ANNEXES

Annexe 1

Liste des personnes auditionnées.

Annexe 2

Décret portant création de la MIPROF.

Annexe 3

Articles du CESEDA et du code de procédure pénale.

Annexe 4

Extraits du protocole additionnel à la convention
de Palerme relatif à la traite.

Annexe 5

Code pénal : section relative à la traite des êtres humains.

Annexe 6

Exemple d'une arrestation de trafiquants :
communiqué de presse d'Eurojust du 15 juillet 2015.

Annexe 7

Plan d'action national 2014-2016 contre la traite des êtres humains.

Annexe 8

Circulaire du 22 janvier 2015 de politique pénale
en matière de lutte contre la traite des êtres humains.

Annexe 9

Instruction du 19 mai 2015.

Annexe 10

Arrêté du 23 octobre 2015.

Annexe 11

Comptes rendus des auditions.

Annexe 1 - Liste des personnes auditionnées

Audition du 22 septembre 2015

- Mme Myria Vassiliadou

Coordinatrice de l'Union européenne de la lutte contre la traite des êtres humains

Audition du 29 octobre 2015

- Mme Michèle Ramis

Ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée

Audition du 12 novembre 2015

- Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay

Ambassadrice pour les droits de l'Homme

Audition du 19 novembre 2015

- Mme Élisabeth Moiron-Braud

Secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) 121 ( * )

Table ronde du 25 novembre 2015

- M. Louis Guinamard

Conseil en communication et plaidoyer international, auteur de Les nouveaux visages de l'esclavage

- Mme Geneviève Colas

Collectif Ensemble contre la traite des êtres humains , Secours catholique-Caritas France

- M. Patrick Hauvuy

Directeur de l'association ALC-dispositif national Ac.Sé

- Mme Federica Marengo

Coordinatrice, association ALC-dispositif national Ac.Sé

- Mme Éléonore Chiossone

Conseillère technique protection de l'enfance, ECPAT France

- Mme Alice Tallon

Chargée de projets, ECPAT France

- Maître David Desgranges

Président du Comité contre l'esclavage moderne (CCEM)

- Mme Élisabeth Moiron-Braud

Secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) 122 ( * )

- Mme Florence Boreil

Associée à la protection, Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés ( UNHCR )

- Mme Coralie Capdeboscq

Chef de file du groupe de référents « Traite des êtres humains », Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)

- Mme Fatiha Mlati

Directrice de l'intégration, coordinatrice de la question du genre et du retour volontaire de France Terre d'Asile

Table ronde du 14 janvier 2016

- Mme Véronique Degermann

Procureur adjoint en charge de la division antiterroriste et de la lutte contre la criminalité organisée au parquet de Paris

- Mme Bénédicte Lavaud-Legendre

Chargée de recherche au CNRS

- M. Hervé Henrion-Stoffel

Conseiller juridique à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)

- Mme Cécile Riou-Batista

Coordinatrice sur la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains et conseillère pour les questions d'éthique, de société et d'éducation aux droits de l'homme à la CNCDH

Réunion à Genève, le 4 décembre 2015,
entre Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure, et des responsables
du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés

- Mme Janice Lyn Marshall

Deputy Director, Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ( UNHCR )

- Mme Rebecca Eapen

Senior Adviser - Gender equality ( UNHCR )

- Mme Margriet Veenma

Senior Adviser - Sexual gender based violence ( UNHCR )

Audition des co-rapporteures, le 9 décembre 2015

- M. Nicolas Le Coz

Président du GRETA

Visite d'une délégation britannique au Sénat, le 13 janvier 2016

Rencontre avec Sir Anthony Steen , président de la Fondation pour la lutte contre la traite des êtres humains ( Human Trafficking Foundation ), Mme la Baronne Elizabeth Butler-Sloss , membre de la fondation, Sir John Randall , vice-président de la fondation et M. Euan Fraser , chargé de communication à la fondation.

Annexe 2 - Décret portant création de la MIPROF

5 janvier 2013 JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

MINISTÈRE DES DROIT DES FEMMES

Décret n o 2013-7 du 3 janvier 2013 portant création d'une mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains

NOR : DFEX1242343D

Publics concernés : administrations, ensemble de la population.

Objet : création d'une mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains.

Entrée en vigueur : le texte entre en vigueur le lendemain de sa publication.

Notice : il est créé auprès du ministre chargé des droits des femmes une mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Cette mission a pour objet de rassembler, analyser et diffuser les informations et données relatives aux violences faites aux femmes. Elle contribuera également à l'évaluation des dispositifs nationaux et locaux en matière de violences faites aux femmes ainsi qu'à l'animation des acteurs publics et privés intervenant dans la lutte contre ces violences. En lien avec les ministères concernés, la mission définira un plan de sensibilisation et de formation des professionnels sur les violences faites aux femmes. Elle assurera par ailleurs la coordination nationale en matière de lutte contre la traite des êtres humains, conformément à la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005. Pour son fonctionnement, la mission s'appuie sur les personnels du ministère des droits des femmes et bénéficie de personnels mis à sa disposition par les départements ministériels concernés. Pour l'exercice de ses attributions, la mission constitue auprès d'elle un comité d'orientation, composé de représentants des collectivités territoriales, de représentants de l'État, de personnalités qualifiées et de représentants de structures locales intervenant en matière de violences faites aux femmes.

Références : le décret peut être consulté sur le site Légifrance (http://www.legifrance.gouv.fr).

Le Président de la République,

Sur le rapport du Premier ministre et de la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement,

Vu le décret n o 2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat ;

Le conseil des ministres entendu,

Décrète :

Art. 1 er . - Il est créé auprès du ministre chargé des droits des femmes une mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains.

Le secrétaire général de la mission est nommé par arrêté du ministre chargé des droits des femmes.

Art. 2. - La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains est chargée de :

1 o Rassembler, analyser et diffuser les informations et données relatives aux violences faites aux femmes. En lien avec les organismes de recherche et les administrations compétentes de l'Etat, elle contribue à la réalisation d'études et de travaux de recherche et d'évaluation dans le domaine de la protection des femmes victimes de violences ;

2 o Favoriser l'animation locale de la politique de protection des femmes victimes de violences. Elle recense à ce titre les innovations et bonnes pratiques en matière de protection des femmes victimes de violence et adresse toutes recommandations utiles aux préfets et aux directeurs généraux des agences régionales de santé ;

3 o Définir, en lien avec les ministères et les acteurs concernés, le cahier des charges du plan de sensibilisation et de formation des professionnels sur les violences faites aux femmes ;

4 o Assurer la coordination nationale de la lutte contre la traite des êtres humains.

La mission élabore son programme de travail, qu'elle soumet au ministre chargé des droits des femmes.

Art. 3. - Les crédits nécessaires au fonctionnement de la mission interministérielle sont inscrits au budget du ministère des droits des femmes.

La mission dispose de personnels du ministère chargé des droits des femmes et de personnels mis à la disposition de ce ministère par les départements ministériels concernés.

Art. 4. - Pour la collecte des données et études relatives aux violences faites aux femmes, les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics ainsi que les associations contribuant à la protection des femmes victimes de violences communiquent à la mission, dans des conditions définies par voie de conventions, les informations agrégées dont elles disposent, sous réserve de l'application des dispositions législatives imposant une obligation de secret.

La mission fait connaître ses besoins aux administrations et établissements publics de l'État afin qu'ils soient pris en compte dans leurs programmes d'études et leurs travaux statistiques.

Art. 5. - Pour l'exercice de sa mission d'animation locale de la politique de protection des femmes contre les violences et de définition du cahier des charges du plan de sensibilisation et de formation des professionnels sur les violences faites aux femmes, la mission conclut toute convention utile avec les organismes publics et privés compétents.

Art. 6. - Pour l'exercice de sa mission de coordination nationale de la lutte contre la traite des êtres humains, la mission est chargée d'assurer le suivi de la mise en oeuvre de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005 en liaison avec le groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA).

Art. 7. - La mission constitue auprès d'elle un comité d'orientation composé comme suit : 1 o Trois représentants des collectivités territoriales :

a) Un représentant des régions, désigné par l'Association des régions de France ;

b) Un représentant des départements, désigné par l'Assemblée des départements de France ;

c) Un représentant des communes et intercommunalités, désigné par l'Association des maires de France ;

2 o Trois représentants de structures locales intervenant en matière de violences faites aux femmes, nommés par le ministre chargé des droits des femmes ;

3 o Six personnalités qualifiées choisies à raison de leur compétence et de leur expérience, nommées par le ministre chargé des droits des femmes ;

4 o Des représentants de l'Etat ou d'établissements publics de l'Etat :

- le directeur général de la cohésion sociale ou son représentant ;

- le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages ou son représentant ;

- le directeur général de l'offre de soins ou son représentant ;

- le directeur général des affaires politiques et de sécurité ou son représentant ;

- le directeur général de l'enseignement scolaire ou son représentant ;

- le directeur général du travail ou son représentant ;

- le directeur général de la police nationale ou son représentant ;

- le directeur général de la gendarmerie nationale ou son représentant ;

- le directeur des affaires criminelles et des grâces ou son représentant ;

- le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance ou son représentant ;

- le directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques ou son représentant ;

- le secrétaire général à l'immigration et à l'intégration ou son représentant ;

- le directeur de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice ou son représentant.

Art. 8. - Le comité d'orientation contribue à la définition des grandes orientations de la mission interministérielle.

Il est réuni au moins deux fois par an, sur proposition du secrétaire général de la mission, qui fixe l'ordre du jour de ses travaux et en assure la préparation et le suivi.

Art. 9. - Les fonctions des membres du comité d'orientation ne donnent pas lieu à rémunération. Les frais de déplacement et de séjour sont remboursés dans les conditions prévues par la réglementation applicable aux personnels civils de l'Etat.

Art. 10. - Le présent décret peut être modifié par décret.

Art. 11. - Le Premier ministre et la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de l'application du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait le 3 janvier 2013.

Annexe 3 - Articles du CESEDA et du code de procédure pénale

Article L. 316-1 du CESEDA

Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » peut être délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites.

En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident est délivrée de plein droit à l'étranger ayant déposé plainte ou témoigné.

Article L. 744-6 du CESEDA

À la suite de la présentation d'une demande d'asile, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d'asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d'accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s'ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d'asile. Dans la mise en oeuvre des droits des demandeurs d'asile et pendant toute la période d'instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation spécifique des personnes vulnérables.

L'évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier, à identifier les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines.

L'évaluation de la vulnérabilité du demandeur est effectuée par des agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ayant reçu une formation spécifique à cette fin.

Lors de l'entretien, le demandeur est informé de sa possibilité de bénéficier de l'examen de santé gratuit prévu à l'article L. 321-3 du code de la sécurité sociale.

Les informations attestant d'une situation particulière de vulnérabilité sont transmises, après accord du demandeur d'asile, par l'Office français de l'immigration et de l'intégration à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. L'évaluation de la vulnérabilité par l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne préjuge pas de l'appréciation par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides de la vulnérabilité du demandeur en application de l'article L. 723-3 ou du bien-fondé de sa demande. (...).

Article 706-57 du code de procédure pénale

Les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction et qui sont susceptibles d'apporter des éléments de preuve intéressant la procédure peuvent, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction, déclarer comme domicile l'adresse du commissariat ou de la brigade de gendarmerie. Si la personne a été convoquée en raison de sa profession, l'adresse déclarée peut être son adresse professionnelle.

L'adresse personnelle de ces personnes est alors inscrite sur un registre coté et paraphé, qui est ouvert à cet effet.

Article  706-58 du code de procédure pénale

En cas de procédure portant sur un crime ou sur un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement, lorsque l'audition d'une personne visée à l'article 706-57 est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction, peut, par décision motivée, autoriser que les déclarations de cette personne soient recueillies sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure. Cette décision n'est pas susceptible de recours, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article 706-60. Le juge des libertés et de la détention peut décider de procéder lui-même à l'audition du témoin.

La décision du juge des libertés et de la détention, qui ne fait pas apparaître l'identité de la personne, est jointe au procès-verbal d'audition du témoin, sur lequel ne figure pas la signature de l'intéressé. L'identité et l'adresse de la personne sont inscrites dans un autre procès-verbal signé par l'intéressé, qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure, dans lequel figure également la requête prévue à l'alinéa précédent. L'identité et l'adresse de la personne sont inscrites sur un registre coté et paraphé, qui est ouvert à cet effet au tribunal de grande instance.

Annexe 4 - Extraits du protocole additionnel
à la convention de Palerme relatif à la traite

Annexe 5 - Code pénal :
section relative à la traite des êtres humains

Article 225-4-1

Modifié par LOI n°2013-711 du 5 août 2013 - art. 1

I. - La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes :

1° Soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;

2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

3° Soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;

4° Soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage.

L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l'un de ses organes, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit.

La traite des êtres humains est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende.

II. - La traite des êtres humains à l'égard d'un mineur est constituée même si elle n'est commise dans aucune des circonstances prévues aux 1° à 4° du I.

Elle est punie de dix ans d'emprisonnement et de 1 500 000 € d'amende.

Article 225-4-2

Modifié par LOI n°2013-711 du 5 août 2013 - art. 1

I. - L'infraction prévue au I de l'article 225-4-1 est punie de dix ans d'emprisonnement et de 1 500 000 € d'amende lorsqu'elle est commise dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 4° du même I ou avec l'une des circonstances supplémentaires suivantes :

1° À l'égard de plusieurs personnes ;

2° À l'égard d'une personne qui se trouvait hors du territoire de la République ou lors de son arrivée sur le territoire de la République ;

3° Lorsque la personne a été mise en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication électronique ;

4° Dans des circonstances qui exposent directement la personne à l'égard de laquelle l'infraction est commise à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;

5° Avec l'emploi de violences qui ont causé à la victime une incapacité totale de travail de plus de huit jours ;

6° Par une personne appelée à participer, par ses fonctions, à la lutte contre la traite ou au maintien de l'ordre public ;

7° Lorsque l'infraction a placé la victime dans une situation matérielle ou psychologique grave.

II. - L'infraction prévue au II de l'article 225-4-1 est punie de quinze ans de réclusion criminelle et de 1 500 000 € d'amende lorsqu'elle a été commise dans l'une des circonstances mentionnées aux 1° à 4° du I du même article 225-4-1 ou dans l'une des circonstances mentionnées aux 1° à 7° du I du présent article.

Article 225-4-3

Créé par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 - art. 32 JORF 19 mars 2003

Créé par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 - art. 32

L'infraction prévue à l'article 225-4-1 est punie de vingt ans de réclusion criminelle et de 3 000 000 euros d'amende lorsqu'elle est commise en bande organisée.

Article 225-4-4

Créé par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 - art. 32 JORF 19 mars 2003

Créé par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 - art. 32

L'infraction prévue à l'article 225-4-1 commise en recourant à des tortures ou à des actes de barbarie est punie de la réclusion criminelle à perpétuité et de 4 500 000 euros d'amende.

Article 225-4-5

Créé par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 - art. 32 JORF 19 mars 2003

Créé par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 - art. 32

Lorsque le crime ou le délit qui a été commis ou qui devait être commis contre la personne victime de l'infraction de traite des êtres humains est puni d'une peine privative de liberté d'une durée supérieure à celle de l'emprisonnement encouru en application des articles 225-4-1 à 225-4-3 , l'infraction de traite des êtres humains est punie des peines attachées aux crimes ou aux délits dont son auteur a eu connaissance et, si ce crime ou délit est accompagné de circonstances aggravantes, des peines attachées aux seules circonstances aggravantes dont il a eu connaissance.

Article 225-4-6

Créé par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 - art. 32

Modifié par Loi n°2009-526 du 12 mai 2009 - art. 124

Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2 , des infractions définies à la présente section encourent, outre l'amende suivant les modalités prévues par l'article 131-38 , les peines prévues par l'article 131-39 .

Article 225-4-7

Créé par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 - art. 32 JORF 19 mars 2003

Créé par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 - art. 32

La tentative des délits prévus à la présente section est punie des mêmes peines.

Article 225-4-8

Modifié par LOI n°2013-711 du 5 août 2013 - art. 1

Lorsque les infractions prévues aux articles 225-4-1 et 225-4-2 sont commises hors du territoire de la République par un Français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 et la seconde phrase de l'article 113-8 n'est pas applicable.

Article 225-4-9

Créé par Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 - art. 12 JORF 10 mars 2004

Toute personne qui a tenté de commettre les infractions prévues par la présente section est exempte de peine si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d'éviter la réalisation de l'infraction et d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices.

La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice d'une des infractions prévues à la présente section est réduite de moitié si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser l'infraction ou d'éviter que l'infraction n'entraîne mort d'homme ou infirmité permanente et d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices. Lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, celle-ci est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle.

Annexe 6 - Exemple d'une arrestation de trafiquants
Communiqué de presse d'Eurojust du 15 juillet 2015

Annexe 7 - Plan d'action national 2014-2016
contre la traite des êtres humains

Annexe 8 - Circulaire du 22 janvier 2015 de politique pénale
en matière de lutte contre la traite des êtres humains

Annexe 9 - Instruction du 19 mai 2015

Annexe 10 - Arrêté du 23 octobre 2015

Le 17 février 2016

JORF n°0253 du 31 octobre 2015

Texte n°30

Arrêté du 23 octobre 2015 relatif au questionnaire de détection des vulnérabilités des demandeurs d'asile prévu à l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

NOR: INTV1523959A

ELI:https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2015/10/23/INTV1523959A/jo/texte

La ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et le ministre de l'intérieur,

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 744-6, dans sa rédaction résultant de l'article 23 de la loi n°2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article R. 744-14,

Arrêtent :

Article 1

La détection des vulnérabilités des demandeurs d'asile est effectuée à l'aide du questionnaire d'évaluation annexé au présent arrêté.

Article 2

Les données du questionnaire font l'objet d'un traitement informatique géré par l'Office français de l'immigration et de l'intégration et sont transmises à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides.

Article 3

Le directeur général de la santé et le directeur général des étrangers en France sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent arrêté, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Annexe

ANNEXE

QUESTIONNAIRE RELATIF À LA DÉTECTION DES VULNÉRABILITÉS DES DEMANDEURS D'ASILE

Les questions qui suivent visent à adapter les conditions d'accueil à la situation du demandeur d'asile et de sa famille.

L'échange ne peut pas porter sur les motifs de la demande d'asile qui relèveront ultérieurement de l'examen par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA).

Les documents à caractère médical communiqués par le demandeur d'asile sont transmis sous pli confidentiel au médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui appréciera les spécificités de l'hébergement pouvant s'ensuivre.

Le demandeur a été informé des règles de protection du secret médical et de la confidentialité ainsi que de l'usage qui sera fait de ces documents, dans son strict intérêt (évaluation de la prise en charge médicale, adaptation de l'hébergement si nécessaire).

Le demandeur d'asile est informé que ses réponses font l'objet d'un recueil sur support informatique.

I. - BESOINS D'HÉBERGEMENT

OUI

NON

Non-réponse

Hébergé par la famille

?

?

?

a.1 Stable

?

?

?

a.2 Précaire

?

?

?

Hébergé par tiers

?

?

?

b.1 Stable

?

?

?

b.2 précaire

?

?

?

Hébergement d'urgence. Si oui, indiquer pour quelle durée :

?

?

?

Sans hébergement

?

?

?

II. - BESOINS D'ADAPTATION

OUI

NON

Non-réponse

Femme enceinte

?

?

?

Si oui, date prévue du terme :

Handicap sensoriel

a.1 Visuel

?

?

?

a.2 Auditif

?

?

?

a.3 Difficultés à verbaliser, mutisme

?

?

?

Handicap moteur - Mobilité réduite

?

?

?

b.1 Appareillage

?

?

?

b.2 Chaise roulante

?

?

?

Besoin de l'assistance d'un tiers pour les actes essentiels de la vie quotidienne

?

?

?

La personne a-t-elle fait état spontanément d'un problème de santé ?

?

?

?

Dépôt de documents à caractère médical effectué par le demandeur sous pli confidentiel :

?

?

Le cas échéant, l'original des documents a-t-il été restitué au demandeur ?

?

?

J'accepte que ces informations soient transmises à l'OFPRA

?

?

Fait le 23 octobre 2015.

Le ministre de l'intérieur,

Pour le ministre et par délégation :

Le directeur général des étrangers en France,

P.-A. Molina

La ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes,

Pour la ministre et par délégation :

Le directeur général de la santé,

B. Vallet

Annexe 11 - Compte rendus des auditions

Audition de Mme Michèle Ramis,
ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée,
sur les femmes victimes de la traite des êtres humains

(29 octobre 2015)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Madame l'ambassadrice, mes chers collègues, nous allons procéder à notre première audition en réunion plénière consacrée à notre travail sur les femmes victimes de la traite des êtres humains.

Je rappelle que ce travail est « porté » par une rapporteure par groupe politique, ainsi que nous l'avons déjà fait pour les femmes de la Défense. Je serai pour ma part la rapporteure du groupe UC-UDI.

Notre objectif est de publier nos conclusions au début du mois de mars.

Le 22 septembre, nous avons eu un échange très intéressant avec Mme Vassiliadou, coordinatrice européenne de la lutte contre la traite des êtres humains (à laquelle Mme Ramis a assisté avec la secrétaire générale de la MIPROF), qui a confirmé l'intérêt d'une approche sexuée de ce sujet.

Nous accueillons donc ce matin Mme Michèle Ramis, ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée, qui, au sein du Ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI), suit plus particulièrement les questions relatives à la traite et que je remercie d'être venue jusqu'à nous.

Vos missions sont (je parle sous votre contrôle, madame l'ambassadrice) notamment de contribuer à renforcer nos politiques de lutte contre la criminalité en lien avec les administrations concernées et les différentes enceintes internationales compétentes. Nous le savons, une approche internationale de la traite des êtres humains est d'autant plus importante que la traite est un phénomène mondial, qui prospère avec des réseaux transnationaux, et que les outils juridiques de lutte contre la traite sont d'abord internationaux et européens.

Afin de mener à bien son travail, la délégation aux droits des femmes a besoin de faire un état des lieux complet du fléau de la traite et d'identifier les leviers d'action permettant de lutter contre la traite des femmes et des jeunes filles, afin de cibler les recommandations susceptibles de conclure notre rapport.

Madame l'ambassadrice, pouvez-vous tout d'abord préciser votre rôle et le périmètre de votre action ? Nous avons besoin de bien comprendre le rôle de chacun des acteurs pour un sujet dont l'approche est nécessairement à la fois interministérielle - c'est d'ailleurs le rôle de la MIPROF d'assurer cette coordination - et internationale.

Je vous donne donc la parole, puis nous vous poserons des questions.

Mme Michèle Ramis, ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée . - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs, merci de votre invitation à cette audition, qui précède la table ronde du 25 novembre prochain, Journée internationale pour la lutte contre les violences faites aux femmes, en vue de la publication par la délégation d'un rapport sur la traite des femmes et des jeunes filles.

En tant qu'ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée au ministère des affaires étrangères - couvrant crime organisé, trafic de drogue, d'êtres humains, de migrants, contrefaçon, corruption, blanchiment - j'ai pour mission de renforcer la coordination et l'efficacité de nos politiques au plan international avec une fonction de réflexion, de représentation et de négociation au sein des instances internationales. Je suis en charge du volet criminel de la traite, et non de ce qui a trait aux droits de l'homme, qui relève d'une autre ambassadrice.

La traite des êtres humains est un phénomène complexe, méconnu, difficile à appréhender et protéiforme, qu'il convient d'abord de définir. Elle concerne avant tout les femmes, ce qui rend les travaux de votre délégation extrêmement pertinents. La traite des êtres humains se définit par le recrutement, le transport et l'exploitation d'hommes ou de femmes par des hommes ou des femmes à des fins lucratives. Cette définition est longtemps restée incomplète et se résumait à la lutte contre l'esclavage et l'exploitation sexuelle. La première définition large et complète a été retenue par les Nations Unies en 2000. Elle comprend trois éléments cumulatifs : une action - recruter, transporter, transférer, héberger des personnes ; un moyen - force, contrainte, fraude, tromperie, abus d'autorité ou de vulnérabilité, octroi d'avantages altérant le consentement de la personne ; et enfin un but : à des fins d'exploitation. La définition internationale donne une liste d'actes minimale, non exhaustive : exploitation de la prostitution d'autrui ou autre exploitation sexuelle, travail ou services forcés, esclavage, servitude, prélèvement d'organes. Je rappelle un point très important : le consentement de la victime n'exonère pas l'auteur.

Les juges ont parfois du mal à établir ces trois critères qui caractérisent la traite : il arrive donc que les auteurs soient poursuivis sous d'autres chefs d'accusation (proxénétisme par exemple), moins sévèrement réprimés.

À la fois acte criminel et violation des droits de l'homme, la traite viole également la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés. Nous l'abordons sous tous ces aspects dans les différentes instances.

Le trafic de migrants doit être distingué de la traite des êtres humains : la traite suppose une exploitation de la victime, en général non consentante, sur la durée, tandis que le trafic de migrants peut s'analyser comme une complicité à l'immigration clandestine, à la demande du migrant, qui prend fin au terme du voyage. Des croisements sont toutefois possibles : la vulnérabilité des migrants peut les faire tomber aux mains de réseaux de traite, et il est parfois difficile de distinguer les trafics.

La traite fait 2,5 millions de victimes par an à travers le monde, principalement des femmes et des enfants. Selon les Nations Unies, c'est la troisième forme de trafic la plus rentable après la drogue et la contrefaçon ; elle rapporte 32 milliards de dollars par an. Le rapport annuel de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime ( UNODC ) sur la traite des êtres humains, qui porte sur 128 États, montre que 70 % des victimes sont des femmes et des jeunes filles. L'exploitation sexuelle est la forme de traite la plus importante à hauteur de 53 %, 40 % des cas de traite concernant l'exploitation par le travail. Les autres formes sont la mendicité ou le vol forcé, la servitude pour dettes et le prélèvement illégal d'organes. Le mariage forcé est souvent la porte d'entrée dans la traite.

Depuis dix ans, les cas d'exploitation par le travail recensés ont augmenté, soit en raison d'une meilleure détection, soit en raison de la hausse du travail forcé liée à la mondialisation des échanges économiques. Parallèlement, la part de l'exploitation sexuelle s'est réduite de 63 % à 53 %, signe possible de l'efficacité des politiques mises en oeuvre pour lutter contre ce fléau.

Les chances de sortie des réseaux de traite sont très faibles, du fait de l'isolement des victimes, de la contrainte morale qui s'exerce sur elles, de la peur ou des menaces physiques. Dans de nombreuses régions du monde, la traite fait l'objet d'une certaine acceptation sociale et culturelle car, en remettant leurs proches à des réseaux de traite, les familles en tirent des moyens de subsistance.

Les formes d'exploitation détectées varient selon les continents. En Asie, le travail forcé est majoritaire, tandis qu'en Europe, l'exploitation sexuelle est plus courante. Les femmes et les jeunes filles sont les premières victimes, à raison de 79 % pour l'exploitation sexuelle et de 14 % pour le travail forcé. À l'inverse, la traite des hommes prend davantage la forme de l'exploitation par le travail (83 %) que de l'exploitation sexuelle (8 %) ou du trafic d'organes (entre 0,1 et 1 %). L'exploitation par le travail est à 65 % masculine, tandis que l'exploitation sexuelle est à 97 % féminine.

Si l'on croise l'analyse géographique et l'analyse par genre, les statistiques montrent que les femmes sont davantage exploitées par le travail en Asie du sud-est, tandis que les hommes sont les plus concernés par cette forme d'exploitation en Europe.

On observe donc que les femmes et les jeunes filles constituent la majorité des cas de traite, ce qui reflète des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes et de comportements socioculturels marqués par la domination masculine. Cette observation vaut, en sens inverse, pour les auteurs d'infractions, puisque 68 % des personnes poursuivies et 72 % des individus condamnés pour traite sont des hommes.

Tous les pays sont touchés par la traite, qu'ils soient les pays d'origine, de destination ou de transit, avec d'énormes flux de l'Asie vers l'Europe et l'Amérique, de l'Afrique vers l'Europe et le Moyen-Orient, de l'Amérique latine vers l'Europe. En France, 90 % des prostituées sont étrangères et viennent principalement du Nigéria, de Chine et des Balkans.

Depuis le début du XX ème siècle, la communauté internationale a répondu au fléau de la traite par une série d'instruments qui, au départ incomplets et peu contraignants, se sont avec le temps renforcés, s'adaptant aux différentes formes de traite et à la mondialisation et prenant en compte l'objectif de protection des victimes.

Premier instrument juridique en la matière, l'arrangement international pour la répression de la traite des blanches de 1904 fut suivi par d'autres conventions en 1910, 1921 puis 1933. En 1949, la première convention des Nations Unies contre la traite a fait la synthèse des accords existants. Elle condamnait la prostitution mais protégeait peu les victimes. Plusieurs conventions de l'Organisation internationale du travail ont été signées après celle de 1926 contre l'esclavage.

La convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ( CEDAW ) et le statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale comportent aussi des dispositions interdisant la traite.

La convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, signée en 2000 à Palerme, est accompagnée d'un protocole sur la lutte contre la traite des êtres humains, notamment des femmes et des enfants, qui définit de manière universelle et très large les phénomènes de traite. L'avènement de cet outil constitue une avancée majeure dans la lutte contre ce fléau. Il permet que tous les États adoptent une définition commune et puissent incriminer les trafics sur leur territoire. Le protocole, ratifié par 168 États, doit encore l'être par 25 autres pour devenir universel. Fort d'un arsenal répressif, il est cependant insuffisant sur la protection des victimes.

Enfin, le Conseil de l'Europe a signé une convention en 2005, instrument très protecteur des droits des victimes et doté d'un mécanisme d'examen robuste, qui ne concerne toutefois que les États-membres du Conseil de l'Europe et les pays tiers y ayant adhéré, soit 43 États.

La lutte contre la traite est une priorité de l'Union européenne, qui est une zone de destination et de transit. En Europe, 600 000 personnes seraient victimes de la traite, et paradoxalement 65 % des victimes sont des ressortissants européens, comme du reste 70 % des trafiquants. Près de 80 % des victimes seraient des femmes et des jeunes filles. La directive de 2011 enjoint les États membres de renforcer leurs dispositifs juridiques notamment en matière de réduction de la demande et de protection des victimes. Une coordinatrice européenne, Mme Myria Vassiliadou que vous avez rencontrée, est chargée de sa mise en oeuvre. En 2013, l'Union européenne a adopté une stratégie de lutte contre la traite (2012-2016) qui complète la directive, centrée sur la coordination des politiques, les actions de sensibilisation et la prise en compte des nouvelles formes de traite.

Des initiatives politiques complètent l'ensemble de ces instruments. En 2010, l'Assemblée générale de l'ONU a adopté un plan mondial contre la traite des êtres humains, qui sans être contraignant, vise à remobiliser la volonté politique des États. Il appelle les États à renforcer leurs efforts autour de quatre « P » : poursuite, protection des victimes, prévention et partenariat. En France, nous suivons bien évidemment ces préconisations puisqu'elles ont été intégrées dans notre premier Plan d'action national contre la traite des êtres humains de 2014.

Comme vous le voyez, le fléau de la traite fait l'objet d'une prise en charge forte et de réponses multiples de la communauté internationale.

Qu'en est-il des réponses françaises ? La France a une approche multidisciplinaire de cette question complexe, avec un travail partenarial entre tous les acteurs : justice, gendarmerie, police, services sociaux, associations... La coordination de la lutte contre la traite est confiée à la Mission interministérielle pour les femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), créée en 2013, dont vous recevrez prochainement la Secrétaire générale.

En 2014, nous avons adopté un premier Plan d'action national constituant la stratégie nationale française, basé sur trois priorités : identifier et protéger les victimes, démanteler les réseaux criminels et faire de la lutte contre la traite une politique à part entière. Le ministère des affaires étrangères a contribué au volet international de ce plan. La France lutte contre toutes les formes de traite mais dans la mise en oeuvre de ce plan d'action, elle a à ce jour deux axes prioritaires : mieux lutter contre la traite à des fins d'exploitation sexuelle et contre l'exploitation des mineurs, victimes qu'il est encore plus difficile de faire sortir des réseaux. La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, que vous connaissez bien, relève de cette logique.

Le ministère des affaires étrangères assure la mise en oeuvre du volet international du plan d'action suivant trois axes.

Tout d'abord, nous promouvons la ratification des conventions internationales par tous les États parties et leur pleine mise en oeuvre. Depuis l'entrée en vigueur de la Convention de Palerme en 2003, de plus en plus de pays incriminent en droit interne la traite des personnes en mettant en oeuvre le protocole des Nations Unies contre la traite.

Le deuxième axe est celui du plaidoyer dans les instances internationales. La traite a non seulement des causes économiques mais également des racines culturelles ; pour la faire reculer, il faut la combattre sur tous les fronts, notamment celui de l'acceptation sociale. Nous travaillons dans toutes les instances internationales compétentes, au premier chef à l'Assemblée générale de l'ONU, qui adopte régulièrement une résolution sur ce sujet. Le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies compte trois rapporteurs spéciaux sur la traite, et adopte régulièrement des résolutions que nous soutenons. Nous rencontrons régulièrement la coordinatrice européenne et la représentante spéciale pour la lutte contre la traite au sein de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Nous entretenons par ailleurs de nombreux contacts avec d'autres pays et entités : au Saint-Siège, le pape François, très investi dans la lutte contre la traite, a organisé plusieurs réunions interreligieuses ayant d'ores et déjà permis de définir des orientations et actions. En France, le ministère des affaires étrangères a organisé en 2013 et 2014 un séminaire sur les violences contre les femmes et la traite. Je participe régulièrement à des colloques, des conférences, j'interviens par des tribunes ou des interviews. Ce n'est pas de l'affichage : le plaidoyer fait reculer la tolérance à la traite.

Enfin, troisième axe de l'action du ministère des affaires étrangères : la conduite d'actions de coopération. Par l'assistance technique, nous aidons les pays d'origine ou de transit à mieux lutter contre la traite en renforçant leur arsenal juridique et leurs capacités, en développant la prévention et la protection des victimes. Certes, les crédits de coopération du ministère ont été réduits, néanmoins nous nous efforçons dans nos arbitrages de préserver les actions contre la traite. La coopération intervient au travers de deux canaux : celui des organisations internationales - les Nations Unies ayant des programmes dans les pays d'origine ou de transit, auquel nous affectons des contributions volontaires - et celui de la coopération bilatérale, avec une approche régionale ciblée sur l'Europe du Sud-Est et l'Afrique de l'Ouest.

En Europe du Sud-Est et dans les Balkans, un conseiller régional, basé à Vienne, met en oeuvre une stratégie contre la traite dans dix pays axée sur la problématique des mineurs. Il est en effet difficile de faire sortir ces jeunes des réseaux où ils sont enrôlés pour les protéger : ils ne restent pas dans les foyers où on les place et sont encore mal identifiés. Une attachée régionale pour les droits de l'enfant, à Bucarest, et un pôle contre la criminalité organisée, à Belgrade, complètent le dispositif. Notre action dans la région repose ainsi sur l'identification et le diagnostic, la prévention et la lutte contre les trafics. Nous travaillons aussi avec l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), aux programmes de laquelle nous contribuons.

En Afrique de l'Ouest et dans le Golfe de Guinée, un fonds de solidarité prioritaire, (FSP) est mis en oeuvre au Bénin, au Cameroun, au Ghana, au Nigéria et au Togo, Il et doté de 800 000 euros sur trois ans. Nous aidons ces pays à renforcer leur cadre juridique et les sociétés civiles à exercer leur fonction d'alerte et de protection. Les ONG jouent un rôle important d'information, d'« aiguillon » des gouvernements et de protection des victimes qui peuvent retrouver confiance en elles grâce à leur soutien.

Nous sommes enfin en train de développer un réseau de points de contact dans une vingtaine d'ambassades situées dans des pays d'origine ou de transit de la traite, en Asie, en Amérique, en Europe et en Afrique, afin de permettre un échange d'informations, de bonnes pratiques et une coopération sur des cas individuels.

La traite est donc un phénomène complexe, pluridisciplinaire, difficile à poursuivre, au sujet duquel la communauté internationale s'est beaucoup investie. Elle touche très majoritairement les femmes.

Si les progrès accomplis depuis une quinzaine d'années sont indéniables, il est toutefois difficile d'éradiquer le phénomène en raison de l'importance des profits et de la soumission des victimes C'est pourquoi il faut agir sur tous les leviers, qu'ils soient politiques, juridiques et culturels, par la saisie et confiscation des avoirs criminels.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci de votre intervention. Nous avons tous et toutes ici un intérêt partagé pour ces questions liées à la traite. La traite, comme les autres trafics - armes, drogue... - est à l'origine de profits considérables. Pouvez-vous préciser comment ces différents trafics évoluent ? Vous avez évoqué les conventions internationales de lutte contre la traite : quels sont les pays qui n'ont pas adhéré à ces instruments 123 ( * ) ? Quant à l'Union européenne, ne pensez-vous pas qu'une approche intégrée serait plus efficace en la matière que la coordination ? Les réseaux se jouent des frontières et de la lenteur de la coopération judiciaire... La réflexion sur la traite rejoint à certains égards la problématique de la prostitution, si l'on en juge par les débats que nous avons eus au Parlement dans le cadre de la discussion de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel : même si, dans 80 % des cas, la prostitution se fait sous contrainte, l'acceptation sociale induit la tolérance. Ne serait-ce pas la même chose pour la traite ?

Mme Michèle Ramis . - Les estimations internationales des profits liés aux différents trafics sont en cours de réévaluation ; les derniers chiffres disponibles datent de 2012. Par exemple, les revenus de la contrefaçon tendent à croître par rapport à ceux du trafic de drogue, plus réprimé, que la première, qui est tout aussi lucrative. La traite est aussi aggravée par la mondialisation mais elle est difficile à quantifier. Alors que pour la drogue et la contrefaçon, les statistiques reposent sur une extrapolation du nombre de saisies, il est difficile de disposer d'estimations précises sur la traite, d'autant que de nombreuses victimes refusent d'être considérées comme telles et ne dénoncent pas les faits.

Je vous confirme que 25 États membres de l'ONU n'ont pas ratifié le protocole de Palerme contre la traite. En général, ces États n'ont pas non plus ratifié la convention-mère, qui comprend trois protocoles. Quant à la convention du Conseil de l'Europe, un État de l'Union européenne ne l'a pas ratifiée mais un État tiers, la Biélorussie, y a adhéré. Il faut évidemment souligner l'importance d'une ratification universelle du Protocole des Nations Unies, qui devrait se doter d'un mécanisme d'examen de sa mise en oeuvre. Il faudrait, dans la même logique, parvenir à la plus large adhésion possible de pays tiers à la convention du Conseil de l'Europe.

S'agissant de la réponse de l'Union européenne à la traite, je précise que le mécanisme de coordination des politiques pénales européennes, Eurojust, fonctionne lorsqu'il y a ouverture de poursuites. Les juges chargés de l'instruction ont parfois des difficultés à qualifier les faits de traite, faute de pouvoir prouver que la victime a été recrutée à des fins d'exploitation. D'où la requalification des faits pour un autre motif, comme le proxénétisme ou le travail forcé, mais la sanction est différente... Au début de l'année 2015, le ministère de la justice a adressé aux parquets une circulaire de politique pénale leur demandant de retenir, autant que faire se peut, les infractions de traite, punies de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende - dix ans d'emprisonnement si la victime est mineure. Or dans certains États de l'Union, la directive de 2011 n'est pas encore transposée, ce qui est regrettable. La coordinatrice européenne pour la traite des êtres humains constate une difficulté à mettre en oeuvre la politique de l'Union contre toutes les formes de traite en raison de la réticence de certains États à traiter la question de l'exploitation sexuelle.

La législation française permet de réprimer l'achat de services sexuels d'une victime de traite en connaissance de cause, mais ce n'est pas le cas partout. Différentes approches de la prostitution existent dans l'Union européenne, certains États la traitent comme une profession réglementée, à la différence de pays comme la France qui souhaitent réduire le système prostitutionnel. Ces différences compliquent singulièrement le travail de la coordinatrice de l'Union que vous avez rencontrée le 22 septembre 2015 et ont des conséquences en termes de financement : ainsi, deux tiers des financements de l'Union destinés à la lutte contre la traite vont à des projets contre l'exploitation par le travail alors que l'exploitation sexuelle fait plus de victimes

Mme Chantal Deseyne . - Comment briser l'emprise psychologique des trafiquants sur les victimes, en particulier les femmes et les enfants, et quel pourrait être le rôle de l'éducation dans les pays de départ des victimes ?

Mme Vivette Lopez . - Y a-t-il un lien entre le fait que la prostitution soit règlementée et organisée, ce qui est le cas, disiez-vous, dans les pays comme les Pays-Bas, l'Allemagne ou l'Autriche, et le niveau de la traite des êtres humains que l'on constate dans ces pays ?

J'ai eu l'impression que vous mettiez sur le même pied la contrefaçon, le trafic de drogue et la traite des êtres humains, qui n'ont pourtant rien à voir. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Enfin, les personnes condamnées pour des faits de traite font-elles l'objet d'un suivi ou d'une éducation spécifiques pour éviter la récidive ?

M. Roland Courteau . - Des quatre « P » que vous avez évoqués, je vois quelles formes peuvent prendre les poursuites, mais comment faire pour la protection et la prévention ? Pouvez-vous nous donner des exemples de telles démarches ? Les partenariats prennent-ils seulement la forme d'une coopération ? Enfin, quels sont les moyens consacrés à chacun de ces quatre « P » ?

Je crois savoir qu'en France, la lutte contre la traite est financée à hauteur de cinq millions par l'action 15 du quatrième Plan interministériel de lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains. Pouvez-vous me confirmer ce chiffre ?

Mme Michèle Ramis . - Pour briser l'emprise psychologique sur les victimes, nous avons mis en place en France un système de protection large qui s'appuie beaucoup sur les associations. Cela passe d'abord par des mesures de protection des victimes qui acceptent de témoigner, telles que la garantie de l'anonymat, une mise à l'abri, etc. Nous tentons aussi de faire prendre conscience aux jeunes qu'ils sont des victimes de ces réseaux. Si leur famille est elle-même à risques, nous les plaçons dans des foyers d'accueil. Tout repose sur la confiance que les victimes accordent à ceux qui cherchent à les protéger. À cet égard, même si le maillage territorial de l'aide à l'enfance mis en place par la Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse est appréciable, les victimes osent souvent plus se rapprocher des associations, qui font généralement « moins peur » que l'État et les services sociaux. C'est un travail au cas par cas.

Vis-à-vis des pays d'origine, la sensibilisation est très importante. Nous menons des actions de prévention et de formation des enseignants et des professionnels dans les pays relevant de nos stratégies régionales de lutte contre la traite en Europe du Sud-Est et en Afrique de l'Ouest. L'impact de ces programmes est difficilement mesurable car ils visent à faire évoluer les mentalités.

Concernant les mineurs isolés victimes de traite dans l'Union européenne, nous réfléchissons à un dispositif européen permettant de mieux assurer leur protection. Nous sommes confrontés à un problème de mineurs contraints de pratiquer la mendicité, le vol, la prostitution dont l'identification est souvent difficile et qui circulent au sein de l'espace Schengen. La mesure 10 du Plan d'action national contre la traite prévoit la mise en place d'une plate-forme européenne d'identification pour mieux suivre ces mineurs et retracer leur parcours. Malheureusement, ceux-ci refusent souvent toute protection. Avec l'appui de la Commission européenne, nous allons travailler avec d'autres États-membres confrontés au même problème.

Je n'ai pas de statistiques sur la traite dans les pays réglementaristes, qui sont également touchés par le problème des mineurs isolés. Je ne peux pas me prononcer sur une éventuelle corrélation entre l'autorisation de la prostitution et le niveau atteint par la traite sur un territoire.

En effet, madame la sénatrice, si j'ai comparé le trafic de drogue, la contrefaçon et la traite, mon propos concernait uniquement les revenus que dégagent ces trafics. D'après le classement de l'ONU, le trafic de drogue rapporte 320 milliards de dollars par an, la contrefaçon 250 milliards et la traite 32 milliards. Mais les dommages humains qui résultent de celle-ci sont, bien évidemment, considérables.

L'éducation est très importante à des fins préventives. En France, il serait utile de réaliser des campagnes de sensibilisation auprès des professionnels, dans les écoles et auprès du grand public pour expliquer la réalité de la traite, car ce phénomène reste relativement invisible. Le Plan national d'actions prévoit une campagne, mais le coût en est élevé. Nous essayons de mobiliser des fonds européens.

Pour répondre à la demande de M. Roland Courteau en matière de protection, la convention du Conseil de l'Europe, appliquée en France, accorde un droit de séjour temporaire et une aide au logement aux victimes qui coopèrent avec la justice afin de faciliter leur sortie des réseaux, loin de leur persécuteur, et d'organiser un retour vers le pays d'origine si c'est possible, ou dans le cas contraire de leur trouver un lieu de résidence. La prévention repose sur les campagnes de sensibilisation et sur un travail en amont avec les associations qui repèrent les cas de traite. Il s'agit aussi d'aider les victimes potentielles à détecter les pièges : les jeunes filles sont souvent envoyées en Europe, appâtées par la promesse d'un travail dans le mannequinat par exemple. Leur sensibilisation à ces dangers et leur information sur les stratégies mises en place par les réseaux pour attirer leurs victimes sont primordiales. Enfin, le personnel de nos consulats dans les pays d'origine de la traite est formé à la détection des risques que peut présenter une demande de visa pour adoption, de visa pour du personnel domestique qui peut cacher un risque de traite par esclavage domestique, de même qu'en matière de validité du mariage pour détecter les mariages forcés.

Les partenariats visés par le quatrième « P » couvrent tant la coopération internationale à des fins d'entraide judiciaire qu'à des fins d'assistance technique. L'entraide judiciaire reste peu développée en Afrique de l'Ouest par exemple, ce qui rend difficiles les poursuites contre le trafic circulaire entre les pays de la région. L'assistance technique vise à renforcer les dispositifs et les capacités des États d'origine ou de transit à mieux poursuivre les auteurs de traite.

Mme Michèle Meunier . - Les actions dont vous parlez font écho aux travaux de notre délégation et du Sénat sur les propositions de loi relatives à la lutte contre le système prostitutionnel et à la protection de l'enfance. Le Sénat a voté une mesure accordant aux victimes de la prostitution un statut plus ambitieux que la mise à l'abri ; elle devrait être confirmée en commission mixte paritaire. L'article 1 er ter de la proposition de loi offre aussi un accompagnement et un soutien aux victimes qui prennent le risque de témoigner contre leur réseau. Ces dispositions nous engagent encore davantage sur la voie abolitionniste !

J'aimerais savoir si vous mettez en place des démarches concrètes avec les autres ministères, notamment le ministère du travail. La limite est parfois ténue, il me semble, entre l'exploitation sexuelle et la traite par le travail. Avez-vous prévu des formations, des actions de sensibilisation et de repérage communes aux deux administrations ?

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je vous remercie pour le travail que vous accomplissez. J'aimerais pour ma part connaître votre réaction à la question des femmes réfugiées qui arrivent en Europe par dizaines de milliers, et qui, particulièrement vulnérables, constituent une proie facile pour les réseaux responsables des trafics.

En matière de mariages forcés, il convient de continuer à être particulièrement vigilant. Quand j'étais ministre, j'avais mis en place des modules de formation pour les agents consulaires : vous avez d'ailleurs évoqué le lien entre certaines demandes de visa et le mariage forcé, par exemple. En 2012, une douzaine de cas étaient ainsi remontés des postes consulaires. Ces statistiques m'avaient étonnée, car le total constaté au Royaume-Uni était beaucoup plus élevé. Les cas de cet ordre sont-ils aujourd'hui, trois ans plus tard, mieux repérés et pris en charge ? Les victimes sont-elles dirigées vers les associations ?

Vous avez mis en avant le coût des campagnes d'information ; on peut aussi s'interroger sur leur impact effectif, dans un monde où un sujet d'actualité chasse l'autre. Ne serait-il pas plus judicieux de se recentrer sur une sensibilisation par l'éducation ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Comment notre délégation peut-elle contribuer à ce combat contre la traite des êtres humains ? Comment orienter efficacement les recommandations qui concluront notre rapport ? Certaines de vos préoccupations recoupent celles que nous avons exprimées lors de l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

Vous jugez souhaitable de permettre que les responsables de la traite fassent l'objet de poursuites au titre de la traite et non d'un autre chef d'accusation moins sévèrement réprimé. Nous nous posions justement les mêmes questions lors de nos discussions sur le viol et le harcèlement sexuel. Ce sujet récurrent fera probablement l'objet d'une recommandation de notre délégation.

La question de la coopération européenne se pose de façon particulièrement aiguë en matière de prostitution, car lorsqu'un pays adopte une législation abolitionniste, les trafiquants se déplacent vers les pays voisins. Quelles poursuites peut-on alors engager ?

Une protection efficace passe par la mise en place d'un parcours de sortie pour les victimes. Il ne suffit pas de mettre celle-ci en sécurité : il faut aussi lui donner les moyens de se reconstruire et ne pas se borner à lui proposer une formation professionnelle. Comment pouvons-nous faire avancer les choses dans ce domaine ?

Dans toutes les questions concernant l'égalité entre les femmes et les hommes, l'éducation est fondamentale. La lutte contre la traite ne fait pas exception. C'est un levier de prévention que l'on retrouve de manière récurrente dans beaucoup des problématiques auxquelles s'intéresse la délégation...

Enfin, je voudrais évoquer aujourd'hui les salons de massage qui actuellement, on le voit tous les jours, se multiplient à Paris. Ce sont en réalité des lieux de traite. Que faire contre ce fléau ?

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Quels enseignements et quelles préconisations éventuelles tirez-vous de la loi britannique sur la lutte contre l'esclavage moderne ?

Mme Michèle Ramis . - Le ministère du travail a contribué au Plan d'action national contre la traite des êtres humains, principalement pour tout ce qui concerne l'esclavage domestique et l'exploitation par le travail, mais nous n'avons pas avec cette administration de partenariat particulier. De mon côté, je travaille surtout avec la MIPROF, qui assure la coordination du travail de l'ensemble des administrations compétentes.

J'ai évoqué la porosité entre les flux de réfugiés et la traite d'êtres humains. Les trajets effectués par les réfugiés peuvent être très longs : un migrant parti d'Érythrée peut mettre deux ans pour arriver jusqu'aux Pays-Bas... Ce fait augmente le risque que ces personnes soient détournées en chemin par les réseaux de traite, ne serait-ce que pour pouvoir payer le reste du voyage. Les femmes et les enfants sont, bien sûr, particulièrement exposés. Les services répressifs français en sont conscients et nous nous efforçons d'y sensibiliser nos partenaires notamment africains dans la perspective du sommet sur les migrations de La Valette, en novembre prochain qui traitera de ces deux formes de trafics. Concernant les mariages forcés, un programme de formation a en effet été mis en place en 2012 et les consuls informés des risques. Je n'ai pas de statistiques concernant les tendances observées mais je me propose de demander à la Direction des Français de l'étranger des éléments sur ce point et de les faire parvenir à la Délégation.

Les campagnes de sensibilisation, à mon sens très importantes, sont prévues par le plan national. Le grand public doit absolument prendre conscience de la réalité de la traite : des personnes travaillant comme employés de maison peuvent en fait, sous nos yeux, être victimes d'esclavage domestique. Il faut ensuite sensibiliser les publics à risque et cibler l'information sur les collèges et lycées. Cela existe pour les fonctionnaires français et pour les militaires en poste à l'étranger. Cette sensibilisation a également été élargie aux fédérations d'employeurs. Agir dès l'école est crucial, d'autant que les enfants peuvent être témoins de cas de traite. Il faut combattre l'acceptation sociale et culturelle de la traite, que ce soit dans les pays d'origine ou de transit ou dans les pays de destination, où ce phénomène pâtit souvent d'une certaine invisibilité.

Le terme de « traite » est désuet : on en conclut à tort que le phénomène lui-même a disparu ! Ce problème de vocabulaire nuit à l'efficacité du message d'alerte et de prévention. Beaucoup a été fait, certes, mais beaucoup reste à faire en matière de lutte contre la traite.

Il est très important de mobiliser plus efficacement les leviers européens : il faut que le problème de la traite intra-européenne soit résolu par l'Union européenne, en particulier l'exploitation sexuelle et l'exploitation des mineurs. Celle-ci doit mettre en place la plate-forme et les mécanismes d'identification des victimes que j'ai évoqués.

La traite au départ des Balkans constitue un trouble à l'ordre public et une violation des droits de l'homme. Sous nos yeux, des femmes et des enfants en sont victimes.

Le dilemme entre la protection des données et de la vie personnelle et la protection des victimes est connu : ces dernières peuvent craindre que les données recueillies soient utilisées à d'autres fins. Peut-être pourriez-vous nous aider à porter ces questions au niveau européen.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Certes, il faut identifier les victimes, mais sans omettre l'identification des auteurs !

Mme Michèle Ramis . - Bien sûr. Mais identifier les victimes permet de remonter jusqu'aux auteurs : souvent les trafiquants font miroiter une véritable carrière à leurs victimes mineures et leur promettent qu'elles deviendront recruteurs à leur tour... Bien souvent les victimes elles-mêmes pensent que la traite leur ouvre des perspectives. Nous avons du mal à leur présenter des alternatives.

Mme Vivette Lopez . - Y a-t-il des pays où la traite ne sévit pas ?

Mme Michèle Ramis . - Je ne crois pas. Dès lors qu'il y a une demande et un profit à réaliser, la traite existe.

Un autre moyen d'action est à souligner : il s'agit de la saisie et de la confiscation des avoirs des trafiquants. Nous avons en France un système performant, qui repose sur l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). Nous essayons de le faire connaître dans les autres pays. La confiscation des produits du crime réduit la rentabilité de la traite. L'autre levier est la lutte contre le blanchiment d'argent, à travers Tracfin . Nous savons qu'il peut exister des liens entre la traite des êtres humains et le financement du terrorisme. L'argent de ces trafics doit donc être saisi et confisqué.

Enfin, en matière de trafic, la lutte contre la demande est tout aussi essentielle que la lutte contre l'offre. C'est un axe dont le débat sur la prostitution vous a rendus familiers. Les « usagers » doivent être informés que ceux dont ils sollicitent les services travaillent sous la contrainte de réseaux criminels. La directive de 2011 oblige d'ailleurs les États membres à réduire la demande par tous les moyens » pénalisation des utilisateurs, campagnes d'information, etc. La demande entretient le trafic, nous le savons bien.

Pour répondre à votre question, madame la présidente, je préciserai que la loi britannique contre l'esclavage moderne a été adoptée en mai 2015 à la veille des élections, avec une volonté d'affichage politique fort : si une partie des mesures qu'elle contient, en particulier en matière d'incrimination des auteurs et de protection des victimes, était déjà en vigueur avant son adoption, les Britanniques ont estimé que pour faire évoluer les choses, il faut les nommer -  c'est le sens de l'intitulé « esclavage moderne ». Les peines de prison associées au trafic d'êtres humains ont été augmentées et portées à quatorze ans. La loi de 2015 simplifie les textes en vigueur, identifie leurs lacunes et accroît la prévention. La véritable nouveauté réside dans l'instauration d'une clause de transparence dans la chaîne d'approvisionnement des entreprises : au-delà d'un certain seuil de chiffre d'affaires, les entreprises devront rendre compte des mesures qu'elles prennent contre la traite dans leur domaine d'activité. Elles devront s'assurer qu'elles ne recourent pas à des produits susceptibles d'être liés à la traite. Cette initiative, qui s'inscrit dans les suites de la catastrophe du Rana Plaza et relève de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, est intéressante et de nature, peut-être, à faire bouger les lignes.

Mme Marie-Annick Duchêne . - Il arrive qu'en matière de protection, on agisse à mauvais escient en croyant bien faire. J'avais obtenu que la commune dont je suis maire ne fasse pas travailler d'entreprises étrangères qui emploieraient des enfants de moins de douze ans. Or, des présidents d'ONG en Asie m'ont immédiatement avertie que les enfants exclus des ateliers tomberaient dans les réseaux de prostitution et de traite. Moi qui croyais bien faire... C'est pourquoi vous avez toute mon admiration : votre travail est un puits sans fond. Il est extrêmement difficile d'aider des populations dont les mentalités diffèrent autant des nôtres.

Mme Michèle Ramis . - Nous sommes en effet très sensibles à la situation des enfants employés dans les ateliers de contrefaçon. Une approche globale, intégrée, transversale et pluridisciplinaire s'impose donc en matière de réponse à la criminalité organisée.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie pour cette expertise, et croyez bien que notre délégation ne cèdera pas à la tentation de la résignation.

Mme Michèle Ramis . - Je reste à votre disposition et apporterai volontiers ma contribution à la suite de vos travaux.

Audition de Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay,
ambassadrice pour les droits de l'Homme

(12 novembre 2015)

Présidence de Mme Christiane Kammerman, vice-présidente

Mme Christiane Kammermann, présidente . - Madame l'ambassadrice, mes chers collègues, nous continuons ce matin avec vous les auditions consacrées à notre travail sur les femmes, victimes de la traite des êtres humains.

J'ai l'honneur aujourd'hui de remplacer Mme Chantal Jouanno, notre présidente, qui vous prie d'excuser son absence que, pour ma part, je regrette, car j'apprécie beaucoup sa manière de présider.

Je rappelle que le 22 septembre 2015, nous avons échangé avec Mme Vassiliadou, coordinatrice européenne pour la traite des êtres humains ; puis le 29 octobre nous avons entendu Mme Michelle Ramis, ambassadrice chargée de la criminalité organisée au sein du ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI).

Ces auditions ont mis en évidence la nécessité d'une approche internationale de la traite des êtres humains. D'ailleurs, le 17 décembre prochain, l'Organisation internationale du travail (OIT) et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) organisent au Sénat un colloque dédié à la mobilisation internationale contre l'esclavage moderne. Il semblerait que pour l'instant, seul le Niger ait ratifié le protocole sur le travail forcé, dont l'entrée en vigueur se fera dès la deuxième ratification. Aussi la France peut-elle exercer une certaine influence en ratifiant rapidement ce texte.

Afin de compléter les informations déjà recueillies par notre délégation sur les moyens d'action de la France face à ce phénomène mondial qu'est la traite dont sont victimes les femmes, nous accueillons ce matin Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay, ambassadrice pour les droits de l'Homme.

Madame l'ambassadrice, vous occupez ces fonctions depuis le 24 juillet 2013, après avoir été la conseillère diplomatique et juridique de la ministre des droits des femmes.

Cette dernière responsabilité vous a d'ailleurs notamment amenée à contribuer à l'organisation de la conférence internationale sur la traite des êtres humains à Bruxelles, en septembre 2013.

Nous sommes heureux de vous accueillir pour vous entendre sur ce sujet et, de manière plus générale si vous le souhaitez, sur la question des violences faites aux femmes.

Pouvez-vous tout d'abord rappeler vos missions, en indiquant comment s'articule votre rôle avec celui de l'ambassadrice chargée de la lutte contre le crime organisé, que nous avons auditionnée le 29 octobre ?

Je vous donne donc la parole, puis nous vous poserons des questions.

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay, ambassadrice pour les droits de l'Homme . - Merci de votre invitation à cette audition. J'ai, à titre personnel, pour les droits des femmes un intérêt particulier que j'ai pu développer dans mes nouvelles fonctions dans la mesure où le droit des femmes constitue clairement une priorité pour la diplomatie française en matière de droits de l'Homme.

Les fonctions qui sont les miennes depuis deux ans ont été créées en 2000, afin de donner davantage de visibilité et de cohérence à notre diplomatie en matière de droits de l'Homme. La lutte contre la traite figure au rang des priorités de notre diplomatie, car c'est l'une des violations les plus graves des droits de l'Homme et la négation même de la dignité humaine. En outre, ce phénomène touche les populations les plus vulnérables, en particulier les femmes et les enfants, qui subissent par conséquent une sorte de double peine. La traite fait ainsi partie des nombreuses violences exercées à l'encontre des femmes et des filles. Enfin, il convient de considérer aussi l'impact que la problématique de la traite peut avoir sur la France, particulièrement concernée par la traite aux fins d'exploitation sexuelle.

Michèle Ramis, que vous avez auditionnée, représente le ministère des affaires étrangères sur ce sujet, notamment dans les instances multilatérales ; j'interviens dans ces enceintes plus largement sur les droits de l'Homme et suis, plus indirectement, amenée à traiter de ce sujet au travers notamment de la problématique des violences faites aux femmes et aux filles. Je porte la voix de la France en coordination avec elle. Nous avons d'ailleurs mené plusieurs initiatives conjointes ; je pense notamment à une tribune commune et à deux séminaires internationaux organisés à Paris sur les violences faites aux femmes, à l'occasion du 25 novembre.

Mme Christiane Kammermann, présidente . - Tant de femmes victimes de violences terribles n'osent pas parler ! Ce constat exige que nous parvenions à de meilleurs résultats. Merci de ce que vous faites pour atteindre ce but.

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Je crois que vous avez évoqué la question des instruments internationaux avec Michèle Ramis. La France a milité pour qu'ils existent. Nous continuons à plaider pour qu'ils deviennent réellement universels et qu'ils soient effectivement mis en oeuvre. Il convient également de s'interroger sur la façon d'améliorer le cadre juridique existant, qui est souvent construit par touches successives dans les enceintes multilatérales.

Mme Christiane Kammermann, présidente . - Je suis sénateur des Français établis hors de France et je rentre de Dakar où mes interlocutrices étaient très intéressées par nos travaux. Les femmes sont souvent confrontées à de grandes difficultés, partout dans le monde.

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - J'interviens dans le champ des droits de l'Homme depuis une vingtaine d'années ; je constate malheureusement que les droits des femmes reculent et qu'il existe dans les enceintes des Nations Unies une pression pour remettre en cause leurs acquis. Il s'agit d'un mouvement de fond bien réel, contre lequel nous devons rester mobilisés et vigilants, car il ne se limite pas à quelques groupes de pays : on observe une série de revendications relativistes liées à la religion et à la tradition, y compris au sein du bloc occidental. Sans une vigilance accrue, les droits des femmes pourraient se voir progressivement « grignotés ».

Mme Christiane Kammermann, présidente . - Observez-vous une certaine lassitude dans un tel contexte ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Pas dans la diplomatie, qui peut s'appuyer sur des personnels convaincus et actifs dans ce domaine, même si chez certains jeunes diplomates, on peut parfois observer que cette tendance de fond relativiste n'est pas suffisamment questionnée. D'ailleurs, cela est vrai chez les jeunes tout court, car la sensibilisation aux droits de l'Homme doit de nos jours faire l'objet d'une attention accrue.

Les jeunes femmes, quant à elles, pensent que ces droits leurs sont définitivement acquis et n'ont pas à être défendus, jusqu'à ce qu'elles soient confrontées à la réalité de la vie professionnelle, qui leur montre que c'est une longue lutte...

Mme Christiane Kammermann, présidente . - Les épouses d'ambassadeurs sont-elles actives, à votre connaissance, dans le domaine de la défense des droits des femmes ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Oui, elles le sont d'autant plus naturellement que ce sont de plus en plus souvent des femmes diplômées, qui exercent une activité professionnelle et ont conscience du risque qu'elles ont pris en quittant leur emploi pour accompagner leur conjoint en poste. Par ailleurs, étant donné que de plus en plus de femmes sont nommées ambassadrices, la question du sort de leurs conjoints est évoquée systématiquement. Hommes et femmes ont donc un intérêt commun pour que cette problématique fasse l'objet d'une attention soutenue au sein du corps diplomatique.

Mme Christiane Kammermann, présidente . - Les outils juridiques relatifs aux droits de l'Homme permettent-ils utilement de compléter l'arsenal juridique spécifique à la lutte contre la traite des êtres humains ? Comment percevez-vous la position de la France par rapport à celle de ses partenaires au sein de l'ONU en matière de traite ? Je vous pose la même question par rapport à la position des partenaires européens.

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Pour ce qui concerne l'action de la France, nous prônons une approche globale afin d'appréhender de façon cohérente tous les problèmes posés par la traite des êtres humains : prévention, répression, accompagnement des victimes.

Or, les instruments internationaux adoptés depuis la fin du dix-neuvième siècle visaient un seul de ces aspects. Puis la convention des Nations Unies de 1949 sur la répression de la traite et la prostitution a consolidé les textes préexistants. Malheureusement, cette convention ne compte qu'un nombre limité d'États parties et, d'ailleurs, tous les États membres de l'Union européenne n'y ont pas adhéré !

La convention de Palerme de 2000, dont le protocole additionnel concerne tant les femmes que les enfants, constitue un outil plus efficace. Elle a représenté un progrès car pour la première fois est proposée une définition précise de la traite des êtres humains, ainsi qu'un instrument répressif et de protection des victimes.

Aux Nations Unies, des rapporteurs spéciaux ont été désignés pour les sujets de la traite, de la vente et de la prostitution des enfants ainsi que de l'esclavage moderne. L'Assemblée générale de l'ONU a également adopté un Plan mondial contre la traite en 2000, montrant ainsi un engagement bien réel de la communauté internationale dans la lutte contre ce fléau. Bien que n'étant pas un instrument contraignant, ce plan a constitué une étape importante, car il a permis la mise en place d'un fonds d'indemnisation pour financer l'assistance aux victimes. En effet, il était nécessaire de pouvoir garantir à celles-ci une assistance financière, juridique, sanitaire et sociale.

Mme Christiane Kammermann, présidente . - Vous évoquez le soutien financier des victimes : est-ce déjà réalisé ou simplement un voeu ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Nous avons d'ores et déjà des actions de soutien aux victimes conduites dans un cadre bilatéral. En revanche, je n'ai pas, à mon niveau, d'indications de ce qui est fait dans le cadre du fonds multilatéral ; je pourrai vous faire parvenir les informations utiles.

M. Roland Courteau . - Que se passe-t-il lorsqu'un engagement n'est pas tenu ? Des vérifications sont-elle mises en oeuvre ? Peuvent-elles déboucher sur des sanctions ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - C'est une question fondamentale que vous posez. Les conventions ont une portée juridique contraignante mais elles doivent être appliquées par leurs signataires pour produire des effets. C'est pourquoi elles prévoient généralement un mécanisme de suivi qui oblige les États à rendre compte périodiquement de leur mise en oeuvre, ce qui constitue un moyen de pression et une incitation forte pour les pays à s'acquitter de leurs obligations. Les rapporteurs spéciaux, que je mentionnais, peuvent en outre produire de façon indépendante des rapports sur la façon dont les conventions sont réellement appliquées. J'ajoute que la société civile est présente dans les comités conventionnels, ce qui permet de maintenir la pression sur les États.

La France participe de manière très active à ce suivi, dans le cadre du Conseil des droits de l'Homme, du Comité des droits de l'enfant ou du Comité contre la torture, par exemple en procédant à une évaluation très précise de la mise en oeuvre des conventions par les pays et en faisant une série de recommandations. Le ministère des affaires étrangères assure la coordination de la position française dans le cadre de ces processus de suivi. De même, il coordonne la rédaction des rapports de la France devant ces comités conventionnels, devant lesquels le gouvernement français doit aussi rendre périodiquement des comptes.

Si des sanctions ne sont pas formellement prévues dans le cadre des comités conventionnels, elles existent de manière indirecte au niveau politique, car aucun pays n'aime être montré du doigt.

Au-delà de la pression politique, d'autres formes d'incitations existent, telles que les sanctions financières. Ainsi, dans le cadre de l'Union européenne, en vertu de « clauses de droits de l'Homme », une aide à la coopération accordée à un État tiers peut être remise en cause en cas de constat de violations flagrantes des droits de l'Homme. Même s'ils sont lourds à mettre en oeuvre, de tels mécanismes sont des instruments de pression très importants.

Mme Christiane Kammermann, présidente . - Quelles sont les principales difficultés rencontrées en matière de lutte contre la traite ? Quelles sont, de votre point de vue, les priorités que nous devrions rappeler ?

Je voudrais aussi évoquer la crise des migrants en Europe, qui a nécessairement un impact sur la traite des femmes, compte tenu de la situation de détresse et de vulnérabilité dans laquelle se trouvent ces personnes. La dynamique européenne concerne avant tout l'accueil des migrants, mais pensez-vous qu'il conviendrait d'être particulièrement vigilant pour que les réseaux de traite n'exploitent pas les populations concernées ?

Pouvez-vous nous parler de Frontex , l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Tout d'abord en termes de positionnement de la France, nous entendons rester en situation de « leader » sur la question des femmes, et plus particulièrement en ce qui concerne la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes, dont la traite fait partie. Nous ne sommes pas les seuls ; l'action extérieure de l'Union européenne en la matière est très active.

On observe toutefois une ligne de fracture sur la question de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. Ainsi la convention de 1949 évoquée précédemment est-elle soutenue par seulement 18 des 28 pays membres de l'Union européenne, en raison d'une approche fondamentalement différente de la prostitution entre « abolitionnistes » et « réglementaristes ».

Ceci explique que si l'Union est très en pointe sur la traite des êtres humains, elle s'est relativement peu exprimée sur la question de la prostitution. Sans prendre parti en aucune manière, puisque vous m'interrogez sur les expériences conduites par d'autres pays, je voudrais mentionner le cas de la Suède. J'avais accompagné la ministre des droits des femmes en Suède, au début de la réflexion sur le système prostitutionnel qui a conduit à la rédaction d'une proposition de loi sur le sujet. Dans ce pays, le choix de la pénalisation des clients a été fait en 1999. Après dix années de mise en oeuvre, la Suède estimait que cette législation avait eu des conséquences significatives sur la « demande » et qu'elle avait entrainé un déplacement des réseaux criminels vers d'autres pays. Cette loi a eu un impact social puisque 70 % de la population adhérait à l'instrument juridique. La mentalité des jeunes avait considérablement évolué grâce à cette mesure. C'est donc un exemple de réalisation concrète dans ce domaine. Je sais que le choix suédois est discuté et ne fait pas l'unanimité, mais la réalité du déplacement des réseaux criminels a contraint les pays voisins à s'interroger à leur tour sur la question de la prostitution. C'est un exemple qui nourrit de ce fait la réflexion sur ce sujet.

Mme Christiane Kammermann, présidente . - Je vous remercie de toutes ces informations que vous venez d'apporter à la délégation.

Quelles seraient, selon vous, les recommandations que la délégation aux droits des femmes pourrait proposer dans le rapport d'information qu'elle consacrera au thème des femmes, victimes de la traite des êtres humains ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Une première proposition serait à mon sens de continuer à promouvoir l'universalisation des instruments internationaux existants en veillant à ce qu'intervienne une rapide ratification des conventions par les États, au-delà de leur simple adhésion, afin que ces États deviennent effectivement parties aux conventions et bien sûr, en veillant aussi à leur mise en oeuvre effective.

Des mécanismes de suivi des conventions devraient aussi être promus. L'un des piliers essentiels de la lutte contre la traite, la convention de Palerme et son protocole additionnel spécifiquement consacré à la traite des êtres humains, notamment des femmes et des enfants, ne prévoit pas à ce stade de mécanisme de suivi de l'application de ces textes par les États.

Les contraintes budgétaires qui s'imposent actuellement aux États réduisent par ailleurs de manière significative les moyens des administrations, notamment du ministère des affaires étrangères, ce qui obère notre capacité de suivi, d'influence et d'action. Or, dans le contexte actuel, tout particulièrement de risque de mise en cause des droits des femmes au niveau international, il est important de conserver les moyens humains et financiers consacrés à la défense des droits de l'Homme en général et en particulier à la lutte contre toutes les violences faites aux femmes, dont la traite fait partie.

M. Roland Courteau . - Constate-t-on cette diminution des moyens au niveau international ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - C'est un fait général, mais qui concerne plus particulièrement notre pays, car la vocation d'action de notre ministère des affaires étrangères est universelle et généraliste. La réduction des moyens, qui concerne tant l'administration centrale du ministère que le réseau diplomatique, pèse d'autant plus sur notre capacité d'influence et d'action alors même que nous devrions être encore plus mobilisés et vigilants pour empêcher la tentation de « grignotage » des droits existants.

Mme Christiane Kammermann, présidente . - D'autres pays sont-ils concernés par cette réduction de leur capacité d'action ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Tous les pays européens sont concernés, mais certains de nos partenaires ont choisi de concentrer leurs moyens sur quelques priorités, alors que la France veille encore maintenant, compte tenu de cette vocation universelle que je mentionnais à l'instant, à traiter de tous les sujets.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Pouvez-vous nous donner des exemples de ces priorités ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Certains pays s'attachent à des thématiques catégorielles, par exemple les droits des femmes et des enfants, ou encore la lutte contre la peine de mort, et acceptent de facto de n'être plus moteurs sur les autres thématiques.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Quels sont ces droits que l'on « grignote », pour reprendre le terme que vous avez utilisé ?

La diminution de la capacité d'assurer un suivi dans tous les domaines résulte-t-elle simplement de moyens humains en nombre insuffisant ou est-ce un choix politique ? Quelle est sa motivation ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Le « grignotage des droits » est une tendance que l'on constate aujourd'hui dans les enceintes multilatérales ; il prend la forme d'une mobilisation contre le consensus international sur les droits de l'Homme qui, selon certains États, aurait été imposé par les pays occidentaux à l'issue du second conflit mondial. C'est une évolution contre laquelle nous luttons et qui est portée par un courant conservateur prévalant dans certains pays. Si nous avons, jusqu'à présent, préservé les instruments internationaux existants de cette volonté évidente de certains États de faire prévaloir une conception restreinte des droits de l'Homme, cela suppose une attention de tous les instants.

M. Roland Courteau . - Dispose-t-on de données chiffrées sur la réduction des financements que vous évoquiez ? Cette réduction est-elle significative ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Je pourrai vous adresser ultérieurement les données correspondantes

M. Roland Courteau . - Les effets de ces réductions budgétaires sont donc déjà perceptibles ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - On peut sentir les effets dans certains secteurs. La France dispose d'un dispositif particulièrement efficace pour traiter des questions communautaires. Ce dispositif s'appuie sur une structure interministérielle qui coordonne les positions françaises dans les instances européennes, ce qui permet une grande réactivité.

Or, depuis 20 ans, les moyens humains consacrés par les ministères à ces questions se sont sensiblement réduits. Compte tenu du volant d'activité très important des instances communautaires, il y a risque que l'on ne soit plus en mesure de suivre ce rythme, d'être force de proposition voire de réaction contre des textes qui pourraient poser problème.

Si des contraintes budgétaires majeures imposent une politique de réduction des financements, il faut cependant garder à l'esprit qu'à terme, cela pourrait avoir des conséquences sur notre capacité d'influence sur la scène internationale.

Pour revenir à la question portant sur le lien entre la crise migratoire et la traite des êtres humains, les instruments juridiques internationaux opèrent une distinction - sans doute un peu artificielle - entre, d'une part, la traite des êtres humains, qui obéit à une logique d'exploitation contre la volonté des individus, contraints et forcés, à des fins d'exploitation économique ou sexuelle, et d'autre part, le trafic des migrants qui, bien que tout aussi scandaleux dans ses effets, suppose une démarche des migrants, qui s'adressent aux trafiquants pour franchir les frontières.

Dans les effets, les trafics criminels, très lucratifs, bien souvent mis en oeuvre par les mêmes réseaux, doivent être réprimés de la même manière. Les instruments juridiques, certes, ne sont pas les mêmes, les dispositifs internationaux de lutte contre le trafic d'êtres humains ne traitant pas en général de la lutte contre le trafic des migrants.

La crise migratoire actuelle et l'augmentation exponentielle du nombre de migrants convergeant vers l'Europe, certains au titre de demandeurs d'asile, d'autres pour des raisons économiques, exacerbent l'activité des réseaux criminels. L'Union européenne a toujours affiché une volonté de lutter contre les réseaux de trafic de migrants, mais les instruments et les structures mises en place il y a quelques années pour lutter contre ces trafics doivent recevoir des moyens suffisants dans ce nouveau contexte.

L'Union européenne a annoncé des mesures supplémentaires, tout d'abord pour traiter l'urgence humanitaire et accueillir les migrants dans de bonnes conditions, mais aussi, dans une logique de prévention, pour dissuader les candidats de se risquer à un long et dangereux périple vers l'Europe et pour renforcer la répression de ces trafics.

L'agence Frontex a essentiellement une mission d'amélioration de la coordination des actions des pays européens dans la surveillance des frontières. Elle réalise aussi des actions de surveillance en mer, qui se soldent souvent par des sauvetages d'embarcations en danger, l'essentiel de ses zones de surveillance étant situées au large des côtes du Maghreb, grecques ou turques. Dans ce contexte, des interpellations de trafiquants, souvent des « seconds couteaux », sont réalisées.

Dans le cadre de son action internationale, la France met en place des dispositifs de coopération avec les pays de départ ou de transit des migrants. Pour lutter contre le trafic des êtres humains, nous avons développé un dispositif pilote de coopération régionale afin d'améliorer la coordination des politiques de suivi et de répression des trafics. Ces mesures s'adressent à des pays des Balkans et d'Europe centrale, un attaché de coopération régional étant chargé de la mise en place de ces collaborations bilatérales.

Pour tarir le flux des migrants, il faut favoriser le développement économique des pays d'origine et oeuvrer pour la pacification des zones de conflits.

Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente

Mme Hélène Conway-Mouret, présidente . - Je vous remercie pour tous ces éléments d'information.

J'ai tout récemment reçu du ministère de l'Intérieur des informations chiffrées qui font état du démantèlement de 200 filières et du fait que 3 000 personnes affiliées à des réseaux mafieux ont été appréhendées. Ces données montrent le bon fonctionnement de la coopération entreprise avec les pays concernés. Deux nouvelles lois vont aussi permettre d'améliorer l'accueil des migrants en France. La première concerne le séjour des étrangers en France. La seconde permettra de réduire considérablement l'attente de ceux qui sont en France aux fins d'asile en s'alignant sur les délais de prise en charge des autres pays européens, soit environ neuf mois, à comparer aux deux années actuellement nécessaires.

Les 20 000 nouvelles places d'accueil et les 250 nouveaux agents affectés à l'OFPRA ont pour objectif de répondre à une demande qui ne peut que croître à l'avenir, si l'on considère que le conflit en Syrie perdure, que le dérèglement climatique engendrera des déplacés en nombre, et que l'on constate un flux croissant de migrants en provenance d'Irak, d'Iran ou d'Afghanistan.

La réponse européenne à ces grands mouvements de population est incroyablement lente : six à dix mois sont nécessaires pour mettre en place une mesure destinée à envoyer un signal fort à ceux qui sont tentés de venir se réfugier en Europe, quelles qu'en soient les raisons. Si les réponses apportées par la France vont dans le bon sens, la nécessité d'une réponse globale au niveau européen s'impose, alors que la crise migratoire s'exacerbe, avec son lot de drames humanitaires.

Le ministre de l'Intérieur m'a indiqué que deux approches opposées coexistent à cet égard.

Pour certains, Calais devrait devenir le centre des réfugiés sur le sol français, alors même que les Anglais ne souhaitent pas ouvrir à nouveau leur frontière. Or il faut une grande cohérence dans les signaux qui sont envoyés. Ne nous le cachons pas : la solidarité peut aussi aggraver le problème...

Selon l'autre approche, c'est un rejet total des migrants et leur expulsion qui doivent être privilégiés.

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - La problématique des migrants n'est pas qu'un simple enjeu de politique intérieure. Elle concerne l'Europe des 28.

Mme Hélène Conway-Mouret, présidente . - Les États européens sont incapables de se coordonner dans ce domaine, ou alors ils le font en réaction à l'afflux des migrants, mais jamais dans une logique de prévention.

Vous avez fort justement distingué les trafics qui répondent à une demande des migrants de ceux qui, organisés par des réseaux mafieux, tirent depuis de longues années des ressources importantes du trafic des êtres humains. Les migrants sans papiers constituent pour ces réseaux mafieux des proies d'autant plus faciles qu'ils n'ont pas à les acheminer sur le territoire européen, puisqu'ils y sont déjà.

Auriez-vous des éléments sur l'exploitation de ces migrants, économique ou sexuelle ? Ou est-ce encore trop tôt pour effectuer une analyse précise de cette exploitation ?

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay . - Le ministère des affaires étrangères ne dispose pas d'information permettant de répondre à cette question, mais les interpellations de membres de réseaux mafieux et les poursuites judiciaires qui seront conduites permettront sans doute de disposer d'éléments sur l'évolution de l'exploitation économique ou sexuelle des migrants.

D'après les statistiques disponibles, on constate depuis 2010 une tendance à la décroissance du trafic à des fins d'exploitation sexuelle, lequel représente actuellement environ 50 % des activités criminelles, alors qu'il culminait à 70 % il y a une décennie encore. En revanche, on note une recrudescence de l'exploitation à des fins économiques et, en particulier, du travail forcé et des formes contemporaines d'esclavage. J'ignore s'il s'agit là d'une réorientation des réseaux mafieux vers des sources lucratives moins contraintes, en raison de victimes facilement disponibles et exploitables, mais force est de constater que l'offre de prostitution est aussi de plus en plus réprimée.

Je ne suis pas sûre que cela réponde à votre interrogation.

Mme Hélène Conway-Mouret, présidente . - Même si c'est encore trop tôt pour disposer d'éléments chiffrés, il faut alerter les associations qui travaillent au contact des victimes.

Dans un autre domaine, je suspecte que le phénomène des mariages forcés, contre lequel je me suis efforcée de prendre des mesures lorsque j'étais au gouvernement, se développe actuellement. Il faut impérativement prendre des mesures pour le désamorcer, avant que ses victimes se comptent par milliers.

La diminution de l'exploitation sexuelle peut être mise au crédit des mesures mises en oeuvre contre la prostitution.

Une prise de conscience de ces phénomènes est nécessaire pour combattre les autres formes d'exploitation.

Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay, . - La volonté de la communauté internationale de travailler sur la problématique du travail forcé est manifeste : le protocole relatif à la convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail sur le travail forcé a pour objectif de renforcer les moyens de répression. Le projet de loi autorisant sa ratification sera soumis prochainement au vote du Parlement français. Ces engagements internationaux doivent cependant, avant de produire leurs effets, être ratifiés par une masse critique d'États pour que l'on puisse en percevoir le bénéfice.

Mme Hélène Conway-Mouret, présidente . - Je vous remercie.

Audition de Mme Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale
de la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains)

(19 novembre 2015)

Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, vice-présidente

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je voudrais excuser l'absence de notre présidente Chantal Jouanno et vous annoncer que notre délégation va accueillir une nouvelle collègue, Mme Corinne Féret, qui remplacera M. Jean-Pierre Godefroy.

Nous continuons ce matin les auditions consacrées à notre travail sur les femmes victimes de la traite des êtres humains, qui a commencé le 22 septembre avec l'audition de Mme Vassiliadou, coordinatrice européenne pour la lutte contre la traite des êtres humains.

Le 29 octobre, nous avons auditionné Mme Michelle Ramis, ambassadrice chargée de la lutte contre la criminalité organisée puis, le 12 novembre, Mme Patrizianna Sparacino-Thiellay, ambassadrice pour les droits de l'Homme.

Ces auditions nous ont permis de mieux cerner les enjeux internationaux de la question de la traite des êtres humains ainsi que les instruments juridiques qui encadrent la lutte contre la traite, tant au niveau des Nations Unies que dans le cadre européen.

Mercredi prochain à 14 heures, à l'occasion du 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination des violences à l'égard des femmes, une table ronde nous permettra d'entendre le point de vue des associations impliquées dans la lutte contre la traite des êtres humains ( Comité contre l'esclavage moderne , France terre d'asile , ECPAT France , Secours catholique ...) ainsi qu'un représentant pour la France du HCR (Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés).

Le 17 décembre prochain, l'Organisation internationale du travail (OIT) et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) organiseront au Sénat un colloque dédié à la mobilisation internationale contre l'esclavage moderne. Pour l'instant, seul le Niger a ratifié le protocole de l'OIT sur le travail forcé, dont la deuxième ratification conditionne l'entrée en vigueur. Aussi la France peut-elle jouer un rôle important en ratifiant rapidement ce texte dont l'objet est de faire avancer la prévention et la répression du travail forcé et d'améliorer les instruments de lutte contre les formes contemporaines de l'esclavage.

L'audition d'aujourd'hui revêt une importance toute particulière, car nous accueillons Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains), que nous avons déjà auditionnée dans le cadre de travaux antérieurs de la délégation sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

La MIPROF a été créée par décret le 3 janvier 2013 et a notamment pour mission d'assurer la coordination nationale en matière de lutte contre la traite des êtres humains, conformément à la convention du Conseil de l'Europe du 16 mai 2005.

Madame la secrétaire générale, je rappelle que la MIPROF a été chargée de préparer le premier Plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains. Vous êtes donc au coeur de l'action de la France en la matière et en assurez la coordination auprès du GRETA, le groupe d'experts chargé de veiller à la mise en oeuvre de la convention, actuellement présidé par un Français. Votre audition est donc essentielle pour nos travaux, car elle doit nous permettre de mieux comprendre comment est organisée l'action de nos autorités et d'identifier les axes de progrès en matière de lutte contre la traite des femmes et des jeunes filles. Nous sommes donc très heureux de vous entendre.

Pouvez-vous tout d'abord rappeler vos missions et le fonctionnement de la MIPROF ?

Mme Élisabeth Moiron-Braud . - Je vous remercie de m'accueillir à nouveau au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat qui m'a en effet déjà auditionnée à deux reprises depuis ma prise de fonctions, il y a deux ans et demi, notamment comme vous le rappeliez, madame la présidente, dans le cadre de la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel.

La MIPROF, créée par un décret du 3 janvier 2013, est placée sous l'autorité de la secrétaire d'État chargée des droits des femmes auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

L'action de la MIPROF s'articule selon deux axes : d'une part, la coordination nationale de la lutte contre la traite des êtres humains et, d'autre part, la protection des femmes contre les violences, en s'attachant pour ce dernier volet à la sensibilisation et la formation des professionnels, au développement des partenariats locaux pour assurer la protection des femmes victimes de violences et à assurer le recueil, l'analyse et la diffusion des données statistiques permettant de dégager les tendances en matière de violences faites aux femmes.

La MIPROF est composée de deux entités. L'équipe permanente comprend la secrétaire générale - je suis magistrate - également coordinatrice sur la traite des êtres humains, et Ernestine Ronai, coordinatrice nationale des violences faites aux femmes mais aussi responsable de l'Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis. La MIPROF comprend aussi un comité d'orientation qui se réunit deux à trois fois par an pour définir les grandes orientations de la mission. Ce comité d'orientation est composé de trois représentant-e-s des collectivités territoriales, de treize représentant-e-s de l'État, de six personnalités qualifiées et de trois représentant-e-s de structures locales intervenant en matière de violences faites aux femmes sur le territoire. Les membres de ce comité travaillent régulièrement sur tous les sujets d'étude de la mission dans le cadre de groupes de réflexion.

Une commandante de police, conseillère technique, travaille principalement sur la formation et la sensibilisation des professionnels aux violences faites aux femmes. Les études statistiques (collecte et analyse des données) permettant d'évaluer et de proposer des champs d'étude sur ces violences sont confiées à une chargée de mission qui en assure la diffusion par la mise en ligne de la Lettre de l'Observatoire national des violences faites aux femmes, disponible sur le site du ministère chargé des droits des femmes. Un autre poste, occupé pendant deux ans par un lieutenant-colonel de gendarmerie, est en attente de remplacement par le ministère de l'Intérieur.

La traite des êtres humains recouvre différentes formes : l'exploitation sexuelle, l'exploitation par le travail, l'exploitation à des fins de commettre des délits, l'exploitation à des fins de mendicité et l'exploitation à des fins de trafic d'organes.

Avant la création de la MIPROF, la France avait déjà ratifié tous les instruments internationaux et européens et transposé en droit interne les obligations mises à la charge des États en matière de lutte contre la traite des êtres humains. La législation française était donc déjà conforme aux engagements internationaux souscrits par notre pays. La France a aussi développé des politiques publiques d'aide aux victimes, notamment celles des infractions pénales dont relève la traite des êtres humains.

En 2008, quand j'ai été nommée au poste de cheffe du bureau de l'aide aux victimes et de la politique associative du ministère de la justice, j'ai constaté que la traite des êtres humains y était encore fort peu appréhendée et j'ai contribué à mettre en place le premier groupe de travail et de réflexion sur la traite. L'objectif était de définir une stratégie de lutte appropriée, qui devait se traduire par une politique publique s'inscrivant dans le cadre d'un plan d'action qui avait vocation à être évalué.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, en sa qualité de ministre des droits des femmes, a donc demandé à la MIPROF d'élaborer un premier plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains. Le président de la République a annoncé sa création le 10 mai 2014, à l'occasion de la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage. Ce plan a ensuite été présenté en conseil des ministres le 14 mai 2014. La MIPROF en pilote la mise en oeuvre.

La traite des êtres humains relève d'une logique interministérielle, les ministères concernés au premier chef étant le ministère de l'Intérieur au titre de la sécurité de l'État. Le ministère de la justice est concerné à travers le traitement des incriminations pénales de la traite définie par l'article 225-4-1 du code pénal et dont le dispositif, enrichi par la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France, nous a permis d'être en parfaite conformité avec les textes européens. Quant au ministère des affaires sociales, sa compétence concerne la mise en oeuvre de l'accompagnement des victimes.

Le rattachement de la traite des êtres humains au ministère en charge des droits des femmes procède de la constatation que les femmes et les enfants en sont les principales victimes, quel que soit le territoire où les faits se produisent. Toutes les victimes de la traite sont en général exploitées à cause de leur précarité et de leur vulnérabilité : cela ne signifie pas que les femmes et les enfants soient précaires par essence, mais que l'absence de reconnaissance de leurs droits dans leurs pays d'origine les rend fragiles et peut en faire des victimes potentielles. Cependant, si le prisme des droits des femmes permet de couvrir une grande partie du champ de la traite des êtres humains, l'exploitation par le travail, dont les hommes sont souvent les victimes, ou celle des mineurs, ne relèvent pas de ce cadre. Le caractère interministériel de la MIPROF permet d'y remédier.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - On a pu entendre suggérer le rattachement de la MIPROF au Premier ministre. Un tel changement pourrait-il faciliter votre action ?

Pourriez-vous nous indiquer les mesures du plan d'action national qui ont été mises en oeuvre avec succès et celles qui doivent encore l'être ? C'est un sujet d'actualité, car la commission mixte paritaire qui s'est réunie hier n'a pu parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Notre collègue Michelle Meunier, qui a participé à cette réunion en tant que rapporteure de la commission spéciale, pourra nous en parler tout à l'heure.

Une campagne de sensibilisation du grand public à cette question de la traite des êtres humains sera-t-elle organisée ?

La formation des professionnels, pour les sensibiliser à l'importance de la traite des êtres humains, est essentielle. Il est nécessaire aussi de disposer de données statistiques qui reflètent au mieux la réalité de la traite des êtres humains.

Comment coordonnez-vous l'action de la MIPROF avec celle du GRETA ?

J'ai pour ma part une autre question : pourriez-vous nous parler des nouveaux phénomènes de traite qui semblent apparaître dans des salons de massage ?

Mme Maryvonne Blondin . - Une évaluation des nouveaux dispositifs issus de la transposition en droit interne des directives européennes a-t-elle été menée ? J'ai été rapporteure pour notre délégation du projet de loi qui est devenu la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France. Une telle évaluation permettrait d'actualiser les avancées françaises en matière de lutte contre la traite des êtres humains. En tant que membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je suis très sensible à cette question.

Mme Elisabeth Moiron-Braud . - Je propose de vous adresser un tableau récapitulatif de la transposition, dans notre législation, des textes européens relatifs à la traite des êtres humains.

Plusieurs mesures du plan d'action national sont mises en oeuvre :

- la première priorité définie par le plan est ainsi définie : « Accompagner et identifier les victimes de la traite ». La mesure n° 1 (« Aller au-devant des victimes pour favoriser l'accès aux droits ») prévoit d'organiser le travail d'administration pour permettre une identification plus précise des victimes : nous y avons beaucoup travaillé en collaboration avec le ministère de l'Intérieur. En effet, dans notre pays, la plupart des victimes de la traite des êtres humains sont des femmes, victimes d'exploitation sexuelle, et majoritairement de nationalité étrangère (d'Europe de l'Est, mais également issues de pays d'Afrique sub-saharienne, dont le Nigéria). Or, si en application des textes du CESEDA, les préfectures peuvent délivrer un titre de séjour vie privée/vie familiale temporaire de six mois, cette délivrance demeure conditionnée à la présomption que les demandeurs sont des victimes de la traite des êtres humains, ce qui au demeurant est difficile à établir par le personnel des préfectures.

Afin de faciliter les transferts d'information entre les services de police ou les unités de gendarmerie et les préfectures, une fiche de liaison destinée à communiquer des éléments objectifs permettant d'attester que l'on est bien en présence d'une victime de la traite des êtres humains avait tout d'abord été suggérée. Cependant, cette méthode présentait l'inconvénient d'alourdir encore les tâches administratives des agents concernés. Aussi, à l'issue d'une réflexion conjointe, le ministère de l'Intérieur a diffusé le 19 mai 2014 une circulaire portant exclusivement sur ce sujet, rédigée dans un esprit très pédagogique, qui récapitule l'ensemble des textes de référence et expose les diverses possibilités pour accorder un titre de séjour aux victimes de la traite des êtres humains. Cette circulaire sensibilise le personnel des préfectures et les préfets et prévoit la nomination, au sein de chaque préfecture, d'un référent en matière de traite. Au vu de ces éléments, on peut considérer que la mesure n° 1 du plan d'action national est mise en oeuvre de manière effective.

- La mesure n° 12 vise à veiller que l'incrimination de traite soit plus souvent retenue par le parquet. Cette mesure est d'autant plus importante qu'elle permet aux victimes de bénéficier de droits élargis, notamment en matière d'indemnisation. Le code de procédure pénale prévoit en effet que certaines victimes d'atteintes très graves (viol, d'agression sexuelle, traite des êtres humains) peuvent être indemnisées sans avoir à prouver la prescription d'une période d'interruption temporaire de travail.

Mme Maryvonne Blondin . - Nous avons cependant constaté que cette incrimination de traite des êtres humains n'est pas souvent retenue par les parquets.

Mme Elisabeth Moiron-Braud . - La mesure n° 12 du plan d'action national se propose justement de promouvoir l'incrimination de traite des êtres humains en encourageant les parquets à poursuivre sur ce fondement, même si des éléments matériels (recrutement, transfert de personnes) de l'infraction de traite des êtres humains prévus par le code de procédure pénale peuvent être difficiles à établir. Cette mesure est d'ores et déjà mise en oeuvre puisque le ministère de la justice a diffusé le 22 janvier 2015 une circulaire de politique pénale en matière de lutte contre la traite des êtres humains, rédigée elle aussi de manière très pédagogique et qui explique dans le détail les enjeux de la lutte contre la traite et l'intérêt à retenir la qualification de traite des êtres humains qui permet notamment d'utiliser des outils d'entraide pénale internationale et ouvre des droits spécifiques aux victimes. Elle invite les magistrats amenés à connaître, à titre d'exemple, d'une affaire d'exploitation sexuelle à poursuivre tant sur le chef de proxénétisme aggravé que sur le chef de traite des êtres humains, si, bien sûr, les éléments constitutifs sont réunis. Une seconde circulaire, traitant de certaines formes d'exploitation, pourrait être diffusée par le ministère de la justice.

L'ensemble des mesures (n° 15, n° 16, n° 17, n° 18 et n° 19) destinées à renforcer la coopération internationale en matière de lutte contre la traite font par ailleurs l'objet d'un suivi attentif par le ministère des affaires étrangères.

Les mesures 10 et 11 prévoient une protection et un accompagnement adapté aux mineurs victimes de traite des êtres humains. À cet effet, la MIPROF met en place, en partenariat avec le tribunal de grande instance de Paris, la mairie, le Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance (SGCIPD), la préfecture de police et les associations, l'ordre des avocats et le ministère de la justice, une expérimentation d'un dispositif de protection des mineurs victimes basé sur leur éloignement géographique et leur prise en charge par des éducateurs spécialisés, sur le modèle du dispositif Ac.Sé pour les majeurs. Nous sommes en effet partis du constat que les dispositifs de droit commun de la protection de l'enfance ne sont pas véritablement adaptés à la situation des mineurs victimes de traite des êtres humains. Ce dispositif est destiné notamment aux mineurs exploités à des fins de commettre des délits ainsi qu'aux mineurs victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle. La convention est finalisée et doit être signée sous peu. Le nombre de mineurs pris en charge dans ce dispositif est fixé entre cinq et dix, à titre indicatif. La convention prévoit un partenariat avec environ dix centres d'hébergement en région, qui pourra s'appuyer sur des éducateurs spécialement formés à cet effet et sur une association référente, « Hors la rue », qui fait un travail remarquable.

Pour qu'une politique publique soit efficace, elle doit être régulièrement évaluée, si possible par une institution indépendante. La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), autorité administrative indépendante, a été chargée du suivi et de l'évaluation de la politique publique mise en oeuvre et déposera son premier rapport courant 2016. La mesure n° 23 du plan d'action national est donc pleinement effective.

Pour répondre aux exigences de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains, seuls deux autres pays européens ont fait, comme la France, le choix de confier cette évaluation à une institution indépendante. Les autres États membres ont décidé de confier celle-ci à un rapporteur national (ou mécanisme équivalent, comme par exemple une instance de coordination).

Certaines mesures sont en cours de mise en oeuvre, notamment les mesures 2 sur la formation des professionnels et la mesure 20 sur la création d'un outil statistique.

Il est cependant intéressant de noter que quelques mesures ne pourront effectivement être mises en oeuvre que si certaines dispositions de la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel sont adoptées par le Parlement, ce que j'espère. Parmi ces mesures, citons la domiciliation administrative lors du dépôt de la demande de séjour et la construction d'un parcours de sortie de la prostitution, qui s'appliquera aussi aux victimes de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, ainsi que l'extension de la compétence des inspecteurs du travail à la constatation des infractions de traite des êtres humains, ce qui leur permettra de verbaliser sur ce fondement lors de leurs inspections dans des usines ou des ateliers ; ils sont d'ailleurs très demandeurs d'une telle extension de leur champ d'intervention.

J'ajoute que l'article 4 de la proposition de loi créée un fonds dédié aux personnes prostituées, qui vient en appui de la mesure 21 du plan qui prévoit un fonds dédié aux victimes de la traite et de l'insertion des personnes prostituées.

Mme Maryvonne Blondin . - Il existe. - un million d'euros par an étaient envisagé. - mais il n'a pas été alimenté, comme cela était prévu, par les amendes.

Mme Elisabeth Moiron-Braud . - Je rappelle que le plan d'action national concerne toutes les formes de traite des êtres humains, mais il comporte nécessairement des mesures spécifiques pour les formes les plus répandues que sont l'exploitation sexuelle et l'exploitation des mineurs.

Ainsi, outre la convention expérimentale permettant d'accueillir les mineurs victimes de traite des êtres humains et de les protéger, dont je vous ai déjà parlé, nous devons signer prochainement une convention partenariale, à titre expérimental, relative à l'exploitation sexuelle qui réunit la mairie de Paris, le tribunal de grande instance de Paris, les associations, la délégation régionale aux droits des femmes et le ministère de la justice. Elle a pour objet de permettre aux victimes qui portent plainte d'être mises en sécurité et d'être prise en charge par une association qui évaluera leur situation et les accompagnera dans leur projet d'insertion sociale jusqu'au procès. À cet effet, un appartement permettant d'accueillir jusqu'à cinq personnes sera mis à leur disposition. Nous savons que le témoignage des victimes est essentiel dans la lutte contre la traite des êtres humains ; cette prise en charge devrait ainsi permettre d'apporter une réponse pénale adaptée à l'égard des auteurs d'infraction. Les résultats de cette expérimentation pourront servir à la mise en oeuvre du parcours de sortie de la prostitution prévu à l'article 3 de la proposition de loi en cours d'examen.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Que se passe-t-il si l'exploitation est le fait des parents ?

Mme Elisabeth Moiron-Braud . - Si les éléments de l'infraction de traite des êtres humains sont constitués, les parents pourront être poursuivis et condamnés de ce chef et se verront retirer les droits parentaux.

La mesure n° 8 du plan d'action national (« Développer et faire connaître l'accueil sécurisant prévu dans le dispositif Ac.Sé »), également en cours de mise en oeuvre, prévoit un accueil sécurisant dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale. Cet accueil existe depuis 2001 et s'est développé depuis 2007. C'est un dispositif qui a fait ses preuves et a permis d'accueillir environ soixante personnes l'année dernière. Les circulaires des ministres de la justice et de l'Intérieur rappellent aux magistrats, enquêteurs, préfecture l'existence de ce dispositif.

Le progrès dans ce domaine n'est pas seulement une question de nombre de places, mais passe également par une meilleure organisation. En effet, la traite des êtres humains est un phénomène mal connu dans certains endroits du territoire, et il est important de pouvoir travailler avec les services de coordination, d'accueil et d'orientation (SCAO) afin de développer le nombre de CHRS (centres d'hébergement et de réinsertion sociale) partenaires du dispositif.

Enfin, vous évoquiez la question des formations : elles existent déjà pour des professions spécialisées - police aux frontières, par exemple - mais l'objectif est de former les services sociaux et de police qui pensent, faute de connaître le sujet, ne pas être concernés par le problème de la traite des êtres humains. Cette formation est essentielle pour améliorer l'identification des victimes.

Mme Maryvonne Blondin . - Les postiers et facteurs peuvent également jouer un rôle : je pense notamment au cas de l'un de ces professionnels qui a permis l'identification d'une victime d'esclavage retenue au sein d'un appartement.

Mme Elisabeth Moiron-Braud . - L'exemple que vous citez montre bien que nous devons sensibiliser la société entière à travers des campagnes d'information, notamment parce que les inspecteurs du travail ne peuvent pas pénétrer dans les domiciles. Le travail dans ce domaine doit être relancé en 2016 et concernera les ministères du travail, de la santé, des droits des femmes, de la justice et de l'Intérieur.

J'appelle toutefois votre attention sur la question budgétaire : la question du coût de la campagne de sensibilisation se pose en effet, de même que celui des politiques d'accompagnement des victimes. Les crédits destinés à financer ces politiques sont éclatées entre les différents ministères concernés.

Les crédits de l'action 15 « Prostitution et traite des êtres humains » du programme budgétaire 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » sont passés de 2,4 à 4,8 millions d'euros Ces crédits ont été alimentés par d'autres lignes budgétaires relevant des ministères de l'Intérieur et de la justice. Mais beaucoup de mesures du plan nécessitent des financements et il n'existe pas de budget dédié exclusivement à lutte contre la traite des êtres humains.

Des moyens supplémentaires nous permettraient par exemple de financer la mesure n° 1 du plan (« Aller au-devant des victimes pour favoriser l'accès aux droits »), qui prévoit la création de cinquante postes de médiateurs culturels. J'indique que nous espérons la création de dix postes dès 2016, ce qui aidera notamment les associations qui accompagnent les femmes nigérianes victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. Le secrétariat d'État aux droits de femmes va essayer de mettre en oeuvre cette première tranche qui pourra être financée sur la ligne budgétaire de l'action 15 précitée.

L'amélioration des statistiques constitue un enjeu très important pour tous les pays de l'Union européenne. La difficulté réside dans la qualification de l'infraction, car la traite des êtres humains est elle-même composée de plusieurs infractions distinctes (travail forcé, esclavage, etc.). Cela ne permet pas aisément de disposer de chiffres précis par type d'exploitation, même si certains aspects sont suivis plus précisément, comme l'exploitation sexuelle analysée par l'OCRTEH (Office central pour la répression de la traite des êtres humains). En outre, le ministère de la justice collecte des données sur les faits délictuels et criminels, les procédures et les personnes mises en cause, mais pas sur les victimes. L'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a mis en place un groupe de travail, que la MIPROF co-pilote, et dont l'objectif est de définir un outil statistique permettant d'exploiter les données existantes. Nous pourrons nous appuyer sur le logiciel de recueil de données du ministère de l'Intérieur, qui est mis en oeuvre depuis peu.

Le GRETA, chargé d'évaluer la mise en oeuvre, par les États, de la convention relative à la lutte contre la traite des êtres humains du 15 mai 2005, est en train d'évaluer la France et la MIPROF coordonne la réponse au questionnaire, qui comporte 64 questions. Je dois dire que nous passons un temps assez important à répondre à ces questions ainsi qu'aux autres demandes du GRETA, qui révèlent un niveau certain d'exigence. Nous avons déjà rendu un rapport intermédiaire en février 2015 et, après l'envoi du questionnaire, nous recevrons la visite des experts.

Vous avez évoqué la convention de l'organisation internationale du travail (OIT) et son protocole relatif au travail forcé : c'est un bon outil, qui s'inscrit dans le droit fil des conventions internationales au regard des obligations faites aux États.

M. Roland Courteau . - Vous avez évoqué le projet de création de dix postes de médiateurs culturels en 2016 dans le cadre d'un objectif total de cinquante postes, mais quel serait le besoin réel ? Par ailleurs, vous évoquiez une campagne de sensibilisation en procédant à des affichages dans les lieux publics comme les gares, mais est-ce vraiment suffisant ? Pourquoi ne pas envisager une campagne télévisée ? Est-ce un problème de coût ? Cela me paraît pourtant indispensable, car le grand public méconnaît totalement ce fléau !

Mme Eisabeth Moiron-Braud . - Le besoin défini dans le plan d'action national était de cinquante postes de médiateurs culturels créés sur trois ans. Je suis entièrement d'accord avec vous en ce qui concerne le besoin de sensibilisation du public, mais une campagne télévisée est extrêmement coûteuse, c'est pourquoi nous avons ciblé, à la mesure 3 du plan, les lieux pouvant toucher les victimes de la traite. Le choix des gares et autres lieux de transports comme cible de cette campagne tient au fait que ces victimes sont souvent déplacées de territoire en territoire. Il est d'ailleurs le fruit d'une réflexion conjointe avec les associations.

M. Roland Courteau . - On a le sentiment qu'en matière de formation, tout est à faire. On rencontre le même problème avec la mise en application de l'ordonnance de protection des femmes victimes de violences, ce qui semble en partie dû à une formation insuffisante des magistrats et des avocats.

Mme Michelle Meunier . - La formation des professionnels de santé est, elle aussi, indispensable à la détection de toutes les formes de violence.

Mme Elisabeth Moiron-Braud . - Vous avez tout à fait raison. D'ailleurs la MIPROF présente demain un nouvel outil conçu avec des avocats sur l'ordonnance de protection, qui sera utilisé dans leur formation initiale et continue. Je rappellerai que nous avons déjà conçu des outils pédagogiques sur les violences faites aux femmes destinés aux professionnels de santé, qui sont diffusés régulièrement dans les instances de formation. Je dis souvent aux associations que si l'on peut constater des avancés très significatives en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, il ne faut pas oublier que dans ce domaine, nous en sommes au quatrième plan interministériel et que de nombreuses loi ont été adoptées ! On peut donc espérer que les efforts actuellement entrepris en matière de la lutte contre la traite produiront des résultats, mais il faut bien avoir conscience que nous n'en sommes qu'au tout premier plan d'action.

Quant à la question du rattachement de la MIPROF au Premier ministre, elle répond à une certaine logique, dans la mesure où la traite des êtres humains est un sujet interministériel qui demande un travail de coopération entre les services de nombreux ministères.

Mme Michelle Meunier . - Pour votre bonne information sur l'adoption de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, la commission mixte paritaire qui s'est réunie hier a constaté l'impossibilité de parvenir à un texte commun. Pourtant, un certain nombre de points de convergence rapprochent maintenant les deux assemblées, notamment en ce qui concerne le parcours de sortie de prostitution. On peut imaginer que l'adoption définitive de la future loi pourrait désormais intervenir assez rapidement.

Mme Elisabeth Moiron-Braud . - Cette proposition de loi est très importante en ce qu'elle reconnaît les personnes prostituées comme des victimes et leur accorde, ainsi qu'aux victimes de la traite des êtres humains, des droits leur permettant d'être accompagnées et protégées en vue de leur insertion dans la société.

Table ronde réunissant des experts et des représentants d'associations ( France Terre d'Asile , Comité contre l'esclavage moderne , Secours Catholique , dispositif national Ac.Sé d'accueil et de protection des victimes de la traite, ECPAT France - mettre fin à l'exploitation sexuelle des enfants), à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination
de la violence à l'égard des femmes

(25 novembre 2015)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Quelques jours après la Journée européenne contre la traite des êtres humains du 18 octobre, nous sommes réunis en cette Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes pour débattre et réfléchir ensemble à la façon dont nous pouvons utilement contribuer à l'éradication du phénomène de la traite, qui n'épargne ni l'Europe, ni la France.

La traite des êtres humains touche 22 millions de personnes dans le monde. Elle fait chaque année 2,5 millions de victimes, qui sont à 80 % des femmes et des jeunes filles : on comprend que ce soit un sujet de préoccupation pour la délégation aux droits des femmes.

Le sujet de la traite n'est pas tout-à-fait nouveau pour notre délégation. Nous avons eu l'occasion de l'aborder, notamment sous la présidence de Brigitte Gonthier-Maurin. Le projet de loi transposant la directive de 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la protection des victimes a donné lieu à un rapport d'information de notre collègue Maryvonne Blondin, publié en 2013. Évidemment, la traite a également été abordée au cours du débat sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel qui, même s'il a abouti à un vote que l'on ne peut que regretter, a été très riche au Sénat.

Le travail que notre délégation prépare depuis le mois de septembre sur les femmes victimes de la traite des êtres humains sera présenté par six rapporteures, une par groupe : outre moi-même pour le groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC, il s'agit de Corinne Bouchoux pour le groupe écologiste, d'Hélène Conway-Mouret pour le groupe socialiste, de Joëlle Garriaud-Maylam pour le groupe Les Républicains, de Brigitte Gonthier-Maurin pour le groupe communiste républicain et citoyen et de Mireille Jouve pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen. Cette diversité montre l'intérêt de tous les groupes du Sénat pour ce sujet déterminant en matière de violences faites aux femmes.

Les tragiques attentats qui ont frappé notre pays ont mis en évidence des liens entre le terrorisme et la traite. Daesh et Boko Haram s'appuieraient entre autres sur la traite des êtres humains pour financer leurs activités, qu'il s'agisse d'esclavage sexuel ou de trafic d'organes.

Nos premières auditions l'ont montré, la traite revêt des aspects divers, ce qui implique de disposer d'une expertise complète en s'appuyant sur le témoignage des acteurs de terrain. Là est précisément l'objet de notre table ronde, et je vous remercie d'avoir accepté d'y participer.

Avant de vous présenter toutes et tous et de vous donner la parole, je voudrais rappeler que nous aurons cet après-midi deux temps de débat.

Le premier sera consacré aux enjeux auxquels sont confrontés les acteurs qui luttent contre la traite. Nous entendrons des experts ou associations de terrain qui pourront nous dire ce qui caractérise leur action et ce que le législateur peut faire pour les aider dans leur combat.

La seconde partie permettra quant à elle de nous éclairer sur les enjeux liés à la crise actuelle des migrants. Nous avons bien compris que ce phénomène et celui de la traite sont juridiquement distincts, car la traite implique une contrainte exercée sur une victime alors que les migrants, par définition, fuient volontairement leur pays. Cependant, l'actualité a malheureusement montré que ces personnes, une fois arrivées en Europe dans le plus grand désarroi, peuvent se retrouver victimes de traite des êtres humains car elles constituent des cibles « faciles » pour les réseaux. Il s'agira pour nous de comprendre comment ces questions sont aujourd'hui appréhendées et quel est le degré de risque supplémentaire lié à cette situation inédite en Europe.

Je remercie chacune et chacun d'entre vous d'être venus jusqu'à nous et je vous propose de commencer sans plus tarder nos échanges. Nous écouterons ensuite une interview de Mme Michèle Ramis.

Vous trouverez aussi, sur le site du Sénat, une présentation vidéo de Mme Myria Vassiliadou, coordinatrice européenne de la lutte contre la traite des êtres humains que notre délégation a rencontrée le 22 septembre. Dans vos dossiers figure le texte français de son intervention.

Notre audition fait, par ailleurs, l'objet d'une captation vidéo qui sera mise en ligne sur le site du Sénat.

Pour cette première partie consacrée à l'expérience des associations et aux enjeux en matière de traite, nous accueillons six intervenants, que je présenterai successivement.

Notre premier intervenant est Louis Guinamard, qui a créé l'agence TAOR, spécialisée dans des sujets sensibles tels que l'excision ou les viols de guerre. La délégation a déjà eu l'occasion de l'entendre, il y a deux ans, dans le cadre de la préparation d'un rapport d'information sur ce sujet. Dans son ouvrage intitulé Les nouveaux visages de l'esclavage , publié sous la direction de Geneviève Colas, Louis Guinamard décrit les différentes formes que peut revêtir la traite, notamment celle des mineurs. Son intervention nous donnera donc une vision d'ensemble du phénomène de la traite des êtres humains.

Notre deuxième intervenante, Geneviève Colas, représente le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », dont la coordination est assurée par l'association Secours catholique-Caritas France . Geneviève Colas a par ailleurs contribué à la publication d'un ouvrage sur la traite des êtres humains dans les situations de conflits. À l'occasion de la Journée européenne de lutte contre la traite, ce collectif a publié un communiqué rappelant notamment le rôle des associations et formulant un certain nombre de recommandations. Nous serons très intéressés par son analyse du rôle de la société civile dans la lutte contre ce fléau.

Nous entendrons ensuite Patrick Hauvuy et Federica Marengo, qui représentent l'association ALC ( Accompagnement Lieux d'accueil Carrefour éducatif et social ). ALC a créé en 2001 le dispositif national Ac.Sé (Accueil Sécurité), réseau d'associations et de centres d'hébergement qui vise à protéger les personnes victimes de la traite des êtres humains se retrouvant en danger localement. Patrick Hauvuy et Federica Marengo pourront nous faire part des principales difficultés rencontrées dans leur action.

Puis la question des mineurs sera abordée avec Eléonore Chiossone et Alice Tallon, qui représentent ECPAT France ( End child prostitution, child pornography and trafficking of children for sexual purposes ). La mission de cette ONG est de lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, en France et à l'étranger. La situation des mineurs victimes de traite est en effet très délicate. L'expérience de nos intervenantes, nourrie de nombreuses études et missions menées en France comme à l'étranger, nous apportera des éléments clés pour nos travaux.

Enfin, Maître David Desgranges nous parlera de son expérience à la tête du Comité contre l'esclavage moderne . Depuis sa création en 1994, le CCEM s'est rapidement spécialisé dans la prise en charge des personnes victimes de traite à des fins d'exploitation par le travail, en particulier domestique. Son accompagnement juridique et administratif des victimes est extrêmement important. Maître David Desgranges aura certainement de nombreuses recommandations à nous faire.

La conclusion de cette première partie reviendra à Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), que la délégation a auditionnée voilà une semaine.

Nous ouvrirons ensuite un échange avec les membres de la délégation. Louis Guinamard, vous avez la parole.

M. Louis Guinamard, conseil en communication et plaidoyer international, auteur des Nouveaux visages de l'esclavage . - J'interviens ici comme auteur de l'ouvrage Les nouveaux visages de l'esclavage , publié en mai dernier sur la commande du collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains ». Mon travail, non pas d'expert mais de journaliste, visait à mettre des mots et des visages sur les concepts liés à la traite des êtres humains. Je l'ai réalisé grâce au soutien et à la disponibilité de l'ensemble des associations membres du collectif.

On ne peut réduire la traite des êtres humains aux seules questions de l'esclavage domestique et de la prostitution. Nous avons tous à l'esprit non seulement les histoires des « petites bonnes », ces jeunes filles maltraitées et tenues en esclavage, mais aussi la question extrêmement prégnante de la prostitution, le système prostitutionnel fonctionnant essentiellement grâce aux mécanismes de la traite. Mais la traite des êtres humains va bien au-delà, en englobant les phénomènes de mendicité et de délit, très présents dans la traite des enfants, mais également les questions, plus anecdotiques mais souvent dramatiques, de la traite dans le sport, ou encore le phénomène des « bébés ancres » qui servent à légitimer les personnes lorsqu'elles arrivent sur un territoire.

Toujours sur le thème des mots que recouvre la traite, nous souhaitions, par cet ouvrage, contrer certaines paroles et idées reçues qui peuvent paraître anodines, mais qui contribuent à légitimer et à entretenir le système de la traite : « la prostitution est le plus vieux métier du monde » en est un exemple. Les mots ont leur importance ! Nous entendons souvent dire que la traite est une atteinte aux droits de l'homme, ce qui revient à biaiser la réalité. La traite est avant tout une atteinte aux droits humains, en ce qu'elle touche très majoritairement les femmes.

Dans le même ordre d'idée, il est difficilement admis qu'un mariage puisse s'inscrire dans le cadre de la traite, puisque juridiquement, le mariage implique un consentement. Or, je pense à l'histoire de Leila, une jeune fille qui nous a raconté comment un jour, on est venu la recruter dans son pays pour l'emmener en France. Son « mari » ne l'attendait même pas à l'aéroport ! Dès son arrivée, elle a été « prise en main » par sa belle-mère, qui l'a placée dans la maison, au service de la famille. Ici, tous les mécanismes de la traite sont bien réunis. Encore une fois, il est essentiel d'employer les bons mots derrière ces situations.

À travers des reportages, l'ouvrage relate des situations de traite dont certaines se déroulent à quelques centaines de mètres d'ici. Il suffit de se rendre au carrefour de Strasbourg-Saint-Denis pour observer le système prostitutionnel, avec, dès le matin, l'arrivée d'un groupe de femmes chinoises, puis, plus haut dans la rue, de femmes nigérianes. Tout cela se déroule sous nos yeux. La question est de savoir ce que l'on accepte ou non ; elle se pose aussi évidemment en province, où la prostitution se déroule dans les camions installés au bord des routes nationales, à la vue de chacun.

Il s'agissait également, à travers ce livre, de mettre des visages sur les notions que recouvre la traite, tout d'abord pour compatir avec les victimes, les laisser se raconter. L'ouvrage reprend le témoignage de la psychologue de l'association Foyer Jorbalan , qui évoque les femmes qu'elle accueille quotidiennement, généralement extraites de la prostitution en urgence et qu'il faut mettre à l'abri. Ces femmes ont souvent été dans le déni, ce qui leur a permis précisément de résister alors qu'elles étaient prises dans le mécanisme de la traite. L'une d'entre elles rapporte les mots suivants : « J'ai été traitée comme un animal pendant des années, je ne sais pas ce que c'est que d'être une femme ».

Nous souhaitions également mettre des visages sur la traite pour donner de la chair aux réseaux de traite.

Les réseaux internationaux, tout d'abord, nous dépassent, car ce sont de véritables nébuleuses, largement inaccessibles et qui s'inscrivent dans des sphères complexes. Néanmoins, il nous a semblé important d'expliquer que l'on parvenait parfois à remonter des filières, arrêter des personnes et identifier des responsables. Combattre ces réseaux n'est pas une lutte vaine, on peut y arriver.

Il s'agissait aussi de mettre des visages sur les réseaux de proximité. Très souvent, la traite se déroule au sein même de la famille. L'ouvrage relate le témoignage d'une petite fille Éthiopienne, Waris, dont l'histoire et notamment les conditions d'arrivée en France rassemblent tous les éléments de la traite. Orpheline, Waris est recueillie par sa tante, qui la place à son service. Ne supportant plus la situation de maltraitance qui lui est faite, Waris s'enfuit. S'ensuit une succession d'épisodes qui la conduiront en France, dans un processus qui rejoint le thème des migrations qu'aborderont les intervenants de la seconde séquence. Son histoire souligne bien que la traite ne s'inscrit pas forcément dans un contexte de marchandisation, mais qu'elle se déroule souvent dans le cadre privé, pour un « usage direct ».

La réalité de la traite soulève par ailleurs la question de l'impunité et de l'immunité de certaines personnalités, découlant de certains statuts. Sur cette question, les règles évoluent et plusieurs procédures engagées ont abouti. Encore une fois, il n'est pas vain de poursuivre le combat.

En bout de chaîne, nous tenions à mettre des visages sur les clients, qui sont les commanditaires de la traite. À ce titre, ils sont totalement impliqués et tiennent une responsabilité certaine dans le mécanisme. Il était important de le rappeler.

Enfin, nous avons souhaité présenter les visages bienveillants, et tout d'abord ceux des « tiers intervenants ». Le tiers intervenant est la personne qui repère une situation et qui décide d'agir. J'ai à l'esprit l'histoire d'une femme qui, alors qu'elle vient de s'échapper de la voiture de la personne qui la maintenait en esclavage, s'arrête dans un parc. Une dame la voit et lui demande : « Pourquoi pleures-tu ? ». Cette dame entend son histoire et aussitôt, cherche de l'aide. Ce cas n'est pas isolé. D'après l'Organisation internationale contre l'esclavage moderne (OICEM), un quart des signalements provient de personnes de la société civile.

Enfin, parmi ces visages bienveillants, figurent bien évidemment les associations qui prennent en charge les victimes.

Mme Geneviève Colas, collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains, Secours catholique - Caritas France » . - Le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » rassemble 25 associations qui combattent la traite dans différents domaines. Il s'agit d'associations généralistes de lutte contre la pauvreté, à l'image du Secours catholique, mais également d'associations très spécialisées. Cette spécialisation peut concerner les mineurs (par exemple, l'association Hors La Rue ), l'esclavage moderne (par exemple le CCEM), ou encore la traite à des fins d'exploitation sexuelle (par exemple, le Mouvement du Nid ).

Le collectif mène des actions à différents niveaux, qui ont pour objectif :

- la sensibilisation du grand public, à travers un site Internet (www.contrelatraite.org) et un certain nombre de supports, des journaux notamment, publiés par les organisations membres ;

- la prévention auprès des publics à risque, en France et dans d'autres pays, plusieurs associations du collectif ayant une dimension internationale ;

- l'accompagnement des victimes ;

- la lutte contre la criminalité - tout en sachant que la traite ne s'inscrit pas uniquement dans des systèmes organisés ;

- le plaidoyer au niveau local, national ou international ;

- le développement d'un travail en réseau, réunissant les associations et les institutions : nous travaillons ainsi avec la MIPROF et les ministères, mais également au sein de la plateforme de la Commission européenne sur la traite des êtres humains et au sein du réseau associatif mondial COATNET ( Christian organisations against Trafficking work ).

Parmi les thèmes forts que le collectif aborde figure la problématique de la traite des mineurs, sujet sur lequel nous sollicitons d'ailleurs votre soutien. Au niveau de l'ONU, nous avons récemment présenté un rapport sur la situation actuelle de la traite des mineurs en France au regard de la Convention internationale des droits de l'enfant.

La traite des êtres humains dans les situations de conflit et de post-conflit est également une problématique prégnante aujourd'hui. Nous avons mené sur ce sujet une recherche-action avec les associations Caritas d'Europe, de Méditerranée, des Balkans et du Caucase, qui sera présentée le 29 novembre au Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU à Amman.

Au titre des priorités pour la France, le collectif appelle à une prise en compte de toutes les formes de traite et à la mise en oeuvre de moyens financiers suffisants pour lutter contre ce fléau. Nous demandons que soit menée une vaste campagne de sensibilisation et que la lutte contre la traite devienne une grande cause nationale. Nous insistons sur les besoins de formation de tous les professionnels qui sont potentiellement en contact avec des victimes (policiers, gendarmes, éducateurs, animateurs, enseignants...). Enfin, nous demandons la mise en oeuvre effective du Plan d'action national contre la traite des êtres humains.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci. Vous aurez l'occasion de préciser, lors du débat, le soutien que notre délégation pourrait vous apporter.

Mme Federica Marengo, coordinatrice de l'association ALC-Dispositif national Ac.Sé . - Créé en 2001 par l'association ALC , reconnue d'utilité publique et basé à Nice, le réseau Ac.Sé regroupe 70 partenaires, essentiellement des associations spécialisées et des centres d'hébergement, répartis sur quarante départements. Le dispositif est financé par le service des droits des femmes du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, par le ministère de la justice et par la ville de Paris.

Ac.Sé a pour mission de proposer un accueil, un accompagnement et un hébergement aux personnes victimes de traite des êtres humains, en danger localement. Le dispositif s'adresse aux victimes de la traite au sens de l'article 225-4-1 du code pénal, qui recouvre toutes formes d'exploitation : travail forcé, mendicité, ou encore exploitation par la prostitution, etc. Si, cette année, 60 % des personnes que nous accompagnons ont demandé un éloignement géographique à la suite d'un dépôt de plainte, le dispositif fonctionne sans condition de coopération dans des procédures judiciaires. Nous accompagnons ainsi des victimes qui se trouvent en situation de danger du simple fait de vouloir quitter leur lieu d'exploitation. Nous prenons en charge les victimes, ainsi que leurs enfants.

Le dispositif Ac.Sé assure une mission d'animation d'un pôle ressource sur la traite, à destination de tous les intervenants en contact avec des personnes susceptibles d'être victimes. Ac.Sé tisse ainsi des liens de coopération avec l'ensemble des instances et intervenants concernés par la prise en charge des victimes, et les soutient dans toutes les étapes de la prise en charge. Le dispositif propose à cet effet un accompagnement global, qui porte sur les aspects psychologiques, sociaux, administratifs et juridiques. Au-delà de ces actions d'animation, Ac.Sé propose des formations aux partenaires du dispositif et plus largement, à l'ensemble des intervenants potentiellement concernés.

Le comité de pilotage d' Ac.Sé réunit tous les ministères concernés par la question de la traite des êtres humains ainsi que des partenaires du réseau, dans l'objectif de suivre le dispositif et de faire remonter les difficultés rencontrées sur le terrain.

M. Patrick Hauvuy, directeur de l'association ALC -Dispositif national Ac.Sé . - Je tiens avant tout chose à remercier la délégation de nous donner l'occasion de présenter le dispositif Ac.Sé et de partager nos constats.

Le premier constat concerne le manque de places d'hébergement. En 2003, la loi de sécurité intérieure annonçait la création de 500 places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Or à ce jour, aucune place n'a été créée. Le système actuel de traitement des demandes d'hébergement s'appuie sur les services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO). Or, ces derniers ont vocation à traiter les demandes locales, alors que l'éloignement pour danger implique souvent de traiter avec des départements éloignés du lieu de l'exploitation.

Au-delà de la France métropolitaine, le problème de la prise en charge des victimes de la traite des êtres humains se pose de manière très importante en outre-mer. Nous avons essayé à plusieurs reprises d'organiser des missions et de prendre contact avec nos homologues dans les territoires et départements ultramarins, mais la coopération s'avère compliquée. En termes de perspectives de travail, votre délégation pourrait très utilement se pencher sur la question, notamment s'agissant des zones frontalières avec le Brésil où la traite des êtres humains est repérée par les acteurs américains, mais où la France semble absente en termes de prévention, de prise en charge et de formation des professionnels.

Comme Geneviève Colas, j'insisterai à mon tour sur la problématique de l'exploitation sexuelle des mineurs. Nous observons un abaissement préoccupant de l'âge des victimes que nos équipes rencontrent dans la rue, et nous souffrons d'un manque d'outillage patent sur cette question. Les mineurs relèvent de l'autorité des conseils départementaux, qui n'ont pas les capacités matérielles de prendre en charge les victimes et dont les personnels ne sont pas formés à ce type accueil.

J'évoquerai enfin la question de l'identification des victimes de traite. Les associations se sont longtemps concentrées sur les victimes de l'exploitation sexuelle, relativement plus faciles à approcher, le lieu d'exploitation étant souvent l'espace public. Pour les personnes victimes de formes d'exploitation telles que le travail forcé ou l'esclavage domestique, c'est autre chose. Un travail de fond doit être mené sur la formation des professionnels pour améliorer l'identification des victimes. Je pense notamment aux travailleurs sociaux, aux forces de l'ordre et aux magistrats. Ces derniers sont très performants sur la question du proxénétisme, mais encore peu ouverts sur les autres formes de traite des êtres humains. Or le faible nombre de condamnations au titre de la traite des êtres humains contribue à la faible visibilité du phénomène.

Pour terminer, je vous invite à vous rendre dans le département des Alpes-Maritimes où, après des années de travail, nous sommes parvenus avec les services de l'État et les associations, à mettre en place une politique cohérente d'accueil et de protection des victimes de traite, fondée sur la coordination de l'ensemble des acteurs du secteur.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Votre invitation est bien reçue !

Mme Alice Tallon, chargée de projet à ECPAT France . -Les éléments qu'Éléonore Chiossone et moi-même vous présenterons aujourd'hui sont tirés d'une étude portant sur la prise en charge des mineurs victimes de traite en France que nous avons réalisée en 2014 et 2015 en collaboration avec Béatrice Lavaud-Legendre, chargée de recherche au CNRS.

Notre méthodologie a consisté à rencontrer 46 professionnels potentiellement en contact avec des mineurs victimes, et à analyser environ 80 dossiers judiciaires. Ceci nous a permis de retracer le parcours de 70 mineurs victimes de traite. Sans prétendre à l'exhaustivité, cette étude donne un aperçu des profils des mineurs concernés par la traite et des types d'exploitation rencontrés.

Nous avons tout d'abord identifié des mineurs victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle, forcés à se prostituer. Ces victimes sont majoritairement originaires d'Afrique de l'Ouest (du Nigéria en particulier), mais également d'Europe de l'Est (Roumanie principalement) et de France. Nous savons que des garçons peuvent être victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle, mais à l'échelle de notre étude, nous n'avons rencontré que des victimes de sexe féminin. Les personnes dont nous avons retracé le parcours ont toutes plus de quinze ans. Néanmoins, les acteurs de terrain observent un abaissement de l'âge des victimes et une accélération du phénomène. Deux acteurs en région parisienne ont ainsi signalé une centaine de cas de mineurs victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle entre janvier et septembre 2015.

Les autres cas massivement représentés dans notre étude sont des mineurs forcés à commettre des actes de délinquance : vols à l'arrachée, vols aux distributeurs automatiques de billets, cambriolages. Ces mineurs sont majoritairement originaires des pays de l'Est de l'Europ - Roumanie, Bosnie, Croatie notamment. À l'échelle de notre échantillon, les filles victimes de cette forme d'exploitation sont deux fois plus nombreuses que les garçons. Les profils des victimes sont sensiblement les mêmes s'agissant de la mendicité forcée.

L'étude retrace par ailleurs les parcours de victimes de traite à des fins de servitude domestique, contraintes de gérer les tâches ménagères d'une famille, de s'occuper des enfants, de préparer les repas. Les victimes sont parfois très jeunes. Nous avons par exemple relaté le cas d'une enfant âgée de sept ans ! Elles sont majoritairement de sexe féminin et originaire d'Afrique de l'Ouest, du Nigéria et de la Côte d'Ivoire en particulier.

Enfin, nous avons rencontré des cas de mineurs forcés à travailler sans rétribution, par exemple dans un commerce tenu par un membre de la famille. Les victimes sont, cette fois, principalement de sexe masculin et originaires de pays du Maghreb.

De manière générale, l'exploitation peut être le fait de réseaux criminels organisés, mais également d'individus isolés. Comme cela a été dit, il est important d'avoir à l'esprit que la traite peut s'organiser au sein même de la cellule familiale.

Lorsque la victime est mineure, l'infraction de traite est caractérisée même en l'absence de recours par l'exploiteur à des moyens - menaces ou violences - visant à obtenir le consentement de la victime. Toutes les victimes dont nous avons retracé le parcours ont pour point commun d'être sous l'emprise de leur exploiteur. Elles s'inscrivent toutes dans une position de soumission ou de dépendance face à un exploiteur qui se positionne comme dominant. Ces mécanismes d'emprise restent particulièrement méconnus des professionnels au contact des victimes, ce qui nuit au travail d'identification et ne permet pas de proposer des mesures adaptées. En effet, sans un travail pour « déconstruire » l'emprise, la prise en charge est mise en échec et se solde souvent par la fugue des mineurs identifiés.

Mme Eleonore Chiossone, conseillère technique Protection de l'enfance, ECPAT France . - Un effort majeur est à produire s'agissant de l'identification et de la prise en charge des mineurs victimes de traite qui aujourd'hui, se retrouvent souvent seuls, « baladés » d'interlocuteurs en interlocuteurs. Nous insistons sur l'importance que revêt la désignation de tuteurs pour ces victimes, en particulier lorsqu'il s'agit de mineurs étrangers isolés ou lorsque l'environnement familial est lui-même impliqué dans les faits de traite. La désignation d'un tuteur dans ces situations existe déjà en Belgique et aux Pays-Bas. L'idée a par ailleurs été reprise dans différentes directives européennes, dont la directive européenne sur la traite du 5 avril 2011 qui invite les États à prendre les mesures nécessaires pour garantir qu'un tuteur et/ou un représentant soit désigné afin de veiller à l'intérêt supérieur du mineur.

Une victime mineure se trouve souvent dans l'incapacité juridique d'agir. Si on lui refuse une prise en charge, elle devra se présenter à un juge pour contester la décision. Sans représentant toutefois, rien ne lui sera accordé. Par ailleurs, pour ces mineurs sous emprise, il est essentiel de tisser des liens de confiance pour les sortir du système de traite. Le fait d'avoir un accompagnant unique, pérenne et présent sur l'ensemble de la procédure peut réellement faire une différence.

Sur l'échantillon de l'étude, seuls sept mineurs ont pu bénéficier d'un tuteur. Ces mineurs étaient spécifiquement dans des procédures judiciaires, principalement pour des faits de mendicité de délinquance forcée. Seuls six mineurs ont pu bénéficier d'un administrateur ad hoc .

En Belgique, la loi sur la tutelle permet de désigner un tuteur pour les mineurs isolés étrangers dès leur arrivée sur le territoire belge. Le tuteur peut dès lors accompagner le mineur et l'éclairer sur les différents droits auxquels il a accès. Outre l'accompagnement dans les procédures, la loi précise que le tuteur « veille à ce que le mineur bénéficie d'une scolarité, d'un soutien psychologique, de soins médicaux, d'un hébergement adéquat et de l'aide des pouvoirs publics ».

En France, l'Aide sociale à l'enfance (ASE) est généralement la gardienne de l'enfant et, le cas échéant, s'en voit confier la tutelle. À notre sens et de l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), le tuteur ne devrait pas avoir d'intérêt autre que celui de l'enfant. Or le système français soulève des questions sur la capacité d'un enfant à se prévaloir de ses droits s'il rencontre des difficultés avec l'ASE.

Je terminerai en signalant qu' ECPAT France a récemment reçu une subvention de la direction générale de la justice de la Commission européenne, qui soutient, dans différents pays, des systèmes renforçant les capacités des professionnels censés représenter ces mineurs : les avocats, les administrateurs ad hoc et, nous l'espérons, un jour, les tuteurs.

Maître David Desgranges, président du Comité contre l'esclavage moderne (CCEM) . - Le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM) a été créé en 1994 à l'initiative d'un groupe d'avocats et de journalistes bénévoles mené par Dominique Torrès, ayant constaté que rien n'existait en France pour lutter contre le phénomène des « petites bonnes ». À cette époque, en Grande-Bretagne, des exploiteurs s'étaient physiquement « débarrassés » de leurs « petites bonnes », dont les cadavres flottaient sur la Tamise...

Les « petites bonnes » ont été dès l'origine le coeur de cible du comité. Aujourd'hui, après 21 ans d'existence, nous traitons toutes les formes d'exploitation par le travail, qu'il s'agisse du domaine des services, du monde agricole ou encore du bâtiment. Nous traitons également l'exploitation par la mendicité.

Nous prenons en charge environ 150 personnes chaque année et comptons à peu près trente entrants et trente sortants par an. Cette population est composée, en 2015, de 75 % de femmes.

Le CCEM propose aux victimes un accompagnement juridique, social et administratif.

Le service juridique du Comité prend en charge le traitement et le suivi des plaintes, mais également le suivi administratif des procédures liées à l'obtention de titres de séjour. Le CCEM permet aux victimes d'engager tous types d'actions, notamment des actions prud'homales.

Le comité compte également un pôle social proposant un accompagnement dans le domaine de la santé pour l'obtention de l'aide médicale de l'État ou de la couverture maladie universelle, ainsi que des aides médicales d'urgence.

En matière d'hébergement, le CCEM dispose d'un appartement d'urgence fourni par l'association Emmaüs , qui ne compte que sept places. Nous travaillons donc avec les Services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), le Samu social, ainsi que le dispositif Ac.Sé pour proposer des solutions d'hébergement aux personnes que nous accompagnons.

Le CCEM agit par ailleurs dans le domaine de l'insertion professionnelle et de l'autonomisation sociale.

Le Comité mène enfin une activité de plaidoyer et de formation des professionnels. Voilà quelques années, nous assurions des formations dans des écoles nationales de police, qui s'avéraient très importantes pour les professionnels. Aujourd'hui, nous n'avons plus les moyens de les assurer.

Les problématiques que nous rencontrons sur le plan opérationnel ne concernent pas l'arsenal juridique, qui est conforme aux obligations internationales de la France et qu'il ne semble pas opportun de modifier. Elles portent essentiellement sur trois points : l'identification des victimes, la qualification pénale et l'absence d'unité de traitement des victimes sur le territoire national.

S'agissant de l'identification des victimes, j'insiste à mon tour sur l'absolue nécessité de former des donneurs d'alerte. Sur ce sujet, nous avons noué un partenariat avec la région Ile-de-France pour délivrer ce type de formation. Il convient bien évidemment de renforcer les pouvoirs de l'URSSAF et de l'Inspection du travail, mais surtout, de sensibiliser les travailleurs sociaux dans le domaine de la santé et de l'éducation, en première ligne pour identifier les victimes potentielles. Par exemple, lorsqu'un enfant est accompagné à l'école par une personne qui reste systématiquement à l'écart de la structure et des autres parents d'élèves, ceci devrait constituer un signal d'alerte pour le professionnel à la porte de l'école. Les formations destinées aux forces de l'ordre et à la magistrature sont par ailleurs largement insuffisantes.

Faute de guichet unique, personne ne contrôle réellement l'application de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France. Parallèlement, la circulaire de politique pénale en matière de lutte contre la traite des êtres humains du 22 janvier 2015 réserve l'identification des victimes aux seules forces de police et de gendarmerie. La circulaire entretient par ailleurs une confusion entre le trafic de migrants et la traite des êtres humains. Le trafic des êtres humains représente évidemment un terreau extrêmement favorable à la traite, mais ne constitue pas une forme de traite en tant que telle. En outre, cette circulaire entretient une confusion entre traite et prostitution. Si la prostitution est un sujet extrêmement sensible, la première forme de traite à l'échelle mondiale reste l'exploitation par le travail. C'est notamment le cas au Royaume-Uni, d'après les statistiques établies par les organismes chargés de l'identification des victimes, forces de police et de gendarmerie mais également milieu associatif. Il conviendrait d'ailleurs que le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) soit doté de moyens plus importants, pour établir des données statistiques plus fiables sur ce phénomène.

En France, l'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) est le service dédié à la lutte contre l'exploitation par le travail. Néanmoins, il n'intervient qu'en assistance à d'autres services enquêteurs, parfois peu enclins à ouvrir leurs enquêtes à un office central de gendarmerie. Par ailleurs, l'OCLTI a tendance, comme de nombreux professionnels, à concentrer son action sur les réseaux. Or, la traite des êtres humains n'est pas uniquement le fait de réseaux organisés. Le pire dossier que j'ai eu à traiter, un cas d'exploitation à des fins sexuelles avec des actes de torture et de barbarie épouvantables, était le fait d'exploiteurs domestiques.

J'en viens à présent à la problématique de la qualification pénale. En raison d'un manque de formation et d'habitudes professionnelles ancrées, la qualification pénale est généralement centrée sur le travail clandestin (absence d'autorisation de travail, travail sans titre de séjour, travail dissimulé) et non sur le phénomène de traite (conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité humaine, absence ou insuffisance de rémunération). Cela s'explique notamment par l'absence de parquet spécialisé dans ce domaine. Dès lors, le parcours de la victime s'apparente généralement à un « parcours du combattant » extrêmement chaotique. Pour imposer au juge d'étudier les incriminations pénales non retenues par le parquet, nous avons décidé, à mon initiative, de procéder désormais par citation directe. Nous sommes alors face à une véritable résistance des parquetiers, qui peut conduire à des décisions très regrettables pour les victimes sur le plan judiciaire.

En ce qui concerne la mendicité forcée, un phénomène cette fois essentiellement en lien avec les réseaux, se pose la question de la protection des victimes. Récemment, lors d'une visite à Fresnes, nous avons rencontré une très jeune femme qui refusait de porter plainte, ce qui illustre la chape de plomb qui pèse sur les victimes.

De l'identification des victimes découlent des droits spécifiques (allocation des demandeurs d'asile, titres de séjour), dont découlent d'autres droits (aide juridictionnelle, accès à l'indemnisation). Aujourd'hui, nous constatons un renversement de l'objectif du législateur : les droits accordés par la loi deviennent un motif de suspicion à l'égard des victimes pour tous les intervenants professionnels, qu'il s'agisse des enquêteurs, des parquetiers ou des magistrats du siège.

J'aborderai enfin l'absence d'unité de traitement des victimes sur le territoire national, tant sur le plan administratif que sur le plan judiciaire. Cette problématique concerne tout particulièrement la délivrance des titres de séjour. D'après la Cimade , sur les 200 000 titres de séjour accordés en France en 2014, seuls 63 l'ont été sur le fondement de la traite. Sur ce point, des divergences extrêmement importantes existent entre les préfectures. Face à certaines juridictions, nous devons parfois remonter des cas en appel, puis à la Cour de cassation, au Conseil d'État, voire à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Celle-ci a d'ailleurs condamné la France à deux reprises, en 2005 et en 2012.

Aujourd'hui, le CCEM, constitué d'une trentaine d'avocats bénévoles, d'un conseil d'administration bénévole et de seulement cinq salariés, assure une véritable mission de service public, qui s'effectue en lieu et place des pouvoirs publics. Tous les ans depuis 2009 se pose la question de la survie du comité, en raison du manque de financement.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci pour vos interventions. Nous allons maintenant projeter une interview de Michèle Ramis, ambassadrice chargée de la lutte contre le crime organisé. Je propose que nous poursuivions ensuite cette table ronde par un temps d'échanges.

[Il est procédé à la projection de la vidéo de l'interview de Mme Michèle Ramis.]

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je tiens tout d'abord à vous féliciter pour vos actions. Chacune de vos interventions témoigne du rôle essentiel que jouent les associations qui, par leur accessibilité et leur proximité, permettent de libérer la parole des victimes, prérequis indispensable à leur prise en charge.

Alors que nous savons que le viol est utilisé comme arme de guerre, je souhaiterais vous entendre sur la traite des êtres humains comme arme de guerre.

Vous avez évoqué une accélération du phénomène d'exploitation des mineurs. Quelles en sont les raisons ? À quelle évolution de notre société cela répond-il ?

Nous constatons les progrès réalisés par la police, notamment en matière d'accueil des femmes victimes de viols et de violences. Vous avez souligné des besoins de formation, concernant notamment les magistrats. Quelle forme cette formation pourrait-elle prendre ? S'agirait-il par exemple de prévoir des modules spécifiques dans le cursus de droit ?

Enfin, la sensibilisation du grand public sur la traite des êtres humains me semble essentielle. Vous soulignez l'importance d'employer les mots justes et évoquez avec raison les actes extrêmement graves commis dans la sphère domestique, ou encore à travers le travail ou la mendicité forcés. Il est important de dire et de répéter que toute forme d'exploitation est intolérable.

Mme Michelle Meunier . - Merci, Mesdames et Messieurs, pour la qualité de vos interventions. Il est parfois extrêmement difficile d'entendre la réalité.

En réaction à l'intervention de Mme Chiossone, je signale qu'une proposition de loi relative à la protection de l'enfant est actuellement en navette entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Ce texte aborde en partie la question des mineurs isolés étrangers, afin de donner une base légale à la circulaire de la garde des Sceaux du 31 mai 2013 sur les modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers. Il s'agit d'une réponse partielle à la réalité que vous décrivez.

S'agissant des tuteurs, je rappelle le rôle que peuvent jouer les conseils départementaux à travers les administrateurs ad hoc . Ceux-ci peuvent, dès lors, bien sûr, qu'ils ne sont pas salariés du conseil départemental, être les garants de l'intérêt de l'enfant.

Enfin, j'insiste avec vous sur les besoins de formation au repérage et au dépistage. Maître Desgranges a évoqué l'école. Il existe bien d'autres lieux où, s'ils ont été formés et sensibilisés, les professionnels peuvent intervenir.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous avons une question de Maryvonne Blondin, auteure du rapport sur la transposition de la directive de 2011 sur la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains.

Mme Maryvonne Blondin . - Je tiens à vous féliciter pour le travail que vous assurez et pour votre engagement depuis de nombreuses années.

Je suis membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe depuis 2008. Je me suis toujours intéressée aux problématiques de lutte contre la traite des êtres humains. J'ai été rapporteure, comme le rappelait notre présidente, du projet de loi qui transposa, en droit français, la directive européenne de 2011 dont Mme Chiossone parlait tout à l'heure. Comme Maître Desgranges l'a indiqué, l'arsenal juridique français est déjà bien constitué. Encore faut-il le mettre en oeuvre ! À ce titre, vous avez fort justement évoqué la formation des professionnels, qui certes s'est améliorée ces dernières années, mais cet effort doit se poursuivre.

Vous avez également souligné le rôle des donneurs d'alerte. Je me souviens avoir évoqué, devant mes collègues de notre délégation, l'histoire d'un facteur qui, se rendant au domicile d'un individu, s'est trouvé face à une « petite bonne ». Il en a parlé à la boulangère du quartier, qui a donné l'alerte. À travers cet exemple, nous voyons que les personnes de la société civile peuvent agir.

Vous avez par ailleurs soulevé le problème de la qualification pénale, un sujet sur lequel il conviendra d'insister davantage dans nos travaux ultérieurs.

Je souhaitais rappeler qu'à l'échelle européenne, deux mécanismes sont mis en place pour le suivi de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, faite à Varsovie en 2005 :

- le GRETA, constitué de quinze professionnels indépendants, qui engage actuellement son deuxième cycle d'évaluation dans différents pays parmi les 47 états membres du Conseil de l'Europe ;

- le Comité des parties, composé de représentants des états parties à la Convention et de représentants des pays non-membres, qui produit des recommandations auprès des comités des ministres.

Je tiens enfin à souligner, comme Michelle Meunier, le rôle des conseils départementaux, véritablement en pointe en matière d'accueil des mineurs isolés. Je salue le travail qu'ils accomplissent en vue de la protection, de l'accompagnement et du suivi des victimes, s'agissant notamment des droits à la santé, bien sûr en lien avec les associations sur le terrain.

Mme Annick Billon . - Je vous remercie pour vos interventions. Il était important de tenir cette table ronde en cette Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Vous l'avez souligné, les femmes sont les premières victimes de la traite des êtres humains.

Disposez-vous de chiffres plus précis sur la prévalence de la traite en France et sur les différences qui peuvent exister entre les territoires ?

Comment les hébergements d'urgence se répartissent-ils sur le territoire ?

Enfin, quelles sont, selon vous, les raisons de l'abaissement de l'âge des victimes de la traite des êtres humains dont vous faites état ?

Mme Christiane Kammermann . - Je vous remercie à mon tour pour l'ensemble des actions que vous menez.

Les phénomènes que vous décrivez ne sont pas nouveaux en France. Je me souviens d'avoir entendu, dans mon enfance, des histoires de personnels de maison maltraités.

Au cours de nombreux voyages au Moyen-Orient, j'ai pu constater avec effroi, notamment pendant la guerre du Liban, que le personnel de maison n'était pas toujours protégé lors des bombardements...

Mme Laurence Cohen . - Je tiens également à vous adresser mes remerciements pour vos interventions et, au-delà du témoignage que vous nous livrez aujourd'hui, pour toutes les actions que vous portez.

En tant que sénatrices et sénateurs de sensibilités diverses, nous sommes rassemblés ici pour faire progresser la cause des femmes. Nous souhaitons véritablement faire bouger les lignes sur le sujet de la traite des êtres humains qui nous réunit cet après-midi.

Sur le terrain des violences, nous sommes fréquemment alertés dans nos départements par le manque criant d'hébergements d'urgence. Chacun de vous l'a également souligné. Au-delà de ce constat, j'ai connaissance d'un certain nombre d'expériences, notamment en Seine-Saint-Denis, témoignant d'un effort réel pour mettre en place des conventions avec les bailleurs. Comment pourrions-nous travailler avec ceux-ci, voire légiférer, pour rendre systématique la mise à disposition de logements dédiés aux victimes de violences et de la traite ?

Au regard des difficultés dont vous faites état sur le plan judiciaire, quelle est votre position sur la solution qui consisterait à créer des tribunaux dédiés aux problématiques de traite des êtres humains ? Conviendrait-il de prévoir des juges spécialisés dans le domaine de la traite ?

Enfin, les moyens dévolus à la formation, notamment des forces de l'ordre, sont largement insuffisants. Il me semble même que nous observons un recul sur la question. Comment, à notre niveau, pouvons-nous contribuer à avancer sur ce point ?

M. Roland Courteau . - Je partage le constat de Maître Desgranges sur l'insuffisance de la formation de certains magistrats. Je l'ai vérifié dans le cadre du groupe de travail de la délégation sur le bilan des mesures de lutte contre les violences au sein des couples, en ce qui concerne l'application de l'ordonnance de protection. Pourriez-vous néanmoins préciser votre propos sur ce sujet, à travers quelques exemples concrets ?

En ce qui concerne les conventions avec les bailleurs, je rappelle que la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants prévoit déjà de telles conventions pour accorder des logements aux femmes victimes de violences. La question est de savoir pourquoi ces dispositions de la loi de 2010 n'ont pas été appliquées.

Mme Geneviève Colas . - Vous m'avez interrogée plus tôt sur les manières dont vous pourriez soutenir notre action.

Il s'agirait tout d'abord de soutenir la proposition que nous avançons depuis plusieurs années, de faire de la lutte contre la traite une grande cause nationale.

Par ailleurs, nous vous invitons à poser des questions précises au Gouvernement, par exemple sur les tuteurs et administrateurs ad hoc , les victimes mineures dans l'outre-mer, l'hébergement des mineurs, la cybercriminalité (que nous n'avons pas pu évoquer aujourd'hui), ou encore les formations.

M. Patrick Hauvuy . - En ce qui concerne l'abaissement de l'âge des victimes, nous observons ce phénomène depuis plusieurs années, quelles que soient les formes que prend la traite. Il peut s'expliquer par l'accélération du phénomène. Ainsi, lorsque les exploiteurs sont allés au bout de la logique qui consiste à exploiter des adultes vulnérables, ils se tournent vers des mineurs, puis vers des enfants, et ceux-ci sont de plus en plus jeunes.

S'agissant de l'hébergement, nous sommes régulièrement confrontés à des blocages, dans le dispositif Ac.Sé , pour proposer des éloignements géographiques. Je partage la proposition de Laurence Cohen de travailler avec les bailleurs. Néanmoins, les bailleurs sociaux sont très souvent dans des quartiers sensibles. Le fait d'héberger des personnes victimes de la traite, notamment des femmes, dans des quartiers où il existe un problème de respect des femmes soulève des questions et n'apparaît donc pas forcément comme une bonne solution.

La réponse que l'on doit apporter aux victimes de la traite est une prise en charge globale, qui ne se résume pas à proposer un hébergement. Il est important bien sûr de mettre à leur disposition des logements dignes et décents, mais également de leur offrir une formation professionnelle, ou encore d'apporter des solutions à leurs familles restées dans leur pays d'origine.

Mme Eléonore Chiossone . - Dans le cas des Nigérianes victimes d'exploitation sexuelle, nous observons un rajeunissement des proxénètes eux-mêmes, qui se tournent vers des filles plus jeunes.

L'abaissement de l'âge des victimes signalées peut également s'expliquer par l'amélioration de la formation des professionnels et, de ce fait, du processus d'identification des victimes - même si cette formation reste insuffisante.

Enfin, le choix de victimes originaires de l'Europe de l'Est est guidé par l'absence de sanction pénale pour les mineurs de moins de treize ans.

S'agissant de la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers, les entretiens menés dans le cadre de notre étude ont souligné que le processus d'appréciation de la minorité ou de l'isolement de la victime peut être extrêmement long. Dans certains cas, il faut attendre plusieurs mois avant que le statut de mineur isolé ne soit établi et que l'on puisse enfin travailler à l'appréciation du statut de victime de traite.

Concernant les administrateurs ad hoc , je rappelle qu'ils n'ont pas de mission éducative en tant que telle et opèrent sur des missions ponctuelles. Nous soulignons le besoin, pour les mineurs victimes sous emprise, d'établir une relation de confiance dans la durée, d'où l'importance d'un tuteur.

Sur l'hébergement, je rappelle qu'il n'existe pas de solution spécifique pour les mineurs. Un projet pilote est mené en Ile-de-France pour proposer cinq places par an.

Je répondrai enfin sur la question des tribunaux spéciaux, en rappelant qu'il existe des structures, les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), censées prendre en charge les dossiers de traite. Néanmoins, à ce jour, elles n'ont en charge que peu de dossiers sur ce thème. Une montée en puissance des JIRS sur la traite permettrait aux juridictions ordinaires de considérer des dossiers de traite autres que relevant de la criminalité organisée.

Maître David Desgranges . - S'agissant des donneurs d'alerte, j'ai beaucoup apprécié l'exemple que vous avez donné du facteur. L'alerte ne provient pas uniquement des professionnels, mais bien souvent de personnes de la société civile, des voisins par exemple.

Je voudrais relativiser les progrès que vous évoquez en matière de formation des forces de police et de justice. J'ai été témoin d'un échange en Seine-Saint-Denis entre une victime et un policier français qui lui disait « Qu'est-ce que tu fais là ? Tu sais bien comment cela se passe chez nous ! »...

La formation ne vise pas à apprendre aux policiers ou aux magistrats à faire leur travail, mais à amorcer une révolution psychologique. Tant que des magistrats se diront, à propos d'une victime : « Elle est tout de même moins malheureuse ici qu'elle ne l'était dans son pays », nous serons face à des décisions catastrophiques. Ce type de raisonnement délétère peut même aller jusqu'à tolérer l'exploitation, sous prétexte qu'elle revêtirait un caractère culturel. Nous constatons tous dans le métro que des mineurs de moins de seize ans font de la mendicité. Nous savons tous qu'il s'agit de criminalité organisée et que ces enfants ne sont pas scolarisés. Sans nier les difficultés que pose la prise en charge de ces victimes, il faut continuer à chercher des solutions.

S'agissant des magistrats, pour répondre à Hélène Conway Mouret, nous pourrions envisager des formations dans le cadre de leur formation professionnelle continue, ou sous la forme d'un module à l'École Nationale de la Magistrature.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - J'invite à présent Élisabeth Moiron-Braud à conclure cette première séquence.

Mme Elisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) . - Je remercie la délégation aux droits des femmes de m'avoir invitée à m'exprimer à l'occasion de cette Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, auprès des associations qui sont mes interlocuteurs quotidiens.

Je ne reviendrai pas sur les constats, remarquablement posés par les intervenants, mais citerai néanmoins les données que nous devons garder à l'esprit :

- la traite des êtres humains est une infraction extrêmement grave ;

- il s'agit de l'une des activités criminelles les plus développées dans le monde, en Europe et en France ;

- la majorité des victimes de la traite sont des femmes, mais aussi des filles et de très jeunes enfants. Beaucoup d'entre elles sont exploitées à des fins sexuelles ;

- la traite des êtres humains est l'une des atteintes les plus graves aux droits humains, et la troisième source de profit criminel, après le trafic de drogue et le trafic d'armes.

J'ai entendu les attentes des associations.

La première d'entre elles est de rendre visible le phénomène de la traite des êtres humains par des campagnes de sensibilisation, comme le prévoit le Plan d'action national. J'espère que l'augmentation des crédits inscrits sur la ligne de l'action 15 « Prévention et lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains », du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », nous permettra de mener la campagne à laquelle, comme vous, j'aspire. Par ailleurs, j'adhère tout à fait à la proposition de Geneviève Colas, qui peut compter sur notre soutien pour que la lutte contre la traite des êtres humains soit reconnue grande cause nationale, si possible l'année prochaine.

La formation est à mon sens l'un des noyaux durs de la lutte contre la traite des êtres humains, une nécessité absolue, dont l'insuffisance est aujourd'hui à l'origine de la plupart des problèmes que vous avez soulevés. Je pense notamment à l'hébergement et à l'absence de formation des Services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) aux problématiques liées à la traite des êtres humains.

Comme vous l'avez souligné, l'hébergement dédié pose des difficultés. Néanmoins, il est impératif d'y arriver, comme le prévoit expressément le quatrième Plan de prévention des violences faites aux femmes. Des progrès sont réalisés et j'espère que des places dédiées seront plus fréquemment mises à disposition des victimes de traite, notamment de femmes victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle.

Il est essentiel de mieux protéger les victimes mineures, de plus en plus nombreuses. À cet effet, nous travaillons notamment avec l' ECPAT , l'association Hors la rue et le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », sur l'expérimentation, à Paris, d'une protection adaptée aux mineurs. La convention que nous allons signer début 2016, qui rassemble un grand nombre d'acteurs, prévoit des mesures de protection basées sur l'éloignement géographique (aujourd'hui prévu uniquement pour les victimes majeures) et sur la formation des éducateurs qui reçoivent les mineurs dans les centres. Si cette expérimentation fonctionne, le dispositif sera étendu à l'ensemble du territoire.

En termes de budget, il est vrai que les moyens manquent. Le programme 137 est le principal contributeur à la lutte contre la traite. Il a été décidé de doubler le budget de l'action 15 du programme, qui sera porté, dès 2016, à 4,8 millions d'euros.

Je signale par ailleurs qu'en matière de formation, la MIPROF a mis en place trois groupes de travail : sur l'exploitation sexuelle, sur l'exploitation des mineurs et sur l'exploitation par le travail. Nous espérons aboutir à des outils concrets de formation. Comme cela a été souligné, des formations doivent être adressées à l'ensemble des forces de sécurité et des magistrats, au-delà des professionnels spécialisés sur la question.

Concernant les magistrats, la difficulté dépasse à mon sens le domaine « psychologique » et concerne de manière plus générale celui du droit. L'infraction de traite des êtres humains est juridiquement complexe. Dans un contexte de surcharge des tribunaux, il est souvent considéré plus simple de poursuivre sur le fondement du proxénétisme aggravé ou du travail dans des conditions indignes que sur celui de la traite des êtres humains.

Je terminerai en soulignant que c'est en protégeant et en libérant la parole des victimes de la traite que l'on luttera le plus efficacement contre les réseaux. Cela passe nécessairement par un accompagnement global, qui implique un accueil par des personnels formés, des solutions d'hébergement ainsi que des parquets dédiés. À ce sujet, il serait intéressant d'envisager un référent dédié à la traite des êtres humains dans certains parquets.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci à tous pour vos interventions.

Pour nous éclairer sur les enjeux liés à la crise actuelle des migrants, nous accueillons maintenant trois intervenantes : Florence Boreil, qui nous livrera le point de vue du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Coralie Capdeboscq, chef de file du groupe de référents « Traite des êtres humains » à l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA) et Fatiha Mlati, directrice de l'intégration de France Terre d'Asile .

Sans plus attendre, je vous laisse la parole.

Mme Florence Boreil, associée à la protection, Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) . - Merci de votre invitation. Plus de 84 % des migrants qui arrivent en Europe proviennent de dix pays. Au cours de leur parcours migratoire, ces personnes qui fuient les conflits et les persécutions sont susceptibles de tomber dans des situations de traite. Malgré les flux importants que l'on observe vers l'Europe, l'immense majorité des réfugiés sont accueillis dans les pays du sud.

Parmi les personnes sous le mandat du HCR figurent des réfugiés, des demandeurs d'asile, des apatrides et des personnes déplacées. La question de la traite est évidemment prégnante.

Le HCR tient et met à jour régulièrement une cartographie des arrivées de réfugiés. Depuis le 1 er janvier 2015, plus de 863 000 arrivées en Europe ont été recensées, dont 16 % de femmes et 22 % d'enfants. On estime à 3 510 le nombre de personnes disparues ou décédées lors des traversées extrêmement périlleuses en mer.

Les réfugiés rejoignent l'Europe par deux routes principales, l'une par la Grèce, l'autre par l'Italie, et poursuivent leur chemin à travers l'ex-République yougoslave de Macédoine, la Serbie, la Croatie et la Slovénie, pour espérer gagner l'Autriche, l'Allemagne ou les pays du Nord.

La situation parfois chaotique constatée aux frontières de l'Europe et l'absence de lieux d'accueil adaptés, notamment de lieux tenant compte du genre ou de la présence d'enfants, ont pu conduire à des situations d'exploitation des personnes en migration.

La vulnérabilité de ces personnes tient notamment au fait qu'elles souhaitent avant tout se mettre à l'abri et continuer leur chemin le plus rapidement possible, dans la hantise de voir les frontières se fermer. Cette extrême mobilité rend très difficiles la délivrance d'information aux victimes potentielles ainsi que leur identification et leur prise en charge.

Malgré les quelques améliorations apportées au dispositif d'accueil des personnes en migration, en particulier à travers les différents centres de transit jalonnant leur parcours, nous sommes face à un risque aigu de crise humanitaire. Nous constatons des insuffisances s'agissant des lieux d'accueil, de l'information et de la gestion pour stabiliser les personnes. À ces difficultés s'ajoute bien sûr le blocage des frontières dans les Balkans, qui génère des tentatives de traversées encore plus dangereuses, les personnes s'en remettant plus facilement aux passeurs et s'exposant certainement encore davantage au risque d'exploitation.

Sur place, face à une situation qui évolue chaque jour, il est essentiel de mener des actions de sensibilisation et de formation à destination de tous les personnels aux frontières. Il est également impératif de renforcer les lieux d'accueil en prévoyant des espaces séparés pour les femmes et les enfants.

Le HCR a appelé, de manière plus générale, à la mise en place de voies légales d'accès au territoire de l'Union européenne pour les personnes qui fuient des conflits, afin d'éviter ces traversées dangereuses. Aux frontières, nous observons des cas de plus en plus nombreux de séparation des familles, notamment syriennes, ce qui peut placer des femmes en situation de grande vulnérabilité.

Je terminerai en soulignant que les arrivées massives en Europe que l'on constate depuis plusieurs mois, dont découlent l'ensemble des risques que j'ai évoqués, tiennent à l'absence de perspectives de résolution du conflit en Syrie et à la baisse de l'assistance humanitaire sur place.

Mme Coralie Capdeboscq, chef de file du groupe de référents « Traite des êtres humains » de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) . - Le rôle de l'OFPRA comme acteur de protection pour les victimes de traite des êtres humains est de plus en plus connu des interlocuteurs pertinents en la matière, mais gagnerait à l'être davantage. Je vous remercie donc de l'opportunité que vous nous donnez de nous exprimer aujourd'hui.

La crise des migrants renforce le besoin d'une prise en compte spécifique des vulnérabilités des demandeurs d'asile. Nous y avons remédié en mettant en place, dès 2013, dans le cadre d'une réforme interne de l'OFPRA, des référents thématiques dédiés à cinq besoins de protection spécifiques dans le cadre de la traite des êtres humains.

Ce groupe de référents, que je coordonne, s'est saisi de toutes les formes de traite des êtres humains. D'un point de vue opérationnel, il a défini comme priorité la traite à des fins d'exploitation sexuelle, car la majorité des cas pour lesquels l'OFPRA est saisie concerne à ce jour ce problème. Comme cela a été souligné à plusieurs reprises, la demande concerne essentiellement des femmes, nigérianes notamment.

Le groupe de référents met par ailleurs en place des actions spécifiques sur la traite des mineurs.

L'identification des victimes, étape indispensable à leur protection, est extrêmement difficile. En effet, les victimes sont toutes sous emprise : les exploiteurs mettent tout en oeuvre pour les empêcher de verbaliser leur parcours de vie. Leur qualité de victime de traite des êtres humains n'est donc pas évoquée à l'appui de leur demande d'asile. L'identification des victimes passe de ce fait généralement par des signalements, d'où la mise en place par l'OFPRA d'un mécanisme de coopération et de concertation avec les interlocuteurs associatifs et institutionnels pertinents. L'enjeu est bien d'amener les victimes à nous révéler leur véritable parcours, et notamment le fait qu'elles sont mineures (qui ouvre des droits procéduraux et de protection), sachant que les victimes mineures sont souvent déclarées majeures lors de leur demande d'asile, sous l'effet des réseaux qui les exploitent.

Nous mettons en oeuvre plusieurs actions opérationnelles.

L'un des axes majeurs du groupe de référents concerne la formation et la sensibilisation de tous les agents de l'Office et des interprètes susceptibles d'auditionner des victimes potentielles en demande d'asile.

Le groupe de référents propose par ailleurs un appui à l'instruction sur ces cas, qui peut amener à des coopérations avec des interlocuteurs extérieurs et à l'élaboration d'éléments de doctrine ou de techniques particulières pour la conduite des entretiens, extrêmement délicats à conduire...

Enfin, nous avons mis en place un dispositif d'information et d'orientation des personnes que nous rencontrons vers des associations spécialisées en matière de traite. Je rappelle que l'OFPRA agit pour sa part dans un domaine particulier de compétences, celui des risques courus en cas de retour dans le pays d'origine du demandeur d'asile.

Le dispositif mis en place par l'OFPRA vise à répondre à une double exigence : protéger les personnes victimes de la traite, sans se laisser instrumentaliser par les réseaux qui les exploitent. En effet, certains réseaux détournent les procédures d'asile en obligeant leurs victimes à soumettre de faux récits afin qu'elles obtiennent des titres de séjour.

Dans le contexte de la crise des migrants, ce dispositif est tout à fait opérationnel. L'OFPRA est réactif. Nous sommes présents à Calais notamment.

Je terminerai en insistant à mon tour sur l'importance de travailler en concertation avec l'ensemble des partenaires pour renforcer les mécanismes de signalement des situations d'urgence.

Mme Fatiha Mlati, directrice de l'intégration, coordinatrice de la question du genre et du retour volontaire de l'association France Terre d'Asile . - Le « Plan Migrants », en particulier l'engagement de la France d'accueillir 30 000 personnes au cours des deux prochaines années, intervient alors que la réforme de l'asile, extrêmement ambitieuse, n'est pas encore réellement mise en oeuvre. Ce décalage en termes de calendriers rend les choses complexes sur le terrain.

Les problématiques liées aux violences dans le cadre de l'asile sont connues depuis longtemps. Néanmoins, le secteur de l'asile est longtemps resté cloisonné par rapport à l'ensemble du secteur de l'inclusion sociale. L'interministérialité pour appréhender les questions relatives à la traite des êtres humains me semble fondamentale dans ce cadre. La circulaire du 22 juillet 2015, relative à la mise en oeuvre du plan « répondre au défi des migrations : respecter les droits -  faire respecter le droit », signée à la fois par le ministre de l'Intérieur et par la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, constitue une avancée notable à ce titre. Néanmoins, elle n'inclut pas le secrétariat d'État aux droits des femmes.

France Terre d'Asile gère à Paris la plus grande plateforme d'accueil de demandeurs d'asile dont la file active compte environ 10 000 personnes. Les femmes victimes de la traite des êtres humains, notamment nigérianes, sont très représentées. Je confirme que les victimes sont des personnes de plus en plus jeunes, souvent mineures. Les passeurs leur demandent généralement de ne pas révéler le fait qu'elles soient mineures pour échapper au dispositif de l'aide sociale à l'enfance.

La question de la traite des êtres humains interroge la capacité des acteurs à identifier, à protéger et à accompagner les personnes vulnérables. La loi ne définit pas cette notion de vulnérabilité, mais identifie des catégories de personnes vulnérables, par exemple les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs et les victimes de la traite des êtres humains.

Dans le cadre du guichet unique, la détection des vulnérabilités, dont découlent les solutions spécifiques de prise en charge, est fondée sur un questionnaire annexé à l'arrêté du 23 octobre 2015 relatif au questionnaire de détection des vulnérabilités des demandeurs d'asile prévu à l'article L. 744-6 du CESEDA (code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile). Ce questionnaire est directif, il consiste en questions fermées (on ne peut répondre que par oui ou non) et semble trop général pour permettre de comprendre le parcours des personnes et repérer les victimes de traite. Pour améliorer le travail d'identification, il conviendrait de compléter cet outil par des éléments d'information plus spécifiques, notamment sur les traitements dégradants subis par la personne ou encore leurs conditions psychologiques, sans omettre le stress dont elles peuvent souffrir.

Dans notre plateforme parisienne, certains indices nous permettent de repérer des victimes potentielles. Par exemple, il s'agira d'une personne qui, pendant l'entretien, est harcelée au téléphone par son exploiteur qui craint qu'elle ne révèle des informations.

J'aborderai à présent la situation à Calais. France Terre d'Asile y est présente depuis 2009, par l'intermédiaire notamment de son bureau d'information juridique, qui réalise des maraudes et oriente les personnes vers la demande d'asile.

Face à la hausse du nombre de migrants séjournant dans le Calaisis et exposés au risque de traite, un projet spécifique d'aide aux victimes de la traite des êtres humains dans l'ensemble de la région Nord-Pas-de-Calais a été lancé le 1 er novembre 2015 (c'est donc tout récent). Ce projet, initié par le ministère de l'Intérieur dans le cadre du Plan d'action national contre la traite des êtres humains, est mené en relation avec les autorités britanniques. Les attendus du projet, qui se déroule sur dix-huit mois, sont les suivants :

- développer une méthode d'identification des victimes, adaptée au contexte de la migration et au contexte calaisien ;

- mettre en place, pour la première fois, des maraudes spécifiques d'identification et d'information des victimes ;

- développer un schéma d'orientation pour ces victimes, en lien avec les dispositifs existants à l'échelle nationale ;

- proposer aux victimes des réponses d'urgence, à travers un dispositif de mise à l'abri immédiat, dans l'attente de solutions pérennes ;

- développer des supports d'information adaptés aux publics vulnérables, ainsi qu'un module de formation des professionnels.

D'après les données disponibles, 6 242 migrants étaient présents à Calais le 7 novembre 2015. Aujourd'hui, le nombre de migrants à Calais est plutôt compris entre 4 000 et 5 000 personnes. Cette diminution s'explique par la baisse des arrivées en lien avec la période hivernale, mais également par l'impact du « Plan Migrants » dont découlent des solutions d'hébergement pour les réfugiés ainsi qu'un dispositif d'orientation des migrants du Calaisis, suivi à ce jour par près de 1 200 personnes. Par ailleurs, près de 1 000 personnes ont été placées en centre de rétention lors des quinze derniers jours. Face à la situation qui n'a cessé de s'aggraver à Calais depuis le début de l'automne, les pouvoirs publics ont ainsi agi de manière très forte pour réduire la pression sur le territoire.

On estime à près de 12 % la proportion de femmes dans les différents camps du Calaisis. Sept camps sont identifiés : quatre le long de l'autoroute menant à Calais et trois le long de l'autoroute menant à Dunkerque. Le camp le plus important, celui de Calais, que les migrants appellent la new jungle , les pouvoirs publics la « lande » et les associations locales le « bidonville », compte 55 % de femmes. Il s'agit essentiellement de Soudanaises, d'Éthiopiennes et d'Érythréennes. Nombre d'entre elles sont mineures. Le camp compte également de nombreux garçons mineurs, victimes de la traite, essentiellement de nationalité afghane ou égyptienne.

Les premières maraudes d'information menées dans le cadre du projet ont permis de repérer trois circuits d'exploitation. Ainsi, sont identifiées :

- des personnes victimes de la traite ayant lieu sur les camps ;

- des personnes ayant été victimes de la traite dans leur pays d'origine ou dans d'autres pays traversés pendant leur migration ;

- des personnes victimes de la traite à leur arrivée au Royaume-Uni, notamment des Vietnamiennes exploitées dans des salons de massage ou de manucure.

Voilà donc ce que je souhaitais partager parmi les premières observations dont nous disposons. Pour prendre la mesure de la situation, je vous invite à organiser une visite de terrain dans les camps du Calaisis.

Je terminerai mon propos en évoquant le projet de loi relatif au droit des étrangers, récemment débattu au Sénat en première lecture, qui prévoit un titre de séjour pluriannuel en lieu et place des multiples titres de séjour précaires. Nous avons été étonnés de constater que parmi les catégories de population exclues de ce dispositif figurent les personnes victimes de la traite des êtres humains. Nous ne parvenons pas à nous expliquer cette exclusion.

Enfin, je soulignerai que, pour assurer la protection des femmes victimes de la traite des êtres humains, il est essentiel de créer les conditions qui permettront de libérer leur parole et de faire en sorte que les victimes acceptent de rompre avec les réseaux de traite. Pour cela, il convient de mener des actions d'information, au plus près du terrain.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci pour vos interventions.

Mme Élisabeth Moiron-Braud . - Permettez-moi d'ajouter un mot sur le titre de séjour pluriannuel. Si je partage votre étonnement, je rappelle que les personnes victimes de la traite des êtres humains bénéficient de droits élargis en matière de séjour, ce qui peut expliquer qu'elles ne figurent pas parmi les personnes ayant vocation à recevoir ce titre de séjour pluriannuel.

Il est clair que la protection des victimes de la traite des êtres humains repose nécessairement sur des droits renforcés, dont le droit au séjour fait partie. À cet égard, la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel prévoit, dans des articles qui n'ont pas été contestés par le Sénat, d'accorder aux victimes témoignant ou déposant plainte un titre de séjour non soumis au pouvoir discrétionnaire du préfet.

Je retiens de vos interventions l'importance du travail en partenariat. Au-delà de l'identification des victimes, il convient de savoir les orienter. La formation tient un rôle essentiel dans l'ensemble du processus. L'objectif est de se doter d'un socle commun de connaissances, intégrant notamment le phénomène de l'emprise, et de s'assurer que chaque acteur connaisse précisément les autres acteurs et services que les victimes peuvent rencontrer au long de leur parcours.

Mme Fatiha Mlati . - Il existe effectivement des dispositifs permettant aux victimes de la traite des êtres humains qui portent plainte de bénéficier de titres de séjour. La circulaire du 19 mai 2015 relative aux conditions d'admission au séjour des ressortissants étrangers victimes de la traite des êtres humains ou de proxénétisme, invite par ailleurs les préfets à prêter une attention particulière aux situations de détresse des victimes de traite qui ne coopèrent pas avec les autorités, et leur rappelle qu'ils peuvent leur accorder un titre de séjour de manière discrétionnaire, pour raison humanitaire.

Je ferai état d'un autre phénomène. Dans toutes les structures d'hébergement, nous constatons depuis un an et demi une multiplication de cas de fraude à la paternité. Ainsi, des hommes de nationalité française monnayent de fausses reconnaissances de paternité auprès de mères - généralement en situation de monoparentalité - qui n'ont pas obtenu de protection juridique par le biais d'une procédure d'asile et souhaitent obtenir un titre de séjour. La réforme de la loi sur l'immigration aurait pu traiter cette problématique en permettant aux femmes victimes de la traite des êtres humains d'obtenir un titre de séjour pluriannuel.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous en prenons note. Avez-vous des questions ?

Mme Michelle Meunier . - Quelles propositions feriez-vous pour rendre le questionnaire que vous évoquiez plus efficace dans l'identification des victimes ?

Mme Fatiha Mlati . - Nous avons travaillé, dans notre plateforme parisienne, avec des collègues européens pour mettre en place un outil d'identification plus adapté. Il est dommage que ces recherches ne soient pas prises en compte. Par ailleurs, il est essentiel de renforcer les partenariats. Notre plateforme a par exemple noué un partenariat avec l'association Foyer Jorbalan (AFJ). Nous y orientons les victimes potentielles que nous repérons à partir de différents indices - les appels incessants reçus pendant les entretiens, ou encore les difficultés à se rendre aux rendez-vous - pour mener des entretiens plus approfondis.

De manière générale, il est essentiel de mettre l'accent sur le maillage. Il s'agit d'avoir, sur chaque territoire et autour du guichet unique, des acteurs spécialisés vers lesquels orienter les personnes pour lesquelles il existe une présomption de traite.

Il faudra à terme que ce questionnaire soit amélioré pour que l'outil d'identification des personnes soit plus adapté à leur situation.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Vous avez noté que de nombreux réfugiés ne sont pas victimes de la traite des êtres humains lorsqu'ils arrivent en Europe, mais le deviennent sur notre territoire par le fait de réseaux qui profitent de leur situation de vulnérabilité, en lien par exemple avec l'absence de documents d'identité. Quels sont les dispositifs mis en place pour protéger ces personnes aujourd'hui ?

Mme Florence Boreil . - Les personnes qui arrivent sur le territoire ont la possibilité de déposer une demande de protection et de se rapprocher de l'OFPRA pour exposer les raisons qui les ont conduites à fuir des persécutions, indépendamment de la situation de traite qu'elles ont pu connaître.

Je rappelle qu'en droit des réfugiés, une personne n'est pas tenue de détenir de documents d'identité pour obtenir une protection internationale.

Mme Coralie Capdeboscq . - Effectivement, aucun élément de preuve matérielle n'est exigé. Le coeur de l'examen de la demande de protection est l'entretien personnel, au cours duquel le demandeur est amené à nous expliquer les éléments qui permettent de comprendre ses craintes en cas de retour.

Il est alors possible d'activer les instruments juridiques de protection que sont le statut de réfugié, la protection subsidiaire, ou encore la disposition prévue par l'article L. 316 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), qui permet à une personne s'engageant dans une démarche de dénonciation d'un réseau auprès de la police française de bénéficier d'un titre de séjour.

L'OFPRA a pour mission de dispenser une information sur ces droits et dispositifs de protection, souvent méconnus de leurs potentiels bénéficiaires.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Toutes les personnes rassemblées à Calais sont-elles identifiées ? Si ce n'est pas le cas, n'existe-t-il pas un risque que des personnes tombent entre les mains de réseaux sans qu'il soit possible de les suivre ?

Mme Coralie Capdeboscq . - Les personnes sont identifiées par l'OFPRA dans la mesure du possible. Néanmoins, elles peuvent être sous l'emprise de passeurs qui mettent tout en oeuvre pour qu'elles ne parlent pas ; c'est pourquoi il est essentiel que des associations les accompagnent le plus en amont possible.

Par ailleurs, la verbalisation de la traite est difficile et peut prendre du temps. Lorsqu'il existe une présomption de traite non verbalisée, l'OFPRA peut rencontrer à nouveau la victime potentielle à des stades ultérieurs de l'examen de la demande d'asile.

Mme Geneviève Colas . - En lien avec le sujet de cette deuxième session, je tiens à souligner que la question de la traite des êtres humains doit bien sûr être abordée à l'échelle internationale, dans le cadre de coopérations multilatérales.

Par ailleurs, au-delà des acteurs institutionnels, il serait intéressant, pour aller plus loin dans le débat, d'organiser un échange avec les associations et les ONG qui interviennent au quotidien auprès des migrants.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous le notons. Avez-vous des éléments à ajouter ?

Mme Coralie Capdeboscq . - L'OFPRA est compétent en matière d'identification des vulnérabilités. Toujours dans le respect de la confidentialité de la demande, un dispositif se met en place pour signaler, à la suite des entretiens, les adaptations nécessaires en termes d'hébergement, s'agissant par exemple des victimes de traite ayant besoin d'être éloignées du lieu de leur exploitation.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Il me reste à vous remercier très chaleureusement de votre présence et de vos interventions. Nous avons dépassé d'une heure le temps que nous avions initialement prévu de passer ensemble, ce qui témoigne de l'intérêt que notre délégation porte au sujet de la traite des êtres humains et à vos témoignages à tous. Encore merci pour votre disponibilité.

Message de Mme Myria Vassiliadou,
coordinatrice de l'Union européenne
pour la lutte contre la traite des êtres humains

Mesdames, Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs,

C'est pour moi un grand honneur de prendre la parole aujourd'hui devant vous. J'étais récemment en visite officielle à Paris et je tiens à saluer et remercier les autorités françaises et le Sénat pour leur formidable engagement dans la lutte contre la traite des êtres humains.

Une chose est certaine : derrière la question de la traite des êtres humains se cache une réalité atroce, à savoir la vente et l'achat de personnes et l'exploitation de leur travail, de leurs services.

La traite des êtres humains constitue une violation flagrante des droits fondamentaux. Il s'agit d'une forme grave de crime organisé, expressément interdite par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Combattre la traite des êtres humains, c'est défendre les droits fondamentaux.

Dans le contexte de crise auquel l'Union européenne est actuellement confrontée, nous devons nous attendre à voir les plus démunis, notamment les enfants, exposés aux réseaux de trafiquants sans scrupule.

Mesdames, Messieurs les Sénateurs, si la traite des êtres humains perdure, c'est parce que les enjeux financiers sont astronomiques et parce que la demande de services fournis par les victimes ne faiblit pas.

Si nous voulons vraiment lutter contre la traite des êtres humains et prévenir ce phénomène, nous devons endiguer la demande, qui alimente toutes les formes d'exploitation. Nous devons remonter la piste financière et traquer les coupables présumés. Et nous devons combattre sur ces deux fronts avec la même rigueur si nous voulons réellement juguler ce phénomène. Nous serons amenés à poser des questions sensibles. Qui a recours aux services des victimes ? Qui achète les services des victimes ? À qui profite ce trafic déplorable ? Que faisons-nous pour cibler efficacement les malfaiteurs, les utilisateurs et les bénéficiaires de cette traite ?

L'Union européenne a déployé dans ce cadre une politique ambitieuse et tout un arsenal juridique.

La directive de l'Union européenne concernant la prévention de la traite des êtres humains et la stratégie adoptée par l'UE pour éradiquer ce fléau sont axées sur les droits de l'homme et les victimes. Elles tiennent également compte de la problématique des enfants et de la dimension liée au sexe.

Le délai de transposition de la directive européenne a expiré le 6 avril 2013.

La Commission veille proactivement à la transposition et à la mise en oeuvre de cette directive par les États membres, et n'hésite pas à prendre des mesures.

Deux années se sont maintenant écoulées et il est grand temps de garantir la pleine mise en oeuvre de la directive.

Chaque État membre est tenu d'honorer pleinement ses obligations légales. La législation européenne est claire, ne l'oublions pas : les États membres doivent prévenir la traite et endiguer la demande.

En 2016, nous présenterons le premier rapport de l'UE sur les progrès accomplis dans la lutte contre la traite des êtres humains. Nous remettrons également un rapport évaluant les mesures prises par les États membres pour se conformer à la directive.

Un troisième rapport traitera spécifiquement de l'impact des lois nationales qui criminalisent le recours aux services fournis par les victimes.

Mesdames, Messieurs, il est aujourd'hui possible d'acheter ou de recourir aux services des victimes en toute légalité dans la plupart des États membres. Selon vous, existe-t-il d'autres délits non criminalisés qui peuvent être commis impunément par leurs auteurs ? L'impunité est-elle une alternative ?

C'est à ce type de questions que nous devons réfléchir.

Nous allons, pour notre part, continuer d'évaluer l'efficacité de la stratégie actuelle de l'UE axée sur l'éradication de la traite des êtres humains, et présenter une stratégie européenne pour l'après 2016.

Mesdames, Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs, la traite des êtres humains constitue une violation des droits de l'homme que nous ne saurions tolérer.

Nous allons enquêter sur les profits générés par ce commerce abject et sur la demande qui fait le lit de ce crime odieux, nous donner les moyens de démanteler les réseaux criminels et déférer les coupables devant la justice. Nous veillerons également à ce que les victimes puissent faire valoir leurs droits.

Lorsque je parle de victimes, je parle de toutes les victimes, quelle que soit la forme d'exploitation à laquelle elles sont soumises. Il n'existe pas de hiérarchie entre les victimes et les formes d'exploitation. L'heure n'est pas à des débats idéologiques qui n'ont plus raison d'être, mais à la responsabilité et à l'obligation de rendre des comptes.

Je suis convaincue que nous sommes tous du côté des victimes, quelles que soient les formes d'exploitation. Les victimes ont des droits et demandent, en tant que telles, à être protégées.

Nous avons travaillé dur pour assurer la reconnaissance des droits des victimes. Nous devons, à tout le moins, leur accorder ces droits, assurer leur protection et leur fournir une assistance.

Forts d'un cadre juridique et politique ambitieux et de la volonté de travailler ensemble, nous disposons de tous les outils nécessaires pour prévenir l'exploitation et combattre fermement ce crime odieux. Nous ne pouvons pas nous dérober sous de faux prétextes.

Lorsque des vies humaines sont en jeu, il n'y a pas de temps à perdre.

Le temps de l'action est venu. Et nous avons encore beaucoup à faire. Mais c'est ensemble que nous devons oeuvrer à l'éradication de la traite des êtres humains. Nous satisfaire d'ambitions plus modestes serait un affront pour l'humanité et la société dans laquelle nous voulons vivre.

Il me tarde de connaître les résultats des débats se déroulant en France, au Sénat et je tiens à vous remercier une fois encore de m'avoir invitée à y participer.

Audition de M. Nicolas Le Coz, président du GRETA

(9 décembre 2015)

Mmes Maryvonne Blondin, Hélène Conway-Mouret et Joëlle Garriaud-Maylam ont accueilli le Président du Groupe d'experts du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) : il s'agit de l'organe conventionnel ayant pour mandat de surveiller le respect de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains, ouverte à la signature à Varsovie le 16 mai 2005 et ratifiée par la France en 2008.

I. Missions et fonctionnement du GRETA

Le GRETA est un groupe multidisciplinaire de quinze experts. Ces derniers sont indépendants et impartiaux et élus par le Comité des Parties pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois. Cet organe a pour mission de veiller à la bonne application de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains par les 44 États qui ont, à ce jour, ratifié la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains.

Cet organe vérifie donc la mise en oeuvre d'une série d'obligations qui visent à :

- la prévention de la traite ;

- l'identification, l'assistance, la protection et l'indemnisation des victimes ;

- la répression des trafiquants ;

- la coordination des actions nationales ;

- la coopération internationale, entraide judiciaire comprise.

Les États parties à la Convention font l'objet d'un suivi régulier de la part du GRETA qui publie un rapport sur chacun d'eux à intervalle de quatre ans. Il s'agit de l'unique mécanisme de surveillance en matière de traite des êtres humains dans l'ordre juridique international.

Les rapports du GRETA font ainsi autorité. Il ne fait pas de doute qu'ils seront utilisés par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) lorsqu'elle sera saisie de cas de violations de l'article 4 de la Convention européenne des droits de l'Homme. En effet, depuis l'arrêt Rantsev c. Chypre et la Russie de 2010, la Cour a jugé que l'article 4 qui interdit l'esclavage, les pratiques analogues à l'esclavage et le travail forcé, interdisait aussi la traite des êtres humains et faisait entrer dans le chef des États des obligations positives, notamment celles de mettre en place un cadre complet de mesures. Elle s'est d'ailleurs référée à la Convention anti-traite dans son arrêt. Les rapports « pays par pays » du GRETA permettront donc à la juridiction européenne de vérifier l'existence de ce cadre. La Convention a déjà été ratifiée par un État non membre du Conseil de l'Europe, le Belarus, et certains États comme la Tunisie et le Maroc sont en train de créer ou de modifier leur législation nationale en s'inspirant des standards de la Convention anti-traite du Conseil de l'Europe. Une délégation du GRETA se rendra en France en 2016 dans le cadre de la deuxième évaluation du respect par la France des obligations découlant de la Convention anti-traite : un rapport sera adopté par le GRETA, après discussion en collège, et devrait être publié vers le mois d'avril 2017.

II. Recommandations du Président du GRETA

Le Président du GRETA a, dans un premier temps, attiré l'attention des sénatrices sur la difficulté de l'identification des victimes de la traite. Il a ainsi mis l'accent sur la nécessité de la mise en oeuvre de textes ou de consignes officiels qui déterminent les critères d'identification des victimes et les établissent de manière formelle. Selon lui, cette identification n'est pas efficace dans tous les États.

M. Le Coz a souligné que la mise en oeuvre de mesures juridiques permettant d'assurer une assistance et une protection des victimes n'est pas toujours effective, spécialement lorsqu'il s'agit de femmes en situation irrégulière. Il a rappelé à cet égard que la Convention impose aux États la mise en oeuvre pour les victimes d'un délai d'au moins 30 jours de « rétablissement et de réflexion : si en France ce délai a été fixé à 30 jours par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), M. Le Coz a souligné que dans d'autres pays ce délai pouvait être bien supérieur, allant jusqu'à six mois pour la Norvège. Il a précisé que ce délai était si court qu'il conduisait parfois les associations à entamer une procédure de demande d'asile pour permettre à la victime d'être certaine de ne pas être requise de quitter le territoire à l'issue des 30 jours.

Les conditions d'hébergement des victimes comme de rapatriement de ces dernières posent également des difficultés : le président a rappelé l'obligation faite aux États parties à la Convention du Conseil de l'Europe de rapatrier les victimes sous réserve de s'assurer qu'une fois revenue dans leur pays d'origine, elles ne retombent pas dans les mains des trafiquants, tout en déplorant le manque de conformité de certains États à cette obligation. Il a rappelé que les CHRS (Centres d'hébergement et de réinsertion sociale) en France n'étaient pas les structures les plus adaptées à l'accueil des victimes de la traite, considérant qu'il s'agit là de personnes victimes d'une forme de criminalité particulière, nécessitant une prise en charge adaptée.

Le Président a suggéré, conformément au premier rapport du GRETA sur la France du 28 janvier 2013, une modification du code de procédure pénale (CPP) pour que les mesures de protection des victimes contre les intimidations et les représailles soient effectivement disponibles : en effet, il a rappelé que le CCP ne prévoit pas de possibilité pour ces dernières de bénéficier d'un programme de protection (seuls les délinquants et criminels repentis bénéficient, en France, de mesures effectives en matière de protection). Or, il est selon lui nécessaire qu'un système équivalent puisse être mis en place pour les victimes (changement d'identité etc.) afin que ces dernières acceptent de témoigner sans craindre des représailles.

Le président a également constaté un problème relatif à la détermination de l'âge des mineurs. Il est, selon lui, essentiel de mettre en place des critères pour fixer l'âge de l'enfant qui ne peuvent être limités à des examens radiographiques, sachant que leur efficacité est contestée. Le président rappelle que la Convention anti-traite prévoit une « présomption de minorité » lorsqu'il existe des raisons de croire que la victime de traite est un enfant et qu'il doit lui être accordé des mesures de protection spécifiques dans l'attente que son âge soit vérifié. Maryvonne Blondin, a remarqué que cela pouvait poser problème, dans la mesure où les enfants victimes de la traite ont bien souvent été menacés ou incités à mentir sur leur âge.

Le président a relevé un problème de mise en oeuvre de l'abus de vulnérabilité dans certains droits nationaux. Cet abus est défini, à ses yeux, de façon trop restrictive, en France comme dans d'autres États quand il est restreint à l'âge, le handicap, l'état de grossesse ou la maladie.

Il a relevé que, dans sa définition de la vulnérabilité, la France ne prend pas en compte les parcours des victimes (familiaux, sentimentaux etc.). Il a notamment évoqué l'exemple des lover boys qui, conformément à ce qui a été constaté en Belgique ou aux Pays-Bas, profitent de la détresse psychologique de certaines jeunes filles pour les contraindre à se prostituer. M. Le Coz a donc proposé d'élargir cette définition française de la vulnérabilité, qui exclut, selon lui, certaines victimes de la traite.

Il a également relevé une confusion susceptible d'exister en France entre rapporteur national et coordinateur national de la lutte contre la traite des êtres humains. Il a rappelé qu'un rapporteur national, au sens de l'article 29§4 de la Convention du Conseil de l'Europe devait être indépendant d'un gouvernement pour être en mesure de critiquer les mesures prises par ce dernier, alors qu'un coordinateur national appartenait à l'administration des États et avait pour rôle de coordonner l'action anti-traite au niveau national. Il a, en outre, souligné que les mécanismes de coordination étaient parfaitement effectifs dans certains États, à l'instar de l'Albanie, de la Belgique, ou encore de la Bulgarie.

Il a enfin rappelé que la quasi-totalité des États évalués par le GRETA bénéficiaient de structures de coordination de la lutte contre la traite des êtres humains qui étaient entièrement dédiées à cette thématique et qui n'embrassaient pas d'autres thématiques comme, par exemple, la violence faite aux femmes. Selon lui, il s'agit de deux sujets bien distincts qui mériteraient chacun une structure propre, ne serait-ce que parce que les auteurs des infractions ne sont pas les mêmes.

III. Questions des sénatrices au Président du GRETA

Comment faire face à la multiplication des risques liés à la crise des réfugiés, dans le mesure où nombre de ces réfugiés sont victimes de la traite au sein même du continent européen ?

Nicolas Le Coz : les États ont des obligations anti-traite à respecter en toutes circonstances puisqu'elles découlent des obligations relatives à la protection des droits de l'Homme : ils leur revient donc de mettre en place les mesures d'identification. Lorsque les personnes stationnent dans les États européens dans le cadre de cette « crise des réfugiés », ces derniers doivent prendre les mesures nécessaires pour éviter qu'ils ne puissent être approchés par les trafiquants et faire l'objet des formes graves d'exploitation. La situation des mineurs non accompagnés est à ce titre une source d'inquiétudes.

Que peut-on faire pour lutter contre la cybercriminalité relative à la traite ?

Nicolas Le Coz : plusieurs États européens ont pris en compte la cybercriminalité. Un cycle d'évaluation des États membres de l'UE est en cours au sein du Conseil à Bruxelles et un rapport sur la France a été publié en novembre 2015 124 ( * ) . Sa lecture permet de constater que ce pays a adopté des règles et des institutions efficaces pour lutter contre les infractions commises par le biais du web . Le web est parfois utilisé pour recruter les victimes (les lover boys ). La Convention ne parle pas de la cybercriminalité, mais elle stipule que les États ont des obligations de mettre en place des enquêtes efficaces, ce qui nécessite, comme en a décidé le GRETA, de pouvoir recourir aux techniques spéciales d'enquêtes. Les mesures permettant de constater les infractions sur le web que l'on appelle les « Cyberpatrouilles » font assurément partie de ces techniques.

Qu'en est-il des financements et des ressources ?

Nicolas Le Coz : le GRETA est la première institution à avoir tiré la sonnette d'alarme sur la saisie et la confiscation des avoirs criminels. L'article 23§3 de la Convention anti-traite faisant l'obligation aux États de procéder à ces confiscations, il était naturel que le GRETA vérifie l'application de cet article et s'assure qu'en amont de l'enquête, les saisies ont été opérées par les services d'enquêtes. En effet, sans saisie préalable par l'État, les confiscations prononcées par les tribunaux n'auront aucun effet car les trafiquants auront organisé leur insolvabilité. La Convention prévoit que l'indemnisation doit être opérée par le trafiquant lorsque cela est possible ou par l'État, d'où l'importance de la saisie.

Au sein de l'Union européenne, lorsqu'un État est requis par un autre de procéder à une confiscation des avoirs dans le cadre d'une demande d'entraide judiciaire et lorsque la somme de la saisie est supérieure à 10 000 euros, l'État qui opère la confiscation bénéficiera de la moitié du montant. Ce système a pour avantage que l'État requis sera plus prompt à répondre à la demande d'entraide aux fins de confiscation.

Il est d'une nécessité absolue qu'un maximum d'États ratifient le protocole de l'Organisation internationale du travail de 2014 sur le travail forcé qui modifie la Convention de 1930 relative au travail forcé : il faut que l'indemnisation se fasse indifféremment du statut de la victime (en situation régulière ou non) au moment de l'infraction.

IV. Informations complémentaires

Le président a mis l'accent sur le fait que le GRETA participe activement à la coopération internationale en matière de traite. Cette collaboration s'appuie principalement sur la coopération aux travaux des autres Organisations (ONUDC, OSCE, Union européenne et ses agences que sont Europol, Eurojust, Frontex ou l'Agence des droits fondamentaux) et sur la prise en compte de ces travaux comme source d'informations pour l'élaboration de ses rapports.

Il s'oppose à la traditionnelle dichotomie qui voudrait que l'exploitation sexuelle serait liée aux femmes et le travail forcé lié aux hommes. Selon lui, les frontières sont bien plus floues et cette vision ne traduit pas la réalité. Les femmes et les jeunes filles sont également contraintes au travail forcé et à certaines formes de travail forcé que sont l'exploitation de la mendicité ou l'exploitation d'activités criminelles.

Concernant la notion d'esclavage moderne utilisée notamment par les britanniques pour qualifier la traite, le président estime qu'elle est une formule très parlante mais qu'elle ne doit pas faire oublier que l'esclavage est une infraction définie en droit international et européen et qu'elle représente la forme ultime de l'asservissement de la personne.

Enfin, il a souligné qu'en France, la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains n'avait pas encore été suffisamment prise en compte et citée dans les travaux parlementaires sur la question. Il a ainsi rappelé que la Convention constitue l'ensemble de normes juridiques contraignantes le plus élevé dans l'ordre juridique international et européen en matière de lutte contre la traite des êtres humains faisant qu'elle est devenue la référence en la matière et ce, d'autant qu'elle est interprétée par le GRETA. Par ailleurs, il a rappelé qu'elle avait très fortement poussé l'Union européenne à mettre à jour sa législation et, ainsi, inspiré la directive 2011/36/UE de même que les textes de l'OSCE ou la stratégie élaborée par la Ligue des États arabes. Il a donc réitéré ses remerciements à la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes pour cette audition et l'a invitée à suivre étroitement les futurs travaux du GRETA dont le rapport sur la France qui sera élaboré cette année et publié vers le mois d'avril 2017.

Table ronde sur les aspects juridiques
de la traite des êtres humains

(14 janvier 2016)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous recevons Mme Véronique Degermann, procureur adjoint en charge de la division antiterroriste et de lutte contre la criminalité organisée au parquet de Paris, Mme Bénédicte Lavaud-Legendre, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), M. Hervé Henrion Stoffel, conseiller juridique à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et Mme Cécile Riou-Batista, coordinatrice sur la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains et conseillère pour les questions d'éthique, de société et d'éducation aux droits de l'homme à la CNCDH.

Je précise à votre attention que le travail que notre délégation prépare depuis le mois de septembre sur les femmes victimes de la traite des êtres humains sera présenté par six rapporteures, une par groupe. Cette diversité montre l'intérêt de notre délégation pour ce sujet déterminant en matière de violences faites aux femmes, par-delà nos appartenances politiques.

Cette audition est la dernière que nous consacrons au thème des femmes victimes de la traite des êtres humains. Elle portera sur ses aspects juridiques, qui nous concernent au premier chef.

Mme Degermann, je vous donne sans plus tarder la parole.

Mme Véronique Degermann, procureur adjoint au parquet de Paris en charge de la division antiterroriste et de lutte contre la criminalité organisée . - Mes propos reflèteront mon expérience à Paris. J'appartiens à la section de lutte contre la criminalité organisée qui suit les faits d'exploitation sexuelle et d'exploitation des mineurs. L'exploitation domestique relève d'une autre section ; je ne crois pas qu'elle ait actuellement de dossier en cours sous la qualification de traite.

Il a fallu une dizaine d'années pour que l'incrimination de traite des êtres humains entre dans la culture judiciaire et que les magistrats se l'approprient. L'infraction de proxénétisme leur était plus familière, et les clichés attachés à la « traite des blanches » faisaient qu'on rechignait à parler de traite en l'absence de violence ou de déplacements transfrontaliers.

Je milite depuis longtemps pour que les magistrats du parquet recourent à cette qualification de traite, et des circulaires, des protocoles de travail avec les associations en ont martelé l'intérêt. Depuis quelques années, elle est systématiquement visée au niveau de la Juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) de Paris, où 45 affaires sont en cours d'instruction ou en attente de jugement en matière d'exploitation sexuelle. Nous avons rappelé l'intérêt qu'il y avait à viser cette incrimination en plus de celle de proxénétisme, car elle couvre un champ plus large. Il n'y a pas de difficultés au niveau des juridictions de jugements, qui formulent des condamnations sur les deux chefs. De surcroît cette incrimination facilite la coopération internationale, indispensable dans des affaires qui impliquent presque toujours des étrangers et supposent des demandes d'entraide internationale. Elle permet de gommer les différences de législation avec des pays comme la Suisse ou l'Allemagne, facilitant le recours au mandat d'arrêt européen. Eurojust est très sollicité, avec des interpellations simultanées dans plusieurs pays et des équipes communes d'enquête. Visée à l'article 706-73, l'incrimination de traite des êtres humains donne accès à tous les outils procéduraux dérogatoires : garde à vue prolongée, interceptions téléphoniques...

Le parquet de Paris est attaché depuis longtemps à la prise en charge des victimes. Dès l'institution du délit de racolage en 2003, notre politique pénale a mis l'accent sur le suivi socio-sanitaire des prostituées. Nous disposons à Paris d'un maillage d'associations spécialisées compétentes, avec lesquelles nous avons renforcé notre partenariat dans le cadre des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD). Les zones de sécurité prioritaires (ZSP), notamment du 18 ème arrondissement, sont très touchées par la prostitution nigériane et roumaine. Un protocole de prise en charge des victimes a été mis en place avec les associations, dont nous nous efforçons d'assurer la présence dès le stade de l'interpellation.

Nous souhaitons qu'une psychologue intervienne au sein de la Brigade de répression du proxénétisme (BRP) pour aider les victimes à se percevoir comme telles, ce qui ne va pas toujours de soi dans les affaires d'exploitation de type clanique ou familiale. Une convention rassemblant la Mairie de Paris, la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) et le préfet de Paris est en cours de négociation pour mettre en place un appartement d'accueil pour les victimes de traite pendant la procédure judiciaire, afin d'assurer leur présence - trop rare - à l'audience : la parole des victimes a un impact fort, irremplaçable, sur la sanction prononcée.

L'incrimination de traite des êtres humains a aussi été visée dans des affaires d'exploitation de mineurs, notamment dans le dossier Hamidovic, pour lequel le partenariat avec la Bosnie a été essentiel et où nous avons obtenu des condamnations à plus de huit ans d'emprisonnement. Il y a certes eu des poursuites contre les mineurs auteurs de vols, mais cela n'excluait pas le souci de leur prise en charge, ce qui traduit l'ambivalence de ces situations.

L'incrimination de traite peut sembler complexe mais sa rédaction dans le code pénal, qui couvre un grand nombre de situations, est globalement satisfaisante et les magistrats y sont désormais habitués. Notamment, le fait que le consentement de la victime n'exonère pas l'auteur des faits est bien ancré dans leurs esprits. Certaines circonstances prouvent l'absence de consentement de la victime, d'ailleurs.

L'une des principales difficultés est de repérer les mineurs et, surtout, de prouver leur minorité. Certaines jeunes Nigérianes, qui arrivent désormais par la Lybie et Lampedusa, ont des documents sous des identités de majeures. Les associations essaient de détecter les mineures, et la Brigade de protection des mineurs (BPM) alerte aussitôt le parquet des mineurs. Il faut alors intervenir au plus vite pour pratiquer un examen osseux. Nous avons d'ailleurs récemment détecté des jeunes femmes mineures et mis en place un processus de prise en charge et procédé à l'ouverture d'une enquête sous la qualification d'exploitation de mineur.

Hélas, l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) manque de moyens et n'intervient guère en région parisienne. Reste la Brigade de répression du proxénétisme (BRP) de la préfecture de police de Paris, qui traite pourtant déjà un nombre important de dossiers et qui mène des enquêtes longues et difficiles. Les effectifs de police judiciaire manquent pour pouvoir être véritablement présents sur tous les fronts que recouvre la traite. De même, aucun office ne travaille spécifiquement sur l'exploitation des mineurs : c'est donc la BPM, pourtant déjà surchargée, qui se charge du phénomène parisien des gangs de jeunes Roumains.

S'agissant de l'exploitation domestique, mes collègues m'ont indiqué qu'ils n'utilisaient pas l'incrimination de traite, car il est plus simple de passer par le travail dissimulé. Les plaintes sont très rares et les auteurs, souvent étrangers, de passage sur le territoire national. Enfin, les services compétents ne se sont pas approprié cette incrimination, et les cas sont traités par les commissariats plus que par la police judiciaire.

Nous travaillons beaucoup sur les victimes, sachant que certaines deviennent à leur tour exploiteuses. Les Nigérianes, par exemple, doivent rembourser une dette de 65 000 euros : la tentation est forte de faire venir et d'exploiter à leur tour une autre jeune femme. Certains cadres des réseaux se livrent eux-mêmes à la prostitution, notamment dans les réseaux roumains. Nous devons donc nous garder de tout angélisme envers les victimes et faire preuve de professionnalisme. Les réseaux s'adaptent, appréhendent très bien nos failles et infiltrent nos systèmes d'aide aux victimes. C'est pourquoi je ne suis pas favorable à une automaticité de la prise en charge. La France doit rester une terre inhospitalière pour les réseaux. Gare aux effets pervers, donc.

Mme Chantal Jouanno, présidente . - C'est un débat que nous avons eu.

Mme Bénédicte Lavaud-Legendre, chargée de recherche au CNRS . - Je cautionne la majorité de ces propos, auxquels j'apporterai toutefois quelques nuances car ils portent surtout sur les pratiques parisiennes. Ailleurs, l'appropriation de l'incrimination de traite des êtres humains par les magistrats est encore en cours. Le cadre normatif est-il suffisant et adapté ? Oui, il est cohérent et adapté, mais son application laisse à désirer, sans doute parce qu'il est trop complexe. Ainsi, un arrêt de la Cour de Cassation du 17 décembre 2015 cite un arrêt de la cour d'appel de Nancy dans lequel les magistrats qualifient de « pratique culturelle » le mariage arrangé d'une jeune fille de treize ans, vendue 120 000 euros pour commettre à terme des cambriolages, et écartent l'incrimination de traite des êtres humains, « pour ne pas la banaliser », arguant ainsi qu'il s'agit d'une affaire familiale. Dans l'esprit des magistrats, la qualification de traite ne concerne que les gros réseaux. Les conséquences sont considérables pour les victimes et sur les procédures de coopération. Cela revient à permettre que les faits continuent en raison de moyens d'investigation insuffisants et d'une protection moindre des victimes. Pourtant, la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans l'arrêt C.N et V, suite à un arrêt similaire de la cour d'appel de Versailles, preuve que l'infraction de traite est encore mal comprise.

L'infraction n'est pas utilisée non plus pour qualifier des faits d'esclavage domestique. Ainsi, une jeune femme Marocaine ayant contracté un mariage arrangé s'est retrouvée en France à vivre avec sa belle-mère, contrainte d'assurer les soins aux quatre personnes handicapées que celle-ci accueillait pour le compte du conseil général, tout en étant surveillée par une caméra cachée. Elle se rend dans un commissariat, où les faits sont qualifiés de violences simples ! À Bordeaux, une association la prend en charge et dépose une nouvelle plainte. Les faits sont alors qualifiés de traite, mais le parquet classe sans suite. L'appel est actuellement pendant devant la cour d'appel de Paris.

L'absence de qualification de traite a des conséquences déplorables : sans protection, la victime reste dépendante de son groupe d'exploitation, au risque de devenir à son tour exploiteuse, et les mesures répressives sont freinées.

Ce texte est-il suffisamment accessible aux magistrats ? Je me demande s'il ne faudrait pas inclure les faits d'isolement par rapport à la société du pays d'accueil et de dépendance à l'égard du groupe d'exploitation - très forte notamment chez les Nigérianes. Réfléchissons aussi à la notion de contrainte exercée. Parfois, la contrainte préexiste à la traite et ses auteurs en profitent même s'ils ne l'exercent pas directement Dans certains cas, l'auteur va tirer profit de la détresse de sa victime, et cela peut se faire de façon tacite. Ainsi, il peut suffire à un restaurateur d'évoquer le cas d'une personne en situation illégale que la police aurait interpellée pour que celle qui travaille dans son restaurant n'en sorte plus...

L'application du texte est très hétérogène selon les préfectures, qui octroient plus ou moins facilement le titre de séjour prévu à l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) aux personnes qui déposent plainte. Il s'agit là d'un problème majeur, politique avant d'être juridique. Les personnes qui témoignent sous X devraient avoir droit à un tel titre de séjour, ce qui est loin d'être toujours le cas.

L'hétérogénéité est grande aussi dans les rapports entre structures associatives et autorités de poursuite : certaines associations perçoivent la police et la préfecture comme des ennemis. Les subventions qui leur sont accordées devraient être liées à un cahier des charges qui prévoit une meilleure coopération avec les pouvoirs publics. La protection des victimes ne peut être dissociée de la répression. Par exemple, une Nigériane, si elle n'est pas convenablement accompagnée, n'a d'autre solution que de prendre la place de la tête de réseau tombée sur sa dénonciation. Ces propos ne remettent pas en cause la nécessité d'aider ces femmes, mais soulignent l'intérêt de susciter une véritable réflexion sur ce phénomène.

L'identification des mineurs est très insuffisante, notamment en raison d'un manque de formation des professionnels sur la question de l'emprise. Du coup, nous en sommes à la deuxième génération de mineurs victimes ! Les moyens consacrés à cette question sont autant d'économies pour l'avenir. Dans le dossier Hamidovic, certains mineurs avaient été interpellés plus de dix fois. Comme leur prise en charge était inopérante lorsqu'ils étaient victimes, ils sont devenus à leur tour auteurs d'infractions. Seuls les mineurs victimes de traite dont les auteurs sont impliqués dans des procédures pénales sont protégés. C'est insuffisant : les mineurs doivent être protégés de manière inconditionnelle. Force est de constater que le système de l'aide sociale à l'enfance n'atteint pas son but pour les mineurs victimes de la traite lorsqu'il n'y a pas de procédure pénale parallèle.

Mme Véronique Degermann . - De plus, les structures de prise en charge ne sont pas adaptées : ils y prennent une douche et quittent le foyer dans l'heure ! D'où la convention que le parquet des mineurs de Paris s'apprête à signer pour une structure spécifique de prise en charge.

Mme Cécile Riou-Batista, coordinatrice sur la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains et conseillère pour les questions d'éthique, de société et d'éducation aux droits de l'homme à la CNCDH . - La CNCDH a été désignée rapporteure nationale sur la traite des êtres humains par le plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains adopté en mai 2014. Aussi avons-nous préparé un rapport évaluant la mise en oeuvre de ce plan, qui paraîtra fin février. Si ce plan révèle une véritable prise de conscience de ce que doit être la lutte contre la traite des êtres humains, cette lutte est encore loin d'être effective et bon nombre des mesures prévues n'ont pas été mises en place. Or la bonne volonté ne saurait suffire ! Seule une application concrète, par les pouvoirs publics, des mesures contenues dans le plan serait opérante. Des moyens financiers supplémentaires sont nécessaires et la lutte contre la traite doit être bien articulée et coordonnée au niveau national. La CNCDH rappelle que toutes les formes de traite doivent retenir la même attention des pouvoirs publics. Pourtant, les victimes de traite à des fins économiques, de mendicité ou d'esclavage domestique, par exemple, sont rarement identifiées comme telles par les instances compétentes.

La CNCDH recommande, pour renforcer l'intelligibilité et l'autorité du dispositif de lutte contre la traite et l'exploitation, de lui conférer un caractère général plutôt que de favoriser une approche spécifique à l'exploitation de la prostitution et à la traite visant la prostitution. Elle recommande donc la création d'une instance interministérielle spécifiquement dédiée à la coordination de la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains, rattachée au Premier ministre. Certes, la MIPROF fait un travail extraordinaire, mais ses moyens sont dérisoires.

Il faut également mettre en place un financement conséquent, pérenne et transparent. Il s'agit non seulement de doter l'instance de coordination de la lutte contre la traite des moyens financiers et humains nécessaires à son bon fonctionnement, mais aussi d'attribuer aux associations des moyens concrets et durables.

Dans la loi de finances pour 2016, le budget consacré au programme 137 a doublé en apparence - mais il ne s'agit que de réaffectations de crédits et non de nouveaux moyens. Dans l'ensemble, les crédits sont insuffisants.

La proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel prévoit la création d'un fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées. La CNCDH salue cette création et souhaite que l'ensemble des victimes de traite en bénéficient. Reste que pour l'heure, les ministères concernés rechignent à abonder ce fonds - à l'exception du secrétariat d'État aux droits des femmes. Il est prévu que les revenus issus de la confiscation des biens des personnes et réseaux coupables de traite financent ce fonds : or celui-ci doit être alimenté de manière continue et pérenne alors que ce type de revenu est aléatoire.

La CNCDH recommande au Gouvernement de sensibiliser davantage le grand public aux différents types de traite, en organisant des campagnes d'information et de sensibilisation. Elle suggère au Gouvernement de faire de la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains une grande cause nationale. Elle invite la MIPROF, les ministères et les organismes concernés à ne pas retarder davantage l'élaboration et la publication de nouveaux outils de formation, harmonisés et mutualisés, prenant en compte l'ensemble des formes d'exploitation visées par la traite. Policiers et gendarmes, magistrats et tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec des victimes de traite, comme les inspecteurs du travail, le personnel de la protection de l'enfance ou le personnel hospitalier, doivent être formés à l'identification et à l'accompagnement des victimes dans le cadre de la formation initiale et continue.

Un accompagnement individualisé des victimes doit être mis en place sans discrimination entre les formes de traite. La CNCDH recommande aux pouvoirs publics de mettre effectivement en oeuvre les mesures 7 et 8 du plan, qui prévoient d'augmenter et d'adapter les solutions d'hébergement pour les victimes de la traite, de développer et de faire connaître l'accueil sécurisant prévu dans le cadre du dispositif Ac.Sé (Accueil Sécurité). Grâce aux efforts de la MIPROF, ce dispositif est mieux connu, or les moyens n'ont pas augmenté et il est proche de la saturation.

M. Hervé Henrion-Stoffel, conseiller juridique à la CNCDH . - La CNCDH a formulé en mai dernier plusieurs recommandations pour améliorer la rédaction de l'article L. 316-1 du CESEDA. Les victimes de traite ont été oubliées dans la réforme du droit des étrangers : étant donné la longueur des procédures pénales, pourquoi leur refuser un titre de séjour pluriannuel ?

Les praticiens ont du mal à s'approprier l'infraction de traite. D'abord, elle est délicate à prouver, car le texte du code pénal est complexe. D'ailleurs, lorsque nous l'avons analysé, je n'y ai pas vu les mêmes choses que mon collègue ! Sans doute les textes sur le proxénétisme ou le trafic de migrants sont-ils d'un maniement plus commode. Pour définir l'acte de traite, le texte reprend les verbes recruter, transporter, transférer, héberger ou accueillir, qui sont ceux de la directive. Pourtant, il n'est pas toujours facile de distinguer entre héberger et accueillir, entre transporter et transférer. Le terme « accueillir » fait l'objet d'une interprétation très restrictive. Ainsi, l'infraction de traite n'a pas été retenue pour les coiffeuses du boulevard de Strasbourg, puisque ces personnes, qui travaillaient 20 heures sur 24, ne dormaient pas sur place. De plus, les services de police ne sont pas habitués à manipuler l'infraction de traite des êtres humains et connaissent mieux les textes relatifs aux conditions indignes de travail. Le transfert du contrôle - passer par un intermédiaire pour contrôler la victime - n'apparaît pas explicitement dans le texte, il faudrait l'y ajouter.

Sur les circonstances de la traite, l'article 225-4-1 du code pénal vise quatre hypothèses, mais la vulnérabilité sociale ou économique n'est pas envisagée. C'est dommage, car c'est celle qui facilite le plus l'exploitation. La notion d'abus de vulnérabilité pose problème pour établir l'infraction, puisqu'il faudra prouver cumulativement la situation de vulnérabilité, l'abus en lui-même et le lien entre les deux. Mieux vaudrait s'en tenir à la notion de vulnérabilité particulière, sans mentionner l'abus, dans la mesure où cela permettrait plus aisément la poursuite sous le chef de traite.

Les mots « en échange d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage » peuvent laisser penser que la victime peut consentir à sa situation. Aussi faut-il rappeler de façon plus claire dans les textes l'indifférence du consentement de la victime afin d'éviter tout malentendu dans l'interprétation.

Au titre de l'élément moral, le texte définit un dol spécial : que la volonté de l'auteur porte sur l'acte de traite mais aussi sur le résultat, c'est-à-dire la commission, réalisée ou simplement projetée, d'un fait d'exploitation. Le législateur a choisi de définir l'exploitation par une liste limitative d'infractions. Il faudrait y ajouter l'exploitation d'une personne réduite en esclavage, le commerce d'enfants et peut-être aussi le mariage forcé.

Concernant la répression, le texte prévoit que l'infraction de traite des êtres humains est aggravée lorsqu'elle est commise dans deux des circonstances qu'ils mentionnent. Ces circonstances sont les quatre hypothèses que j'ai évoquées. Or le droit pénal a pour principe de distinguer l'élément constitutif de l'infraction de la circonstance aggravante. Pour l'heure, on ne sait pas combien au juste d'hypothèses doivent être vérifiées pour constituer la circonstance aggravante : deux ou trois ? Il faut améliorer la rédaction. De fait, nous avons tendance à transposer les directives au dernier moment... Rien n'empêche de les expliciter !

Mme Michelle Meunier . - Comment faire pour les mineurs ?

Mme Bénédicte Lavaud-Legendre . - La difficulté est qu'ils sont placés dans des centres d'hébergement de l'aide sociale à l'enfance (ASE) qui ne leur sont pas spécifiques, donc pas adaptés. En effet, ces mineurs sont souvent sous emprise et ne se considèrent pas comme victimes : ils adhèrent bien souvent au système d'exploitation. Il faut avant tout les aider à prendre conscience du caractère illégal et insupportable de ce qu'ils subissent, en leur proposant un autre système de références et de valeurs. Une convention entre l'association Hors la rue , le parquet et l'ASE mettra en place une plate-forme d'accueil et d'orientation à leur intention. Comme toutes les victimes de traite, ces mineurs sont habitués à vivre dans un cadre très protecteur. Le groupe d'exploitation crée la dépendance et l'isolement du reste de la société. Il est dangereux de les sortir d'un tel environnement sans leur fournir un cadre de substitution qui ne soit pas lui-même protecteur. Certes, il ne faut pas leur donner la main en permanence, mais ils doivent pouvoir parler à quelqu'un à toute heure. À cet égard, un hébergement à l'hôtel est la pire solution.

Mme Michelle Meunier . - En effet. Peut-être faut-il aussi des médecins, des psychologues...

Mme Bénédicte Lavaud-Legendre . - En tous cas, il faut de l'humain.

Mme Cécile Riou-Batista . - Cette convention réunit le parquet des mineurs de Paris, le conseil général, Hors la rue et la MIPROF : il s'agit d'une expérimentation, avec un financement pour cinq mineurs dans un premier temps. Hors la rue assure la formation des éducateurs des centres de protection de l'enfance concernés, la Mairie de Paris finance. La MIPROF a eu beaucoup de mal à trouver les financements.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Les Britanniques assignent à chaque mineur un tuteur...

Mme Bénédicte Lavaud-Legendre . - Il faut être prudent, dans la mesure où la prise en charge d'un mineur exploité demande un vrai professionnalisme.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . . - J'ai été en 2009 rapporteure, à la commission des affaires étrangères, du projet de loi autorisant la ratification de l'accord de coopération entre la France et la Roumanie en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français ; au sortir des centres, ces enfants sont retrouvés par les exploiteurs. Nommer un référent pourrait contribuer à les protéger.

Mme Bénédicte Lavaud-Legendre . - Tout ce qui crée du lien humain, du lien entre ces mineurs et notre société est bienvenu, sans préjudice de l'encadrement par des professionnels. Car c'est l'isolement et la dépendance qui rendent vulnérable à la traite.

Mme Cécile Riou-Batista . - La CNCDH s'intéresse à l'expérimentation qui sera menée à Paris car elle fait entrer ces mineurs dans le droit commun de la protection de l'enfance tout en leur assurant un accompagnement spécialisé. Cela favorisera leur réintégration sociale.

Mme Corinne Bouchoux . - Merci de votre action et de vos témoignages - et, Mme Lavaud-Legendre, merci de votre diplomatie à notre endroit, qui contraste quelque peu avec la vigueur de vos écrit ! Certains aspects du texte du code pénal sont des atouts pour la communication mais s'appliquent difficilement. Dans mon département rural, j'ai constaté qu'après une grave affaire d'enfants abusés, il a été assez facile d'entamer avec tous les acteurs un travail de lutte contre la traite des êtres humains. Un tel travail ne requiert-il pas une prise de conscience plus large des abus envers les enfants, au niveau local, ainsi que des systèmes et des réseaux mafieux ? Le Parlement offre un cadre approprié pour une réflexion sur ce sujet.

Mme Hélène Conway-Mouret . - La qualification de traite est insuffisamment visée, dites-vous. La formation des forces de l'ordre est-elle adaptée ? L'opinion publique est-elle prête à s'approprier cette problématique ? L'arrivée massive de migrants influera-t-elle en ce sens ou au contraire desservira-t-elle cet enjeu ? Il faut qu'elle fasse pression sur le politique. Cela contraindrait les responsables politiques à consacrer plus de moyens à ce problème.

Mme Laurence Cohen . - Il ressort de vos témoignages qu'à Paris, l'incrimination de traite est bien utilisée, alors qu'en province semble l'être moins. Qu'en penser ? La formation des magistrats et des services de police est-elle suffisante ? L'intervention de psychologues s'impose, aussi. Pourquoi n'y a-t-il pas de service dédié aux mineurs à Paris ? Cela semble invraisemblable ! Certes, les associations ne doivent pas faire preuve d'angélisme. Certaines ne se préoccupent que de protection des victimes, sans doute. Mais elles ne pourraient pas avoir la confiance de victimes si elles donnent l'impression d'être du côté des pouvoirs publics, qui sont forcément répressifs. On ne peut demander aux associations de pallier à elles seules le manque de moyens de l'État.

Enfin, l'attribution de titres de séjour est l'un des éléments de l'oppression des migrants. Il faut lutter contre l'infiltration des réseaux, mais avant tout protéger les victimes.

M. Marc Laménie . - Sujet complexe, en effet. La situation varie entre Paris, les grandes métropoles et les zones rurales - je suis le modeste élu d'un petit département, mais on n'est à l'abri nulle part. Les gendarmes sont-ils suffisamment formés à la lutte contre ces phénomènes ? Les moyens humains sont prioritaires, mais les associations reposent sur le bénévolat, qui a ses limites. En tant que membre de la commission des finances, j'attirerai l'attention sur les crédits du programme 137.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Pour briser la tolérance sociale envers ces différentes violences, nous devons les traiter de manière connexe, car elles sont liées entre elles, sur fond d'une immense vulnérabilité qui donne lieu à une logique d'exploitation et de domination patriarcale : c'est tout un système, qui ne date pas d'hier ! Il est dommage qu'aucun service ne soit dédié aux mineurs, en effet. Le bénévolat est bienvenu, mais il faut un pilote dans l'avion - que nous devons contrôler. Pourquoi encadrer à ce point l'adoption, si c'est pour ne pas protéger un enfant victime de traite ? Il faut fournir à ces victimes un encadrement adapté à leur âge. La sensibilisation des personnels au repérage des mineurs requiert aussi des moyens. Il faudra repousser les parois de l'enveloppe budgétaire !

Mme Bénédicte Lavaud-Legendre . - La traite des êtres humains doit être abordée comme l'infraction qui prépare les actes d'exploitation, et ceux-ci ne concernent pas que des mineurs ou des femmes.

Je ne jette pas la pierre aux associations, loin de là. Mais je connais beaucoup d'exemples de femmes Nigérianes qui ont été accompagnées par des associations pendant des années, et ont ensuite pris la place de celles qu'elles avaient dénoncées ! Elles ont été condamnées mais leur titre de séjour n'a pas été annulé. Il y a donc un manque de cohérence dans l'action des associations. Le plan d'action prévoit des instances de coordination bienvenues entre parquet, police et associations.

M. Hervé Henrion-Stoffel . - Entre janvier et mai 2015, les services de police et de gendarmerie ont relevé sur le territoire national 45 infractions relevant de la traite des êtres humains, 313 du proxénétisme, 32 du recours à la prostitution et 100 relatifs à des conditions de travail et d'hébergement indigne. Pour 2013, la part des condamnations relatives à la traite des êtres humains s'établit à 9 % (127 condamnations), contre 80 % pour le proxénétisme (1 550 condamnations). Tout se joue autour de l'exploitation car la traite est une infraction formelle, qui peut être constituée même si l'exploitation n'a pas lieu. Elle est donc utilisée de manière résiduelle. Sinon, on se focalise sur l'exploitation et on oublie la traite, considérée comme une sorte de complicité en amont.

Mme Cécile Riou-Batista . - Notre rapport chiffre le coût de l'inaction. Lutter contre la traite des êtres humains coûte cher, mais moins que de ne rien faire !

Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie pour votre disponibilité et pour l'intérêt de vos témoignages.


* 121 Mme Moiron-Braud a été entendue deux fois : le 16 novembre et le 25 novembre 2015.

* 122 Mme Moiron-Braud a été entendue deux fois : le 16 novembre et le 25 novembre 2015.

* 123 Le Congo, la Corée du Sud, l'Iran, le Japon, le Pakistan, la Somalie, le Soudan et le Yémen n'ont pas ratifié ce protocole. La République tchèque n'a pas ratifié la convention du Conseil de l'Europe.

* 124 http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-7588-2015-REV-2-DCL-1/fr/pdf

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