C. AUDITION DE M. ALAIN MÉRIEUX, PRÉSIDENT DE LA FONDATION MÉRIEUX, ET DE M. EMMANUEL LENAIN, DIRECTEUR D'ASIE ET D'OCÉANIE AU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL LE 27 MAI 2015

La commission organise une table ronde sur la nouvelle croissance chinoise et ses conséquences :

- M. Alain Mérieux, président de la Fondation Mérieux ;

- M. Emmanuel Lenain, directeur d'Asie et d'Océanie au ministère des affaires étrangères et du développement international.

M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Nous poursuivons aujourd'hui notre cycle d'auditions sur l'un des thèmes de travail que nous avons choisi pour cette année : la nouvelle croissance chinoise et ses conséquences, notamment pour la France. Après les professeurs François Godement et Jean-Luc Domenach, que nous avons entendus en février, nous recevons aujourd'hui deux « praticiens » :

- Alain Mérieux, président de la Fondation et de l'Institut Mérieux. Lorsque Xi Jinping a effectué une visite d'État en France il y a un an, le Président chinois a commencé son séjour par Lyon, notamment pour visiter les laboratoires bioMérieux, spécialistes du diagnostic médical, et vous avez d'ailleurs évoqué à cette occasion une « visite amicale et familiale ». Je crois qu'on peut donc dire, sans commettre d'erreur, que votre expérience de la Chine est tout à fait exceptionnelle... ;

- nous recevons également Emmanuel Lenain, qui a quitté il y a quelques jours seulement son poste de Consul général de France à Shanghai, après un peu plus de quatre années sur place, pour rejoindre le poste de directeur d'Asie et d'Océanie au ministère des affaires étrangères.

Depuis les réformes lancées par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, la Chine a connu une croissance phénoménale, tout à fait inédite dans notre histoire, au moins récente, en termes de volumes et de durée.

Pour autant, la Chine a certainement atteint un point dans son développement qui nécessite de mettre en oeuvre une nouvelle stratégie, ce que les autorités du pays ont d'ailleurs décidé, notamment dans le cadre du 12 e Plan.

Le groupe de travail que nous avons mis en place souhaite mieux comprendre la situation actuelle de l'économie chinoise, les modalités et la réalité de la « réorientation » annoncée par les dirigeants du pays, ainsi que les opportunités que cette situation crée pour la France.

M. Alain Mérieux, président de la Fondation Mérieux . - Ma première visite en Chine a eu lieu en 1978 et, à l'époque, je m'exprimais devant des scientifiques plutôt âgés car les universités ressentaient encore la période des Gardes rouges qui les avaient vidées de leurs étudiants. Puis je me suis régulièrement rendu dans ce pays, notamment lorsque j'étais vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes. J'étais d'ailleurs à Shanghai durant les événements de Tiananmen et nous avons souhaité conserver, durant cette période difficile, les liens que nous avions tissés au fil des années. Ces différents séjours m'ont permis de rencontrer plusieurs personnalités qui ont exercé par la suite des responsabilités importantes ; ce fut par exemple le cas avec Zhu Rongji qui a été maire de Shanghai puis Premier ministre et c'est le cas en ce moment même avec Xi Jinping que j'ai rencontré bien avant qu'il ne devienne Président. Malgré certaines hostilités en France, je me suis également occupé du comité France - Chine sur les maladies infectieuses émergentes, qui a vu le jour à la suite de l'épidémie de SRAS, période que le Président Raffarin connaît particulièrement bien.

La Chine peut surprendre par sa force, voire sa brutalité, mais le pays est également très affectif et attaché au souvenir du passé : les références régulières au sac du Palais d'été nous montrent que les Chinois n'oublient jamais un événement. De même, la famille est un élément essentiel de la société.

L'économie s'est développée de manière extraordinaire, à partir d'une situation quasi-moyenâgeuse. Avec une croissance très forte, la Chine a retrouvé une place dans le monde mais la véritable question est de savoir combien de temps le parti unique peut-il persister dans ce contexte. De ce point de vue, la campagne anti-corruption qui a été lancée est vitale pour le pays.

La Chine s'est beaucoup rapprochée de la France ; elle a par exemple beaucoup apprécié, je dirais même admiré, l'attitude française au Mali. Souvenons-nous que le Mali est l'un des premiers pays au monde à avoir reconnu la République populaire de Chine. Cette lune de miel entre nos deux pays n'empêche pas le nationalisme et la protection des industries nationales en Chine (comme en France d'ailleurs), notamment dans des secteurs stratégiques comme la santé. Pour autant, même dans ces secteurs, il semble possible que la Chine et la France travaillent ensemble dans des pays tiers, par exemple en Afrique et nous préparons d'ailleurs un projet d'accord en ce sens avec l'Académie chinoise de médecine.

M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Les autorités chinoises ont annoncé des montants très importants d'investissements à l'étranger : environ 500 milliards de dollars dans les cinq ans à venir.

M. Alain Mérieux . - Les Chinois n'investissent quelque part que s'ils sont bien accueillis. Ils veulent investir mais pas en heurtant les opinions publiques ou les sensibilités nationales.

M. Emmanuel Lenain, directeur d'Asie et d'Océanie au ministère des affaires étrangères et du développement international . - En ce qui concerne le contexte macroéconomique, la Chine connaît certes un ralentissement mais le phénomène apparaît contrôlé. Je dirais même qu'il est logique après une telle période - unique dans notre histoire - de croissance très forte et ininterrompue durant plus de trente ans. Je me range donc plutôt parmi les optimistes.

Nous sommes à la fin d'un cycle de rattrapage lancé à la fin des années 1970 par les réformes de Deng Xiaoping : durant cette période, la Chine a mené sa révolution industrielle, elle s'est urbanisée et elle a introduit avec succès les nouvelles technologies. Aujourd'hui, elle s'oriente vers une économie plus innovante, une économie de la connaissance, avec par exemple des investissements massifs dans la recherche qui représentent plus de 3 % du PIB. Des laboratoires géants ont été créés et il existe des centres de recherche et développement de niveau mondial. L'un des résultats est que la Chine dépose environ la moitié des brevets dans le monde, même si tous ne correspondent pas nécessairement à des inventions.

Les moteurs traditionnels de la croissance s'épuisent. Le modèle a ainsi atteint ses limites en matière d'environnement, secteur où les revendications de la population sont très pressantes. En matière démographique, la politique de l'enfant unique mise en place en 1979 a eu des résultats évidents mais entraîne aussi des conséquences importantes sur le long terme qu'il est difficile d'inverser. Cette politique, sans être complètement abandonnée, connaît et connaîtra, à n'en pas douter, de plus en plus d'exceptions ou d'adaptations. Par ailleurs, l'endettement reste globalement soutenable mais celui des collectivités locales, qui représente environ 30 % du PIB, a surpris beaucoup d'observateurs par son niveau car elles n'ont pas le droit de s'endetter directement et ont mis en place divers véhicules pour ce faire. Longtemps, les responsables locaux étaient jugés sur le seul critère de l'évolution de la croissance sur leur territoire, ce qui les a incités à investir massivement, en particulier dans les infrastructures ; aujourd'hui, le niveau d'endettement constitue un frein significatif aux nouveaux investissements au niveau des collectivités.

Face à ces évolutions, les autorités chinoises ont décidé de reconfigurer le modèle économique, avec un modèle « plus normal », davantage assis sur la consommation intérieure et générant une croissance certes moins vigoureuse mais plus soutenable, tant en interne qu'en externe vis-à-vis du reste du monde. Cette réorientation s'est opérée au travers d'une politique de distribution massive de pouvoir d'achat. Les résultats sont là : avec une progression des revenus hors inflation de 7 %, la consommation devrait progresser de 11 %. Le ralentissement actuel peut également s'expliquer, pour partie, par la campagne d'austérité et de lutte contre la corruption qui se diffuse dans toute l'économie car les décideurs prennent désormais plus de précautions qu'auparavant.

Les autorités ont fixé un objectif de croissance d' « environ 7 % » pour 2015 et ce taux devrait se stabiliser autour de 5-6 % à la fin de la décennie, ce qui reste tout à fait enviable. Mais la véritable préoccupation des autorités reste le niveau de l'emploi. Le pays demeure rural puisque seulement un peu plus de la moitié de la population vit en ville contre plus des trois quarts dans les pays développés. L'urbanisation va continuer ce qui pose la question de la création d'emplois dans les villes.

La Chine connaît des situations très hétérogènes selon les régions. Des villes côtières hérissées de tours ultramodernes aux campagnes de l'Ouest, ce sont plusieurs pays, voire plusieurs époques qui coexistent. Le salaire de base varie de 1 à 4 entre les grandes villes côtières et les provinces de l'intérieur.

Dans ce cadre général, les opportunités sont très importantes pour les entreprises françaises. Même si la croissance a ralenti, sa base est plus large et la croissance en valeur est aujourd'hui le double de ce qu'elle était au début des années 2000 quand le taux de croissance dépassait les 10 %. Selon le FMI, l'économie chinoise a procuré environ 30 % de la croissance mondiale en 2014.

Avec la formation d'une classe moyenne de bientôt 500 millions de personnes dotée d'un grand appétit de consommation, la Chine est arrivée à un stade de son développement économique qui correspond mieux aux points forts de l'économie française, notamment les produits de grande consommation et de luxe. Au-delà des grands contrats, l'appui public se concentre de plus en plus sur les PME et les secteurs en fort développement comme l'agroalimentaire, la ville durable ou la santé.

L'enjeu du tourisme est considérable. Les Chinois représentent déjà la première dépense par personne en France ; nous en accueillons 2 millions et avons pour objectif d'atteindre 5 millions. Nous avons modernisé notre dispositif de délivrance des visas ; nous devons continuer ces efforts et développer en même temps une véritable politique d'accueil avec une hôtellerie, une signalétique et des méthodes de paiement adaptées.

Plus de 1 200 entreprises françaises, dont toutes celles du CAC 40, sont présentes en Chine avec, dans de nombreux cas, des capacités de production destinées au marché chinois. Le stock d'investissement français en Chine atteint ainsi 18 milliards d'euros ; parallèlement, les investissements chinois en France ne s'élèvent qu'à 5 ou 6 milliards. Nous avons donc de bonnes perspectives pour les années à venir et devons mettre en place une politique d'accueil des investissements et une politique de partenariat entre la France et la Chine, par exemple dans certains pays tiers.

M. Christian Cambon . - Il existe un paradoxe entre, d'une part, la qualité de la relation entre la France et la Chine et, d'autre part, les chiffres que vous évoquez, qui ne correspondent pas aux ambitions. La présence des entreprises chinoises en France est bien moindre qu'en Allemagne ou qu'au Royaume-Uni, qui est en tête des pays destinataires d'investissements chinois. Au-delà des incantations, un effort structurel ne doit-il pas être réalisé par les régions pour accueillir les entreprises chinoises ? Au Royaume-Uni, les collectivités ont, par exemple, mis en place des services entièrement consacrés à l'accueil des investissements chinois.

Les grandes entreprises ne devraient-elles pas développer des dispositifs de « cocooning » afin d'aider les PME à investir en Chine et faire en sorte que les chiffres soient à la hauteur de nos ambitions ?

Mme Hélène Conway-Mouret . - Un changement de ton est perceptible dans le discours des dirigeants politiques chinois. La Chine assume désormais ouvertement sa place et ses aspirations au niveau mondial. Elle revendique certains territoires maritimes, ce qui suscite l'inquiétude de ses voisins. Quelles sont les conséquences de cette évolution sur la politique étrangère de la Chine et notamment sur sa relation avec le Japon ?

La croissance chinoise repose sur une consommation énergétique importante. L'opinion publique fait pression sur les autorités, qui lui répondent avec des objectifs assez ambitieux, comme en témoigne l'accord signé avec les États-Unis et les objectifs de la Chine pour la COP21. Les objectifs affichés sont-ils réalistes ?

La communauté française en Chine semble être en diminution. Des difficultés de renouvellement des visas nous ont été rapportées. Le climat des affaires en Chine se durcit-il, notamment pour les PME ?

M. Henri de Raincourt . - La croissance chinoise a longtemps reposé sur des exportations massives. Elle profite aujourd'hui aussi de l'augmentation de la consommation et de l'élévation du niveau de vie. Cette reconfiguration aura probablement des conséquences politiques. Mon intuition est que la Chine ne pourra pas faire coexister indéfiniment une politique économique audacieuse et un système politique fermé.

M. André Trillard . - Comment le Parti communiste chinois se renouvelle-t-il ? Quelle est l'ampleur de l'entrée des jeunes dans le Parti ?

Qu'en est-il des opérations menées par la Chine sur le taux de change du yuan vis-à-vis des autres monnaies ? Quel est le rôle de la politique monétaire dans la politique économique chinoise ?

M. Hubert Falco . - J'observe que nous sommes très sollicités, en tant qu'élus territoriaux, par des villes chinoises qui souhaitent développer des échanges avec des collectivités françaises. Par ailleurs, y-a-t-il une ouverture possible pour la France en Chine, en matière d'armement ?

M. Alain Mérieux . - Je confirme, tout d'abord, l'intérêt des Chinois pour les questions de santé publique, s'agissant notamment des conséquences de l'urbanisation de 300 millions de Chinois au cours de la prochaine décennie.

L'hostilité vis-à-vis du Japon est profonde et viscérale, pour des raisons historiques. Des tensions sont à craindre, tôt ou tard.

En tant que premier vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes, j'ai entretenu des liens de coopération avec la ville de Shanghai. J'ai alors observé les moyens mis en oeuvre, pour le même type de coopération, par le Land de Bade-Wurtemberg. Les Allemands développent une politique très active, très organisée et systématique, tant au niveau local que fédéral. Cette politique est mise en oeuvre par des professionnels, ce qui n'est pas le cas en France. Les régions doivent développer leur expertise afin d'aider les PME qui n'ont pas les moyens de se déplacer à l'étranger.

La Chine, qui pourrait représenter demain la moitié du marché nucléaire mondial, représente un débouché important pour notre industrie dans ce secteur. L'accroissement de la pollution l'y incite fortement. La France peut également trouver des débouchés chinois dans les secteurs du traitement des eaux, de l'urbanisme, des transports en commun ou encore de la santé et de la sécurité alimentaire. Dans le domaine de la santé, la Chine est plus ouverte qu'elle ne l'a été et reconnaît désormais l'existence de maladies infectieuses telles que le SIDA ou la tuberculose.

M. Emmanuel Lenain . - Le Parti communiste chinois se renouvelle beaucoup. Il compte 83 millions de membres. Depuis une vingtaine d'années, ce Parti est ouvert à toutes les nouvelles élites économiques et culturelles. Il constitue la colonne vertébrale du pays.

M. Jean-Pierre Raffarin , président . - L'histoire de la Chine est paradoxale. C'est un pays qui, contrairement à une Europe qui cherche toujours le dépassement dialectique, ne veut pas choisir : les Chinois sont ainsi à la fois le premier pollueur et le premier producteur d'énergie renouvelable, en particulier dans le secteur photovoltaïque. De même, la centralisation y est extrême, à travers le Parti communiste qui compte 83 millions de membres, mais il existe également une décentralisation très avancée. Toute la force de ce pays est d'essayer de tout faire tenir ensemble. Ainsi, contrairement à nous, les Chinois ne considèrent pas qu'il y ait une contradiction entre économie libérale et centralisation politique.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de l'impact de la corruption sur la situation économique et sociale chinoise ? Patrick Artus estime que la croissance réelle est plus proche de 1 % que des 7 % officiels, notamment du fait d'une crise de la consommation alimentée par la bulle immobilière et par la crise sociale dans les campagnes. Qu'en pensez-vous ? Enfin, en Afrique, les relations entre la France et la Chine vont-elles continuer à se caractériser par une certaine complémentarité ou bien la Chine ne va-t-elle pas devenir dominante sur ce continent, au détriment de nos intérêts ?

M. Robert del Picchia . - Les Russes souhaitent s'ouvrir économiquement vers la Chine, ne serait-ce que pour contrarier les Américains qui se sont réorientés vers l'Asie et les Européens qui leur imposent des sanctions économiques. Compte-tenu également du fait que les Chinois investissent en Sibérie, comment considérer ces relations russo-chinoises ?

M. Jacques Legendre . - La connaissance du français se développe-t-elle en Chine ou ce pays est-il plutôt en train de basculer dans le « tout-anglais » ? Par ailleurs, quel est l'état des études de langue chinoise en France ?

M. Joël Guerriau . - Vous avez évoqué l'opportunité que constituent les 7 % de croissance chinoise, ce pays assurant un tiers de la croissance mondiale. 20 milliards de marchandises françaises entrent annuellement en Chine. Celle-ci n'est toutefois pas seulement un immense consommateur, c'est aussi un concurrent pour les entreprises du reste du monde. Ainsi, les échanges de la Chine avec l'Afrique n'ont fait que croître au cours des dernières années. La Chine devient un modèle pour ce continent qui profite de ses produits à bas coût et tourne ainsi le dos à ses partenaires historiques. Que pensez-vous de ces évolutions ?

M. Antoine Karam . - Il y a une forte présence des outre-mer français en Chine, notamment de la Polynésie dont le statut politico-administratif lui permet d'avoir un bureau à Shanghai. Il existe également des relations très fortes entre la Chine et la Réunion ainsi que la Guyane. D'ailleurs, les premiers Chinois sont arrivés en Guyane au début du 19 e siècle pour y faire de l'orpaillage, puis du commerce de proximité. Ils se sont enfin développés, dans de très bonnes conditions, dans la grande distribution, le BTP et l'immobilier. A partir de la Guyane, les Chinois se sont implantés au Surinam où ils ont construit ponts, routes et autres équipements structurants, puis au Guyana. En tant que président de la région Guyane, j'ai eu l'occasion de signer en 2007, avec la très dynamique province du Zhejiang, une convention portant sur la pêche et les échanges culturels. Ainsi, en Amérique du Sud, nous ne sommes pas inquiets de l'expansion économique chinoise car il existe une très bonne intégration entre la population chinoise et la population guyanaise, déjà forte de son pluralisme culturel. Nous souhaitons renforcer encore ces relations, notamment dans le domaine de la pêche, compte tenu de la richesse extrême de notre plateau halieutique.

M. Xavier Pintat . - Quelle est la part de la consommation intérieure dans la production de richesses de la Chine ? Peut-elle prendre le relais des exportations ?

M. Alain Mérieux . - Il est naturel que la Russie développe ses relations avec la Chine dans le contexte de ses différents avec les Etats-Unis. Au passage, je voudrais signaler à propos de l'Iran, qui a été évoqué précédemment, que j'ai été frappé par la grande soif de travailler à nouveau avec les Français qui anime ce pays.

Nos grandes écoles jouent indéniablement la carte de la Chine : Polytechnique accueille 70 étudiants chinois, l'école de management de Lyon va ouvrir une filiale à Shanghai, les écoles centrales ont participé à la création d'une école centrale à Pékin. Certains de mes jeunes collaborateurs parlent le chinois, ce qui était impensable autrefois. Ces liens universitaires sont très importants car ils créent des relations pour cinquante ans. Certains de ces étudiants chinois en France deviendront en effet des dirigeants d'entreprises ou des responsables politiques et ils auront acquis la connaissance et le goût de la France. Les démarches entreprises par le ministère des affaires étrangères pour faciliter l'obtention des visas sont donc extrêmement positives.

M. Emmanuel Lenain . - Depuis que la Chine a réémergé, c'est-à-dire depuis une trentaine d'années, elle a eu un impact sur le monde somme toute peu déstabilisateur si on le rapporte à sa puissance retrouvée. Un historien britannique a reconstitué les chiffres de l'économie mondiale depuis le début de notre ère et a établi que, si l'on excepte une parenthèse qui va de la guerre de l'opium à la fin de l'époque maoïste, la Chine a toujours représenté 30 % environ de la richesse mondiale, sans pour autant constituer un facteur de déstabilisation de l'ordre mondial. Toutefois, compte tenu de l'interdépendance économique actuelle, la situation n'est pas comparable.

Mme Hélène Conway-Mouret . - L'inquiétude du Vietnam concernant les revendications maritimes de la Chine est aujourd'hui bien réelle !

M. Emmanuel Lenain . - La communauté française en Chine est en légère diminution, ce qui constitue un phénomène nouveau. A Shanghai, la croissance de cette communauté était ces dernières années de 20 % à 30 % par an ; elle est désormais stabilisée. Cette situation s'explique par trois facteurs principaux : les inquiétudes des Français face à la dégradation de l'environnement et aux problèmes de sécurité alimentaire, dont ils craignent les effets pour leurs familles ; le fait que les entreprises en Chine ont tendance à se « siniser » car elles trouvent sur place les talents dont elles ont besoin ; enfin, il est de plus en plus difficile pour les jeunes d'obtenir des visas, une nouvelle loi ayant durci les conditions d'entrée en Chine afin de préserver l'emploi des jeunes Chinois. Ce dernier point constitue pour nous un sujet de forte préoccupation. Nous menons actuellement une négociation devant aboutir à l'obtention de 1 000 visas pour des stagiaires chinois en France et 1 000 visas pour des stagiaires français en Chine.

En ce qui concerne l'économie, plusieurs éléments convergent pour penser que la croissance s'élève à environ 6 % ou 7 %. Dans le passé, les autorités ont parfois eu tendance à la minorer. Il existe certes des surcapacités dans certains secteurs, notamment la production d'acier ou encore l'immobilier puisqu'il y a de nombreux logements vacants. Toutefois, les risques que présentent ces « bulles » doivent être relativisés par l'existence d'importantes réserves de change.

Nous sommes très attachés à la francophonie. Les étudiants chinois constituent, grâce à l'ensemble des accords que nous avons développés dans ce domaine, le groupe d'étudiants étrangers le plus nombreux en France (plus de 35 000). Le français est très enseigné en Chine mais il reste beaucoup à faire. Il existe 15 alliances françaises. Il est indispensable de dégager des ressources au plus vite pour en ouvrir d'autres dans toutes ces villes qui comptent plusieurs millions d'habitants. Il y a actuellement une soif d'étranger en Chine mais la fenêtre ne restera pas toujours ouverte. Sur la durée, pour les relations franco-chinoises, pour le rayonnement de notre pays, il n'y a pas de meilleur investissement.

M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Cette présence de la langue française est particulièrement impressionnante dans le domaine de la santé. Il y a plus de scientifiques qui parlent français dans ce secteur en Chine que dans bien des pays de la francophonie. Il y a à Wuhan un service d'urgences bilingue. Les universités françaises ont fait un travail considérable pour accueillir les étudiants en médecine chinois.

M. Alain Mérieux . - Il existe quatre universités médicales francophones en Chine !

M. Jean-Pierre Raffarin , président . - J'ai lu attentivement le dernier ouvrage du Président Xi Jinping. Le premier enseignement que l'on peut tirer de ses discours, c'est que si le parti communiste doit certes être rénové, il continuera à contrôler et à gouverner la société. Les discussions existent au sein du parti mais sa loi continuera à s'appliquer en dehors. Ensuite, l'Asie et le développement du pôle asiatique, y compris le voisinage coréen et japonais, au sein d'un monde multipolaire, reste l'horizon de la Chine car il faut éviter le face-à-face avec les Etats-Unis dans le Pacifique. Il en résulte d'ailleurs une forte « demande d'Europe » de la part de la Chine afin d'équilibrer la pression américaine. Enfin, le principe du développement économique réside dans l'innovation, et non dans le « low cost ». Pour les Chinois, la liberté est une liberté de créer, de chercher, de développer de nouveaux produits. Ils ont une très forte croyance dans la science et le progrès.

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