C. DES RISQUES DE TENSION : LE LIEN ENTRE L'ÉCONOMIQUE ET LE POLITIQUE

1. Une transition présente toujours des risques

Les phases de transition présentent toujours des risques d'instabilité, des tensions, des incertitudes. Il ne peut en être autrement en Chine aujourd'hui, d'autant que la plupart des Chinois vivant en 2015 ont toujours connu une croissance économique à deux chiffres et un accroissement de pouvoir d'achat substantiel.

En outre, les évolutions démographiques, en particulier la réduction du nombre d'enfants dans les familles, ne peuvent qu'entraîner des modifications sociologiques et dans les modes de vie.

Sur le plan social , les restructurations en cours, avec la réduction des surcapacités et le développement de secteurs économiques faisant appel à une main-d'oeuvre plus qualifiée, ont des effets en termes d'emploi. La réforme annoncée du « hukou » sera donc certainement menée avec précaution.

Parallèlement, on constate que les jeunes Chinois diplômés ont les plus grandes difficultés à trouver un emploi à la hauteur de leurs qualifications, ce qui crée également des tensions dans la société.

Sur le plan financier , la volonté de développer les marchés boursiers domestiques peut se révéler source de tensions si les Chinois qui y investissent ne sont pas accompagnés et encadrés. Les bourses se sont beaucoup développées mais souffrent d'une volatilité importante, d'autant que leur lien avec l'économie réelle est sensiblement plus faible qu'en Occident. Les média européens et américains ont beaucoup parlé, cet été, de la chute spectaculaire de la bourse de Shanghai, qui a perdu environ 40 % de sa valeur, alors même qu'elle avait gagné 150 % dans l'année précédente... Pour autant, des particuliers qui ont investi trop tard, en haut de cycle, ou sur des actions qui ont particulièrement baissé ont perdu de l'argent, alors même que les autorités avaient lancé des grandes campagnes pour inciter les Chinois à investir en bourse.

Le formidable développement des nouvelles technologies constitue également un enjeu sensible pour les autorités. Celles-ci ont réussi, en protégeant leur marché intérieur des compagnies étrangères, notamment américaines, à construire des champions nationaux de l'internet qui peuvent prendre appui sur les 600 millions d'internautes chinois. Selon l'étude d'un cabinet de conseil international, le poids du numérique dépasse 9 % du PIB en Chine contre 5 % en France ou en Allemagne.

Trois entreprises de taille mondiale se partagent principalement le marché : Alibaba, Baidu et Tencent. L'introduction d'Alibaba à la bourse de New-York, en septembre 2014, fut la plus importante introduction au monde et sa valorisation était alors estimée à près de 170 milliards de dollars.

Pour autant, de nouveaux acteurs apparaissent en permanence ; c'est le cas de Xiaomi pour les appareils de téléphone ou de l'application WeChat, très populaire et qui permet à la fois de poster des messages à un groupe d'amis, de « chatter » en ligne mais aussi d'effectuer des paiements, donc du commerce en ligne.

Ce dynamisme exceptionnel de l'internet et des réseaux sociaux coexiste avec une censure et un contrôle par les autorités, qui interviennent lorsqu'un sujet « sensible » devient trop présent dans l'activité d'internet. Cet équilibre entre dynamisme et contrôle de l'internet symbolise assez bien la situation en Chine.

2. L'émergence d'une opinion publique, sensible notamment aux questions environnementales

Il faut noter que l'opinion publique est dorénavant très active et sensible sur certains sujets, en particulier sociaux ou environnementaux. Ainsi, de nombreuses catastrophes sanitaires ont eu un écho retentissant malgré le contrôle exercé par les autorités : pollutions, contaminations, produits de consommation courante défectueux ou frauduleux,...

Dans le contexte de transition et de développement des nouvelles technologies, les autorités chinoises, en particulier depuis le renouvellement des dirigeants à la fin de 2012, ont déployé des discours d'accompagnement du changement. Le Président Xi Jinping évoque régulièrement le « rêve chinois » ; l'initiative de la nouvelle route de la soie entre aussi certainement dans cette logique. Il s'agit en particulier de replacer la Chine dans son histoire et de rappeler qu'elle a connu une parenthèse néfaste de deux siècles et qu'elle est de retour...

Les autorités peuvent s'appuyer sur un parti communiste, qui regroupe entre 80 et 90 millions d'adhérents et qui recrute encore largement pour se renouveler en permanence. Selon de nombreux témoignages, le parti est vécu comme un élément de la carrière d'un individu.

En outre, le Président Xi Jinping a lancé une grande campagne de lutte contre la corruption . Certains estiment que cette politique a permis aux nouveaux dirigeants d'écarter des opposants internes, mais il est certain qu'elle va bien au-delà. Face aux excès de la période précédente, où de très nombreux cadres ont pu s'enrichir à des degrés variés, cette campagne permet de donner des gages à la population en mettant en avant la « frugalité » des dirigeants.

Beaucoup estiment que cette politique devrait durer, au moins jusqu'au renouvellement des instances dirigeantes du parti en 2017, mais elle a également pour conséquence indirecte de ralentir les processus de décision, ce qui n'est pas positif dans un contexte de transition. D'ailleurs, le Premier ministre Li Keqiang a enjoint les cadres et responsables administratifs et économiques à ne pas retarder des prises de décision pour cette raison.

La Chine réussit à allier, depuis plus de trente ans, libéralisme économique et dirigisme politique, ce qui constituerait en Occident une dichotomie rédhibitoire. Il est certain que la transition en cours, marquée par une moindre croissance, ne peut qu'aviver les tensions. Toutefois, avant même une contestation de nature politique, il semble que le régime chinois ait plus à craindre, sans doute, en l'état actuel de l'opinion publique chinoise, une contestation liée aux conditions de travail ou de vie, en particulier en lien avec des questions environnementales ou de corruption, comme l'a montré l'explosion de Tianjin en juillet 2015.

En outre, réorienter une économie qui a pris une telle ampleur, un tel volume, alors même qu'elle fournit encore des résultats probants, prend nécessairement du temps. Il est vrai que la Chine sait particulièrement bien gérer ce facteur, elle dont « la civilisation fut autrefois la civilisation la plus avancée du monde, l'égale de celle de la Rome antique et bien plus grande que la civilisation de l'Europe médiévale » 3 ( * ) .


* 3 « Histoire de la Chine, des origines à nos jours », John K. Fairbank et Merle Goldman, Tallandier.

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