DEUXIÈME PARTIE : L'EAU, URGENCE DÉCLARÉE

« Ce n'est que lorsque le puits s'assèche que l'on découvre la valeur de l'eau. »

Proverbe écossais

Le dérèglement climatique est désormais une réalité qui n'est plus contestable et une part significative de sa cause est d'origine anthropique au travers, notamment, des émissions de CO 2 . Plus que toute autre ressource naturelle peut-être, l'eau est affectée par cette évolution aussi rapide qu'inquiétante . En effet, le changement climatique se traduit directement par une modification dans la dynamique du cycle de l'eau, sur les plans spatial et temporel.

Or, pendant de longues années, la ressource en eau n'a pas inspiré de préoccupations particulières à la communauté internationale. L'eau est en quelque sorte la « face cachée » du changement climatique, comme l'indiquait un rapport récent du Sénat : « Pendant longtemps, les négociations internationales n'ont pas intégré le sujet de l'eau dans les thèmes de discussion et, dans le même temps, les décideurs ne se sont pas suffisamment préparés aux conséquences sur l'eau du changement climatique. D'ailleurs, le thème de l'eau a été le dernier à être intégré dans les négociations internationales, après celui de la biodiversité 37 ( * ) . »

Jean Launay 38 ( * ) , député et président du Comité national de l'eau, a participé à la septième édition du Forum mondial sur l'eau, qui s'est déroulée en avril 2015 en Corée du Sud. Il garde le souvenir, dans le cadre du processus parlementaire, d'avoir dû se battre pour faire évoluer la rédaction du projet de résolution, qui, au départ, n'évoquait pas la Cop21 ni la problématique de l'eau.

Pour Brice Lalonde, ancien ministre de l'environnement et conseiller spécial auprès des Nations unies pour le développement durable, porte-parole du Partenariat français pour l'eau, « Le changement climatique, c'est le changement aquatique. » Pour le dire autrement, l'eau est au coeur de l'adaptation au dérèglement climatique.

I. LE DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE N'EST PLUS CONTESTABLE

Tout au long de son histoire vieille de 4,6 milliards d'années, la Terre a connu de nombreux changements climatiques, avec la succession de périodes glaciaires - « froides »- et interglaciaires - « chaudes » -, due à des causes naturelles 39 ( * ) .

Nous vivons depuis un peu plus de 10 000 ans dans une période interglaciaire. Se caractérisant par une relative stabilité climatique, elle a permis l'expansion géographique et numérique de la présence humaine. Selon les scientifiques, cette période interglaciaire devrait perdurer encore de 10 000 à 20 000 ans avant qu'une prochaine période glaciaire ne lui succède.

Or, depuis le XIX e siècle, le constat s'impose d'un réchauffement planétaire persistant, jamais observé au cours des 480 000 années précédentes. Ce réchauffement provoque des changements climatiques de nature différente - hausse des températures moyennes, modification du régime des précipitations, augmentation de la fréquence des phénomènes extrêmes -, qui affectent l'ensemble des régions du globe.

Voilà pourquoi il est désormais question de « dérèglement climatique », dont la réalité n'est plus contestable. « Le dérèglement climatique résume l'ensemble de ces phénomènes en indiquant leur caractère anormal par rapport aux tendances naturelles et en soulignant qu'ils résultent de l'action de l'homme 40 ( * ) . »

Il ne s'agit pas, du reste, d'une préoccupation récente. Un rapport d'information établi au nom de la délégation sénatoriale à la planification 41 ( * ) , ancêtre lointain de la délégation sénatoriale à la prospective, rappelait déjà les termes du communiqué du G8 du 5 avril 1998, selon lesquels le dérèglement climatique représente « la plus grande menace pour le développement durable du monde, la santé publique et la prospérité future » 42 ( * ) .

Ce dérèglement climatique emporte inéluctablement des conséquences importantes dans le domaine de l'eau.

A. LE TEMPS DU CLIMATO-SCEPTICISME EST RÉVOLU

1. Une hausse continue des températures moyennes

Voici à quelle conclusion sont parvenus les scientifiques du Giec en 2013 : « Le réchauffement du système climatique est sans équivoque et, depuis les années 1950, beaucoup de changements observés sont sans précédent depuis des décennies voire des millénaires. L'atmosphère et l'océan se sont réchauffés, la couverture de neige et de glace a diminué, le niveau des mers s'est élevé et les concentrations des gaz à effet de serre ont augmenté 43 ( * ) . »

Ce réchauffement se traduit par une augmentation de 0,89°C des températures moyennes de surface depuis le début des relevés de température en 1880. L'année 2015 a battu des records de chaleur , avec une température moyenne supérieure de 0,90°C à la moyenne du XX e siècle et plus élevée de 0,16°C que le précédent record, établi en 2014, soit l'écart maximal observé entre deux années de référence.

« Chacune des trois dernières décennies a été successivement plus chaude à la surface de la Terre que toutes les décennies précédentes depuis 1850. Les années 1983 à 2012 constituent probablement la période de 30 ans la plus chaude qu'ait connue l'hémisphère Nord depuis 1 400 ans. » Rapport après rapport, le Giec réévalue à la hausse ses projections pour le siècle à venir. En 1990, son premier rapport prévoyait une hausse maximale de 3°C de la température moyenne du globe à la fin du XXI e siècle, puis de 3,5°C dans le rapport suivant, de 3,6°C en 2001 avant une prévision maximale à 4°C en 2007.

Selon les derniers scénarios du Giec de 2014, si les tendances actuelles se confirment, les températures augmenteront dans une fourchette comprise entre 0,3°C et 4,8°C.

2. L'origine humaine du réchauffement confirmée

Aucun phénomène naturel n'étant susceptible d'expliquer l'ampleur et la rapidité du changement climatique actuel, le lien entre activités humaines et hausse des températures est devenu de plus en plus certain au fil des rapports du Giec. Il est désormais qualifié d'« extrêmement probable », soit une probabilité supérieure à 95 %. Ce niveau de probabilité, qui n'a cessé d'augmenter depuis 1995, s'explique aussi par la précision accrue des données scientifiques grâce à l'amélioration des modèles climatiques utilisés.

De l'Holocène à l'Anthropocène ?

En 2002, le prix Nobel de chimie Paul Crutzen propose de nommer « Anthropocène » l'époque géologique actuelle, qui ferait donc suite à l'Holocène engagée 11 500 ans auparavant. Il fait symboliquement remonter le début de l'Anthropocène au brevet sur la machine à vapeur déposé par James Watt en 1784. Comme il l'écrit dans la revue Nature 44 ( * ) , l'Anthropocène se caractérise par le fait que « l'empreinte humaine sur l'environnement planétaire est devenue si vaste et si intense qu'elle rivalise avec certaines des grandes forces de la Nature en termes d'impact sur le système Terre ».

L'ouvrage L'Événement Anthropocène : la Terre, l'histoire et nous 45 ( * ) souligne la responsabilité de l'Homme dans les évolutions passées, en cours et à venir : « C'est notre époque. Notre condition. Cette époque géologique est devenue notre histoire depuis deux siècles et quelques. L'Anthropocène, c'est le signe de notre puissance, mais aussi de notre impuissance. C'est une Terre dont l'atmosphère est altérée par les 1 400 milliards de tonnes de CO 2 que nous y avons déversées en brûlant charbon et pétrole. C'est un tissu vivant appauvri et artificialisé, imprégné par une foule de nouvelles molécules chimiques de synthèse qui modifient jusqu'à notre descendance. C'est un monde plus chaud et plus lourd de risques et de catastrophes, avec un couvert glaciaire réduit, des mers plus hautes, des climats déréglés. Proposé dans les années deux mille par des scientifiques spécialistes du "système Terre", l'Anthropocène est une prise de conscience essentielle pour comprendre ce qui nous arrive. Car ce qui nous arrive n'est pas une crise environnementale, c'est une révolution géologique d'origine humaine. »

À l'heure actuelle, l'Anthropocène reste un concept sujet à discussion et n'a pas de reconnaissance officielle. L'Union internationale des sciences géologiques devrait se prononcer sur le sujet au cours de l'année 2016.

À défaut d'être un agent météorologique, l'Homme est donc bel et bien devenu un agent climatique . Aujourd'hui, les éléments de diagnostic existent. Ils sont solides et connus. On ne pourra plus dire que l'on ne savait pas .

D'autant que l'impact des activités humaines sur le climat aura des conséquences sur le très long terme. Comme l'indiquait l'Opecst dans un rapport publié en 2002 mais toujours d'actualité, « même si l'homme cessait dès aujourd'hui d'émettre tout gaz à effet de serre dans l'atmosphère, il devrait subir durant de très nombreuses années les effets des gaz émis durant les cent cinquante dernières années » 46 ( * ) . Il faudra des siècles pour stabiliser le climat à son nouvel équilibre.

Les projections du Giec en images

Source : Agence IDÉ

Une question :

Malgré l'approfondissement des connaissances et quelle que soit la robustesse des modèles de simulation de l'évolution du climat, il restera toujours une part d'incertitude liée à sa variabilité naturelle, à la capacité des modèles numériques à reproduire son fonctionnement et aux émissions de gaz à effet de serre qui seront effectivement produites.

Doit-on pour autant laisser l'incertitude justifier l'inaction ?


* 37 Rapport d'information du Sénat n° 108 (2015-2016) du 22 octobre 2015 sur les collectivités territoriales et le changement climatique, fait par Jean-Marie Bockel, Caroline Cayeux, Michel Delebarre, Christian Favier, Joël Labbé, Antoine Lefèvre, Jacques Mézard et Marie-Françoise Perol-Dumont, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

* 38 Audition du 29 septembre 2015.

* 39 Ce qui a évidemment alimenté la contestation des climato-sceptiques.

* 40 Jean-François Soussana, membre du Giec et directeur scientifique environnement à l'Inra. Revue Alima'agri du ministère de l'agriculture - Numéro 1563 - Octobre-novembre-décembre 2015.

* 41 Maîtriser les émissions de gaz à effet de serre : quels instruments économiques ? Rapport d'information Sénat n° 346 (1998-1999) du 11 mai 1999, fait par Serge Lepeltier au nom de la délégation pour la planification.

* 42 Audition du 30 juin 2015 de Serge Lepeltier, ancien ministre et sénateur, président de l'Académie de l'eau.

* 43 Contribution du groupe de travail I au cinquième rapport d'évaluation du Giec sur l'évolution du climat - Résumé à l'attention des décideurs - 2013.

* 44 Paul J. Crutzen, Geology of Mankind, Nature, volume 415, 3 janvier 2002.

* 45 Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz - Seuil - Octobre 2013.

* 46 L'évaluation de l'ampleur des changements climatiques, de leurs causes et de leur impact prévisible sur la géographie de la France à l'horizon 2025, 2050 et 2100 - Rapport Sénat n° 224 (2001-2002) du 30 janvier 2012, fait par Marcel Deneux au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

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