B. METTRE EN PLACE LES CONDITIONS D'UN DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ÉQUILIBRÉ

Le secteur de la biomasse est diversifié et susceptible de se développer dans de multiples directions, à partir d'une ressource limitée et objet de conflits d'usages.

Des arbitrages doivent donc être effectués, en vue d'un développement optimal, sur le plan économique, et harmonieux, sur les plans écologique et social, de ce secteur. Ces arbitrages sont l'objet de la bioéconomie, qui sera évoquée ci-après (III).

1. Le « sous-développement » de la filière bois

S'agissant de la filière bois , un constat unanime est que le développement du bois-énergie ne peut être dissocié de celui des autres usages du bois , dont il doit être complémentaire et non concurrent.

À défaut, le développement du bois-énergie risque d'entraîner des tensions sur l'approvisionnement en bois, et donc sur les prix . Bien qu'un peu plus de la moitié de l'accroissement de la forêt française soit récolté chaque année, des tensions sont en effet susceptibles de survenir dans les régions dont la forêt est la plus exploitée.

Ainsi, d'après des projections réalisées par ENGIE, des tensions sont prévisibles dans certaines régions avant 2018, si l'on prend en compte, d'une part, les projets dont le démarrage est envisagé après 2015 et, d'autre part, les flux potentiels à l'exportation vers la Suisse, l'Italie et la Belgique. Des projets de très grande envergure, tels que celui d'EON à Gardanne, constituent un obstacle à l'investissement dans les régions concernées, dans la mesure où des pressions sur la ressource et sur les prix sont prévisibles.

Le développement des usages énergétiques du bois nécessite donc, en premier lieu, une relance des industries du bois-matériau , seule à même de susciter durablement une valorisation du patrimoine forestier, dont de nombreux travaux ont constaté que le caractère morcelé constituait un obstacle à son exploitation rationnelle.

À défaut d'incitations à exploiter le bois des forêts françaises, le développement du bois énergie se traduirait par des importations de bois , dont les effets seraient regrettables, tant sur le déficit commercial que sur le bilan écologique de la filière.

En 2009, M. Jean Puech, ancien ministre de l'agriculture, constatait déjà la nécessité d'une relance globale de la filière bois et forêts, en ces termes : l'efficacité, jugeait-il , « passe par l'augmentation de l'exploitation de bois d'oeuvre, porteur de bois d'énergie, et non l'inverse ; ne vouloir que du bois d'énergie serait comme « vouloir des pieds de porc sans se préoccuper des jambons ! » 11 ( * ) . Il assortissait ce constat de propositions précises en vue d'organiser l'offre, l'objectif étant de parvenir à une structuration durable de la filière bois.

En effet, le dispositif d'incitations publiques est déséquilibré en faveur du bois-énergie , et, en particulier, du bois-électricité, alors que le développement de la filière bois-forêt doit promouvoir des usages « en cascade » du bois , cherchant à valoriser d'abord le bois-matériau , qui constitue la filière de transformation à plus forte valeur ajoutée, seule susceptible de susciter un développement durable de la filière bois française.

Le bois-matériau présente, par ailleurs, l'avantage d'assurer une séquestration durable du carbone. Pour la mission précitée sur les usages non alimentaires de la biomasse : « Il s'agit d'enrayer le processus de « sous-développement » de la filière forêt-bois française et de répondre aux défis auxquels l'expose le changement climatique ».

Le rapport précité de M. Jean-Yves Caullet, député, président de l'ONF, en date de juin 2013, formule des propositions en ce sens, préconisant notamment la mise en place d'outils réglementaires, fiscaux et financiers de nature à susciter de nouvelles dynamiques des secteur de la forêt et « des » filières bois, dont la diversité ne doit pas être occultée.

Ces questions étaient traitées dans le cadre de l'un des trente-quatre plans de la Nouvelle France industrielle (NFI) , consacré aux industries du bois .

Avec ce plan il s'agissait de relancer la filière bois française en créant des conditions favorables à l'implantation sur le territoire national d'industries de transformation susceptibles de fournir des matériaux pour la construction, des biens de consommation et la production d'énergie dans le but de mettre fin à un paradoxe : la France est exportatrice de bois et importatrice de produits finis à plus forte valeur ajoutée, entraînant un déficit, pour la filière, de six milliards d'euros par an dans la balance commerciale 12 ( * ) .

Ce plan répond aux critiques émises par les travaux précédemment mentionnés, en ce qu'il considère l'ensemble des étapes de transformation du bois, de l'amont à l'aval de la filière .

Il entend, notamment, tirer parti de la tendance à l'augmentation de la part du bois dans la construction pour parvenir à une meilleure mobilisation de la ressource nationale en bois .

Le comité stratégique de la filière bois a élaboré un contrat stratégique qui prévoit, par ailleurs, d'aider à la modernisation des activités de scierie, dont la vitalité est essentielle à la filière, et d'aider à la replantation, afin d'encourager une gestion dynamique par les propriétaires de leur patrimoine forestier. En effet, les mécanismes de subventionnement sont aujourd'hui complexes et assortis de longs délais de mise en oeuvre, qui ont pour effet de décourager les propriétaires forestiers.

Enfin, la question de la gouvernance de la filière forêts et bois se pose, les énergéticiens déplorant d'être insuffisamment associés au dialogue qui s'est instauré entre les différents acteurs.

2. Les biocarburants de première génération remis en question

Quant aux biocarburants de première génération, les travaux existants appellent au maintien du niveau actuel de production , afin de ne pas pénaliser les investissements déjà effectués et de tirer parti de leur impact positif sur le solde commercial.

Il existe un consensus relatif sur le fait qu' il n'est pas souhaitable de produire davantage de biocarburants , à l'heure actuelle, en raison de leurs effets sur l'offre de terres disponibles pour les cultures alimentaires, et de leurs effets incertains sur les émissions de gaz à effet de serre (voir ci-après).

En tout cas, les orientations du gouvernement sont conformes à cette orientation puisque la France soutient, dans le cadre des débats européens, la fixation d'un plafond à 7 % pour l'incorporation de biocarburants de première génération, qui correspond au taux d'incorporation actuel des biocarburants en France. Si cette part devait, à l'avenir, progresser, ce serait grâce au développement des biocarburants dits avancés, c'est-à-dire ceux de deuxième génération.

À ce sujet, toutefois, il est intéressant de remarquer que le rapport de la mission sur les usages non alimentaires de la biomasse est plus favorable que celui de la mission parlementaire susmentionnée , considérant que de nombreux doutes affectent les jugements généralement portés sur les biocarburants de première génération.

D'après cette étude, en effet :

- il conviendrait de préciser la part, dans l'augmentation de la demande de certains types de cultures (palme, soja...), entre la demande alimentaire et la demande de biocarburants ;

- les émissions de gaz à effet de serre liées à la culture des biocarburants sont comparées à une référence obsolète, à savoir d'anciennes évaluations des émissions liées à l'utilisation de carburants fossiles, qui mériterait d'être actualisée par une analyse sur l'ensemble de leur cycle de vie ;

- la captation des sols résultant de la production de biocarburants devrait être comparée à d'autres formes de captation des sols, résultant de l'urbanisation, du développement des infrastructures ou encore du phénomène de surproduction alimentaire observable dans certaines parties du monde ;

- les coproduits valorisés, associés aux biocarburants, notamment la production de tourteaux pour l'alimentation animale, et leurs effets positifs notamment sur le déficit commercial, devraient être pris en compte dans les raisonnements tendant à évaluer la pertinence de la production de biocarburants.

En tout état de cause, il demeure préférable pour l'Europe de produire ses propres biocarburants plutôt que de les importer . Des contrôles appropriés de leur impact en termes fonciers et environnementaux peuvent ainsi être mis en oeuvre alors qu'il est plus difficile de s'assurer de la traçabilité de biocarburants importés.

Enfin, les biocarburants de première génération sont intéressants en ce qu'ils peuvent constituer un tremplin vers des biocarburants de deuxième voire de troisième générations . Il est donc essentiel, a minima , de ne pas remettre en cause la profitabilité des investissements réalisés pour la première génération.

3. Les obstacles au développement de la méthanisation

Les enjeux du développement de la méthanisation sont également de mieux en mieux documentés.

a) Un modèle fondé sur le refus des cultures spécialisées

En novembre 2012, un rapport 13 ( * ) du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a fait le point sur les freins au développement de la méthanisation dans le secteur agricole.

Ce rapport définit la méthanisation comme « un procédé qui, à partir d'effluents d'élevage, auxquels on ajoute des déchets divers et variés, produit de l'électricité, de la chaleur, mais aussi des matières résiduelles au pouvoir fertilisant ».

Le refus de développer la méthanisation à partir de cultures spécialisées , sur le modèle de l'Allemagne, apparaît comme le principal frein au développement de ce secteur. En effet, en Allemagne, c'est la fixation d'un tarif d'achat très élevé de l'électricité produite à partir de biogaz qui a entraîné un développement massif de cultures énergétiques. Il faut noter toutefois que la remise en cause par la Commission européenne du modèle de soutien aux énergies renouvelables, jusqu'à présent mobilisé, fait naître quelques inconnues sur l'avenir de la filière.

En France, la méthanisation est développée à partir de déchets fermentescibles, dont le pouvoir méthanogène est très inférieur à celui de cultures spécialisées et dont la collecte peut être complexe et coûteuse.

Les rapporteurs de la mission d'information parlementaire sur la biomasse au service du développement durable sont défavorables à de telles cultures spécialisées, tant pour les biogaz que pour les biocarburants. La méthanisation est conçue, en France, comme répondant prioritairement à une problématique de valorisation des déchets, dans une logique d'économie circulaire, avant de pourvoir à des besoins énergétiques .

Le point de vue exprimé par le représentant de la FNSEA, lors de la table ronde 14 ( * ) organisée conjointement par les commissions du développement durable et des affaires économiques du Sénat, le 2 octobre 2013, mérite néanmoins d'être mentionné : « On évoque souvent les conflits d'usages des terres agricoles, entre productions alimentaires et énergétiques. Je pense qu'il faut recadrer le débat sur ce point. En région Lorraine, si l'on mettait 1 % de la surface agricole en culture dédiée pour alimenter à 25 % les méthaniseurs, on réaliserait quatre fois l'objectif fixé pour 2020. On parle bien ici de 1 % des terres agricoles, à comparer aux 30 % de gaspillage des produits alimentaires ».

Il est souligné, par ailleurs, que l'allocation de cultures spécialisées permettrait de garantir un certain niveau d'approvisionnement aux financeurs des projets, le défaut de ce type de garantie constituant actuellement un frein important. Il n'en demeure pas moins, comme le note le rapport précité des CGEDD et CGAAER, que « le problème des cultures énergétiques semble avoir un côté tabou en France ».

Pour accroître sa rentabilité, la filière française doit, dès lors, s'attacher à tirer parti des coproduits de l'électricité que sont la chaleur (cogénération) et le digestat , qui peut être réutilisé sous diverses formes (amendement, engrais organiques), à condition d'en contrôler la composition. Le biogaz peut, en outre, être injecté dans le réseau ou encore être employé comme biocarburant dans les transports.

Rappelons que le développement du biogaz est l'objet d'un soutien public dans le cadre du plan « Énergie Méthanisation Autonomie Azote » de mars 2013. Le gouvernement souhaite le lancement de 1 500 projets de méthanisation ainsi que le doublement du montant du fonds chaleur en trois ans.

Le rapport parlementaire précité considère que le Gouvernement a clairement exprimé les options françaises dans le domaine de la méthanisation , alors que sa stratégie est moins explicite s'agissant, d'une part, du bois-énergie, et, d'autre part, des biocarburants .

b) Des objectifs ambitieux compte tenu de multiples obstacles

Toutefois les difficultés demeurent et sont relatives à différents aspects :

- la pérennité de l'approvisionnement des unités ;

- la stabilité de leurs débouchés ;

- la complexité des tarifs de rachat ;

- les déséquilibres potentiels entre acteurs, au détriment des agriculteurs, notamment vis-à-vis des professionnels des déchets ou de l'énergie ;

- les modalités de valorisation de la chaleur coproduite ;

- le statut des digestats, qui en pénalise l'utilisation ;

- et, enfin, la complexité administrative des dossiers et démarches à accomplir en vue de la création d'une unité de méthanisation. En effet, quatre ans sont nécessaires pour monter un projet , dont deux ans et demi pour les autorisations administratives, contre seulement six mois de procédure en Allemagne et huit mois en Italie.

Sous ces angles, il apparaît fondamental d'envisager le choix implicite au projet du gouvernement de favoriser des unités de faible capacité répondant à une logique d'équilibre des exploitations agricoles plutôt que d'accéder directement à des unités de production plus conséquentes aux débouchés plus variés.

Au-delà de la production, les industriels du secteur souhaiteraient la mise en place d'un cadre incitatif au développement du biométhane carburant, actuellement soumis à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPCE) pour les bus, taxis et camions, et qui n'est pas reconnu au titre des obligations d'incorporation de biocarburant des distributeurs.


* 11 « Mise en valeur de la forêt française et développement de la filière bois », mission confiée à M. Jean Puech, ancien ministre, rapport remis, le 6 avril 2009, à M. Nicolas Sarkozy, Président de la République.

* 12 Ce paradoxe est particulièrement analysé dans un rapport de la Commission des Finances du Sénat (n° 382, 2014-2015). Ce rapport intitulé « Faire de la filière forêt-bois un atout pour la France », évoque ainsi un « modèle économique de pays en développement ».

* 13 « Freins au développement de la méthanisation dans le secteur agricole », rapport du CGEDD et du CGAAER, établi par M. Pierre Roussel, Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et M. François Roussel, Inspecteur général de l'agriculture, novembre 2012.

* 14 Tables rondes conjointes de la commission du développement durable et de la commission des affaires économiques du Sénat : « Conditions de la réalisation du potentiel de la biomasse-énergie en France » et « Biogaz et méthanisation comme ressource économique et substitut au gaz », Sénat, comptes rendus de la commission du développement durable, 2 octobre 2013.

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