UNE COOPÉRATION ÉDUCATIVE ET CULTURELLE EN RENOUVEAU

II. UNE COOPÉRATION ÉDUCATIVE ET CULTURELLE EN RENOUVEAU

Pays avec lequel les relations sont à la fois fortes et anciennes, le Maroc représente, du point de vue de la coopération éducative et culturelle, deux enjeux :

- en tant que pays francophone et de par sa position géographique, il peut jouer un rôle décisif entre l'Europe et l'Afrique subsaharienne ;

- le Maroc tend à devenir une véritable plateforme en Afrique en matière de formation universitaire et entend contribuer ainsi à la formation des élites subsahariennes. Telle a d'ailleurs été la volonté exprimée par plusieurs interlocuteurs de la délégation, le ministre de l'enseignement supérieur, qui a parlé de l'ambition d'un véritable hub, ou encore la directrice de l'École centrale de Casablanca, Ghita Lahlou, qui a souligné le besoin de former une élite propre à relever les défis de demain.

A. LA PLACE DU FRANÇAIS DANS L'ENSEIGNEMENT SCOLAIRE EN QUESTION

1. Le français réhabilité

Si les élèves apprennent le français dès la deuxième année de l'école primaire, de l'aveu des responsables rencontrés par la délégation, à la fin du cursus scolaire, après douze années d'études, la majorité d'entre eux ne possèdent qu'un niveau très faible. Pourtant, c'est en français que continuent d'être enseignées les matières scientifiques dans l'enseignement supérieur.

Afin de répondre aux graves difficultés de l'enseignement, le gouvernement marocain a décidé de mettre en place des sections internationales du baccalauréat marocain, afin de préparer les élèves à accéder à l'enseignement supérieur et de faciliter leur insertion dans une économie en transition. Ces sections ne modifient pas la teneur des programmes de renforcement de l'enseignement des langues étrangères ; elles prévoient l'utilisation progressive de la langue étrangère pour l'enseignement de certaines matières. Ainsi, les élèves marocains peuvent obtenir le baccalauréat national marocain avec la mention section internationale -option français, anglais ou espagnol.

Dans son édition du 2 avril 2014, l'hebdomadaire Jeune Afrique consacrait un article aux sections internationales au sein de l'éducation nationale marocaine. Titré « Maroc : bac français toi-même ! », celui-ci décrivait « l'une des nouveautés de la rentrée 2013 » : « Pour la première fois, six lycées (Agadir, Casablanca, El-Jadida, Marrakech, Meknès, Tanger) expérimentent la section internationale option français pour le baccalauréat. Concrètement, il s'agit de proposer aux futurs bacheliers un enseignement bilingue pour les matières principales, y compris scientifiques ».

Comme le soulignait Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale, lors de sa visite au Maroc, les 17 et 18 février 2014, « ces sections bilingues n'ont aucunement pour objet de remettre en cause la place de l'arabe, qui a bien évidemment vocation à demeurer la langue principale d'enseignement. Elles visent plutôt à répondre à une demande forte exprimée par de nombreuses familles marocaines en faveur du renforcement de l'enseignement du français. Elles accompagnent l'ouverture internationale du Maroc et permettront sans nul doute d'améliorer les performances linguistiques et académiques de leurs élèves, de mieux préparer ceux qui s'orientent vers les filières universitaires francophones et de contribuer à revaloriser un enseignement public qui comme chacun sait est en proie à une forte concurrence de la part du privé ». 9 ( * )

L'expérience a été étendue, à la rentrée 2014, à au moins un lycée qualifiant public situé dans chacune des académies régionales d'éducation et de formation que compte le Maroc. 200 sections internationales francophones existent désormais, pour 2 hispanophones et 2 anglophones, de création plus récente.

Cette politique ouvre de nouvelles perspectives à la coopération éducative entre nos deux pays. Il serait en effet dommage que la volonté que manifestent les autorités marocaines soit freinée par l'absence d'enseignants de qualité. Sans avoir pour objectif de parvenir à l'obtention du label France éducation 10 ( * ) , cette coopération renouvelée permettra à la fois d'asseoir la position du français et de préparer les élèves à la poursuite d'études dans l'enseignement français, y compris à l'issue de classes préparatoires au sein des lycées marocains, comme la délégation a pu le découvrir au lycée Moulay Youssef de Rabat .

Elle contribue aussi à desserrer l'étau qui s'exerce sur le réseau de l'enseignement français au Maroc, à la fois jugé trop élitiste par beaucoup en raison du montant des frais de scolarité à la charge des familles et par fonction limité dans son importance car ne pouvant ni ne devant jouer une mission de substitution à un enseignement marocain de haut niveau.

La mise en place des sections internationales francophones :
l'exemple du lycée Moulay Youssef (Rabat)

Créé en 1916, le lycée Moulay Youssef constitue un des établissements les plus anciens du Maroc. Établissement d'élite depuis longtemps, il comporte actuellement deux sections internationales, qui comptent 74 élèves au total, dont trois quarts de filles. L'horaire de français langue étrangère est renforcé ; il s'élève à 4 heures, auxquelles s'ajoutent 2 heures d'expression orale. En outre, les mathématiques, la physique et les sciences de la vie et de la terre sont enseignées en français.

Les élèves sont sélectionnés avant l'entrée en 2 de .

A la rentrée 2015, sur les sept classes de tronc commun, le lycée comptera quatre sections internationales.

Aux yeux de l'équipe de direction du lycée, ce système constitue à peu près un retour aux modalités d'enseignement des années 1980.

Les difficultés de mise en oeuvre de cette nouvelle modalité d'accès aux études supérieures sont de deux ordres :

- le manque d'enseignants francophones, conséquence de la politique d'arabisation ;

- l'absence de manuels scolaires en français assurant les programmes marocains. En français, faute de manuels récents, les élèves travaillent essentiellement sur des oeuvres. En sciences, les professeurs sont conduits à « traduire » les manuels en arabe.

Le lycée comporte également des classes préparatoires aux grandes écoles françaises, qui accueillent 470 élèves. Ceux-ci sont recrutés dans tout le Maroc. Leur réussite aux concours d'accès aux grandes écoles d'ingénieurs françaises souligne combien la grande majorité des reçus proviennent des lycées marocains et non des lycées français implantés au Maroc. Le lycée vient d'ailleurs de signer une convention avec l'École Polytechnique de Paris.

Cours de physique dans la section internationale du lycée Abou Abbas Sebti (Marrakech)

2. Le français menacé ?

Comme l'ont souligné plusieurs interlocuteurs de la délégation, des voix s'élèvent, au sein de l'opinion, contre la francophonie. Celle-ci constitue évidemment une force politique, culturelle et économique et partager une même vision de plusieurs enjeux du monde contemporain renforce la position des deux parties. Mais le français, par l'histoire de son implantation au Maroc et de son enseignement, apparaît à l'opinion très lié à une élite. Après les printemps arabes, une opposition à toutes les valeurs qu'elle véhicule s'est faite jour, y compris contre le français et la francophonie. Plutôt que d'attaquer directement des personnes, c'est le principe même du français qui a été contesté. La « généralisation » des sections internationales francophones est vécue par certains responsables politiques comme une remise en cause de la « souveraineté linguistique marocaine ». Certains y verraient même le signe d'une « dépendance culturelle et linguistique par rapport à la France, à laquelle personne n'a pourtant reproché sa responsabilité dans les revers de notre éducation nationale » 11 ( * ) . Si cette critique n'est pas exempte d'arrières pensées politiques, elle témoigne cependant du caractère très sensible de la question de la place du français dans l'enseignement, même si l'ouverture de sections hispanophones et anglophones a permis de rompre l'idée d'un dialogue exclusif avec la France.

L'enterrement récent de trente ans d'arabisation a d'ailleurs déjà suscité des critiques politiques, un député estimant que « ce projet montre à quel point le lobby francophone est encore puissant et à quel point notre pays dépend de la France ».

Par ailleurs, dans un monde globalisé, il n'est pas étonnant que la jeunesse marocaine porte son regard dans d'autres directions, qu'il s'agisse de la Turquie ou des Pays du Golfe, dont les moyens financiers sont importants.

Enfin, les remarques que la délégation a parfois recueillies montrent que les dispositions de la loi française de juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche qui permettent la poursuite d'études en langues étrangères - en pratique en anglais - au sein des établissements d'enseignement supérieur, pouvaient être mal perçues : du point de vue des étudiants marocains quelle peut être la justification de suivre un cursus scolaire comportant des cours en français dans les matières scientifiques si ces disciplines sont enseignées en anglais lorsque ces étudiants accomplissent des études supérieures en France ? La pénurie d'enseignants d'anglais limite probablement ce danger mais on ne peut exclure le développement d'un sentiment de moindre intérêt pour les études en français si elles n'étaient plus perçues que comme une porte d'entrée secondaire vers des formations de très haut niveau.


* 9 Entretien au journal L'économiste , 17 février 2014.

* 10 Créé en 2012 dans le cadre du Plan de développement de l'enseignement français à l'étranger conçu par le ministère des Affaires étrangères et du Développement international en lien avec le ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, ce dispositif permet d'identifier, de reconnaître et de promouvoir les établissements scolaires étrangers d'excellence à programmes nationaux qui contribuent au développement de la langue française et de la culture francophone.

* 11 Citation attribuée à Bilal Talidi, éditorialiste à Attajdid, « l'organe de presse officieux du Parti de la justice et du développement (PJD) » par Jeune Afrique .

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