C. AUDITION DE MM. MICHEL GRÉVOUL, DIRECTEUR DU SERVICE DES ACHATS DE L'ÉTAT ET HERVÉ LE DÛ, DIRECTEUR DES OPÉRATIONS DU SERVICE DES ACHATS DE L'ÉTAT

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Merci de votre participation à ces auditions qui ont lieu dans le cadre d'une mission commune d'information consacrée à la commande publique. Nous intervenons avec un double souci. Le premier concerne la transposition des directives européennes. Nous serons en effet saisis d'ici la fin de l'année d'un certain nombre d'ordonnances pour ratification, et nous possédons un pouvoir d'amendement. Le second souci relève d'une approche politique ou économique. Nous cherchons à savoir en quoi la commande publique participe de la vitalité de l'économie française et de sa croissance, dans quelle mesure elle peut être optimisée pour gagner en rapidité, en simplification et en efficacité. C'est dans ce deuxième cadre que vous êtes auditionnés.

Je cède la parole à notre rapporteur qui va vous poser de nombreuses questions pour nous aider à mieux connaître le Service des achats de l'Etat.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Nous sommes très heureux que vous ayez répondu à notre invitation. Pourriez-vous, dans un premier temps, nous présenter le Service des achats de l'Etat, ses moyens humains, financiers, et juridiques, ses missions et ses objectifs ? Est-il toujours envisagé de l'intégrer dans une future Direction des achats de l'Etat ? Nous souhaiterions que vous présentiez votre méthodologie de travail, en lien avec les responsables ministériels d'achat présents au sein des ministères et des préfectures de région.

La commande publique est censée poursuivre divers objectifs : la réalisation d'économies budgétaires, le développement durable, le respect de clauses sociales, un meilleur accès des PME aux marchés, le développement de l'innovation... Ces objectifs sont-ils conciliables avec un même achat ? La multiplication des objectifs n'est-elle pas de nature à complexifier la commande publique ? L'Etat entend engager 2 milliards d'euros d'économies en gains d'achats dans ses marchés entre 2013 et 2015. Cet objectif sera-t-il tenu ? N'existe-t-il pas un risque de diminution des marges des entreprises répondant aux marchés publics, a fortiori si l'ensemble des pouvoirs adjudicateurs mènent la même politique ?

Concernant l'important sujet des PME, quelles sont les actions mises en oeuvre par votre service pour leur favoriser l'accès à la commande publique ? Comment aller plus loin ? Quelles sont les mesures prises en faveur des PME innovantes ? Les partenariats d'innovation ne sont-ils pas trop compliqués pour être mis en oeuvre efficacement ?

Au sujet de la mutualisation des achats, pourriez-vous nous présenter succinctement le contrat de service signé avec l'UGAP le 19 juin dernier ? Est-il prévu d'inciter davantage les acheteurs publics à recourir à une centrale d'achat pour des commandes standardisées ?

Dernière question : nos auditions ont démontré l'importance de l'enjeu de la formation des acheteurs publics. Pourriez-vous faire le bilan de votre action en la matière et notamment de votre collaboration avec la Direction générale de l'administration et de la fonction publique ?

M. Philippe Bonnecarrère, président . - À la lecture de votre CV, je constate que votre parcours fait de vous l'interlocuteur idéal pour évoquer la commande publique, puisque vous avez été notamment directeur des achats de la Ville de Paris. Nous allons vous écouter avec une attention renforcée au regard de votre expérience.

M. Michel Grévoul, directeur du service des achats de l'État . - Merci Monsieur le Président. Le Service des achats de l'État (SAE) est un service à compétence nationale qui a vocation à coordonner, en liaison avec les ministères, les bonnes pratiques d'achat au niveau de l'État. Je suis personnellement rattaché au ministre des Finances. Le budget du SAE est de l'ordre d'un million d'euros, et nous disposons, au titre des moyens humains, de 66 personnes, dont la moitié sont des acheteurs très spécialisés. Je suis accompagné d'Hervé Le Dû, mon directeur des opérations. Il est en contact direct avec les ministères et pilote une équipe de 25 acheteurs.

Notre mission consiste à définir des bonnes pratiques et de les diffuser au sein de l'État et des ministères. Il nous incombe également de porter certains marchés interministériels. Nous intervenons pour certains marchés de très grande ampleur, tels que l'achat de gaz ou d'électricité pour l'ensemble des ministères, lorsqu'une démarche interministérielle prend tout son sens en raison de la taille du marché.

Le SAE est organisé en une partie achats stricto sensu pour les ministères, et une partie animation et professionnalisation du réseau des acheteurs des établissements publics de l'État. Ces derniers sont au nombre de 1 200 et réalisent 10 milliards d'euros d'achat par an, dont 2,5 milliards pour le seul Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Le CNRS, Pôle emploi, ou l'Établissement français du sang (EFS) figurent également parmi les principaux acheteurs. Nous menons, au sein de ce pôle, des projets très intéressants de collaboration entre l'État, les ministères et les établissements publics en matière de professionnalisation des achats. Le troisième département du SAE intervient dans l'analyse de la performance et travaille sur les systèmes d'information achats. Il fournit des guides et des fiches de bonnes pratiques. Il est chargé de la professionnalisation de la chaîne achats dans chaque ministère.

Nos objectifs sont au nombre de cinq.

Le premier d'entre eux consiste à réaliser des économies sur les achats, mais il n'a ni plus ni moins d'importance que les autres objectifs. Le second est écologique. Il consiste à intégrer un maximum de clauses de développement durable dans les marchés de l'État. Le troisième objectif consiste à insérer des clauses sociales dans les marchés pour encourager les entreprises à embaucher ou à faire appel à des structures qui recrutent des publics éloignés de l'emploi.

M. Philippe Bonnecarrère , président . - Cet objectif constitue-t-il un critère d'attribution ou s'agit-il uniquement d'une clause d'exécution ?

M. Michel Grévoul . - Nous en faisons généralement une clause d'exécution, car il serait facile pour une entreprise d'arguer qu'elle va recruter à l'avenir parmi ce public.

Le quatrième objectif qui nous est fixé est la promotion de l'innovation, qui s'avère complexe. Il faut en effet toujours vérifier que les offres innovantes que nous recevons sont utiles, c'est-à-dire intéressantes pour l'État en termes de qualité, de prix ou d'amélioration de ses process. Il n'est pas question de privilégier l'innovation pour l'innovation. Il faut en mesurer l'intérêt. J'ai demandé que les acheteurs soient formés à la compréhension de l'innovation. Il faut avant tout convaincre les utilisateurs des marchés de l'intérêt d'une innovation.

Enfin, le cinquième objectif consiste à faciliter l'accès des PME à nos marchés. Notre bilan à ce sujet s'avère très positif si nous nous comparons aux autres grands comptes. L'État est membre de l'association Pacte PME, composée de grands comptes publics et privés. Nous nous engageons, au sein de cette association, à tout mettre en oeuvre pour faciliter la vie des PME et notamment leur accès à nos marchés.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Il convient de distinguer les PME intervenant en tant que titulaires d'un marché ou en tant que sous-traitant d'un marché.

M. Michel Grévoul . - L'objectif qui nous a été fixé par les ministres de l'Économie et des Finances consiste à aboutir à un taux de 25 % du volume de nos marchés attribués à des PME. Nous avons atteint 23,9 % à ce jour. Il est beaucoup plus difficile pour l'État d'atteindre un tel taux que pour une collectivité locale. Au sein de la Ville de Paris, j'atteignais un taux de 50 % en volume. Dans une zone géographique limitée, il est beaucoup plus aisé de mettre en place un allotissement plus précis et subtil. Les grandes entreprises françaises privées ou publiques confient en moyenne 17 à 18 % de leurs marchés aux PME et nous n'avons pas à rougir de nos 23,9 %.

Nous utilisons plusieurs techniques pour faciliter l'accès des PME à nos marchés. Nous recommandons, comme le fait la directive européenne et le précisera la future ordonnance, l'allotissement lorsqu'il est possible. Nous travaillons également à la simplification des outils d'accès à la commande publique. Récemment, le SAE a lancé avec le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) le marché public simplifié et j'ai demandé que cet outil soit proposé par défaut aux acheteurs pour tous les marchés en procédure adaptée. Aujourd'hui, pour ce type de marchés, tout acheteur de l'Etat utilise notre plateforme « PLACE », sur laquelle la case « marché public simplifié » est cochée par défaut, afin de faciliter la vie des entreprises. Cette version simplifiée permet à des entreprises peu expérimentées aux marchés de l'Etat de ne pas avoir à fournir de justificatifs dans le cadre de leur réponse. Elles peuvent ainsi se concentrer sur leur offre et n'ont qu'à nous communiquer leur numéro SIRET. Lorsqu'une entreprise est désignée titulaire du marché, l'acheteur s'efforce de récupérer les attestations fiscales et sociales nécessaires auprès des services de l'État et de vérifier que l'entreprise est en règle avant de lui notifier le marché. Cet outil, salué par la plupart des PME, leur permet de ne se consacrer qu'à leur offre.

J'ai par ailleurs demandé le développement en interne d'une bourse à la cotraitance pour les PME, qui sera rattachée à notre plateforme de passation des marchés « PLACE » par laquelle nous publions, traitons et notifions les marchés lancés par l'État. En effet, j'ai constaté que les PME n'ont pas encore suffisamment l'habitude de se regrouper et adoptent des comportements individualistes. Elles connaissent souvent mal leurs concurrents directs et encore plus mal les entreprises qui interviennent sur des secteurs adjacents au leur. Nous devrions mettre en oeuvre cet outil durant le dernier trimestre 2015. J'ai déjà contacté des PME et la CGPME pour obtenir leur aval par rapport à la forme que prendra cet outil. Chaque PME pourra cibler un marché de l'État et soumettre une offre de groupement momentané d'entreprises (GME) à d'autres entreprises le temps du marché. Ces groupements peuvent être de deux types. Il peut s'agir d'un groupement de moyens si la PME ne possède pas une capacité suffisante pour répondre à la totalité du marché ou d'un groupement de compétences, lorsque, par exemple, un électricien s'associe avec un peintre ou un spécialiste du gros oeuvre pour un marché donné.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Ces groupements sont donc formalisés le temps du marché.

M. Michel Grévoul . - Il s'agit d'une forme de mariage avec divorce par consentement mutuel programmé. Ce type de groupements formels permet à l'entreprise de ne pas intervenir en tant que sous-traitante, mais bien en tant que cotraitante.

M. Philippe Bonnecarrère , président . - Maintenez-vous une exigence de solidarité avec ce type de groupements ?

M. Michel Grévoul . - La question nous est souvent posée. Il existe des groupements conjoints et des groupements solidaires. Dans le deuxième cas, tout membre du groupement est responsable pour les autres, ce qui suppose de bien connaître ses partenaires avant de s'engager de façon temporaire dans un GME. Dans le groupement conjoint, il appartient à la collectivité ou à l'État de trouver l'entreprise susceptible de remplacer un membre défaillant le cas échéant, ce qui peut poser problème. Nous ne donnons pas d'instruction au niveau de l'État pour privilégier les groupements solidaires, tout dépend de l'objet du marché. Pour certains d'entre eux, nous ne pouvons pas nous permettre la moindre défaillance. La bourse à la cotraitance est un outil très utile qui va favoriser l'accès à nos marchés des PME quelle que soit leur taille.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Ce dispositif est-il déjà mis en oeuvre ?

M. Hervé Le Dû, directeur des opérations du service des achats de l'État . - Le dispositif de bourse à la cotraitance qu'évoque Michel Grévoul n'existe pas encore sur la plateforme PLACE. Un mécanisme comparable est actif sur la plateforme des achats de la région Ile-de-France qui ne dépend pas du SAE. Il sera porté sur PLACE pour être utilisable par les entreprises pour les marchés nationaux.

M. Michel Grévoul . - Le dispositif existant pour la région Ile-de-France s'appelle Maximilien. Il s'agit à la fois d'une bourse à la sous-traitance et à la cotraitance. Or je pense qu'il est préférable de limiter l'outil à la cotraitance. Une grande entreprise n'a aucun problème pour trouver des sous-traitants lorsqu'elle le souhaite. Il est beaucoup plus difficile pour une PME de trouver des partenaires parmi ses collègues et concurrents en vue d'un regroupement. C'est pourquoi j'ai préféré cibler la cotraitance, qui permet aux entreprises d'être rétribuées directement.

M. Daniel Raoul . - Quelle est l'innovation réelle de ce dispositif ? J'ai déjà passé des marchés avec des groupements solidaires dans le cadre de mes fonctions d'élu local.

M. Michel Grévoul . - C'est l'outil de mise en relation lui-même qui constitue l'innovation. Nous publions 27 000 marchés par an. La plateforme précise l'objet du marché, le lieu d'exécution, et j'ai demandé que les entreprises intéressées puissent pointer un marché et indiquer que sur celui-ci, elles cherchent des partenaires cotraitants.

M. Daniel Raoul . - J'ai déjà vu Vinci et Eiffage intervenir au sein de groupements solidaires.

M. Michel Grévoul . - Les groupements peuvent être constitués par de grandes entreprises, mais je pense qu'il s'agit d'une véritable avancée pour les PME.

L'une de vos questions visait à savoir si l'on n'en demandait pas trop aux acheteurs par rapport à la multiplication des objectifs qui leur sont assignés, certains pouvant apparaître contradictoires.

M. Philippe Bonnecarrère , président . - C'est vrai notamment pour l'objectif de 2 % de gain d'achat chaque année.

M. Michel Grévoul . - Ma position rejoint celle de mon collègue directeur des affaires juridiques de Bercy, Jean Maïa. Il était interrogé à propos du rapport publié par Jean Tirole et Stéphane Saussier, à propos duquel j'ai également été auditionné - l'achat public passionne beaucoup de monde en ce moment. Je pense que l'État a le droit et le devoir d'appuyer les politiques publiques via l'achat public. Si nous pouvons faciliter l'accès des PME et des entreprises du secteur social aux marchés tout en réalisant des économies d'achats, il faut le faire. Les deux ne sont pas contradictoires puisque, tous les jours, des entreprises nous prouvent qu'elles peuvent faire mieux et moins cher - et pas uniquement moins cher.

M. Philippe Bonnecarrère , président . - Vous nous parlez d'un monde idéal au sein duquel vous accompliriez vos missions. Qu'en est-il dans la réalité ? Chaque ministère semble décidé à conserver son autonomie. La transversalité qui est au coeur de votre métier ne reste-t-elle pas un voeu pieux ?

M. Michel Grévoul . - Non, elle ne reste pas un voeu pieux. Lorsque nous bâtissons des stratégies d'achat, nous travaillons en groupes interministériels. Nous en avons réuni une quinzaine ces deux dernières années et nous prévoyons d'en réunir quinze de plus cette année. Nous parvenons parfaitement à nous entendre pour définir des stratégies interministérielles sur les fournitures et les services. L'interministériel n'est certes pas le réflexe de base d'un ministère, mais nous parvenons à inciter les différents ministères à travailler ensemble et à utiliser les accords-cadres au niveau national et les marchés subséquents, qui sont déclinés par les ministères ou en région. Nous développons en effet de plus en plus de marchés en région, ce qui nous permet d'attirer davantage de PME. Un chargé de mission régional achat, placé auprès du préfet de région, a tout le loisir de lancer un marché régional. L'entretien de l'immobilier de l'État, par exemple, le nettoyage, le petit entretien, les ascenseurs, les portes et portails, les autocommutateurs, etc., sont des prestations qui donnent lieu à des marchés régionaux.

M. Philippe Bonnecarrère , président . - Votre action porte-t-elle également sur des produits complexes tels que les prestations informatiques ?

M. Michel Grévoul . - Nous pouvons intervenir pour des achats sur étagères standard, mais nous pouvons également développer des stratégies d'achat interministérielles en matière de logiciels ou de matériels informatiques.

M. Hervé Le Dû . - L'effort a été principalement orienté sur les achats sur étagères pour les fournitures et les services courants, pour lesquels il est le plus aisé de progresser. Mais l'ambition du SAE porte également sur les achats métiers, les achats de services, de prestations de conseil, de communication, etc ., avec des modalités d'action différentes. Pour les premiers, les stratégies d'achat sont basées sur des actions de massification. Pour les seconds, nous nous positionnerons plus en accompagnement des ministères pour la mise en oeuvre des bonnes pratiques, car la notion de marché unique n'a pas de sens à ce niveau.

M. Michel Grévoul . - Les achats métiers concernent aussi les établissements publics. Nous avons lancé un marché très conséquent au titre des établissements publics, pour lequel de nombreuses PME ont répondu. Il s'agit d'un marché pour des produits de laboratoire. Tous les établissements publics (EP) du secteur de la recherche utilisent énormément de produits de ce type. Le travail de rationalisation des catalogues de fourniture que nous avons accompli nous permet de mutualiser les procédures et d'allotir des prestations alors que jusqu'ici, chaque EP passait ses propres marchés. Aujourd'hui, il existe des marchés globalisés fondés sur un allotissement par type de produits.

M. Hervé Le Dû . - Deux exemples permettent de l'illustrer. Ils concernent les achats de conseils et les prestations informatiques. Sur les achats de conseil, nous avons lancé une stratégie au niveau de l'État qui a été présentée au Comité des achats. Nous avons organisé une matinale de l'achat de prestations de conseil sous forme d'une demi-journée durant laquelle nous avons réuni les acheteurs des ministères, les professionnels et les fédérations. Les acheteurs des ministères sont aujourd'hui sensibilisés à la meilleure façon de recourir à un cabinet de conseil. C'est par ce type d'approche que nous progressons. Sur les prestations informatiques, nous avons mis en place des accords-cadres d'assistance à maîtrise d'ouvrage et d'assistance à maîtrise d'oeuvre, dont certains comportent des lots qui sont spécifiques aux PME.

M. Philippe Bonnecarrère , président . - Avez-vous établi une sorte d'autocritique ou d'analyse des dysfonctionnements qui ont pu intervenir après des erreurs telles que celle du système Louvois ou encore certains achats funestes du ministère de la Justice ? Le ministère des Finances se donne-t-il les moyens de rectifier les trajectoires en la matière ?

M. Michel Grévoul . - En ce qui concerne le système Louvois, le ministère de la Défense a fait ce qu'il fallait pour surmonter les difficultés rencontrées. Cet exemple montre que l'État est même capable d'arrêter les frais en cas de problème lourd. Il s'agit ici davantage de problèmes de maîtrise des projets et de maîtrise du recours à des prestataires extérieurs. Le projet que je souhaite développer en vue de la création de la Direction générale des Achats vise à promouvoir l'expertise interne. J'ai l'ambition de développer un réseau de professionnels commun à l'État et aux établissements publics. Il existe 360 familles d'achats différentes au niveau de l'État, et aucun ministère ne peut disposer d'experts dans chacune de ces familles. Nous allons repérer où se situent les meilleurs experts de chaque domaine aujourd'hui. Nous allons créer, avec la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), une « filière achat » qui n'existe pas, parce que le métier d'acheteur est encore insuffisamment reconnu, alors qu'il s'agit d'un des métiers les plus intéressants et les plus transverses qui soient. Nous avons tout intérêt, avant de songer à recourir à des prestataires externes, à nous interroger sur nos propres compétences internes et à les faire travailler en réseau. J'ai l'ambition de mettre en place un réseau de référents intervenant sous forme de task force pour faire monter en puissance des acheteurs moins spécialisés qu'eux sur un marché donné.

M. Éric Doligé . - Depuis la création du Service des achats de l'État, avez-vous quantifié l'efficacité des résultats que vous pouvez obtenir tant en matière de gains sur achat que sur le plan du professionnalisme ?

Quand le SAE a été créé, j'étais administrateur de l'UGAP, et nous nous posions de nombreuses questions quant au rôle de ce nouveau service. Quel bilan tirez-vous de vos relations avec l'UGAP aujourd'hui ?

M. Michel Grévoul . - Je ne suis présent que depuis 11 mois au sein du SAE, mais je pense que d'importants progrès ont été accomplis en termes de professionnalisation au niveau de l'État, ce qui se traduit par un changement de logique. Il ne suffit plus de respecter le code des marchés publics pour être un bon acheteur. Les bons acheteurs sont ceux capables d'avoir une approche économique de l'achat. Des efforts importants ont été accomplis dans cette voie. De plus en plus d'acheteurs au niveau de l'État, des collectivités ou des hôpitaux raisonnent en termes de coût global, adoptent une véritable approche économique, pratiquent le sourcing , vont à la rencontre des entreprises, et ont dépassé l'approche strictement juridique. Ils se posent de nombreuses questions notamment quant à la qualité du cahier des charges, son ouverture, sa clarté et sa lisibilité.

M. Philippe Bonnecarrère , président . - Nous avons bien compris les progrès accomplis en termes de culture économique. La question du sénateur Doligé portait sur l'UGAP et l'évaluation. Il vous a demandé de quantifier votre apport et les gains que vous pouvez espérer.

M. Michel Grévoul . - Globalement, les objectifs qui nous étaient assignés sur une assiette de 20 milliards d'euros d'achats étaient de l'ordre de 2 milliards d'euros d'économies. Nous en sommes à un milliard d'euros après un an d'existence et je pense que nous pourrons facilement atteindre 1,5 milliard d'euros d'économies en deux ans. On nous accuse parfois de réaliser des économies qui dégradent les marges des entreprises, mais dans le même temps, on demande à l'État de réduire son train de vie. Certains patrons de PME, eux-mêmes contribuables des collectivités, tiennent ce double discours. Je suis personnellement très fier des économies réalisées et je les assume totalement. Acheter moins cher ne signifie pas que nous privilégions une moindre qualité. Il reste des marges de progression en termes d'économies. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour faire en sorte que les entreprises soient satisfaites de notre réactivité, notamment en ce qui concerne les délais de paiement. On fait souvent de mauvais procès à l'Etat dans ce domaine, alors que ses services payent à moins de 20 jours en moyenne. Il ne faut pas s'arrêter aux quelques problèmes de facturation qui peuvent survenir.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - À ce sujet, quid de la dématérialisation ?

M. Michel Grévoul . - Nous avons mis en place un portail de dématérialisation et nous multiplions les efforts pour dématérialiser la facturation. Le délai légal de paiement est de 30 jours et les services de l'État paient en moyenne à moins de 20 jours. Le ministère des Finances, lui, paie à 12 jours en moyenne. Ces délais n'ont rien à voir avec les délais de paiement que pratiquent les entreprises entre elles dans le cadre du crédit fournisseur.

Nous avons une relation intelligente avec l'UGAP, dont je suis également administrateur. Dès lors que nous élaborons une stratégie d'achat interministérielle, nous nous interrogeons pour déterminer qui est le mieux à même de la porter pour la réalisation du marché. Ainsi, nous avons délégué à l'UGAP la totalité du marché d'achat de véhicules automobiles, le marché de la visioconférence, le marché du mobilier, celui des solutions d'impression, qui prévoit la rationalisation du parc d'imprimantes, etc . Nous sommes l'un des acteurs qui contribuent le plus à l'exercice de la mission de service public de l'UGAP, notamment vis-à-vis des petites collectivités et du secteur hospitalier. Son modèle actuel doit évoluer dans la mesure où des centrales d'achat se créent partout, y compris au niveau européen. Les achats de l'État à l'UGAP représentent 25 % de son chiffre d'affaires. Les établissements publics eux-mêmes utilisent de plus en plus l'UGAP. Notre action n'est pas antinomique, car tout ne peut être massifié par l'UGAP. Il restera toujours des marchés métiers à la main des ministères. Il n'est pas envisagé d'évoluer vers un modèle comme celui de l'Italie, où 85 % des achats sont massifiés par une centrale d'achat nationale. Nous allons continuer à passer des marchés non massifiés pour permettre aux PME d'y répondre.

M. Daniel Raoul . - Il faut parvenir à coupler les compétences techniques d'achat et les compétences juridiques, ne serait-ce que pour l'élaboration du cahier des charges et l'étude des offres. Lorsque j'ai mené un tel chantier dans ma ville et dans mon agglomération, j'ai été confronté à d'importantes résistances, notamment au niveau du service des bâtiments.

J'ai deux questions.

Pourquoi, malgré les groupements de commandes qui ont été mis en place au niveau de nos territoires, ne parvenons-nous pas à obtenir, dans le domaine du matériel informatique par exemple, des prix équivalents à ceux pratiqués par les grandes surfaces pour des produits sur étagère, alors que nous avons pu réaliser des gains considérables dans le domaine des télécoms ?

Concernant les accords-cadres, n'ont-ils pas tendance à éloigner les PME des marchés, en raison de leur manque de visibilité sur les marchés subséquents ?

Par ailleurs, que pensez-vous de l'augmentation du seuil des MAPA annoncé par le Gouvernement? Cette disposition m'interpelle, car elle laisse une très grande latitude aux services des collectivités.

M. Michel Grévoul . - Dans le domaine de l'achat de matériel informatique, nous parvenons au niveau de l'État à des prix beaucoup plus bas que ce que l'on peut trouver auprès d'une enseigne  de grande distribution, en raison de nos volumes d'achats, qui sont bien supérieurs à ceux d'une collectivité locale. Le matériel informatique pose le problème de la standardisation des spécifications techniques. Certains services ou ministères peuvent demander des spécifications différentes. La première économie à rechercher consiste à homogénéiser les spécifications dans le cahier des charges.

M. Daniel Raoul . - L'avantage d'un cahier des charges qui aboutit à la recherche d'un mouton à cinq pattes est qu'il permet de se passer d'un service achats centralisé.

M. Michel Grévoul . - Bien sûr, mais l'homogénéisation reste un objectif. Dans le domaine de l'informatique, il faut également tenir compte de l'intégration dans le coût global des prestations de mise à jour, de maintenance, de service après-vente (SAV), etc . Dans ces conditions, il n'est pas certain que les offres que vous recevez dans votre collectivité soient beaucoup plus onéreuses que celles accessibles aux particuliers.

Le fait, pour le SAE, de proposer des accords-cadres avec des marchés subséquents permet de mieux coller aux besoins. Les marchés subséquents ne sont en effet passés que lorsque le besoin est réellement avéré.

M. Daniel Raoul . - Sur le principe, je suis favorable à l'accord-cadre et l'ai déjà utilisé, car il permet des économies de publicité et d'appel d'offres. Mais il peut aussi éloigner les PME de la possibilité de répondre, faute de visibilité sur les débouchés.

M. Michel Grévoul . - Nous nous efforçons d'organiser de plus en plus de « réunions d'information fournisseurs » en amont du lancement des marchés. Je sais par expérience que les patrons de PME ont besoin de prévisibilité et de visibilité sur leur carnet de commandes. Ces réunions d'information rencontrent un franc succès, car elles permettent d'informer les entreprises et d'initier un véritable dialogue, ce qui conduit à mieux cibler les cahiers des charges.

M. Philippe Bonnecarrère , président . - Nous retenons cette idée de prévisibilité, qui paraît de bon sens, et de réunion antérieure au lancement du marché.

Quel est votre sentiment concernant la sécurisation juridique du sourcing ? Comment éviter de se retrouver devant un juge d'instruction sur le terrain du favoritisme ? Quel est votre sentiment en tant qu'acheteur de l'Etat ?

M. Michel Grévoul . - Le sourcing était déjà recommandé par la précédente directive européenne, qui rappelait qu'un bon acheteur devait avant tout bien connaître son marché, pour éviter de rédiger des cahiers des charges déconnectés de la réalité de l'offre. On peut l'appeler dialogue technique ou veille fournisseur, mais je considère que le sourcing est la base d'un bon achat. L'essentiel des économies sur les achats sont réalisées en amont de la négociation du marché. Le sourcing est très utile et j'espère pouvoir développer un outil qui l'industrialise en permettant aux acheteurs de contacter un maximum d'entreprises avant le lancement du marché pour confronter les besoins à leurs possibilités. Cette meilleure connaissance mutuelle est indispensable. Il se peut que certains acheteurs craignent encore de se lancer dans une démarche de ce type, mais à mon niveau, je les encourage à aller à la rencontre des entreprises, à s'efforcer de comprendre leurs innovations, leurs produits, avant de lancer la rédaction des cahiers des charges. Rien n'est pire que de lancer des cahiers des charges trop complexes ou déconnectés de la réalité de l'offre.

Je ne vois pas quel peut être le risque pénal avec le sourcing , dans la mesure où il est expressément prévu par la directive européenne et la future ordonnance de transposition. Le meilleur moyen de sécuriser les acheteurs consiste à privilégier la traçabilité, en amont comme en aval du marché. Le fait de tracer dans un outil informatique tous les échanges qui interviennent avec les entreprises permettra de démontrer l'absence de favoritisme. Je ne vois pas où se situe le frein en amont du lancement du marché. Il n'en va pas de même en cas de contact avec les entreprises pendant la période de consultation.

M. Daniel Raoul . - Vous n'avez pas répondu à ma question concernant le seuil des MAPA ?

M. Michel Grévoul . - J'ai entendu parler d'un projet de relèvement du seuil de 15 à 20 000 euros. Je suis personnellement favorable à la publicité tous azimuts. J'encourage tous les acteurs de l'État à utiliser notre plateforme des achats dès que possible, y compris pour de faibles montants, car elle assure une publicité la plus large possible à tous les marchés qui sont lancés. La loi n'oblige à passer par une plateforme d'achat qu'à partir de 90 000 euros, et de nombreux ministères ont demandé que la publicité intervienne dès 15 000 euros. Je suis pour ma part favorable au maximum de publicité autour de tous les marchés lancés auprès des entreprises, quels que soient leurs montants, d'autant qu'avec la dématérialisation, la publicité ne coûte rien.

M. Martial Bourquin . - Merci de votre prestation très solide. Une dernière question : ces 2 milliards d'euros d'économie sur trois ans qui correspondent à l'objectif qui vous a été assigné sont-ils atteignables selon vous ? Jusqu'à quel point pouvez-vous réduire le montant des achats ?

M. Michel Grévoul . - L'objectif est de parvenir à 2 milliards d'euros d'économies sur trois ans, soit 666 millions par an entre 2013 et 2015. Pour le futur, je souhaite travailler avec les acheteurs des ministères sur une programmation affinée des achats, segment par segment. Il y a des segments sur lesquels nous pouvons aisément dépasser les 2 % d'économies annuelles, et d'autres pour lesquels nous sommes arrivés pratiquement à la limite de l'exercice. Une approche pragmatique plus ciblée me semble la plus pertinente.

M. Philippe Bonnecarrère , président . - Nous vous remercions pour votre disponibilité et votre volonté de nous exposer votre métier et ses évolutions.

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