungle du monde professionnel sans aucun atout. Il ne s'agit pas de porter atteinte à l'excellence ou à l'élite. Je dirais d'ailleurs de manière un peu provocante que les excellents élèves n'ont pas besoin de l'école, car comme il a déjà été fait remarquer auparavant, on apprend également en dehors de l'école. Toutefois, on apprend également avec ses pairs. Face aux inégalités sociales qui existent d'un collège à l'autre, est-ce que la vraie réforme ne serait pas de s'attaquer aux politiques d'affectation dans les établissements scolaires, qui, facilitées par l'assouplissement de la carte scolaire, aboutissent à des ghettos dans les deux sens ? Le rapport du Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) sur la mixité sociale à l'école rappelle qu'en France, des élèves issus d'un milieu très défavorisé ne rencontrent que 5 % d'enfants en provenance de classes moyennes. Il nous faut donc repenser la sectorisation, mais également lutter contre les pratiques qui conduisent à des ségrégations entre les classes. Nous devons nous attaquer à cette tâche très difficile qui consiste à introduire une véritable mixité, une véritable hétérogénéité dans les collèges.

Mme Maryvonne Blondin

Je reviens sur l'importance de la stabilité des équipes afin que la mise en place de pratiques nouvelles porte ses fruits. Malheureusement, la gestion des ressources humaines au niveau du ministère de l'éducation nationale est compliquée et susceptible d'amélioration. Ma première question porte sur le conseil pédagogique : certains enseignants craignent que l'influence décisive du chef d'établissement sur le choix des EPI se fasse au détriment des langues régionales. Ces préoccupations sont renforcées par le fait que les enseignants de langues régionales sont parfois détachés sur plusieurs collèges, ce qui réduit leur poids dans le conseil pédagogique. Par ailleurs, j'attire l'attention des inspections académiques chargées d'établir la nouvelle carte des langues vivantes d'ici la fin de l'année sur la nécessité de prendre en compte les langues régionales, défendues par le Président de la République à travers sa proposition de ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires.

M. Michel Savin

Je suis surpris que les représentants de chefs d'établissement présents aujourd'hui n'aient pas abordé le problème de la discipline et de la sécurité. Pour assurer des enseignements de qualité, il faut pouvoir garantir la sécurité des élèves et des enseignants. Se pose donc le problème des élèves en situation de rupture, qui sont exclus successivement des différents collèges jusqu'à la fin de leur scolarité obligatoire. En tant que maires, nous sommes sollicités par les chefs d'établissement qui rencontrent des difficultés à la fois à l'intérieur du collège, mais également à l'extérieur.

Mme Marie-Pierre Monier

Je souhaiterais tout d'abord préciser à M. Michel Richard qui a comparé le président du conseil d'administration d'un collège à un maire, qu'un maire est élu par les citoyens et par le conseil municipal. Sinon, je soutiens le principe prôné par M. Paul Devin selon lequel il faut avoir la même ambition pour tous les élèves au collège. Je rappelle qu'avant la création du collège unique, les élèves étaient enfermés dans des filières alors même que leurs performances pouvaient évoluer au cours de la scolarité. Il est également très important de tenir compte du niveau, des compétences et des capacités des élèves pour adapter la pédagogie aux spécificités de chacun. Cela signifie, bien entendu, aider ceux qui sont en difficulté pour éviter qu'ils sortent sans diplôme ou qualification. J'ai été heureuse d'entendre parler de la réduction des effectifs par un intervenant : elle ne permettra pas de résoudre tous les problèmes mais il est évident que ce sont les enfants les plus en difficulté qui souffrent le plus des classes surchargées.

Ma question porte sur le brevet : à titre personnel je suis favorable au maintien du brevet car cela entraîne les élèves à passer des examens. Il faut donc le considérer dans son rôle d'entraînement au baccalauréat, pour lequel l'enjeu en matière d'orientation est beaucoup plus important. Certes, il existe la validation du socle commun de compétences, mais le brevet permet de tester le niveau de l'élève en situation d'examen.

Mme Mireille Jouve

Je partage le point de vue de M. Roumagnac sur le fait que l'éducation ne se fait pas seulement au collège. Par contre, je pense qu'il est nécessaire de prendre en compte la vie des collégiens dans leur globalité : les conditions d'accueil, la vie scolaire, les transports, la restauration, la sécurité...

Ma question porte sur les professeurs documentalistes dont le rôle est important dans la mise en place des EPI. Une réflexion a-t-elle été engagée sur la place des centres de documentation et d'information (CDI) au sein des collèges ? Ces derniers ont un rôle à jouer dans la formation à l'Internet et aux médias.

M. Michel Richard

Nous sommes opposés au redoublement. Il ne peut se faire que dans le cadre d'une modification profonde des méthodes pédagogiques pour être efficace. L'élève qui a échoué une première année sera confronté au même dispositif et aboutira au même échec.

Quelle évolution pour la réforme ? Elle doit permettre une mise en oeuvre rapide pour répondre aux besoins de notre société. Nous formons les citoyens de demain et nous avons tous une responsabilité à partager.

Sur les effectifs, nous pensons que ce sont plutôt les méthodes pédagogiques qui ont de l'importance, plutôt que les seuls effectifs. Nous pensons que l'individualisation est préférable. En ne jouant que sur les effectifs, nous serions confrontés à des problèmes matériels de dimension des établissements.

En ce qui concerne la sécurité et la discipline, nous savons, depuis les travaux menés par Éric Debarbieux, qu'il est important de travailler sur le climat de l'établissement. Il est toujours préférable d'être dans une démarche où l'on doit convaincre plutôt que contraindre, sans oublier de sanctionner quand la démarche de conviction n'a pas fonctionné.

Enfin, nous pensons que le brevet n'a plus de raison d'être. Cet examen s'est terriblement complexifié et son organisation est très lourde pour les établissements. Nous pensons qu'il est préférable pour les élèves de bénéficier d'heures d'enseignement que de se disperser pour un diplôme qui ne débouche sur rien !

M. Guy-Dominique Kennel

Vous faites partie de la hiérarchie de l'éducation nationale. Vous en êtes les courroies de transmission. Or, selon un sondage récent, environ 74 % des enseignants sont opposés à cette réforme. A-t-elle été mal expliquée ?

Je ne vous ai pas entendu parler d'orientation : si le module « initiation à la vie économique » n'est pas choisi, qu'en sera-t-il ?

Mme Claudie Paillette

Il me semble difficile que les personnels de direction expliquent une réforme alors que les textes sont en cours de publication et que la désinformation par la vague médiatique a pu inquiéter.

D'où l'importance pour les établissements de disposer d'un temps d'appropriation de la réforme en cette fin d'année. Il nous faut organiser et impulser le travail collectif.

Nous partageons le point de vue de M. Richard sur le redoublement. Refaire la même chose dans les mêmes conditions ne sert à rien. Nous sommes, par contre, partisans d'une progression par cycle dans laquelle l'évaluation de l'élève arriverait en fin de chaque cycle. Se tromper permet de se construire. À niveau égal, l'élève qui est resté dans sa classe d'âge fait plus de progrès que celui qui a redoublé.

Sur les effectifs, les marges horaires qui sont données par la réforme aux établissements permettront d'organiser des apprentissages en groupes restreints ou de faire intervenir deux professeurs pour un même groupe d'élèves. D'expérience, je sais que regrouper les enfants qui ont des difficultés ne crée pas une dynamique propice à l'apprentissage.

Il nous semble important et urgent, dans le cadre de la carte scolaire et du recrutement, de travailler sur la mixité sociale. Mais ce n'est pas le sujet de la réforme du collège !

Les élèves apprennent aussi beaucoup en dehors de l'école. Et ceux sont les plus favorisés qui apprennent le plus en dehors de l'école. Aussi, nous pensons qu'il faut utiliser les moyens de l'école pour ceux qui en ont le plus besoin.

D'autre part, le travail entre pairs est nécessaire, y compris pour les bons élèves. La solidarité et la coopération sont essentielles au sein d'un établissement scolaire. Il faut éviter l'esprit de compétition et de concurrence, nuisible au climat scolaire. Il faut redonner espoir et confiance aux élèves. L'évaluation des élèves doit se faire sur leurs progrès plutôt que sur leurs manques.

M. Didier Laffeach

Je rejoins la position de mes collègues sur le redoublement. Sauf cas extrêmement particulier, le redoublement reste un échec et n'est en aucun cas un remède. En revanche, nous sommes favorables à l'individualisation et à l'analyse des difficultés de chaque élève. Une des difficultés de notre école, c'est le manque de temps.

S'agissant de l'apprentissage des langues, je voudrais vous alerter sur l'extrême pauvreté de la formation continue des professeurs de langues. Les enseignants en langues ont une formation jusqu'à l'université après laquelle tout dépend de leur choix personnel d'aller à l'étranger ou non. Les formations proposées par les académies sont techniques et la formation sur la langue parlée est insuffisante. Si l'on veut développer l'apprentissage des langues, l'État doit se demander comment former en continu ces enseignants, en leur donnant la possibilité de retourner étudier dans le pays dont ils enseignent la langue. Dans le primaire, les situations sont très hétérogènes et les enseignants nous disent bien que cela n'est pas leur discipline essentielle, ni leur quotidien. Nous sommes loin du « bain de langage » que vous évoquiez !

Concernant les effectifs, plus l'hétérogénéité est grande, plus la possibilité de prendre en charge des élèves en nombre restreint, est un moyen de faire progresser les élèves.

Sur la sécurité et la discipline, il faut relativiser les choses : dans la plupart des établissements, on travaille et les élèves aussi.

Je pense que nous avons, aujourd'hui, un vrai problème de société. Le modèle présenté aux adolescents n'est pas celui de l'élève qui réussit grâce à l'école. Selon le parcours personnel des parents, ceux-ci ne tiennent pas le même discours à leurs enfants sur l'importance de la réussite scolaire. Pour beaucoup d'enfants, l'école signifie l'échec. Or, je pense que toute société doit valoriser la réussite scolaire. Apprendre est une richesse.

Enfin, le terme de courroie de transmission me paraît un peu désobligeant. De toute façon, nous sommes tous les courroies de transmission de quelqu'un. Nous avons à la fois un rôle d'animateur et un rôle de représentant de l'État. Nous n'avons pas encore « digéré » la réforme du collège, comment voulez-vous qu'on la « régurgite » à nos collaborateurs ?

M. Patrick Roumagnac

Personnellement, je comparerais ma fonction à celle d'une interface plutôt qu'à celle d'une courroie de transmission.

Nous représentons ici trois corps d'encadrement qui n'ont que peu de contact entre eux, ce qui pose problème. Jusqu'à présent, les différentes réformes ont eu pour effet d'ajouter, à chaque fois, un peu plus de complexité de notre organisation. Or cette complexité est mal vécue par les élèves les plus fragiles et par leurs parents. Nous devrions avoir le courage de procéder au choc de simplification nécessaire à notre système éducatif.

Par ailleurs, la formation des enseignants est calquée sur le modèle de la formation des élèves ; il s'agit d'une formation strictement descendante où l'expert apporte son savoir à celui qui ne sait pas. Les enseignants sont des cadres de catégorie A ; ils doivent être acteurs de leur formation et s'approprier la réforme. Toute autre façon de procéder ne peut conduire qu'à un échec : quelqu'un a-t-il vu mis en oeuvre les cycles d'enseignement, pourtant prévus par la loi d'orientation de 1989 ?

M. Paul Devin

Méfions-nous des fausses bonnes idées : créer des classes de quinze élèves en difficulté d'une part et des classes de quarante bons élèves d'autre part, dans une démarche de discrimination positive, ne satisfait pas les exigences de mixité sociale. Or, la mixité sociale constitue aujourd'hui un enjeu majeur pour la réussite de tous.

De même, alors que le redoublement paraît être fondé sur un principe de bon sens, nous avons des armoires pleines de rapports indiquant qu'il n'est pas bénéfique aux élèves. L'école est un système complexe : la bonne idée n'existe pas en matière d'éducation.

Les représentants syndicaux que nous sommes avons à coeur d'assurer loyalement notre mission de fonctionnaires de l'État, mais nous nous devons de réagir lorsqu'une réforme ne semble pas prendre en compte suffisamment la complexité des choses. Nous regrettons que nos remarques aient été présentées comme des objections superficielles nées d'un simple manque d'explication de la hiérarchie, ou d'une insuffisante compréhension des personnels, dont le refus quasi-généralisé de la réforme devrait être mieux pris en compte.

M. Claude Desfray

Je ne réfute pas les termes de courroie de transmission dans la mesure où nous devons veiller à ce que soient maintenue à la fois une certaine souplesse et une certaine tension pour que la mécanique du système éducatif fonctionne.

Il est maintenant admis que l'instruction ne relève pas de l'école seule et que l'éducation n'est pas de la responsabilité des seuls parents. S'agissant des valeurs de la République, si la liberté et l'égalité sont assez souvent évoquées dans les établissements, le concept de fraternité l'est moins.

Peu de chefs d'établissement revendiquent la possibilité de recruter et d'évaluer leurs enseignants, tant il est vrai qu'ils ignorent ce qui se passe dans les classes : un professeur ponctuel distribuant des bonnes notes dans une classe calme et silencieuse peut avoir des insuffisances professionnelles que seul un inspecteur est en mesure de détecter et d'évaluer. La note administrative et la note pédagogique procèdent de deux logiques différentes et nous avons observé à ce sujet un certain nombre d'échecs dans des pays qui souhaiteraient désormais se doter d'un corps d'inspecteurs disciplinaires comparable au nôtre.

M. Jean-Claude Carle, président

En conclusion, je souhaitais rappeler les propos de M. Roumagnac indiquant que « la réforme ne doit pas être une réforme de spécialiste, mais qu'elle doit être l'affaire de tous les citoyens » et, sur la méthode, à ceux de M. Richard préconisant de « convaincre plutôt que de contraindre ».

MERCREDI 24 JUIN 2015

AUDITION DE M. PIERRE NORA, HISTORIEN, MEMBRE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

A. INTERVENTIONS

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Mes chers collègues, notre commission accueille ce matin l'historien Pierre Nora.

Directeur d'étude à l'École des hautes études en sciences sociales, membre de l'Académie française, vous avez mené de front une carrière d'universitaire et d'éditeur. Soucieux de développer le secteur des livres d'histoires, de documents et d'essais, vous avez créé chez Gallimard la « Bibliothèque des sciences humaines », la collection « Témoins » et la « Bibliothèque des histoires ». Vous avez également fondé la revue Le Débat que vous dirigez depuis sa création.

Pendant près de dix ans, vous vous êtes consacré à une immense oeuvre collective autour de la mémoire nationale : Les Lieux de mémoire , dont les trois tomes sur « La République » , « La Nation » et « Les Frances » constituent un inventaire des lieux et des objets dans lesquels s'incarne la mémoire nationale des Français. Récipiendaire de nombreux prix qui ont consacré à la fois vos talents d'historien mais également votre engagement républicain et votre humanisme, vous avez, depuis quelques années, fait part régulièrement de votre opposition à une moralisation rétrospective de l'histoire et à une censure intellectuelle. Tel était notamment l'objet de l'appel de Blois rédigé en 2008 et intitulé « Liberté pour l'Histoire » dont vous avez été signataire.

Récemment, vous êtes intervenu sur un sujet qui mobilise notre commission depuis plusieurs mois, à savoir la réforme du collège. Après avoir été très critique sur les projets de programmes d'histoire présentés initialement par le Conseil supérieur des programmes, vous avez été sollicité par la ministre de l'éducation nationale, Mme Najat Vallaud-Belkacem, à l'occasion d'un forum organisé à La Sorbonne le 3 juin dernier autour d'historiens de renom, afin de faire bénéficier les travaux en cours de votre regard et de votre expertise.

Notre commission serait donc très heureuse d'entendre votre point de vue sur les nouveaux programmes d'histoire proposés par le Conseil supérieur des programmes ainsi que sur la possibilité offerte aux enseignants, à l'intérieur d'un thème obligatoire, d'aborder certains sujets plutôt que d'autres. Par ailleurs, vous avez à plusieurs occasions dressé un parallèle entre les débats qui agitent notre société sur la manière d'enseigner l'histoire et la crise d'identité que traverserait notre pays.

Nous serions donc intéressés de vous entendre sur ce point ainsi que de connaître vos préconisations sur l'histoire à enseigner aux élèves. Je vous laisse la parole sans plus attendre.

M. Pierre Nora, historien, membre de l'Académie française

Je voudrais tout d'abord préciser que je ne me suis jamais exprimé sur la réforme du collège, mais seulement sur les programmes d'histoire. Je vous ferai également part de mon opinion sur les programmes de français et sur la place de l'enseignement du latin et du grec.

En ce qui concerne la réforme des programmes d'histoire, je suis à la fois plus modéré et plus sévère que la plupart de ceux qui sont intervenus sur ce sujet jusqu'à présent. Je suis plus modéré dans le ton, qui me paraît disproportionné par rapport aux mesures proposées qui, pour beaucoup, existent déjà depuis 2008. En réalité, à l'occasion de cette réforme, l'opinion a pris conscience de la grave crise de l'enseignement en France. Cette sur-réaction m'a rappelé le débat sur le mariage pour tous : alors qu'il s'agissait d'une mesure d'ajustement, elle a déclenché une très forte émotion. Dans un cas on touchait à la famille, dans l'autre on réforme l'école, deux valeurs sur lesquelles les Français se replient lorsqu'ils sont désemparés.

Par ailleurs, je me sens étranger au débat qui oppose d'une part, les défenseurs du roman national et, de l'autre, ceux qui souhaiteraient profiter de l'ouverture de l'histoire française à l'histoire mondiale pour insister sur l'histoire coloniale - et ainsi donner à cette dernière une place prépondérante dans la mémoire nationale. En ce qui me concerne, je ne me retrouve dans aucun camp. Je défends une histoire nationale qui n'est pas nationaliste ainsi qu'une histoire coloniale qui n'est pas antinationale. En effet, si je suis en faveur d'une ouverture intellectuelle de l'histoire nationale à la mémoire coloniale et aux problèmes coloniaux, je refuse que l'histoire nationale soit réinterprétée à la lumière de l'histoire coloniale. Par exemple, je suis profondément choqué que le programme d'histoire résume les XVII e et XVIII e siècles sous le titre « La domination de l'Europe, les conquêtes coloniales et les traites négrières ». Ces trois termes ne résument pas ce qu'ont représenté l'Europe et la France à cette époque. C'est d'autant plus alarmant que l'étude des Lumières est facultative. Plutôt que de parler de domination, il conviendrait de parler d'expansion. La domination est certes un effet de l'expansion, mais l'expansion ne se réduit pas à la domination : il y a eu une expansion démographique, mais également scientifique et intellectuelle... Il faut certainement rappeler les conquêtes coloniales et la traite négrière, mais elles ne sont pas l'élément déterminant et caractéristique de cette période. Il s'agit en fait d'une application à l'histoire de la loi Taubira, à laquelle je m'étais alors opposé. Je préside une association d'historiens intitulée « Liberté pour l'histoire », dont René Rémond avait été le premier président. Cette association lutte contre les lois mémorielles et l'ingérence du politique dans la qualification du passé. Dans une démocratie, l'histoire appartient aux historiens. La mémoire revient au pouvoir politique, c'est à lui d'organiser les commémorations, d'honorer les victimes, de décider de réparations éventuelles, mais pas de qualifier le passé. D'ailleurs, une nouvelle loi de ce type nous menace, celle visant à pénaliser la négation du génocide arménien, dont le sort dépend d'une décision à venir de la Cour européenne des droits de l'homme, dans une affaire opposant la Confédération suisse à un nationaliste turc, M. Dogu Perinçek. En première instance, la Cour a donné raison à M. Perinçek, condamné pour avoir tenu des propos niant la qualification de génocide des atrocités commises en 1915. La Confédération a fait appel de cette décision ; elle est soutenue dans cette démarche par le Président de la République française. Il semblerait que le Gouvernement prépare un projet de loi visant à réprimer la contestation du génocide arménien. Certes, le Conseil constitutionnel avait semblé barrer l'adoption de toute loi mémorielle de ce type, par sa censure, en 2012, de la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi. Toutefois, si la Confédération suisse obtient gain de cause auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, un nouveau boulevard sera ouvert pour l'adoption d'une telle loi.

Lors du forum organisé à La Sorbonne, l'introduction faite par la ministre correspondait tout à fait aux positions que j'ai à coeur, à tel point que certains ont cru que je l'avais rédigée. Elle défendait en particulier la déontologie des professeurs d'histoire et le fait que l'histoire enseignée ne devait pas être victimaire, ni céder aux pressions de groupes particuliers. Pourtant, quinze jours auparavant, j'avais pu lire que c'était en réponse à la demande du cabinet de la ministre de faire une plus grande part aux souffrances mémorielles que le Conseil supérieur des programmes avait décidé d'inclure le génocide arménien dans le thème plus général de la Première Guerre mondiale - et le problème des Roms dans une autre classe. Il semble donc y avoir une différence importante entre le discours officiel et sa mise en application.

Pourquoi y suis-je opposé ? Parce que la notion de crime contre l'humanité qu'entraîne la qualification de génocide abolit toute prescription. Elle permet donc de poursuivre les auteurs de ces crimes jusqu'à leur mort, comme ce fut le cas pour Klaus Barbie et Maurice Papon. Mais quel sens conserve cette notion au-delà de la mort des auteurs de ces crimes ? Porter, par le biais de la loi, des jugements moraux dont le critère n'existait pas à l'époque où ces faits ont été commis n'a aucun sens. Les lois mémorielles empêchent le travail des historiens : un chercheur qui remettra en cause, par ses travaux scientifiques, le chiffrage du nombre de victimes d'un génocide sera-t-il accusé de négation de crime contre l'humanité ? De plus, cela conduit à l'écriture d'une histoire manichéenne, en noir et blanc, alors que l'histoire est faite de gris. Enfin, je ne vois pas de quel droit la France s'érigerait en juge de l'humanité toute entière.

En 2001, la loi a prévu que : « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Aujourd'hui, pourtant, le législateur est incité à aller plus loin et « Gayssot-iser » la question du génocide arménien. Je rappelle que la loi Gayssot de 1990 pénalise la négation de crime contre l'humanité. À l'époque, je m'étais opposé à son adoption, avec certains de mes collègues comme Madeleine Rebérioux ou Pierre Vidal-Naquet, pour des questions de principe. Pour autant, je ne prône pas aujourd'hui son abrogation ; dès lors qu'elle existe, il est impensable de revenir en arrière. Mais cette loi a malheureusement servi de modèle à des lois mémorielles, utilisées pour faire taire les historiens. Choisir de mettre l'accent sur le génocide arménien au sein du programme d'histoire consacré à la Première Guerre mondiale relève d'un choix idéologique et électoraliste.

Un certain nombre des difficultés soulevées dans le cadre de la réforme des programmes d'histoire seront probablement corrigées. C'est le cas notamment du caractère optionnel de l'enseignement relatif aux Lumières, qui est une absurdité. D'une manière générale, la distinction entre thèmes obligatoires et thèmes facultatifs n'est pas heureuse : il faut définir les fondamentaux de la connaissance attendue en histoire à l'école comme au collège.

On me prête souvent la paternité de l'expression « roman national ». Il est vrai que je l'ai utilisée à l'occasion de mes travaux sur Ernest Lavisse. Mon intérêt pour le travail de cet historien est né lors de mon séjour à Oran, pendant la Guerre d'Algérie. Son manuel scolaire d'histoire, qui fut publié avant 1914 à quinze millions d'exemplaires et qui constitua l'un des instruments de l'armement moral de la France à l'aube du premier conflit mondial, présentait une vision idyllique de l'expansion coloniale française, en contraste flagrant avec la réalité que je vivais dans une ville en quasi-état de siège. De là est venue mon envie de travailler sur la psychologie nationale, à une époque où l'histoire se concentrait davantage sur les sujets économiques et sociaux. Ernest Lavisse, à travers ce manuel mais aussi un ouvrage collectif en 27 volumes, nous a donné de notre histoire nationale un récit organique, structuré autour des grands événements et des grands hommes, et orienté vers un progrès de l'histoire. La victoire de 1918 en était l'aboutissement, qui réconciliait enfin l'Ancien Régime et la Révolution. Voilà ce que j'ai nommé le roman national.

Enseigner ce roman national ne me paraît plus possible aujourd'hui, il est brisé. Jusqu'en 1940, l'histoire de la France pourrait paraître l'histoire d'une victoire. Or nous n'avons connu depuis que des défaites. Quelle orientation donner à l'histoire qui sera enseignée à des enfants qui sont confrontés au chômage, à une situation moins bonne que celle de leurs parents et à une réduction sans précédent de la souveraineté nationale ? L'histoire ne peut que leur donner une connaissance du passé patrimonial et leur faire étudier la singularité de la France en Europe et dans le monde.

S'agissant de l'enseignement du français, je suis entièrement d'accord avec la position véhémente de l'Académie française parue hier dans Le Figaro : non seulement l'Académie est légitime dans cette protestation, mais je dirais même qu'elle ne va pas assez loin. Je suis convaincu qu'un pays qui renonce à l'orthographe et la structuration du discours court au suicide. Pénaliser un professeur qui donnerait trop d'importance à l'orthographe dans la notation des copies et conseiller aux enseignants de ne pas diminuer la note d'une copie qui n'aurait ni introduction, ni conclusion, ni plan, constitue un suicide collectif. À l'aune des difficultés observées en matière d'enseignement du français, notamment à l'école primaire, la question des programmes d'histoire me semble secondaire. Les inégalités constatées en sixième, entre un élève qui maîtrise cent mots et son camarade qui en maîtrise mille, ne seront jamais aplanies ; elles handicaperont l'avenir professionnel et social du plus faible.

Or, l'enseignement du français a été depuis les années 1970 et 1980, et plus encore dans les années 1990, la victime principale de l'afflux démocratique subi par l'enseignement secondaire. Avec l'arrivée massive d'élèves issus de milieux populaires et de l'immigration au collège, l'enseignement de la langue et de la littérature française est soudainement apparu élitiste et bourgeois. La connaissance des grands auteurs, tels que Racine, Pascal ou Montaigne, n'était plus le résultat d'un apprentissage mais celui d'une tradition familiale et d'un goût. Or, selon Bourdieu, alors en pleine expansion intellectuelle dans les milieux enseignants, le goût n'est qu'un héritage, une connivence sociale. Concomitamment à ce phénomène, était mise à l'honneur une vision de la langue comme un objet strictement linguistique et scientifique. S'appuyant sur ce courant, de nombreux responsables de gauche, par nature à l'avant-garde intellectuelle, ont voulu transformer le français en un enseignement scientifique, sans idéologie et tradition. Il suffit de parcourir les manuels d'Alain Pialat et d'Alain Boissinot pour observer combien l'enseignement de la langue y est transformé en un pataquès scientifique dont l'objectif se limite à dégager des séquences actancielles dans une oeuvre. En classe de seconde, mon fils étudiait, en français, le thème de l'autobiographie, sujet parfaitement adapté à l'adolescence. Les élèves devaient dégager les propositions subjectives et les séquences actancielles de textes de Montaigne, Rousseau et Camus, sans qu'à aucun moment ne soient expliqués aux élèves l'histoire de ces auteurs et le contexte de leurs oeuvres. Cette méthode dégoûte in fine les enfants du français et de la littérature, hormis quelques privilégiés qui ont la chance de bénéficier d'un enseignement complémentaire au sein de leur famille.

Les intellectuels ne peuvent se désintéresser de cette question, notamment l'Académie française, même si, à mon sens, elle aurait pu être encore plus critique. Il faut revenir aux fondamentaux, notamment à l'apprentissage de la lecture par la méthode syllabique. Il ne vous aura pas échappé d'ailleurs que l'expansion de la méthode globale en cours préparatoire fut concomitante du projet du ministère de l'éducation nationale - il n'a heureusement pas abouti -, qui envisageait dans les années 1980 et 1990 de faire disparaître le français en tant que discipline. Celle-ci aurait alors été remplacée par un enseignement obligatoire de français comme langue de communication, ainsi que par un enseignement facultatif de littérature et d'histoire littéraire. La suppression de la fréquentation des grands auteurs ne représente ni plus ni moins qu'une subversion absolue de l'enseignement de la langue ! À l'époque, et encore aujourd'hui, on considérait que l'avenir de la langue appartenait, pour la majorité des élèves, à l'oralité : Alain Pialat proposait d'ailleurs que soient plutôt étudiés les modes d'emploi et les notices pharmaceutiques, afin que les élèves maîtrisent le français comme langue de communication pratique. Cet enseignement fondé sur l'oralité et la vie courante aurait très bien pu inclure également des oeuvres de Marivaux ou de tout autre auteur. Si on peut en comprendre la philosophie, une telle réforme aurait indubitablement conduit à l'altération de nos traditions littéraires. Ces dernières doivent être rajeunies mais certainement pas détruites. Pour leur part, les méthodes scientifico-linguistiques de l'enseignement du français ont abouti à la désarticulation totale de l'orthographe, dont l'opinion publique ne semble guère s'émouvoir.

Je m'exprimerai enfin sur la réforme proposée pour l'enseignement du latin et du grec. À rebours de la position de mes confrères de l'Académie française en faveur de la défense de l'enseignement des langues anciennes, je suis plutôt favorable à la réforme annoncée. Bien que licencié ès lettres et certifié à ce titre en latin et en grec, je ne lis ni Virgile, ni Tacite dans le texte et ne juge pas cela utile. Le débat autour du latin et du grec est symbolique du lien ombilical qu'entretiennent les Français avec leur passé. Pourtant, la suppression du latin dans les programmes constitue un leitmotiv depuis la réforme du lycée de 1902. Il suffit de relire à cet égard les débats parlementaires de l'époque, remarquables par leur niveau intellectuel. Si Rimbaud faisait des vers latins, la dernière thèse en latin fut soutenue vers 1930. J'estime en revanche que la culture de l'Antiquité est nécessaire dans un pays qui se démocratise. Toutefois, cet enseignement n'est pas forcément philologique, d'autant qu'en latin, il porte sur la grammaire et la syntaxe. Or, s'agissant de la langue française, les élèves n'apprennent ni l'un ni l'autre ; ils sont bien évidemment désemparés en classe de latin. Je suis pour ma part favorable à un enseignement de la culture antique par l'histoire et la littérature, dans le cadre de filières latines étymologiques. À l'instar de Paul Veyne, je crois utile de créer un institut supérieur des langues anciennes pour former des traducteurs et des historiens de l'Antiquité, sur le modèle de l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Il convient enfin de reconnaître que la réforme proposée règlera un certain nombre de problèmes administratifs et organisationnels dans les territoires où trop peu d'élèves choisissent l'option latin ou grec.

En ce qui concerne les autres aspects de la réforme, celle-ci repose, selon moi, sur une philosophie fausse, dissimulée sous le voile pudique et prétentieux de l' « excellence pour tous ». Casser ce qui marche, à l'instar des classes bilangues, n'est jamais une excellente mesure, surtout lorsqu'elle repose sur l'idée que mêler les plus forts et les plus faibles aboutit à élever le niveau de tous. Cela est voué, d'expérience et de bon sens, à l'échec. Au lieu d'aligner l'enseignement sur le niveau du plus faible au nom de l'égalité, il faut élever les plus faibles au niveau des meilleurs, sans oublier de mettre en place un enseignement professionnel digne de ce nom.

L'intention que révèle la création d'enseignements pédagogiques interdisciplinaires (EPI) me paraît bonne. Des enfants qui, à leur entrée en classe de 6 e , se retrouvent face à une pluralité de professeurs sans relation réelle les uns avec les autres, peuvent être désarçonnés. Toutefois, cela fait vingt ans que sont mises en place des passerelles. Dès lors, diminuer de 20 % le nombre d'heures d'enseignement disciplinaire au profit d'un nouveau type d'enseignement, qui plus est contraire à l'esprit naturel des professeurs, me semble dangereux. De plus, les professeurs doivent être formés à ces méthodes d'enseignement et le contenu de ces EPI mieux défini.

En conséquence, appliquer la réforme du collège dès la rentrée 2016 me paraît utopique, d'autant qu'elle interviendrait en même temps que la refonte des programmes, qui impliquera, dès septembre, une adaptation des manuels scolaires. Engager ces deux réformes simultanément représente une erreur, d'autant qu'elles tendent à se confondre dans l'esprit des gens et qu'elles entreront en vigueur dans une période électorale intense. Si l'enseignement public n'offre plus d'enseignements de qualité, l'enseignement privé subventionné trouvera les moyens d'y pourvoir. La réforme aura donc abouti à l'inverse de ce qui était recherché.

B. DÉBAT

M. Jacques Grosperrin

Je tiens, monsieur l'académicien, à vous féliciter pour la sincérité dont vous faites preuve dans l'analyse de la réforme des programmes du collège, qui dépasse le clivage entre les partis.

Vous considérez avec raison que la suppression du latin et du grec, ainsi que des classes d'excellence, affecterait les collèges en difficulté, ces dispositifs permettant de créer une certaine mixité sociale et d'offrir un enseignement de qualité aux élèves d'origine modeste.

Vous l'avez déploré, l'enseignement du français a peut-être été délaissé pour ne pas mettre en difficulté les élèves qui en étaient le plus éloigné, l'exigence étant vue comme discriminatoire. À vouloir être trop bienveillant à l'égard des enfants les moins favorisés, on les empêche d'accéder à l'ascension sociale.

La tendance à la culpabilisation se retrouve dans la part belle faite, dans les programmes, aux questions sensibles comme la colonisation ou l'esclavage, au détriment des humanités et des Lumières. L'évocation de faits historiques importants contribue à susciter chez les élèves le sentiment d'appartenance à la nation. Comment expliquez-vous ce désamour de la France pour elle-même et son aversion pour son histoire ? Pourriez-vous esquisser les pistes d'une réforme de l'enseignement de l'histoire pour remédier à ce sentiment d'une France fatiguée d'elle-même ?

M. Alain Vasselle

J'ai le sentiment, monsieur l'académicien, que vous vous faites l'écho de ce qu'on peut lire et entendre dans le monde de l'enseignement sur nos territoires où, semble-t-il, la coupe du mécontentement déborde.

Les programmes se trouvent en dehors du domaine législatif ; à quel autre levier pouvons-nous faire appel pour agir ? Je n'ose imaginer qu'en tant qu'académicien vous n'ayez pas été consulté sur cette réforme des programmes. Si vous l'avez été, votre argumentation a-t-elle réussi à convaincre ? Quelles réponses vous ont été opposées en retour ?

Mme Marie-Christine Blandin

Je m'exprime à double titre, au nom du groupe des écologistes et en tant que membre assidu du Conseil supérieur des programmes (CSP). Je vous remercie, monsieur Nora, pour le ton de cet exposé argumenté, à la fois modéré et résolu.

Je vous sais gré d'avoir honnêtement signalé dans les médias que le CSP avait rétabli la chronologie dans les programmes d'histoire. Je regrette que mes collègues de l'opposition ne se félicitent pas tous les jours de cette action salutaire.

Les programmes proposés par le CSP sont provisoires, annoncés comme tels et ont été soumis à consultation pendant un mois. D'ailleurs l'initiative prise lors du colloque de la Sorbonne sur le champ de l'histoire émane du CSP et non de la ministre de l'éducation nationale.

S'agissant des lois mémorielles, les écologistes partagent totalement votre point de vue. Ils laissent aux historiens l'écriture de l'histoire et votent contre ces lois mémorielles, affrontant ainsi le courroux de leurs collègues.

Sur la question des programmes, je rappelle que la loi sur la refondation de l'école crée une instance indépendante, le CSP, composé de dix-huit membres dont six parlementaires, chargé d'élaborer des projets de programmes, l'élaboration des décrets revenant à la ministre de l'éducation nationale. Je ferai remarquer que les plus contestataires de nos membres ne sont jamais présents. Sur la méthode, le CSP a élaboré une charte qui s'appuie sur les travaux d'un groupe de travail, composé de fonctionnaires de la direction générale de l'enseignement scolaire, d'enseignants, d'intellectuels et de chercheurs au sein duquel des pressions ont pu s'exercer et des conflits s'exacerber. Le CSP est souverain et avisera in fine au vu des résultats de la consultation. S'agissant des lois mémorielles, le CSP n'a pas subi de pression. Il a cherché un point d'équilibre entre repentance et omerta, en ne souhaitant bien entendu ni l'une ni l'autre.

En ce qui concerne les accusations portées par les médias à l'encontre du CSP, je dirai que les journalistes ont parfois tendance à se fier aux informations déjà publiées par leurs confrères plutôt que de lire les programmes. Parmi ces accusations, celles relatives à la suppression du latin et du grec sont hors de propos puisque le CSP n'a rédigé que le socle de connaissances de compétences et de culture ainsi que les projets de programmes.

Il me paraissait donc utile de diffuser une information rationnelle et juste, à défaut de laquelle on ne sait plus qui dit quoi et on tue l'espoir. Je répète que le CSP mène une consultation et qu'il entend tout le monde sans faire de repentance.

Enfin, je rappelle que l'enseignement privé sous contrat, dont vous avez regretté le risque d'opportunisme, est soumis aux mêmes règles que l'enseignement public.

M. Daniel Percheron

Monsieur Nora, c'est un grand plaisir de vous entendre. J'ai été moi-même professeur d'histoire en lycée technologique et j'ai l'expérience des milieux populaires.

Je partage votre analyse sur les émotions nationales, sur cette liaison entre la famille, le mariage pour tous, l'école et l'évolution du collège... à savoir le moule républicain. Dans ma région, entre 1980 et 2000 et à population constante, le nombre de ménages a explosé, au moment où nous accueillions l'enseignement de masse dans le cadre de la décentralisation. Cette massification de l'enseignement n'a pas abouti à l'égalité des chances, qui est le rêve des politiques et des élites. Les enquêtes PISA nous rappellent que même si nous dépensons le plus au monde par élève dans le secondaire, les inégalités sociales demeurent dans la formation de la jeunesse.

Je pense que le roman national se termine à la libération de Paris, plutôt qu'en 1922. L'action de la Résistance a laissé croire à la victoire de la France. Mais la repentance doit être exclue de notre histoire nationale ; il n'est pas question d'en accepter la thèse ou la trame. Cette histoire subit l'influence des États-Unis, où la situation est différente puisque la question sociale ne peut être traitée sans évoquer la question raciale.

S'agissant de l'enseignement du français dans les lycées, l'orientation me semble être une des clefs des problèmes de l'enseignement secondaire. Ma génération comptait 140 000 bacheliers, nous avons aujourd'hui 143 000 bacheliers scientifiques, ce qui signifie que le lycée de centre-ville s'est maintenu à travers la massification. Les classes moyennes et les élites ont gardé le mode d'emploi de l'excellence scolaire. Il faut qu'à l'heure de l'enseignement professionnel, de l'apprentissage, de la formation tout au long de la vie, nous trouvions le moyen de relier la trame de nos lycées professionnels à cette filière unique, où la méritocratie est une sorte de sésame.

Enfin, je partage votre analyse sur le latin et le grec. La filière de l'étymologie est essentielle ; je pense qu'elle est irremplaçable pour les Français. L'étude historique de l'Antiquité est également très importante ; ainsi l'histoire de l'Empire romain, du Haut-Empire à son effondrement, peut être le point de départ, sinon d'un roman national, d'un roman européen.

Mme Colette Mélot

Monsieur l'académicien, je partage beaucoup de vos propos sur la réforme du collège, notamment sur le discours hypocrite d'une possible égalité entre tous les élèves. Or, l'égalité de l'offre scolaire est source d'inégalités, les élèves n'ayant pas tous les mêmes besoins. Pensez-vous que la formation des maîtres soit en adéquation avec l'école d'aujourd'hui ? Les nouvelles technologies ne changent-elles pas la façon d'apprendre ?

M. Jean-Claude Gaudin

Je souhaite revenir sur la question des lois mémorielles. Un de nos anciens collègues, M. Robert Badinter, s'est toujours opposé à ce genre de lois au Sénat. Une de nos éminentes collègues, présidente de groupe, qui désirait de longue date voir adoptée une proposition de loi reconnaissant le génocide arménien, a réussi en 2001 à convaincre un membre de chaque groupe de rédiger un texte commun, contre l'avis du Président de la République, M. Jacques Chirac, et contre l'avis du Premier ministre, M. Lionel Jospin. Mais nous sommes des hommes libres et indépendants, quoique soumis à différentes pressions dans nos collectivités territoriales. Que ce soit le Val-de-Marne ou Marseille, elles comprennent une nombreuse population d'origine arménienne, d'ailleurs parfaitement intégrée. Le Sénat a réussi à faire adopter ce texte sur la reconnaissance du génocide contre l'avis des tout-puissants de l'époque. Depuis, MM. Sarkozy et Hollande se sont souvent rendus en Arménie et ont finalement adhéré à l'idée d'une loi visant à pénalisesr la négation de ce génocide. Une loi a été votée en ce sens au Parlement et soixante parlementaires ont saisi le Conseil constitutionnel, qui l'a censurée. Cette loi viendra bien un jour, même s'il faut du temps !

Il nous a fallu en effet beaucoup de temps pour reconnaître le génocide et c'est un honneur pour la République française et la Haute assemblée de l'avoir fait. Nous subissons forcément l'influence de nos concitoyens, nous sommes à leur écoute et nous portons leurs revendications.

M. Pierre Nora

Permettez-moi de m'adresser directement à vous, monsieur Gaudin. Bien entendu, la défense de l'idée du génocide est pleine de panache et de justice. Toutefois, aux yeux d'un historien le mot est vague. Car si nous nous référons à la définition qui a été donnée en 1945, celle-ci suppose une intentionnalité - or, il y a une quantité de génocides, par exemple au Rwanda, où vous ne retrouvez pas l'ordre initial comme vous pouvez le faire pour d'autres. Surtout, il faut distinguer le génocide dans son sens moral, historique et juridique.

Dans son sens moral, tout le monde est d'accord. L'histoire de l'Humanité est pavée de génocides.

Du point de vue historique, personne ne niera de bonne foi, aujourd'hui, qu'un génocide a été entrepris en Arménie. Si cet accord général existe, ce n'est pas grâce aux lois que vous avez votées. C'est une évidence historique, issue du travail des historiens. Prenez garde que les lois n'empêchent pas le travail des historiens plutôt que de le favoriser. Depuis dix ans un travail très important d'accumulation de preuves, de démonstration et d'approfondissement du problème a été accompli ; il s'est même déroulé avec des historiens turcs.

Il en est tout autre chose sur les plans juridique et législatif. Vous allez adopter une telle loi et vous vous en orgueillissez. Mais, à quoi va-t-elle servir ? La loi Gayssot répondait à un antisémitisme ouvertement exprimé. Mais y a-t-il de l'antiarménisme? Je n'en ai jamais vu. La République a fait ce qu'elle estimait devoir faire par la reconnaissance du génocide. Mais voter une loi qui empêchera les historiens d'étudier cette question, ce n'est que donner satisfaction à vos électeurs arméniens de Provence-Alpes-Côte d'Azur et donner également raison à certains groupes arméniens très activistes.

Par ailleurs, vous me demandez : quid du négationnisme et de la Turquie ? Mais pensez-vous qu'une loi française serait de nature à pousser le gouvernement turc à reconnaître l'existence d'un génocide ? C'est évidemment l'inverse ; cela favorisera un réflexe nationaliste de rejet.

M. Jean-Claude Gaudin

Votre analyse tient mais les Français d'origine arménienne attachent beaucoup d'importance à cette loi. J'assume de défendre ces personnes, cela exige du courage.

M. Pierre Nora

Vous défendez vos électeurs ! Je considère personnellement que ce n'est pas du courage mais bien au contraire de la faiblesse.

J'en viens à la place du jargon dans les programmes, qui concerne essentiellement des disciplines qui pensent être mal estimées. C'est le cas de la géographie, de l'éducation physique et sportive et des arts plastiques. Ce jargon est insupportable ; il suffit à condamner les justifications des nouveaux programmes.

Les professeurs qui ont été formés dans les années 1980 et 1990 avec d'autres programmes auront besoin de temps pour être formés à de nouvelles méthodes d'enseignement. On ne peut pas faire une loi sur l'éducation tous les trois ans. Les réformes à répétition, que chaque ministre veut mener à bien afin de laisser sa marque, sont des catastrophes.

Je n'ai pas jeté la pierre au CSP, qui travaille avec application. Cela ne change pas fondamentalement un phénomène déjà ancien et qui constitue l'expression d'une crise de l'identité nationale. Elle se ressent au sein de l'éducation nationale car elle est aussi une crise de la transmission. C'est pourquoi les inquiétudes se cristallisent sur l'enseignement du français et des humanités.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le désamour de la France. Vue globalement, l'histoire de la France est celle d'un pays qui a été à l'avant-garde de toutes les expériences historiques de l'Europe, depuis le christianisme et les croisades. C'est en France que l'État nation s'est réalisé en premier, avec l'idée que la nation était le véhicule du progrès. Cette conception triomphera avec la Révolution française. La France est également le premier pays à avoir connu la monarchie absolue, puis les Lumières : l'expérience de la raison, d'une raison généralisée appliquée au fond par la Révolution française avec les droits de l'homme. Elle est le premier pays avec l'Angleterre à connaître l'époque coloniale, en bien comme en mal. C'est d'ailleurs ce qui a appris à tous les colonisés les principes qui leur ont permis d'obtenir leur indépendance. De plus, cette expérience coloniale a transformé aussi bien les colonisateurs que les colonisés. La colonisation est une expérience historique fondamentale dont il ne s'agit pas de nier qu'il y a eu des victimes et des profiteurs. Mais, il faut distinguer deux choses. Ainsi, Jaurès était opposé aux abus de la colonisation mais il n'était pas contre la colonisation elle-même, au contraire. L'idée de sortir la France de son obsession de la revanche et de lui offrir un débouché vers le monde extérieur est exactement ce que nos historiens, qui reprochent à l'histoire nationale d'être trop nationale, sont aujourd'hui en train de faire.

J'en reviens à la Révolution, qui a représenté un bouleversement pour le monde entier. On peut continuer ainsi et expliquer ce qu'a eu la France d'extraordinairement progressiste et avant-gardiste.

On peut aussi faire l'apologie de la langue française. Je regrette que l'histoire de la langue française n'occupe pas une place plus importante dans les programmes de français. La France, c'est essentiellement sa langue et la littérature.

Cette littérature n'est d'ailleurs pas comparable aux littératures régionales. C'est pourquoi, mettre sur le même plan le latin et les langues régionales dans le cadre des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) me paraît inadmissible. D'ici peu, la question de la place des langues régionales viendra de nouveau en discussion devant le Parlement. Que les langues régionales soient pratiquées par ceux qui le souhaitent, très bien ; mais vous savez que certaines associations demandent leur inscription à l'article 2 de la Constitution qui prévoit que « la langue de la République est le français ». À l'occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, vous aviez obtenu qu'il soit inscrit à l'article 75-1 de la Constitution que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Certains plaident pour une reconnaissance des langues régionales qui les placerait sur un pied d'égalité avec la langue française. Je vous conjure de résister à cette tentation !

En ce qui concerne l'enseignement de la France, il conviendrait de délaisser le roman national au profit d'une nouvelle histoire de France, qui s'appuierait sur l'exploration du patrimoine historique et des singularités de la France, au premier rang desquels figure la langue française. Cette histoire se rapprocherait ainsi des Lieux de mémoire , que j'ai entrepris avec la conviction qu'une histoire linéaire n'était plus possible, mais qu'une histoire patrimoniale, qui s'attacherait aux lieux et aux singularités de notre pays, constituait une alternative intéressante au récit classique.

M. Vasselle m'interrogeait sur la réponse donnée aux arguments que je vous ai présentés. Au lendemain de ma tribune, j'ai reçu un message du Premier ministre disant qu'il était entièrement d'accord avec moi - mais cela a été de toute évidence sans conséquence. J'ai également reçu un appel de la ministre de l'éducation qui m'a très courtoisement invité à la rencontrer. Au cours de cette entrevue, elle a manifesté son plein accord avec mes propos et m'a assuré que les projets de programmes étaient encore provisoires et qu'ils avaient encore vocation à évoluer. Elle m'a également affirmé que l'étude de l'islam en cours d'histoire serait déplacé de la classe de 5 e à la fin de la 6 e , des responsables religieux ayant fait valoir que l'apprentissage en décalé par rapport à la naissance du judaïsme et du christianisme était discriminatoire. Comme tous les professeurs peinent à terminer le programme, je ne suis pas sûr que l'étude des débuts de la religion musulmane y gagnera... Je formulerai un reproche en la matière aux programmes d'histoire : seuls les débuts des religions sont étudiés. Or c'est l'histoire de ces religions et de leurs supports sociaux qui est importante. Aucune des trois religions monothéistes n'est à mettre sous le terme « religion », comme si cela désignait la même chose. Le judaïsme, le christianisme et l'islam représentent des histoires, des cultures et des visions de la société très différentes. Cela ne me paraît certainement pas leur rendre justice.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page