D. ANTICIPER LA CONVERGENCE DES RÉSEAUX FIXES ET MOBILES

Les interactions entres réseaux fixes et réseaux mobiles ont été jusqu'à présent sous-estimées par les politiques d'aménagement numérique du territoire . La convergence des usages a pourtant un impact direct sur l'articulation des différents réseaux de communications électroniques, aussi bien en termes de difficultés que de solutions .

1. Une convergence des difficultés et des solutions

Malgré leurs différences techniques et économiques, les réseaux fixes et mobiles suivent la même trajectoire descendante . Défini par les mêmes acteurs privés, le séquençage des déploiements privilégie les zones les plus denses avant d'évoluer progressivement vers des espaces de moindre densité, pour enfin s'arrêter là où la dispersion de l'habitat et la géographie compromettent la rentabilité de l'investissement privé. Cette logique guidée par des rendements décroissants réserve ainsi aux territoires ruraux une couverture en haut débit et très haut débit très tardive voire inexistante, sur le fixe comme sur le mobile. L'essence même de l'aménagement numérique du territoire est de compenser cette tendance des acteurs privés, par une intervention publique ciblée sur les territoires délaissés par les dynamiques de marché.

Or, les mêmes territoires sont aujourd'hui confrontés à une absence de réseau 3G ou 4G, et à un haut débit fixe limité, sans perspective d'accès rapide au très haut débit fixe . La convergence des réseaux induit ainsi une concentration des difficultés sur les territoires ruraux . Lors de ses travaux sur la bande 700, votre co-rapporteur a souligné cette fragilité pour les zones dépourvues de couverture 3G : « Les communes concernées sont ainsi privées d'internet mobile, alors même que nombre d'entre elles sont également exclues d'un haut débit fixe de qualité. Le risque de territoires « isolés multi-technologies » augmente, tandis que le développement des usages rend chaque jour plus pénalisante l'absence d'accès internet de qualité » 72 ( * ) . L'ensemble de la réglementation et de la planification pour le fixe et le mobile risque d'exclure les mêmes zones des différentes évolutions technologiques.

Trop souvent, le diagnostic et le traitement des fractures numériques sur les différents réseaux de communications électroniques restent cloisonnés . Les maîtres d'ouvrage des réseaux fixes et mobiles dialoguent encore trop peu, alors même que l'évolution des usages et la localisation des difficultés rend de moins en moins pertinente une séparation stricte entre ces infrastructures. Les trajectoires prévisibles des déploiements fixes et mobiles sur un même territoire gagneraient à être systématiquement confrontées, pour identifier les problématiques durables d'accès. Votre co-rapporteur avait ainsi proposé dans son rapport de 2010 de développer une approche intégrée de l'ensemble des réseaux sur le territoire, par le schéma directeur territorial d'aménagement numérique (SDTAN) afin de mieux recenser l'intégralité des infrastructures, des besoins et des solutions.

En présence d'équipements favorables à des usages convergents ( smartphones , tablettes, ordinateurs portables...) , les technologies fixes et mobiles tendent vers une certaine substituabilité, particulièrement pour le très haut débit. Dès lors que les réseaux mobiles sont plus rapides et moins coûteux à étendre, leur déploiement dans les zones sans perspective à moyen terme de raccordement à un réseau filaire très haut débit permettrait d'apporter rapidement un débit élevé aux particuliers et aux PME. Le CEREMA souligne à ce titre la nécessité de mieux analyser les performances respectives de la montée en débit sur cuivre et de la 4G à usage fixe , afin d'identifier les solutions technologiques les plus adaptées aux territoires.

Dès 2011, votre co-rapporteur regrettait l'échéance tardive imposée aux opérateurs lors de l'attribution des licences 4G pour couvrir l'intégralité de la zone de déploiement prioritaire, prévue à l'horizon 2027 , si tant est que les opérateurs respectent cette obligation. Le manque d'ambition lors de la définition de nouvelles obligations à l'occasion de l'attribution des AUF dans la bande 700 n'en est que plus dommageable pour développer l'utilisation fixe du réseau mobile très haut débit. Le potentiel de la 4G et de ses évolutions pour les utilisations fixes rend d'autant plus important l'achèvement de la couverture de la population par ce réseau. À ce titre, l'intégration d'une composante relative au raccordement optique des points hauts dans le périmètre des subventions du FSN est une évolution positive, permettant tout à la fois d'augmenter les capacités d'émission sur le réseau mobile, et d'améliorer la cohérence de la boucle locale optique.

La 4G à usage fixe pourrait constituer une composante intéressante de l'inclusion numérique, pour surmonter l'absence de haut débit ou de très haut débit fixe . Une offre 4G à usage fixe à destination des entreprises est aujourd'hui proposée par Bouygues Télécom. Des abonnements 4G mobile sont parfois utilisés de façon spontanée comme principal accès internet à domicile. Toutefois, il n'existe pas en France d'offre de grande ampleur destinée aux particuliers. D'autres pays européens ont recours plus massivement à la 4G à usage fixe : l'Allemagne, la Suède, le Danemark ou encore la Norvège. En France, la volumétrie mensuelle reste un frein, avec des offres maximales de 40 Go par mois, agrégeant les flux montant et descendant. Dans les pays où la 4G est utilisée comme accès fixe, le volume mensuel est compris entre 100 et 200 Go par mois. À titre d'exemple, il existe au Danemark des offres 200 Go pour 25 euros par mois, routeur inclus. Les expérimentations menées par les opérateurs Orange et Bouygues Télécom depuis déjà plusieurs années n'ont pas encore abouti à une industrialisation. Il serait souhaitable que l'État, actionnaire du premier opérateur actif en matière d'investissement et autorité légitime à donner une impulsion à l'ensemble du marché, effectue un suivi plus dynamique de ces solutions, dont les enjeux dépassent très largement les seuls intérêts commerciaux des opérateurs .

Dans sa contribution à la consultation de l'ARCEP relative à la bande 700 MHz, le CEREMA note que le réseau 4G pourrait également participer à l'accompagnement de l'extinction du réseau de cuivr e : « Les réseaux mobiles pourraient, dans le principe, faciliter l'extinction du cuivre, en apportant une solution transitoire aux abonnés difficiles à raccorder dans les plaques FttH ». Afin de ne pas reporter sine die la migration puis l'extinction , il sera nécessaire de déclencher le processus avant une couverture totale en FttH, a fortiori dans les zones moins denses ( II.D ). Par  ailleurs, certains utilisateurs raccordables pourraient choisir de ne pas migrer de l'ADSL vers le FttH, en privilégiant un accès très haut débit mobile. Or, comme le précise le CEREMA : « pour constituer un réseau de substitution, il est indispensable que le réseau mobile assure une couverture totale des zones habitées. »

Proposition : développer une approche intégrée des réseaux fixes et mobiles pour prévenir le risque d'isolés multi-technologies, et soutenir le développement du très haut débit mobile à usage fixe, pour surmonter l'absence d'accès filaire de qualité et faciliter l'extinction du réseau de cuivre.

2. Une évolution à coordonner avec le déploiement des nouveaux réseaux

Les marchés de détail fixes et mobiles interagissent également, avec le développement d'offres groupées . Depuis 2008, les principaux opérateurs, qui sont présents à la fois sur le fixe et sur le mobile, proposent des offres quadruple-play , commercialisées sous la forme de package ou de remises appliquées sur l'un ou l'autre des services : téléphonie fixe, télévision, internet fixe, téléphonie et internet mobile. Ces abonnements concernent déjà 23 % des cartes SIM. Perdre des clients sur le fixe conduit de plus en plus à perdre les mêmes clients sur le mobile. Cette convergence participe à la concentration des investissements fixes et mobiles des opérateurs sur les zones les plus denses.

CARTES SIM COUPLÉES À UN OU PLUSIEURS SERVICES FIXES

Source : ARCEP, Observatoire des marchés, deuxième trimestre 2015

Cette dynamique sur le marché de détail pourrait être un obstacle au développement des nouveaux réseaux, notamment les RIP . Souvent attentistes sur l'utilisation de ces réseaux situés en zone moins dense, les opérateurs commerciaux d'envergure nationale pourraient utiliser les offres quadruple-play dans une logique de rétention de la clientèle sur le réseau ADSL. Les effets de la convergence sur les nouveaux réseaux doivent ainsi être observés finement, dès lors que cette évolution globale pourrait avoir un impact contre-productif sur les déploiements.


* 72 Rapport du Sénat n° 626 - Session ordinaire 2014-2015 - Avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre - Patrick Chaize.

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