LA SCIENCE ET LA TECHNOLOGIE AU SERVICE DE L'ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Mme Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du Conseil scientifique de l'OPECST. Je vais vous donner lecture d'une intervention rédigée par M. Alexandre Magnan, chercheur à l'Institut du développement durable et des relations internationales, autour de la science et de la technologie au service d'un point peu abordé jusqu'à aujourd'hui, à savoir l'adaptation aux changements climatiques.

L'essence de l'adaptation est de permettre aux sociétés humaines de réduire leur vulnérabilité aux changements climatiques, actuels ou futurs, soudains (cyclone, sécheresse) ou plus graduels (dus aux conséquences de l'acidification et du réchauffement des océans ou aux changements à long terme dans les régimes des pluies). Il s'agit donc, pour les sociétés des pays en développement comme des pays développés, d'être suffisamment flexibles pour réajuster leurs choix de développement au fur et à mesure que de nouveaux éléments surviennent et que de nouvelles connaissances sont mises en lumière mais aussi d'être assez solides pour projeter ces choix dans le temps.

L'enjeu fondamental de l'adaptation pour une société donnée est d'être capable de maintenir ce qui fait sa cohérence, son unité au moment présent, tout en évoluant pour répondre à des conditions changeantes, ce qui renvoie à deux dimensions, distinctes mais fondamentales : la résilience et l'anticipation (1 ( * )) .

La résilience est l'aptitude à accroître la réactivité du territoire, face à des perturbations (les événements extrêmes) qui sont par nature relativement imprévisibles.

L'anticipation est l'aptitude à se projeter dans le temps, par exemple sur les changements plus graduels.

Ces deux dimensions (répondre et se projeter) sont complémentaires, et science et technologie peuvent servir ce double objectif.

M. Alexandre Magnan souligne, bien sûr, la difficulté à ce que l'adaptation devienne une réalité sur le terrain ainsi que dans les politiques publiques. Bien d'autres dimensions entrent en effet en jeu, comme la perception de la réalité du risque par les populations, l'efficacité des systèmes de gouvernance locale ou l'importance relative de cette question par rapport à d'autres enjeux.

Dans ce contexte il entend mettre l'accent sur l'importance de l'expertise scientifique pour l'adaptation, la science permettant une meilleure compréhension des facteurs environnementaux et humains à l'oeuvre. Cette compréhension est nécessaire pour identifier des stratégies d'adaptation qui soient ambitieuses dans leurs objectifs et réalistes en termes de mise en oeuvre, c'est-à-dire tenant compte des contraintes et des opportunités locales.

Les progrès récents en matière de modélisation du climat et des impacts ont imposé une situation inédite dans l'histoire de l'humanité, puisque que l'on dispose désormais d'images de futurs possibles. Bien que ces images soient imparfaites, c'est-à-dire recèlent des incertitudes, cela n'enlève rien au fait que les avancées scientifiques permettent une réflexion prospective qui est indispensable.

L'adaptation n'est pas simplement une option, puisqu'une partie des changements climatiques est inévitable. Il s'agit bien d'une stratégie à part entière.

Les sciences humaines apportent, en outre, de l'eau à notre moulin, notamment sur la question de la vulnérabilité et du risque. Les approches se multiplient. L'une d'entre elles s'intéresse aux trajectoires de vulnérabilité. On ne peut comprendre la vulnérabilité actuelle, donc se projeter vers la vulnérabilité future, qu'en appréhendant les facteurs qui ont fait que se sont progressivement mises en place, au fil des dernières décennies au moins, les conditions de la vulnérabilité actuelle. Le développement des digues côtières en constitue un bon exemple. Ces digues ont été, au gré des tempêtes, rehaussées puis étendues, ce qui a souvent eu pour effet pervers d'accroître l'urbanisation littorale. C'est là l'un des caractères explicatifs des catastrophes Xynthia en France, en 2010, et Katrina aux États-Unis, en 2005.

Cette approche éclaire les facteurs humains de la vulnérabilité et du risque, les tendances lourdes, et montre que commencer par régler les problèmes actuels est une étape fondamentale pour l'adaptation de plus long terme. Les sciences humaines, ici aussi, aident à dépasser le problème de l'incertitude climatique : dès lors que l'on comprend que la vulnérabilité et le risque n'ont pas que des origines physiques - c'est-à-dire l'ampleur des aléas naturels - mais aussi des sources anthropiques - que sont les modalités d'aménagement du territoire des dernières cinquante années - alors la position intuitive du « je ne peux rien décider maintenant car je n'en sais pas assez sur le futur, donc je déciderai quand j'en saurai davantage » ne tient plus la route.

La science dans son ensemble a réussi à faire passer la question de l'adaptation dans l'agenda, ainsi que le message selon lequel l'incertitude sur le futur ne constituait pas un alibi à l'inaction.

M. Alexandre Magnan mentionne également la technologie, qui joue un rôle clé pour apporter une partie des réponses aux changements identifiés. C'est le cas, par exemple, en matière de système d'alerte, avec les nouvelles technologies de l'information et de la communication, ou encore lorsque la technologie se met au service de la science pour développer des espèces de corail plus résistantes aux pics de température responsables des épisodes de blanchiment.

L'adaptation est donc une stratégie incontournable. Si l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre vise à éviter l'ingérable, l'adaptation vise à gérer l'inévitable. Il s'agit donc d'une urgence, pour les pays en développement comme pour les pays développés. Or cela ne peut se faire sans l'appui de la science et de la technologie.


* (1) Cf . Annexe 4.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page