B. LE DÉFI DE LA DÉMOGRAPHIE

1. Une population jeune dont la scolarisation constitue une priorité

De seulement 3,4 millions d'habitants en 1921, la population du Maroc est passée à 7,7 millions d'habitants en 1952. En 1960, elle atteignait 11,6 millions d'habitants et dépasse aujourd'hui les 33 millions.

Si plusieurs caractères propres à cette population ont fortement évolués depuis l'indépendance, notamment en raison d'un fort mouvement d'exode rural, un élément s'est perpétué au fil du temps : la jeunesse de la population, puisque la part des moins de 15 ans représente encore 30 % du total.

Dans ces conditions, la question éducative et la scolarisation de tous a représenté et représente encore un défi pour les gouvernements successifs. Le taux d'alphabétisation n'atteint guère plus de 56 % ; les chiffres pour les 15-24 ans, soit 84 %, soulignant néanmoins l'ampleur des efforts accomplis depuis 1960.

De fait, de 38 % en 1960, le taux de scolarisation dans l'enseignement primaire est passé à plus de 71 % en 1999 et atteint désormais 99,5 %. Certes, comme le soulignent certains observateurs « le système éducatif marocain n'arrive pas à atteindre tous les enfants scolarisables. Des élèves abandonnent en cours de scolarité, d'autres redoublent et accumulent des retards, l'offre d'éducation se traduit par des cycles incomplets (collégial et qualifiant). Sans oublier les disparités de l'offre entre zones rurales et urbaines, entre garçons et filles » 5 ( * ) .

Entre l'adoption de la Charte Nationale de l'Éducation et de la Formation (CNEF), en 1999, et la mise en oeuvre d'un Plan d'Urgence pour les années 2009-2012, la politique éducative a pourtant clairement fait l'objet d'une priorité nationale. Si l'on en croit un article publié dans Le Matin le 24 avril 2015, le ministre de l'éducation nationale aurait déclaré en conférence de presse que « l'école publique marocaine a touché le fond puisque 76 % des élèves ne savent ni lire ni écrire après quatre années passées au primaire, la majorité des élèves entre 6 et 11 ans n'ont pas acquis les bonnes bases de lecture, d'écriture, de calcul... D'après le ministre, le nouveau projet éducatif doit permettre de transformer l'école marocaine pour offrir équitablement à tous les citoyens une éducation et une formation de qualité, fondées sur les valeurs et les principes suprêmes du pays et pouvant leur permettre de se préparer pour l'avenir, de s'épanouir, de prendre part activement à la construction du capital humain dont a besoin le pays... ».

La vision stratégique pour la réforme de l'école marocaine a été présentée le 21 mai 2015. Couvrant les années 2015 à 2030, elle est fondée sur une approche participative et de concertation et ambitionne l'édification d'une école nouvelle qui sera l'école de l'équité et de l'égalité des chances, l'école de la qualité pour tous, et l'école de l'intégration de l'individu et du progrès social, a indiqué Omar Azziman, président du Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique. Au nom de l'équité, l'enseignement préscolaire sera généralisé et une discrimination positive sera instituée au bénéfice de l'école rurale.

Pour assurer une école de qualité pour tous, la vision stratégique estime nécessaire de repenser la formation et la qualification des métiers de l'enseignement, défi que les responsables rencontrés ont clairement identifié. Elle traduit également une volonté de reconsidérer les méthodes pédagogiques, de revisiter les programmes, de clarifier les choix linguistiques, de mettre en place une nouvelle gouvernance et de promouvoir la recherche scientifique et l'innovation.

2. Un enseignement supérieur en fort développement

Plus encore que l'éducation nationale, l'enseignement supérieur connait une expansion très rapide. De 292 770 à la rentrée 2007, le nombre des étudiants est passé à 541 027 à la rentrée 2012 et atteindrait aujourd'hui le chiffre de 700 000. L'accroissement du nombre des nouveaux inscrits est encore plus fort : il fait plus que doubler entre 2007 et 2012 (192 136 contre 82 855) !

Comme l'a souligné le ministre de l'enseignement supérieur, M. Lahcen Daoudi, au cours de l'entretien qu'il a accordé à la délégation, cet accroissement pose d'inévitables problèmes de capacité d'accueil et de montée en puissance du corps enseignant. Ainsi, les effectifs des enseignants permanents évoluent très peu ; en cinq ans, ils passent de 10 103 à 11 963. Pour faire face à cet afflux, l'âge de départ à la retraite des enseignants chercheurs est fixé à 71 ans.

Cette massification de l'enseignement supérieur est évidemment bénéfique sur le plan de l'élévation du niveau de formation, d'autant que les filles représentent près de la moitié des étudiants, témoignant de ce que la femme marocaine, pour reprendre l'expression du ministre, « est en train d'arracher ses droits ». Mais elle pose inévitablement la question de l'accès au marché du travail des jeunes diplômés, surtout dans les filières littéraires et en droit, sachant par ailleurs que la proportion de bacheliers littéraires s'accroit par rapport aux bacheliers scientifiques.

En matière de politique publique, l'objectif poursuivi par les autorités est d'améliorer l'offre, préférée à se tourner vers l'étranger et la France en particulier, ne serait-ce que pour des raisons d'égalité d'accès aux études.

3. Un réseau d'enseignement du français sous pression

Après le Liban, le réseau de l'enseignement français au Maroc est aujourd'hui le premier au monde par le nombre d'établissements et d'élèves scolarisés : 32 000 élèves dans 36 établissements. Ceux-ci se répartissent entre gestion directe par l'Agence de l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et établissements partenaires.

La délégation a eu la grande chance de visiter trois d'entre eux, lui permettant ainsi de mieux appréhender la diversité des situations : le lycée Lyautey de Casablanca , avec près de 3 500 élèves constitue un des établissements les plus importants de toute l'éducation nationale ; récemment ouvert, le groupe scolaire Jacques Majorelle de Marrakech accueille plus de 600 élèves, dont quelques Français, et constitue un établissement partenaire, géré par la Mission laïque française. 6 ( * ) La délégation a également passé une matinée à l' école primaire Narcisse Leven , qui compte environ 200 élèves dont un tiers de Français, et dépend de l'Alliance israélite universelle. Temps fort de sa mission, cette visite au coeur d'un établissement sans équivalent dans le monde arabe a vivement ému la délégation en ce qu'elle témoignait de la possibilité du vivre ensemble d'enfants issus de communautés religieuses éloignées par l'histoire.

Au-delà des spécificités de chacun, la délégation a pu constater la grande qualité et la variété des enseignements dispensés (jusqu'à quatre langues vivantes - français, arabe, hébreu et anglais - en fin de primaire à l'école Narcisse Leven).

L'école Narcisse Leven de Casablanca

Le financement des établissements est réparti en deux parts égales entre l'État et les familles, même si la part à la charge des familles s'accroît progressivement. Au demeurant, celle-ci reste une exception au sein du réseau de l'enseignement français à l'étranger, où elle avoisine plutôt les deux tiers du financement.

Ce réseau d'établissements emploie deux mille personnes environ, dont un millier de titulaires du ministère de l'éducation nationale et autant de personnels recrutés localement (dont 76 seulement avec le statut d'expatrié).

Compte tenu de la très forte demande des familles marocaines et malgré le montant de l'écolage qui constitue un obstacle pour beaucoup d'entre elles, la France n'éprouverait aucune difficulté à « remplir » des établissements supplémentaires si elle faisait le choix d'en ouvrir. Mais outre le coût d'une telle politique, l'enseignement français au Maroc n'a nullement vocation à se substituer à l'enseignement public marocain, qui doit poursuivre son propre développement. C'est pourquoi la pression à l'inscription au sein des établissements existants se fait chaque année plus forte, justifiant qu'un système de tirage au sort ait été mis en place afin d'éviter toute forme de pression.

Au contraire, le pôle francophone de l'école Ibn Arroumi de Casablanca montre les apports importants que représente l'apprentissage du français dès le plus jeune âge, au sein de l'enseignement marocain lui-même. Ce résultat remarquable du projet de coopération linguistique et éducative que l'Institut français du Maroc mène depuis 2011 avec trois écoles de l'ancienne Médina de Casablanca doit être souligné, en partenariat avec le ministère marocain de l'éducation nationale et la fondation Sqala. Ce beau projet concerne 26 professeurs de français et 1 645 élèves et contribue ainsi au rayonnement du français et à l'égalité des chances, en favorisant l'accès à la lecture et au multimédia des élèves.


* 5 Source : Youssef Nait Belaid, École, famille et ruralité Les enjeux de la scolarisation et de la déscolarisation, octobre 2014.

* 6 Au Maroc, la Mlf est implantée depuis 1996 sous le sigle Office scolaire et universitaire international (OSUI).

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