MIEUX LÉGIFÉRER OU MIEUX CONSULTER ?

UNE CONSULTATION EN AMONT ET EN AVAL

La communication de la Commission européenne insiste à de multiples reprises sur la notion de consultation des « parties intéressées ». Elle entend « faire preuve d'une plus grande transparence et s'ouvrir davantage à la participation ». Des règles minimales ont déjà été élaborées en ce sens en 2002 et complétées en 2012 et 2014, les parties intéressées devant pouvoir exprimer leur point de vue sur les textes tout au long du processus législatif. Depuis le 1 er janvier 2012, la Commission européenne accorde aux citoyens, aux entreprises et aux organisations non gouvernementales un délai minimal de 12 semaines pour présenter des observations sur des plans relatifs à de nouvelles politiques et législations, contre 8 semaines auparavant.

Le processus demeure, de l'avis de nombreux observateurs, encore perfectible. La consultation (livre vert) sur l'Union des marchés de capitaux, ouverte en février 2015, est assez révélatrice de ces dysfonctionnements. Comme l'a rappelé notre collègue André Gattolin lors de la réunion de notre commission du 16 juillet 2015, la procédure peine à être véritablement représentative. La consultation a, en effet, « donné lieu à 474 réponses dont près de 82 % émanent des compagnies des secteurs bancaire et assurantiel, parmi lesquelles on trouve un grand nombre de sociétés de hedge funds et d'investissement. La part des réponses qui revient aux institutions nationales avoisine les 12,5 % et celles émanant de personnes individuelles 5,6 % des réponses. Ce sont ainsi toujours les organes directement concernés par une telle réglementation qui répondent massivement. La provenance par pays des réponses est également éclairante : avec 22 % des réponses, le Royaume-Uni, dont le commissaire en charge du dossier est d'ailleurs un ressortissant, est à la première place, suivi, à hauteur de 17 %, par la Belgique. La France et l'Allemagne se trouvent loin derrière, avec environ 13 % des réponses. La Commission et les directions générales, qui organisent ce type de consultation, en tirent par la suite des recommandations dans le livre vert qui sont extrêmement favorables à la majorité des réponses apportées » .

La principale nouveauté de la nouvelle communication de la Commission européenne consiste finalement en la publication de feuilles de route et d'analyses d'impact initiales dès le lancement d'une nouvelle initiative. Ces mesures rejoignent celles annoncées en 2014. La communication du 18 juin 2014 « Programme pour une réglementation affûtée et performante : situation actuelle et perspectives» prévoyait déjà de telles consultations. La Commission européenne s'était engagée à diffuser, en interne, des orientations pour conseiller et soutenir ses agents chargés de procéder à des consultations des « parties prenantes » en vue d'en améliorer la qualité. Elle entendait également poursuivre ses efforts en vue d'étendre la portée de ces consultations en améliorant l'accessibilité linguistique. La Commission souhaitait également renforcer le recours aux consultations dans les évaluations et les bilans de qualité. La Commission européenne entend désormais prendre des mesures pour améliorer les retours d'informations. Les réponses individuelles reçues de parties prenantes devraient normalement être publiées dans les 15 jours ouvrables suivant la clôture de la consultation et un rapport de synthèse publié au plus tard lors de l'adoption de la proposition par la Commission.

Une fois le texte adopté par la Commission européenne, les citoyens ou parties intéressées disposeront d'un délai de huit semaines pour fournir des informations en retour. Celles-ci seront alors transmises par la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil.

L'ABSENCE DE RENFORCEMENT DU DIALOGUE POLITIQUE AVEC LES PARLEMENTS NATIONAUX

Si elle insiste sur le principe même de consultation, la communication de la Commission européenne du 19 mai dernier ne comporte pas d'avancée significative en ce qui concerne le dialogue politique entre elle et les parlements nationaux. Ceux-ci ne sont envisagés que comme de simples parties intéressées.

Le texte n'aborde explicitement leur rôle qu'à l'occasion d'un rappel de la procédure d'examen des textes au titre du respect du principe de subsidiarité. Elle ne prévoit en aucun cas de démarche spécifique permettant aux parlements nationaux de contribuer positivement à l'activité législative européenne. Les parlements peuvent participer aux consultations sur un texte comme toute autre partie prenante. Ces consultations dureront huit semaines à compter de la publication de la proposition de la Commission, soit la durée retenue pour l'examen au titre de la subsidiarité. Une telle appréciation tend à cantonner les parlements nationaux à un rôle d'opposant perpétuel, via le contrôle de subsidiarité et la procédure de « carton jaune ».

Il convient pourtant de faire émerger un droit d'initiative ou « carton vert », qui confère aux parlements nationaux la possibilité de proposer des actions à mener par l'Union européenne ou d'amender la législation existante.

Le droit d'initiative est, pour l'heure, limité dans les traités à l'Initiative citoyenne européenne (ICE), manifestation du droit de pétition, introduite par le Traité de Lisbonne (2008) mais complexe à mettre en oeuvre. L'initiative doit, en effet, être soutenue par un million de citoyens issus d'au moins sept États membres de l'Union européenne, un nombre minimum de citoyens étant requis au sein de chaque État membre. Une fois déposée, la Commission dispose d'un délai de trois mois pour répondre aux pétitionnaires et proposer, si elle le souhaite, une action. Le refus de donner suite à cette pétition doit être justifié. Seules trois ICE, remplissant toutes les conditions de recevabilité, ont été jusqu'à aujourd'hui présentées à la Commission européenne : la première concernant la vivisection, la deuxième visant les droits de l'embryon humain et la dernière portant sur l'accès à l'eau. Ces propositions, qui relevaient plus de l'incantation que de la proposition législative, ont donné lieu, chacune, à une communication de la Commission européenne aux termes desquelles, elle n'a pas donné suite. L'ICE ne permet donc pas réellement de rapprocher l'Union européenne du citoyen et de relayer précisément ses aspirations.

Le « carton vert » apparaît donc, dans ce contexte, indispensable. Il n'est d'ailleurs pas anodin que le parlement britannique se montre extrêmement favorable à sa mise en oeuvre à l'heure où le Royaume-Uni s'interroge sur l'amélioration du fonctionnement de l'Union européenne. Des échanges ont, plus largement, lieu en ce sens au sein de la COSAC. Six chambres ( Vouli ton Antiprosopon chypriote, Folketing danois, Camera dei deputati italienne, Seimas lituanien, Tweede Kamer néerlandaise et Senát tchèque) ont également déjà adopté une position en faveur de ce dispositif. Notre commission avait également exprimé dans la proposition de résolution européenne sur le programme de travail 2015 qu'il convenait de « mettre en oeuvre un droit d'initiative des parlements nationaux leur permettant de contribuer positivement à l'élaboration du programme de travail de la Commission européenne ». Cette proposition est devenue résolution du Sénat le 10 mars dernier 2 ( * ) .

Le carton vert doit permettre :

- de proposer de nouveaux textes ;

- d'amender la législation existante ;

- d'abroger des textes obsolètes ;

- de réviser des actes délégués ou d'exécution.

Il ne paraît pas utile de fixer un seuil minimal de chambres pour proposer un carton vert, contrairement à la procédure retenue pour la subsidiarité. Le « carton orange » n'est recevable que si un tiers de parlements nationaux ont émis un avis motivé en ce sens (un quart pour propositions législatives dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale). Le « carton vert » doit faire l'objet d'une procédure faisant preuve de souplesse et conservant un caractère informel à l'image de ce qui se pratique actuellement dans le cadre du dialogue politique.

Un délai de participation au dialogue politique renforcé devrait néanmoins être introduit. La détermination de ce délai devrait être laissée à la discrétion de la chambre à l'origine du projet, qui informerait ensuite ses homologues. Il devrait néanmoins être compris entre 16 semaines et 6 mois.

Les amendements au projet initial devraient être apportés avant la transmission du carton vert à la Commission européenne. Leur recevabilité serait laissée à la discrétion de la chambre à l'origine de l'initiative. Les autres chambres disposeraient de toute latitude pour se retirer, à tout moment, de la procédure.

À l'initiative de la chambre des Lords britannique, un carton vert visant l'action européenne en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire est aujourd'hui envisagé à titre expérimental.


* 2 Résolution européenne sur le Programme de travail de la Commission européenne (COM (2014) 910) n°71 (2014-2015)

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