C. LA RELANCE DE LA CROISSANCE

La crise économique et financière de 2008 a contribué à exacerber les difficultés que rencontrait l'Italie depuis le début des années 1980 : croissance faible, rigidité des marchés des biens, des services et du travail, niveau élevé de sa dette et des dépenses publiques. Dans un contexte de tensions sur le marché obligataire européen lié aux crises grecque, irlandaise et portugaise, l'Italie s'est retrouvée confrontée fin 2011 à une augmentation de ses coûts de refinancement - les taux à 10 ans dépassent alors 7 % -, conduisant le pays à un changement politique avec la démission du gouvernement de Silvio Berlusconi et la mise en place d'un gouvernement dit technique, dirigé par l'ancien commissaire européen, Mario Monti. La première des missions assignée à celui-ci a consisté à entreprendre des réformes structurelles, destinées tout à la fois à juguler les pesanteurs de l'économie italienne et contribuer à détendre les taux. L'Italie bénéficiera, à ce titre, de l'annonce par la Banque centrale européenne du programme de rachat de titres illimité OMT en juillet 2012. Le gouvernement Letta, issu des élections générales de février 2013, puis le gouvernement Renzi nommé un an plus tard vont poursuivre dans cette voie, rendue plus délicate par le retour de la récession depuis 2012.

Croissance du Produit intérieur brut (2008-2016)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

(estimation)

2016

(estimation)

- 1 %

- 5,5 %

+ 1,7 %

+ 0,6 %

- 2,8 %

- 1,7 %

- 0,4 %

+ 1%

+ 1,6 %

Sources : Eurostat, Banque d'Italie et Gouvernement italien

1. Une réforme du marché du travail au long cours

La double récession que vient de traverser l'Italie (2008-2009 puis 2012-2014) s'est logiquement accompagnée d'une augmentation du chômage, passant de 6,7 % de la population active en 2008 à 12,7 % en 2014. Ce doublement du nombre de personnes sans emploi a été exacerbé par les rigidités observées sur le marché du travail.

Une réforme de celui-ci a pourtant été initiée par le gouvernement Monti via une ambitieuse réforme des régimes des retraites. Il convient de rappeler que les dépenses vieillesse représentaient en Italie 13,1 % du PIB avant la crise, bien au-dessus de la moyenne européenne (10,1 %). La loi n°214 du 22 décembre 2011 « Sauver l'Italie » ( Salva Italia ) propose ainsi une refonte complète du système d'assurance vieillesse :

- l'âge légal de départ en retraite est porté de 65 à 66 ans pour les hommes et de 60 à 66 ans (à l'horizon 2018) pour les femmes ;

- la retraite peut être atteinte par limite d'âge (70 ans, âge pouvant être ajusté à terme en fonction de l'espérance de vie) ou de façon anticipée, si le retraité justifie de 42 ans et 2 mois de cotisation (41 ans et 2 mois pour une femme) ;

- les conditions d'âge et de durée de cotisation sont indexées sur l'espérance de vie. L'âge légal de départ devrait ainsi être porté à 67 ans à l'horizon 2019 ;

- les pensions supérieures à 935 euros mensuelles sont désindexées de l'inflation et les pensions les plus élevées ont été soumises, en 2014, à une contribution exceptionnelle.

L'objectif poursuivi par les autorités italiennes est de porter l'âge moyen de départ en retraite établi à 61 ans en 2010 à 64 ans en 2020, 67 ans en 2040 puis 68 ans en 2050. Une économie annuelle pour le budget annuel correspondant à 1,2 % du PIB est également escomptée.

Au-delà de la durée d'activité, le gouvernement Monti a également fait adopter la loi n° 92 du 28 juin 2012 dite réforme Fornero, visant cette fois-ci le marché du travail 16 ( * ) . Elle répondait à plusieurs objectifs :

- simplifier et réduire le nombre de type de contrats de travail, qui passe de 46 à 8 et faciliter le recours au contrat à durée déterminée ;

- réduire l'insécurité juridique liée au licenciement en évitant notamment la réintégration au poste de travail ;

- favoriser l'apprentissage via une exonération des cotisations sociales portant sur les contrats d'apprentissage signés dans les entreprises de moins de dix salariés entre 2012 et 2016 ;

- encourager le recours aux contrats à durée indéterminée, via une surtaxe sur les contrats à durée déterminée ;

- réformer le service public de l'emploi, via une modernisation de l'assurance chômage (ASPI) et un renforcement de l'accompagnement des chômeurs.

Parallèlement à cette réforme, des accords interprofessionnels, signés en 2011 et 2012, ont permis la décentralisation des négociations salariales au niveau de l'entreprise. Reste que cette réforme n'a pas eu l'effet attendu sur le chômage. C'est dans ce contexte que le gouvernement Renzi a présenté en mars 2014 un nouveau dispositif, le Job acts , qui reprend le concept de « flexisécurité ». Il comprend deux volets.

Le premier prévoit une augmentation de la durée des contrats à durée déterminée de 12 à 36 mois, l'obligation d'observer un délai minimum entre deux contrats de ce type étant supprimée (il était compris entre 60 et 90 jours). Les entreprises ne peuvent, par ailleurs, compter plus de 20 % de ce type de contrats dans leurs effectifs. Les formalités administratives sont, par ailleurs, allégées. Le recours à l'apprentissage est parallèlement simplifié, l'obligation d'embauche étant supprimée.

Le second volet a suscité un certain nombre d'oppositions, politiques et sociales, conduisant le gouvernement à engager sa responsabilité devant le Sénat en octobre 2014. Le texte adopté définitivement en décembre 2014 instaure un contrat à durée indéterminée à protection croissante, le licenciement étant facilité au cours des trois premières années. Le nouveau dispositif prévoit la modification du poste de travail dans le cadre d'une restructuration, le salaire étant sauvegardé. L'obligation de réintégration en cas de licenciement abusif est, quant à elle, supprimée. Un salaire minimum est désormais garanti dans les secteurs ne disposant pas de conventions collectives alors que l'indemnisation du chômage s'applique désormais à tous les salariés, avec obligation de formation et possibilité de sanction en cas de défaut d'implication ou de refus d'offres d'emploi. Les cotisations seront, en outre, modulées en fonction du secteur d'activité et du taux de recours à l'assurance chômage. Le texte prévoit la création d'une Agence nationale pour l'emploi.

L'ensemble du dispositif est entré en vigueur en mars dernier. Depuis septembre 2014, l'Italie a créé 235 000 emplois dont 100 000 depuis le début de l'année 2015. Les exonérations de cotisations sociales et de taxe professionnelle comme la réforme du marché du travail ont eu un effet indéniable sur l'augmentation du nombre de contrats à durée indéterminée (+ 24 % sur un an) et contribué à une inversion de la courbe du chômage, qui atteignait 11,8 % de la population active en septembre 2015, contre 12,7 % en décembre 2014. Une cinquantaine de décrets d'application restent néanmoins à adopter en vue d'une mise en oeuvre complète du dispositif.

Il convient de ne pas mésestimer le volet économique de la réforme scolaire « La buonascola », adoptée en juillet dernier qui prévoit notamment l'alternance école-travail dans toutes les filières au lycée, l'apprentissage des nouvelles technologies et un enseignement en anglais dès l'école primaire 17 ( * ) .

Le projet de loi de finances pour 2016 aborde, quant à lui, la question de l'emploi des seniors en introduisant la possibilité d'une retraite anticipée à mi-temps dans le secteur privé, à partir de 63 ans. L'entreprise verserait alors les cotisations retraites directement au salarié.

2. Créer les conditions d'une reprise de l'activité

Les gouvernements Monti, Letta puis Renzi ont multiplié les réformes du marché du travail et les mesures destinées à libéraliser les marchés des biens et services, à améliorer le climat des affaires et garantir la sécurité financière des entreprises. Un accent particulier est également mis sur l'investissement. Cette stratégie est pour l'heure payante puisqu'après trois années de récession, la croissance devrait atteindre 1 % fin 2015, soit un taux supérieur escompté par le gouvernement italien en juillet dernier (0,7 %).

a) La libéralisation de l'économie

La loi « Sauver l'Italie » de la fin 2011 puis le décret « Faire croître l'Italie » ( Cresci Italia ) du 20 janvier 2012 ont permis d'ouvrir à la concurrence services commerciaux et professions réglementées. Ces textes consacrent la liberté de fixation des horaires d'ouverture pour les commerces et la suppression de restrictions géographiques les visant. Au plan judiciaire, des tribunaux de commerce spécialisés sont mis en place et les pouvoirs de l'autorité de la concurrence renforcés. En ce qui concerne les professions réglementées, les tarifs fixes sont supprimés pour un certain nombre de professions (notaires, avocats), l'ouverture de nouveaux offices notariaux et de pharmacies est favorisée. La loi permet également la vente de médicaments sans ordonnance en dehors des pharmacies. Les textes prévoient une réforme du calcul des tarifs de l'énergie en vue d'une libéralisation du secteur, la mise en place d'une autorité de régulation des transports destinée notamment à favoriser l'offre de taxis, réguler les tarifs autoroutiers et réviser les concessions autoroutières.

Le gouvernement Renzi a présenté, le 20 février dernier, une nouvelle étape dans cette direction visant à la suppression des interdictions de publicité pour les notaires, la fin du monopole notarial pour les transactions inférieures à 100 000 euros, l'obligation, pour les avocats, de présenter un devis aux clients ou la possibilité pour des sociétés de capitaux de constituer des pharmacies. La libéralisation du marché de l'énergie est reportée à 2018. Le gouvernement a retiré son projet de suppression du monopole des pharmacies sur la vente de médicaments sur ordonnance non remboursés et n'a finalement pas abordé la question des véhicules de tourisme avec chauffeur.

b) Un climat des affaires amélioré

Le décret-loi n° 83 du 22 juin 2012 « Développement »( Sviluppo ) a constitué une première étape en vue d'adapter la procédure judiciaire à l'activité économique, via une réforme de la loi sur la faillite.

La loi n° 162 du 10 novembre 2014 portant réforme de la justice poursuit dans cette voie en permettant notamment une réduction des délais judiciaires, via la création de voies procédurales expresses en matière commerciale (mais aussi familiale) et en favorisant la déjudiciarisation de certains contentieux. Le délai pour obtenir un règlement dans un différend commercial était estimé à 1 210 jours en 2012. Un accent est également mis sur la lutte contre la délinquance économique et la corruption, dans un contexte marqué par l'affaire « Mafia capitale » qui visait la municipalité de Rome. La loi n° 69 du 21 mai 2015 prévoit ainsi une majoration des peines et des délits de prescription pour les délits de corruption et de falsification de la comptabilité.

Le gouvernement a également présenté le 10 février 2015 une nouvelle loi dans ce domaine. Elle prévoit notamment le renforcement des compétences des tribunaux des entreprises et la réduction des délais de procédure.

c) Une sécurité financière des entreprises renforcée ?

Le système bancaire italien a, dans un premier temps, mieux résisté à la crise des subprimes que celui des pays de la périphérie de l'Union européenne (Grèce, Irlande, Espagne, voire Portugal). Sa faible exposition au risque immobilier et son attrait pour le financement de l'activité industrielle locale l'en prémunissait. Le ralentissement de l'activité économique en deux temps a, cependant, contribué à fragiliser sa bonne santé. Les prêts toxiques représentent ainsi aujourd'hui 20 % des encours. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de constater à partir de la fin 2011 une baisse des prêts en volume et une augmentation des taux d'intérêt fragilisant la sécurité financière des entreprises.

C'est dans ce contexte que le gouvernement Renzi a entrepris une réforme des banques populaires. La loi n° 33 du 24 mars 2015 prévoit que ces sociétés coopératives deviennent sociétés anonymes dès lors que leurs actifs dépassent 8 milliards d'euros. Dix banques sont concernées. Le dispositif devrait permettre de favoriser leur regroupement et l'entrée de nouveaux investisseurs dans leur capital. La même loi prévoit, par ailleurs, la constitution d'une société par actions pour la patrimonialisation et la restructuration des entreprises dont le siège est en Italie. Cette société est destinée à investir dans les entreprises italiennes dotées de bonnes perspectives industrielles mais qui connaissent des difficultés. Par ailleurs, la Caisse des dépôts et participations pourra accorder des crédits.

La loi n° 116 du 11 août 2014 « compétitivité » s'inscrit dans la lignée de la loi n° 92 du 9 août 2013 « Faire » ( Fare ) présentée par le gouvernement Letta. Il prévoit un certain nombre de dispositions fiscales destinées à favoriser l'accroissement des fonds propres, l'introduction en bourse, l'ouverture du capital et la libéralisation du crédit, via les sociétés d'assurances, les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) ou les produits de titrisation.

De son côté, le décret-loi « Justice pour la croissance » du 27 juin 2015 simplifie et accélère le droit de la faillite et prévoit, pour les banques et les compagnies d'assurance, la déductibilité des pertes pour créances douteuses du calcul de l'IRES et de l'IRAP. L'ambition affichée derrière cette mesure, demandée à par le secteur bancaire et appuyée par la Commission européenne, le Fonds monétaire international et l'OCDE, est de contribuer à la relance des prêts aux entreprises. Il convient de relever que le texte ne vaut que pour les nouvelles créances douteuses.

La loi de juin 2012 « Développement » avait, par ailleurs, ouvert le marché des capitaux aux sociétés non cotées, en prévoyant l'émission d'instruments de dette à court et moyen termes. Le décret « Faire croître l'Italie » avait, en outre, permis la création de sociétés à responsabilité limitée à capital réduit (Srls) pour les entrepreneurs de moins de 35 ans. Le capital peut être limité à un euro et les formalités de création sont simplifiées.

Le gouvernement Renzi a, enfin, repris les dispositions adoptées par le gouvernement Letta en ce qui concerne l'apurement des dettes de l'administration publique. Une enveloppe de 56 milliards d'euros a été ainsi dégagée sur laquelle 38,7 milliards d'euros ont déjà été reversés. Un décret adopté le 11 janvier 2015 prévoit un décaissement de 2,85 milliards d'euros supplémentaires afin de permettre aux collectivités locales de rembourser leurs arriérés de paiement au 31 décembre 2014. Le gouvernement souhaite parallèlement ramener le délai de paiement de 180-190 jours à 30 jours. La facturation électronique pour les administrations publiques est, quant à elle, obligatoire depuis le 31 mars dernier.

d) L'investissement encouragé

Les tensions observées sur les marchés à l'égard de la dette italienne en 2011 et 2012 ont contribué à une fuite des investissements directs étrangers de l'ordre de 95 milliards d'euros sur deux ans.

Le gouvernement Monti a souhaité immédiatement réagir avec les lois « Développement » ou « Faire croître l'Italie ». Il a ainsi restructuré l'Institut du commerce extérieur et de l'Institut pour le Tourisme (ENIT) et lancé une nouvelle agence pour la promotion à l'étranger et l'internationalisation des entreprises italiennes. Ce soutien à l'internationalisation est également passé par la mise en place de consortiums ayant pour but la promotion du « Made in Italy », ouvert aux banques, entreprises et entités publiques. L'arme fiscale a été utilisée avec le développement du crédit impôt-recherche, repris par le gouvernement Renzi dans la loi de finances 2015. Celui-ci consiste en un mécanisme de patent box , destiné à alléger la fiscalité des entreprises tirant leurs revenus de brevets. Son extinction est prévue en décembre 2019.

Le gouvernement Renzi a également souhaité lancer plusieurs grands chantiers. Il a ainsi adopté le 3 mars 2015 une stratégie pour le haut-débit et la croissance numérique 2014-2020, qui s'appuie notamment sur les fonds européens (Plan Juncker). 6 milliards d'euros sont d'ores et déjà dégagés par les autorités italiennes. L'objectif est d'élargir un peu plus l'accès à internet d'ici 2020, la population devant être couverte à 100 % à cette date. La loi du 11 novembre 2014 « Débloquer l'Italie » ( Sblocca Italia ) prévoit par ailleurs le déblocage de 3,9 milliards d'euros en vue de financer 31 projets stratégiques destiné à soutenir le « Made in Italy » et attirer des investissements étrangers.

Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit en outre un plan pour le sud du pays dont le montant total n'a pas été précisé. Le financement de l'autoroute entre Salerno et Reggio di Calabria est ainsi concerné, 450 millions d'euros devant servir au développement de la région de Campanie. Il convient de rappeler que la situation du Mezzogiorno, le sud du pays, diverge de celle du nord (Piémont) ou même du centre (Toscane). La croissance de l'activité dans cette région ne devrait atteindre que 0,1 % en 2015. Le gouvernement entend, par ailleurs, mettre en place un plan « pauvreté » doté de 600 millions d'euros en 2016 puis 1 milliard d'euros en 2017.


* 16 La réforme reprend le nom d'Elsa Fornero, ministre du travail au sein du gouvernement Monti.

* 17 Le dispositif prévoit également la titularisation de 100 000 enseignants en situation précaire, l'instauration d'une rémunération au mérite, le renforcement de l'autonomie des établissements et du pouvoir de décision des proviseurs, la rénovation et la modernisation des établissements scolaires, la construction d'un établissement modèle par région. Le gouvernement a dû mettre en jeu sa responsabilité sur ce texte devant le Sénat pour faire adopter ce dispositif.

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