VII. RÉUNION DU JEUDI 16 JUILLET 2015

A. AUDITION DE MM. THIERRY FRANCQ, COMMISSAIRE GÉNÉRAL ADJOINT À L'INVESTISSEMENT, ÉDOUARD BLOCH-ESCOFFIER, DIRECTEUR STRATÉGIQUE ET FINANCIER ET MME GÉRALDINE DUCOS, CHARGÉE DE MISSION ÉVALUATION DES INVESTISSEMENTS PUBLICS AU COMMISSARIAT GÉNÉRAL À L'INVESTISSEMENT

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Notre mission commune d'information s'intéresse à la commande publique. Nous ne sommes pas une commission d'enquête, nous cherchons principalement à simplifier et rendre moins onéreuse la commande publique en France.

La transposition des directives européennes de 2014 est-elle bien faite ? N'y a-t-il pas, comme parfois, surtransposition ? Notre approche n'est pas essentiellement juridique : loin de nous l'idée de réécrire le code des marchés publics, ni les ordonnances de transposition, dont la première, sur les marchés publics, sera prise dans quelques jours et la deuxième, sur les concessions, à la fin de l'année.

Comment favoriser l'accès des PME à la commande publique ? Comment rendre celle-ci plus efficace, c'est-à-dire moins coûteuse pour la maison France, et génératrice de croissance ? Avez-vous repéré des goulets d'étranglement dans l'accès des PME à la commande publique ? Celle-ci rechigne-t-elle à faire appel aux start-up ? Nous vous recevons sans aucun a priori , dans un état d'esprit d'autant plus ouvert que nous ne sommes pas dans le cadre d'un travail législatif. C'est d'abord l'aspect économique qui nous intéresse. Nous souhaitons aussi un décloisonnement de la commande publique. Un marché public ne pourrait-il pas, à terme, être passé à la fois pour l'État, des hôpitaux, des collectivités territoriales, en réponse à un même besoin ?

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Merci d'avoir répondu à notre invitation.

Quels décaissements annuels effectifs des administrations publiques, considérées dans leur ensemble, les investissements d'avenir occasionnent-ils ? Sur ce montant, combien correspond à de la commande publique et non, par exemple, à des subventions ? Les investissements d'avenir financent-ils certains aspects de la réforme en cours des marchés publics, comme le dispositif de marchés publics simplifiés, notamment via le fonds consacré à la transition numérique de l'État et à la modernisation de l'action publique ?

Le Commissariat général à l'investissement (CGI) rend des avis sur les projets d'investissement de l'État et de ses établissements publics de plus de 100 millions d'euros. Ces avis sont-ils suivis en règle générale ? Faut-il lui donner davantage de moyens financiers ? Comment améliorer l'évaluation socio-économique des projets d'investissement ?

Dans son rapport annexé au projet de loi de finances pour 2015, le CGI évoque la mise en place d'une future « commission d'experts relative aux méthodes d'évaluation socioéconomique des investissements publics ». De quoi s'agit-il ? Où en est-on ?

L'État a comme objectif de réduire le prix de ses marchés publics de 2 % par an. Si l'ensemble des acheteurs publics faisaient la même chose, ne risquerait-on pas, au bout de quelques années, de réduire les marges des entreprises d'un montant analogue à celui du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui avait été mis en place, notamment, pour augmenter ces marges ?

Enfin, le droit de la commande publique vous semble-t-il adapté aux enjeux macroéconomiques actuels ?

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Au vu de votre parcours professionnel, je pense que l'univers des statistiques ne vous est pas inconnu. Cela vous aidera à répondre !

M. Martial Bourquin, rapporteur . - L'allotissement, que le gouvernement prévoit de généraliser, peut-il causer des difficultés aux opérateurs de réseaux ?

M. Thierry Francq, Commissaire général adjoint à l'investissement . - Le CGI, avec une petite équipe de 37 personnes, remplit trois missions, dont les deux premières lui sont fixées par le décret qui l'a institué.

Il pilote le programme d'investissements d'avenir (PIA) et il réalise l'inventaire et la contre-expertise des investissements de l'État ou de ses établissements publics. À la demande du Premier Ministre, il coordonne aussi les efforts de la France pour bénéficier du plan Junker.

Bien sûr, 37 personnes pour gérer 47 milliards d'euros, c'est peu ! Aussi nous nous appuyons sur les opérateurs de l'État que sont BPI France, l'Agence nationale de la recherche (ANR), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera).

Au 31 mars 2015, nous avions décaissé 10,9 milliards d'euros, issus du PIA 1, de 35 milliards d'euros, ou du PIA 2, ajouté en 2013, de 12 milliards d'euros. La part maastrichtienne de ces décaissements s'élève à 8 milliards d'euros, dont 4 ont été décaissés en 2014 : nous arrivons au pic, et l'essentiel des sommes auront été engagées avant la fin du premier semestre 2017. Aussi le Commissaire général à l'investissement a-t-il formulé l'idée d'un troisième PIA. Ces décaissements financent-ils de l'investissement au sens de la comptabilité nationale ? C'est un chiffre que nous ne suivons pas : nous nous inscrivons dans l'univers budgétaire. Tous les prêts ou les prises de participation financent, en principe, de l'investissement - même si, dans une start-up , le capital utilisé pour du développement ne correspond pas à de la formation brute de capital fixe (FBCF). À l'inverse, les subventions peuvent parfaitement financer de la FCBF comme, par exemple, lorsque nous investissons dans le logement des apprentis.

La commande publique effectuée par nos opérateurs pour notre compte se limite en fait à de l'expertise et à de l'évaluation. Pour l'essentiel, nos sous-traitants sont des opérateurs publics, que nous ne mettons pas en concurrence puisqu'ils sont désignés par la loi. La plupart des opérations ne donnent pas lieu à de la commande publique directe, je songe par exemple à la recherche appliquée associant laboratoires publics et PME. On a sans doute également voulu privilégier les projets dégageant des synergies entre les ministères. Dans le domaine de l'énergie, c'est l'État qui structure la demande, via la Commission de régulation de l'énergie (CRE). La question de la commande publique se pose plus directement en matière d'urbanisme ou pour le programme de transition numérique de l'État.

Le PIA cherche à favoriser l'émergence d'une offre innovante. Aussi travaillons-nous davantage avec les offreurs qu'avec les demandeurs - même si, dans le domaine de l'urbanisme, les deux sont inextricablement liés. Un des aspects essentiels concernant la commande publique, à nos yeux, est donc la manière dont nous pouvons mieux intégrer l'innovation dans la commande grâce au partenariat d'innovation. Cela aurait un intérêt dans la santé, dans le traitement des eaux usées, etc. Mais le partenariat d'innovation pose des difficultés et, sans jurisprudence établie, les acteurs publics se tiennent sur leurs gardes. J'ai fait observer au ministre des finances qu'il importait de les familiariser avec ce dispositif. Cependant toutes les collectivités territoriales n'ont pas la capacité de le maîtriser. Nos travaux sur le plan Junker le montrent bien : le rôle de chef de file doit être assumé par la région, qui est la mieux placée pour mutualiser les expertises. Par exemple, la rénovation thermique des bâtiments publics comporte des aspects techniques et un enjeu de partage des gains : la région Rhône-Alpes a créé une société publique locale qui fournit aux communes une expertise technique, ce qui est essentiel pour que l'acheteur public ne soit pas paralysé par le risque juridique. Le partenariat d'innovation est mieux adapté aux cas où la collectivité territoriale investit elle-même dans l'innovation qu'à ceux où elle souhaite faire l'acquisition d'un produit ou d'un service innovant. Car alors, une entreprise le développe et le teste, mais s'il fonctionne, elle est ensuite mise en concurrence dans un appel d'offre !

Nous réalisons l'inventaire et la contre-expertise des projets d'investissement de l'État et de ses établissements publics - uniquement de ceux où la part publique dépasse 20 millions d'euros. Cet inventaire est incomplet car les investissements sont parfois mal répertoriés dans les ministères. Puis, où commence un projet ?

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Connaissez-vous l'impact de ces projets d'investissement sur l'emploi local ?

M. Thierry Francq . - Pas au début du projet. Nous diligentons des contre-expertises de l'évaluation socio-économique des investissements de l'État et de ses établissements publics, qui est obligatoire, lorsque leur part publique dépasse 100 millions d'euros. Cette contre-expertise est effectuée juste avant le lancement de l'opération - donc avant le point de non-retour. L'évaluation socio-économique prend bien sûr en compte l'impact sur l'emploi. Elle analyse tous les aspects positifs et négatifs du projet et en présente une synthèse, en incluant les incertitudes.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Quelle est votre méthode pour évaluer un projet ? Faites-vous, comme le juge administratif, la liste des avantages et des inconvénients ? Procédez-vous de manière plus scientifique ? Votre intervention vient-elle en amont ou en aval de des enquêtes publiques imposées, notamment, par le code de l'environnement? Quel est l'impact économique de nos investissements d'infrastructure ? Enfant du Tarn, je pense en particulier au projet de ligne à grande vitesse (LGV) entre Bordeaux et Toulouse. Nous tâchons également de convaincre l'État, qui s'y dit favorable, de lancer une concession autoroutière entre Castres et Toulouse...

M. Thierry Francq . - Si un projet nécessite une enquête publique, le dossier doit comporter un rapport de contre-expertise. Nous diligentons ces contre-expertises mais ne décidons pas des méthodes d'évaluation, fixées par chaque ministère avec l'aide de France Stratégie. Dans les transports, la méthode est bien normée : il s'agit de la méthode dite « Quinet », du nom de l'ingénieur général des ponts et chaussées qui fait autorité en la matière. Dans d'autres domaines, comme pour les hôpitaux, il n'y a pas de méthode fixe. Un de nos objectifs est donc d'inciter à l'établissement d'une méthodologie.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - On en est donc encore au stade de l'objectif ?

M. Thierry Francq . - Oui, sauf dans les transports. Il faudrait professionnaliser complètement la fonction d'investissement au sein de l'État, dans tous ses aspects.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Voilà qui nous intéresse ! Comment l'envisagez-vous ?

M. Thierry Francq . - Nous n'évaluons pas la qualité de la démarche suivie lors d'une commande publique mais pouvons examiner la pertinence de sa structuration financière.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Quelles sont vos préconisations en matière de commande publique ? Comment renforcer nos PME et nos start-up ? Quelles sont vos recommandations ?

M. Thierry Francq . - Le partenariat d'innovation est souvent l'occasion d'associer des PME et des start-up à un projet. Il y a un effort de pédagogie à faire auprès des acheteurs publics ; et un enjeu de structuration au niveau des collectivités, car l'expertise ne peut être déléguée à tous les échelons locaux mais doit être mutualisée.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous faisons en quelque sorte le même métier : lorsque vous préconisez de professionnaliser la fonction d'investissement, nous recommandons de professionnaliser la commande publique. Pour déclencher un choc culturel qui améliore l'investissement en France, quelles seraient les priorités ?

M. Thierry Francq . - La sécurisation des acheteurs publics est essentielle, principalement pour les procédures les plus complexes, et surtout aux échelons locaux les plus modestes.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Pensez-vous qu'en France, on s'est trop préoccupé des règles au détriment du fonctionnement de l'économie ? Ne devrait-on pas changer l'ordre des priorités ?

M. Thierry Francq . - Tout est question de maturité. Le partenariat d'innovation ne représente jamais que quelques millièmes de la commande publique. L'assouplir est donc raisonnable. Et l'évolution européenne y incite.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Vous avez affaire à des appels d'offres européens. Quelle est leur valeur ajoutée territoriale ?

M. Thierry Francq . - Je n'ai pas assez d'informations pour vous répondre. Il y a des modes dans la commande publique : actuellement, dans le domaine numérique, on cherche de plus en plus à faire des accords-cadres - pour ensuite en tirer des marchés subséquents. Mais qui ne sont pas toujours utilisés à bon escient. Lorsque l'administration veut développer un nouveau site internet et lance un appel d'offres pour un accord-cadre, ce sont immanquablement de grandes entreprises qui répondent, avec un coût parfois cinq fois plus élevé que ce qu'aurait facturé une start-up . Il importe de renouveler constamment notre façon de penser car l'économie évolue très rapidement.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Pour vous, la fonction d'acheteur public est donc une fonction senior ?

M. Thierry Francq . - L'achat public doit répondre à une procédure gagnant-gagnant pour l'économie et l'acheteur public. Nous avons le potentiel pour donner de l'activité aux PME, il nous manque une analyse économique de l'intérêt bien compris du côté de l'acheteur public.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Votre avis est-il toujours suivi par le gouvernement ?

M. Thierry Francq . - Nous donnons beaucoup d'avis. Ils sont régulièrement suivis dans le cadre du PIA. Dans le cadre de notre mission de contre-expertise des projets d'investissement de l'État et de ses établissements publics, ce sont généralement des avis favorables assortis de réserves et de recommandations. Lorsqu'ils sont défavorables, ils sont rendus suffisamment en amont pour qu'il soit envisageable de remanier les projets. Je pense notamment à l'hôpital Nord Deux-Sèvres : notre avis était très négatif. Nos recommandations sont habituellement suivies d'effets. Nos contre-expertises concernent souvent des hôpitaux et viennent en appui des positions du ministère de la santé, qui a instauré un dispositif assez structuré avec les agences régionales de santé (ARS).

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Comment évalue-t-on les LGV en France ?

Mme Géraldine Ducos, chargée de mission évaluation des investissements publics au Commissariat général à l'investissement. - Nous évaluons surtout l'impact d'un projet sur la localisation des ménages et de l'emploi et sur les gains de productivité. Ainsi nous regardons par exemple si les emplois se diffusent ou se rapprochent des infrastructures construites pour le Grand Paris.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Êtes-vous favorable à cette concentration des emplois autour des infrastructures, ne craignez-vous pas une désertification ailleurs ?

M. Thierry Francq . - La concentration a des effets positifs, avec certaines limites : il ne faut pas tout concentrer dans le centre de Paris ! Ici, nous sommes dans le cadre du Grand Paris, avec de nouveaux centres urbains. La concentration n'est pas la règle absolue !

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Je vous remercie.

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