C. LES LIBERTÉS PUBLIQUES À L'HEURE DU CHANGEMENT

Depuis 2011, au lendemain des printemps arabes, le Maroc s'est engagé plus à même dans une politique de renouveau des institutions. La Constitution reconnaît les fondements historiques multiples du Royaume et accorde une place à l'exercice des libertés individuelles. À ce titre, la communication dispose désormais d'un cadre légal rénové, qui tend à se rapprocher des standards démocratiques, aux dires mêmes des personnalités officielles rencontrées par la délégation.

Trois chantiers principaux sont ouverts :

- la réforme du cadre légal de l'exercice de la profession de journaliste ;

- la mise en place de règles permettant de garantir l'indépendance de l'audiovisuel public ;

- la mise en oeuvre d'une véritable filière de formation des journalistes.

1. Un nouveau cadre pour l'exercice de la liberté de la presse

La réforme du cadre légal de l'exercice de la profession de journaliste passe d'abord par l'élaboration d'un nouveau code de la presse et de l'édition. Le code actuel datant de 2002, l'élaboration d'un nouveau code permettra de donner un cadre légal à la presse électronique. Telle que présentée par M. Mustapha Khalfi, ministre de la communication lors de l'entretien qu'il a accordé à la délégation, elle aura surtout pour objet d'élargir le champ d'exercice de la liberté d'expression, en allant dans le sens de sa dépénalisation. 7 ( * )

Dans un exposé sur les nouveautés de la réforme du code de la presse et de l'édition, devant la Commission de l'éducation, de la culture et de la communication à la Chambre des représentants, le 19 avril 2013, M. Khalfi avait déjà indiqué que « le projet ambitionne de regrouper l'ensemble des lois en un seul Code moderne et démocratique, de consolider les garanties des libertés de presse, en droite ligne des dispositions constitutionnelles et des engagements internationaux du Royaume et d'abolir les peines privatives de liberté, tout en les substituant par la responsabilité sociale et la réparation civile, via des amendes appropriées ».

La réforme du code de la presse permettra également la mise en place du conseil national de la presse prévu par la Constitution de 2011. Cet organisme indépendant aura notamment pour mission de délivrer la carte de presse, alors que cette tâche est actuellement du ressort du ministère de la communication lui-même.

2. L'indépendance de la communication audiovisuelle en marche

La réforme du paysage audiovisuel traduit la volonté du Maroc de développer l'option démocratique à travers la consécration du pluralisme, la consolidation des fondements de l'État de droit et des institutions et la garantie de l'exercice de la liberté d'expression et d'opinion, dans un esprit de responsabilité.

La création de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (Haca) , en 2002, la suppression du monopole de l'État en matière de radio et de télévision et la promulgation de la loi relative à la communication audiovisuelle constituent autant de jalons visant à moderniser le secteur public audiovisuel, à favoriser la création d'entreprises privées de radio et de télévision dans un cadre normatif et institutionnel clair et réfléchi, et de consacrer ainsi, dans les faits, la double liberté de communication et d'entreprise, à travers une libéralisation régulée par une autorité administrative indépendante.

Placée sous la protection tutélaire du Roi, la Haca a pour mission première de veiller au respect des principes du pluralisme, de la diversité et de la liberté d'expression dans le secteur de la communication audiovisuelle, « dans le respect des valeurs civilisationnelles fondamentales et des lois du Royaume ». Telle que présentée sur son site même, la haute autorité « se veut neutre, impartiale et d'autorité morale, technique et juridique ».

Le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle, instance délibérante de la Haca , comprend neuf membres, dont cinq sont nommés par le Roi (dont le président), deux membres par le Premier ministre et un membre par le président de chacune des assemblées composant le Parlement marocain. Il est investi « de missions d'avis et de proposition, de régulation, de réglementation, de contrôle et de sanction ».

Faire respecter l'interdiction de toute discrimination explicite ou implicite, notamment à l'égard des femmes, constitue une de ces missions. Elle s'inscrit dans le cadre général du programme mis en oeuvre par le gouvernement, dont le financement est assuré par l'Union européenne, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes dans les médias.

Votre commission s'est longuement entretenue avec la présidente Amina Lemrini El Ouahabi , ancienne opposante au régime du Roi Hassan II. Celle-ci a souligné les évolutions positives considérant que l'appui à la transition démocratique, dont l'action de la Haca est un exemple, doit constituer un des axes d'une coopération renouvelée entre la France et le Maroc.

3. La formation des journalistes

Comme partout dans le monde, les nouvelles technologies de l'information et de la communication, qu'on les désigne sous le terme de numérique ou de digital, connaissent une expansion très rapide au Maroc.

En 2012, deux millions de Marocains disposaient d'un accès à internet et dix millions en 2014. Aujourd'hui, 70 % de la population l'utilise.

Le développement des médias numériques, les modifications induites par la Constitution de 2011 et l'élargissement de l'offre audiovisuelle 8 ( * ) ont placé la question de la formation - initiale comme continue - des journalistes parmi les chantiers prioritaires. L'offre de formation est diversifiée : 12 universités ont développé des programmes, qui s'ajoutent aux cursus assurés par l' Institut supérieur des métiers de l'audiovisuel et du cinéma (ISMAC) et de l' Institut supérieur de l'information et de la communication (ISIC) . Seule école publique de journalisme au Maroc, l'ISIC forme une cinquantaine de professionnels chaque année. À l'issue de leur scolarité, ceux-ci s'insèrent semble-t-il facilement sur le marché du travail.

Lors de sa visite, la délégation a été frappée par le fait que l'assistance était exclusivement féminine, à l'exception de deux étudiants originaires d'Afrique subsaharienne. Leur présence illustrait la volonté du Maroc de constituer un pôle africain de compétences. Cette orientation, qui se traduit également par la forte proportion d'étudiants originaires du Sahel au sein de l' université euro-méditerranéenne de Fès , représente un intérêt économique évident car le coût des études au Maroc est moins élevé qu'une formation assurée en France. En outre, elle renforce un modèle francophone à l'échelle africaine. Plus globalement, comme l'a souligné un interlocuteur de la mission, de manière très imagée, si l'Afrique s'éloigne de l'Europe, « cela coûte moins cher de larguer la science que de larguer des bombes ». Autrement dit, la francophonie, loin de consister à entretenir la nostalgie d'un passé révolu, doit être vécue comme un espace géopolitique, dont le Maroc pourrait être le fer de lance en Afrique.


* 7 La liberté d'expression est actuellement réglementée par 24 articles du code pénal.

* 8 Selon la présidente de la Haca, 1 200 chaînes gratuites en arabe seraient disponibles via le satellite.

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