B. VEILLER AU RESPECT DES ENGAGEMENTS DES OPÉRATEURS PRIVÉS POUR ASSURER LA COUVERTURE DU TERRITOIRE

La répartition générale des déploiements dans le cadre du PFTHD confie aux opérateurs privés la couverture de 57 % de la population en fibre optique d'ici 2022, pour un investissement estimé entre 6 et 7 milliards d'euros, hors raccordement final. La stratégie des opérateurs privés dans cette zone compromet une contribution d'une telle ampleur. L'agrégation des politiques commerciales d'opérateurs privés ne fait pas une politique d'aménagement du territoire.

1. Une priorisation du FttH perturbée par l'irruption du câble

La couverture de la zone d'initiative privée doit être financée exclusivement par les fonds propres des opérateurs. Le PFTHD vise un déploiement en FttH dans cette zone, sans recours significatif au mix technologique. Afin de minimiser le besoin en investissement, et d'éviter une duplication des coûts, le régulateur a élaboré un cadre privilégiant la mutualisation de la dernière partie des réseaux.

Les investissements privés dans le très haut débit représentent encore la majorité des investissements . En 2014, les investissements des opérateurs dédiés au déploiement de la boucle locale pour le très haut débit fixe atteignent 946 millions d'euros, soit la grande majorité de l'investissement total dans le très haut débit. Selon l'ARCEP, 85 % de ces investissements sont consacrés aux déploiements dans les réseaux en fibre optique de bout en bout (FttH et FttO*), le reste étant dédié à la rénovation du réseau câblé. En 2015, l'investissement privé dans le FttH devrait rester majoritaire, avant d'être supplanté par l'investissement public à partir de 2016.

La fusion entre Numericable et SFR , autorisée par l'Autorité de la concurrence le 27 octobre 2014, a sensiblement modifié la structure du marché des communications électroniques, en défaveur d'un déploiement massif du FttH. Une des deux « locomotives » présumées du FttH dans la zone privée n'existe plus. Le nouvel ensemble créé par le regroupement de Numericable et SFR détient un réseau de câble de près de 10 millions de prises. La modernisation de ce réseau, par opticalisation d'un segment de la boucle locale (architecture HFC ou FttLA) permet de proposer une offre très haut débit intéressante aux logements raccordés, à moindre coût par rapport au déploiement d'une boucle locale optique intégrale. Alors que SFR était amené à participer activement au déploiement du FttH dans la zone d'initiative privée, à titre principal ou en tant que cofinanceur avec Orange, la nouvelle entité est très peu incitée à investir dans cette technologie. La perspective du groupe est d'achever la modernisation du réseau, et de commercialiser les offres à ses abonnés haut débit sur l'ensemble de la zone câblée, c'est-à-dire l'essentiel de la zone très dense, ainsi qu'une partie de la zone moins dense (« zone AMII câblée »). Comme souligné par un opérateur auditionné, « avec cette fusion, le câble s'est invité dans le très haut débit ». En l'absence de régulation du marché du câble, les pouvoirs publics manquent d'outils pour articuler le maintien du câble avec le développement du FttH. Hors zone très dense, cette fusion a également un impact significatif sur les projets d'investissement des opérateurs dans la zone moins dense.

La focalisation de la stratégie de Numericable-SFR sur la commercialisation du câble modernisé dans les zones les plus denses modifie les projets d'Orange dans la zone d'initiative privée. Voyant ses parts menacées sur le fixe - tant sur le marché de détail que sur le marché de gros - dans les grands centres urbains, par une infrastructure peu coûteuse pour son concurrent, l'opérateur historique est incité à concentrer ses déploiements FttH dans toutes les zones câblées, en zone très dense et en zone moins dense 30 ( * ) . Si Orange a annoncé un plan ambitieux d'investissement à l'horizon 2020, les ressources prévues devraient être ciblées sur ces zones soumises à forte concurrence. Bouygues Telecom - qui loue par ailleurs le réseau câblé de Numericable-SFR pour proposer ses propres services - et Free vont probablement se concentrer sur les mêmes zones concurrentielles, compte tenu de leurs moyens financiers moins importants.

Selon la majorité des acteurs auditionnés, les investissements privés resteront élevés dans les prochaines années mais se concentreront sur les zones soumises à une forte concurrence entre opérateurs. Jusqu'à l'horizon 2020, les capacités d'investissement des opérateurs privés devraient donc être mobilisées dans ces territoires. Une telle évolution est incompatible avec un objectif d'aménagement du territoire.

L'hypothèse du « tout FttH » dans la zone d'initiative privée est donc remise en question, fragilisant ainsi l'objectif de 80 % de couverture FttH en 2022, alors même que cette zone privée avait vocation à être le principal moteur du déploiement FttH à moyen terme.

Si cette évolution va dynamiser les investissements privés dans les zones les plus concurrentielles, les disparités territoriales risquent de s'accentuer fortement . Cette situation va accroître le suréquipement des logements dans les grands centres urbains, par un doublonnement des infrastructures . Au quatrième trimestre 2014, la Mission très haut débit estimait que 7,4 % des logements et locaux sont éligibles au très haut débit, à la fois par le câble et par le FttH. Ces mêmes utilisateurs peuvent également être éligibles au très haut débit par le VDSL2 sur cuivre. Si cette diversification de l'offre est favorable aux habitants des grandes villes, elle se fait au prix d'une extension réelle de la couverture très haut débit à de nouveaux territoires. Les déploiements dans la zone d'initiative privée vont ainsi contribuer de façon plus limitée à une augmentation nette du nombre de logements couverts .

Vos rapporteurs notent à ce titre que le marché de détail des offres de services très haut débit en France ne favorise pas l'investissement dans le FttH. Comme le marché du mobile, le marché du fixe privilégie une concurrence par les prix et les offres groupées, au détriment d'une segmentation tarifaire en fonction de la technologie ou du débit. Le contentieux récent entre opérateurs sur l'utilisation de la dénomination « fibre optique » pour la commercialisation des offres très haut débit fondées sur le réseau de câble ou de cuivre révèle une problématique plus générale de monétisation du progrès technologique et de clarification entre les technologies .

La différenciation des offres de service, selon le débit réel (moyen ou garanti) et la symétrie des débits, permettrait de tarifer à sa juste valeur chaque technologie , et de souligner l'intérêt de la technologie la plus pérenne, mais également la plus coûteuse à déployer : le FttH. Améliorer l'information permettrait également d'augmenter la demande des utilisateurs. Plusieurs actions contribueraient à mieux valoriser les investissements dans les différentes technologies : usage des dénominations dans les offres commerciales, mesure et publication des débits réels, intégration de l'accès au très haut débit dans les annonces immobilières 31 ( * ) ... Un écosystème commercial plus favorable au très haut débit permettrait ainsi d'accroître les investissements dans les infrastructures en stimulant les usages .

2. Des engagements de déploiement à sécuriser par une véritable contractualisation

L'objectif de l'AMII organisé en 2011 était d'établir une répartition des déploiements, de donner davantage de visibilité à l'ensemble des parties prenantes, et d'évaluer le besoin en aides publiques, conformément au cadre européen. Vos rapporteurs soulignent que la crédibilité des intentions d'investissement était mise en cause dès 2011 : « L'incertitude vient en réalité du fait que les engagements des opérateurs, sur lesquels est fondée toute la « mécanique » du système, sont totalement unilatéraux et dépourvus de toute force contraignante [...] les opérateurs ne se trouvent liés que par leur parole et prennent la main sur le dispositif, dont ils deviennent les véritables « maîtres du jeu ». On peut ainsi même imaginer des stratégies de blocage de leur part : leurs déclarations d'intention, qui ne seraient liées pour certaines à aucun désir réel de s'investir, auraient pour seule vocation d'empêcher durablement toute collectivité d'investir » 32 ( * ) . La durée de validité des intentions d'investissement, fixée à cinq ans, était alors supérieure à celle de trois ans recommandée par le cadre européen.

Afin de préciser les intentions d'investissement des opérateurs à l'heure du PFTHD, le plan prévoit la signature de conventions de programmation et de suivi des déploiements (CPSD) sur l'ensemble de la zone d'initiative privée, dite « zone conventionnée ». La Mission très haut débit met à disposition des parties prenantes une convention-type. Ce conventionnement associe les collectivités territoriales, les opérateurs privés et l'État. Il poursuit plusieurs objectifs :

- préciser et consolider les engagements de l'opérateur de réseau conventionné (ORC) en terme de nombre de logements raccordables, de calendrier de déploiement et de répartition géographique ;

- définir les priorités de la collectivité territoriale en matière de déploiements privés sur le territoire ;

- accélérer les déploiements privés en prévoyant une action facilitatrice de la collectivité ;

- prévoir des modalités de suivi régulier sur l'avancement des déploiements de l'ORC ;

- permettre le constat d'une défaillance caractérisée en cas de manquement aux engagements pris dans la convention, avec le cas échéant des aides supplémentaires de l'État pour y déployer un RIP.

D'après le rapport annuel 2014 du plan France très haut débit, sur les 3583 communes de l'ancienne zone AMII : 53 % des locaux sont « engagés dans processus de signature » d'une CPSD (1764 communes), 35 % des locaux bénéficient d'une CPSD signée (1059 communes) et 18 % des locaux sont en cours de conventionnement (705 communes).

RÉPARTITION DE LA ZONE CONVENTIONNÉE

Compte tenu de l'état d'avancement de ces négociations, le terme de « zone à conventionner » décrirait mieux cette partie du territoire nationale . Deux ans après la mise à disposition de la convention-type, de nombreux territoires ne sont toujours pas couverts par une CPSD, tandis que certaines conventions signées ont une échelle ou des dispositions qui ne permettent pas de vérifier précisément le respect des engagements pris par les opérateurs. Le dispositif de conventionnement reste donc parcellaire.

Comme mentionné précédemment, la fusion Numericable-SFR va concentrer l'ensemble des efforts des opérateurs sur les territoires les plus denses de la zone privée. Cette nouvelle répartition des cartes entraîne une « dépriorisation » des investissements hors des zones très denses et des zones moins denses câblées . Ces évolutions suggèrent un renouvellement des projets des opérateurs, par rapport à ceux déclarés lors de l'AMII de 2011. Avant la fusion avec Numericable, SFR avait conclu des accords de répartition des déploiements en matière de primo-investissement et de cofinancement avec Orange sur la zone intermédiaire. Suite à l'absorption par Numericable, propriétaire d'un réseau de câble de près de 10 millions de prises, il est a priori certain que SFR ne déploiera pas de réseau FttH dans les communes dotées d'un réseau de câble, qu'il s'agisse de la zone très dense ou de la zone moins dense privée.

La signature par les opérateurs de certaines conventions était donc suspendue à la négociation d'un nouvel accord de partage des investissements entre Orange et Numericable-SFR. Après plusieurs mois de négociations, l'Autorité de la concurrence a pris acte de l'incapacité des deux principaux acteurs des déploiements FttH à aboutir à une nouvelle répartition des responsabilités dans la zone moins dense 33 ( * ) . Il est donc probable que les deux opérateurs, particulièrement Orange, choisissent sélectivement certaines parties de la zone AMII, compte tenu de leur rentabilité.

Une contractualisation précise des déploiements dans l'ensemble de l'ancienne zone AMII apparaît d'autant plus importante, afin de confirmer ou d'infirmer la détermination des opérateurs à déployer dans les territoires concernés . Alors que la fin de l'année 2015 approche, une grande partie de la zone d'initiative privée vit encore sur la base d'intentions d'investissement exprimées cinq ans plus tôt, sans certitudes sur leur crédibilité d'alors, et moins encore fin 2015.

Cette incertitude place les collectivités territoriales et les citoyens dans une situation de forte dépendance à l'égard de la stratégie commerciale des opérateurs privés . Afin de clarifier les perspectives de déploiement dans les territoires concernés, il est indispensable pour les élus locaux de disposer d'engagements clairs, vérifiables selon des échéances précises et assortis de conséquences fortes en cas d'inexécution.

L'objectif de l'AMII était de donner de la visibilité aux acteurs du déploiement, à la fois les opérateurs privés et les collectivités territoriales. Si vos rapporteurs soutiennent tout à fait la clarification des responsabilités, force est de constater que le conventionnement actuel ne couvre pas l'ensemble des zones concernées, et responsabilise très peu les opérateurs privés.

Les CPSD apparaissent comme un relai des intentions d'investissement. Malgré ce conventionnement, la principale faiblesse de l'AMII risque de se reproduire dans la zone conventionnée : une préemption de nombreuses zones intermédiaires par les opérateurs privés afin de prévenir dans les cinq années à venir tout mouvement perturbateur pour leur stratégie d'investissement , y compris lorsque la faible rentabilité de certaines de ces zones compromet en réalité toute venue des opérateurs.

Le conventionnement est donc susceptible de pérenniser cette situation favorable aux opérateurs , en prolongeant l'immobilisme imposé à l'action publique dans les zones concernées. Le Gouvernement vise un conventionnement intégral de la zone AMII d'ici la fin de l'année 2015. Il compte sur ce dispositif pour maintenir une pression publique sur l'ORC.

Vos rapporteurs estiment que seule une contractualisation dotée d'engagements précis, assortis de sanctions prises par le régulateur en cas d'inexécution, est susceptible de garantir véritablement une couverture en temps utile des territoires concernés . Cette contractualisation devrait être menée rapidement, d'ici le début de l'année 2016 . L'ensemble des commissions consultatives régionales d'aménagement numérique du territoire (CCRANT) devraient être réunies, afin d'évaluer la situation dans chaque territoire et de mener une campagne de contractualisation sur le territoire. Les CCRANT ont été précisément créées en 2011 afin de favoriser le dialogue entre opérateurs et collectivités, sous la présidence des préfets de région.

Les engagements doivent être précis afin de garantir une progression réelle de la couverture au fil des échéances fixées par cette contractualisation. À ce titre, la notion de logements « raccordables sur demande » prévu dans les conventions ne garantit pas un accès rapide au très haut débit. Un tel engagement limite la responsabilité de l'opérateur conventionné à mettre en place un point de mutualisation* (PM), sous la forme d'une armoire de rue distante des habitations, et à permettre un raccordement du PM au point de branchement optique* (PBO), proche de la prise terminale optique* (PTO), dans un délai de six mois suite à la demande d'un utilisateur.

Le bénéfice d'un monopole de déploiement accordé aux opérateurs privés doit également être lié à des contreparties, et à des conséquences en cas d'inertie prolongée . Pour être effectifs, ces contrats doivent être associés à des contraintes juridiques. C'était le sens de la proposition de loi portée par votre co-rapporteur en 2012, qui prévoyait de conférer au régulateur un pouvoir de sanction des opérateurs en cas de non-respect de leurs engagements 34 ( * ) . La seule conséquence du non-respect des conventions proposées aujourd'hui par le Gouvernement est la perte du monopole des déploiements, au terme d'une procédure complexe visant à constater une défaillance « caractérisée ». En d'autres termes, la préemption de la zone AMII n'a aucun coût significatif pour les opérateurs.

Inscrire ces projets dans une véritable contractualisation, en prévoyant des sanctions financières en cas d'inexécution, permettrait d'obtenir une information de la part des opérateurs : en cas d'impossibilité d'aboutir à un accord précis, l'État pourrait en déduire l'absence d'intérêt des opérateurs pour les zones concernées, mettant ainsi fin au monopole de l'initiative privée.

Ce processus faciliterait une redéfinition cohérente et actualisée des projets de déploiements des opérateurs. Il est en effet certain que les opérateurs ne déploieront pas un réseau FttH sur l'ensemble de la zone AMII. Cette contractualisation permettrait également de mieux connaître le besoin réel en financement public , vraisemblablement sous-estimé à ce jour par l'exclusion de secteurs de la zone AMII qui ne seront de fait pas couverts par la seule initiative privée.

Une telle contractualisation serait donc un outil de consolidation au service des collectivités territoriales, contrairement au conventionnement aujourd'hui proposé, qui s'apparente à un instrument de pérennisation du privilège accordé à l'initiative privée.

Proposition : exiger des opérateurs une confirmation de leurs projets de déploiements, d'ici le début de l'année 2016, par une contractualisation précise, assortie de sanctions financières prises par le régulateur en cas d'inexécution.

L'art de gouverner suppose de prévoir, et d'anticiper les difficultés éventuelles. Vos rapporteurs considèrent qu'il est de la responsabilité de l'État d'élaborer un « plan B » pour le déploiement du très haut débit dans la zone intermédiaire, en exploitant toutes les possibilités offertes par le cadre européen pour permettre une intervention publique . Les enjeux du très haut débit sont trop importants pour que la puissance publique reste passive face à la stratégie des opérateurs.

En cas de refus des opérateurs de s'engager dans une telle contractualisation, ou de défaillance persistante sur leurs engagements , la remise en question de l'impossibilité de déployer un RIP dans la zone dévolue à l'initiative privée serait cohérente avec le cadre européen ( I.B ). L'AMII ayant été organisé en 2011, le souhait des opérateurs de ne pas s'engager dans une contractualisation précise début 2016, ou un décalage excessif entre les intentions initiales et les engagements contractualisés, justifierait une remise en cause de l'interdiction d'intervention publique avec le soutien de l'État . Le soutien aux RIP intégrés ainsi mis en place devrait faire l'objet de dispositions plus précises dans le cahier des charges du FSN afin de préciser les conditions de cette aide. Dans la proposition de loi adoptée par le Sénat, votre co-rapporteur souhaitait précisément une extension du soutien de l'État aux projets des collectivités territoriales en cas de défaillance de l'initiative privée 35 ( * ) .

À cette perspective, le Gouvernement avait alors opposé l'existence d'intentions d'investissement déclarées par les opérateurs privés. Nos collègues Yves Rome et Pierre Hérisson notaient dans leur rapport de 2013 : « il est a priori difficile d'apporter la démonstration que le réseau NGA projeté sera insuffisant pour satisfaire la demande des citoyens et des utilisateurs dans la zone considérée. Il reste que cette démonstration n'est pas hors de portée ». À l'orée de l'année 2016, l'absence de déploiement effectif dans certaines parties de la zone AMII, et le refus des opérateurs de s'engager dans une contractualisation contraignante et assortie de sanctions financières, constitue une preuve de l'absence d'offre privée, aux dépens de l'accès des citoyens au très haut débit.

À ce titre, l'État doit assumer son rôle, au nom de l'aménagement du territoire. Si la révision des engagements des opérateurs devait conduire à une extension du périmètre des RIP, vos rapporteurs considèrent qu'il serait de la responsabilité de l'État d'accroître les subventions mobilisées pour soutenir les collectivités territoriales . Le Gouvernement ne peut pas défendre un objectif de couverture totale de la population sans mobiliser les ressources nécessaires.

Il s'agit pour l'État de donner aux collectivités territoriales les moyens de ses ambitions, au nom de l'intérêt général.

Proposition : permettre aux collectivités de déployer un réseau d'initiative publique avec le soutien financier de l'État dans la zone préemptée par les opérateurs, en l'absence de contractualisation ou en cas d'inexécution persistante.

Ainsi, les opérateurs seraient enjoints d'inscrire précisément leurs projets de déploiement dans des contrats juridiquement contraignants et assortis de pénalités financières en cas d'inexécution. Le maintien d'une préemption de ces zones intermédiaires par l'initiative privée ne saurait être dénué de toute contrepartie .

Si les opérateurs ne souhaitent pas s'engager dans ce processus ou si des défaillances majeures sont constatées dans la mise en oeuvre des contrats, l'insuffisance de l'offre privée serait constatée et l'État apporterait son soutien au déploiement d'un RIP dans les territoires concernés.

Ce dispositif permettrait de remédier à l'attentisme constatée dans une grande partie de la zone AMII , d'offrir aux élus locaux et aux citoyens une vraie visibilité sur les projets des opérateurs, et de donner aux collectivités territoriales concernées les moyens de couvrir rapidement leur territoire, sans dépendre de la stratégie discrétionnaire et fluctuante des grands opérateurs.

3. Un manque d'informations et de garanties sur la réalité des déploiements privés

Plusieurs organismes auditionnés ont attiré l'attention du groupe de travail quant au manque d'informations précises sur l'état des déploiements dans la zone d'initiative privée . Si la zone moins dense privée doit faire l'objet d'engagements et d'un suivi particulier, la zone très dense ne bénéficie pas d'une surveillance spécifique. Or la densité de la zone très dense n'est pas homogène . La présence de nombreuses « poches de basse densité » dans la zone très dense laisse présager un mitage des déploiements dans les zones supposées être les plus rentables.

Ce déficit de connaissance est incompatible avec une action publique efficace . Les porteurs de RIP s'interrogent légitimement sur l'avenir, car une défaillance réelle de l'offre privée pourrait nécessiter une extension du périmètre de l'action publique. La stratégie numérique du Gouvernement de 2013 soulignait la nécessité d'un suivi fin et régulier des engagements pris par les opérateurs. À ce jour, cette surveillance semble lacunaire.

Afin de tenir compte de ces disparités au sein même de la zone très dense, l'ARCEP a proposé un cadre pour renforcer la mutualisation des investissements des opérateurs privés lorsque la rentabilité attendue est moindre 36 ( * ) . Malgré ces recommandations, les opérateurs privés semblent peu dynamiques sur ces zones. Si certains opérateurs ont pris des engagements globaux sur la zone très dense - Orange ayant ainsi annoncé qu'il en couvrirait 100 % d'ici 2022 - l'homogénéité des déploiements dans cette zone reste inconnue. Faute d'information claire, les collectivités territoriales risquent de prendre la mesure de ces disparités tardivement. Il serait souhaitable que soit confiée à l'ARCEP une surveillance plus détaillée de la zone très dense, dont les données seraient rendues publiques en exigeant de la part des opérateurs des informations plus détaillées et harmonisées.

Le déploiement parcellaire sur la zone d'initiative privée crée également une problématique en termes de complétude des réseaux très haut débit. Le principe de complétude impose à tout opérateur déployant en zone moins dense de réaliser un réseau capillaire pour l'ensemble de la zone arrière du point de mutualisation, dans un délai raisonnable, à proximité immédiate des logements et locaux à usage professionnel.

L'ARCEP mène actuellement des travaux sur l'obligation de complétude, prévue pour les zones moins denses, qu'elles soient prises en charge par l'initiative privée ou l'initiative publique 37 ( * ) . Dans le cadre de cette modification de la réglementation, l'autorité envisage un assouplissement du principe, afin de faciliter les déploiements des différents opérateurs dans les zones moins denses. Vos rapporteurs sont attachés à l'homogénéité des déploiements et souhaitent que cet infléchissement éventuel du principe de complétude n'aggrave pas la dispersion des réseaux dans la zone d'initiative privée, et ne masque pas des coûts importants en les reportant sur les collectivités à un horizon indéterminé . Comme l'avaient noté l'ensemble des contributeurs lors de la consultation publique sur la décision de l'ARCEP relative aux zones moins denses, les territoires situés en dehors des zones très denses sont très hétérogènes.

La régulation doit créer un cadre favorable à une accélération des raccordements des utilisateurs, dans un délai raisonnable, en maîtrisant le nombre de logements raccordables sur demande. Si une évolution de la règle de complétude peut être nécessaire dans les territoires peu denses de la zone d'initiative publique, elle ne doit pas permettre aux opérateurs privés de viser des engagements de déploiement a minima dans la zone intermédiaire. L'État ne saurait interdire aux collectivités territoriales toute intervention en zone d'initiative privée, sans apporter de garantie sur la cohérence des réseaux mis en place par les opérateurs privés.

Le principe de complétude doit être modulé en fonction de la zone concernée . Dans la zone moins dense d'initiative privée, la rentabilité attendue devrait conduire à une obligation stricte de complétude pour les opérateurs, contrepartie logique de leur monopole de déploiement, afin de permettre à l'ensemble des logements et locaux d'accéder rapidement au très haut débit. Une définition exigeante de la complétude en zone d'initiative privée est un impératif d'aménagement numérique du territoire . En zone d'initiative publique, la variation élevée des coûts de déploiement devrait amener à privilégier une obligation proportionnée au territoire. La complétude doit être adaptée afin de faciliter le déploiement dans les territoires ruraux, et de favoriser l'obtention du statut de « zone fibrée » ( II.D ). Compte tenu de la part importante d'habitats isolés dans les territoires pris en charge par les collectivités territoriales, une application stricte du principe de complétude compromettrait la viabilité économique du déploiement de certaines plaques.

Proposition : veiller au respect du principe de complétude dans la zone intermédiaire et renforcer le suivi de l'État et du régulateur sur la progression et l'homogénéité des déploiements dans l'ensemble de la zone préemptée par les opérateurs.

Le cadre des déploiements dans la zone d'initiative privée crée un vrai risque de fragmentation de la couverture. La fracture numérique risque de s'étendre à toute une partie de cette zone , considérée comme prise en charge spontanément par les opérateurs, à partir de leurs déclarations. Dans la zone très dense, le manque d'informations sur l'étendue des déploiements et le traitement des poches de basse densité n'apportent pas d'assurance sur la complétude des plaques et la possibilité pour les utilisateurs d'être rapidement raccordés. Dans la zone moins dense, les faiblesses du conventionnement, couplées à l'impossibilité d'y déployer des réseaux d'initiative publique, exposent une partie significative de la zone AMII à une absence de très haut débit à un horizon d'au moins 5 ans.

Ni couverte par l'initiative privée, faute de rentabilité certaine, ni prise en charge par l'initiative publique, faute d'autorisation de l'État, toute une partie de la France périurbaine menace d'être privée d'un accès très haut débit à moyen terme . Le dispositif prévu en zone d'initiative privée est donc peu sécurisant pour les territoires concernés. La dispersion des déploiements dans la zone confiée aux opérateurs privés va préjudicier aux particuliers, mais également aux entreprises, le tissu économique étant souvent dense dans la zone d'initiative privée. L'absence d'accès de qualité à internet hypothèquera la compétitivité des activités concernées.

Le traitement de la zone d'initiative privée confirme, si cela était encore nécessaire, une réelle divergence entre l'intérêt général et les intérêts privés, qui structurent pourtant une grande partie des déploiements et conditionnent l'intervention publique.


* 30 On compte 3,77 millions de prises sur le câble modernisé situées hors des zones très denses.

* 31 Proposition de loi n° 802 relative au diagnostic de performance numérique , de MM. Hervé Maurey et Bruno Sido, déposée au Sénat le 22 septembre 2011.

* 32 Rapport d'information du Sénat n°730 - Session ordinaire 2010-2011 - « Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes » - Hervé Maurey.

* 33 Communiqué de l'Autorité de la concurrence du 30 juillet 2015 : « L'Autorité ne donnera pas de délai supplémentaire pour prolonger les discussions entre  Orange et Numericable-SFR sur l'échange de zones de déploiement ».

* 34 Article 12 de la proposition de loi n°118 visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, adoptée par le Sénat le 14 février 2012.

* 35 Article 11 de la proposition de loi n°118 visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, adoptée par le Sénat le 14 février 2012

* 36 Recommandations de l'ARCEP du 14 juin 2011 relative aux modalités de l'accès aux lignes à très haut débit en fibre optique pour certains immeubles des zones très denses, notamment ceux de moins de 12 logements, et du 21 janvier 2014 relative aux modalités de l'accès aux lignes à très haut débit en fibre optique pour les immeubles de moins de 12 logements ou locaux à usage professionnel des zones très denses.

* 37 Consultation publique sur le projet de recommandation de l'ARCEP sur la mise en oeuvre de l'obligation de complétude des déploiements des réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné en dehors des zones très denses ouverte du 29 juin au 18 septembre 2015.

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