ANNEXE 1 - RÉFLEXION EUROPÉENNE SUR LES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES

À la demande de la présidente de la commission d'enquête, une étude de législation comparée a été élaborée par la division de législation comparée de la direction de l'initiative parlementaire et des délégations. Cette étude est consultable sur le site internet du Sénat.

Cette annexe présente plus particulièrement une synthèse des réflexions engagées aux Pays-Bas et en Italie.

La réflexion conduite par votre commission d'enquête n'est pas inédite à l'aune des pays européens. Depuis le milieu des années 1990, à la suite des observations formulées par la Cour des comptes des Pays-Bas, les pouvoirs publics néerlandais ont conduit une réflexion sur le statut des « organisations indépendantes » 143 ( * ) ( Verzelfstandigde Organisaties), (OI). Plus récemment, la Commission des affaires constitutionnelles de la Chambre des députés italienne a adopté, le 16 février 2012 un rapport 144 ( * ) sur les autorités administratives indépendantes, à la suite d'une enquête entamée en 2010.

Ces travaux parlementaires consacrent plusieurs développements à la situation des autorités administratives indépendantes par rapport aux pouvoirs publics . Dans son rapport, la commission italienne soulignait que « Le risque encouru est [...] d'échapper à la relation corps électoral - Parlement - Gouvernement : Il n'est pas sans conséquences que le législateur ait confié de vastes compétences de régulation aux autorités. On a montré que d'aucuns -Le Parlement et le Gouvernement en l'occurrence- en ont payé le prix. » Elle résumait ainsi l'évolution constatée : « le Parlement a subi, durant les dernières années, un processus d'attraction de ses compétences par le haut vers l'Union européenne, par en bas vers les régions et sur le côté vers les AAI. Ceci ne signifie pas que le Parlement ne puisse pas répondre à cette tendance en valorisant certaines fonctions que, jusqu'à présent, il a exercées seulement de façon marginale. »

Aux Pays-Bas, le rapport Kohnstamm, du nom du président d'un groupe de travail intitulé Un État reconnaissable : investir dans les pouvoirs publics dont les conclusions présentées en 2004, souvent citées, traitait également de cette question. Par un développement particulièrement clair, les auteurs du rapport soulignent le délicat partage de responsabilité entre organisations indépendantes et ministères et, par ricochet, la difficulté du contrôle parlementaire : « un ministre demeure, si nécessaire, responsable de l'intérêt général pour opérer une appréciation politique du caractère souhaitable ou non d'une intervention. Le résultat de tout cela est que l'on observe une rupture de la confiance entre les autorités administratives et la politique. En outre, de ce fait, le Parlement néglige à maintes reprises la limite de ce qui relève de la responsabilité ministérielle -à laquelle il a du reste lui-même donné son aval- et rappelle parfois à un ministre qu'il néglige de se préoccuper de ce que font défaut les compétences ou les modifications de la législation nécessaires. [...]

Les difficultés rencontrées par un ministre dérivent de celles existant pour le Parlement. Un ministre est sollicité au sujet de choses pour lesquelles il n'est pas compétent et par conséquent du fait desquelles il n'est pas responsable. Il finit par se retrouver, par la suite, confronté à une difficulté vis-à-vis du Parlement. Indépendamment de ceci il peut lui-même aussi rencontrer une difficulté. Il a été limité dans sa possibilité de piloter sur le terrain où ses compétences sont déterminées par le législateur, par exemple en ce qui concerne le mélange des activités de droit public et des informations commerciales, les activités qui doivent être disponibles et les salaires. [...]

Pour les ministères il est vrai que les OI qui ont été mises « à distance » du département ministériel peuvent finir par se retrouver, de facto, plus ou moins en dehors du champ de vision de l'administration. »

S'agissant du principe des autorités administratives indépendantes, le rapport de la commission italienne soulevait d'ailleurs une contradiction dans le courant européen visant à instituer de telles autorités. Citant des experts entendus par la commission, le rapport soulève « la question de savoir comment un système -celui de l'Union européenne- qui interdit en son sein un transfert de la responsabilité politique, peut néanmoins imposer un tel principe, par sa législation, à un ordre juridique national -italien en l'occurrence- et le rendre compatible avec l'ordre constitutionnel [européen] » 145 ( * ) .

Ces travaux soulignent également les obstacles à un contrôle effectif du Parlement , même si aucune de ces autorités ne manifeste la volonté de s'y soustraire et si les outils existent formellement.

La commission de la Chambre des députés italienne résume le problème en ces termes : « Un aspect important de la relation entre pouvoir politique et AAI résulte des contrôles que le premier peut exercer sur l'activité des secondes, en respectant leur indépendance. En général, il a été dit que l'on peut utiliser deux modalités de contrôle complémentaires. En premier lieu -comme l'ont montré les auditions- en ce qui concerne le contrôle sur l'attitude effectivement adoptée par les AAI, les auditions devant le Parlement et les flux d'information périodique adressés au Gouvernement et au Parlement lui-même semblent d'utiles instruments. La seconde typologie des contrôles est de nature ex ante . La norme qui crée chaque autorité devrait définir avec précision la mission, les pouvoirs, la répartition des compétences et les modalités de la prise de décision, outre des critères de choix rigoureux et réels. »

Pour leur part, les auteurs du rapport Kohnstamm font un utile rappel. Pour eux, considérant que « le coeur du problème c'est le flou » 146 ( * ) existant autour du régime applicable aux OI, les auteurs du rapport rappellent que le cadre institutionnel qui sous-tend le régime parlementaire repose sur :

- le fait qu'à l'exercice d'un pouvoir administratif est lié un devoir de responsabilité (verantwoordingsplicht) ;

- l'existence d'une séparation des pouvoirs ;

- l'obligation, pour un ministre de rendre compte devant le Parlement ;

- et la responsabilité ministérielle devant le Parlement, de sorte que « en dernière analyse, le contrôle du pouvoir est détenu par le Parlement » 147 ( * ) .

Toujours selon ce rapport, « les [organisations indépendantes] peuvent périodiquement ressentir la discussion politique et les questions qui leur sont posées comme non pertinentes et comme constituant une marque de méfiance. Ceci est démotivant. C'est pourquoi quelques organisations peuvent avoir tendance à laisser le moins possible entrer quiconque dans leur « cuisine », que ce soit le Parlement ou le citoyen . »

Aux Pays-Bas, un projet de loi, déposé pendant la session 2000-2001, proposait de :

- réorganiser et d'harmoniser la législation applicable aux OI ;

- clarifier les règles du contrôle exercé par les ministres sur ces entités ;

- clarifier le contrôle financier qui leur est applicable ;

- et de créer un registre de ces organismes.

À la suite du rapport Kohnstamm, la loi du 2 novembre 2006 portant règles concernant les organes d'administration indépendants, dite aussi « loi cadre sur les organes d'administration indépendants » a défini ces organes comme ceux qui, en vertu de la loi ou sur le fondement de la loi par décret ou par arrêté, sont revêtus d'une autorité publique et ne sont pas soumis à l'autorité hiérarchique d'un ministre (article 1 er ).

Ces organes ne peuvent être créés par le ministre, moyennant l'information du Parlement, que :

- s'il est nécessaire qu'une décision soit prise de façon indépendante du fait du recours à des compétences spécifiques ;

- s'ils sont destinés à exécuter une tâche strictement définie par des règles et concernant un grand nombre de cas individuels ;

- ou si l'on doit recourir à la participation d'organisations sociétales compte tenu de la nature de la mission concernée (articles 3 et 4).

Chaque organe établit un rapport annuel, lequel est communiqué aux deux chambres du Parlement par le ministre (article 18).

En outre, tous les cinq ans, le ministre concerné adresse à ces deux chambres un rapport d'évaluation relatif à l'efficacité du fonctionnement de chaque organe indépendant (article 39).

Enfin, une liste de l'ensemble de ces organes est tenue à jour (article 40).


* 143 Ces quelque cent-cinquante entités appartiennent à trois catégories différentes d'organismes :

- des personnes morales de droit public dépourvues de la personnalité morale qui constituent un démembrement de l'État ;

- des personnes morales de droit public dotées de la personnalité morale ;

- et des personnes morales de droit privé telles des fondations.

* 144 Atti Parlamentari, XVI Legislatura, Camera dei Deputati, Doc. XVII, n. 17 Documento approvato dalla I Commissione permanente [...] nella seduta del 16 febbraio 2012 [...] sulle autorità amministrative indipendenti.

* 145 p. 33-34.

* 146 Een herkenbare staat... rapport précité, p. 25.

* 147 Id. , p. 22.

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