C. AMÉLIORER L'ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR LA RÉALITÉ DES RÉSEAUX MOBILES

La prise de conscience de l'ampleur exacte du déficit en matière de couverture mobile et des défaillances en matière de qualité de service se heurte depuis de nombreuses années à un problème de connaissance sur la réalité des réseaux mobiles , régulièrement souligné par les associations d'utilisateurs et par les collectivités territoriales. Ce déficit d'information est fortement préjudiciable aux utilisateurs, qui ne disposent pas de tous les éléments nécessaires à la compréhension de leur situation, et aux collectivités territoriales, qui ne possèdent pas les données nécessaires à des initiatives pertinentes d'amélioration de la couverture mobile.

Votre co-rapporteur note que malgré certaines initiatives du régulateur en matière de qualité de service, les difficultés qui suivent étaient déjà mentionnées par ses travaux de 2011, et gardent malheureusement toute leur validité cinq ans plus tard : inadaptation de la définition de la couverture mobile à l'évolution des usages, décalage entre la couverture en centre-bourg et les attentes des habitants, infirmation des cartes de couverture des opérateurs par l'expérience quotidienne des utilisateurs.

1. Un déficit de connaissance sur l'état des réseaux mobiles
a) Une définition de la couverture inadaptée aux besoins et aux usages

La notion de couverture est fixée sur les mêmes critères depuis le début de la téléphonie mobile . Une zone est jugée couverte, au sens des obligations de déploiement, lorsqu'il est possible d'y passer, avec un terminal classique, un appel téléphonique avec un taux de réussite de 95 %, et de le maintenir pendant une minute, en usage piéton à l'extérieur des bâtiments et en position statique. En matière d'internet mobile, les critères sont identiques, et portent sur la vitesse de téléchargement d'un fichier de petite taille. Or l'évolution des usages rend obsolète cette définition . Le téléchargement de données en extérieur par un piéton statique ne recouvre absolument pas l'intégralité des utilisations actuelles et à venir du haut débit et du très haut débit mobile. C'est pourtant sur la base de ces critères que sont fixées et vérifiées les obligations de couverture imposées aux opérateurs dans le cadre des AUF, y compris pour les réseaux 3G et 4G.

L'approche de la couverture en centre-bourg a également des limites évidentes. Les critères utilisés pour juger de la couverture de la commune sont sommaires : est considéré comme couvert un centre-bourg dans lequel il est possible d'effectuer 50 % des appels en position extérieure, piétonne et statique, sans avoir à faire répéter l'interlocuteur, avec la présence éventuelle de perturbations mineures. Entre 5 et 7 points de mesure sont identifiés, à l'entrée et à la sortie du bourg, ainsi que dans des lieux centraux (mairie, église, place du marché, commerces). Or il ne suffit pas d'être dans une commune considérée comme couverte au sein du programme zones blanches pour avoir soi-même accès au réseau. L'existence de « zones grises », particulièrement au niveau infra-communal, peut accroître l'expérience d'une absence de couverture mobile, dès lors que le périmètre d'absence de couverture mobile par l'opérateur choisi est souvent plus important que les seules zones blanches. L'approche en termes de centre-bourg, qui suppose une captation dans le centre théorique de la commune, est également peu adaptée aux structures communales en hameaux avec une répartition multi-alvéolaire de l'habitat.

Les critères utilisés pour valider la couverture mobile de la population ou la couverture en centre-bourg ne correspondent plus aux usages , pour plusieurs raisons que notre collègue Bruno Sido avait rappelées dans un rapport dédiée à la couverture mobile adopté en 2011 67 ( * ) .

La référence à des zones habitées et à des centres-bourg méconnaît la nécessité de couvrir certaines parties du territoire non habitées : zone d'activité économique, zone d'intérêt touristique, équipement public isolé, axes routiers et ferroviaires... Si les dernières attributions d'AUF prévoient des obligations spécifiques pour les réseaux de transport, la prise en charge par les opérateurs de portions inhabitées du territoire reste limitée. À l'exception du réseau 2G, pour lequel une couverture totale du territoire national apparaît nécessaire pour des raisons de sécurité, il ne s'agit pas d'envisager à moyen terme une couverture intégrale en 3G ou en 4G, mais de tendre vers un déploiement négocié et plus intelligent lorsque les spécificités locales justifient des efforts particuliers hors des zones d'habitat.

La mesure à l'extérieur des bâtiments est également dépassée par les usages. De plus en plus d'utilisateurs ne disposent plus que d'un abonnement mobile ou utilisent de façon très limité leur abonnement fixe, intégré à une offre triple play . Le constat est encore plus marqué pour les résidences secondaires où la souscription d'un abonnement fixe supplémentaire est parfois délaissée au profit de l'utilisation du terminal mobile principal. L'utilisation des réseaux mobiles en intérieur augmente sans discontinuer. À ce titre, dans le cadre de la couverture en 3G des 3 600 communes prévues au titre de l'ancien accord de RAN Sharing, la notion de couverture en centre-bourg devrait être adaptée dès lors que la possibilité de télécharger, en extérieur, un fichier dans quelques points du centre-bourg ne reflète pas l'usage réel de l'internet mobile.

Enfin l'utilisation en situation statique est peu compatible avec la vocation même de la téléphonie mobile. Si les appels et la connexion sont relativement stables lors de la marche à pied, tel n'est pas le cas en voiture ou en train. Comme le précisait Bruno Sido : « Pour mériter son appellation de « téléphone mobile », le « portable » devra à l'avenir permettre de passer insensiblement des appels en situation fixe ou mobile. ».

b) Un décalage persistant entre les cartes de couverture et l'expérience des utilisateurs

En application des articles L.33-1 et L.36-6 du code des postes et des communications électroniques, les opérateurs mobiles doivent publier sur leur site internet des cartes de couverture de leurs services mobiles en distinguant les différents réseaux (2G, 3G, 4G). Ces cartes affichent des taux de couverture de la population et du territoire particulièrement flatteurs. Or de nombreux utilisateurs constatent quotidiennement que ces informations ne correspondent pas à leur expérience . En théorie, 99,9 % de la population et 97 % du territoire national sont couverts par la téléphonie mobile 2G. Il en va de même pour la couverture 3G qui couvre théoriquement 99 % de la population et 92 % du territoire. Or, l'utilisation quotidienne révèle que ces quelques pourcents restants se rencontrent partout.

L'élaboration de ces cartes est vérifiée par des mesures, selon un protocole fixé par l'ARCEP. Ces vérifications de terrain sont indispensables afin de confronter la couverture théorique, évaluée à partir de modèles mathématiques de propagation des ondes dans l'espace, à la réalité, compte tenu de la géographie et de la répartition de l'habitat. La puissance publique ne peut s'appuyer sur un système d'information fondé sur des mesures réalisées par les opérateurs, à la fois juges et parties. Malgré ces vérifications par le régulateur, l'accès vécu par les utilisateurs est souvent très éloigné de la couverture annoncée. Ces décalages alimentent une vraie défiance des citoyens à l'égard des informations et des communications sur la couverture mobile.

Source : ARCEP, Observatoire sur la couverture et la qualité des services mobiles (juillet 2015)

La notion de couverture correspond à la disponibilité géographique d'un service. En sus d'un accès effectif pouvant varier dans les faits, la couverture ne préjuge pas de la qualité de service fournie . Selon le service utilisé et la situation d'utilisation, la qualité constatée peut être très variable, et éloignée de ce que la couverture théorique peut laisser supposer. Il faut noter que l'ARCEP s'est engagée depuis plusieurs années dans des enquêtes relatives à la qualité de service, intégrées à un observatoire spécifique, mis à jour chaque trimestre. Ces enquêtes visent à tester les réseaux dans différentes situations, non prévues dans le cadre de la mesure réglementaire des obligations de couverture : appels de durée plus élevée, utilisation en intérieur, réception en tant que passager d'une voiture, envoi de fichiers... Vos rapporteurs estiment toutefois que ces enquêtes complémentaires, malgré leur intérêt informatif, ne sauraient compenser les limites de la notion de couverture, qui aiguille l'intervention publique.

2. Une indispensable actualisation des connaissances sur l'état des réseaux mobiles

L'adaptation des critères en matière de couverture et l'évolution des informations en matière de qualité de service doivent permettre de suivre l'évolution des usages et des exigences des utilisateurs . Vos rapporteurs rappellent que cette problématique générale est connue depuis plusieurs années et que peu a été fait dans ce domaine. Pourtant, de l'avis de l'ensemble des parties prenantes, y compris du régulateur, les données existantes sont insatisfaisantes.

Il est indispensable de revoir les critères et la mesure de la couverture mobile et de la couverture des zones blanches . C'était le sens d'un article de la proposition de loi adoptée par le Sénat en 2012, prévoyant la création d'un groupe de travail ayant pour objet l'adaptation des critères de couverture en téléphonie mobile de deuxième, troisième et quatrième générations, ainsi que l'amélioration de ladite couverture 68 ( * ) . Un groupe de travail avait été mis en place en février 2012 en associant des parlementaires, des représentants des collectivités territoriales, les opérateurs, l'ARCEP, l'ANFR, la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) et la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS). Cette structure n'a toutefois pas eu les résultats escomptés, en s'interrompant après la remise d'un rapport d'étape.

S'agissant de la couverture des zones blanches 2G et 3G, la notion de centre-bourg semble bien trop limitée. La couverture devrait être appréhendée sur l'ensemble de la commune, et non son seul centre-bourg, avec des points de mesure plus nombreux dans toutes les zones habitées. Cette approche permettrait de mieux prendre en compte les hameaux. Le pourcentage de réussite devrait par ailleurs être défini à un niveau bien supérieur à 50 %. La couverture et la qualité de service doivent par ailleurs être mesurées de façon dynamique , afin d'observer leur évolution dans le temps. De nouvelles zones privées de couverture apparaissent, faute d'un entretien suffisant des équipements, particulièrement dans les zones moins denses. L'augmentation de la consommation peut également aboutir à une dégradation accélérée.

Les récentes initiatives du Gouvernement en matière de couverture en centre-bourg et hors centre-bourg s'appuient sur des critères dépassés pour connaître la disponibilité des réseaux . À défaut de modifier la méthode d'identification des difficultés, la relance de la couverture mobile n'améliorera que marginalement l'accès de nos concitoyens au mobile.

Vos rapporteurs soulignent qu'il s'agit là d'efforts relatifs à l'information des pouvoirs publics et des utilisateurs, et que ces évolutions n'ont pas vocation à modifier les obligations de déploiement prévues dans les licences déjà accordées. L'objectif est d'obtenir une photographie plus fidèle à l'existant en matière d'accès et de qualité de service. Une approche plus fine de la couverture pourrait toutefois permettre de proposer à l'avenir des obligations de déploiement mieux adaptées aux besoins des utilisateurs . À l'occasion du renouvellement des AUF, il serait souhaitable d'actualiser la définition de la couverture mobile et les critères retenus pour la mesurer afin d'accroître progressivement le niveau d'exigence, dans la perspective de l'achèvement des réseaux concernés. Le contenu des AUF reste en effet très structurant pour la couverture du territoire.

Proposition : Modifier les critères et les méthodes de mesure de la couverture pour disposer d'un recensement conforme à la réalité des réseaux dans les territoires ruraux.

La connaissance de la réalité des réseaux mobiles est la condition d'une action publique pertinente . À la demande de l'État ou les collectivités territoriales, les opérateurs doivent transmettre des informations sur leurs réseaux. Précisée au niveau réglementaire 69 ( * ) , cette faculté permet de connaître le taux de couverture par commune. Toutefois, les collectivités territoriales ne disposent pas des informations permettant d'apprécier la répartition géographique de la couverture infra-communale. Une modification du cadre règlementaire doit permettre aux collectivités d'obtenir des informations plus précises de la part des opérateurs .

Proposition : permettre aux collectivités d'obtenir des informations plus précises de la part des opérateurs sur la couverture mobile de leur territoire, notamment en complétant l'article D. 98-6-2 du code des postes et des communications électroniques pour disposer d'informations sur la couverture infra-communale.

Face à l'ampleur des campagnes de mesures nécessaires à la vérification de la couverture et de la qualité de service, le budget de l'ARCEP, en diminution ces dernières années, ne permet pas au régulateur de mener tous les travaux nécessaires à une amélioration de l'information. Une disposition de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques permet à l'ARCEP de faire réaliser les mesures par des organismes indépendants qu'elle aura choisis, aux frais des opérateurs 70 ( * ) . Cette compétence doit améliorer la fiabilité des mesures tout en réduisant la charge budgétaire pour le régulateur. Afin de renforcer la qualité des cartes et des campagnes de mesures , l'ANFR pourrait être davantage associée à la conception des modèles de propagation, et au contrôle des organismes extérieurs auxquels l'ARCEP fait appel, compte tenu de l'expertise de l'agence sur la gestion du spectre radio.

Depuis cette loi, l'ARCEP est également compétente pour prendre des décisions précisant les règles en matière de contenu et de mise à disposition du public d'informations fiables et comparables relatives à la disponibilité, à la qualité et à la couverture des réseaux et des services 71 ( * ) . Comme le souligne le CEREMA dans sa contribution à la consultation publique organisée par l'ARCEP sur la bande 700 MHz, il serait souhaitable de développer une cartographie de la performance des réseaux mobiles , dans la perspective d'une utilisation croissante des réseaux mobiles à très haut débit, y compris en situation fixe. En croisant les informations de couverture avec celles portant sur l'occupation du territoire, cette approche permettrait de mieux rendre compte de la performance constatée par l'utilisateur, notamment lors des heures de pointe, et d'identifier les besoins à venir pour gérer l'augmentation de la consommation en données.

Afin d'améliorer l'information du public, il serait également utile de disposer d'une agrégation des cartes élaborées par chacun des opérateurs sur une seule plateforme accessible au public sur internet . Actuellement, les utilisateurs souhaitant connaître la couverture sur une zone donnée doivent consulter les sites de chaque opérateur, sans possibilité de comparer ces cartes sur un même site. À ce jour, l'ARCEP n'a pas la possibilité de retraiter les cartes des opérateurs et de mettre à disposition du public un document unique. Une disposition législative permettrait de surmonter cette difficulté.

Proposition : permettre à l'ARCEP d'agréger les cartes de couverture élaborées par les opérateurs privés et de les mettre à disposition du public sur son site internet.

Pour compléter les campagnes de mesures menées par l'ARCEP ou pour son compte, et de mieux prendre en compte l'expérience des utilisateurs, le développement de mesures effectuées par les utilisateurs eux-mêmes ou par les collectivités est une perspective prometteuse . En s'appuyant sur des dispositifs de crowd sourcing , l'ensemble des parties prenantes à l'aménagement numérique du territoire disposerait d'une information locale, dynamique et confrontée à la réalité de l'accès aux réseaux. Si l'ARCEP encourage depuis plusieurs années les utilisateurs et les collectivités à lui signaler les décalages avec la couverture théorique, plusieurs organismes, comme l'Association de défense des consommateurs de télécommunications et communications électroniques (AFUTT), s'emploient à proposer aux acteurs locaux des outils permettant de tester l'accès et la qualité des services mobiles.

Il serait souhaitable que le régulateur puisse s'appuyer sur les initiatives des associations et des collectivités, tout en prévoyant un cadre harmonisé afin d'assurer la comparabilité des mesures ainsi réalisées. La labellisation d'applications dédiées à ces mesures sur smartphones permettrait de disposer rapidement d'une grande quantité de mesures fiables et homogènes. En donnant la possibilité à tout utilisateur de contribuer à l'amélioration des connaissances sur les réseaux mobiles, cette perspective contribuerait également à rétablir la confiance des citoyens dans les informations diffusées.

Proposition : soutenir et harmoniser les initiatives des collectivités territoriales et de la société civile en matière de mesures, afin de développer une approche crowd sourcée.

La récente relance de la couverture mobile dans les territoires ruraux est une opportunité à saisir pour revoir les critères d'évaluation de l'accès et de la qualité des réseaux, afin d'avoir une connaissance plus fine de la couverture mobile . En ayant accès à des informations plus détaillées, l'État et les collectivités territoriales disposeront d'un état des lieux adapté aux besoins d'aujourd'hui, et seront ainsi en mesure de prévoir les déploiements les plus appropriés aux territoires. À défaut, les programmes de couverture seront largement insuffisants.


* 67 Rapport du Sénat n° 348 - Session ordinaire 2010-2011 - « 2G, 3G, 4G : vers une couverture optimale du territoire en téléphonie mobile » - Bruno Sido.

* 68 Article 5 de la proposition de loi n° 118 visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, adoptée par le Sénat le 14 février 2012.

* 69 Article D.98-6-2 du code des postes et des communications électroniques.

* 70 Article L. 33-12 du code des postes et des communications électroniques.

* 71 Article L. 36-6 du code des postes et des communications électroniques

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