Rapport d'information n° 300 (2015-2016) de M. Jean BIZET , Mme Gisèle JOURDA , MM. Daniel RAOUL et Simon SUTOUR , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 14 janvier 2016

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N° 300

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 janvier 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la rencontre entre les commissions des affaires européennes du Sénat de la République française et du Bundesrat de la République fédérale d' Allemagne ,

Par M. Jean BIZET, Mme Gisèle JOURDA, MM. Daniel RAOUL et Simon SUTOUR,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

INTRODUCTION

L'Union européenne est aujourd'hui confrontée à une double crise d'une importance sans précédent, qu'il s'agisse du défi migratoire auxquels font face les États membres depuis plusieurs mois ou du terrorisme djihadiste qui a frappé plusieurs capitales européennes au cours de l'année 2015. De tels événements appellent des réponses fortes de la part de l'Union. Elle sera également appelée à prendre dans les prochains mois des décisions dans les dossiers stratégiques que sont le traité de libre-échange avec les États-Unis, le projet d'Union de l'énergie et le marché unique du numérique.

C'est dans ce contexte, que sous la présidence de M. Jean Bizet, président, une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat, composée de Mme Gisèle Jourda et de MM. Daniel Raoul et Simon Sutour, s'est rendue à Berlin le jeudi 17 décembre 2015 pour entendre conjointement, lors d'une session de travail commune avec la commission des questions de l'Union européenne du Bundesrat, M. Dimitris Avramopoulos, commissaire en charge des affaires intérieures et des migrations, et M. Neven Mimica, commissaire en charge de l'aide au développement et de la coopération.

Elle fut accueillie à Berlin, au siège du Bade-Wurtemberg, par M. Peter Friedrich, représentant plénipotentiaire du Land de Bade-Wurtemberg auprès de l'État fédéral et président de la commission des questions de l'Union européenne.

Après l'audition des deux commissaires européens, au Bundesrat, la session de travail commune s'est poursuivie avec un échange de vues sur l'actualité de l'Union européenne qui s'est conclu par l'adoption de deux déclarations communes : l'une concernant la crise des migrants en Europe, l'autre la lutte contre le terrorisme en Europe.

I. L'ALLEMAGNE ET SES RELATIONS AVEC LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE

A. UNE STABILITÉ POLITIQUE ET ECONOMIQUE

1. Le cadre institutionnel et politique

La République fédérale d'Allemagne est un État fédéral composé d'une Fédération (le Bund) et de 16 États fédérés (les Länder). Chaque Land possède sa propre Constitution, son Parlement élu au suffrage universel direct, son système judiciaire, son administration et ses moyens financiers. Son indépendance est garantie par la « Loi fondamentale pour la République fédérale d'Allemagne ».

Le Parlement élu de chacun des Länder désigne un ministre-président (ou un Oberbürgermeister dans les villes-états comme Hambourg ou Brême) comme chef de l'exécutif de l'État fédéré.

La Fédération est représentée par le Président de la République fédérale, le gouvernement fédéral, le Bundestag, le Bundesrat ainsi que la Cour constitutionnelle fédérale. La Loi fondamentale détermine les domaines qui relèvent de sa compétence exclusive : la nationalité, la politique étrangère, la défense, la politique monétaire, le crédit et la monnaie, le trafic aérien, les postes et télécommunications, etc. Mais les Länder peuvent intervenir si la loi fédérale le prévoit.

Relèvent au contraire de la juridiction des États fédérés : la police, le droit communal, l'enseignement, les médias, la culture et l'exercice des cultes. Par ailleurs, des « Prescriptions- cadres » fédérales ont transféré aux Länder des domaines de législation tels que l'enseignement supérieur, l'aménagement du territoire, la protection de la nature et la conservation des sites. Une importante réforme constitutionnelle adoptée en 2006 a toutefois limité les transferts de compétence en direction des États fédérés.

Aux termes de la loi fondamentale, les Länder peuvent aussi, en l'absence d'intervention de la Fédération, légiférer dans les domaines de compétence concurrente suivants : droit civil, droit pénal, droit économique, droit du travail, droit des sols, droit des étrangers, politique du logement, circulation routière et gestion des déchets. Dans certains de ces domaines, la Fédération ne peut légiférer que s'il existe un besoin de réglementation uniforme à l'échelle de l'État fédéral. Il s'agit de compétences subsidiaires.

On soulignera encore que les États fédérés ont bien sûr la responsabilité de faire appliquer les décisions fédérales sur leur territoire. Ils peuvent aussi lever l'impôt et se partagent, au demeurant, environ 36 % du produit des impôts perçus à l'échelon fédéral.

Deux grands mouvements dominent, traditionnellement, la vie politique allemande : la CDU-CSU c'est-à-dire l'Union démocrate-chrétienne et son alliée bavaroise l'Union sociale chrétienne (créditée aujourd'hui, selon les sondages, de 37 à 41 % des intentions de vote), et le SPD c'est-à-dire le parti social-démocrate (crédité aujourd'hui, selon les sondages, de 24 % environ des intentions de vote). Il faut encore citer le FDP ou parti libéral (crédité aujourd'hui, selon les sondages, de 5 % des intentions de vote) qui s'associe souvent aux coalitions, les Verts (crédités de 10 % des intentions de vote) et le parti « héritier » du parti socialiste est-allemand, Die Linke (crédité de 9 % des intentions de vote). Enfin, le parti AfD ( Alternative für Deutschland - Alternative pour l'Allemagne), créé en février 2013 sur des bases anti-européennes et anti-immigration, récolterait, selon les sondages, 7 % des intentions de vote si les élections fédérales avaient lieu aujourd'hui.

À l'issue des élections législatives du 22 septembre 2013, une « Grande Coalition » (la troisième dans l'histoire de l'Allemagne fédérale) associant la CDU-CSU et le SPD a été constituée. Cette « Grande Coalition » dispose de 504 députés sur 631 au Bundestag soit 80 % des voix.

Il faut encore noter qu'à la suite des élections régionales de septembre 2014 en Thuringe, c'est un gouvernement de coalition « Die Linke , SPD et Verts » (« Rouge - rouge - Vert ») qui assure la direction du Land.

2. Le rôle spécifique du Bundesrat

Le Bundesrat incarne un « Parlement des gouvernements des États fédérés » dont le rôle constitutionnel, souvent décisif, témoigne du caractère fédéral de l'État allemand. Aux termes de l'article 50 de la Loi fondamentale, « par l'intermédiaire du Bundesrat, les Länder concourent à la législation et à l'administration de la Fédération et aux affaires de l'Union européenne. » Le Bundesrat est, de fait, l'un des cinq organes constitutionnels permanents de la République fédérale d'Allemagne aux côtés du Président de la République fédérale, du Bundestag, du gouvernement fédéral et de la Cour constitutionnelle fédérale.

Le Bundesrat est l'organe constitutionnel fédératif par l'intermédiaire duquel les seize Länder participent directement, en leur qualité d'États membres, à la formation de la « volonté politique » de la Fédération qui profite, ainsi, de l'expérience politique et administrative des Länder. Il est à la fois une chambre fédérale qui représente les Länder et une chambre des Länder à l'échelle fédérale. Ainsi cette institution doit défendre les priorités des Länder tout en respectant les besoins de l'État central. De fait, elle est considérée comme un trait d'union entre la Fédération et les Länder.

Le Bundesrat, fédéral et fédératif, représente tous les États membres d'une façon pondérée. Aux termes de l'article 51, alinéa 2, de la Loi fondamentale : « Chaque Land a au moins trois voix, les Länder qui comptent plus de deux millions d'habitants en ont quatre, ceux qui comptent plus de six millions d'habitants en ont cinq, ceux qui comptent plus de sept millions d'habitants en ont six. »

Le Bundesrat compte donc 69 membres titulaires (soit 170 délégués en ajoutant les membres suppléants qui jouissent de droits égaux) et dispose d'autant de voix. La majorité absolue généralement requise pour les décisions est ainsi de 35 voix, la majorité des 2/3 (soit 46 voix) étant parfois nécessaire pour certaines votations.

En constituant un puissant contrepoids au Bundestag, le Bundesrat témoigne de la répartition et de l'équilibre des pouvoirs voulus par la Loi fondamentale au sein de l'État fédéral allemand. Grâce aux expériences administratives des Länder dont il est le porte-parole (même s'il est aussi le trait d'union entre les États fédérés et les organes fédéraux), il peut apporter une contribution décisive à la qualité et à l'« applicabilité » des lois fédérales.

Le caractère fédéral de l'État confère au Bundesrat une forte légitimité dans l'ensemble du système constitutionnel allemand. Entre le Bundestag et le Bundesrat, le nombre de conflits irrésolus reste faible.

a) Le mode de fonctionnement du Bundesrat

Aux termes de l'article 51, alinéa 1, de la Loi fondamentale : « Le Bundesrat se compose de membres des gouvernements des Länder, qui les nomment et les révoquent ». Seuls les ministres-présidents et ministres des Länder, ainsi que les maires et ministres des villes-États de Berlin, Brême et Hambourg, sont autorisés à être membre du Bundesrat. Cette institution est donc bien « un Parlement des gouvernements des Länder ». Il n'existe donc pas de « législature » pour le Bundesrat. Constitutionnellement, il s'agit d'un « organe permanent » qui se renouvelle régulièrement avec les élections des parlements régionaux ce qui confère toute sa légitimité démocratique à l'institution.

Si le Sénat français est à bien des égards l'émanation des communes, le Bundesrat est bien, en ce qui le concerne, l'émanation des régions ou plutôt des États de la Fédération.

Il est important de souligner que les voix de chaque Land ne peuvent être exprimées que globalement ; les différents membres du Bundesrat pris isolément ne peuvent pas exercer librement leur mandat. Une ligne de conduite uniforme est élaborée en commun au sein du Conseil des ministres de chaque Land. Si les représentants ne parviennent pas à s'accorder, le vote de ce Land sera considéré comme nul.

L'assemblée plénière du Bundesrat se réunit habituellement toutes les trois semaines (donc 13 fois par an environ) le vendredi à 9h30 pour tenir ses séances publiques. L'ordre du jour peut comporter en moyenne de 40 à 50 points. Mais les débats sont généralement consacrés à une ou deux grandes questions qui font l'objet de discussions approfondies. Les autres points sont simplement présentés par les orateurs qui se contentent d'expliquer les décisions de leur gouvernement.

Le calendrier des séances plénières présente quelques particularités notables : il est fixé d'avance pour l'année civile en fonction des semaines de séance du Bundestag. Les projets de loi du Gouvernement fédéral (l'essentiel de la législation, comme en France) sont généralement transmis au Bundesrat six semaines avant cette date butoir, le Bundestag, pour sa part, lui faisant parvenir ses propositions trois semaines à l'avance.

Mais l'essentiel de l'activité parlementaire se concentre dans le travail des seize commissions au sein desquelles chaque Land délègue un membre (donc, sans pondération démographique comme à l'assemblée plénière) et y dispose d'une voix.

Les commissions examinent, comme en France, les projets de loi déposés par le gouvernement fédéral, les propositions de loi déposées par le Bundestag ou le Bundesrat, plus rarement les propositions de loi élaborées par des Länder. Elles doivent avoir terminé leurs délibérations deux semaines avant la séance plénière

b) Le rôle législatif du Bundesrat

Les missions dont s'acquitte le Bundesrat concernent la législation, l'administration et la politique européenne de l'Allemagne.

Tout d'abord, le Bundesrat « prend position », en tout début de procédure, sur tous les projets de loi émanant du Gouvernement fédéral. Dans la procédure législative française on insiste souvent sur le « dernier mot » de l'Assemblée nationale. Dans le cas du Bundesrat, il s'agit d'un signal important qui laisse présager de ce que sera son « dernier mot » au cours de l'examen en seconde lecture. Tout projet de loi fédéral est donc transmis, en premier lieu, au Bundesrat à l'exception du projet de budget qui est soumis parallèlement au Bundesrat et au Bundestag.

Le projet de loi, la « prise de position » du Bundesrat ainsi que la « réplique » du gouvernement fédéral sont alors déposés au Bundestag.

En seconde lecture, si le Bundesrat n'est pas d'accord avec un texte de loi adopté par le Bundestag, il peut, dans un délai de trois semaines, saisir la « commission de médiation ».

Cette instance est une commission commune dans laquelle le Bundestag et le Bundesrat sont représentés par un nombre égal de membres : chacun des 16 Länder y détient un siège, l'autre moitié de la commission étant constituée par le Bundestag, qui définit l'attribution de ces 16 sièges au prorata des effectifs des groupes parlementaires.

Il convient maintenant d'évoquer la distinction importante entre les lois « d'approbation » (par le Bundesrat) et les lois « pouvant faire l'objet d'une opposition » (de la part du Bundesrat).

Les lois « d'approbation » ne peuvent entrer en vigueur que si le Bundesrat les approuve expressémen t. En cas de veto de celui-ci, le seul recours possible du Bundestag ou du Gouvernement fédéral consiste à saisir la commission de médiation évoquée plus haut pour entreprendre une tentative de conciliation. Les lois « d'approbation », qui constituent à peu près la moitié des projets fédéraux, peuvent être rangées, aux termes de la Loi fondamentale, en trois catégories :

- les lois portant modification de la Constitution : l'approbation du Bundesrat étant alors requise à la majorité des deux tiers ;

- les lois mettant en cause, d'une façon ou d'une autre, les finances des Länder ;

- les lois (catégorie la plus importante) touchant l'autonomie organisationnelle et administrative des Länder).

Les lois « pouvant faire l'objet d'une opposition » de la part du Bundesrat (environ 50 % de l'ensemble) sont soumises au « parcours » suivant. Lorsque le Bundesrat fait « opposition » dans un délai de deux semaines à l'issue de la procédure de médiation, le Bundestag est tenu de délibérer une nouvelle fois sur le texte en question. Il peut rejeter à la majorité absolue l'opposition que le Bundesrat a lui aussi votée à la majorité absolue. Si l'opposition du Bundesrat a été votée à la majorité des deux tiers, le Bundestag ne pourra la rejeter qu'avec deux tiers des suffrages exprimés et à la condition que ces voix représentent au moins la majorité des membres du Bundestag. Si l'opposition est rejetée, la loi concernée peut entrer en vigueur.

Pour cette catégorie de lois, le Bundestag bénéficie donc d'une forme de « dernier mot » semblable, dans son principe, à celui de l'Assemblée nationale française mais avec certaines conditions de majorité.

Lorsque la commission de médiation est saisie, par exemple par le Bundesrat (cette assemblée peut en effet la saisir de toutes les lois adoptées par le Bundestag, alors que le Bundestag et le Gouvernement fédéral ne peuvent la convoquer que si le Bundesrat a rejeté une loi « d'approbation »), la commission de médiation peut aboutir à l'une des quatre propositions suivantes :

- la commission recommande d'amender la loi adoptée par le Bundestag, c'est-à-dire de reformuler, compléter ou supprimer les dispositions rejetées par le Bundesrat ;

- la loi adoptée par le Bundestag est entérinée. Les amendements proposés par le Bundesrat sont par conséquent rejetés ;

- la commission demande au Bundestag de retirer la loi qu'il a adoptée. Ce cas survient lorsque le Bundesrat rejette l'ensemble du texte et parvient à faire prévaloir sa position au sein de la commission de médiation ;

- la procédure est close sans avoir abouti à une proposition de compromis. Ce qu'elle représente lorsque la parité des voix a empêché qu'une majorité se dégage à la commission de médiation.

c) Le rôle réglementaire du Bundesrat

Le Bundesrat « concourt » à l'administration de la Fédération en approuvant les règlements qui sont des décrets d'application de la loi. Son approbation est requise pour la plupart des règlements émis par le gouvernement fédéral et par certains ministres fédéraux.

Le Bundestag n'intervient, ici, que dans des cas exceptionnels. Les domaines de ces règlements nécessitant l'approbation expresse du Bundesrat sont très divers : code de la route, règlement fédéral sur la protection des espèces de faune et de flore, règlement sur les substances dangereuses, etc.

Tout comme les règlements, de nombreuses « prescriptions administratives générales » sont soumises à l'approbation du Bundesrat chaque fois que ces textes « impactent » les compétences des Länder. Il en a été, ainsi, par exemple pour le système pouvant entraîner le retrait du permis de conduire.

d) Le rôle européen du Bundesrat

Une des dernières missions très importantes du Bundesrat concerne les projets de règlements et de directives de l'Union européenne .

Il faut distinguer deux situations :

- lorsque les projets de textes européens portent sur des sujets relevant de la compétence de la Fédération, le gouvernement fédéral est tenu simplement de « prendre en considération » l'avis du Bundesrat pour ses « positions » à Bruxelles ;

- lorsqu'au contraire les pouvoirs de législation des Länder, l'organisation de leur administration ou leurs procédures administratives sont concernés de manière prépondérante , l'opinion du Bundesrat doit être « prise en considération de manière déterminante » .

Dans ce cas, le Bundesrat a le « dernier mot » pour définir la position allemande au Conseil des ministres de l'Union européenne sauf dans les domaines de la politique d'intégration, de la politique extérieure et de la politique de sécurité qui relèvent, prioritairement, de la Fédération.

En cas de conflit, l'opinion du Bundesrat a plus d'« autorité » lorsqu'elle repose sur une décision prise à la majorité des deux tiers.

B. L'ALLEMAGNE, MOTEUR DE L''UNION EUROPÉENNE ?

L'Allemagne occupe une place centrale dans les institutions européennes. Premier pays de l'Union par son économie mais également par sa population, elle compte, avec 96 députés, la première délégation au Parlement européen. Elle dispose également de 29 voix au Conseil, comme la France, l'Italie et le Royaume-Uni. L'Allemagne n'a cessé d'affirmer son profond ancrage européen depuis les débuts de la construction européenne et notamment à l'occasion de la crise de la zone euro.

La République fédérale d'Allemagne est le plus grand contributeur net de l'Union (19,7 % du budget européen en 2014 contre 16,7 % pour la France) ; elle est aussi le premier contributeur (27 %), juste devant la France (20 %), au Mécanisme européen de stabilité créé en 2012.

1. Des performances économiques au service de son ambition européenne ?

Au plan économique, l'Allemagne n'a pas été épargnée par la crise économique et financière (- 5,1 % de PIB en 2009). Mais les taux de croissance contrastés des années suivantes pourraient susciter bien des « jalousies » : + 3,5 % en 2010, + 3 % en 2011, + 0,7 % en 2012, + 0,3 % en 2013, + 1,5 % en 2014. Les projections gouvernementales sont plutôt optimistes pour les exercices à venir, même si la croissance devrait progresser à un niveau modéré : + 1,6 % en 2015, + 1,6 % en 2016 et + 1,3 % les trois années suivantes.

L'excédent commercial (217 milliards d'euros) et l'excédent des transactions courantes (215,3 milliards d'euros soit 7,4 % du PIB) ont encore atteint, en 2014, des niveaux records. En 2015, on s'attend à une progression des exportations de + 4 %.

Après une augmentation de + 0,6 % en 2013, l'emploi total aurait progressé en 2014 de + 0,9 % (42,7 millions d'emplois). Le chômage, au sens du Bureau international du travail, a diminué de 3,5 %, le taux de chômage s'établissant à 4,7 % contre 4,9 % en 2013.

Au plan des finances publiques, le gouvernement fédéral prévoit pour 2015 un solde budgétaire fédéral équilibré pour la première fois depuis 1969. La programmation financière retient, d'ailleurs, un solde budgétaire légèrement excédentaire pour l'ensemble de la période 2015-2019.

Le budget fédéral rectificatif pour 2015, adopté le 29 septembre dernier, prévoit 5,1 milliards d'euros de dépenses supplémentaires notamment pour faire face à l'afflux des réfugiés. Notons qu'un système de péréquation financière est appliqué aux Länder : en 2014, seuls quatre États fédérés étaient contributeurs nets (la Bavière, le Bade-Wurtemberg, la Hesse, et Hambourg) ; Berlin était le principal bénéficiaire.

Relevons enfin que le ratio dette/PIB demeure élevé : 74,7 % en 2014. Le gouvernement fédéral s'efforce d'améliorer ce ratio, l'objectif étant de le réduire à 61,5 % en 2019.

Ces performances économiques ne sauraient cependant constituer un tout aux yeux de la Commission européenne. L'Allemagne est, en effet, concernée par le mécanisme d'alerte des déséquilibres macro-économiques, mis en place dans le cadre de la procédure pour déséquilibre excessif introduite par le six-pack en décembre 2011. La Commission européenne souligne notamment l'insuffisance de ses investissements public et privé, affectant ainsi la consolidation de sa croissance économique. Elle considère également que ses excédents commerciaux, régulièrement supérieurs à 6 % du PIB, sont dangereux pour la stabilité et estime qu'il convient de favoriser les investissements pour doper les importations. Le déséquilibre n'est pas, cependant, considéré comme excessif.

2. Une adhésion moindre depuis la crise dite de la zone euro ?

La crise des dettes souveraines qui a affecté la zone euro à partir de 2009 a conduit à un certain « essoufflement » de l'élan européen dans l'opinion allemande : en janvier 2015, 60 % de l'opinion allemande soutenaient, selon les sondages, une sortie de la Grèce de la zone euro. La population est assez critique à l'égard d'un certain nombre de ses partenaires peu enclins à accomplir les réformes structurelles qu'elle-même a menées à leurs termes, facilitant le retour de la croissance dans le pays. Parallèlement, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe, en s'attachant à défendre depuis 2009 les prérogatives du Bundestag, contribue un peu plus à encadrer l'action du gouvernement allemand au sein de l'Union européenne, au risque de fragiliser la prise de décision.

C'est à l'aune de cette double pression populaire et juridique qu'il convient d'analyser la fermeté du Gouvernement allemand dans les négociations avec la Grèce pour le versement d'une nouvelle tranche du prêt international puis la signature d'un troisième plan d'aide. Il en va de même en ce qui concerne sa position sur la discipline budgétaire au sein de la zone euro et les réserves exprimées sur l'introduction en janvier 2015, par la Commission européenne, de nouvelles clauses de flexibilité (investissements, réformes structurelles, chocs économiques) dans l'application du Pacte de Stabilité et de Croissance, et les critiques de la Bundesbank à l'égard de la Banque centrale européenne quant à la politique de rachats de titres mise en place par cette dernière (SMP, OMT, assouplissement quantitatif). Tout écart avec l'orthodoxie budgétaire ou financière est envisagé comme un facteur potentiel de nouvelle crise des dettes souveraines.

La crise des migrants contribue également à renforcer ce scepticisme d'une partie de l'opinion publique à l'égard de l'Union européenne. L'Allemagne a ainsi accueilli environ 1,1 million de demandeurs d'asile en 2015, la plupart utilisant la route des Balkans. 206 101 personnes ont ainsi été enregistrées pour le seul mois de novembre. 428 468 réfugiés proviennent de Syrie, 154 046 d'Afghanistan, 121 622 d'Irak. Près de 100 000 demandeurs d'asile sont issus de pays d'Europe : 69 426 Albanais et 33 049 Kosovars. Les capacités d'accueil allemandes sont fortement sollicitées, au risque de susciter des tensions au sein de la population. Le gouvernement a annoncé le recrutement par l'Office fédéral des migrations et des réfugiés (BAMF) de 4 000 collaborateurs supplémentaires en 2016, une aide de 670 euros par mois et par demandeur devant être versée aux communes et aux Länder afin d'améliorer la prise en charge. Par ailleurs, d'après les estimations du ministère du travail allemand, seuls 10 % des réfugiés pourraient être immédiatement intégrés sur le marché du travail, 30 % auraient besoin de plusieurs années, 20 % étant analphabètes. De fait, après avoir décidé d'accueillir massivement des réfugiés fin août 2015 avant de réintroduire des contrôles aux frontières une semaine plus tard, l'Allemagne est aujourd'hui plus exigeante à l'égard de ses partenaires européens, insistant sur une répartition équitable des réfugiés, une meilleure coordination de la politique des États membres, une ouverture à l'égard des pays tiers et en particulier la Turquie, le renforcement des points d'accueil ( hot spots ) et du contrôle aux frontières, au risque de susciter des tensions avec ses partenaires, à l'image de l'Autriche.

En dépit de ces difficultés, l'Allemagne tend toujours à constituer une force de proposition en matière européenne. Il convient ainsi de mettre en avant le consensus apparu au Conseil européen de juin 2015 entre les trois États du « triangle de Weimar » (créé en 1991 et réunissant depuis 2004 l'Allemagne, la France et la Pologne) sur l'indispensable construction d'une « Europe de la défense ». La quasi-totalité de l'effort de défense allemand est pour l'heure consacré à l'OTAN, considérée comme la principale enceinte légitime pour les sujets relatifs à la sécurité et à la défense. Le volet militaire de la Politique de sécurité et de défense commune (PSCD) est, en effet, perçu comme secondaire. Dans le cadre de l'OTAN, l'Allemagne contribue de manière significative aux opérations en Afghanistan, son engagement étant le plus important, en nombre, en durée et en intensité à l'étranger depuis la Seconde guerre mondiale. L'Allemagne est également partie prenante au sein de la KFOR au Kosovo et participe de manière substantielle aux mesures de réassurance prises par l'OTAN en faveur des membres d'Europe orientale dans le cadre de la crise ukrainienne.

C. LE COUPLE FRANCO-ALLEMAND : UNE RÉALITÉ POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la réconciliation franco-allemande apparaît comme un impératif. La création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier en 1951 de même que le traité de Rome de 1957 en constituent l'amorce. Mais c'est le traité sur la coopération franco-allemande dit « Traité de l'Élysée » signé le 22 janvier 1963 par le Chancelier Konrad Adenauer et le Président Charles de Gaulle qui devient le symbole de la réconciliation en répondant à trois objectifs : sceller la réconciliation franco-allemande ; créer entre les deux pays une véritable amitié ; favoriser la construction de l'Europe unie, qui est le but des deux peuples.

Le Traité de l'Élysée a constitué le « ciment » de relations permanentes et intenses entre les deux pays. Cette étroite association n'a pas peu contribué aux grandes avancées de la construction européenne : l'Acte unique européen, le traité de Maastricht, l'euro, l'espace Schengen, la construction d'une politique européenne de sécurité et de défense, la mise en place de l'Union bancaire.

À l'occasion du 40 ème anniversaire du Traité de l'Élysée, fut créé, en 2003, le Conseil des ministres franco-allemand (CMFA). Il se réunit, lors d'une session commune, une ou deux fois par an, en présence du Président de la République française, du Premier ministre français, du Chancelier fédéral et de tout ou partie des ministres français et allemands. Le dernier CMFA s'est tenu à Berlin le 31 mars 2015. Ses travaux ont notamment porté sur la défense, les investissements, l'énergie, le numérique, la lutte contre le terrorisme et l'intégration sociale.

Le 50 ème anniversaire du Traité de l'Élysée en 2013 s'est conclu par l'adoption d'une déclaration commune dite de Berlin, réaffirmant le rôle moteur du couple franco-allemand en matière européenne et engageant les deux pays à coopérer étroitement sur plusieurs dossiers : transition écologique et énergétique, compétitivité économique, approfondissement de la zone euro et politique étrangère. Cette coopération engage par ailleurs les parlements des deux pays.

Au plan économique, on rappellera que l'Allemagne est le principal partenaire commercial de la France. En 2014 elle était son premier client (70,6 milliards d'euros d'exportations) et son premier fournisseur (85,1 milliards d'euros d'importations) devant la Chine et la Belgique.

De son côté, la France restait le premier client de l'Allemagne, devant les États-Unis, et son troisième fournisseur derrière les Pays-Bas (9,6 %) et la Chine (8,7 %).

Les exportations vers la France représentaient 9 % des exportations allemandes et la part des importations allemandes en provenance de la France s'élevait à 7,4 % en 2014.

Le commerce bilatéral entre les deux pays est composé, à plus de 90 %, de produits manufacturés similaires, souvent échangés dans des proportions voisines.

En 2014, les stocks d'« investissements directs à l'étranger (IDI) » allemands en France atteignaient 61,9 milliards d'euros ; en sens inverse, les stocks d'IDI français en Allemagne s'élevaient à 54,8 milliards d'euros.

Cette même année, 1 197 entreprises françaises étaient implantées en Allemagne, employant 268 000 personnes et générant un chiffre d'affaires de 142,5 milliards d'euros ; 2 203 entreprises allemandes étaient implantées en France, employant 310 000 personnes et générant un chiffre d'affaires de 140,3 milliards d'euros.

On le constate, un certain « équilibre » s'est installé dans les relations économiques entre les deux pays.

II. LA COOPÉRATION PARLEMENTAIRE FRANCO-ALLEMANDE

A. LA CRISE MIGRATOIRE AU CoeUR DE L'AUDITION DES COMMISSAIRES EUROPÉENS

La délégation de la commission des affaires européennes du Sénat a procédé à l'audition conjointe, avec les membres de la commission des questions de l'Union européenne du Bundesrat, de MM. Dimitris Avramopoulos, commissaire en charge des affaires intérieures et des migrations, et Neven Mimica, commissaire en charge de l'aide au développement et de la coopération, sur le thème des migrations.

Le nombre de migrants et réfugiés arrivés par voies maritimes et terrestres dans six pays - Bulgarie, Chypre, Espagne, Grèce, Italie, Malte - situés aux frontières de l'Union européenne a dépassé le million en 2015, selon les chiffres fournis par le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). 816 752 personnes sont ainsi arrivées en Grèce, soit l'essentiel des 1 005 504 arrivées enregistrées au 21 décembre 2015.

Cette crise migratoire sans égale depuis la Seconde guerre mondiale appelle à un devoir de solidarité de tous les acteurs européens afin de ne pas mettre en péril le projet européen lui-même. Le droit d'asile doit ainsi pouvoir être pris en charge dans de bonnes conditions. Le versement des aides aux États membres pourrait ainsi être conditionné au respect des principes de solidarité et d'équité. Pourquoi l'Union ne verserait-elle pas moins d'aides aux États membres qui refusent d'accueillir les réfugiés ?

Si la Commission européenne a pu jouer un rôle « moteur » en la matière, elle affronte les réticences de plusieurs États membres. Des interrogations subsistent en effet sur la mise en oeuvre d'un mécanisme pérenne de répartition des réfugiés au sein de l'Union européenne. Celle-ci doit, bien évidemment, répondre à ses obligations mais aussi garder le contrôle de ses frontières extérieures et des flux migratoires car ce sont, en définitive, ses équilibres politiques, économiques et sociaux qui sont en jeu et son identité qu'elle est en droit de préserver. Est-il, à cet égard, réaliste, pour la Commission européenne, de décider d'une clé de répartition des réfugiés au sein de l'Union sans l'accord des États membres ? Un échec dans la mise en oeuvre du plan de relocalisation ne serait pourtant pas sans risque pour la construction européenne elle-même, compte tenu de la désaffection croissante de l'opinion publique à l'égard de l'Union européenne.

Au cours de son audition, le commissaire Avramopoulos a jugé que la crise actuelle mettait en cause le projet européen ainsi que l'espace Schengen. L'Europe, a-t-il souligné, doit manifester sa solidarité et sa responsabilité en allégeant, notamment, la pression qui s'exerce sur l'Allemagne et ses Länder. Il a exprimé sa grande déception quant à la mise en oeuvre du plan de la Commission du 9 septembre 2015 visant à relocaliser 160 000 réfugiés. Seuls 11 pays sur 28 ont déclaré qu'ils participeraient à la répartition plus équitable et 250 personnes seulement ont été, jusqu'à aujourd'hui, relocalisées.

Après avoir « loué » l'Allemagne pour son rôle constructif dans l'application de l'agenda de la Commission, le commissaire a plaidé pour le renforcement et le développement des « hot spots » (deux seulement fonctionnent actuellement : l'un à Lampedusa, l'autre à Lesbos), qui permettent d'enregistrer et d'identifier les migrants. Il s'est élevé contre toute remise en cause de la libre circulation dans l'espace européen. Cette libre circulation doit être la règle, le « rétablissement » des frontières nationales l'exception. Le contrôle des frontières extérieures de l'Union constitue un autre impératif : à cet égard, le nouveau plan présenté le 15 décembre 2015 par la Commission substituant à Frontex une nouvelle agence au mandat renforcé et dotée de moyens techniques et humains autonomes (avec notamment un bureau chargé de l'éloignement) doit être pris en considération.

Les propositions de la Commission européenne du 15 décembre 2015
en matière de protection des frontières extérieures

Les circonstances exceptionnelles que le Code frontière Schengen prévoit sont en effet appelées à perdurer face à une crise migratoire que nombre d'observateurs estiment durable, alors même que la menace terroriste tend à se renforcer. Il s'agit dès lors d'adapter le dispositif. Les propositions de la Commission européenne du 15 décembre 2015 vont, à cet égard, dans le bon sens avec l'instauration de vérifications systématiques obligatoires pour les citoyens européens aux frontières extérieures terrestres, maritimes et aériennes de l'Union européenne. Ces vérifications prendront appui sur le système d'information Schengen, la base de données d'Interpol sur les documents de voyage volés ou perdus et les systèmes nationaux pertinents. Les vérifications seront également obligatoires à la sortie de l'Union européenne. La proposition insiste aussi sur la nécessité de vérifier les identifiants biométriques dans les passeports des citoyens européens en cas de doute quant à l'authenticité du passeport ou à la légitimité de sa détention.

La Commission européenne a par ailleurs annoncé la création d'un corps européen dédié à la protection des frontières extérieures. Il regroupera une Agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes, provenant des rangs de FRONTEX et les autorités responsables de la gestion des frontières dans les États membres, qui continueront à assurer la gestion quotidienne de la frontière extérieure. Une réserve de gardes-frontières devrait être ainsi rapidement mobilisable : 1 500 experts devraient être déployés en moins de trois jours. La Commission européenne souhaite atteindre un effectif permanent de 1 000 personnes, y compris les acteurs de terrain, d'ici à 2020.

Au-delà, l'agence disposera d'un mandat élargi :

- Elle aura un rôle de suivi et de supervision. Des agents de liaison seront ainsi détachés dans les États membres pour assurer une présence sur le terrain là où les frontières sont exposées à des risques. Les États membres pourront demander la réalisation d'opérations conjointes et d'interventions rapides aux frontières, ainsi que le déploiement des équipes du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes à l'appui de telles actions. Lorsque les défaillances persistent ou qu'un État membre subit une pression migratoire importante mettant en péril l'espace Schengen et qu'une mesure nationale n'est pas proposée ou n'est pas suffisante, la Commission pourra adopter une décision d'exécution établissant que la situation, sur une portion précise des frontières extérieures, exige une action urgente au niveau européen.

- Elle aura également pour mission d'envoyer des agents de liaison dans des pays tiers voisins et de lancer, avec ceux-ci, des opérations conjointes, y compris sur leur territoire. Un Bureau européen des retours sera créé au sein de l'Agence afin de permettre le déploiement d'équipes d'intervention européennes pour les retours, composées d'escortes, d'observateurs et de spécialistes des questions de retour, qui oeuvreront au retour effectif des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Un document de voyage européen standard destiné au retour contribuera à mieux faire accepter les rapatriés par les pays tiers.

- Elle intégrera enfin la criminalité transfrontière et le terrorisme dans son analyse des risques et coopérera à la prévention du terrorisme avec d'autres agences de l'Union et des organisations internationales.

M. Avramopoulos a encore déclaré qu'il convenait de réexaminer le règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 dit Dublin III qui confère à l'État d'accueil le soin d'instruire la demande d'asile 1 ( * ) dans un esprit de solidarité entre les États membres dès lors que le système actuel n'est, à l'évidence, plus soutenable. Il a aussi insisté sur la nécessité de renforcer la coopération avec la Turquie et les pays des Balkans occidentaux avant de conclure sur l'idée que les migrants, s'ils faisaient l'objet d'une « bonne intégration », pouvaient constituer « une chance » pour nos sociétés.

M. Mimica a déclaré, de son côté, que face à la crise des migrants, la Commission européenne proposait une réponse « intérieure », soit une plus juste répartition des réfugiés au sein de l'Europe, et une réponse « extérieure » faisant le lien entre les migrations et la question du développement. Il a rappelé que l'année 2015 était l'année européenne du développement. Ne faut-il donc pas s'interroger, en priorité, sur les causes de l'immigration afin de pouvoir agir sur lesdites causes ? Pour lui, la crise des réfugiés constitue un test pour la construction de l'Union européenne. Il s'agit de faire en sorte que les migrants aient moins d'incitation à quitter leur pays d'origine.

M. Mimica a rappelé que tant l'Union européenne que les États membres s'étaient engagés à consacrer 0,7 % de leur PIB au développement. Certes, l'aide au développement ne constitue pas la solution unique au problème des réfugiés, mais elle constitue une partie d'une réponse plus globale où doivent se coordonner action diplomatique et action politique. Les pays africains subsahariens, a-t-il poursuivi, doivent avoir accès aux ressources financières et aux nouvelles technologies. Les instruments existants peuvent être utilisés de façon plus souple et plus ciblée. Le commissaire a cité en exemple le Fonds fiduciaire pour le développement décidé au sommet de La Valette de novembre 2015. Ledit sommet, a-t-il indiqué, a créé les conditions d'un accord politique entre l'Union et les dirigeants africains pour un meilleur pilotage des flux migratoires.

Conclusions du sommet Union européenne - Turquie - Pays d'Afrique
sur les migrations de La Valette (11-12 novembre 2015)

Les États et les organisations internationales participant au sommet ont adopté une déclaration politique et un plan d'action visant à :

- s'attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés de population ;

- intensifier la coopération concernant les migrations et la mobilité légales ;

- renforcer la protection des migrants et des demandeurs d'asile ;

- prévenir la migration irrégulière, le trafic de migrants et la traite des êtres humains et lutter contre ces phénomènes ;

- coopérer plus étroitement pour améliorer la coopération en matière de retour, de réadmission et de réintégration

La Commission européenne s'est engagée à alimenter un Fonds fiduciaire d'aide à l'Afrique à hauteur de 1,8 milliard d'euros, les États membres devant doubler la capacité dudit Fonds pour la porter à 3,6 milliards d'euros.

Après avoir souligné qu'il convenait de distinguer les réfugiés politiques et les migrants économiques, les migrations légales et les migrations illégales, M. Mimica a indiqué que la question des expulsions d'illégaux serait examinée par la Commission au printemps 2016. Il a émis l'idée que les migrations peuvent, aussi, constituer une opportunité pour le développement économique.

Les deux délégations ont complété ces propos en insistant sur la nécessité de repenser le règlement Dublin III, afin que seul le réfugié qui a trouvé un emploi dans un État membre puisse bénéficier de la libre circulation en dehors du pays de première entrée. Les migrations peuvent, à ce titre, avoir un effet macro-économique positif.

La crise appelle par ailleurs des investissements aux frontières extérieures. L'accès aux financements européens devrait ainsi être facilité pour les pays d'accueil, afin, notamment, de renforcer les capacités des points d'accès ( hot spots ) et permettre l'enregistrement et l'identification des migrants.

Une coopération renforcée avec les pays tiers, à l'image de la Turquie, doit être envisagée afin de lutter contre les causes profondes de la migration. Toute aide extérieure doit également être effectuée en direction des camps de réfugiés. La réduction du budget du programme alimentaire mondial ces derniers mois a été l'une des raisons de l'afflux de réfugiés constatée depuis l'été. Plus largement, il apparaît nécessaire de chercher des solutions dans le cadre du volet méditerranéen de la politique de voisinage, auquel il convient de donner une nouvelle dimension, le « Partenariat oriental » avec les pays de l'Est du continent européen ayant été privilégié ces dernières années. Il faut enfin s'interroger sur l'attitude « réticente » de nombreux États africains face à la politique de retour des illégaux.

Les délégations ont également insisté sur les conséquences de cet accueil au plan intérieur. Dans la perspective de l'arrivée d'un million de réfugiés, l'Allemagne aurait ainsi besoin de 6 000 à 7 000 policiers supplémentaires pour respecter le ratio allemand d'un policier pour 350 habitants. Il convient, par ailleurs, de lever les obstacles « bureaucratiques» qui peuvent s'opposer à l'éloignement des réfugiés qui n'obtiennent pas la protection internationale. Le Gouvernement fédéral entend aujourd'hui augmenter le nombre de reconduites à la frontière, moins d'une dizaine étant effectuées chaque année depuis 2012.

Dans sa réponse aux interventions, M. Avramopoulos a réaffirmé son souci de lutter contre les migrations illégales en encourageant les réadmissions. Il s'est fait, à nouveau, l'avocat d'une répartition plus équitable des réfugiés en Europe en soulignant que beaucoup d'États membres ne réagissaient pas, hélas, sur ce sujet, comme l'Allemagne ou la France. De toute façon, a-t-il poursuivi, la question de la souveraineté des États demeurera. La Commission européenne, tout en exprimant sa profonde déception face aux réactions de certains États membres, étudiera avec soin les expériences allemandes en matière d'intégration, notamment dans les Länder. Il a encore réaffirmé que sans la Turquie, il n'y a pas d'action possible, en relevant tout l'intérêt du plan de réinstallation en Europe des réfugiés accueillis en Turquie.

Le commissaire a annoncé la création prochaine de trois nouveaux « hot spots » en Italie et de deux autres sur des points d'entrée importants dans l'Union. Si les « hot spots » ne fonctionnent pas, a-t-il souligné, la relocalisation « ne marchera pas ».

Ces structures ont aussi vocation à identifier les personnes dangereuses. M. Avramopoulos a rappelé, à cet égard, que de nombreux terroristes du 13 novembre avaient traversé quatre États membres avant d'arriver à Paris d'où la nécessité impérieuse de mieux partager l'information entre les États membres. Il a souligné l'intérêt de la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes pour contrôler les frontières extérieures de l'Union.

M. Avramopoulos a reconnu que la crise des réfugiés représentait un grand défi et un catalyseur pouvant faire « le lit du populisme ». Le plan de relocalisation, a-t-il poursuivi, nécessite, à l'évidence, un travail de conviction et de pédagogie qui doit être préféré à une politique de « punitions ». En tout état de cause, a-t-il conclu, l'alternative est entre le « courage » ou la « régression ».

M. Mimica a estimé, pour sa part, que l'afflux des réfugiés en Europe ne s'expliquait pas uniquement par la situation des camps de réfugiés mais aussi par les faibles perspectives économiques et sociales des candidats à la migration. Il a indiqué que l'Union mobilisait quelque 9,2 milliards d'euros pour lutter spécifiquement contre les causes des migrations. Il a aussi plaidé pour le renforcement du programme alimentaire mondial (PAM) ainsi que les moyens financiers du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Globalement, a-t-il relevé, l'Europe verse environ 60 milliards d'euros pour aider au développement, 50 milliards provenant des États membres et 10 milliards du budget européen.

Après avoir, aussi, insisté sur la nécessité d'une coopération renforcée avec la Turquie, le commissaire a rappelé que, s'agissant des réadmissions, nos partenaires africains se montraient souvent réticents quant au « principe de conditionnalité » (aide au développement accrue en proportion des efforts de réadmission des pays d'origine). Il a, néanmoins, souligné que ces partenaires devaient être incités « à faire plus » dans le cadre d'un dialogue et d'une meilleure coopération politique.

B. CRISE MIGRATOIRE ET LUTTE CONTRE LE TERRORISME : UNE LARGE CONVERGENCE DE VUE ENTRE LES DEUX COMMISSIONS

La délégation de la commission des affaires européennes du Sénat et la commission des questions de l'Union européenne du Bundesrat ont procédé à un échange de vues sur l'actualité européenne, insistant principalement sur les réponses à la crise migratoire et la lutte contre le terrorisme. À l'issue de cette réunion deux déclarations communes ont été adoptées.

1. Le défi migratoire

La déclaration commune sur la crise des migrants rappelle la dimension européenne du défi et insiste sur la nécessité de mettre en place une répartition équitable des réfugiés au sein de l'Union européenne, via notamment des programmes de réinstallation. Il s'agit pour l'Union européenne d'affirmer ses valeurs, en dépassant sa dimension purement économique.

La défense du droit d'asile fait partie des priorités, celle-ci devant néanmoins être exigeante afin de juguler toute dérive et contrôler ainsi les migrations d'essence économique. La défense du droit d'asile passe par un renforcement de la protection des frontières extérieures, seul à même de préserver l'acquis du système de Schengen.

Elle va également de pair avec une intensification de la coopération avec les pays tiers, à l'image de la Turquie. L'aide au développement classique doit être combinée avec des mesures à court terme destinées à renforcer les moyens des organisations internationales, à l'instar du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) ou le Programme alimentaire mondial. Les régions en crise doivent également faire l'objet d'un soutien particulier, avec une aide ciblée pour les camps de réfugiés.

Toute réponse à la crise des migrants passe également par le renforcement de la coopération euro-méditerranéenne, qui constitue un des pans de la politique de voisinage de l'Union européenne. Il s'agit d'utiliser les dispositifs existants pour parvenir à une meilleure maîtrise des flux migratoires.

2. La réponse européenne à la lutte contre le terrorisme

Les attentats en France du 13 novembre 2015, d'une violence sans précédent, ont rendu encore plus indispensable le renforcement de la coopération européenne en matière de lutte contre le terrorisme. Les attentats du 13 novembre 2015 ont conduit la France à demander l'activation de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne relatif à la « clause d'assistance mutuelle », pour la première fois depuis sa création. L'Allemagne a décidé de son côté de participer militairement, aux côtés de la France, à la lutte contre « Daech ».

Le Sénat français a adopté une résolution européenne en avril 2015 qui couvrait les différents domaines dans lesquels l'Union européenne pouvait apporter une réelle plus-value et demandé la mise en place d'une législation antiterroriste européenne sous la forme d'un pacte pour la sécurité intérieure 2 ( * ) . L'adoption de ce texte avait été précédée par l'organisation le 30 mars 2015 d'une réunion interparlementaire au Sénat avec plusieurs parlements nationaux - dont le Bundesrat - sur ce sujet. Elle avait abouti à une déclaration commune appelant à une action énergique au niveau européen pour combattre le terrorisme 3 ( * ) . Quelques mois plus tard, le bilan des réalisations apparaît maigre. Le registre européen des données des dossiers passagers des transports aériens (PNR) n'a ainsi pu être adopté que fin 2015, après huit ans de débats.

Plusieurs pistes devaient être approfondies : la clause de défense mutuelle, la protection des frontières extérieures, la lutte contre les trafics d'armes, le contrôle coordonné et systématique aux frontières, la lutte contre la radicalisation via internet. L'Europe doit se doter des moyens nécessaires pour combattre les menaces extérieures qui pèsent sur elle. Il est urgent de sortir l'Europe de la défense du domaine du concept pour la faire entrer dans celui de l'opérationnel. Il s'agit aussi de défendre les valeurs communes de l'Union européenne. La déclaration commune insiste sur le rôle des parlements nationaux dans l'élaboration d'une réponse européenne au terrorisme, celui-ci constituant une menace pour la démocratie.

Il convient, à ce titre, de définir une stratégie qui pourrait être la « stratégie européenne de sécurité » annoncée lors du sommet européen de juin 2015 et dont la définition a été confiée à la Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Federica Mogherini, en collaboration avec les États membres. Cette stratégie pourrait inclure une « normalisation » des relations de l'Europe avec la Russie.

Au-delà de la réponse opérationnelle, les délégations ont rappelé la question des conditions d'intégration dans les sociétés européennes de jeunes pourtant nés et éduqués dans celles-ci mais contre lesquelles ils ont pris les armes. La déclaration commune rappelle ainsi la nécessité d'une stratégie éducative globale contre la radicalisation et le développement d'un réseau européen en la matière.

3. Une poursuite de la coopération entre les deux commissions en 2016

Trois sujets feront l'objet de travaux communs, au cours d'une réunion qui pourrait se tenir à Paris au premier semestre 2016 :

- le Traité de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis (TTIP) ;

- la politique européenne de l'énergie ;

- le marché unique du numérique.

La question de l'accès aux documents devrait ainsi être abordée en ce qui concerne le TTIP. Il s'agit de demander plus de transparence sur les documents relatifs aux négociations par l'Union européenne avec ses partenaires américains. Les parlementaires américains disposent aujourd'hui d'un accès direct à ces documents, ce qui n'est pas le cas des élus européens.

La réflexion sur la transparence va de pair avec celle sur le « tribunal de règlement des différends » et la protection des normes, notamment sanitaires, de chacun des États membres. Il convient d'éviter de sanctionner les économies qui contribuent à l'économie équitable. Ces débats seront sans doute éclairés par la décision attendue de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) à propos de la possibilité d'une procédure « mixte » (avec association des parlements nationaux) de ratification du TTIP. L'ensemble de ces questions ont soulevé un débat en Allemagne, la popularité du dispositif n'étant pas non plus acquise en France. Les deux commissions ont relevé que pour la première fois les citoyens des deux pays se sont préoccupés de la politique commerciale européenne, avec cependant un certain sentiment d'impuissance. Il importe en tout cas que les deux commissions se tiennent mutuellement informées de l'avancement des discussions notamment au niveau de la COSAC.

En ce qui concerne la politique de l'énergie, l'action de l'Union européenne doit être guidée par deux principes : renforcer l'interconnexion pour ne pas laisser à la périphérie certains États membres et garantir une certaine autonomie aux États membres dans le choix de leur mix énergétique. L'Union de l'énergie doit, dans ces conditions, concourir à l'atteinte d'objectifs globaux visant la baisse des coûts, la sécurité de l'approvisionnement, l'efficience énergétique et la lutte contre le changement climatique.

S'agissant du marché unique du numérique, l'Union européenne doit prendre en compte l'ensemble des transformations qu'implique ce secteur pour nos sociétés. La mise en place de ce marché doit être corrélée à un certain nombre de principes et de droits qui doivent mieux protéger nos citoyens. Il en va ainsi de la protection des données personnelles mais aussi de la cybersécurité ou encore de la protection d'un droit d'auteur adapté. Il s'agit d'une nécessité démocratique, afin d'obtenir l'adhésion des citoyens et la confiance des entreprises dans l'économie numérique. La Commission européenne est aujourd'hui favorable à la mise en place d'une véritable politique européenne industrielle pour le numérique et il convient d'appuyer cette ambition. L'Union européenne doit créer les conditions qui permettront de faire émerger de grands acteurs européens de l'économie numérique pour concurrencer les grands acteurs américains ; ceux-là même dont on peut déplorer le comportement tant en ce qui concerne l'usage des données personnelles que l'optimisation fiscale. Il existe une démarche commune franco-allemande sur ces questions avec notamment la conférence ministérielle du 27 octobre dernier qui s'est tenue à Paris pour accélérer la transformation numérique de l'économie. Elle doit aujourd'hui être étayée.

Le texte des deux déclarations communes figure en annexe.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 14 janvier 2016 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Jean Bizet, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet, président . - Cette rencontre avec nos collègues du Bundesrat devrait être suivie, dans les prochains mois, d'une nouvelle réunion, organisée cette fois-ci au Sénat. Trois sujets devraient faire l'objet de travaux communs. D'abord, il importe que le tandem franco-allemand définisse une position commune sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (dit « TTIP », pour Transatlantic Trade and Investment Partnership), qui donnera une orientation forte pour les 28. Le deuxième sujet concerne la politique européenne de l'énergie, au coeur de la réindustrialisation de notre continent. Ne nous le cachons pas : s'il est signé, le TTIP déclinera simplement la politique nationale des États-Unis en matière d'énergie. Enfin, le troisième sujet porte sur le marché unique du numérique.

Nous avons publié voici quelques années une déclaration commune sur la PAC. Depuis la situation s'est dégradée dans certains départements, notamment en Normandie dans la filière laitière. Je crains que les visions française et allemande des problématiques agricoles ne divergent de plus en plus, l'Allemagne ayant rejoint le camp des pays libéraux. En matière agricole, l'ultra-libéralisme n'est pas la solution.

M. Daniel Raoul . - En effet, s'agissant du TTIP, l'Allemagne et la France tiendront des positions divergentes dans la négociation. Le poids de l'agriculture devient marginal chez notre voisin, et sa pugnacité en sera réduite d'autant. Malgré tout, j'ai été frappé par la communauté de vues entre nos deux commissions.

À la page 33 du projet de rapport, dans le point 3 de la déclaration commune, il me semble qu'une erreur de traduction doit être corrigée afin notamment de viser la « communauté de valeurs européennes ».

M. Simon Sutour . - Il est utile de rencontrer les commissions des affaires européennes des autres États membres, comme nous le faisons pour la deuxième fois avec l'Allemagne et chaque année avec l'Italie.

Le projet de rapport explique bien ce qu'est le Bundesrat, que certains présidents de groupe considèrent comme le nec plus ultra du bicamérisme, alors que ses pouvoirs sont limités. La rencontre commune de nos deux commissions avec les deux commissaires européens - M. Mimica, que nous avions entendu en sa qualité de président de la commission croate des affaires européennes, et M. Avramopoulos, ancien maire d'Athènes et membre de la Vouli - a été particulièrement fructueuse. C'est une bonne méthode de travail. La France et l'Allemagne représentent 150 millions d'habitants et le tiers du PIB de l'Union européenne.

Sur la forme, la déclaration commune n'est pas celle des deux commissions, mais celle de leurs présidents, à la demande des Allemands. Je me félicite que ma suggestion sur la coopération euro-méditerranéenne ait été prise en compte, grâce à l'habileté de Peter Friedrich, président de la commission allemande, qui a su surmonter les réserves de certains de ses membres.

M. André Gattolin . - En effet, votre rapport restitue fidèlement la place du Bundesrat dans les institutions allemandes. Toutefois, il serait à mon sens possible de distinguer plus explicitement les compétences exclusives, concurrentes et subsidiaires de l'État et des Länder.

Il est écrit que « la Fédération est représentée par le Président de la République fédérale » et que la Loi fondamentale « détermine les domaines qui relèvent de sa compétence » : il faudrait ici ajouter « exclusive ». C'est globalement juste, mais les Länder peuvent intervenir lorsque la loi fédérale le permet explicitement.

Le paragraphe suivant énumère les domaines d'intervention transférés aux Länder : il faudrait préciser qu'il s'agit là de compétences concurrentes.

On lit plus bas : « Les Länder ne peuvent légiférer qu'avec l'assentiment de la Fédération dans les domaines suivants ». Il serait plus juste de parler d'absence d'intervention de la Fédération. Parmi ces domaines est citée la politique énergétique, ce qui exagère le poids des Länder : la définition de la stratégie de production et de distribution de l'énergie relève entièrement du domaine fédéral.

Les possibilités d'arrangement entre l'État et les Länder pourraient être évoquées. « Dans ces mêmes domaines, la Fédération ne peut légiférer que s'il existe un besoin de réglementation uniforme à l'échelle de l'État fédéral » : il s'agit là des compétences concurrentes. Il faudrait préciser « dans certains de ces domaines ».

Un rappel de la réforme de la Loi fondamentale en 2006, dont les conséquences ont été importantes, serait bienvenu.

M. Jean-Yves Leconte . - Voilà un rapport très intéressant. Toutefois, les convergences dans le domaine de la lutte anti-terroriste y sont mises en avant, alors que nos échanges avec nos collègues font apparaître de nombreux décalages. La protection des libertés, la biométrie, le suivi des personnes soupçonnées : autant de points de divergence. À l'heure où nous envisageons une évolution de notre législation, son état actuel est déjà problématique aux yeux des Allemands ! Il est indispensable de parler de ces divergences, car rien ne sert d'aller plus loin dans la lutte anti-terroriste si nos partenaires ne nous suivent pas. Mes positions sur le sujet sont bien connues ; elles seraient considérées d'extrême droite en Allemagne !

M. Jean Bizet, président . - Il reste quand même de la marge...

M. Jean-Yves Leconte . - Ne négligeons pas les sensibilités allemandes dans ce domaine. L'impression de convergence globale cache de nombreux points de désaccord.

L'Europe de la défense, ensuite, qui désigne les capacités de notre continent à intervenir à l'extérieur, n'est pas la défense de l'Europe, que nous avons confiée à l'OTAN : il ne faut pas confondre les termes...

M. Simon Sutour . - Et vous êtes atlantiste, en sus !

M. Richard Yung. - Seulement deux hot spots ont été ouverts, l'un en Italie, l'autre en Grèce, alors que nous en avons besoin de bien davantage et que les financements ne paraissent pas manquer, ni les spécialistes : cette lenteur est-elle le fait des Grecs et des Italiens ?

Je salue les passages du projet de rapport sur le Bundesrat, lequel a une approche très pragmatique de son travail, en particulier lorsqu'il est consulté sur la mise en oeuvre de la législation y compris avant l'adoption des textes. Il est tout à fait utile de consulter, avant d'adopter des textes, ceux qui auront la charge de les appliquer, nous le savons par défaut...

M. Jean Bizet, président . - Merci pour ce débat. Comme nous y invite Daniel Raoul, nous devons effectivement veiller à ce que l'agriculture ne soit pas la variable d'ajustement du TTIP. Nous pourrons également, comme le souhaite André Gattolin, examiner de plus près les compétences spécifiques du Bundesrat, voir s'il n'y aurait pas des convergences nouvelles à rechercher. Nous pourrions éventuellement nous réunir avec nos collègues allemands et italiens ; par exemple, un déplacement au Mont-Saint-Michel me semblerait tout à fait approprié, pour identifier les pistes de travail sur le TTIP. Le président du Sénat a, à cet égard, appelé de ses voeux notre plus grande attention, car ce traité risque bien, s'il n'est pas maîtrisé, d'entraîner une véritable onde de choc dans notre économie, concomitante de celle qui suivra la reconnaissance du statut d'économie de marché à la Chine. Une réunion avec nos collègues allemands et italiens, voire espagnols si cela était possible, serait tout à fait utile pour trouver des positions communes.

En attendant, je vous propose d'adopter ce rapport d'information.

M. Jean-Yves Leconte . - Nous serions bien inspirés, également, de nous rapprocher de nos collègues du Parlement polonais.

M. Simon Sutour . - Pour l'Espagne, il faut compter avec le fait que la commission des affaires européennes est commune au Sénat et aux Cortes ; d'autre part, la situation politique actuelle est très particulière outre-Pyrénées.

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du présent rapport d'information.

ANNEXES
Déclaration commune sur la crise des migrants du président de la commission des affaires européennes du Sénat et du président de la commission des questions de l'Union européenne du Bundesrat

Le 17 décembre 2015, sur invitation du président de la commission des questions de l'Union européenne du Bundesrat, une délégation de cette commission et une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat français se sont réunies pour tenir une séance commune. Eu égard aux thèmes traités lors de cette réunion, les deux présidents, le ministre Peter Friedrich et le sénateur Jean Bizet, font la déclaration commune suivante concernant la crise de migrants en Europe :

1. La résolution de la crise des réfugiés place l'Union européenne face à un grand défi. Les présidents saluent la coopération intense déjà en place à tous les niveaux de l'Union européenne, et à l'échelle bilatérale entre l'Allemagne et la France, pour trouver une solution aux problèmes en suspens. Les présidents des deux commissions déclarent leur engagement en faveur d'un échange encore plus étroit entre les deux chambres pour relever ces défis et pour envisager des solutions.

2. C'est à l'Europe entière qu'il incombe de trouver une solution à la crise des réfugiés, les États membres et les régions ne peuvent pas la résoudre à eux seuls. Nous avons besoin d'une répartition équitable des réfugiés au sein de l'Europe, entre autres par le biais des programmes de réinstallation. L'Europe est plus qu'un espace de coopération économique approfondie. Face à la crise des réfugiés, elle doit démontrer, en faisant preuve de solidarité, qu'elle est à la hauteur de ses valeurs.

3. Les présidents demeurent profondément attachés au droit fondamental à l'asile qui ne saurait être restreint. Pour de nombreuses personnes qui entrent dans l'Union européenne, l'asile n'est néanmoins pas la voie à suivre dans la mesure où elles ne fuient ni la guerre, ni la persécution politique. Les présidents soulignent le rôle majeur d'une protection plus efficace des frontières extérieures de l'UE, notamment en vue de maintenir l'acquis de Schengen qui constitue l'une des plus grandes réalisations de l'Union européenne.

4. Les présidents soulignent l'importance de la prévention de la fuite par une coopération au développement renforcée. Ils saluent les résultats du sommet de La Valette et le plan d'action avec la Turquie. D'un avis unanime, les causes de la fuite doivent être davantage combattues sur place. Ici aussi, des améliorations à court terme sont envisageables, par exemple des moyens financiers accrus pour les organisations internationales, comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et le Programme alimentaire mondial (PAM), ainsi que des parrainages pour les régions en crise et les camps de réfugiés qui y sont installés. Les présidents demandent aux responsables des deux gouvernements d'entreprendre tout ce qui est en leur pouvoir pour améliorer rapidement et sans formalités la situation actuelle dans les régions en crise.

5. Parmi les moyens de surmonter la crise migratoire figurent notamment une meilleure maîtrise des flux migratoires et le renforcement de la coopération euro-méditerranéenne ainsi que de notre politique de voisinage.

Déclaration commune sur la lutte contre le terrorisme du président de la commission des affaires européennes du Sénat et du président de la commission des questions de l'Union européenne du Bundesrat

Le 17 décembre 2015, sur invitation du président de la commission des questions de l'Union européenne du Bundesrat, une délégation de cette commission et une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat français se sont réunies pour tenir une séance commune. Eu égard aux thèmes traités lors de cette réunion, les deux présidents, le ministre Peter Friedrich et le sénateur Jean Bizet, font la déclaration commune suivante concernant le terrorisme en Europe :

1. Les terribles attentats qui ont frappé Paris le 7 janvier puis, une nouvelle fois, le 13 novembre 2015 ne sont pas seulement une attaque contre la société française, mais aussi une attaque contre la démocratie dans son ensemble. Ils ont touché l'Europe, les Européennes et les Européens en plein coeur.

2. En 1950, lorsqu'il proposa de soustraire à l'influence nationale la production française et la production allemande de charbon et d'acier pour les placer sous une autorité européenne commune, le ministre français des Affaires étrangères Robert Schuman jeta les fondements non seulement de l'unification européenne, mais aussi du rôle particulier des deux États dans l'Europe et pour l'Europe. 65 ans plus tard, les deux présidents adhèrent aux liens étroits entre les deux peuples et aux valeurs fondamentales inaliénables de la société européenne telles qu'elles sont énoncées dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ils condamnent avec fermeté les attentats de Paris qui constituent une attaque contre ces valeurs communes.

3. L'Allemagne est étroitement solidaire de la France dans la lutte contre la terreur. Les deux présidents appellent toutes les parties de la communauté de valeurs européennes à apporter une contribution significative à la lutte contre la terreur.

4. Les présidents saluent la coopération intense d'ores et déjà existante entre les gouvernements de l'Allemagne, de la France et d'autres États européens alliés qui apporte, tout spécialement dans la lutte contre la menace terroriste, une contribution essentielle à la défense de la liberté et de la démocratie, et au renforcement de la sécurité.

Ils soutiennent, dans son principe comme dans son contenu, la lettre conjointe adressée le 3 décembre 2015 au premier vice-président de la Commission européenne et à M. le Commissaire Dimitris Avramapoulos par les ministres de l'intérieur de leurs deux pays, rappelant en particulier la nécessité d'un renforcement de la protection des frontières de l'Union européenne.

5. Les présidents revendiquent par ailleurs la responsabilité particulière des parlements nationaux dans la défense de l'ordre démocratique face à ses ennemis terroristes. Ils invitent toutes assemblées parlementaires de l'Union européenne à participer à une action commune visant à répondre efficacement à cette menace. Dans ce contexte, les présidents attirent l'attention de leurs homologues des 28 États membres sur la déclaration conjointe relative à la lutte contre le terrorisme des présidents et des représentants des commissions des Affaires européennes du Bundesrat, du Parlement du Royaume du Danemark, du Sénat du Royaume d'Espagne, du Sénat de la République française, de la Chambre des Lords du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ainsi que de la Saeima de la République de Lettonie, telle qu'elle a été adoptée le 30 mars 2015 à Paris.

6. Aucune religion ne saurait justifier la terreur ni la violence. Les présidents soulignent le rôle particulier d'une stratégie éducative globale contre la radicalisation et du développement d'un réseau européen pour la prévention et la lutte contre la radicalisation, comme l'exige déjà la déclaration susmentionnée.


* 1 Règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride

* 2 Résolution européenne n°88 (2014-2015) relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne .

* 3 Déclaration conjointe sur la lutte contre le terrorisme du 30 mars 2015 des présidents et représentants des commissions des affaires européennes du Bundesrat de la République fédérale d'Allemagne, des Cortès du Royaume d'Espagne, du Sénat de la République française et de la Saeima de la République de Lettonie, du Parlement du Royaume du Danemark .

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